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Agents géographiques et société libertaire

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par Gérard Gonet-Boisson
Université de Pau et des Pays de l'Adour - DEA de Géographie 2000
  

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1.3.3 La décision souveraine de l'individu.

L'unité de base de l'humanité est l'homme, l'être humain individuel. Presque tous les individus vivent en société, mais la société n'est rien de plus qu'une somme d'individus, et son seul but est de leur permettre une vie épanouie. Voilà en une phrase le volet éthique de la grille d'interprétation de la société et de l'histoire des anarchistes et que défend Reclus lorsqu'il expose le rôle primordial de l'individu dans l'étude de sa géographie sociale. Cet homme ne peut être considéré comme une abstraction impersonnelle identique dans le temps et l'espace terrestre. Son argumentation est, en quelque sorte sur le terrain philosophique, le rejet pur et simple du raisonnement de Rousseau qui veut que les libertés individuelles soient représentées et respectées par et à travers une volonté générale125(*). Pour Reclus, l'être humain est avant tout un être de raison et dans le même temps, un être social, et sur ce constat élémentaire, il ne peut, selon lui, que constituer le noyau central de toute société humaine. En cela, il peut être comparé à Godwin qui en 1793 affirme :

" L'idée de "volonté générale" de Rousseau est une absurdité, qui justifie toutes les tyrannies. Il n'y a que des volontés individuelles qui, sur tel ou tel point peuvent et doivent s'entendre (...) Seuls ont une réalité concrète les individus, dans leurs passions, dans leurs besoins, dans leur raison. C'est pourquoi le meilleur système serait celui qui confierait le plus de pouvoir au noyau le plus étroit, le plus proche de l'individu." 126(*)

Élisée Reclus, exprime lui-même cette pensée sous cette forme :

" Notre idéal comporte donc pour tout homme la pleine et absolue liberté d'exprimer sa pensée en toutes choses, science, politique, morale, sans autre réserve que celle de son respect pour autrui ; il comporte également pour chacun le droit d'agir à son gré, de " faire ce qu'il veut ", tout en associant naturellement sa volonté à celles des autres hommes dans toutes les oeuvres collectives : sa liberté propre ne se trouve point limitée par cette union, mais elle grandit au contraire, grâce à la force de la volonté commune." 127(*)

La réalisation sociale humaine est perçue comme un facteur constitutif du progrès social. Á la conception de l'individualité et donc de la liberté humaine, il soutend l'existence de rapport de solidarité et de sentiment d'appartenance à une même communauté humaine. L'épanouissement individuel que la société doit à l'être humain doit être un processus social dans lequel :

" (...) le progrès de l'individu se confond avec celui de la société, unie par une force de solidarité de plus en plus intime." 128(*)

Cette conception éthique de la place de l'individuel dans le schème général d'explication de l'organisation spatiale des sociétés humaines aboutit, sur le terrain politique, à un rejet de la division entre les sphères publiques et privées comme deux domaines autonomes129(*). Le point central de l'organisation sociale ne doit plus être une entité abstraite, mais l'individu concret avec ses besoins, ses désirs, ses devoirs. Cette reconnaissance du poids de l'individu, doit permettre la construction et l'établissement d'un système politique "fédéraliste", seul aux yeux de Reclus, capable de respecter et de valoriser la finalité de l'homme à l'épanouissement personnel et collectif.

Nous pourrions, sans aucun doute, développer les différentes facettes du concept de la " décision souveraine de l'individu " en opérant une lecture plus approfondie de l'oeuvre gigantesque d' Élisée Reclus. Mais, au delà du temps nécessaire à une telle tâche, le thème central de ce travail de recherche, consiste plus à aborder de façon globale les multiples visages de la pensée géographique libertaire qu'à une étude fouillée de chaque concept utilisé, même si nous convenons que ce travail devra être entrepris quelque jour. Cependant, au contraire des deux lois précédentes, l'annonce de ce troisième état de fait, semble novateur de la part de Reclus. En effet, une des interrogations initiales du présent mémoire - à savoir si le poids des agents géographiques participe à la construction des processus sociaux dans la pensée géographique libertaire est reconnu - trouve ici quelques éléments de réponse intéressants. Des auteurs contemporains d'Élisée Reclus, qu'ils soient géographes ou bien représentants d'autres branches scientifiques, bien peu, semblent avoir accordé dans leurs ouvrages respectifs une telle reconnaissance au rôle des agents géographiques dans les divers processus de construction sociale.

L'apport scientifique de Reclus à la science géographique ne se limite pas à la seule valorisation de ce concept de la décision souveraine de l'individu, il est complété, nous semble-t-il, par une méthodologie renouvelée, qui valorise la coexistence entre ces trois lois. A la " dialectique sérielle " de Proudhon et à la " dialectique matérialiste " de Marx, qui chacune aspire à construire une certaine foi dans la capacité à maîtriser et à conformer le monde à nos désirs, au sens de la réalité physique pour les uns - les scientifiques -, de la réalité sociale pour les autres - les révolutionnaires, Reclus propose une synthèse où il est fait cas des limites de nos pouvoirs. Le progrès et à plus forte raison le " régrès " pouvant amener à ce que nos techniques engendrent des effets imprévisibles et indésirables, que la complexité du vivant, et plus généralement de la biosphère créent des catastrophes écologiques, et surtout, de l'instable " balancement autour de son axe d'équilibre " des événements sociaux et des situations historiques :

" Conséquence nécessaire du dédoublement des corps sociaux (...), l'équilibre rompu d'individu à individu, de classe à classe, se balance constamment autour de son axe de repos : le viol de la justice crie toujours vengeance (...). Ceux qui commandent cherchent à rester les maîtres tandis que les asservis font effort pour reconquérir leur liberté, puis entraînés par l'énergie de leur élan tentent de reconstituer le pouvoir à leur profit (...). Ou bien les opprimés se soumettent, ayant épuisé leur force de résistance : ils meurent lentement et s'éteignent, n'ayant plus l'initiative qui fait la vie ; ou bien c'est la revendication des hommes libres qui l'emportent et, dans le chaos des événements, on peut discerner de véritables révolutions (...) dues à la compréhension plus nette des conditions du milieu et à l'énergie des initiatives individuelles." 130(*)

* 125 La partie 2 du présent mémoire va développer cet aspect.

* 126 Godwin William. Et l'euthanasie du gouvernement. Lyon : ACL, 1993, p. 26.

* 127 Reclus Élisée. L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Paris : Stock, 1979, p. 103.

* 128 Reclus Élisée. L'homme et la terre. Bruxelles : Librairie Universelle, 1905, volume 6, p. 506.

* 129 La partie 2 du présent mémoire va développer cette distinction avec la définition des concepts d'optima individuel et collectif.

* 130 Reclus Élisée. Nouvelle Géographie Universelle. Paris : Hachette, 1868, volume 1, p. III.

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