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La métaphore du voyage, quête et subversion de la quête chez Louis-Ferdinand Céline

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par Franck Macé
Université Paris Sorbonne - Master 1 2008
  

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2)La dialectique délire/réalité, un dépassement du naturalisme.

a) Transcrire sa réalité du monde

Excepté une première tentative littéraire alors qu'il se trouve en Afrique ayant pris la forme d'une nouvelle intitulée Des vagues, il est intéressant de constater que Céline use de la forme théâtrale lorsqu'il entreprend vers la fin de l'année 1926 d'écrire sur son expérience en tant que médecin à la SDN. Ce choix générique dénote certainement d'une volonté de l'auteur d'ancrer fermement son histoire inspirée d'expériences personnelles dans le réel ou l'illusion du réel et l'objectivité par opposition à la forme achevée de cette pièce (Voyage au bout de la nuit) dans laquelle la perception de la réalité sera marquée par une forte subjectivité: les jugements et autres sentences rendus et l'omniprésence de la voix narrative qui recouvre celle des personnages s'exprimant par effet de ventriloquie à la manière de Bardamu. Un peu plus tard, en 1927, Céline se lance dans l'écriture d'une seconde pièce Progrès qui préfigurera son second roman Mort à crédit. A posteriori ce genre choisi afin de restituer des composantes de son existence présentait un cadre trop étroit pour Céline qui s'animait progressivement d'un flot croissant de paroles écumantes. Outre le caractère spectaculaire du théâtre, le réalisme qui perce derrière l'oeuvre littéraire semble être une exigence de l'auteur, d'ailleurs Céline lors d'une entrevue avec un journaliste de Paris-Soir à la parution de son premier roman précise cela: « -Qu'importe mon livre?Ce n'est pas de la littérature. Alors?C'est de la vie, la vie telle qu'elle se présente24. ». Étonnante déclaration que celle-ci qui nous

22 Ibid., p.1113.

23 L.F.Céline, lettre à Marie Canavaggia ( 1945), in Lettres à Marie Canavaggia: 1936-1960, Paris, Gallimard, 2007.

24 Interview avec Pierre-Jean Launay, in Cahiers Céline, vol 1, Paris, Gallimard, 1976, p.21.

encourage donc à relier cette volonté de restituer fidèlement le monde avec le logos délirant.

b) rire et délire

Nous sommes là au coeur de la stratégie littéraire mise en place par Céline entre Zola et Swift qui apparaît comme un dépassement de l'écriture naturaliste quant à la puissance de restitution du réel. Selon Céline l'observation minutieuse, objective des milieux familiaux et sociaux en guise d'explication du monde est éculée, lui privilégie afin que le monde soit projeté fidèlement dans le livre la déformation, l'amplification jusqu'au grotesque associant les voyages à une litanie d'expériences sans espoir. Ce n'est plus la belle forme et le beau langage classiques pour illustrer un monde harmonieux, c'est l'ère de la torsion des images. Le délire développe ainsi chez le lectorat un rire satirique qui s'empare de l'objet de la risée et le pulvérise, c'est un comique d'agression comme lorsque Bardamu décrit les passagers malades lors de la traversée: «Alors un vil désespoir s'est abattu sur les passagers[...]échangeant menaces après cartes et regrets en cadences incohérentes25. » ou les compare à des poulpes un peu plus loin. Parfois ce rire est en cascade et est renforcé par un effet d'écho. C'est le cas en Afrique dans la colonie lorsque les hommes attablés rient devant le dénuement d'une famille d'indigènes volée par un commerçant ou en évoquant le Directeur de la compagnie page 136 eux-mêmes étant ridiculisés par le narrateur. Le logos délirant est aussi et surtout une parole de dévoilement, de démystification. Ainsi paradoxalement selon Frédéric Vitoux dans son oeuvre critique Louis-Ferdinand Céline:misère et parole le délire est la garantie de davantage de lucidité de la part du personnage-narrateur contrairement aux personnages de Zola qui s'illusionnent comme Lantier à propos de leur instinct de mort. C'est cette relation étroite entre déraison et vérité que propose Michel Foucault dans un célèbre ouvrage où il évoque le « lyrisme de la déraison » et précise: « Or, ce qu'indiquait déjà Le Neveu de Rameau et après lui toute une mode littéraire, c'est la réapparition de la folie dans le domaine du langage, d'un langage où il lui était permis de parler à la première personne et d'énoncer[...] quelque chose qui avait un rapport essentiel à la vérité26. ». Ainsi innervé le roman trouve là sa vocation, celle d'établir lucidement grâce aux voyages la peinture du monde. Le roman se fait essai. Doté d'une extraordinaire faculté d'hallucination et animé de visions panoramiques Bardamu, puissance démiurgique, redonne à voir le sombre monde et révèle la petitesse de l'homme.

c) La déréalisation du récit

Ce phénomène stylistique très présent dans le premier roman va même jusqu'à parfois dissocier le récit de son référent extérieur: le monde à l'époque de Céline. Le premier élément qui crée cette distance féérique est l'onomastique célinienne car ce dernier a volontairement transformé les noms des lieux traversés comme Douala changé pour Fort-Gono ou Bikobimbo pour Bikominbo; dans le premier cas on peut penser qu'il escompte ainsi profiter de la connotation militaire du nom pour

accroître l'impression de raideur de la structure hiérarchique coloniale. En effet l'auteur aime à créer des signes en donnant un signifié aux noms propres et ce tout au long du roman intégrant ainsi un récit de guerre se déroulant à Noirceur-sur-la-lys avec un farouche général du nom de des Entrayes (lire entrailles). Cette déréalisation par le biais de la toponymie ( un lieu africain porte le nom de Topo) a donc une portée symbolique comme l'a indiqué A.Cresciucci dans un article intitulé Lieux27. Pour un second critique de l'oeuvre, N.Hewitt, tout ce voyage ne peut être qu'imaginaire et cela est marqué dès le début du récit lorsque Bardamu s'enrôle dans l'armée ne pouvant résister aux sirènes de la gloire. Il compare dans un de ses articles28 cet épisode à celui du lapin blanc d'Alice au pays des merveilles ou encore à celui du joueur de flûte de Hamelin, célèbre légende allemande. Cette dimension féérique se confirme par la suite, à l'intérieur du récit, marquée par des transitions arbitraires et des rencontres invraisemblables, ces caractéristiques sont celles du genre littéraire de la robinsonnade auquel ce roman peut être intégré. Cela teinte par conséquent le récit non seulement de l'atmosphère irréelle et de la morphologie du conte mais aussi de sa fonction didactique, universelle. Cependant de par un subtil équilibre entre les forces stylistiques qui travaillent le récit: féérie, réalité, le merveilleux apparaît en somme comme un renforcement du réel et le réel par symétrie comme un renforcement du merveilleux.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault