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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

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C) Quelles solutions pour les « perdants » ?

Imiter les « gagnants » en investissant dans l'innovation technologique pour produire des vins de qualité, et s'associer au sein de coopératives pour faire contre-poids aux bodegas détenues par les « gagnants », telles semblent être les deux solutions qui s'offrent à eux.

1) Imiter pour gagner ?

Á défaut d'innover, les « perdants » et ceux qui les précèdent peuvent toujours imiter les « gagnants » en investissant dans l'innovation technologique : des pieds de vignes de cépages fins immunisés contre les maladies, des système d'irrigation sous-pression ou des machines agricoles spécifiques à la culture de la vigne. Ces innovations requérant un certain capital de départ, ils peuvent soit passer par les banques agricoles, soit solliciter les « gagnants » qui, sousréserve que la qualité oenologique du vignoble les intéresse, peuvent participer au financement de ces innovations contre le prélèvement d'un pourcentage sur la récolte de raisins (Entretien n°1).

69Contrairement à ce que l'affirment ces bodegas, ces vins ne sont pas biologique au sens propre mais issu de l'agriculture biologique étant donné l'utilisation du sulfate de cuivre lors de la fermentation alcoolique.

Ce rapport entre viticulteurs et vignerons a fonctionné et fonctionne encore comme un élément diffuseur de la modernisation technologique des vignobles. Il se fait néanmoins de plus en plus rare, puisque très peu de « perdants » possèdent des vignobles qui intéressent les « gagnants » au point de les aider à financer des investissements aussi coûteux. L'aide apportée par les « gagnants » aux « perdants » consiste plus volontiers à mettre à leur disposition un ingénieur agronome ou oenologue pour assurer le suivi de leur vignoble, voire à leur fournir des produits phytosanitaires qui seront déduits au moment du paiement de la vendange. L'aide des « gagnants » est donc non-seulement conditionnée, mais mesurée pour ne pas remettre en cause l'intégration verticale de la filière qui leur permet d'externaliser les risques que comporte la production de raisins et de maintenir les « perdants » dans un environnement captif.

2) S'associer au sein de coopératives ?

Imiter les « gagnants » n'étant pas une solution viable, reste la solution coopérative. Cette solution fut encouragée par l'État provincial qui, lors de la reconversion du vignoble, entreprit la privatisation des coopératives déficitaires qu'il incita à se regrouper en fédérations pour protéger les petits producteurs en contre-balançant le poids des bodegas tenues par les « gagnants ». C'est à cette occasion que la coopérative GIOL fut privatisée. Elle fait aujourd'hui partie du groupe FECOVITA qui fédère 34 coopératives pour plus de 5 000 producteurs et contrôle 15 % du marché national de vins fins et communs (RICHARD-JORBA, R.A., 2006).

Ces coopératives constituent pour ceux qui en sont les membres un moyen d'accéder au marché sans passer par l'intermédiaire des « gagnants », du fait qu'elles ne peuvent refuser de vinifier la production de leurs membres. C'est pourquoi, interrogé sur l'avantage de travailler avec une coopérative plutôt qu'avec une bodega, ce vigneron et membre de la coopérative San Carlos Sur à La Consulta répond : « La continuité ! La bodega fait son commerce qui ne correspond pas toujours avec le tien, alors que la coopérative fait le commerce de tous ses membres » (Entretien n°1). Les membres de la coopérative (asociados ou socios) sont ceux qui

siègent à son conseil d'administration et participent au processus décisionnel. En échange, ils ont l'obligation d'apporter l'intégralité de leur production à la coopérative qui ne peut refuser de la leur vinifier. Ces « actionnaires » de la coopérative correspondent généralement aux « perdants » de la reconversion du vignoble oasien : la faible qualité oenologique de leurs raisins d'une part, et leur incapacité à se conformer aux standards de qualité exigés par les « gagnants » d'autre part, font qu'ils doivent se satisfaire de la « continuité » que leur offre la coopérative en leur garantissant la vinification de leur production.

Néanmoins, les membres de la coopérative ne sont pas les seuls producteurs à venir y faire vinifier leur production. En effet, les terceros peuvent également venir à la coopérative pour faire vinifier leur récolte de raisins mais, ne siégeant pas à son conseil, ils n'ont pas de compte à lui rendre ni l'obligation de lui apporter l'intégralité de leur production. La coopérative, quant à elle, n'est pas non plus obligée d'accepter de la vinifier. Les terceros sont souvent ceux dont l'investissement dans les techniques d'irrigation sous-pression leur a permis d'étendre les superficies qu'ils cultivaient et sur lesquelles ils ont planté des vignes de cépages fins aux pieds « américains ». Ainsi, ces grands producteurs correspondent aux acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants ». Ce sont eux qui font le commerce de la coopérative et, par conséquence, celui de ses membres : l'an dernier par exemple, sur les sept terceros que comptait la coopérative Cooperativa de Transformación y Comercialización Vitivinicolas de Vista Flores, trois ont apporté à eux seuls la moitié de la vendange, l'autre moitié ayant été apportée par les vingt-six membres de la coopérative et le reste de terceros (Entretien n°10). C'est également d'eux que dépend le budget de la coopérative, puisque le pourcentage de la vendange qu'elle a pour habitude de vinifier et commercialiser pour son compte, est plus élevé sur la vendange des terceros que sur celle de ses membres. La coopérative est donc davantage dépendante des terceros que les « terceros » de la coopérative.

De plus, ces derniers n'ayant pas l'obligation d'apporter l'intégralité de leur production à la coopérative, ils peuvent toujours essayer de la vendre aux bodegas dès lors que la qualité

oenologique de leurs raisins est souvent meilleure que celle des « perdants » et qu'ils se sont conformés aux standards de qualité exigés par les « gagnants ». Car, il est en effet plus rémunérateur pour les terceros de vendre leur récolte aux bodegas qui l'achètent immédiatement, que de l'amener à la coopérative qui leur paye le vin à la prochaine récolte : « L'avantage des bodegas, c'est qu'elles achètent le raisin en trois mois et beaucoup plus cher que nous, qui entre la vinification et la commercialisation, payons le vin de 2008 au moment de la récolte de 2009 » (Entretien n°10). Or, le budget des coopératives dépend essentiellement de la vendange des terceros sur laquelle est prélevé un pourcentage plus important que sur celle des membres de la coopérative. En outre, moins les terceros sont nombreux à venir faire vinifier leur production à la coopérative, moins le budget de cette dernière est élevé et moins elle peut investir dans les procédés de vinification les plus modernes.

C'est pourtant grâce à ces procédés que la coopérative pourrait améliorer la qualité du vin qu'elle produit, le vendre plus cher et ainsi mieux rémunérer ses producteurs pour les dissuader de vendre leur récolte aux bodegas. Tel est le plan d'action que voudrait mener le président de la coopérative de Vista Flores, dont la production de vin a enregistré une diminution de 50 % par rapport à l'année précédente : « Actuellement, ce que nous essayons de faire, c'est de produire un vin de meilleure qualité pour le vendre plus cher et engranger des bénéfices. Avec une partie de ces bénéfices, nous allons mieux rémunérer nos producteurs pour les dissuader de vendre ailleurs. Avec l'autre partie, nous allons investir dans du matériel pour nous permettre de produire un vin qui soit chaque fois de meilleure qualité. Entendons-nous bien, je sais pertinemment que je n'arriverai pas à produire un vin d'aussi bonne qualité que celui des étrangers, mais je ne vise pas non plus le même marché. Alors, j'essaye et la qualité de mon vin ne peut en être que meilleure. Car, « au royaume des aveugles, le borgne est roi » » (Entretien n°11).

Les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble vers la qualité ayant été retrouvés à travers leur accès à l'eau, puis distingués d'après les transformations socio-

économiques qui en sont issus, l'accès à la ressource en eau peut être considéré comme un critère pertinent pour aborder les conséquences de la mondialisation sur l'agriculture irriguée d'un pays en voie de développement. Toutefois, il ne s'agit pas ici de faire de l'accès à l'eau l'élément déterminant de la reconversion du vignoble oasien. En effet, si l'eau dans la province de Mendoza est le facteur limitant et son accès un facteur de réussite, elle demeure avant toute chose un facteur de production parmi tant d'autres. La problématique de l'accès à la ressource en eau s'inscrit donc dans celle plus large de l'accès aux facteurs de production que sont l'eau, la terre et la main d'oeuvre.

Ainsi, ce qui semble différencier les « gagnants » des « perdants » de la reconversion du vignoble oasien, c'est leur capacité à investir dans l'innovation technologique pour disposer d'un accès privilégié à ces facteurs de production. Seulement pour investir, il faut avoir du capital et l'investir au bon moment. À cet égard, nul doute que les « gagnants », de par leur capital économique constitué à l'extérieur de la province et la transparence de l'information dans leurs réseaux, avaient déjà une longueur d'avance sur les « perdants ». Ensuite, en investissant dans l'innovation technologique ils ont pu s'assurer un accès privilégié aux facteurs de production, et ce d'autant plus facilement que les coûts de ces facteurs étaient plus faibles que ceux en vigueur dans les pays développés. Ceci engendra un accès fortement différencié aux facteurs de production, dont les « gagnants » profitèrent pour prendre le contrôle des phases de vinification et de commercialisation.

Plus question, désormais, de produire un vin en quantité, mais un vin de qualité qui réponde aux normes internationales afin de pouvoir l'exporter. Ce passage du paradigme de la production de masse à celui de la qualité plaça les « gagnants » en position de force face aux « perdants » à l'offre de raisins atomisée et diversifiée. Les « gagnants » imposèrent donc aux « perdants » des standards de qualité pour mieux contrôler leur production et les maintenir dans un environnement captif en renforçant l'intégration verticale de la filière vitivinicole.

Cette intégration toujours plus verticale constitue une profonde remise en cause du « mythe du terroir européen » qui suppose l'intégration horizontale de la filière grâce au rôle joué par les coopératives. Pourtant, les « gagnants » n'hésitent pas à parler de « terroir » pour qualifier les terres qu'ils ont conquises sur les piedmont... Parmi ces « gagnants », nombreux sont français et connaissent parfaitement la notion de « terroir », alors pourquoi l'invoquer ici ? Ne serait-ce pas un moyen pour eux de territorialiser la vitiviniculture issue de la reconversion du vignoble oasien pour en promouvoir la qualité, et ainsi se défendre du « projet d'entreprise » dont parle ce producteur bourguignon resté en France : « Dans des pays de soleil, avec de l'irrigation à gogo, comme au Chili par exemple, on peut année après année faire des vins extrêmement honorables et tout à fait réguliers, mais qui n'ont absolument pas la notion d'exception des grands terroirs français. Je veux dire qu'il faut choisir et qu'il faut faire un projet d'entreprise : il y a des géants dans le monde qui font des dizaines de millions de caisses de vin industriel. Cela nous ne savons pas le faire et ce n'est pas du tout notre vocation » (site internet de BFM Radio, 02/08/2009) ?

Quoi qu'il en soit, il n'est pas étonnant de voir qu'au jeu de la mondialisation les « gagnants » gagnent et les « perdants » perdent. Les « gagnants » y jouent, en effet, selon des règles qu'ils ont eux-mêmes énoncées, les règles de la qualité, inconnues des « perdants » qui durent les adopter pour ne pas être exclus du jeu. Dès lors, il est possible de conclure que le développement d'une activité créatrice de richesses, en lien avec les marchés mondiaux, exacerbe plus qu'elle ne réduit les inégalités entre les habitants, anciens et nouveaux d'un même territoire.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld