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Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)

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par Etienne Doyen
Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007
  

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3.2.2.4. Trois fêtes, trois stratégies

À travers la présentation de ces trois fêtes et de ces trois villages, ce sont trois histoires de ruralité qui ont été portées à nos yeux. Trois manières singulières dont la ruralité contemporaine se joue concrètement, aujourd'hui. À chaque fête correspond un contexte particulier, et entre village et fête s'écrit à chaque fois une histoire nouvelle, que l'on peut raconter. Nous sommes ici renvoyés à l'hétérogénéité du rural, non plus intra- mais inter-villages : sous un même vocable, « village », sont regroupées des réalités qui peuvent être radicalement distinctes. Chaque village est particulier ; le local est irréductible. Est-ce à dire, pour autant, qu'il n'est pas possible de remonter au général et que tout discours doit se cantonner au particulier160(*)? Nous voulons nous garder de toute approche dogmatique et pensons que les deux niveaux d'analyse, l'approche par le général, d'une part, l'approche par le particulier, d'autre part, sont également féconds, à condition de ne pas les considérer pour autre chose que ce qu'ils sont, c'est-à-dire des outils, et de les utiliser de manière complémentaire, comme nous l'avons fait dans le cadre de ce travail.

Nous pouvons maintenant revenir rapidement sur les trois histoires de ruralité que nous avons abordées et tenter de synthétiser le propos.

Le carnaval de Willaupuis est fragile. Depuis sa première édition, son assistance n'a cessé de diminuer, pour atteindre aujourd'hui un nombre critique. Prenant plutôt la forme d'une animation pour enfants, la fête n'a rien d'une liesse populaire qui voit les villageois transportés par des émotions intenses. Pour comprendre cette situation, il faut se référer à la forme spatiale et sociale du village : parce que tout se joue en dehors, l'espace villageois n'est plus pratiqué, si ce n'est en voiture. Il en résulte que peu de choses unissent encore naturellement ses utilisateurs. Depuis quelques années, un groupe de villageois a entrepris une action collective autour d'une Maison de village, avec pour but de redynamiser la vie d'un village qui est perçu comme « mort ». Mais le résultat de cette action est mitigé, à tout le moins en ce qui concerne le carnaval, car l'offre de fête n'est pas intéressante. Les activités proposées n'ont rien de spectaculaire, et si elles auraient pu suffire dans un village homogène d'antan, elles ne parviennent désormais plus à attirer un public important, ceci valant pour un public extérieur, mais également au sein même des habitants de Willaupuis : le rapport participants-habitants est de un pour huit.

Basècles, au contraire, peut se targuer d'organiser un carnaval réussi. Cette réussite ne se mesure pas uniquement à l'aune du contentement des participants au carnaval, mais également à l'affluence d'un public extérieur. Dans cette fête, le rapport participants-habitants est de un pour un. Pour expliquer ce succès, il faut une fois de plus se pencher sur l'offre de la fête : axée sur le folklore et la tradition, celle-ci investit un créneau relativement porteur dans notre société contemporaine. Si la fête parvient à mobiliser un nombre si important de participants issus du village (environ 1 200), c'est parce que la forme spatiale et sociale de celui-ci est favorable au développement d'un sentiment d'appartenance. Dans ce qui est un bourg, l'espace villageois est parcouru par ses habitants et est investi d'un sens. C'est ainsi qu'il est possible de les rassembler et de les faire chanter l'hymne de leur village.

Finalement, avec un tel nombre d'habitants, porteurs de surcroît de ce rapport spécifique à leur espace, il n'est pas insensé de postuler que le carnaval de Basècles n'a pas besoin du public extérieur pour survivre. Il dispose d'un vivier suffisamment grand pour réunir le nombre critique de participants nécessaire au succès de la manifestation. Il peut donc se permettre de centrer le spectacle sur le village (c'est l'histoire du village qui est mise en scène dans le carnaval) et peut même « se payer le luxe » de refuser des participants (les sociétés n'acceptent pas de non-Baséclois, sauf s'ils sont parrainés). Le carnaval peut se permettre cette référence forte au village, car sa pérennité n'est pas dépendante d'un public extérieur. Le branchement sur l'histoire du village semble finalement être un calcul très efficace : permettant à la fois de fédérer l'intérieur (en construisant une identité locale fière) et d'attirer l'extérieur (ce créneau est porteur), cette stratégie constitue un compromis efficace qui permet de remplir à la fois la fonction interne et externe de la fête.

Thimougies, enfin, présente une forme spatiale et sociale relativement proche de celle de Willaupuis : une population de 200 habitants, un village résidentiel hors des enjeux de la production, un espace villageois naturellement peu pratiqué. Pourtant, la situation est tout autre. À partir d'une prise de conscience de la « beauté » du village que l'on habite et des atouts potentiels qu'il comporte, une ASBL a été créée (comme à Willaupuis), et a progressivement pris une ampleur considérable, pour devenir l'acteur incontournable du village. Cet exemple doit nous enseigner la leçon suivante : au delà des facteurs objectifs, comme le passé économique, la localisation et la taille d'un village (facteurs qui ont permis, partiellement, de comprendre la différence de forme entre les carnavals de Willaupuis et Basècles), les fêtes - et partant, l'appartenance qui se joue aujourd'hui dans les villages - sont aussi dépendantes de facteurs associatifs.

À Thimougies par exemple, il a fallu, à un moment donné, la présence de villageois capables de proposer un discours qui fait sens et qui peut fédérer un certain nombre de personnes autour d'un projet collectif. La présentation croisée des cas de Willaupuis et Thimougies permet ainsi de montrer que les facteurs objectifs sont largement insuffisants pour cerner la forme spatiale et sociale d'un village, et que, si dans le rural passé, les fêtes étaient des évènements émergeant spontanément de la vie d'un groupe, les fêtes actuelles sont désormais des produits qu'il faut construire et qui sont dépendants de logiques associatives. Le bénévolat y joue un rôle crucial : sans une ASBL, un groupe de jeunes, un comité des fêtes, autrement dit, un groupement de personnes relativement structuré et défini pour les porter, les fêtes actuelles s'éteindraient.

Le rapport participants-habitants lors d'« Art's Thimougies » est de cinquante pour un, ce qui constitue un renversement total par rapport au carnaval de Willaupuis. La clé de ce succès réside dans l'offre proposée par la fête, qui renvoie à un rapport très moderne à la ruralité. À bien y regarder, les animations proposées lors de la fête relèvent du divertissement socio-culturel. Contrairement au spectacle proposé par le carnaval de Basècles, qui a choisi de se brancher sur le passé du village, le programme de Thimougies ne comporte pas de référence au village en lui-même, mais plutôt à une ruralité dans son ensemble, d'une manière assez floue. Le contenu des animations est ainsi accessible à un public plus large : quand la fête devient plus conviviale qu'identitaire, néo-ruraux, étrangers du village et citadins peuvent « se retrouver » plus facilement dans le programme proposé. Il y à fort à parier que si Thimougies organisait une fête présentant un caractère plus centré sur le village, celle-ci ne drainerait pas un public aussi important.

Des trois festivités analysées, « Art's Thimougies » est, sans conteste, la plus moderne. Ceci explique d'ailleurs son succès : c'est parce qu'elle se branche sur un rapport très contemporain à la ruralité qu'elle réussit de la sorte. Si nous revenons à l'analogie du marché des fêtes, nous pouvons constater que Thimougies a « lu » correctement ce marché, et propose une manifestation qui correspond à une demande forte. La fête est parfaitement adaptée à son époque, elle a en fait pris pleinement acte des transformations récentes du monde rural : cette dernière se structure autour d'un rapport au rural comme cadre de vie, ce qui correspond à une tendance montante de rapport à cet espace. C'est ainsi que nous pouvons comprendre le fossé qui la sépare du carnaval de Willaupuis : si ce dernier est un échec, c'est en partie parce qu'il présente une forme dépassée, qui ne fait plus recette actuellement. Il y a un demi-siècle, ce carnaval aurait pu être un succès ; aujourd'hui, il semble éculé.

Mais si cette « fête-loisir » de Thimougies est la manifestation la plus en phase avec son temps, si par ailleurs, comme nous l'avons montré, elle institue un rapport distancié de consommation à l'espace, est-ce à dire que toute dimension d'appartenance a disparu du monde rural actuel ? Point du tout. Et cette fête est exemplaire, car même si en apparence, elle semble la plus détachée de tout rapport identitaire au monde rural, elle comporte pourtant des dynamiques fortes d'appartenance et parvient à fédérer un groupe d'une manière fort efficace - plus efficacement, par exemple, que Willaupuis ne parvient à le faire en s'appuyant sur une forme plus traditionnelle de fête. La spécificité de la fête de Thimougies réside dans le fait que le maintien de sa fonction sociale est tributaire, paradoxalement, de son ouverture. C'est parce que le groupe villageois recomposé est capable de proposer une festivité au monde extérieur qu'il parvient à se fédérer. Le public, par sa présence, valide la fête, reconnaît le village, et fait exister le groupe. L'appartenance se joue dans l'ouverture, et on en arrive finalement à un résultat paradoxal, où le recours au monde extérieur est nécessaire au village pour pouvoir contrôler l'intérieur. La fête s'intègre alors dans un dispositif qui vise à retrouver la maîtrise de son espace. Sur ce point, la fête de Thimougies est remarquable. Elle constitue, nous l'avons dit, la manifestation la plus moderne qu'il nous ait été donné d'analyser, et préfigure probablement la forme des fêtes rurales à venir.

* 160 Nous renvoyons ici à Champagne, qui prône une approche à mi-chemin entre les deux extrêmes que sont le réalisme et le nominalisme. Champagne, op. cit., 1975, p. 64 et suivantes.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo