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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

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D) Quand l'eau se met à couler vers l'amont : ce qu'il advient de l'aval

La poursuite de la conquête du piedmont par les acteurs conquérants de la reconversion du vignoble et son élargissement à des activités connues pour être de grandes consommatrices d'eau, soulève la question de l'approvisionnement de l'aval. Cette question se pose aussi bien que du point de vue quantitatif que du point de vue qualitatif.

Du point de vue quantitatif, une surexploitation de l'aquifère libre pourrait altérer les débits des cours d'eau en aval et notamment de ceux qui naissent par affleurement des aquifères, les arroyos. Le risque de surexploitation n'est pas à exclure du fait que le DGI accorde des permis d'exploitation sans réellement connaître l'état des aquifères puisqu'il ne dispose pas encore d'un modèle fiable60. D'autre par, le DGI ne peut exercer comme il se doit son rôle de police de l'eau, car il n'a pas les moyens de vérifier si les usagers de l'eau souterraine respectent effectivement le volume d'eau annuel qu'ils ont le droit de capter61. Aussi, les usagers, quel que soit le système d'irrigation qu'ils utilisent, n'ont pas toujours connaissance d'une telle restriction à l'exploitation de l'eau souterraine : « Il n'y a pas de limite. Je peux utiliser autant d'eau dont j'ai besoin. De toute façon, le DGI n'a pas les moyens de vérifier la quantité d'eau prélevée. La

60 Un modèle hydrologique élaboré par l'INA, le modèle SIMGRO, est actuellement à l'essai

61 Ce volume, inhérent la terre pour laquelle a été concédé le droit d'exploitation, est déterminé en fonction de trois paramètres : la superficie à irriguer, le type de cultures et le système d'irrigation utilisé. Ce faisant, la Ley de Aguas Subterráneas peut être considérée comme rentabilisant mieux la ressource que la Ley General de Aguas qui, elle, ne prend pas en compte les besoins hydriques des cultures.

seule chose qu'il fait lors des contrôles, c'est de regarder si je ne prête pas de l'eau à mes voisins » (Entretien n°6) ; « Ici, l'eau ne se paye pas au litre. C'est un droit d'exploitation que tu payes. Une fois ce droit payé, tu peux utiliser autant d'eau que tu veux » (Entretien n°15).

Du point de vue qualitatif, l'extension de la viticulture sur la zone de recharge des aquifères pourrait intensifier la recharge saline de l'aquifère libre et ainsi détériorer la qualité de l'eau des cours d'eau naissant par affleurement des aquifères (cf. Figure 29). Or, l'eau de ces cours est utilisée pour irriguer les basses terres de l'oasis qui verraient leurs sols se dégrader et devenir moins fertiles. De plus, ces cours d'eau se jetant dans le Río Tunuyán qui irrigue la partie occidentale de l'Oasis Centre62, le Tunuyán Inferior pourrait également souffrir de ce problème de contamination.

Figure 29 : Exploitation de l'eau souterraine dans l'Oasis de Valle de Uco (source :CHAMBOULEYRON, J.L., 2002)

62 Cf. Annexe XVII

L'ouverture de la province aux capitaux étrangers dans le but d'assurer la reconversion du vignoble oasien vers la qualité s'est donc traduite par l'arrivée d'acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût. Ces acteurs, plutôt que de maintenir un « capital social » dans le système d'irrigation traditionnel, ont préféré investir dans une « hydraulique individuelle » leur permettant d'entretenir un « rapport pionnier à l'espace ». Leur investissement dans un « capital hydraulique propre » s'est, en effet, accompagné de stratégies d'irrigation visant à optimiser la ressource en eau qui leur ont permis de repousser la frontière agricole sur le piedmont où l'offre en eau superficielle n'a jamais été suffisante pour y développer le réseau d'irrigation. Ainsi, une fois affranchis des contraintes de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel, ces acteurs ont pu se lancer à la conquête le piedmont andin avec l'intention d'en faire la « nouvelle Napa Valley » ou encore le « nouveau coeur de la vitiviniculture mondiale » (Entretien n°8). Autrefois désertiques, les pentes du piedmont accueillent aujourd'hui des parcelles de plusieurs centaines d'hectares de vignes irriguées grâce à l'eau souterraine captée par des perforations et distribuée au goutte à goutte par les techniques d'irrigation sous-pression. En investissant le piedmont tant du point de vue matériel que conceptuel, ces acteurs l'ont, de fait, territorialisé en en faisant une « marge », c'est à dire un centre économique dans une périphérie géographique.

Néanmoins, ce processus de territorialisation est le fait d'acteurs privés qui avaient les moyens financiers de faire face aux coûts de la perforation et de l'énergie requise par le pompage qui sont d'autant plus élevés que l'aquifère est profond. Car, comme le constate ce viticulteur de la vallée qui fut contraint de s'associer avec ses voisins pour financer le creusement d'une perforation dans les années 1970 : « Une bouteille de vin vendue à l'étranger leur rapporte de quoi payer une semaine d'électricité pour pomper l'eau » (Entretien n°5). Ce constat est certes un peu exagéré, mais résume assez bien l'opportunité que fut, pour ces acteurs, l'ouverture de la province aux capitaux étrangers : celle de profiter des faibles coûts de l'eau et de la terre pour produire un vin de qualité dont le prix reste compétitif à l'international : la bouteille Clos de los

Siete, produit phare du groupe du même nom, se vend 20 dollars américains ce qui est relativement peu étant donné que l'étiquette comporte la signature du « plus grand oenologue du monde ». Á ces coûts de production incompressibles que sont l'eau et la terre, encore faudrait-il ajouter celui de la main d'oeuvre qui est moins élevée que dans les pays développés.

Dès lors, si, comme l'affirme RICHARD-JORBA R.A. (2006), la reconversion du vignoble oasien vers un vin de qualité ne correspond pas à une « nouvelle division internationale du travail », force est d'admettre qu'elle y ressemble beaucoup. Sa territorialisation par les acteurs de la mondialisation du vin et de son goût, en bouleversant les hiérarchies territoriales de l'oasis, a contribué à rendre duale sa structure spatiale. Auparavant centre économique de l'oasis, la vallée n'est plus qu'un centre spatial présentant une large gamme de cultures sont les parcelles de petite taille sont irriguées par les canaux du système d'irrigation traditionnel dans lequel l'accès à l'eau est gravitaire et fondé sur la proximité du cours d'eau. Quant au piedmont, bien que située dans une périphérie géographique, il est devenu le nouveau centre économique de l'oasis où prédominent de grandes voire de très grandes parcelles de vignes et de fruits irriguées grâce aux techniques d'irrigation sous-pression qui optimisent la ressource en eau et affranchissent sont accès des lois de la gravité.

Pour une seule et même ressource, l'eau de fonte nivo-glaciaire, il existe donc deux accès : un accès traditionnel, gravitaire et fondé sur la proximité physique du cours d'eau, et un accès plus moderne que l'innovation technologique en matière d'irrigation a affranchi de la gravité. Le passage de l'un à l'autre constitue bel et bien le moteur de la recomposition spatiale de l'Oasis de Valle de Uco. Reste maintenant à déterminer si ces accès à l'eau permettent de retrouver les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble oasien vers un vin de qualité dont il est désormais temps d'aborder les transformations socio-économiques.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand