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Agents géographiques et société libertaire

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par Gérard Gonet-Boisson
Université de Pau et des Pays de l'Adour - DEA de Géographie 2000
  

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Chapitre 2 -

La traduction spatiale de la géographie libertaire.

2.1 - Aspects libertaires du rôle de l'agent géographique.

C'est la thématique de l'être avec autrui, de l'individu avec la société dans leurs conséquences spatialisées. Notre propos va s'attacher à sortir du domaine strictement philosophique pour s'attarder plus particulièrement sur les conséquences spatiales d'une conception sociale centrée sur le respect et la mise en exergue du rôle actif de l'individu dans un projet collectif de société. L'objectif de cette deuxième partie est donc, dans un premier temps, de mesurer le degré de liberté de l'agent géographique, tel qu'il est théorisé par les libertaires. Elle s'appuie pour ce faire sur la définition des concepts " d'optimum individuel " et " d'optimum collectif " émergeants de l'apparente antinomie entre les deux entités que sont l'agent géographique et la société. Le deuxième temps de cette partie va procéder d'une lecture spatialisée de deux outils spécifiques élaborés par les théoriciens anarchistes que sont le fédéralisme et le municipalisme libertaires.

2.1.1 Définition et contenu du concept "d'optimum individuel "

" Chaque individualité nous paraît être le centre de l'univers, et chacune a les mêmes droits à son développement intégral, sans intervention d'un pouvoir qui la dirige, la morigène ou la châtie."

clame Élisée Reclus, tant dans ses ouvrages de géographie que dans ses écrits propagandistes de l'anarchie.

C'est autour de ce principe de base que repose la philosophie libertaire. Cette conception de la place de l'agent géographique dans l'espace sociétaire est déjà mentionné par le philosophe anglais Godwin. L'influence de sa pensée est restée faible sur les premiers théoriciens anarchistes. Bakounine ne le cite jamais et a sans doute ignoré jusqu'à son existence. Proudhon ne le connaît que comme l'inspirateur d'Owen131(*). Kropotkine est le premier à en parler élogieusement, il y consacre d'ailleurs un chapitre de son ultime ouvrage132(*). Même si aucun document ne le certifie immanquablement, nous pouvons en déduire que Reclus, par l'intermédiaire de son ami et compagnon Kropotkine, a assimilé les écrits de Godwin, pour preuve cette citation du philosophe anglais :

" Chaque homme doit demeurer son propre centre, et consulter son propre entendement. Chaque homme doit sentir en lui-même son autonomie que les principes de justice et de vérité lui permettent de revendiquer, sans qu'il soit obligé hypocritement de les adapter aux particularités de sa situation et aux erreurs des autres. " 133(*)

Cette volonté unanime de la part des anarchistes, de toutes tendances confondues - individualistes, anarcho-syndicalistes ou socialistes libertaires - de constituer le fondement de la réflexion sociale autour du principe inaliénable de la liberté de l'individu, va nous servir, dans le cadre de notre recherche, à construire un corpus théorique traduisant au mieux le dilemme politique du rapport de l'individu avec la société dans ses traductions spatiales.

Nonobstant, cette préoccupation n'est aucunement propre aux théoriciens anarchistes, elle s'inscrit dans la continuité philosophique de la pensée humaine. Elle est une traduction, sous une forme plus sociale, du questionnement que Jean-Jacques Rousseau pose en tête de son étude " Du contrat social ou principes du droit politique " :

" L'homme est né libre et partout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres qui ne laisse pas d'être plus esclave qu'eux. Comment ce changement s'est - il fait ? Je l'ignore. Qu'est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question. " 134(*)

En suite de quoi Rousseau affirme que, bien entendu, ce changement n'est pas légitime puisqu'il n'est pas la conséquence d'un contrat librement conclu, mais la résultante d'un abus de force.

Le propos de notre travail de recherche ne porte en aucun cas sur l'étude historique des raisons de l'avènement d'une société basée sur l'oppression et l'exploitation de l'homme par l'homme. Des théoriciens anarchistes ont abordé cet aspect de la question et ont avancé de multiples hypothèses : dans le domaine social et économique, dans l'établissement des hiérarchies, l'appropriation des richesses et la constitution des classes ; dans le domaine psychologique, le complexe de soumission et son corollaire l'instinct de domination jouèrent, chacun à des degrés différents, des rôles déterminants135(*). Les aspects moraux et éducatifs, définis par les anarchistes, qui se doivent, à leurs yeux, de participer à l'émergence d'esprits conscients et rationnels en vue de l'avènement d'une société libertaire, ne sont pas, non plus, développés ici. Ceci constitue, peut-être, un axe de recherche non négligeable, mais, dans l'optique de ce travail de recherche de Géographie, ce sont les conséquences spatiales de la philosophie libertaire qui sont privilégiées.

L'appréhension de la pensée libertaire va nous servir de référent dans notre tentative de lecture des inscriptions sculpturales que peuvent déterminer le rôle majeur des agents géographiques tels qu'ils sont conçus par cette école politique sur l'interface terrestre. Mesurer le degré de liberté accordé à l'individu dans le projet collectif de société va nous aider à comprendre la conception spatiale différenciée des lieux humanisés par les libertaires.

Cette place centrale du rôle individuel de l'homme dans le projet collectif de société libertaire nous autorise, du moins nous le nous permettons, à énoncer deux concepts opérationnels : le concept d'optimum individuel et le concept d'optimum collectif. Ces deux notions nous semblent constituer le squelette organique de cette théorie sociale. La recherche permanente de l'épanouissement individuel et de la solidarité collective, n'est aucunement entendue de manière dialectique. Pour les anarchistes, au contraire, la réalisation de l'un ne va pas sans l'avènement de l'autre, et réciproquement. La finalité est d'atteindre le point d'équilibre entre ces deux composantes d'une humanité socialisée.

En définissant et en situant ainsi l'homme dans ses rapports à l'espace, nous sommes conscients de ne poser, en réalité, qu'un aspect de la problématique de la liberté. Car si, effectivement, l'homme est la donnée fondamentale du problème, il convient, de ce fait, de le situer immédiatement par rapport à l'autre réalité, celle de la société. Il peut sembler qu'entre ces deux entités, l'homme d'une part et la société de l'autre, existe une contradiction voire une antinomie. La richesse de la pensée anarchiste révèle, du moins sur cette problématique précise, toute sa richesse et sa pertinence au vu de l'évolution des désirs actuels de la " société citoyenne "136(*). Loin de déduire un quelconque caractère irréductible ; d'afficher que le problème social soit sans solution acceptable pour l'individu ; de refuser que l'organisation sociale soit un obstacle insurmontable à une libération suffisante de la personnalité individuelle, les anarchistes, au contraire, ont affirmé la nécessaire interdépendance de ces deux entités. En effet, pour eux, la contradiction individu - société ne peut être considéré comme irréductible que dans l'absolu et sur le seul plan théorique. Dans la réalité, tout au contraire, individu et société sont deux entités complémentaires et inséparables, l'individu n'étant devenu une " personne humaine " que grâce à la vie sociétaire, et l'individu dégagé de tout rapport avec le social ou à l'état pur n'étant qu'une vue de l'esprit. Il est donc permis de dire que, loin d'être, par définition, l'ennemi de l'individu, la société est une condition de sa libération et que c'est uniquement par la pratique de la solidarité que l'homme parvient à se libérer de certaines contraintes et à franchir certaines limites que la nature semble rendre invincibles ou insurmontables :

" La liberté est pleine et entière quand l'individu, émancipé de toutes tutelles et de toute domination, a la possibilité de construire et d'entretenir des relations volontaires avec les autres... Par ailleurs, puisque les individus sont des êtres sociaux, la liberté n'est pas le refus de toutes les contraintes. Pour s'organiser avec les autres, l'individu doit prendre des engagements, établir des arrangements et les respecter." 137(*)

L'idée que l'individu jouisse d'un espace privé où user librement de la raison et des passions et soit soustrait à l'intervention de qui que ce soit, nous semble apparaître, de manière féconde et récurrente chez les auteurs anarchistes. Le principe énoncé ainsi, est appelé à régir la conduite de la société envers l'individu et à en être le fondement, en terme de stratégie alternative à la gestion des sociétés humaines.

Bakounine, fonde le principe positif de la liberté (ou degré de liberté) sur l'égalité et la solidarité collectives :

" Enfin l'homme isolé ne peut avoir la conscience de sa liberté. Etre libre, pour l'homme, signifie être reconnu et considéré et traité comme tel par un autre homme, par tous les hommes qui l'entourent. "

Et il ajoute :

" Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m'entourent, hommes et femmes, sont également libres. La liberté d'autrui, loin d'être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. Je ne deviens libre vraiment que par la liberté des autres... Ma liberté personnelle ainsi confirmée par la liberté de tout le monde s'étend à l'infini. " 138(*)

Ces paragraphes connus peuvent paraître banals pour des anarchistes, mais ils synthétisent bien l'imbrication essentielle à la théorie anarchiste, de l'égalité et de la liberté sources de l'espace politique dans lequel la diversité des agents géographiques trouvent leur possible sociabilité et épanouissement. La liberté devenant ainsi un :

" produit de l'activité sociale de l'homme. " 139(*)

Cette conception philosophique et politique du respect de l'individu dans une organisation sociale de plus en plus complexe, n'est pas l'apanage des théoriciens libertaires. John Stuart Mill (1806 - 1876), dans l'introduction de son livre sur La liberté, proclame, lui aussi, un principe ressemblant :

" ...le seul objet qui autorise les hommes, individuellement ou collectivement, à troubler la liberté d'action d'aucun de leurs semblables, est la protection de soi-même. La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de force contre un de ses membres est de l'empêcher de nuire aux autres...La seule partie de la conduite de l'individu pour laquelle il soit justiciable de la société, est ce qui concerne les autres. Pour ce qui n'intéresse que lui, son indépendance est, de droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et sur son esprit, l'individu est souverain. " 140(*)

La défense et la sauvegarde obstinée de l'individu entendu comme noyau primaire du potentiel humain définit l'action politique de base des anarchistes. L'identité n'est pas collective, mais bien individuelle. Malgré la complexité de la réalité sociale qui s'étend à tout le champ des possibles, chaque être humain est différent. Ce point reste une constante de la philosophie et de la propagande anarchiste :

" L'unité de base de l'humanité est l'homme, l'être humain individuel. Presque tous les individus vivent en société, mais la société n'est rien de plus qu'une somme d'individus, et son seul but est de leur permettre une vie épanouie. Les anarchistes ne croient pas que les hommes aient des droits naturels, et cela s'applique à chacun : aucun individu ne peut se réclamer d'un droit pour agir ni pour interdire à un autre d'agir. Il n'y a pas de volonté générale, pas de norme sociale à laquelle on doive se soumettre. Nous sommes égaux, non identiques. La compétition et l'entraide, l'agressivité et la tendresse, l'intolérance et la tolérance, la violence et la douceur, l'autorité et la révolte sont toutes des formes naturelles de comportement social, mais certaines favorisent et d'autres entravent l'épanouissement de la vie individuelle. Les anarchistes croient que le meilleur moyen de garantir cet épanouissement est d'accorder une liberté égale à chaque membre de la société. " 141(*)

C'est cette recherche constante, de la part des anarchistes, d'un modèle social prenant en compte le rôle central de l'agent géographique qui nous autorise à conceptualiser cette théorie sociale sous le nom d'optimum individuel. Pour détenir une part de validité, ce concept se doit d'être opérationnel en termes de stratégie sociale. L'existence d'une sphère d'autonomie doit alimenter cette opérationnalité. Si la philosophie morale a pour hypothèse fondamentale que les hommes sont responsables de leurs actions, et si comme Kant l'a fait remarquer142(*), il découle nécessairement de cette hypothèse que les hommes sont libres du point de vue métaphysique, c'est-à-dire que, dans un certain sens, ils sont capables de décider de leurs actes, il est nécessaire de trouver l'outil adéquat de cette formation à la sphère d'autonomie. Ceci sera plus amplement développé dans la partie consacrée aux " espaces émancipatoires ".

* 131 Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 41.

* 132 Kropotkine Pierre. L'éthique. Paris : Stock, 1927, chapitre XIII, pp. 375-388.

* 133 Godwin William. Essays never before published. Londres : H.S. King et Co, 1873.

* 134 Rousseau Jean-Jacques. Du contrat social ou principes du droit politique. Paris, 1762, chapitre 1° (ouvrage consulté sur le réseau Internet à l'adresse suivante : www.gallica.bnf.fr ).

* 135 Bakounine Michel. Dieu et l'État. Paris : Mille et une nuits, 1997, 94 p. ; Leval Gaston. L'État dans l'histoire. Paris : éditions du Monde Libertaire, 1979, 297 p. ; Clastres Pierre. La société contre l'État. Paris : Les éditions de Minuit, 1982, 187 p. ; Kropotkine Pierre. L'entraide. Paris : Editions de l'entraide, 1979, 356 p.

* 136 Au vu des divers débats et manifestations suscités par la " mondialisation ", par exemple.

* 137 Extrait d'une brochure militante actuelle : L'anarchisme aujourd'hui. Un projet pour la Révolution sociale. Paris : Monde Libertaire, 1999, 48 p.

* 138 Bakounine Michel. OEuvres complètes. Paris : Champ Libre, 1982, vol. 8, pp. 171-173.

* 139 Colombo Eduardo, médecin, psychanalyste et professeur de psychologie aux Universités de Buenos Aires et de La Plata. L'État comme paradigme du pouvoir. In L'État et l'anarchie. Lyon : ACL, 1985, pp. 17-41.

* 140 Mill John Stuart, La liberté. Paris, 1877, p.123.

* 141 Walter Nicolas, Pour l'anarchisme. In Volonté Anarchiste n° 37, 1991, p.22. Cette introduction à l'anarchisme connut un grand succès dès sa parution en anglais en 1969 et fut traduite non seulement en français, mais aussi dans une bonne vingtaine de langues. Nicolas W. vient de disparaître, dans les premiers jours de mars de cette année. Il était né en 1934, dans une famille traditionnellement de gauche (libre-penseur). Il participa dès le début des années 60 à la presse anarchiste, il fit partie des rédacteurs de Solidarity, publié par un groupe d'amis de Castoriadis qui s'orientaient de plus en plus vers l'anarchisme ; de Resistance ; du New Humanist et bien sûr de Freedom, entre autres. Il a traduit et édité des ouvrages d' Archinov, Bakounine, Alexandre Berkman, Diderot, Sébastian Faure, Emma Goldman, Kropotkine, de La Boétie... Notice succincte réalisée grâce aux informations fournies par le Monde Libertaire (hebdomadaire de la Fédération Anarchiste) n°1201, du 13 au 19 avril 2000.

* 142 Kant Emmanuel. Du rapport entre la théorie et la pratique dans le droit politique. Paris : Flammarion, 1994, p.63 et s.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe