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Tap-tap bwafouye face a l'urbanisation de port-au-prince

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par Theuriet DIRENY
Université d'état d'Haiti - Licence Anthropo-Sociologie 2000
  

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4.1.- La ville son histoire et ses fonctions...........................................................43

4.1.1.- Généralités....................................................................43

4.2.- Historique de la ville de Port-au-Prince.........................47

4.2.1.-Fondation et contexte....................................................47

4.2.2.-Vers la suprématie...................................................... 48

4.2.3.-Migration, Structure, Densité et Topographie

sociale........................................................................49

4.3.- Urbanisation de Port-au-Prince.....................................54

Chapitre V.- Urbanisation et transport en commun (Le cas de Port-au-Prince)......................................59

5.1.- L'activité tap-tap dans le système de fonctionnement

de Port-au-Prince .......................... ..................................67

5.1.1- Tap-tap: Types et Description....................................... 67

A.- Taxi............................................................................. 67

B.- Yole..............................................................................68 C.- Rachepwèl...................................................................68

D.- Batiman ( Kazèn, Manman zanfan yo, Gwo

bisjòn )........................................................................69

E.- Kokorat........................................................................70

5.1.2.- Port-au-Prince et ses Tap-tap.........................................72

Quatrième partie: Cadre d'analyse ..................................82

Chapitre VI.- Mise en relief du Bwafouye................ 82 6.1.- Le minibus bwafouye (carrosserie locale).................... ..82

6.1.1.-Les structures............................................................... 82

6.1.2.- L'aspect extérieur....................................................... 84

6.1.3.- L'aspect intérieur........................................................ 84

6.2.- Les catégories socioprofessionnelles directes

et indirectes du bwafouye..............................................86

Chapitre VII.- L'imminente disparition du minibus

bwafouye.........................................................88

7.1.- A la recherche des causes..............................................90

7.2.- L'équation: chauffeurs-chauffeurs de tap-tap

et moyens de transport collectif.................................90

7.3.- L'avenir du bwafouye selon les chauffeurs....................95

7.4.- Divergences de vue (tendances du

dépouillement)............................................................ 97

7.5.- Analyse et Perspectives................................................105

Conclusion................................................................................115

Bibliographie............................................................................119

Annexes:

I.- Questionnaire................................................ 123

II.- Références des dispositions légales............... 124

III.- Images de certains types de tap-tap.............. 127

Avant-propos

Le terme tap-tap, vu son caractère empirique, parce que venant de la culture populaire, n'a pas trop retenu l'attention des intellectuels de chez-nous. Ils sont rares ceux-là qui, pour évoquer la problématique du transport collectif en Haïti ou à Port-au-Prince, font du terme l'élément clé du titrage de leur article. De plus, aucun ouvrage scientifique émanant d'auteur haïtien n'a jamais été consacré au transport collectif, c'est ce que nous a révélé nos dix années de recherche documentaire dans le domaine.

Les difficultés éprouvées durant cette période (1989-1999) sont de tous ordres: les fichiers des bibliothèques les plus réputées de Port-au-Prince n'ont presque ni titre ni auteur spécifique sur le transport en Haïti. L'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique jusqu'au moment où nous sommes en train de finaliser la rédaction du mémoire ne dispose pas de données chiffrées sur le transport qu'il s'agit du collectif, du privé, du piéton voire des marchandises. Le service de la circulation des véhicules, l'Office Assurance des Véhicules Contre Tiers et le Ministère des Travaux publics transport et communications (des Institutions qui devraient être les plus concernées) en font peu de cas au point qu'elles n'arrivent pas à s'entendre même sur le parc automobile d'Haïti.

En amont comme en aval, la question du transport collectif urbain en Haïti, régional ou interrégional; routier, maritime et aérien reste inexploitée. Pas de compétence, pas d'institution à pouvoir s'intéresser à une étude approfondie de la question. Tout ceci a entravé notre travail de jeune étudiant chercheur inexpérimenté qui confondait le réel à la réalité. Nous avons effectivement crû le simple fait d'avoir observé que le "minibus yole" n'était plus le seul à concurrencer le "minibus bwafouye» dans le transport collectif que cela eut été à la base d'une production documentaire, littéraire et scientifique qui allait nous servir de cadre théorique et conceptuel.

Pourtant, l'originalité de la question semble servir d'alibi pour nous renvoyer. Beaucoup de données nous ont été refusées ou du moins n'ont pas été disponibles.

N'était-ce ces difficultés nous pensons qu'avec l'aide de nos conseillers, particulièrement de notre directeur de mémoire, nous aurons mieux fait.

Notre travail n'est qu'un pas de l'ensemble que la société haïtienne doit faire en direction de ce véritable problème qu'elle doit chercher à comprendre afin d'en trouver la solution efficace et appropriée.

Dans ce sens, la société (l'Etat) via l'université doit aussi investir dans des travaux de recherche sur le transport afin qu'elle soit en mesure de procurer à sa population de meilleurs moyens de se déplacer, ce qui impliquera une fusion de compétences (Ethnologue, Sociologue, Géographe, Urbaniste, Juriste, Economiste ....) et d'institutions tant publiques que privées. Ainsi pourra-t-on mettre un frein à l'improvisation et accéder à la planification du social et de l'économique.

Cela pourrait contribuer à ralentir la migration, modifier les mentalités et à apporter des innovations dans le mode de fonctionnement du système de transport collectif. Alors, la capitale d'Haïti ne sera plus le théâtre des tap-tap inadaptés et inappropriés face à l'urbanisation de Port-au-Prince.

INTRODUCTION.-

Port-au-Prince, la capitale de la République d'Haïti, entre le XXème siècle finissant et le XXIème naissant, vit dans un encombrement quasi total qui entrave son développement et la mobilité de ses habitants qui sont obligés quotidiennement de laisser leur domicile à destination du centre-ville et des différents centres d'affaires pour mener leurs activités respectives.

Aussi, sollicitent-ils quotidiennement le service des moyens de transport collectif - qui dans le culturel haïtien sont synonymes de tap-tap (lequel traduit: l'immédiateté, la fulgurance) - pour arriver à destination.

La croissance démographique de la capitale (soit 4.16%, selon l'ALMANACH Statistique 2000 de l'IHSI), responsable en partie de son encombrement, s'accompagne d'une croissance urbaine laquelle transforme ses périphéries en de véritables bidonvilles au point que le sociologue C. Souffrant, dans son ouvrage: Sociologie Prospective, la qualifie comme étant la ville où l'urbanisation passe par les bidonvilles.

Des bidonvilles où vivent des femmes et des hommes, pour la plupart famélique, sans profession, analphabète, s'adonnant aux « petits commerces», à l'artisanat, au «travail de factorie» à des services domestiques, à l'activité de chauffeurs de tap-tap... L'important est de gagner le pain. Car en bon créole « sak vid pa kanpe». C'est-à-dire, pour survivre, ces gens, qui en majorité viennent du monde rural, n'entendent plus revenir d'où ils sont partis avec les mains vides et le ventre creux.

Il faut de toute façon tirer leur part du gâteau. Un espoir de bien être que Port-au-Prince n'a jamais cessé d'alimenter. Et c'est cela qui explique qu'elle est à l'heure actuelle, en Haïti, l'espace urbain ayant la population la plus dense 1765 066 habitants (Selon l'IHSI).

Une densité qui fait peur quand on observe le parfait déséquilibre qui existe entre la qualité du service fourni par les transporteurs de tap-tap (chauffeurs et/ou propriétaires) et le besoin de mobilité des usagers de tap-tap. En effet, les usagers de transport collectif urbain de l'aire métropolitaine voyagent dans l'incommodité la plus totale. Ils sont quatre à s'asseoir sur un siège fait pour deux avec les jambes recroquevillées. Et quand ils n'ont pas cette «chance» ils se sont lamentés, soit pendant près d'une heure à rester debout tout le long du trajet avec bien sûr, certaines fois, la colonne vertébrale repliée; soit à attendre pendant plusieurs heures le passage d'un autre moyen de transport collectif au sein duquel éventuellement il prendra place. Cependant, selon le type de moyen de transport collectif et selon l'urgence du passager, prendre place ne signifie pas toujours être assis ou l'éventualité de s'asseoir. Si le «minibus bwafouye», le yole, la camionnette et le kazèn offrent les deux possibilités (assis et debout), le «rachepwèl» et le «kokorat» n'offrent que la possibilité de se tenir debout. Tout le temps que dure le trajet, dans l'enceinte de ces derniers, les usagers sont non seulement debout mais sont serrés l'un contre l'autre.

D'aucuns imputent la façon dont sont transportés les usagers à leur résignation, d'autres avancent que le problème résulte d'une non planification de l'urbanisation.

Qu'on le veuille ou non, l'évidence laisse apparaître une flagrante désarticulation entre des structures, due à la faiblesse de certaines décisions historico-politiques prises par des acteurs concernés. L'aire métropolitaine de Port-au-Prince absorbe selon des données tirées de l'Institut Haïtien des Statistiques plus de 95% de la population du département de l'Ouest le département le plus peuplé des neuf (9) départements géographiques du pays. Des projections effectuées à partir des photographies aériennes réalisées en 1978 et analysées en 1982 - par la Direction de l'Aménagement du Territoire et la Protection de l'Environnement et par le Bureau pour le Développement et la Protection Agricole (DATPE/BDPA) et en 1985 par l'Agence International de Développement des Etats-Unis d'Amérique (USAID) - ont permis d'avancer des estimations statistiques qui laisseraient croire que la population urbaine d'Haïti est de 30%, et Port-au-Prince à elle seule absorberait 21%.

Aujourd'hui, avoisinant l'effectif de 2 000 000 habitants, la structure de cette ville fléchit encore d'avantage sous le poids du chômage, de la délinquance, de l'insalubrité, de l'insécurité et de la pollution de ses nappes phréatiques. Selon le document « Haïti indicateurs environnementaux de base» paru en juin 1993 duquel nous avons tiré le taux de la population urbaine d'Haïti, 82% des sources alimentant Port-au-Prince présentent une pollution fécale prononcée.

Une situation hors d'aplomb qui fut longtemps déjà prévisible mais dont on n'avait rien fait pour contrebalancer les effets néfastes qui en découleraient. En 1987, le géographe H. Godart, dans un article paru dans la revue, Conjonction, intitulée Port-au-Prince: Macrocéphalie urbaine et organisation spatiale interne, écrit: « De 1950 à aujourd'hui, rien n'a été fait pour que cette ville millionnaire puisse croître de façon harmonieuse; les infrastructures ne peuvent répondre qu'aux besoins d'une population de 100.000 habitants."

 

Pourtant, d'année en année, - malgré des efforts déployés dans les domaines bancaire, éducatif, sanitaire dans des villes de province et malgré la décentralisation prônée par la Constitution de 1987 - l'hyper centralité de Port-au-Prince semble se confirmer encore plus, car, des migrants en nombre imposant continuent à envahir l'aire métropolitaine. Donc cette structure, de par les surcharges qui dépassent de loin sa capacité d'absorption, est prête à craquer.

  La crise du logement, caractérisée par une surenchère des prix et la prolifération d'habitat précaire et de bidonvilles, ajoutée aux types de tap-tap et à la situation actuelle de leur mode de fonctionnement dans l'aire métropolitaine ne sont-ils pas deux des indices manifestes de ce spectre?

 

Partout sur le réseau routier du transport à Port-au-Prince une foule immense de personnes, aux heures de pointe, espèrent anxieusement prendre place à bord d'un tap-tap. Ils se bousculent, s'injurient tout en bondissant vers le lieu donnant accès à l'enceinte du tap-tap. Et le chauffeur ne perd pas son temps à observer leur calamité; il ne s'en soucie guère. Seulement, il veut s'assurer que son tap-tap soit bel et bien rempli ou surchargé d'usagers qu'il espère débarquer au plus vite, afin qu'il ait le temps de réaliser un autre voyage. Voilà pourquoi souvent il écourte le circuit légalement proposé. Et, si son calcul lui permet de percevoir qu'avec l'embouteillage il ne fera pas le voyage dans le temps escompté, il triple ou quadruple le tarif légal que l'usager devait lui payer au trajet. Un laisser aller dont les usagers font les frais, en dépit du fait que le service est de très mauvaise qualité.

 

Ce contexte d'évolution fait intervenir sur le réseau routier des types de véhicules non conçus pour le transport collectif mais qui, d'une part pour satisfaire le besoin de mobilité, sont tolérés par les usagers et semblent s'intégrer de jour en jour dans leurs habitudes et, d'autre part, permettent aux chauffeurs de transiter de leur statut de chômeur à celui de chômeur déguisé.

Ce contexte d'évolution a aussi permis l'intensification de la concurrence qui met le «tap-tap bwafouye» dans une position assimilable à une sorte de capitulation. Le yole, le rachepwèl, le kazèn et le kokorat sont les tap-tap concurrents du "bwafouye" qui doivent tous leur nom à la culture populaire. Si le yole est le type de tap-tap le plus ancien à concurrencer le bwafouye, la concurrence des autres ne date que de 8 à 12 ans. A cela, il faut ajouter des TSNP (tap-tap sans aucun nom populaire). Exception doit être faite du "Service Plus" et du "Yole bon bagay" qui sont très récents dans le système de transport collectif de l'aire métropolitaine. Ces derniers de par leur nouveauté ne feront pas objets d'analyse dans le cadre de notre étude.

Cependant, il est important de comprendre que dans une démarche sociologique, on ne peut se permettre de ne pas situer le fait à étudier par rapport à d'autres faits qui contribuent, au même degré à la structure d'un système social donné.

La lente disparition du « Minibus bwafouye», moyen de transport collectif, dans la circulation automobile est un fait qui a frappé notre attention, du fait que tout jeune écolier, habitant les environs de Carrefour à Port-au-Prince on devait chaque jour utiliser son service pour se rendre à l'école. Pourtant quelques années plus tard on a dû constater, que en plus du «minibus yole» et de la camionnette qui existaient longtemps déjà, l'arrivée sur le réseau routier de Port-au-Prince, d'autres types de moyens de transport collectif et de deux nouveaux phénomènes: beaucoup plus d'usagers à l'attente et le non respect par les chauffeurs de la capacité d'accueil des véhicules destinés au transport collectif.

A quoi est due cette réalité: archaïsme du bwafouye, concurrence inappropriée entre moyens de transport collectif ou urbanisation non planifiée de Port-au-Prince? Telle est la question à laquelle notre étude s'évertuera à répondre.

Toutefois, il faut signaler que contrairement aux autres types de moyens de transport collectif, la carrosserie du bwafouye est de fabrication locale. En conséquence, elle fait appel à un nombre incroyable de gens qui pratiquent de petits métiers ou à des professionnels abandonnés à eux mêmes qui n'ont d'autres alternatives que celle de continuer à vivre au jour le jour dans Port-au-Prince, cette ville qui assiste à une augmentation vertigineuse de sa population et qui, en apparence, comparée aux villes de provinces, offre de meilleures possibilités de gagner la vie. Le «minibus bwafouye» permet ainsi, à un large éventail de personnes de survivre économiquement. Il concilie le culturel et l'économique. Il encourage l'artisanat et participe à satisfaire le besoin intense de mobilité de la population Port-au-Princienne.

Alors, il devient pour nous indispensable de chercher à faire comprendre le devenir du bwafouye eu égard à la concurrence des autres types de tap-tap, dans le processus d'urbanisation de la ville de Port-au-Prince dont la croissance urbaine ne fait que «consommer» au jour le jour encore beaucoup plus de périphéries.

En vertu des objectifs fixés et hypothèses élaborées nous comptons faire une approche qui englobe les différentes dimensions de la problématique du bwafouye dans le transport collectif à Port-au-Prince.

Pour rendre explicite notre recherche et mettre de la cohérence dans notre démarche nous avons divisé notre travail en quatre parties (4) et sept (7) chapitres:

La première partie comprend un chapitre et traite de la méthodologie c'est-à-dire les procédés que nous avons utilisés pour élucider notre objet d'étude tout en dépouillant notre point de vue de départ de ses subjectivités;

La deuxième partie subdivisée en deux (2) chapitres est théorique et conceptuelle en ce sens elle permet d'étaler tout un ensemble d'idées émises par des compétences dans le domaine du transport, dans celui de l'urbanisation et aussi dans la question de la ville. Ces idées en raison de l'autorité intellectuelle et scientifique de leur auteur constituent le moule dont nous nous sommes servis pour donner la forme nécessaire à notre point de vue dans le cadre de notre approche anthropo-sociologique. Dans ce contexte nous passons en revue certaines théories qui traitent de la question du transport collectif urbain dans ses rapports avec la ville et nous présentons les théories qui nous paraissent les plus aptes à expliquer le problème du transport collectif dans le cas de Port-au-Prince. De plus, nous définissons des concepts relatifs à notre recherche dans le but de dissiper toute confusion sémantique.

La troisième partie est consacrée à l'épistémologie et permet de traiter l'évolution de la question du transport collectif urbain dans ses rapports avec l'histoire de la ville. Elle est aussi consacrée à l'ethnographie des différents types de tap-tap de l'aire métropolitaine. Cette troisième partie de notre travail comporte deux (2) chapitres.

La quatrième et dernière partie divisée en deux (2) chapitres est, à proprement parler, le cadre d'analyse de notre travail. Dans cette partie, les procédés et techniques pour la réalisation de notre enquête sont évoqués. Nous en avons profité pour décrire, au prime abord, systématiquement, le tap-tap bwafouye notre principal objet d'enquête qui nous a servi d'outil de cueillette de données brutes dont leur décomposition en leurs éléments les plus constitutifs nous a permis de saisir et d'expliquer toute la portée du problème étudié.

PREMIERE PARTIE : CADRE MÉTHODOLOGIQUE

CHAPITRE I.- COMPRENDRE LA PROBLEMATIQUE DU TAP-TAP

1.1.- IMPORTANCE ET SITUATION DE L'ETUDE.

Notre sujet de recherche: « Le tap-tap bwafouye face à l'urbanisation de Port-au-Prince » est conçu pour évoquer la question du transport collectif urbain dans la ville de Port-au-Prince, capitale de la République d'Haïti, qui fait face depuis des décennies, à des problèmes d'ordre sociodémographique. L'aire métropolitaine de cette ville « absorbait déjà en1990 plus de 75% de la population des principales villes du pays »1(*). En 1997 l'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI) a estimé la population de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince à 1 556 588 habitants soit 95.02% de la population urbaine du département de l'Ouest2(*) dans lequel elle est située. Ce qui laisse présager le scandale que représente la demande de mobilité quotidienne dans cette ville qui, en 1987 déjà, connut un déplacement quotidien de 1 070 0003(*) alors qu'elle franchissait la barre de 1000000 habitants. Une population qui depuis n=a cessé d'augmenter et qui augmentera encore puisque Port-au-Prince reste la seule ville d'Haïti dotée de certaines infrastructures proches de la modernité. Elle incarne en ce sens, le mieux être, le rêve d'un lendemain meilleur, l'espace de transition de mobilité sociale. N'ayant pas les infrastructures adéquates pour accueillir les migrants venus et du monde rural et des villes de provinces, Port-au-Prince devient le théâtre quotidien de l'insalubrité, de l'improvisation et de l'incommodité.

C'est dans cet atmosphère qu'évolue le transport collectif dont les véhicules y afférents (yole, kazèn, bwafouye, kokorat, rachepwèl...) transportent un nombre d'usagers nettement au-dessus de leur capacité d'accueil. Qui pis est, la plupart de ces véhicules à l'instar du kokorat et du rachepwèl, ne sont pas conçus à de telle fin. Cependant, ils concurrencent fortement le minibus bwafouye qui lui-même a une touche locale et garantit en ce sens, un minimum d'emploi à plus d'un. Quoi que conçu pour le transport collectif d'usager, aux heures de pointe, le « minibus bwafouye » est aussi inconfortable que les autres. Ainsi avons nous pensé qu'avec le processus d'urbanisation de Port-au Prince le « bwafouye » cédera à la concurrence des autres types de transport collectif de l'aire métropolitaine.

Nous présumons que notre sujet sera d'un apport capital pour la littérature du transport collectif urbain haïtien qui souffre de l'inattention des dirigeants concernés de chez nous. Les quelques rares documents haïtiens y relatifs produits par de rares intellectuels haïtiens sont aussi traversés par cette inattention.

Jeter des bases pour une planification de la mobilité quotidienne dans l'aire métropolitaine eu égard à la montée vertigineuse de sa population telle est, en résumé, la finalité vers laquelle tend notre démarche.

Par conséquent, cette démarche, tout en s'inspirant de l'ensemble des problèmes dont les grandes lignes viennent d'être évoquées et qui seront approfondies à notre problématique, aura à montrer clairement, à partir des objectifs du travail par où devrions-nous passer pour atteindre notre finalité. C'est dans cette logique que nous avons formulé les objectifs suivants:

1.2.- OBJECTIF GÉNÉRAL:

Mesurer l'impact de l'urbanisation de Port-au-Prince sur le devenir du « tap-tap bwafouye ».

1.3.- OBJECTIFS SPÉCIFIQUES:

A) Faire ressortir l'interaction existant entre la ville, l'urbanisation et le transport collectif;

B) Chercher à faire comprendre le lien entre la ville de Port-au-Prince, son urbanisation et ses tap-tap;

C) Tenter de déceler la véritable cause du ralentissement du « tap-tap bwafouye » observé dans la circulation automobile à Port-auPrince,particulièrement,sur« l'autoroute » de Carrefour.

1.4.- PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESE

La problématique n'est autre que la démarche adoptée pour résoudre le problème. Cette démarche selon A. Gélédan, « passe généralement par l'adoption d'une grille d'analyse particulière qui va fournir les outils nécessaires à l'obtention de la réponse »4(*). Plus explicite encore et pour répéter M. Beaud disons que « la problématique c'est l'ensemble construit autour d'une question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d'analyse qui permettront de traiter le sujet choisi. »4(*)

Le problème du transport collectif, par analogie avec la fonction des différents types de tap-tap, est lourd de conséquence pour la ville de Port-au-Prince. Les usagers, sur la quasi totalité du réseau routier composé de 600 kilomètres de voies dont seulement 240 sont revêtus soit en béton bitumeux soit en béton hydraulique soit en adoquin5(*)..., restent pendant des heures bloqués soit à attendre le passage d'un moyen de transport collectif pouvant les amener à destination, soit à l'intérieur d'un moyen de transport dans un long embouteillage. Cet embouteillage imputable à la carence infrastructurelle de Port-au-Prince est le résultat d'une non-planification laquelle selon le sociologue C. Souffrant traduit l'incohérence entre la conduite d'une institution et le mouvement démographique, économique, technologique... Port-au-Prince en conséquence semble évoluer en marge des normes d'urbanisme et de circulation. Son parc automobile qui représente 81% de celui de toute la République est inadéquat au besoin de déplacement ou de mobilité quotidienne. Il suffit de parcourir le réseau routier aux heures de pointe pour constater l'inefficacité du système de transport. En effet, les moyens de transport collectif sont inappropriés, improvisés et insuffisants. Ils transportent à longueur de journée, un nombre excessif d'usagers qui voyagent régulièrement dans la plus grande incommodité sans pourtant atteindre leur destination dans le temps escompté.

De ce fait le déséquilibre entre la demande de mobilité et les moyens de transport collectif est pertinent. Tout le monde constate la paralysie manifeste des déplacements liés à la division des tâches: déplacements quotidiens des citadins vers les lieux de travail, vers les établissements scolaires, vers les centres d'achat. Ce fractionnement de la vie sociale impose de participer à des transferts quotidiens sous forme de navettes. Des obligations que le port-au-princien accomplit dans la plus grande difficulté quand on sait qu'avec l'insécurité et le «black-out» le fonctionnement de la vie sociale est réduit au grand maximum à 12 heures d'activités. De cette difficile situation dépend aussi la fin du phénomène "bèkfè" (chauffeur de tap-tap travaillant environ 20 heures par jour).

En conséquence à Port-au-Prince la vie se bouscule. Des migrants venus tant du monde rural que des villes de province s'entassent dans des bidonvilles, se déplacent vers les usines de sous-traitance, gagnent les rues à la recherche du pain quotidien, convertissent les voies de circulation d'automobile en de véritables marchés, érigent des tentes partout sur les trottoirs, augmentent considérablement et simultanément la population et l'effectif des chômeurs. Tous croient dans un bien être que seule Port-au-Prince, avec son apparence de modernité, peut leur procurer.

Ainsi se profile l'urbanisation de Port-au-Prince qui se réalise dans un total déséquilibre à cause premièrement d'une non-planification et ensuite de la concentration des différents biens et services dans cette ville. Cela témoigne d'abord de l'absence de tout projet, ensuite d'une certaine hyper centralité: deux causes majeures au sous-développement de cette ville; car selon Y. Bonello « La ville est faite de projets successifs qui se corrigent progressivement ». Il ne peut y avoir de visions arrêtées pour une ville. Il faut toujours impliquer l'inachevé, repenser un projet à partir de nouvelles donnes. En d'autres mots, la ville ne peut être conçue sans avoir une vision prospective c'est-à-dire sans penser le futur, sans prévoir ses délimitations tant au point de vue infrastructurel que superstructurel sinon elle tombe dans le piège de l'hypercentralisation. Cette dernière, toujours pour répéter Y.-H Bonello « conduit à la perte des grands équilibres que sont:

· d'une part, la qualité du vivre ensemble dans l'espace urbain,

· d'autre part, la dynamique du développement de la ville ».6(*)

L'évidente réalité à laquelle est soumise la population port-au-princienne nous pousse à réfléchir sur les éléments de solutions appropriées à la demande de mobilité quotidienne dans la ville de Port-au-Prince. A cet égard nous avons formulé trois (3) hypothèses:

1- Le « tap-tap bwafouye » moyen de transport collectif et générateur d'emplois - avec les problèmes de circulation, ses problèmes de confort et de capacité d'accueillir un grand nombre d'usagers - ne pourra pas résister longtemps encore, à la concurrence des autres types de moyen de transport et à l'assaut des contradictions de la ville de Port-au-Prince où l'urbanisation n'est pas planifiée.

2- Plus un tap-tap facilite le transport d'un nombre excessif de passagers au voyage plus il rapporte au chauffeur plus ce tap-tap lui paraît intéressant.

3- Plus un tap-tap surchargé permet à son chauffeur de faire du profit moins le chauffeur se soucie du confort des usagers.

1.5.- REVUE DE LITTERATURE

Nous avons, pendant près de dix ans, cherché une documentation appropriée à l'orientation de notre démarche. Dans le contexte haïtien, malheureusement, la question du transport collectif urbain est abordée superficiellement nous avons eu recours à la littérature étrangère qui dans le domaine possède une riche documentation. Aussi avons-nous passé en revue des textes à caractères théoriques traitant des aspects du transport collectif urbain liés à la ville et à l'urbanisation.

Cette investigation documentaire nous a permis:

· de faire une analyse épistémologique du transport collectif lié à la ville;

· d'avoir une vue d'ensemble sur la problématique du transport dans les villes.

MERLIN Pierre, dans son ouvrage « Les Transports Parisiens » a présenté les moyens de transport comme un corollaire du développement de la ville et un élément de cohérence entre les différents facteurs de ce développement dont l'essor industriel en est le principal. « En l'absence des moyens de transport, écrit-il, au lieu d'être une métropole Paris serait devenu une juxtaposition de quartiers sans lien ni hiérarchie »7(*).

REMY Jean et VOYE Lilianne, dans leur oeuvre commune « La Ville Ordre et Violence » dégagent l'importance des moyens de transport collectif dans l'urbanisation et leur rôle régulateur dans la production industrielle. Ils établissent le lien existant entre les travailleurs, l'usine et le transport collectif. Le développement des transports collectifs a rendu possible, selon eux, l'éloignement spatial entre la résidence des travailleurs et l'usine (espace de contrôle du travail pour un accroissement de la production horaire). L'usage des moyens de transport, en ce sens, a contribué à instaurer un calcul sur le temps et même à exalter le respect. Ainsi l'urbanisation interfère-t-elle avec l'industrialisation dans la mesure où elle a été rendue possible par le développement des moyens de se déplacer qui permettraient de vivre sa vie hors travail dans des endroits distant des lieux de travail8(*).

Dans l'oeuvre éditée chez ROBBERT LAFFONT en 1976 et intitulée: « Les Transports », l'auteur, à partir d'analyse, a fait comprendre que l'urbanisme et l'urbanisation sont des facteurs corrélés qui ne peuvent se passer des transports urbains. A son avis, « planifier l'urbanisation indépendamment des transports urbains peut conduire à un étranglement de la circulation »9(*).

Une publication des Nations Unies : « Urban transport development with particular reference to developing countries » laisse prévoir que le bon fonctionnement de la ville ne peut se réaliser sans les moyens de transport collectif. Selon cette publication les moyens de transport collectif sont comme une béquille pour la ville, un élément de jonction entre les activités sociales et économiques qui se déroulent dans la ville, une nécessité pour tous types de travailleurs, une complémentarité socio-économique et administrative, un paramètre de l'urbanisation. "Quand les services fournis par le transport public sont interrompus, les affaires et les services sont paralysés"10(*). Cette paralysie des activités ou de la vie urbaine plonge la ville dans un déséquilibre.

BONELLO Yves-Henri, dans son ouvrage « LA VILLE » montre qu'en dehors de l'habitat, l'emploi, le commerce et les activités culturelles; les transports sont aussi comptés parmi les facteurs d'équilibre de la ville. Ils assurent la mobilité qui est au centre de la question urbaine et au coeur du processus d'urbanisation. Une mobilité qui prend la double forme: « les déplacements dans la ville liés à la division des tâches et les migrations liées aux cycles de la vie et à la vie socioprofessionnelle »11(*).

1.6.- APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE ET TECHNIQUE D'ENQUETE

Notre approche se situe dans le champ de la sociologie urbaine. Dans ce contexte nous sommes partis de la méthode dite: « méthode de l'étude des traces »12(*) considérée comme une forme d'observation différée résidant dans l'analyse de documents appropriés et de statistiques officielles aptes à nous procurer des informations nécessaires pour une parfaite compréhension du transport collectif urbain dans la ville de Port-au-Prince.

L'observation, à n'en pas douter, dans le cadre de notre sujet et pour le bon déroulement de notre démarche nous a servi comme méthode d'orientation ou de construction des premières idées qui constituent la matière brute à partir de laquelle nous avons constitué le moule qui donne le profil convenable à notre étude et qui en quelque sorte fournit les premiers éléments d'enquête.

On comprend déjà que nous faisons appel à une troisième méthode il s'agit bien de l'enquête. Ici, la phase pratique ou expérimentale de notre observation est mise à l'épreuve. Cela nous a poussé à recourir à d'autres outils méthodologiques comme l'entretien et le questionnaire. Deux techniques qui, bien entendu, nous permettent, dans un premier temps, d'aller sur le terrain interviewer des carrossiers et interroger des chauffeurs dans le but de déceler leur attitude respective quant à la concurrence des différents types de tap-tap et leur opinion quant à la question du transport collectif à Port-au-Prince.

Nous nous sommes entretenus aussi avec des cadres de certaines institutions qui, à partir de leur perception et du vocabulaire dégagé de l'ensemble de nos entrevues antérieures avec des carrossiers et chauffeurs, nous ont permis d'élaborer un questionnaire à l'intention des chauffeurs. Ceci dit nos véritables enquêtés ne sont que les chauffeurs; ou en d'autres termes un échantillon de 48 chauffeurs de tap-tap.

Pour bâtir cet échantillon nous avons choisi la méthode des quotas. En raison des conditions du déroulement de l'enquête et estimant que les chauffeurs à interroger sont, pour la plupart, d'un bas niveau d'instruction nous avons utilisé le questionnaire « auto-administré »13(*). Dans une certaine mesure toutes les conditions requises à l'utilisation de ce type de questionnaire ne sont pas réunies. Cela nous oblige à procéder à un face à face pour la collecte des données qui se réalise par des enquêteurs présents sur le terrain et qui remplissent ce questionnaire selon le dire de chaque enquêté.

Signalons que l'absence quasi totale de travaux scientifiques dans le domaine du transport collectif urbain en Haïti, l'irrégularité et les contradictions des donnés chiffrées fournies par l'Office Assurance des Véhicules Contre Tiers (OAVCT) et le Service de la Circulation des Véhicules (SCV), le « peu d'intérêt » dont nourrit l'IHSI pour les données en matière de transport collectif urbain tant dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince que pour les autres villes d'Haïti nous empêchent de circonscrire formellement notre recherche dans un intervalle de temps donné.

DEUXIEME PARTIE: CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL

CHAPITRE II.- APPROCHE THEORIQUE

Port-au-Prince la capitale et la première ville de la République d'Haïti assiste, depuis des décennies, à l'augmentation effrénée de sa population. Une situation dont les villes du monde entier, développées et sous-développées, affrontent en dépit des problèmes qui en découlent. Si dans les villes des pays occidentaux cette augmentation fait l'objet d'une grande planification; dans les villes des pays du tiers-monde elle semble être livrée à elle même.

Aussi, assiste-on avec cette question d'augmentation de la population, à l'émergence de nouvelles zones résidentielles, et ceci d'année en année, dans la périphérie de Port-au-Prince. Son aire géographique, en conséquence s'agrandit avec pour corollaire l'allongement de la distance entre les zones résidentielles et le centre-ville considéré comme l'espace de concentration des différentes activités. Ce double phénomène: augmentation de la population et agrandissement de l'aire géographique de Port-au-Prince traduit en peu de mots l'urbanisation de la ville de Port-au-Prince. Une urbanisation qui, pour répéter le sociologue C. Souffrant, est en porte à faux. C'est-à-dire une urbanisation qui n'est reposée que sur l'insuffisance agraire du monde rural, l'instabilité socio-économique des villes de province d'un côté et, de l'autre côté, sollicitée par des causes qui engendrent la torsion de la vie sociale à Port-au-Prince. Cette expression est tout-à-fait significative quant à la non-planification ou l'informel dans laquelle évolue la ville de Port-au-Prince et son système de transport collectif.

Ville du tiers-monde, Port-au-Prince est incapable de satisfaire même les besoins primaires de sa population grandissante. Son réseau routier, le plus sollicité d'Haïti, compte tenu de l'importance des activités menées dans cet espace qui représente aussi bien la capitale politique du pays mais aussi la capitale économique et financière, accuse des carences marquées du point de vue de l'état des chaussées et du niveau de service. Les problèmes de circulation se posent de façon cruciale, car il n'existe pas d'itinéraire de contournement de la partie urbaine dense de la capitale. Cela se traduit par des embouteillages monstres dans les principales artères de la capitale même en dehors des heures de pointe. Cela est évident, car Port-au-Prince est devenu la ville où des bidonvilles pullulent et ne laissent pour tout espace de circulation que des rues de 3 à 4 mètres de larges. De véritables couloirs où des véhicules ne peuvent circuler que dans un sens mais, où souvent on voit le contraire.

Dans cette logique, quels sont les angles théoriques à partir desquels peut-on cerner la problématique du transport collectif dans la ville de Port-au-Prince?

S. Brouk, évoquant la question de l'urbanisation dans les villes du tiers-monde et suivant une approche ethno-démographique avance l'idée que Dans plusieurs pays en voie de développement, l'afflux de la population rurale vers les villes (particulièrement vers les grandes villes et, en premier lieu, vers les capitales) est supérieur à la demande en main d'oeuvre ce qui grossit l'armée des chômeurs complets et partiels.14(*)

Ce point de vue théorique rencontre en grande partie celui de J.M. Hoener qui dans une vision économique émit la théorie suivante: l'exode rural joue un rôle de tout premier ordre d'autant qu'il a contribué largement au peuplement des villes même si aujourd'hui, il ne participe plus que pour un tiers seulement à l'urbanisation du tiers monde.

(...) Souvent cette urbanisation se concentre essentiellement sur quelques villes, voire sur la capitale (...) qui compte plus de 50% de la population urbaine.

(...) La concentration de l'urbanisation et donc l'omniprésence de la ville primatiale, sont sans doute les causes majeures de l'absence d'un réseau urbain équilibré et d'une armature urbaine fonctionnelle. D'après la théorie de l'urbanisation définie par Zipf (1949), la deuxième ville est deux fois plus petite que la première, la troisième trois fois plus petite, etc. Or cette loi oublie l'importante exception de Jefferson, selon laquelle l'existence d'une très grande ville conduit à l'absence de villes de tailles intermédiaires à côté de la grande ville, et à la présence de villes de tailles beaucoup plus restreintes. La rareté des villes moyennes ou secondaires, qui répondent à une conception fonctionnelle et non pas quantitative est à la fois la conséquence d'une urbanisation en partie parasitaire et la cause du sous-développement économique.

Dans le domaine des transports, continue t-il à dire, le tiers-monde pauvre apparaît particulièrement mal loti en infrastructure (...) Quant aux routes et aux pistes, la situation est bien pire. Les ornières, les nids de poules... ou d'autruches, les longues déviations qui évitent les ponts effondrés ou les digues détruites, etc. mettent à rude épreuve les camions et les cars qui sont amortis beaucoup trop vite, d'où un surenchérissement des coûts de transport (...) De nombreuses études montrent en effet que le mauvais état des routes et des pistes en général est le prétexte à des prix de transport exorbitants, ce qui signifie une extorsion de la rente foncière quasi usuraire puisque l'essentiel des marchandises transportées reste agricole15(*).

F. Asher et J. Giard font une approche à la fois économique, urbanistique et politique de la problématique du transport collectif urbain liée à l'urbanisation. Leur approche complète les théories déjà évoquées qui s'intéressaient beaucoup plus aux aspects démographique et économique en négligeant, dans une certaine mesure, l'aspect spatial de l'urbanisation et la véritable implication des transports dans ce processus. Selon eux: « Le développement des transports est une exigence essentielle pour assurer et accélérer la circulation et la reproduction du capital.

Aborder le problème des transports urbains c'est évoquer une des manifestations les plus criantes de la crise de l'urbanisation qui, quand elle est accélérée, est grosse consommatrice d'espace.

En effet l'ensemble des problèmes urbains, les localisations de diverses activités et des logements impliquent des problèmes de déplacement. Plus s'accroissent les unités urbaines en dimension et en complexité, plus s'approfondit la ségrégation fonctionnelle de l'espace et plus les liaisons internes prennent de l'importance.

La crise des transports urbains est donc d'abord le produit de la crise urbaine dans son ensemble. Elle présente une acuité particulière dans la mesure où la majeure partie des déplacements dépend du choix de localisation privés alors que les transports exigent des procès très socialisés.

La solution à la crise généralisée des transports passe donc nécessairement par une politique d'urbanisme d'ensemble cohérent et par une importante politique de transport en commun ».16(*)

Cette interaction dégagée, à travers l'approche de F. Ascher et J. Giard, entre les politiques d'urbanisme et de transport, nous permet de comprendre que la ville pour se développer doit être l'objet d'une planification incluant le court, le moyen et le long terme à côté des paramètres infra structuraux et super structuraux. Il n'en reste pas moins vrai que si la révolution industrielle a imprimé sa marque à la ville, les moyens de transport ont, de leur côté, contribué grandement à dynamiser cette impression en la rendant plus manifeste. En conséquence la combinaison de ces deux phénomènes fait de la ville un espace de grande mobilité ou de déplacement massif de population. Une population qui, au fil des années, se renouvelle constamment. En d'autres termes, la dynamique de la ville ne peut se concevoir en dehors des moyens de transport collectif urbain qui, à l'instar de l'habitat, l'emploi, le commerce et les activités culturelles, en assurent aussi l'équilibre de la ville. Ainsi, penser l'urbanisation indépendamment des transports collectif c'est contribuer à la naissance de véritables monstres urbains où la concentration des activités peut transformer l'espace en question en un hyper centre d'activités. A ce niveau, nous nous référons à Y.H. Bonello qui, d'un point de vue théorique présente l'hyper centralité comme un mal entraînant la perte des grands équilibres de la ville. Selon sa théorie, le diagnostic de ce mal permet de dégager clairement les causes symptomatiques qui sont:

· « une gestion inadaptée à travers des institutions éloignées des réalités, ou trop sensibles aux pressions

· les mutations et les déséquilibres engendrent une crise du logement qui frappe les plus démunis

· le mal vivre des jeunes la destruction des milieux de vie urbains, du tissus social, des solidarités et des systèmes de régulation ».17(*)

A la lumière de ces théories comment comprendre la ville de Port-au-Prince (comparée à d'autres villes du monde), son urbanisation et ses moyens de transport collectif par analogie avec les différents types de tap-tap et particulièrement le « tap-tap bwafouye »? En termes de signification, que charrient les différents types de tap-tap et particulièrement le « tap-tap bwafouye » dans la ville de Port-au-Prince? Sont-ils tous une forme de réponse à l'organisation socio-économique ou de distribution spatiale de la ville de Port-au-Prince? Qu'adviendra t-il du système de transport collectif dans la ville de Port-au-Prince si l'urbanisation de Port-au-Prince reste non-planifiée?

CHAPITRE III.-APPROCHE CONCEPTUELLE/ DEFINITION.

Cette approche est conçue dans l'optique de permettre à tout un chacun de saisir le sens, la portée et la signification des différents concepts utilisés dans le cadre de notre recherche. Nous entendons par là définir des concepts clés pour éviter les interprétations qui peuvent aller à l'encontre des nôtres. Car la sociologie, comme toute autre science « a affaire à des objets construits, contre le sens commun, les apparences, les explications trompeuses (...) Le donné doit être soumis à un travail parce que:

· il est infini, chaotique et nécessite un choix en fonction d'un point de vue,

· il induit en erreur du fait qu'il a été fondé sur des préjugés,

· il dissimule des relations cachées qu'il a pour fonction de masquer.

« Il s'avère alors nécessaire de le déconstruire et de le reconstruire en le situant dans un réseau conceptuel qui lui restitue son sens caché ou simplement un sens ».18(*) Dans ce contexte quel sens ont, pour notre recherche, les concepts: tap-tap, tap-tap bwafouye, moyen de transport collectif, urbanisation, aire métropolitaine de Port-au-Prince, mobilité quotidienne, ville, planification urbaine, gestion urbaine, politique urbaine, services urbains, croissance urbaine, chauffeurs de tap-tap, usagers de tap-tap, capacité d'accueil, confort.

3.1.- TAP-TAP

Tap-tap exprime la rapidité avec laquelle une action est exécutée dans un temps par rapport à la distance. Elle traduit au niveau de l'abstraction toute idée tendant à activer le processus normal de tout phénomène et la liaison entre deux points distincts. Ainsi selon la terminologie haïtienne, tap-tap est le symbolisme du temps qui, dans sa course, relie deux extrémités d'un espace quelconque tout en permettant de confondre la distance à parcourir à la vitesse utile impensable par sa rapidité. Il est, en ce sens pour la langue créole, une expression emphatique et, est synonyme de : Prese-Prese, Mache-Prese, Chocho Trapde. Ce sont des expressions créoles traduisant : l'extrême rapidité, vitesse de croisière, vitesse éclair.

La capacité de l'automobile à atteindre cette fulgurance, cette vitesse, contrairement à la marche à pied ou à dos d'âne, lui confère la dénomination tap-tap.

Le sens de ce terme dans le contexte du transport en commun haïtien, apparemment se situe dans l'historique des moyens de communication pour relier une région à une autre. L'histoire montre qu'autrefois l'haïtien, comme tous les peuples, utilisait ses pieds ou le cheval pour parcourir de longs kilomètres terrestres. Cependant le temps qu'il fallait disposer pour le trajet était beaucoup moins grand à cheval qu'à pieds. Avec l'arrivée en Haïti d'un moyen de transport comme l'automobile, le cheval allait prendre beaucoup plus de temps à parcourir le même trajet par rapport à celle-là. Et, il faut, en plus souligner que l'automobile a succédé à d'autres moyens de transport moins rapide et moins confortable. Dans un premier temps, le transport à Port-au-Prince était assuré par des "Buss et Buggys" tirés par des chevaux. Plus tard en 1896, ces moyens de transport furent concurrencés par les tramways qui eux-mêmes furent actionnés par la vapeur. Si ce moyen de transport (les tramways) était préférable aux "Buss et Buggys" pour sa commodité et sa rapidité, il ne résista pas longtemps à la concurrence des autobus à moteur, « dont le premier (...) a été mis en circulation à Port-au-Prince le 27 mars 1913. » (G. Corvington, 1976, 249) En effet, sous l'égide de l'automobile le transport public allait connaître une nouvelle orientation.

« L'Organisation d'une vraie ligne de taxis ne semble avoir vu le jour qu'en 1928. C'est cette année là, en effet, que sans doute, après entente, des propriétaires d'automobile mettent à la disposition du public un certain nombre de voitures affectées au service du transport des voyageurs de 6 heures du matin à 6 heures du soir ...

« L'irruption de cette nouvelle organisation sur le marché du transport urbain fait apparaitre la compétition. On prévoit déjà le moment où les buss ne seront plus dans Port-au-Prince qu'un vieux souvenir (...) puisque leur tarif est de cinq (5) centimes supérieur à celui des autos de la ligne, plus rapides et plus confortables ». (G. Corvington, 1987, 159)

Le phénomène automobile n'a pas laissé indifférents des romanciers et poètes de l'époque. Voici comment Stephen ALEXIS, l'un de ces romanciers, a traduit le phénomène : « L'automobile est reine maintenant, écrit-il. D'un train lent, les vieux buss s'en vont. Que sont devenues les élégantes voitures que tiraient les magnifiques bêtes racées et piaffantes? Sans gloire, elles achèvent dans une remise sentant le ranci, ou dans une vieille cour vague leur malheureux destin.

(...) Les fringants chevaux eux-mêmes ont disparus de la circulation ... » 19(*)

Ce sont en ces termes là que Stephen ALEXIS traduit la substitution des moyens de transport antérieurs à l'automobile. Leur lenteur, selon lui, en est une des causes. Donc, c'est cette réduction par l'automobile du temps mis à relier les mêmes kilomètres autrefois parcourus à pieds, à dos d'âne, en buss, buggys et tramways que l'haïtien résume par un simple mot : tap-tap. Aussi, aucune publication concernant le transport en commun haïtien ne peut faire l'économie de cette expression.

Il n'en est pas moins vrai que la motocyclette, elle aussi, est faite pour vaincre la distance dans un temps très court en ce sens elle est un tap-tap. Les jours de circulation difficile (grèves générales, grèves des chauffeurs) on assiste à un trafic accéléré des motocyclettes « ECONO ». Ainsi désignées, elles viennent au secours de non-grévistes qui semblent vaquer normalement à leur occupation. Du côté du quartier « LA SALINE » particulièrement sur la diagonale reliant le quai de Jérémie à la grande route (Boulevard La saline) il est monnaie courante de trouver des motocyclettes transportant deux (2) à trois (3) passagers.

C'est un trafic qui tend à se généraliser, puisque à l'extrémité de la bretelle de jonction d'avec la Nationale #1 des motocyclistes restent en « stand by » attendant de potentiels passagers pour le Boulevard Hailé Sélassié et l'Aéroport International.

Sur le Boulevard Harry Truman, (au terminus de la rue Joseph Janvier), ainsi que sur l'autoroute de Delmas à l'entrée de Delmas 31, le constat est le même. D'aucuns croient que ces « écono » représentent un défi au fort embouteillage que connait tout Port-au-Prince aux heures de pointe. Voilà le spectre d'un nouveau mode de tap-tap à l'horizon du transport en commun en Haïti.

Évidemment dans beaucoup de villes du tiers-monde la motocyclette s'installe déjà comme mode de transport urbain. A Ouagadougou, par exemple, Capitale du Burkina Faso, les deux roues à moteur sont prédominantes dans le trafic urbain. C'est ce que Laura Faxas appelle: Asiatisation du transport collectif urbain dans le contexte de la République Dominicaine. A son avis « Le phénomène le plus caractéristique des changements et de la restructuration du système de transport, c'est l'incorporation massive de motos dans certains itinéraires du système. On assiste ainsi à une « asiatisation d'une partie du système ».20(*) Cependant, ce phénomène est selon lui le résultat du désengagement de l'État dominicain vis-à-vis de la population urbaine face aux services à caractères publics qu'il devait lui fournir. Dans le contexte, de la crise et du désengagement libéral de l'Etat, en tant que garant des services publics, l'incorporation de motos dans le transport semble s'étendre à d'autres pays de l'Amérique latine et d'Afrique, satisfaisant de façon captive une partie de la demande et n'étant pas un transport de type taxi traditionnel ou en concurrence avec d'autres moyens de transport. En outre dans le cas dominicain ce type de transport est devenu pratiquement le seul moyen de transport dans les villes de taille moyenne ou les villages » 21(*)

Il n'est pas tout à fait facile de prouver que le mot Atap-tap puise ses origines dans l'histoire du transport en commun haïtien. Toutefois, le mot en soi, en plus qu'il exprime l'extrême rapidité d'un moyen de transport, se confond aussi avec le moyen de transport même. Par ce dernier, on entend l'ensemble de procédés (mécaniques et techniques) desquels l'homme s'en sert pour assurer son déplacement d'un point vers un autre pour atteindre sa destination. Voilà ce qui explique, qu'au lieu de parler, de taxi, de camionnette ou d'autobus, l'haïtien utilise parfois l'expression tap-tap.

C'est d'ailleurs, à peu près, le point de vue de Jean Michel Houry, de Lyonel Paquin, de Christophe Wargny et de Jean Marie Duval. Selon l'article, publié dans le numéro cent dix neuf (119) de la revue Conjonction en 1973, Jean Michel Houry établit une différence entre tap-tap, taxi et Peugeot. Il présente les taxis comme des voitures privées d'occasion qui assurent le trafic de passagers sur les diagonales. Celles-ci font partie du réseau routier desservi par les tap-tap.

« Le réseau est constitué par trois axes principaux : la route Carrefour-Portail Saint-Joseph, le circuit Centre-ville - Pétion Ville par Lalue et Delmas et les diagonales, Bois Verna, Pacot, Turgeau, Saint Gérard et le Centre Ville.

« L'axe Carrefour-Portail Saint Joseph est couvert par (des) tap-tap; Chacune de ces camionnettes légères, à carrosserie locale sur châssis généralement japonais transporte (un nombre) de passagers par jour ouvrable (...).

«  Sur l'axe centre ville -Pétion Ville par Lalue et Delmas le transport est assuré par (des) Peugeot familiales diesel a neuf (9) ou dix (10) places chacune et par des tap-tap véhiculant des passagers exclusivement par Delmas ... « Sur les diagonales, le trafic est assuré par des taxis collectifs, voitures privées d'occasion ».

A bien comprendre l'article; définir tap-tap exige qu'on tienne compte, d'abord, de la qualité du véhicule qui implique: sa morphologie et ses occupants, ensuite et surtout les voies qu'il emprunte pour desservir des passagers. Ce sont autant de paramètres qui, pour Jean Michel Houry, doivent permettre de parler des tap-tap et de les différencier des taxis et Peugeot qui sont tous à la fois des moyens de transport. Il va même plus loin, dans sa différenciation, en montrant que les tap-tap sont constitués d'une carrosserie locale Aussi ne sont-ils autres, que des autobus et camionnettes publics comme ceux de Carrefour et de Delmas. Sans être complaisant ni catégorique disons que c'est peut-être également, la position de Lyonel Paquin qui a fait la compilation de 1000 slogans dans une brochure intitulée Les tap-taps haitiens dont la page de couverture met en relief un minibus bwafouye.

