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Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)

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par Etienne Doyen
Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007
  

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La ducasse du mois de juin, fête thématique par excellence : programme hétéroclite, public diversifié, rapport de consommation à l'espace

La fête d'« Art's Thimougies » est à rattacher d'une manière indiscutable à la troisième forme de notre typologie, à savoir les fêtes thématiques et nouvelles fêtes rurales. Cette fête comprend en effet de nombreux traits propres à ce type spécifique de festivités, à commencer par la mise sur pied d'un programme hétéroclite. Les organisateurs désirent « toucher à tout », pour attirer un public aussi large que possible, et les différentes activités et animations proposées dans le cadre de la fête recouvrent un spectre très étendu. À titre d'exemple, l'édition de cette année a proposé, entre autres, les activités suivantes : exposition consacrée aux moulins, foire aux artisans, concerts en tous genres, jogging, Fest Noz avec initiation aux danses bretonnes, théâtre de rue, balades en poney, démonstrations de jumping équestre, ferrage d'un cheval de trait, marche aux flambeaux dans le village pour assister à un spectacle nocturne de danse, feu d'artifice, exposition d'épouvantails, exposition d'icônes, initiation au paintball, fête foraine, aire de jeux ainsi que spectacle sous chapiteau pour enfants, après-midi « accordéon en fête », défilé des « Gilles de Tournai », etc.

Par la distance qui peut séparer une exposition d'icônes d'un ferrage de chevaux, une fête foraine d'un spectacle de danse, ou la pratique du paintball d'une initiation aux danses traditionnelles bretonnes, ce rapide survol du programme permet de prendre la mesure de la stratégie des organisateurs, qui entendent « ratisser » aussi large que possible. Ce calcul est efficace, puisque ce programme hétéroclite attire un public diversifié et nombreux : du vendredi au dimanche soir, ce ne sont pas moins de huit mille personnes qui ont arpenté le village, le pic de fréquentation étant atteint le dimanche après-midi155(*). L'unique rue du village est alors remplie d'une foule dense qui déambule entre les stands des artisans et assiste aux différentes animations. Cette foule, à l'image du programme, est hétéroclite. Le temps de la fête, le village devient cet espace public, ou plutôt, cet espace de consommation où se côtoient des populations aux profils divers, villageois d'origine, néo-ruraux et touristes de passage.

Thimougies, un succès ? Le samedi après-midi en tout cas, dans la rue principale, il n'y pas foule autour des tonnelles des artisans...

... mais cela ne souffre aucune comparaison avec l'affluence du dimanche après-midi. La grande foule se déplace alors, pour consommer denrées et culture.

Les 10 000 personnes présentes durant ces trois jours remplissent les rues du village de leurs voitures. Ces véhicules alignés matérialisent parfaitement l'hyper-mobilité des ruraux.

Plusieurs prairies du village sont également réquisitionnées pour accueillir cette marée automobile.

Comme nous l'avons expliqué lors de la présentation des fêtes thématiques, il est ici difficile de parler de « fête », à tout le moins pour une majeure partie du public présent. « Art's Thimougies » est plutôt un évènement, qui prend place sous la modalité « famille-short-loisir-été ». Cette forme fait écho au rural contemporain, qui remplit de plus en plus une fonction de distraction et de récréation, loin des enjeux du monde de la production. Cette forme du rural comme un espace de loisirs est bien illustrée par l'absence de références dans la fête au monde agricole contemporain, qui incarne justement cette fonction productive. En effet, lors de l'édition de cette année, seule l'agriculture passée - la paysannerie - était quelque peu représentée à travers une exposition de vieux outils agricoles (charrue, essieu de charrette, planteuse de pommes de terre, etc.) et, moins directement, par certains savoir-faire ressuscités dans le cadre de la foire artisanale, dans les stands du cordier ou du vannier. Outre ces re-créations qui s'inscrivent bien dans la fonction externe de la fête et la proposition de ruralité qu'elle constitue, l'agriculture contemporaine est absente.

Ceci n'est pas le cas des fêtes chapiteaux qui présentent une connexion claire avec le monde agricole contemporain et mettent en scène les objets légitimes de ce monde, que sont entre autres les véhicules et les machines aux dimensions imposantes. À travers un gymkhana, une course ou un concours de traction, tracteurs et moissonneuses batteuses sont inscrits au programme de la fête.

Leur absence, à l'inverse, lors de la fête de Thimougies est révélatrice d'une dimension de la ruralité contemporaine, dans laquelle l'agriculture n'est plus l'activité centrale et structurante, tant et si bien qu'il est possible de retrouver des fêtes rurales actuelles qui se structurent hors de toute référence à ce monde. Si les gros tracteurs ne sont pas présents à Thimougies, c'est parce qu'ils ne cadrent pas avec la proposition cohérente de ruralité que la fête constitue. Cette proposition renvoie plutôt, à travers l'artisanat, à l'authenticité, la maîtrise et la production raisonnée respectueuse des équilibres naturels.

Thimougies organise un nouveau type de fête, se démarquant clairement des fêtes chapiteaux de la région. Pourtant, comme la grande majorité des fêtes rurales des environs, elle comporte un chapiteau. Le chapiteau apparaît ainsi être l'objet-type du « monde » des fêtes de village en Hainaut occidental : fête de village signifie, presque immanquablement, présence de d'une ou plusieurs de ces tentes. Sur ce cliché, on peut distinguer, suspendues au plafond, les guirlandes de publicité des autres fêtes de la région. Chaque fête constitue une occasion importante pour les autres comités de faire la promotion de leur évènement.

Dans ce village qui devient un lieu de loisir, le public déambule et consomme. Cette consommation ne se limite pas aux biens matériels ; ce que l'on est venu chercher, c'est aussi sa dose de culturel, de typique, de folklorique. Dans ce contexte, peu importe que les Bretons qui nous initient aux danses traditionnelles soient en fait de Lille, que le cordier ne s'échine plus depuis bien longtemps - excepté lors de la fête, bien sûr - à faire ses cordes lui-même, ou que les « Gilles » ne viennent pas de Binche mais de Tournai, et qu'ils défilent un dimanche après-midi entre des artisans dans une fête de village, hors de tout contexte de carnaval. Ce qui importe, c'est avant tout que ces acteurs performent, habillés de leur costume traditionnel, et reproduisent leurs gestes formalisés.

Le village est ainsi l'enveloppe rêvée pour accueillir ces animations « culturelles ». Le spectacle nocturne de danse organisé à Thimougies cette année constitue, à nos yeux, le symbole de ce changement récent qui voit certaines festivités rurales proposer des animations nouvelles. Pendant deux heures, le public a parcouru « Le chemin des lumières », un itinéraire dans le village agrémenté de plusieurs podiums sur lesquels des danseurs et danseuses exécutaient, sur des musiques mystérieuses, des pas de danse moderne. Équipés de flambeaux, les spectateurs ont défilé à leur rythme pour finalement se rassembler dans une prairie et assister au bouquet final, un feu d'artifice tiré derrière l'église. Ce genre d'animation illustre une fois de plus la rupture du monde rural avec le monde agricole, et s'écarte également des représentations que tout un chacun peut avoir à propos du programme-type d'une « fête de village »156(*). À de nombreuses reprises, nous avons pu mesurer la distance qui peut séparer ces représentations de la réalité. Le cas le plus frappant est sans conteste celui d'une habitante de Thimougies qui ne participe pas à la fête, et qui explique sa position par rapport ce genre d'évènement :

« Mais sinon, je ne peux pas dire... je peux pas dire qu'on s'inclue fort. Je dois avouer qu'on n'est pas très euh... dîner saucisse, village, verre de bière, pinte et tout ça. Donc ça fait beaucoup aussi ça hein. Non pas qu'on... qu'on... qu'on dédaigne ça, hein ! Mais ça ne nous dit rien quoi. »157(*)

Cette représentation est d'autant plus marquante qu'elle est le fait d'une personne habitant un village qui propose justement une fête nouvelle, qui prend distance par rapport aux « classiques » du genre que sont les soirées techno pour jeunes, moiss-batt cross et autres aqua-foot, tels qu'on peut les retrouver dans les fêtes rurales classiques de la région.

Le spectacle de danse organisé lors du samedi soir, « Le chemin des lumières ». Ce genre d'animation illustre une fois de plus la rupture du monde rural avec le monde agricole, et s'écarte également des représentations que tout un chacun peut avoir à propos du programme-type d'une « fête de village ».

 

* 155 Ce chiffre peut monter jusqu'à 10 000 lorsque les conditions climatiques sont favorables. Quant on sait que le village compte 200 habitants, il est possible de prendre la mesure du formidable mouvement de concentration qui s'effectue lors de la fête : le temps d'un week-end, le nombre de personnes présentes dans le périmètre des festivités est cinquante fois supérieur à la population du village.

* 156 Sur le terrain, ces représentations fort éloignées de la réalité sont plutôt, d'une manière systématique et significative, le fait de « tout un chacun » citadin... qui ne participe pas aux fêtes rurales.

* 157 Entretien réalisé à Thimougies le 16/02/07.

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