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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

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c) Entre les « gagnants » et les « perdants » : des acteurs aux pieds dans et sur l'eau

Entre les « gagnants » et les « perdants », il est possible de distinguer un troisième type d'acteur, majoritairement composé d'anciens habitants de l'oasis. Ces derniers ont investi dans un « capital hydraulique propre » tout en restant dans le système d'irrigation traditionnel. Ils irriguent donc leurs cultures avec de l'eau souterraine ainsi qu'avec l'eau de leur « droit à l'irrigation » recueillies dans des réservoirs. Ils ont néanmoins investi dans les nouvelles techniques d'irrigation pour s'affranchir des lois de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel afin d'étendre les superficies qu'ils cultivaient et sur lesquelles ils plantèrent des vignes de cépages fins et aux pieds « américains », les irriguant tantôt avec les techniques d'irrigation sous-pression, tantôt avec les techniques d'irrigation gravitaire. Ainsi, ces acteurs, qui gagnent moins que les « gagnants » sans perdre autant que les « perdants », sont parvenus à prendre le train en marche grâce à un accès à l'eau moins technologique que celui de ceux qui gagnent mais toujours plus moderne que celui de ceux qui perdent.

La reconversion du vignoble oasien vers la qualité a donc engendré des accès différenciés à l'eau et à la terre. C'est, en effet, la recherche des meilleurs « terroirs » pour y planter des vignes de cépages fins et aux pieds « américains » qui ont poussé les « gagnants » à se tourner vers l'innovation technologique en investissant dans un « capital hydraulique propre » et des techniques modernes d'irrigation. Á ces facteurs de production incompressibles que sont l'eau et la terre, s'en ajoute un autre, la main d'oeuvre dont l'accès est lui aussi nettement différencié entre les « gagnants » et les « perdants ».

2) Leur accès à la main d'oeuvre

La main d'oeuvre des « gagnants » est une main d'oeuvre permanente qui peut être locale ou étrangère. Les employés argentins sont, en règle générale, affectés à des tâches manuelles telles que l'entretien de l'exploitation ou la maintenance des machines agricoles et de

vinification. Leur niveau d'éducation est plus ou moins élevé car il peut également s'agir d'oenologues et d'ingénieurs agronomes. Quant aux employés étrangers, dont le niveau d'éducation est élevé, ce sont en général ceux qui travaillent dans les bureaux et participent au processus décisionnel de l'entreprise : il s'agit des experts comptables, des directeurs des ventes, des ingénieurs informatiques etc. Au moment de la récolte, il arrive que les « gagnants » fassent appel à une société d'intérim pour compléter leurs effectifs. Cette main d'oeuvre est alors une main d'oeuvre temporaire avec un contrat en bonne et due forme et rémunérée au prorata des heures de travail effectuées. Comme l'explique ce « gagnant », qui possède une exploitation d'une centaine d'hectare sur le piedmont de Tupungato, l'avantage d'effectuer la récolte à la main est de « faire plusieurs passages et ainsi trier les raisins en fonction de leur maturité. Cela demande beaucoup de travail, mais c'est mieux ainsi » (Entretien n°15). Beaucoup de travail, mais aussi beaucoup de temps. C'est pourquoi les « gagnants » qui possèdent les plus grandes exploitations combinent récolte à la main le jour et récolte mécanisée la nuit.

La main d'oeuvre des « perdants » est, dans une marge mesure, une main d'oeuvre familiale : les fils, les femmes et les filles aident le patriarche dans la gestion quotidienne de son exploitation. Les « perdants » peuvent également disposer de contratistas, ces travailleurs agricoles qui vivent sur l'exploitation dont ils ont la charge et qui, combinant la figure du petit entrepreneur avec celle du salarié, perçoivent un salaire mensuel ainsi qu'un pourcentage de la récolte67. Néanmoins, avec la reconversion du vignoble vers la qualité, de nombreux producteurs durent se séparer de leur contratista pour réduire leurs coûts de production et devenir plus compétitifs. Cette évolution est particulièrement représentée auprès des acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants » qui remplacèrent leurs anciens « contratistas » par des ouvriers journaliers. Le niveau d'éducation de cette main d'oeuvre dépasse rarement l'école primaire. Concernant la récolte, les « perdants » et ceux qui les précédent font appel à une main d'oeuvre

67 Le salaire, payé sur les dix mois de l'activité agricole (de mai à février) et en fonction des hectares travaillés, est fixé par des commissions paritaires et inclut le salaire annuel complémentaire. Le pourcentage de la récolte ne peut être inférieur à 18 %, déduction faite des coûts de la récolte et de toutes les activités normales résultant de la commercialisation des raisins (POBLETE, L., 2008).

temporaire essentiellement composée de Boliviens et d'Argentins des provinces pauvres du Nord68 qu'ils emploient au noir et qu'ils rémunèrent au sac : le porteur d'un sac de raisin rempli (tacho), se voit remettre un jeton (ficha) correspondant à une valeur en pesos. Rémunérée de la sorte, cette main d'oeuvre privilégie les exploitations de grande taille, plus à même de leur fournir du travail en quantité. Sont donc servis en premier lieu les acteurs dont l'investissement dans les techniques modernes d'irrigation leur a permis d'étendre les superficies cultivées, et ensuite seulement les « perdants ».

Ainsi, l'accès à la main d'oeuvre est aussi différencié que ceux à l'eau et à la terre. Son coût, moins élevé que celui des pays développés, avantage clairement les « gagnants » qui peuvent se permettre d'avoir une main d'oeuvre plus nombreuse et mieux formée aux outils issus de l'innovation technologique. Car, dans le « paradigme de la qualité », c'est de l'innovation que doit surgir la qualité et non l'inverse. Or, pour innover, il faut investir : dans le creusement de perforations, dans des pieds de vignes de cépages fins immunisés contre le phylloxéra, dans des techniques modernes d'irrigation sous-pression, ainsi que dans les procédés de vinification les plus modernes. De plus, pour investir, il faut avoir du capital et l'investir au bon moment. Ce capital, les acteurs de la filière vitivinicole ne le possédaient pas au moment de la crise. Á l'inverse, les « gagnants », qui sont arrivés dans la province avec un capital économique déjà constitué, ont pu investir dans l'innovation technologique et se placer à l'« avant-garde » de la qualité.

3) Leur accès au marché : quand les standards de qualité deviennent des mécanismes de contrôle de la production au profit des « gagnants » et déterminent l'accès des « perdants » au marché

Comme il l'a été dit précédemment, les innovations technologiques, qui furent encouragées par les acteurs institutionnels de la filière vitivinicole, avaient un coût que la plupart des entreprises locales ne pouvaient surmonter. Dès lors, certaines firent faillite, d'autres

68 Cf. Carte 8 en annexes

fermèrent, d'autres enfin furent rachetées soit par les « gagnants » soit par les acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants » qui investirent pour remplacer leur équipement obsolète. Néanmoins, dans l'Oasis de Valle de Uco plus que dans le département de Lujan de Cuyo, la plupart des « gagnants » firent construire leur propre bodega qu'ils équipèrent avec les procédés les plus modernes de la vinification. L'appareil productif fut ainsi transformé par et pour les « gagnants », dont les grandes entreprises transnationales contrôleraient aujourd'hui près du tiers de la production de raisins et bénéficieraient, par rapport aux maisons traditionnelles déjà en place, d'articulations complexes leur permettant d'obtenir des facilités de commercialisation, y compris dans la grande distribution nationale et internationale (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). L'accès des « perdants » au marché passe donc par les « gagnants » qui contrôlent les maillons terminaux de la filière vitivinicole.

En effet, le remplacement du paradigme de la production de masse par celui de la qualité ayant fait passer le contrôle de la production depuis les producteurs vers les phases de vinification et de commercialisation, ces derniers se sont retrouvés face à une offre atomisée et diversifiée qu'ils durent trier en imposant aux « perdants » des standards de qualité. Bien que ces standards diffèrent d'une bodega à l'autre, il est possible d'en énoncer quelques-uns pour permettre au lecteur de s'en faire une idée. Ainsi, pour ce qui est de la date de la récolte, les « gagnants » exigent des « perdants » qu'elle ne soit ni trop précoce ni trop tardive afin que les raisins profitent du soleil d'été pour devenir plus concentrés en sucres. Seulement, les « perdants » sont tributaires de la disponibilité de la main d'oeuvre temporaire qui, parce qu'elle est payée au rendement, préfère travailler pour les grandes exploitations. De même, à l'approche de la récolte, les « gagnants » leur prescrivent de moins irriguer dans le but d'exposer la vigne à un stress hydrique et ainsi augmenter le degré d'alcool des raisins. Néanmoins, diminuer l'irrigation n'est pas chose facile pour les « perdants » qui, n'ayant pas investi dans les techniques modernes d'irrigation, continuent d'irriguer leur vignoble par gravité, sans réelle maîtrise des flux d'irrigation. Plus récemment, certaines bodegas désireuses de se positionner sur le marché

des « vins biologiques »69 interdisent aux « perdants » l'utilisation de certains engrais ou herbicides. Ici encore, la moindre utilisation de produits phytosanitaires suppose toujours plus de travail et donc plus de main d'oeuvre que les « perdants » ne peuvent pas toujours embaucher faute de moyens.

C'est standards agissent donc comme des mécanismes de contrôle des « gagnants » sur la qualité de la production des « perdants » et de ceux qui, situés entre les « gagnants » et les « perdants », ne disposent pas de leur propre bodega. Les « perdants » et ceux qui les précédent doivent alors s'y conformer, sous peine de se voir refuser, par les « gagnants », la vinification de leur production de raisins qui constitue le gage le plus sûr d'accéder au marché. Dès lors, quelles solutions restent-il à ces acteurs pour ne pas être d'emblée exclus du « paradigme de la qualité » ?

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault