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Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)

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par Etienne Doyen
Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007
  

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La forme des fêtes chapiteaux

Pour tenter de dégager la forme de ces fêtes, nous allons repartir du type de la fête votive proposé par Fournier. Les fêtes chapiteaux semblent assez proches de ces manifestations : elles rassemblent une population relativement jeune, en particulier lors des soirées du vendredi et samedi, et ne constituent pas, à proprement parler, des spectacles ; aller en chapiteau, cela signifie faire la fête, véritablement. La forme des soirées, par exemple, ne permet pas l'existence d'un public : une foule qui danse et qui boit, massée dans un chapiteau obscur et enfumé ne constitue pas en effet un spectacle, et la seule manière possible de s'y rapporter est de faire la fête soi-même.

La proximité avec les fêtes votives est également visible à travers le type de public présent dans ces chapiteaux. Fournier précise dans ses écrits que « les touristes et les néo-résidents en demande de culture régionale » sont peu présents lors des fêtes votives119(*). Ici, effectivement, les activités proposées ne sont pas de nature à attirer des populations en quête de folklore et d'animations « culturelles ». La fête rassemble plutôt un public rural qui est en partie proche du monde agricole, ce qui est visible dans la teneur des activités proposées.

En analysant les programmes, il apparaît effectivement que la dimension agricole n'a pas disparu de ces fêtes. L'organisation de manifestations centrées autour de gros véhicules participe de cette dynamique, comme nous l'avons déjà souligné, tout comme les expositions de vieux tracteurs, les « dîners campagnards », ou encore les « agri-jeux ».

Le symbole d'une de ces fêtes résume bien, à lui seul, cette tendance. La fête de Blandain-Hertain, dont le tract se trouve en annexe II (p. 129), utilise ainsi comme logo un dessin représentant la tête d'une vache affublée d'une cloche et broutant des fleurs. L'utilisation d'une vache comme symbole d'une fête rurale peut sembler aller de soi, si l'on se base sur les représentations ambiantes du monde rural ; mais si l'on adopte une posture d'analyse, il apparaît que ce logo renvoie à l'association classique « agriculture-rural ». Cette association n'est pas anodine et est intéressante pour le travail que nous entreprenons. Elle témoigne du lien privilégié que ce type de festivité entretient avec le monde agricole.

Ces fêtes se distinguent néanmoins des fêtes votives de Fournier dans la mesure où elles sont ouvertes et attirent une importante population extérieure au village. Si les activités proposées correspondent plutôt à un public particulier (la jeunesse agricole), ce public est majoritairement extérieur au village. Certains participants viennent ainsi uniquement pour la soirée du samedi et n'ont aucun lien avec le village. On est donc ici loin de l'ambiance « intimiste » des fêtes votives où les jeunes du village sont « entre eux », et où la majorité des fêtards se connaissent. Aujourd'hui, ceci n'est plus d'application, si ce n'est pour la soirée du vendredi, qui se fait plus « en interne »120(*). Dans ce sens, ces fêtes chapiteaux sont plus proches des nouvelles fêtes de village décrites par Champagne, fêtes ouvertes qui ont plus pour but d'attirer un public extérieur que de régénérer le groupe villageois. Elles comportent donc une forme différente que celle d'une fête rurale classique.

Pourtant, ces fêtes semblent par ailleurs constituer un moment privilégié pour créer et entretenir un groupe. Ceci ne contredit pas ce que nous avons dit plus haut, à savoir que ces chapiteaux attirent un public important qui se déplace pour une soirée plutôt que pour un village, dans la mesure où ces fêtes, à l'image du rural, sont des espaces d'hétérogénéité. Les chapiteaux sont des moments de coexistence pendant lesquels plusieurs populations, animées de logiques différentes, se côtoient. Cela signifie qu'à côté des jeunes qui, comme chaque week-end, viennent « consommer » une soirée du samedi, il y a place pour un rapport différent à la fête, dans le chef des personnes du village. Bien sûr, le temps où « tout le monde se connaissait au village » est révolu. Mais certaines personnes entendent recréer un groupe villageois, à petite échelle, comprenant les personnes « motivées ».

Les conditions d'émergence de ce groupe sont propres à chaque village, mais généralement, le monde agricole agit comme un élément fédérateur, parce que plusieurs villageois perçoivent partager une même condition qui peut les inciter à se rassembler. Cela ne veut pas dire que ce groupe est composé exclusivement d'agriculteurs et d'enfants d'agriculteurs, loin s'en faut ; il rassemble des villageois qui, à un moment donné, trouvent un sens à dire « nous sommes les jeunes du village » et qui se perçoivent une condition commune : ils partagent le même espace villageois. Ce groupe va se construire et se renforcer à travers cette action collective qu'est la fête de village. En faisant partie du comité organisateur, en étant bénévole pendant le week-end ou en venant simplement à la fête, certaines personnes du village éprouvent un sentiment d'appartenance par l'intermédiaire d'une conscience fière à mettre sur pied un tel évènement.

La dynamique qui se joue lors de ces fêtes au niveau de la population locale est extrêmement intéressante. Nous sommes en présence d'une mutation fondamentale de la sociabilité villageoise : alors qu'auparavant, le cadre de la sociabilité locale était le village où, d'une manière quelque peu mythifiée, « tout le monde parlait avec tout le monde », nous assistons maintenant à l'émergence d'une sociabilité élective. Il ne faudrait pas soutenir que désormais « plus personne ne se parle dans les villages ». Il est vrai que de plus en plus apparaît un mode de sociabilité où la distance sociale est le principe premier. Cependant, certains villageois développent entre eux une proximité sociale forte. Cette sociabilité, contrairement au passé, n'est pas érigée en norme : tout qui se sent concerné est libre d'adhérer au projet collectif. Cette dynamique va contribuer à créer un groupe villageois, à échelle réduite en comparaison avec le passé, qui prend la forme d'un « comité des fêtes » ou d'une ASBL, et dans lequel se développe une interconnaissance forte. Tout le village n'appartient pas à ce mini-groupe (certains villageois ne viennent pas à la fête, aussi considérable soit-elle) dans la mesure où l'adhésion à ce mode de relation est libre ; il s'agit d'un choix.

Il est vrai, après tout, qu'un tel évènement est le fruit d'un travail de longue haleine qui constitue l'occasion idéale pour forger un groupe. Pendant plusieurs mois, les organisateurs se rencontrent régulièrement pour mettre sur pied l'évènement, organisant parfois des soupers et des soirées pour récolter des fonds ; ce travail de préparation se termine par une période plus dense (comprenant le week-end de fête ainsi que les quelques jours qui le précédent et le suivent), pendant laquelle ces personnes sont constamment à pied d'oeuvre. C'est dans ce qui constitue un véritable travail commun que le groupe se construit et s'éprouve comme tel. Quoi de mieux, en effet, de fournir ensemble des efforts physiques importants (entre autres, montage du chapiteau), de travailler côte à côte plusieurs heures durant (servir au bar, assurer la restauration, gérer les parkings, etc.) pour créer et entretenir un sentiment d'appartenance à un groupe121(*)?

Ces fêtes semblent en fait assurer la fonction que remplissait autrefois le travail au champ des paysans. Quand les tâches agricoles dépendaient plus des bras des hommes que des moteurs des machines, l'entraide était nécessaire (par exemple durant les moissons) et ce labeur en groupe tissait des liens. C'était en premier lieu à travers le travail en commun que la communauté paysanne se construisait. Aujourd'hui, pour des villageois qui ne sont plus dépendants les uns des autres et qui ne partagent plus une condition paysanne commune, qui de surcroît ne pratiquent que peu l'espace villageois - parce que tout se joue dehors (travail, écoles, commerces et cafés ne se situent plus au village) -, la fête remplit, in fine, la fonction des travaux paysans d'antan : elle permet à un groupe de travailler ensemble dans le cadre d'un projet commun, et par là, de se construire et de se percevoir comme tel.

L'émergence de cette sociabilité élective est finalement porteuse d'une autre mutation fondamentale : quand avant, la communauté villageoise se régénérait en faisant la fête, il semble que maintenant, le mini-groupe villageois se ressource en organisant une fête. Nous sommes ici renvoyés à notre problématique, dans laquelle nous insistions sur le fait qu'actuellement, la fête rurale conserve toujours - et peut-être même plus qu'avant, dans un contexte de rural ouvert et hétérogène - une fonction sociale cruciale de rassembler un groupe et d'entretenir un sentiment d'appartenance à un espace.

* 119 Fournier, op. cit., 2004, p. 718.

* 120 Voyons l'épisode de notre observation à Laplaigne, dans la partie méthodologique.

* 121 Lautman évoque brièvement cette dynamique à propos des manifestations liées au cycle des Ostentions dans la ville de St-Junien (Limousin, France). Lautman F., « Fête traditionnelle et identité locale. Rêve ?... ou recherche d'équilibre politique ? », Terrain, 5, 1985, p. 35.

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