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La redistribution doit-elle rendre le travail payant ? étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à  l'emploi.

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par Elie Chosson
Université Pierre Mendès-France (Grenoble II) - Master  2001
  

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II. Au-delà de l'arbitrage monétaire entre travail et loisir.

On peut tenter de répondre à notre problématique de départ en montrant que l'inactivité ne résulte pas nécessairement d'un arbitrage monétaire entre travail et redistribution, et que d'autres facteurs doivent être pris en compte si l'on cherche à comprendre les incitations à la reprise d'activité et les déterminants du maintien hors de l'emploi.

A. La variété des incitations au travail.

La logique qui vise à rendre le travail payant pour solutionner le problème de la « trappe à inactivité » repose sur l'idée que seul un gain financier est susceptible de motiver le retour à l'emploi. Or, les faits contredisent cette hypothèse : un tiers des allocataires du RMI qui sortent du dispositif grâce à l'emploi n'y trouve pas de gain financier significatif113(*). Donc, des individus, sans-emplois, retournent vers l'emploi pour d'autres motifs que le gain direct et monétaire attendu. Nous présenterons quatre arguments qui confèrent au travail et à l'emploi des avantages « extra-monétaires » : le travail comme réalisation de soi et comme activité créatrice, le travail comme facteur de sociabilisation, le travail comme condition nécessaire au profit du loisir, et, enfin, le travail comme voie d'accès à la citoyenneté sociale.

Tout d'abord, Marx affirmait que «considérer le travail simplement comme un sacrifice, donc comme source de valeur, comme prix payé par les choses et donnant du prix aux choses suivant qu'elles coûtent plus ou moins de travail, c'est s'en tenir à une définition purement négative (...) Le travail est une activité positive, créatrice114(*) ». La motivation au travail n'est donc pas que pécuniaire, car le travail peut être enrichissant. Marx va même jusqu'à identifier humanité et travail, puisqu'il considère le travail comme l'essence de l'homme. Ainsi, le travail permet l'expression de l'individualité de chacun, car l'objet qui est façonné est à l'image de celui qui l'a façonné. L'homme prend donc conscience de lui-même grâce au travail, et, en même temps se démarque. Le travail est donc un fondement de l'estime de soi. La vision que Marx a du travail n'est pas la vision qu'il a du salariat, car, en effet, le travail comme essence de l'homme, c'est-à-dire vivre pour travailler, n'est pas le travail aliéné par l'exploitation capitaliste : travailler pour vivre.

De plus, le travail permet la socialisation des individus, puisque par l'objet qui est produit chacun devient utile aux autres. Marx voit ainsi la socialisation comme le travail qui est réalisé pour les autres : l'échange des fruits du travail permet de reconnaître le travailleur, donc de l'intégrer, et permet de satisfaire un besoin par l'utilisation de l'objet façonné. L'idée d'une socialisation par le travail sera étoffée par d'autres auteurs et d'autres courants de pensée. Il en ressort que la socialisation par le travail passe aussi par l'apprentissage des codes qu'il nécessite, car le travail instaure des coopérations, des relations inter-personnelles qui sont normées, et par les relations extra-familiales qu'il permet. Sans réduire le lien social à la relation de travail115(*), il est clair que ce dernier en est une composante importante.

Ensuite, le travail permet de structurer le temps. Si on pousse la logique néo-classique de l'arbitrage entre travail et loisir jusqu'au bout, dès lors que le coût d'opportunité du loisir est nul, l'individu ne travaille plus du tout et ne se consacre qu'au loisir. Mais que fait-il de tout ce temps ? Nous pouvons parier qu'il travaille, au sens où il entreprend une activité créatrice nécessitant un effort. Le travail peut ainsi être considéré comme un « condiment de plaisir de la paresse 116(*)» : en l'absence totale de travail, au sens d'activité créatrice, mais aussi au sens de temps contraint, le loisir perd toute saveur et tout intérêt. Ainsi, une étude sociologique montre très bien cette importance du travail dans la vie et dans l'identité des individus, en montrant que la perte de travail est fréquemment accompagnée d'une raréfaction des contacts sociaux et des difficultés à se projeter dans l'avenir. Le loisir total entraîne une forme de délaissement : « sans contacts avec le monde extérieur, les travailleurs ont perdu toute possibilité matérielle et psychologique d'utiliser ce temps (...) La forme la plus fréquente d'utilisation du temps chez les hommes est ne rien faire 117(*.

Enfin, le travail salarié permet aujourd'hui d'accéder à un statut, à une reconnaissance sociale, et constitue un élément important de la citoyenneté sociale. La citoyenneté sociale, telle que R.Castel l'entend, est une composante de la citoyenneté démocratique dans son ensemble118(*), c'est-à-dire que la pleine citoyenneté démocratique nécessite pour être réelle un accès à la citoyenneté sociale. Il la définit comme « le fait de pouvoir disposer d'un minimum de ressources et de droits indispensables pour s'assurer une certaine indépendance sociale 119(*. Comment accéder à cette citoyenneté sociale ? Du point de vue des ressources, le travail et la redistribution sont tous deux à même d'en garantir un certain niveau. Mais concernant l'accès aux droits indispensables, la question est plus complexe. Le travail salarié permet encore, quoique de moins en moins, d'accéder à un certain nombre de droits, notamment grâce à la protection sociale, mais aussi grâce au droit du travail qui règle les conditions d'embauche et de licenciement et égalise les rapports de force entre employeurs et salariés. La redistribution a un effet plus ambigu : elle permet à la fois d'éviter les situations de pauvreté qui remettent en cause la citoyenneté sociale, mais génère aussi des rapports de sujétions entre institutions et assistés qui remettent en cause l'indépendance sociale. La redistribution des revenus ne peut donc pas pallier complètement au travail, car celui-ci permet l'autonomie économique. La cohabitation de travailleurs et d'assistés rend plus difficile la constitution d'une « société de semblables 120(*, caractérisée par des « systèmes d'échanges réciproques » ou chacun peut être « traité à parité 121(*)». La réciprocité est fondamentale, et c'est ce à quoi le travail permet d'accéder : contribuer, avec tous, à l'effort collectif, se légitimer, et, in fine accéder à la pleine citoyenneté. Les individus vont donc chercher à travailler non pas seulement pour un salaire, mais aussi pour devenir un membre à part entière de la société. De plus, la protection qui est offerte aux travailleurs du fait de leur statut, renforce cet attachement extra-salarial au travail.

Dès lors que la motivation au travail ne repose plus exclusivement sur le gain monétaire espéré, on peut penser que la redistribution des revenus, et les aides accordées aux inactifs ne sont pas nécessairement la source de la « trappe à inactivité ».

* 113 Guillemot D., et al. « Trappe à chômage ou trappe à pauvreté. Quel est le sort des allocataires du RMI ? » Revue économique , vol.55 n°6, 2002

* 114 In Garner H., Méda D., Senik C., « La place du travail dans les identités », op.cit.

* 115 Bien entendu, l'apprentissage des codes qui permettent de faire société peut se faire ailleurs que dans le travail, tout comme l'élargissement du champ relationnel. Mais dans notre société salariale, le travail reste crucial.

* 116 Lafargue P., La droit à la paresse, 1996, Le Temps des Cerises. p.40

* 117 Étude de Jahosa, Lazarfeld et Zeisel, citée in Garner H., Méda D., Senik C., « La place du travail dans les identités », op.cit.

* 118 L'autre composante étant la citoyenneté politique, c'est-à-dire la citoyenneté telle qu'on l'entend habituellement, et qui est représentée par le droit de vote.

* 119 Castel R., « La citoyenneté sociale menacée », Cités, n°35, 2008/3.

* 120 Castel R., « La citoyenneté sociale menacée », op.cit.

* 121 Ibid.

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