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Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)

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par Etienne Doyen
Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007
  

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Analyse : une fête-loisir préfigurant une nouvelle forme d'appartenance

Cette forme nouvelle de fête n'est pas sans intérêt, car elle est porteuse de mutations fondamentales. Elle représente un glissement du phénomène de la fête : traditionnellement, celle-ci est un moment local, réservé aux habitants du village. Il semble improbable qu'un étranger y participe, puisqu'il ne partage rien avec le groupe - or, c'est bien ce groupe qui est célébré. Aujourd'hui apparaissent des fêtes-loisir, comme à Thimougies, qui prennent la forme d'évènements accessibles à un public extérieur, pendant lesquels le village se transforme en espace de consommation. Toute dimension sociale n'y est cependant pas absente : un groupe se crée et se régénère toujours, en organisant la fête. Le groupe retire un sentiment de fierté du succès commercial de son évènement, levier puissant pour construire une identité locale. Les critères de réussite d'une telle fête ont également changé : celle-ci ne dépend plus tant du fait que les villageois s'y soient bien amusés, que de la venue d'un public important. Pour les villageois du reste, la fête a plutôt lieu à un autre moment : lors de la préparation.

Un évènement qui mobilise

Résumons le propos. De prime abord, la fête de Thimougies ne semble pas être un moment pendant lequel de grands enjeux se jouent. Pour la majeure partie de ses spectateurs, venant parfois de loin, il ne faudrait d'ailleurs pas utiliser le terme de « fête » mais d'évènement, pendant lequel le village devient un espace de consommation. Cette dimension d'« Art's Thimougies » illustre parfaitement le rapport au rural comme un cadre de loisirs, rapport caractérisé par un faible engagement. L'épisode de la planteuse à patates nous permet pourtant de prendre conscience que même dans cette fête qui semble la plus détachée de tout rapport identitaire au rural, une appartenance à un groupe est construite et entretenue, pour un certain nombre de villageois.

Mais ce n'est pas tout. Au-delà de cette fonction sociale actualisée, si chère à nos intérêts, la fête va encore plus loin. Parce qu'elle constitue le moment pendant lequel le village s'expose au monde extérieur, pendant lequel il se présente sous son plus beau jour, pendant lequel ses différents atouts (moulin, marais, église et orgue, nature) sont mis en avant, cette fête est une vitrine159(*). Par là même, elle n'est pas un moment anodin se suffisant à lui-même : elle s'inscrit au contraire dans un contexte plus large qui la déborde, elle fait partie d'une stratégie à long terme, le projet de village.

Toutes les actions de l'ASBL semblent répondre à une logique d'ensemble : elles convergent toutes vers un projet de maîtrise. Maîtrise de l'espace villageois, tout d'abord : obtenir le label des « Plus beaux villages de Wallonie », c'est empêcher les constructions nouvelles qui ne s'intégreraient pas, du point de vue architectural, dans le village. Ce label constituerait donc une possibilité de contrôler ce qui se construit, réinstaurant le local comme un niveau de pouvoir. C'est le village qui reprend partiellement sa destinée en main dans un univers décisionnel délocalisé depuis la fusion des communes. Dans la logique globale de ce projet qui vise à rendre le village beau, la fête est l'occasion privilégiée d'exposer les atouts de Thimougies, atouts qui ont été ou qui vont être restaurés. À ce sujet, il faut remarquer que les membres de l'ASBL ont développé une connaissance très fine des mécaniques institutionnelles et des différentes sources de financement : Région Wallonne, Province du Hainaut, Ville de Tournai, à chaque niveau de pouvoir ses subsides potentiels, que les villageois connaissent. Ce que l'ASBL entend également obtenir, c'est la maîtrise de la vie sociale du village. Pour ce faire, les villageois sont depuis plusieurs années en demande d'une Maison de village, outil destiné à appuyer l'action de l'ASBL.

La fête s'inscrit dans ce double projet et y joue un rôle important. Elle constitue un levier puissant pour sa réalisation car elle permet de mettre en avant le dynamisme du village et les ressources humaines dont il dispose. L'« accueil des autorités » organisé lors du dimanche de la fête, s'inscrit dans cette ligne : il s'agit de montrer aux édiles communaux la beauté du village, le dynamisme de ses habitants, capables de mettre sur pied un tel évènement, et ainsi, le bien fondé de l'octroi de subsides pour les différents projets de l'ASBL. De cette manière, la fête est un élément crucial dans le « dispositif » mis en place par les villageois pour accéder à une maîtrise de leur espace.

Tous ces éléments nous amènent à esquisser les traits de ce que serait une nouvelle appartenance au village. L'action de l'ASBL au sein du village et la manière dont un groupe se structure au travers de cette action nous amènent à formuler la distinction entre cohésion et mobilisation. Dans un village homogène du début du XXème siècle, l'appartenance au groupe villageois était totale. Il s'agissait d'une cohésion, par laquelle tous se sentaient liés les uns aux autres, à tous points de vue. Il n'était pas possible de sortir de ce groupe, qui conditionnait toutes les dimensions de l'existence. Il en était ainsi car les villageois partageaient une condition commune, la paysannerie, qui constituait une culture de référence.

Dans la situation actuelle de rural ouvert, ce rapport total au groupe n'est plus possible. Les villages sont des espaces d'hétérogénéité dans lesquels il est difficile de trouver les ferments d'une condition commune. L'appartenance n'y a pourtant pas disparu, mais elle s'est transformée. Et le cas de Thimougies nous permet justement de cerner quelle pourrait être l'une de ses nouvelles formes. Au lieu d'une cohésion, l'appartenance prend ici la forme d'une mobilisation. Tout se passe comme si un groupe villageois existait en puissance, un groupe qui deviendrait matière lors d'occasions ponctuelles : lorsqu'il s'agit de mettre une fête sur pied, et qu'un nombre important de bénévoles est nécessaire, lorsqu'il s'agit de rassembler des fonds pour restaurer l'orgue, considéré comme « l'ambassadeur du village », lorsqu'il s'agit de s'opposer à la création de logements sociaux sur la place du village, lorsqu'il faut faire entendre sa voix aux réunions du PCDR pour obtenir une Maison de village, lorsque demain il faudra peut-être s'opposer à un projet destructeur déposé par un promoteur immobilier quelconque, lors de tous ces moments particuliers, le groupe ainsi entretenu doit exister et être disponible.

L'action de l'ASBL, qui entend retrouver la maîtrise de l'espace qui l'entoure, favorise l'émergence de cette nouvelle appartenance. Il ne s'agit plus d'un rapport total à un groupe, mais plutôt d'un lien privilégié qui s'exprime lors de moments localisés. La fête du mois de juin joue un rôle important dans la création de cette nouvelle forme de lien entre villageois, dans la mesure où elle leur donne l'occasion de se percevoir comme partageant un espace commun. Ainsi, le village redevient une entité qui fait sens. Au-delà des barrières qui clôturent les jardins privés, l'espace villageois, réinvesti d'un contenu, fait l'objet d'un projet collectif pour lequel ses utilisateurs sont prêts à se mobiliser.

* 159 J. Bonnet, cité par Fournier, op. cit., 2007, p. 12.

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