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Agents géographiques et société libertaire

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par Gérard Gonet-Boisson
Université de Pau et des Pays de l'Adour - DEA de Géographie 2000
  

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Conclusion :

La géographie libertaire a survécu à de multiples obstacles. Qu'ils soient d'ordre institutionnel ou politique, elle a résisté jusqu'à mériter aujourd'hui une nouvelle lecture et une étude dénuée de préjugés . Face à l'institutionnalisation de l'école française de géographie, insufflée avec le succès que l'on sait par Vidal de la Blache, face aux positions politiques des diverses classes dirigeantes d'autrefois comme d'aujourd'hui, la géographie sociale des deux plus grands géographes anarchistes connus à ce jour que sont Élisée Reclus et Pierre Kropotkine dont nous avons tenté partiellement de dévoiler les conceptions théoriques et épistémologiques, a réussi à surmonter les processus d'exclusion divers que la structure universitaire et le milieu politique et médiatique lui avaient opposé205(*). Les raisons de cette survivance et de l'intérêt pour une étude renouvelée sont certainement à chercher sur le terrain du positionnement scientifique singulier de ce courant de la géographie dite critique.

Tout au long de ce présent mémoire, nous pensons avoir mis en évidence la place centrale accordé à l'individu ou l'agent géographique par Kropotkine et Reclus. L'agent géographique considéré comme être social avant tout est au coeur de leur problématique géographique dans une tentative de compréhension de l'organisation territoriale du monde. L'adéquation de leurs fondements moraux, reposant sur les principes philosophiques de Godwin voire de Guyau dans lesquels l'homme doit être considéré comme l'objet central de toute attention et considération, avec leur démarche de géographe, aboutit à la constitution d'une approche scientifique qui se démarque par quelques traits spécifiques.

Leurs approches sont globalisantes avec un souci permanent de mise en valeur des interactions entre milieux naturels et milieux humains (nous retrouvons ici, leurs volontés communes de maintenir l'unité disciplinaire de la géographie). L'un, en l'occurrence Élisée Reclus, a mieux précisé le concept de milieu en lui attribuant une double dimension constituée d'un milieu-espace et d'un milieu-temps avec des processus différenciés (il complète sa démonstration en distinguant un milieu statique lié aux faits inhérents de la nature et un milieu dynamique propre aux faits socio-économique de l'activité humaine). L'autre, Pierre Kropotkine, a clairement explicité les raisons de son rejet de la méthode dialectique et de l'adoption de la philosophie synthétique comme base méthodologique de ses futurs travaux. Selon lui, cette philosophie doit expliquer par phases successives les principes fondamentaux de la vie terrestre et offrir une clef de lecture globale pour une meilleure compréhension de l'organisation du monde. Nous avons vu également comment, pour Élisée Reclus, cette vision synthétique repose sur l'existence de deux pôles antinomiques que sont le progrès et ce qu'il appelle le " régrès " . La clé de compréhension générale de la distribution des sociétés humaines réside, toujours selon lui, dans une juste appréciation du perpétuel équilibre dynamique qui réside entre ces deux pôles constitutifs.

La pensée libertaire qui alimente les travaux de ces deux géographes permet de comprendre les raisons d'une recherche fiable d'un cadre politico-scientifique cohérent où la place nodale de l'action humaine est au coeur de leurs travaux. Pour reprendre une expression de Paul Claval, ils ne décrivent pas un univers irénique. Ils sont conscients que le monde est construit sur l'existence d'un rapport de forces permanent et donc que la géographie ne peut être que politique. L'interpellation qui découle de ce fait historique par les géographes anarchistes consiste à élaborer un système de gestion des espaces territoriaux respectueux de l'agent géographique dans son intégrité morale et politique. C'est cette réflexion de base qui a initié notre travail de recherche dans la mesure où nous tentions de savoir si, premièrement, des théoriciens avaient réfléchi à cette problématique précise, deuxièmement, des modèles opérationnels avaient été conçus et, dernièrement, des outils spécifiques avaient été élaborés.

Au terme de cette étude sur ce questionnement initial et central, nous ne pouvons nous empêcher de souligner qu'une étude plus ciblée sur certains points du positionnement scientifique singulier des premiers géographes anarchistes aurait incontestablement amené quelques éclaircissements bienvenus. La divergence idéologique concernant l'acceptation ou le refus de la méthode dialectique de type hégélien comme approche scientifique par les géographes libertaires mérite à n'en pas douter un approfondissement. La pauvreté du langage conceptuel de la fin du dix-neuvième ne doit pas être non plus considéré comme un obstacle insurmontable à une interprétation comparative de l'histoire de la géographie. Il serait bon de souligner objectivement l'importance accordée à certains domaines géographiques par les géographes anarchistes, nous pensons en particulier à la géographie urbaine. Des comparaisons avec des écoles de pensée politique, comme l'école marxiste, ou géographique comme l'école vidalienne, auraient permis, à n'en pas douter, de mieux révéler la portée de notre étude. Ce sont là quelques limites fixées à notre étude qui nous ont, malgré les lectures préparatoires, gênées pour une démonstration plus approfondie et surtout plus convaincante.

La réflexion engagée autour des concepts d'optimum individuel et d'optimum collectif a cependant montré la cohérence de la théorie sociale des anarchistes. Les fondements de la théorie anarchiste reposent sur la présence de deux principes incontournables : l'égalité et la liberté. Notre approche de la problématique libertaire de la géographie d'Élisée Reclus et de Pierre Kropotkine nous a contraint à privilégier l'abord d'une réflexion sur la liberté. Comme nous l'avons vu, la volonté constante de la part des anarchistes de constituer le fondement de la réflexion sociale autour du principe inaliénable de la liberté de l'agent géographique marque l'ancrage philosophique des anarchistes dans la continuité philosophique de la pensée humaine. Même conscient, que l'aspect juridique de l'antinomie individu-collectivité aurait apporté un nouvel éclairage sur notre propos, nous avons, néanmoins, mis en évidence que pour les anarchistes l'agent géographique et la société sont deux entités complémentaires et inséparables. La société est une condition de sa libération, affirment avec force les théoriciens anarchistes. Bakounine ne dit-il pas la même chose dans une brochure intitulée La Commune de Paris et la notion d'État de 1871 :

" Nous sommes convaincus que toute la richesse du développement intellectuel, moral et matériel de l'homme, de même que son apparente indépendance, que tout cela est le produit de la vie en société. "

Les concepts d'optimum individuel et d'optimum collectif révèlent que ces deux éléments conceptuels sont les composants indispensables pour une véritable synergie opérationnelle entre les moyens et la fin de la théorie sociale des anarchistes. La mise en évidence de la particularité de la pensée libertaire, en proposant une adéquation, voire une fusion entre les moyens et la fin, fait que le programme social élaboré par les théoriciens anarchistes paraît cohérent dans sa conception et débouche sur l'élaboration de deux outils politiques applicables par l'ensemble des agents géographiques en vue d'une gestion harmonieuse de la société humaine : le fédéralisme et le municipalisme libertaires.

Notre travail, en démontrant la nécessité, pour les anarchistes, de créer des espaces émancipatoires, participe, nous semble-t-il, à valoriser l'aspect éducatif du projet libertaire. Le droit à l'expression pour tous qui favorise la formation des vertus morales individuelles et développe le sens de la responsabilité civique des agents géographiques sans aucune exclusion sociale ou ethnique doit permettre, selon le projet anarchiste, à concrétiser les espoirs de ceux qui les mettent dans un progrès qui permettrait enfin de surmonter toutes les contradictions actuelles des différents systèmes politiques existants.

A ce stade de la conclusion, il apparaît qu'une étude morphologique comparative des réseaux ainsi qu'une analyse de cas à des niveaux scalaires différents (communes, collectivités, régions, infrastructures de transport ou de communications) d'organisation territoriale issus des expériences libertaires, aurait constitué un axe de recherche intéressant et certainement nécessaire à une bonne lecture spatiale du projet libertaire tel qu'il a été présenté dans ce présent mémoire. Nous devons reconnaître que la lecture cartographique des phénomènes décrits est aussi absente de notre étude que des ouvrages consultés pour la réalisation de ce travail. Seul l'article de Myrna Margulies Breitbart : Décentralisme anarchiste dans l'Espagne rurale, 1936-1939 : l'intégration de communautés et environnement incorpore deux schémas sur les modifications morphologiques effectuées au niveau d'un quartier de Barcelone et au niveau régional. Les géographes devraient trouver là une source d'inspiration pour de futurs travaux à partir des archives espagnoles sur la guerre civile, par exemple.

Nonobstant, ce travail a toujours voulu déboucher sur une contribution (si modeste soit-elle) aux divers champs théoriques de la géographie. La géographie historique ainsi que la théorie de la formation socio-spatiale dans leurs tentatives de définir les différents niveaux de configurations spatiales résultant de formes de pouvoirs spécifiques s'enrichiraient peut-être en incorporant un niveau supplémentaire (indiqué ci-dessous) aux quatre définis par Claval. Qu'il nous soit permis de présenter cette rapide contribution à une étude future plus approfondie sur cette thématique :

Les 5 niveaux de pouvoir

Les formes spatiales

le pouvoir " pur "

mailles serrées

l'autorité

maillage commode

des " jeux d'influences "

réseaux associatifs

la " domination inconsciente "

réseaux associatifs

la " gestion acratique "

rets fédératifs libertaires

La réalisation de ce mémoire " incomplet " comme tout travail de recherche permet, me permet, de répondre positivement aux questions initiales. Existe-t-il un projet de société cohérent et crédible qui respecte et valorise le rôle et la place de l'agent géographique considéré comme unité de référence et élément primordial de l'émergence d'une société " civile " qui disposerait des moyens politiques suffisants pour annihiler les inacceptables inégalités de notre monde moderne ? L'activité militante croissante contre la mondialisation de l'économie, la marchandisation de la vie et la prise en compte des problèmes environnementaux, impulsée, entre autre, par la Confédération Paysanne en France, laisse présager du désir de contrôle et d'action de la part des " citoyens du monde " dans une perspective " acratique ", à l'image d'un José Bové nous révélant que les théoriciens et militants anarchistes ont largement contribué à son éducation militante 206(*).

* 205 Nous rappelons que les ouvrages de référence concernant ces phénomènes sont ceux de Vincent Berdoulay et de Paul Claval. Op. cit.

* 206 Bové José. La révolte d'un paysan. Villeurbanne : Golias, 2000, 95 p.

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