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La redistribution doit-elle rendre le travail payant ? étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à  l'emploi.

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par Elie Chosson
Université Pierre Mendès-France (Grenoble II) - Master  2001
  

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Chapitre III. Dépassements et remise en cause de l'arbitrage monétaire entre travail et loisir.

La théorie économique se satisfait donc de l'hypothèse d'agents calculateurs, qui réalisent un choix rationnel entre le travail et l'inactivité en comparant les contreparties monétaires de chacune des situations. Dans ce cadre, la redistribution s'oppose effectivement au travail puisqu'elle offre des revenus aux inactifs, et dévalue donc le travail. Les réformes anglo-saxonnes et françaises, que nous avons présentées, entérinent cette vision négative de la redistribution.

Cependant, cette conclusion n'est pas pleinement satisfaisante, et peut être remise en cause. Tout d'abord parce que la redistribution des richesses est issue d'une construction historique, parallèle au salariat. Ainsi, l'aide sociale, restrictive au départ, et fondée sur la distinction entre aptes et inaptes au travail, s'est progressivement élargie, incluant de façon croissante les personnes aptes au travail dans le versement d'aides, abandonnant donc l'idée d'un véritable arbitrage entre travail et loisir. De même, grâce à la conjonction d'une prééminence des assurances sociales et d'une société de plein-emploi, le conflit entre travail et redistribution a ainsi pu être sinon résolu, du moins mis de coté.

Ensuite, l'idée de l'arbitrage peut être réfutée en montrant que ce qui pousse les individus à travailler est autrement plus complexe que le simple calcul du gain espéré, ce qui limite l'impact potentiellement négatif d'une redistribution trop généreuse. Nous verrons alors que le travail constitue un moyen de réalisation de soi, et qu'il permet de faire société « entre égaux », selon l'expression de R. Castel. De là, on déduit que l'explication la plus probable à la prise de distance avec le monde du travail réside dans une incapacité à chercher et/ou trouver du travail, et dont les déterminants sont largement sociologiques. Nous substituerons donc à un arbitrage travail/loisir un phénomène d'exclusion sociale.

Nous présenterons en dernier lieu la proposition d'allocation universelle, comme un moyen de dépasser le conflit existant entre redistribution et incitation au travail. Si l'arbitrage monétaire est bien réel, alors l'allocation se propose d'en changer les paramètres en dévaluant le travail et en réévaluant l'inactivité. Si les incitations au travail dépassent le cadre monétaire, alors l'allocation universelle permettra de garantir pour chacun un libre choix, sans désinciter au retour à l'emploi.

I. La dynamique historique des interactions entre redistribution et travail.

La protection sociale s'est construite parallèlement à l'industrialisation. Nous sommes passés, petit à petit, d'une société où la communauté assurait la protection face aux aléas de la vie à une société de droits et de devoirs, où la solidarité s'exprime dans un lien entre chacun et la collectivité, par le biais du statut notamment. Mais la redistribution s'est aussi construite parallèlement au salariat et plus largement aux bouleversements de la place du travail dans la société et dans les valeurs morales.

Ainsi, nous sommes passés d'une redistribution de faible ampleur réservée aux individus inaptes au travail, à une redistribution plus massive, allant jusqu'à subventionner des individus inactifs et aptes au travail. Arrivée à ce point là de son développement, il semblerait que la redistribution ait à évoluer de nouveau, mais, cette fois-ci, en opérant un retour aux valeurs fondant l'idée d'une redistribution désincitative et illégitime pour les inactifs.

A. Le travail, valeur fondamentale.

Le XVIIIème siècle entame une rupture dans les conceptions du travail et de l'assistance. Tout d'abord parce que le travail n'est plus dégradant, mais au contraire est considéré comme source de toute richesse, et comme facteur de progrès. Ensuite parce que l'assistance publique se renforce et trouve sa légitimité dans la remise en cause des protections rapprochées mises à mal par l'urbanisation et l'industrialisation. Le rôle potentiellement désincitatif de l'assistance est mis en avant, et la construction des prémisses de l'État providence se fera sur cette distinction entre pauvres aptes et pauvres inaptes au travail.

La conception du travail change profondément, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord en réponse aux bouleversements « infrastructurels85(*) »: les rapports de production évoluent en effet, sous le coup de l'industrialisation. L'industrie, cette nouvelle forme de production, laisse entrevoir aux hommes des perspectives illimitées de gains de productivité, dont le travail est le fondement. A.Smith met ainsi en avant la richesse qui peut être générée par une rationalisation des formes d'organisation du travail. Le travail répond au besoin, nouveau, d'accroître la richesse. Mais le travail n'a de valeur que parce qu'il est le fruit de la liberté individuelle. C'est le désir de chacun de s'enrichir, d'améliorer sa situation qui pousse au travail et permet la création de richesses. Ainsi, les anciens modes de gestion des désaffiliés sont remis en cause. Les lieux de travaux forcés, fondations et hôpitaux ne sont plus justifiés : ces institutions « stérilisent » la force de travail et la création de richesse. L'idée qui s'impose alors est que « toute fabrique nouvelle qui n'est pas le fruit de l'industrie et qui n'a pas pour guide l'intérêt personnel ne peut réussir 86(*)». Ainsi, le désir d'améliorer sa situation devient le moteur de l'industrie, du capitalisme dans son ensemble. L'octroi de subventions aux pauvres capables ne pourra alors être qu'inefficace, puisque le travail ne sera plus la seule réponse à la recherche d'enrichissement.

De plus, l'industrie nécessite pour se développer l'avènement d'un véritable marché du travail. On entend par là la mise en place de rapports d'échanges entre travailleurs et industriels, les travailleurs se proposant de vendre leur force de travail. L'idée qui apparaît pour justifier le traitement de la force de travail comme une marchandise est celle de l'homme libre, du citoyen, qui dispose de sa force de travail. Le travailleur ne se vend pas, il vend sa force de travail. On peut donc faire le négoce de sa force de travail, selon son bon vouloir. Dès lors que la force de travail s'échange, elle fait l'objet des mêmes règles que pour tout autres types d'échanges sur tous les marchés : il n'y a d'échanges qu'avantageux pour les deux parties prenantes. Le contrat est l'expression de cet échange mutuellement avantageux. Si l'échange n'a pas lieu, c'est parce que ses modalités ne conviennent pas à au moins une des parties : l'individu qui ne vend pas sa force de travail le fait parce qu'il n'y trouve pas son compte. Ainsi, l'idée du marché du travail soutient l'idée du travail comme un choix libre, ce qui délégitimise l'aide aux sans-emplois; de plus, cette idée permet de déplacer la responsabilité de la lutte contre la pauvreté, de la puissance publique vers le jeu naturel des forces économiques : le marché du travail sera créateur de richesse et permettra à chacun d'en retirer sa juste part87(*). Le marché du travail est alors la réponse à l'indigence et à la question sociale.

Les changements sociologiques et dans les mentalités qui ont lieu à l'époque accompagnent ce bouleversement des rapports de production. Weber en appelle ainsi à l'ethos de la nouvelle bourgeoisie et à l'esprit protestant, qui se traduit grossièrement par la « valorisation des activités terrestres », qui étaient jusqu'alors méprisées. A.Hirschman évoque lui le recours à la notion d'intérêt économique pour pallier la violence des rapports humains et pour rationaliser la vie en société. On retrouve l'idée du « doux commerce » de Montesquieu, ou de la main invisible qui sera reprise par A. Smith. Il en résulte « une large approbation de la volonté d'enrichissement ainsi que des activités qui en témoignent 88(*)» , c'est-à-dire entre autres, le travail.

Dès lors qu'est attachée au travail une valeur morale, que celui-ci devient le faiseur de progrès, et qu'il structure les rapports sociaux, la mise en place de la redistribution ne pourra se faire qu'en évitant d'entrer en conflit avec le travail. La peur de l'effet désincitatif d'une redistribution trop généreuse s'illustre bien avec la remise en cause du système de Speenhamland, ayant cours en Angleterre entre 1795 et 1834. C'est l'instauration d'un « droit de vivre 89(*)», sous la forme d'une allocation différentielle : un niveau de revenu est garanti à tous, travailleurs ou inactifs, et les gains réalisés au travail sont déduits du montant du transfert (à l'image du RMI ou du RSA socle). Le transfert est indexé sur les prix des produits de base, et vise donc à permettre à tous d'accéder à un certain niveau de vie, jugé comme minimum90(*). Ce système redistributif provoqua les critiques de plus en plus vives de la part d'un certain nombre de penseurs libéraux. Ainsi, les effets désincitatifs de cette allocation sont vivement critiqués. Dès 1797, un observateur affirmait qu'« on trouve des gens qui préfèrent une pension de la paroisse et une vie paresseuse à des salaires élevés en contrepartie d'un dur labeur 91(*)». De plus l'assiduité au travail et la productivité des travailleurs se dégradèrent : la garantie d'un droit de vivre dispensait les individus de tout effort pour conserver leurs emplois. Le travail devenait une sinécure, faite uniquement pour sauvegarder les apparences92(*). Plus grave encore : sous couvert d'aides aux pauvres, le système de Speenhamland engendra un appauvrissement. La baisse des salaires qui s'en suivit, permise par la subvention des actifs pauvres, entraîna une diminution des revenus (ceci d'autant plus que selon Polanyi les barèmes des aides de Speenhamlmand ne furent pas toujours respectés). L'abolition de ce système en 1934 répondra ainsi à la volonté « que la population dépendante soit graduellement mais fermement arrachée à son mode de vie actuel, et exposée à l'influence vivifiante et émancipatrice de la liberté économique  93(*)». L'idée que la redistribution entre en conflit avec le travail sera dès lors ancrée dans les esprits.

La révolution française est aussi imprégnée de cette nouvelle conception du travail et de la redistribution. La loi du 17 mars 1791 affirme la liberté du travail, considérant la vente de la force de travail comme un négoce semblable aux autres: « il sera libre à toute personne de faire tel négoce, d'exercer telle profession, art ou métier que bon lui semble 94(*)». La contrepartie à cette liberté du travail est le maintien ferme du tri des nécessiteux, mais tout en conservant une certaine ambiguïté quant au niveau d'universalité à adopter. Les recommandations du Comité pour l'extinction de la mendicité de l'assemblée constituante font appel à un principe fort : « tout homme a droit à sa subsistance », d'où l'obligation pour la puissance publique de « pourvoir à la subsistance de tous ceux de ses membres qui pourront en manquer 95(*)»; il n'y a pas ici, en apparence, d'opposition entre travail et assistance, puisque on ne s'intéresse pas aux raisons qui poussent l'individu à manquer de richesse : quand bien même il pourrait travailler, il doit être secouru. Cependant, ces recommandations, si elles marquent une évolution nette vers une plus grande générosité et une plus grande universalité de l'assistance sociale, ne seront pas suivies de faits. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1793 proclame ainsi que « la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler 96(*)». Aucun transfert monétaire ne sera versé aux individus aptes au travail. L'assistance peut donc entrer en conflit avec l'activité, et, si elle apparaît comme un devoir moral, il est subordonné au travail présenté comme valeur fondamentale : « le pauvre ne doit pas, par les secours qu'il reçoit du gouvernement, être tout à fait aussi bien que s'il n'avait pas besoin de ces secours », c'est-à-dire s'il était un travailleur méritant.

C'est sur ces bases que les fondements de l'État social sont posés, en ce sens qu'une forme de redistribution est instaurée. La nation se substitue à la « communauté rapprochée » pour secourir les indigents, dans les bornes que nous avons présentées. De même, la République cherche à se substituer à la charité privée, en prenant en charge la gestion des hôpitaux et asiles. L'impôt est prélevé, et pèse sur tous les citoyens « en raison de leurs facultés97(*) », et non plus selon leurs privilèges ou leurs pouvoirs. Un nouveau système fiscal est institué, réunissant quatre prélèvements, baptisés plus tard les « quatre vieilles », qui perdureront jusqu'à la fin du XIXème siècle.

* 85 Infrastructure au sens marxiste du terme, c'est-à-dire désignant l'état des forces productives et des rapports de production.

* 86 Citation de Leclerc de Montlinot, cité in Castel R., Les métamorphose de la question sociale, op.cit. p.284

* 87 A propos de la liberté du travail, la quatrième rapport du Comité pour l'extinction de la mendicité de l'assemblée constituante s'exprime ainsi : « c'est par elle seule que le travail se distribue naturellement dans les lieux où les besoins l'appellent, que l'industrie reçoit son plus grand encouragement, que toutes les entreprises deviennent faciles, et qu'enfin le niveau de la main d'oeuvre, condition si désirable pour la prospérité de l'État, s'établit dans toutes les patries de l'empire ». In Castel R., Les métamorphoses de la question sociale, op.cit. p.300

* 88 A. Hirshman, cité in Méda D., Le travail, une valeur en voie de disparition, 1995, Éditions Aubier. p.75

* 89 Polanyi K., La grande transformation, 2009, Gallimard.

* 90 Le système de Speenhamland était caractérisé par un barème indexé sur le prix du pain. Lorsque le prix d'une miche de pain « coûtera un shilling, alors chaque pauvre et industrieuse personne aura pour son soutien trois shillings par semaine [...] et pour le soutien de son épouse et de chaque membre de sa famille un shilling et six pence ». Recommandation des juges réunis à Speenhamland en 1795 et instituant le « droit à la vie ». Cité in Polanyi K., La grande transformation, op.cit., p.129

* 91 In Rodriguez J. , « De la charité publique à la mise au travail », www.laviedesidees.fr, septembre 2008.

* 92 Polanyi K., La grande transformation, 2009, Gallimard. p.131

* 93 Citation de Mackay T., marchand et penseur libéral anglais à propos de la fin de Speenhamland. In Rodriguez J. , « De la charité publique à la mise au travail », op.cit.

* 94 Cité in Méda D., Le travail, une valeur en voie de disparition, op.cit. p.73

* 95 Cité in Castel R., Les métamorphoses de la question sociale, op.cit p.296

* 96 DDHC de 1793, article 21

* 97 DDHC 1791, article 13.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon