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La redistribution doit-elle rendre le travail payant ? étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à  l'emploi.

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par Elie Chosson
Université Pierre Mendès-France (Grenoble II) - Master  2001
  

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B. Impôt optimal et emploi.

Cependant, les hypothèses du modèle que nous venons de présenter sont irréalistes à bien des égards, notamment concernant les comportements des offreurs de travail et l'objectif maximisateur de la puissance publique.

Ainsi Piketty modifie le modèle Mirrlees-Diamond en postulant un comportement des agents différent : plutôt que de savoir si les agents modifient le nombre d'heures de travail offertes, il suppose que c'est l'incitation à chercher du travail, et l'incitation à changer d'emploi pour atteindre une meilleure situation ou obtenir un avancement qui sont impactés par le taux marginal d'imposition. Il s'intéresse donc à la marge intensive de l'offre de travail42(*). C'est l'effort et la motivation des agents qui sont évalués. Il distingue trois catégories de population: les sans-emplois, les bas salaires, et les hauts salaires. Chacune dispose d'un niveau de salaire (nul pour les sans-emplois, w1 pour les bas salaires, w2 pour les hauts salaires), d'un revenu disponible (respectivement y0, y1 et y2) et rassemble un nombre d'agents (m0, m1 et m2). y0 représente un transfert monétaire alloué à tous les individus, et qui constitue l'unique revenu des sans-emploi. Le taux marginal effectif d'imposition lors du passage du non-emploi vers l'emploi, (T0), est représenté par : (cf.Annexe 7) 43(*)

Si l'État décide de faire croître T0 en le faisant passer à (T0+ dT0), deux effets se feront jour. D'un côté une hausse des recettes consécutive à la hausse d'impôts payés par tous les salariés sur leur fraction de salaire inférieure à w1 (pour faire croître To, il faut que y1 diminue, donc que le taux d'impôt sur les bas salaires soit plus important). De l'autre côté la baisse de l'écart (y1 - y0) entraîne une désincitation à trouver un emploi, donc une augmentation du nombre de personnes restant au chômage et une baisse des travailleurs à bas salaires. Ainsi, si (y1 - y0) augmente de 1% alors une proportion supplémentaire de chômeurs égale à e0 % trouve un emploi à bas salaires, et inversement dans le cas d'une baisse de l'écart. Il y a donc une baisse des recettes, en raison de cette désincitation au travail de même qu'en raison d'une hausse des taux d'imposition s'appliquant à toutes les catégories de salaires supérieurs (ceci est nécessaire si l'on suppose que les taux marginaux ne sont pas modifiés pour les autres catégories d'individus). Le taux marginal optimal To* qui égalise les deux effets est :

Pour la transition des bas salaires vers les hauts salaires, l'expression du taux marginal optimal est proche, avec e1 l'élasticité de probabilité de transition associée à une variation de (y2 -y1). On a :

Dans son article, Piketty reconnaît que la conclusion est proche de celle du modèle Mirrlees-Diamond, et exprime « la même logique » : si le taux marginal effectif décroît avec l'élasticité-revenu de l'offre de travail dans le premier cas, Piketty fait décroitre le taux marginal avec l'élasticité de probabilité de transition, pointant l'importance du gain de revenu espéré dans le choix de chercher -ou pas- un emploi.

L'intérêt de la formulation proposée par Piketty est de distinguer les sans-emploi des personnes en emploi, et donc de permettre une comparaison aisée entre T0 et T1. Par exemple, si les sans-emploi et les bas-revenu ont la même élasticité de transition, T0* sera supérieur à T1*, ceci s'expliquant comme avec Mirrlees-Diamond par le nombre de personnes ayant un revenu plus élevé44(*). Pour maximiser les recettes publiques, et donc le niveau de transferts sociaux Y0, il semble donc préférable de désinciter à l'emploi et de taxer de façon importante les bas revenus, plutôt que de pénaliser les hauts revenus. Ce constat est extrêmement paradoxal : pour venir en aide aux plus démunis, il faut privilégier la dépendance à l'aide publique plutôt que la sortie autonome de la pauvreté par l'emploi. L'intérêt du modèle présenté est justement de pouvoir dépasser ce paradoxe. En identifiant clairement deux taux optimaux pour deux catégories distinctes de populations, Piketty permet de faire apparaître la possibilité d'un arbitrage entre eux, afin de savoir lequel augmenter et lequel réduire. Si l'objectif social est la maximisation des recettes, alors l'arbitrage en faveur d'un taux marginal pesant sur l'accès à l'emploi plus élevé que le taux pesant sur la transition entre bas et hauts salaire a déjà été démontré. Cependant, on peut suivre Piketty et adjoindre à ce premier objectif celui de faire croître l'emploi. Il note en effet: « la redistribution fiscale socialement optimale dépend donc du poids relatif que l'objectif social accorde à la réduction du chômage d'une part, et au niveau de transfert (Y0) dont bénéficient ceux qui n'ont pas pu trouver d'emploi d'autre part »45(*). L'État peut ainsi chercher à diminuer T0 en dessous de son niveau optimal pour les recettes publiques T0*, afin de susciter une hausse de l'offre de travail à bas salaires. Pour que l'effet sur le budget soit atténué ou nul, il convient de faire croître T1 dans des proportions suffisantes. On finance donc des créations d'emplois en reportant leur coût sur des hausses d'impôts portant sur les hauts revenus. Ceci peut fonctionner dès lors que l'élasticité de transition du chômage vers l'emploi est suffisante. Les études sur l'élasticité de l'offre de travail semblent montrer des élasticités de l'offre de travail pour la transition du non-emploi vers l'emploi comprises entre 1 et 1,5. Ces estimations sont notamment basées sur une étude de N. Eissa et J.B. Liebman qui évalue l'effet de la réforme de l'EITC en 1986 sur l'offre de travail des mères célibataires : la hausse des montants distribués a entraîné une hausse de 2,8 points de pourcentage du taux d'emploi des mères célibataires. De même, Card et Robbins se sont servi de l'expérience contrôlée menée au Canada entre 1992 et 1998 et visant la mise en place d'une incitation au travail pour les chefs de familles monoparentales. L'effet de ce programme, intitulé Self Sufficenciy Project a pu être évalué précisément grâce à la présence d'un groupe contrôle et d'un groupe de traitement percevant un supplément de revenu consécutif au retour à l'emploi permettant de doubler les revenus du travail. Lors de la première année de l'expérience, le taux d'emploi du groupe traitement croît de 21 points de pourcentages, contre une hausse de seulement 6 points de pourcentages pour le groupe contrôle. L'étude canadienne aboutit à des élasticités de transition entre non-emploi et emploi oscillant entre 1 et 1,5, l'étude de Eissa et Liebman aboutissant à des élasticités proches de 1. Si ces estimations de l'élasticité de l'offre de travail sont correctes46(*), alors il sera peu coûteux et très efficace de lisser le bas de la courbe des TMEI : en diminuant les TMEI appliqués à la transition vers l'emploi, on accroit (y1-y0) ce qui fera croître dans une proportion importante l'offre de travail à bas salaires des sans-emplois. Dans le même temps, plus les élasticités de transition vers l'emploi (e0) sont élevées, et plus e0 est supérieur à e1, plus il sera intéressant de financer cette hausse de l'offre d'emploi des inactifs par une hausse des TMEI appliqués au passage d'emplois peu payés (w1) à des emplois mieux payés (w2), c'est-à-dire une hausse de T1.

En changeant de focale, c'est-à-dire en se fixant comme objectif l'emploi et non pas la maximisation des recettes fiscales, Piketty démontre que la redistribution peut, en se réformant, c'est-à-dire en diminuant les TMEI appliqués aux inactifs et en augmentant les TMEI appliqués aux hauts revenus, devenir l'alliée de l'emploi et non plus son ennemi. Cependant, il faut rappeler que l'action sur l'incitation de l'offre de travail ne sera pas suffisante : il faut que la demande de travail soit à même d'absorber ce surplus d'offre. On peut mettre en avant le fait qu'en subventionnant l'emploi, ce type de mesures pourra permettre d'accroître l'acceptabilité des bas salaires pour les travailleurs, ce qui peut être un stimulant pour la demande de travail. On pourrait toutefois imaginer, dans une optique kaleckienne, qu'une simple hausse des salaires permettrait du même coup d'accroître l'incitation au travail et la demande effective, donc in fine la demande de travail.

* 42 On entend par « marge intensive » le nombre d'heures de travail offertes et la motivation à l'emploi. La « marge extensive » de l'offre de travail désigne quant à elle le choix binaire de travailler ou de ne pas travailler.

* 43 Ceci correspond à la formule du TMEI présentée Chapitre I partie III.

* 44 Avec e0 = e1,, et si l'on suppose une fonction de répartition des salaires suivant une loi normale, on a :

[m0e0 / (m1+m2)] < [m1e1 / m2]

Donc, T0* est bien supérieur à T1*.

* 45 Piketty T., « La redistribution fiscale face au chômage », op.cit. p.181

* 46 On peut cependant en douter : ces études reposent principalement sur l'analyse de l'offre de travail des femmes, qui est généralement plus forte que l'élasticité des hommes. Il faudrait donc envisager des élasticités plus faibles.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry