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La redistribution doit-elle rendre le travail payant ? étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à  l'emploi.

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par Elie Chosson
Université Pierre Mendès-France (Grenoble II) - Master  2001
  

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B. L'éloignement du marché du travail.

On peut montrer que la redistribution des revenus n'est pas la source de la désincitation au travail des inactifs bénéficiaires des minima sociaux en rappelant qu'ils sont une majorité à s'inscrire dans une démarche de recherche d'emploi (les trois quarts), ceci avec la même intensité que les chômeurs122(*). De même, il serait absurde de croire que le maintien dans l'inactivité résulterait d'un calcul, puisque « 40% des RMIstes jugent dévalorisante la perception de cette allocation » : l'enjeu du retour à l'emploi dépasse largement le cadre du gain espéré123(*). Pour expliquer cette contradiction entre une recherche active d'emploi et un maintien durable dans l'inactivité, nous nous intéresserons à l'idée d'exclusion sociale. Nous montrerons ensuite précisément quels sont les principales barrières à la sortie de l'assistance.

B.Gazier identifie124(*) deux façons qu'ont les économistes pour concevoir l'exclusion sociale. Tout d'abord l'exclusion comme un « processus interactif », résultat des comportements des agents issus de calculs économiques rationnels et de choix volontaires. C'est cette conception qui sous-tend les réformes visant à accroître les gains monétaires au retour à l'emploi. Ensuite, l'exclusion sociale peut être conçue comme un « processus anonyme », conséquence de mécanismes institutionnels et de grandes tendances sociétales, soit en raison du fonctionnement même du capitalisme et du marché du travail, qui nécessite pour son bon fonctionnement la présence d'une « classe de sur-numéraires », soit par l'émergence d'une classe d'individus « non-compétitifs », mis hors-jeux par leurs caractéristiques individuelles, et insérés dans un cercle vicieux où une difficulté individuelle génère de nouvelles difficultés. L'exclusion sociale comme « processus anonyme » est soutenue par les nombreux arguments permettant de penser que le travail possède intrinsèquement des avantages et peut être désiré pour lui-même : le non-retour à l'emploi peut alors être considéré comme subi, puisque l'emploi apparaît comme intrinsèquement désirable.

Le véritable problème de la trappe à inactivité réside donc bien dans l'éloignement des bénéficiaires du marché du travail. Cet éloignement peut posséder des sources diverses dont principalement une carence de formation, l'isolement et la pauvreté.

Ainsi, si la capacité à mobiliser des relations sociales est déterminante dans l'accès à des emplois de qualité et durables, donc dans la sortie de la dépendance, les allocataires du RMI mobilisent moins le réseau relationnel que les personnes sans-emplois et touchant les allocations chômage. Ceci provenant en partie du fait que les allocataires du RMI sont jeunes (21% des allocataires ont moins de 29 ans125(*)), donc ayant un carnet d'adresses professionnelles plus léger. De plus, de nombreux allocataires du RMI le deviennent après avoir épuisés leurs droits aux allocations chômages, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas exercé d'activité professionnelle depuis plus longtemps en moyenne que les chômeurs, ce qui entraîne une perte de contact avec d'éventuels employeurs. Il en résulte que les RMIstes font en moyenne plus appel au service public de l'emploi (77,5%126(*)) qu'aux relations personnelles (65%). Ceci est aggravé par le niveau de formation des individus : si 76% des RMIstes ayant un diplôme supérieur au baccalauréat font appel au réseau personnel dans leur recherche d'emploi, ce n'est le cas que pour 61% des RMIstes sans aucun diplôme127(*). De plus, les plus diplômés sont aussi ceux qui diversifient le plus les modalités de recherche d'emploi (plus de quatre modes de recherches en moyenne pour les personnes ayant un diplôme supérieur au baccalauréat, seulement trois pour les sans diplômes). Or, près de 79% des RMIstes, 80% des bénéficiaires de l'ASS, et 81% des bénéficiaires de l'API n'ont pas atteint le baccalauréat, et respectivement 42,2%, 40,9% et 37,7% d'entre eux déclarent n'avoir aucun diplôme128(*).

On entrevoit ici une difficulté qui s'impose aux allocataires de transferts désireux de travailler qui est la limitation subie du champ de recherche. Ceci est d'autant plus préoccupant que le repli sur les services publics de l'emploi suite à une carence du réseau relationnel a pour conséquence une diminution de la qualité des emplois. Ainsi, plus de 70% des emplois trouvés grâce au service public de l'emploi sont des contrats aidés ou des stages rémunérés, contre à peu près 25% pour les emplois trouvés de façon autonome. De même, seulement 5% des emplois trouvés par le service public sont des CDI contre 22% pour la recherche indépendante. Cette difficulté à faire jouer les réseaux de relations se trouve confirmée par le ressenti des allocataires : 25% des RMIstes et 16% des allocataires de l'AAH et de l'API disent ressentir un isolement129(*). Cette souffrance déclarée recoupe la situation familiale effective des allocataires : 59% des allocataires du RMI sont des hommes ou des femmes sans enfant, et 23% des femmes seules avec enfants130(*).

Ensuite, outre son impact sur la capacité à mobiliser une diversité de modes de recherches d'emplois, le niveau de formation conditionne largement l'employabilité des allocataires et leur chance de sortie de l'inactivité. Les allocataires jeunes sont faiblement expérimentés, donc peu attractifs pour les employeurs. Les allocataires âgés sont en décalage par rapport aux compétence requises. Ceci est accru par l'apparition depuis les années quatre-vingt-dix de « nouvelles normes d'emplois 131(*)», où la sélectivité est accrue et porte de plus en plus sur de nouveaux critères, comme par exemple la responsabilité, le capacité d'initiative et d'autonomie. Ce faisceau de compétences est directement issu du capital social, du capital culturel, du niveau de formation, c'est-à-dire d'autant de paramètres qui sont indépendant de la seule volonté de l'individu. Et, si le besoin de formation est avéré, y accéder est souvent difficile pour les allocataires. Outre la démotivation, des contraintes matérielles peuvent en effet intervenir, comme le financement de la formation, par exemple, qui n'est pas toujours pris en charge, ou le temps long de la formation. Les allocataires justifient leur entrée dans une assistance durable par la difficulté d'accéder à une formation en raison d'un découragement, d'une trop grande complexité, ou de trop faibles rémunérations liées aux stages132(*).

La situation financière peut aussi favoriser le maintien dans l'assistance. La recherche d'emploi repose sur la motivation mais aussi sur les moyens disponibles pour réaliser les projets. Ainsi, de nombreux allocataires disent nécessiter un moyen de transport133(*), ou la mise à disposition de moyens pour la garde d'enfants134(*) (aides financières, conseils) avant de débuter une recherche active d'emploi. On peut noter en dernier lieu que 8% des RMIstes déclarent que leurs problèmes de santé sont à l'origine de leur maintien hors de l'emploi.

Chaque difficulté que nous venons de présenter renforce d'autres difficultés, et éloigne un peu plus l'allocataire de l'emploi : on a donc un processus cumulatif. Ce processus a été mis en évidence par G.Myrdal, pour qui « un processus social tend à prendre un caractère cumulatif et à gagner de la vitesse à un rythme accéléré 135(*)». La dynamique des inégalités est alors la conséquence des interactions entre plusieurs facteurs qui se renforcent mutuellement. La pauvreté, le déficit de formation, la dégradation des conditions de santé, la criminalité sont quelques-uns de ces facteurs identifiés par Myrdal dans son étude de la situation des afro-américains. Dans le cas des allocataires de minima sociaux, on retrouve ce cumul : mauvaise formation, faible accès à l'enseignement public, mauvaises conditions de santé, pauvreté, démotivation, cassure des liens sociaux. Certes, tous les allocataires ne relèvent pas de cette mécanique : par exemple de nombreux jeunes sont allocataires pour un temps court, comme une transition entre deux situations d'emplois, une « assistance différée ». Mais, il existe d'autres postures d'allocataires, caractérisées par S. Paugam comme une « assistance installée » ou « revendiquée », où la motivation au travail est faible ou nulle, en raison des facteurs que nous avons mentionnés plus haut, et après un temps long de maintien dans l'assistance.

Les déterminants du retour à l'emploi pour les allocataires de minima sociaux sont donc autrement plus complexes que l'idée du calcul monétaire rationnel, et la redistribution n'est donc pas la principale source de la « trappe à inactivité ». Les allocataires du RMI s'inscrivent majoritairement dans des démarches de recherches d'emplois, mais se heurtent à des difficultés importantes, et font souvent l'objet d'un cumul de problèmes qui interagissent sous la forme d'un auto-renforcement. L'incitation monétaire au retour à l'emploi n'impactera pas toutes ces situations où l'inactivité ne résulte pas d'un choix rationnel et calculateur, et s'avérera donc peu efficace.

En mettant en évidence la diversité des incitations au travail ainsi que l'existence du phénomène d'exclusion sociale des allocataires de minima, nous avons pu montrer que la redistribution des revenus n'est pas nécessairement la source de la trappe à inactivité.

* 122 Rioux L., « Les allocataires du RMI: une recherche d'emploi active mais qui débouche souvent sur un emploi aidé », INSEE Première, n°720, 2000.

* 123 Pla A., « Conditions de vie et accès à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux »., Données Sociales : La société française, 2006. A noter que ce chiffre est beaucoup plus faible pour les allocataires de l'AAH et de l'API.

* 124 In Paugam S. (sous la dir.), L'exclusion, l'état des savoirs, édition la découverte.

* 125 Calcul sur la bas des données de la CAF.

* 126 77,5% des RMIstes en recherche d'emploi se sont adressés au service public de l'emploi.

* 127 Rioux L., « Les allocataires du RMI : une recherche d'emploi active mais qui débouche souvent sur un emploi », op.cit.

* 128 Pla A. « Sortie des minima sociaux et accès à l'emploi », Études et Résultats, n°567, 2007

* 129 Pla A., « Conditions de vie et accès à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux », op.cit.

* 130 Calcul sur la bas des données de la CAF.

* 131 Dubar C., in Paugam S.(dir.), L'exclusion, l'état des savoirs, op.cit.

* 132 In Paugam S., La disqualification sociale: essai sur la nouvelle pauvreté, 2000, PUF, coll. « Quadriges ».

* 133 20% des RMIstes sans emploi déclarent avoir besoin, pour rechercher un emploi, d'un moyen de transport. Sondage TNS-Soffres

* 134 10% des RMIstes sans emploi disent avoir besoin, pour rechercher un emploi, d'une aide à la garde d'enfants. Ibid

* 135 Citation de Myrdal in Frobert L.,Ferraton C., « Gunnar Myrdal, l'économie comme science morale », L'Économie Politique, n°20 2003

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