A ce niveau, les approches sont complémentaires. A lire la brochure illustrée de J. M. Duval et de C. Wargny, intitulée : En Haïti où les tap-tap roulent pour Dieu, on constate que ces auteurs ne s'enferment pas seulement dans le carcan port-au-princien pour parler des tap-tap. Contrairement à J.M. Houry, ils partent vers les circuits reliant Port-au-Prince aux villes de provinces.

Alors, ils se placent dans le quartier La saline pour observer et tenter de décrire le phénomène tap-tap. « Deux heures du matin, Port-au-Prince, quartier de la Saline, Bidonville repu de nuit noire (...) La vie grouillante qu'aucun sommeil n'interrompt jamais se devine, là-bas derrière la lisière des tap-tap, pullulement autour de la puanteur des rigoles où achèvent de pourrir mangues ou papayes. » (C. Wargny, J.M.Duval, 1993)

Une véritable lisière mobile. Les tap-tap partent pour revenir, quotidiennement, la reconstituer. « Comme des milliers d'autres un de ces camions-autobus, (...) taille sa route à grand renfort de Klaxon, comme tous les tap-taps qui labourent les mornes d'Haïti en tout sens, secouant des passagers entassés, rudoyés, chavirés et chavirant de leurs banquettes de bois. » (ibid)

L'approche de Houry rencontre, en un certain point, celle de Wargny et Duval qui, sans ambages, présente les tap-tap comme un mariage mécanique et artisanal. Un mariage de deux mondes différents : celui de l'occident et du régional, du métal et du bois. Une approche, certes réaliste et partagée mais restrictive et anachronique du fait que de nos jours tous les véhicules à moteur, indépendamment de leur structure et dépendant des conditions socio-économiques de leur propriétaire, se transforment en véhicules de transport public. Si cette approche décrit les tap-tap en tenant compte de certains paramètres, (morphologie et circulation) elle manque beaucoup d'éléments pour être conceptuelle. Et c'est d'ailleurs à ce niveau que la différence se fait sentir entre les approches. Celle de Wargny et Duval, à bien des égards, est allée beaucoup plus loin.

En effet selon eux tous les moyens de transport sont des tap-tap, une fois que ceux-là permettent de parcourir rapidement, même de façon relative, la distance voulue.  « Tap... tap... tap... tap... tap... tap: en créole, la rapidité, la fulgurance, l'immédiateté. Ou presque. Vitesse certes relative, mais indiscutable, comparée à celle de la bourrique ou de l'humain livré à ses propres jambes. Tap... tap... tap... voyage en un clin d'oeil ... » (ibid)

Telle est une approche qui complète la nôtre et qui traduit bien dans le temps comme dans l'espace haïtien une certaine réalité du transport en commun. Cependant elle s'enferme dans une brochure où l'observation semble donner libre cours à l'imagination. Où le vécu est pris sur le vif et exposé vulgairement; et où enfin aucune tentative d'analyse n'est relevée.

Tout cela est pour dire que ces approches ne se limitent qu'à d'écrire ou à définir le phénomène à partir de simples observations.

Vu le caractère de notre travail, nous comptons insérer la nôtre dans un cadre scientifique où les premières impressions du sens commun - face à des recherches conduites méthodiquement - ne vont pas constituer une entrave aux tentatives d'explication du transport en commun comme étant un fait social. C'est-à-dire comme étant une chose où les hommes - à quelque niveau que ce soit - ont tous participé, volontairement, à sa cristallisation sans qu'elle ne soit, pourtant, revêtue d'aucune marque particulière d'individualisme et où tous sont soumis aux contraintes qu'elle a générées. Dans cet ordre d'idées nous retrouvons la pensée de Durkheim pour qui le fait social est un mélange d'actions de plusieurs individus; actions qui une fois combinées donnent naissance à un produit nouveau. « Et comme cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu'il y entre une pluralité de consciences) elle a nécessairement pour effet de fixer, d'instituer hors de nous de certaines façons d'agir et de certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté particulière prise à part ». (E. Durkheim, 1937)

Partant de cette considération, le tap-tap peut être défini comme: une synthèse d'actions mécaniques, techniques et quelquefois artisanales, réalisée par des hommes pour réduire le temps de la distance à parcourir à la vitesse de marche minimale et faciliter le transport d'un collectif d'hommes qui le préfère aux voyages à pied et à dos d'âne, pour sa rapidité et son confort. Aussi s'impose t-il dans l'habitude des hommes qui ne peuvent s'en passer.

Cela n'est pas moins vrai des tap-tap circulant sur le réseau de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince qui, malgré de graves problèmes de circulation et de confort, s'intègrent dans la vie régulière des port-au-princiens.

Autrement dit, parler de tap-tap revient à désigner l'ensemble des moyens de transport collectif qui, empruntant les différents axes du réseau routier dans des allées et venues quotidiennes, facilitent le déplacement des habitants de l'aire métropolitaine tout en leur donnant la possibilité d'arriver à destination dans un temps relativement rapide.

Puisqu'un fait social, selon Durkheim, doit être considéré comme une chose, mais pas au même titre que les choses matérielles qui ne sont analysées que du dehors, les tap-tap (particulièrement le bwafouye) feront l'objet d'une analyse qui les embrassera tant dans leur consistance que dans leur fonctionnement aussi bien que dans leurs relations avec d'autres faits sociaux. Dans ce contexte, ils sont pour nous un objet de connaissance qui n'est pas naturellement compénétrable à l'intelligence, donc nous ne pouvons nous en faire une notion adéquate par un simple procédé mental. En conséquence, pour que nous arrivions à les comprendre et à les expliquer nous devons sortir de nous mêmes, « par voie d'observations et d'expérimentations, en passant progressivement des caractères les plus immédiatement accessibles aux moins visibles et aux plus profonds ». (E. Durkheim, 1937)

3.2.- TAP-TAP BWAFOUYE

Moyen de transport collectif dont la carrosserie, faite de bois est montée sur un châssis de « type canter-Mitsubishi », et est de fabrication locale. Conçu pour le transport collectif d'usagers il doit son nom à la matière première (le bois) qui forme la structure de sa carrosserie. Pour notre travail, tap-tap bwafouye et minibus bwafouye sont synonymes.

3.3.- MOYENS DE TRANSPORT COLLECTIF

Ensemble de véhicules (automobiles) qui ne sont pas tous forcément conçus pour le transport collectif d'usagers mais dont les plaques d'immatriculation portent, respectivement, la mention taxi. Au nombre de ceux-là on distingue, suivant la terminologie haïtienne; le minibus bwafouye, le yole, le rachepwèl, le taxi, le kokorat, le gwobisjon, la camionnette. Tout récemment des syndicats de chauffeurs, au terme d'un contrat avec le gouvernement haïtien, sont venus apporter leur note à la nomenclature des tap-tap. Ils désignent leur moyen de transport du nom de « Service plus » et est immatriculé location.

3.4.- URBANISATION

Processus d'augmentation croissante de la population des villes qui résulte tant de la migration que du mouvement naturel de population et qui est lié à des transformations infrastructurelles de l'espace des villes.

3.5.- AIRE METROPOLITAINE DE PORT-AU-PRINCE

Espace géographique comprenant: Delmas, Croix-des-missions, Carrefour et Pétion-ville qui sont des zones et villes avoisinantes à la ville de Port-au-Prince laquelle inclusivement fait partie de cette aire.

Elle est synonyme de Port-au-Prince ou de la ville de Port-au-Prince dans le cadre de notre travail.

3.6.- MOBILITE QUOTIDIENNE

Ensemble de déplacements quotidiens des port-au-princiens, à l'intérieur de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince, vers les différents espaces de la ville, soit en voiture privée, soit à pieds, soit en tap-tap. Ils se rendent sur leur lieu de travail, dans les établissements scolaires, sur les centres d'achats...

3.7.- VILLE

Le dynamisme des facteurs qui structurent la ville entrave toute définition à tendance axiomatique qui laisserait croire en un schéma arrêté ou théorique propre à caractériser de manière générale la ville. Par contre, différents spécialistes en la matière, sont d'avis à reconnaitre que toute tentative de définition de la ville ne doit et ne peut faire l'économie de l'histoire de l'espace géographique en question. Pour J.P. Lacaze «Une ville n'est pas autre chose que (...) Le produit de sa propre histoire matérialisée en formes architecturales». G. Burgel, dans son oeuvre « la ville aujourd'hui» nous dit que « les villes sont à la fois le produit et le reflet des sociétés qui les font naître». Donc, une ville ne peut être édifiée qu'en référence aux rythmes temporels et aux différentes actions qui jalonnent sa transformation en tant qu'espace physique. Les approches de J.P. Lacaze et de G. Burgel loin d'être contradictoires sont complémentaires et rencontrent l'approche de Y. H. Bonello pour qui la ville « est au-delà de toute perspective géographique, sociologique ou historique parce qu'elle naît des besoins d'interaction entre des êtres, ce qui interdit toute définition statique et descriptive».

Tout compte fait, pour une bonne compréhension de ce qu'est la ville, il est préférable de la définir à partir de sa fonctionnalité plutôt que de son évolution. Nous nous référons à nouveau à Y. H. Bonello qui avance que la ville « c'est un lieu de résidence où siège l'autorité chargée d'arbitrer entre les pouvoirs des corps sociaux».

3.8.- PLANIFICATION URBAINE

Processus d'organisation de l'espace urbain tant au point de vue urbanistique, architecturale et économique à des fins de contrôle de l'urbanisation et de réponses quasi-adéquates aux besoins de la population des villes. Elle inclut en ce sens deux modes d'action, c'est-à-dire un ensemble de pratiques professionnelles tendant à préparer et à exécuter des décisions. Ces modes d'action sont: la composition urbaine et la planification stratégique. La première «recherche en priorité l'harmonie et l'élégance des espaces en creux de la ville; elle dessine donc ces espaces et fixe des règles pour les constructions. (...) Pour des opérations plus importantes elle s'attachera à la définition de règles générales susceptibles d'assurer la cohérence d'ensemble du paysage urbain à travers la diversité des projets architecturaux successifs.» La planification stratégique, pour sa part, «constitue une étude globale des marchés concernant les espaces et les services urbains. Elle utilise pour cela des modèles mathématiques permettant d'évaluer les besoins futurs et de rechercher les décisions à prendre pour éviter les pénuries prévisibles. (...) Elle se réfère à une conception de la ville comme espace privilégié de l'économie. Elle justifie les décisions qu'elle propose par des critères d'efficacité et d'utilisation optimales des ressources financières. Elle renvoie donc à des modes de décision de type technocratique. (...) Son importance globale dépend beaucoup du rythme de la croissance démographique et de l'urgence des besoins non satisfaits." (J.P Lacaze, 1995, 52)

3.9.- POLITIQUE URBAINE

Ensemble de législations visant la gestion des situations jugées inacceptables dans les villes (insécurité, délinquance, la désagrégation urbanistique et architecturale des quartiers, la drogue, le chômage) et la mise en place des actions correctrices. La plupart du temps, ces législations prennent surtout en compte le logement et les grands réseaux d'infrastructures. Cependant d'une manière générale, le rôle des politiques urbaines consiste à intervenir pour mieux aménager la ville en fonction des besoins économiques et sociaux". (J.P Lacaze, 1995, 43)

3.10- GESTION URBAINE

C'est le processus qui fait intervenir la question de savoir qui doit évaluer les besoins économiques et sociaux de la ville et celle de la préparation et de l'application des décisions. Elle implique une prise de position sur le problème de l'exercice du pouvoir dans le contexte des modes de planification urbaine. Elle fait appel, de ce fait à l'urbanisme, à la géographie urbaine et à la science politique et engage directement les acteurs publics dont leur rôle consiste à fixer les règles du jeu par des Lois et des Décrets, puis à veiller à leur bonne application en contrôlant les procédures et en sanctionnant les irrégularités. Interviennent ensuite des acteurs spécialisés puis les citoyens.

3.11.- SERVICES URBAINS

Ensemble d'opérations qui accompagnent la production, qui la préparent, le programment et qui assurent sa compétitivité et sa distribution dans le public: recherche et développement, bureaux d'études et de conseils, au sein des grandes sociétés, ou au bénéfice des petites et moyennes entreprises, agences de publicité, services après-vente, direction du suivi de la clientèle, organisme de vente par correspondance. (Guy Burgel, 1993, 64)

3.12.- CROISSANCE URBAINE

Forte concentration d'hommes et de leurs activités sur des territoires restreints entrainant ainsi sur des territoires de l'espace l'étalement et la dispersion périphérique de la ville.

3.13.- CHAUFFEUR DE TAP-TAP

Toute personne qui pour gagner sa vie se retrouve derrière le volant d'un véhicule dont les plaques d'immatriculation porte la mention taxi.

3.14.- USAGER DE TAP-TAP

Toute personne qui, pour se rendre sur son lieu d'activité choisit d'utiliser, plutôt, le service payé d'un véhicule dont les plaques d'immatriculation porte la mention taxi.

3.15.- CAPACITE D'ACCUEIL

Quantité suffisante et réglementaire d'usagers qu'un moyen de transport collectif, conçu à cette fin, doit transporter suivant l'avis du concepteur.

3.16.- CONFORT

L'aisance avec laquelle l'usager doit circuler et s'asseoir à l'intérieur du moyen de transport collectif sans risque d'être embarrassé dans ses mouvements.

TROISIEME PARTIE : CADRES EPISTEMOLOGIQUE ET ETHNOGRAPHIQUE

CHAPITRE IV.- PORT-AU-PRINCE : UNE VILLE EN PORTE A FAUX

Dans un souci de présenter la réalité à laquelle sont confrontées les théories évoquées en matière d'urbanisation et de transport collectif urbain, nous avons élaboré ce chapitre dont l'objet consiste à partir à la rencontre de Port-au-Prince à travers le temps, tout en considérant le mode d'organisation économique, politique et démographique de son espace comparé à celui d'autres espaces du tiers-monde qualifiés de villes. Cependant, pour une claire compréhension de l'exposé, nous partons des généralités sur la ville.

* 1 IHSI, tendances et perspectives de la population d'Haïti au niveau régional (département, arrondissement et commune 1980-2005), Port-au-Prince, 1992, p.27

* 2 IHSI, Haïti: Projection de la population totale par arrondissement et par commune, Port-au-Prince 1997

* 3 Lavalin International, Plan directeur d'urbanisme de Port-au-Prince (secteur transport), septembre 1988 p.19

* A. Gélédan, Economie (l'analyse des documents et la dissertation), Librairie Classique Eugène, Paris 1986, p.13

* 4 M. Beaud, l'Art de la thèse, Edition La découverte, Paris, 1997, p.32

* 5 Coordination des unités techniques de planification et de programmation (MTPTC), Diagnostic sectoriel, janvier, 1997

* 6 Y.-H Bonello, La ville, PUF, Paris 1996, p.34, coll. Que sais-je?

* 7 P. Merlin, Les transports parisiens (Etudes de géographie économique et sociale), Robbert laffont, Paris, 1967, p.76

* 8 J. Rémy, L. Voyé, Ville ordre et violence (formes spatiales et transaction sociale), Presses Universitaire de France, Paris, 1981.

* 9 Robbert Laffont, Les transports, Paris, 1976, p.27

* 10 United Nations, Urban transport development with particular reference to developing countries, New York, 1989, p.5

When public transport services are discontinued, business and services are paralyzed (traduit par nous)

* 11 Y. Bonello, La ville, Presses Universitaire de France, Paris 1996,p.63 collection Que sais-je?

* 12 R. GHIGLIONE et B. MATALON, Les enquêtes sociologiques (Théories et pratique), Armand colin, Paris, 1978, p.11

* 13 ibid, p.144

* 14 S. Brouk, Processus ethno démographique, La population du monde au seuil du XXIe siècle, Editions Naouka, Moscou 1986, p.64

* 15 J. M Hoener, Le tiers-monde entre la survie et l'informel, L'Harmattan, Paris 1995, p.51-98

* 16 F. Asher et J. Giard, Demain la ville (urbanisme et politique), Editions Sociales, Paris 1975, p.25, 100

* 17 Y. -H Bonello, Op. Cit, pp. 33, 34.

* 18 J.P Durand et R. Weil, Sociologie contemporaine, Vigot, Paris 1978, p.296

* 19 Cité par G. Corvington, Port-au-Prince au cours des ans (La capitale d'Haïti sous l'occupation 1922-1934), Imprimerie Henri Deschamps, Port-au-Prince 1987, p.164

* 20 L. Faxas, « Dérèglementation informelle et asiatisation coopérativisation du transport collectif urbain. Le cas de Santo-Domingo, République Dominicaine », Les transports dans les villes du sud (La recherche de solutions durables), Éditions Kartala, Paris, 1994, p.156

* 21 Idem

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote