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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

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B) Une gestion administrative et étatique quelque peu rigide

Le système d'irrigation de l'Oasis de Valle de Uco et, a fortiori, celui de la province de Mendoza est un héritage des Indiens Huarpes. C'est seulement à la fin du XIXème siècle que le système d'irrigation pré-colombien fut codifié et institutionnalisé et que la gestion communautaire de la ressource fut remplacée par une gestion administrative et étatique.

1) La codification et l'institutionnalisation du système d'irrigation précolombien

Mendoza n'était alors qu'une jeune province cherchant à s'affirmer dans un pays qui en comptait 22 depuis 1853 et l'adoption d'une première constitution fédérale. Elle devait donc se doter des structures nécessaires à l'encadrement de sa population qui commençait à augmenter avec l'arrivée des premiers immigrants. En un mot, il s'agissait pour le gouvernement mendocin de légitimer son pouvoir, et notamment celui sur la ressource en eau, à la base de la configuration spatiale de la province. Ainsi, l'enjeu était de remplacer la gestion communautaire de l'eau des Indiens Huarpes par une gestion administrative et étatique. Pour ce faire, le gouvernement remis en doute la paternité du système d'irrigation mendocin aux Huarpes en invoquant qu'ils furent aidés par les Incas. Ce faisant, le gouvernement de Mendoza fit démarrer l'histoire hydraulique de

la province en 1884 avec la Ley General de Aguas. Cette loi, en codifiant le système d'irrigation pré-colombien, le dota d'une existence juridique puis institutionnelle, dès 1894, lorsqu'elle fut inscrite dans la Constitution Provinciale. La gestion de la ressource en eau dans la province de Mendoza est désormais une gestion administrative et étatique, confiée au DGI qui est chargé de faire appliquer les grands principes de la Ley General de Aguas.

2) Les grands principes de la Ley General de Aguas

Véritable « jurisprudence de l'eau d'irrigation », la Ley General de Aguas est aujourd'hui toujours en vigueur et incontournable pour qui souhaite étudier la gestion de l'eau dans la province de Mendoza dont elle fait la spécificité. Trois de ses grands principes ont été retenus pour illustrer cette spécificité : les « droits à l'irrigation », le « principe d'inhérence » et la distribution de l'eau par « tours ».

a) Les « droits à l'irrigation » : essai de typologie

L'eau relevant du domaine public, elle est seulement « concédée » aux usagers sous forme de « droits à l'irrigation » (derechos de riego). Ces droits servaient de base au recensement agricole à l'époque où la seule source d'approvisionnement en eau était superficielle : la superficie irriguée grâce à ces droits était alors dite « empadronada » (« recensée »). Malgré le recours de plus en plus fréquent à l'eau souterraine, le vocabulaire est resté et la superficie empadronada désigne toujours la superficie irriguée par des « droits à l'irrigation », un padron désignant une parcelle et le droit qui lui correspond.

Les « droits à l'irrigation » peuvent être définitifs (definitivos), temporaires (eventuales) ou précaires (precarios). Les premiers sont dits « définitifs » dans la mesure où ils continuent d'être exercés même lorsque l'offre en eau est déficitaire, notamment pendant la saison hivernale. A l'inverse, les seconds ne peuvent être exercés que lorsque l'offre en eau, excédentaire, a permis l'exercice des droits « définitifs », principalement pendant la saison estivale. Les premiers comme les deuxièmes ne peuvent être révoqués d'aucune manière sinon par expropriation, ce qui les

différencie des troisièmes pouvant être annulés sans la moindre justification, d'où leur précarité. Ces « droits à l'irrigation » ont néanmoins une caractéristique en commun : ils sont indissociables de la terre pour laquelle ils sont été concédés.

b) L'eau, indissociable de la terre : le « principe d'inhérence »

Contrairement au Chili où ils constituent deux marchés distincts, l'eau et la terre dans la dans la province de Mendoza sont indissociables en vertu du « principe d'inhérence » (principio de inherencia) : « tout terrain possédant un droit à l'irrigation ne peut être vendu ou céder sans le droit à l'irrigation qui lui correspond. De la même manière, toute saisie ou aliénation d'un droit à l'irrigation ne peut avoir lieu sans qu'il y ait saisie ou aliénation du terrain auquel il correspond » (source : site internet du DGI, 17/02/2009). En outre, qui veut acheter une parcelle doit nécessairement l'acheter avec son « droit à l'irrigation » et ce, même si l'intéressé ne compte pas l'utiliser, préférant irriguer sa parcelle avec de l'eau souterraine. Le « principe d'inhérence » fit écrire à Pierre Gourou que l'eau dans la province de Mendoza « est mal utilisée parce que trop souvent reçue comme un droit attaché à la propriété foncière » (1976). Attachée à la propriété, l'eau comme droit est, en effet, ce qui lui confère toute sa valeur sur le marché foncier. Ainsi, il n'est pas rare de voir certains producteurs, qui irriguent leurs cultures avec de l'eau souterraine, continuer à exercer leur « droit à l'irrigation » afin de ne pas le « perdre »32 et déprécier la valeur de leur terre (Entretien n°6). L'exercice d'un « droit à l'irrigation » se réalise pendant un tour d'eau dont la durée et la périodicité dépendent de plusieurs variables.

c) La distribution de l'eau par « tours »

Dans la province de Mendoza, l'eau est, en effet, distribuée par « tours » (turnos) durant lesquels chaque usager reçoit une quantité d'eau proportionnelle à la superficie qu'il est censé irriguer grâce à son « droit à l'irrigation ». La durée du « tour » (tiempo efectivo de turno) dépend du débit du canal tertiaire, produit du « coefficient d'irrigation » et de la superficie à irriguer par

32 Selon la Ley General de Agua, le « droit à l'irrigation » se perd s'il n'est pas exercé pendant plus de cinq années (source : site internet du DGI, 17/02/2009).

le canal. Dès lors, plus la superficie à irriguer par un canal est grande, plus le débit de ce canal est important et plus la durée de « tour » est courte : une exploitation de 5 hectares située sur le canal Collovati, qui est chargé d'irriguer une superficie de 113 hectares, aura une durée d'irrigation plus courte que la même exploitation située sur le canal Guerci dont la superficie à irriguer est deux fois moins importante.

La périodicité d'un tour d'eau (tiempo de rotación) peut-être d'une ou de deux semaines33 : auparavant le canal Rebon recevait l'eau la première semaine et les canaux Appon et Combes la semaine suivante, jusqu'à ce que les usagers décident de leur approvisionnement simultané (Entretien n°5). De même, l'eau s'écoulant par gravité, les premiers usagers à recevoir leur tour d'eau sont toujours les mêmes, seuls les horaires changent de manière à ce que les usagers ayant irrigué leur parcelle de nuit la semaine précédente, l'irriguent de jour la semaine en cours.

Pour exercer leur tour d'eau, les usagers n'ont qu'à relever, en temps et en heure une petite porte (compuerta) située à l'entrée de leur propriété.

Photographie 9 : Photo de compuertas prise le 25/02/2009 vers 13h (source : auteur)

33 En réalité le tiempo de rotación est de 6 ou 12 jours, le dimanche étant un jour de repos, même pour l'eau qui arrête alors de s'écouler dans les canaux d'irrigation.

Lorsque c'est leur « tour » d'irriguer, les usagers utilisent le mot « tocar » qui signifie « être le tour d'eau » mais aussi « frapper » à la porte ce qui contribue à personnifier la ressource en eau qui vient « toquer » à leur compuerta.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille