1.2 « Mouvement Culturel » et « Diffusion
»
Difficile de définir un mouvement culturel puisque c'est
une notion qui associe deux termes. Toutefois elle apparaît dans les
deux définitions du mot « punk » données plus haut, et
il faut donc nous situer par rapport à cela. Quant à la
diffusion, c'est le thème principal de ce mémoire et bien
que sa signification semble évidente, il convient de
cadrer l'ensemble de notre réflexion au niveau sémantique.
Pour définir ces mots-clés, nous nous appuierons
sur deux sources bien différentes mais complémentaires : Le
Trésor de la Langue Française et le « Robert Plus » de
2007. La première est un dictionnaire sur internet très complet
et parfois même trop, où l'on se perd vite dans les exemples et
les hyperliens, mais il permet au moins de faire le tour de la question sans
passer à côté d'une éventuelle signification plus
rare des termes recherchés. La seconde est un dictionnaire papier,
beaucoup plus simple et, là encore, parfois même trop. On a donc
un point de vue nettement plus concis qui va droit au but.
De ces deux sources nous ne citerons que les passages pertinents
dans le cadre de notre recherche.
Selon le Trésor de la Langue Française :
MOUVEMENT : Action collective qui vise
à infléchir une situation sociale ou politique. Mouvement de
grève; mouvement d'insurrection.
e) Groupement, parti, organisation qui animent
des actions visant au changement politique ou social. Mouvement politique,
syndicaliste; mouvement de résistance, de libération; mouvement
fasciste, réformateur; mouvement de libération de la
femme.
Et aussi :
Déplacement en groupe de personnes ou d'animaux ayant
adopté un même comportement sous l'effet de causes diverses.
Mouvement de foule; mouvements de migration de certaines espèces
animales : on peut estimer que les progrès démographiques de la
république de Géorgie sont largement dus à la
natalité des autres nationalités; et que le poids croissant des
Géorgiens dans la république est davantage l'effet de
mouvements migratoires que celui d'un progrès de la
natalité. H. CARRÈRE D'ENCAUSSE, L'Empire
éclaté, Paris, France Loisirs, 1979 [1978], p. 66.
P. ext. Animation, remue-ménage, agitation : la
famille royale se dispersera dans le mois prochain, ainsi qu'une partie du
corps diplomatique, et du mouvement le plus rapide nous allons
passer au repos le plus complet. CHATEAUBR., Corresp., t. 2, 1821, p.
234
.
CULTUREL : En parlant d'associations,
de moyens de communication] Qui diffuse de la culture. Groupements
familiaux, professionnels, culturels, sportifs, artistiques, religieux
(RICOEUR, Philos.
volonté, 1949, p. 141). Quelques camarades
qui l'aidèrent à organiser à Reuilly un premier centre
culturel (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 180)
Et Selon le « Robert Plus » 2007 :
MOUVEMENT : fig. 1 Changement,
modification. Les mouvements de l'âme, mouvement d'opinion. 2
Action collective (spontanée ou dirigée) tendant à
produire un changement social. Mouvement de grève. Organisation
qui mène cette action. Mouvement syndical, artistique.
CULTURE : Ensemble des aspects
intellectuels, artistiques d'une civilisation. La culture orientale.
Ensemble des formes acquises de comportement dans les
sociétés humaines. Nature et culture.
En associant ces différentes assertions, nous gloserons
en affirmant qu'un « mouvement culturel » est une action artistique
collective. Dans le cadre du punk/hardcore, étant donné la
dimension sociale de son discours et de ses moyens de diffusion
indépendants, nous rajouterons l'aspect intellectuel de la chose visant
à bousculer l'ordre établi, et à agir de manière
parallèle à celui-ci.
Parce qu'il implique plusieurs personnes dont beaucoup de
musiciens, mais aussi de journalistes et de cinéastes, et parce qu'il
prend position sur des questions de société (et l'on peut voir
que les 2 définitions de « culture » utilisent le mot «
société ») et de politique, le punk/hardcore est bien un
mouvement culturel.
Blanchet et Coste 2010 disent quant à eux, que la culture
est un « ensemble d'oeuvres patrimoniales et/ou de
stéréotypes nationaux ».
Cette définition nous permet de mettre en avant le fait
que le punk/hardcore est un mouvement culturel transnational et qui ne peut
donc pas rentrer dans des « stéréotypes nationaux ».
Musicalement parlant, un groupe français ne sera pas très
différent d'un groupe japonais, et si les deux chantent en anglais,
alors la nationalité du groupe sera tout simplement indécelable.
L'appartenance au mouvement prend alors le pas sur la nationalité et
efface les frontières. On se retrouvera plus dans cette
définition donnée par M. Abdallah-Pretceille en 2003 : « Les
cultures se définissent moins par rapport à une somme de
caractéristiques et de traits communs que par rapport aux relations et
interactions entretenues entre les individus et les groupes. Le temps n'est pas
aux nomenclatures ni aux monades mais au contraire aux bigarrures, aux
métissages, aux transgressions car chaque individu a la
possibilité de s'exprimer et d'agir en s'appuyant sur des codes de
référence
librement choisis ».
Si dans bon nombre de situations on peut mettre en doute le
libre choix de ses codes de référence (pour les
sociétés très religieuses par exemple), cela s'applique en
revanche parfaitement pour la culture punk/hardcore, dont les membres ont tous
choisis à un moment de leur vie de s'affranchir des codes imposés
par la société et la culture ambiante pour faire partie de cette
culture internationale et marginale.
DIFFUSION :
Selon le TLF : Action de transmettre, de propager et
résultat de cette action.
1. Action de propager une idée, des connaissances, des
techniques ou de distribuer un bien dans un large public et résultat de
cette action. Diffusion de la culture, du français à
l'étranger; diffusion de la richesse. La résistance, souvent
violente, des français à la diffusion du protestantisme
(BAINVILLE, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 153).
2. [En parlant d'un ouvrage imprimé, d'un journal,
d'un tract, etc., et, p. ext., d'un disque ou d'un film] Action de le
distribuer dans le public. Tu as eu tort, ma chère amie, de
favoriser la diffusion de la Croix dans le département (FRANCE,
Bergeret, 1901, p. 265) :
Selon le « Robert Plus » 2007 : Action de diffuser,
fait de se répandre. ? DIFFUSER : 1. Répandre dans toutes les
directions. 2 Transmettre par la radio, la télévision. 3. fig.
Répandre dans le public. Diffuser une nouvelle.
Deux notions essentielles ici pour notre objectif de diffusion
: « répandre » ou « propager » et « public
». Nous avons un objet à propager, la langue française, dans
le cadre des journées de la francophonie, à un public, celui
présent au concert.
Il faut toutefois nuancer ce propos, dans la mesure où
je revendiquerai à plusieurs reprises dans ce mémoire, le fait
que la langue française ne doit pas selon moi être l'objet de la
propagation d'un message (« Il faut parler français et
défendre cette langue ») mais le canal, le moyen de propagation
d'un message («Ce message que je vous fait passer, je l'énonce en
français »).
La notion de public est par contre essentielle : pour propager
un message il faut au moins un locuteur et un destinataire. Mais plus le nombre
de destinataires est élevé, plus le message est
propagé.
Toutes ces définitions nous permettent de mieux cerner
la problématique du français et de la diffusion du
français dans le mouvement culturel punk/hardcore. Cette culture ou ce
pan de la culture (qui inclut donc principalement un style de musique, mais
aussi l'édition de fanzines, l'organisation de spectacles vivants, la
création visuelle à travers les affiches et les pochettes de
disque) permet donc la diffusion d'un discours, d'une façon de penser
et/ou de vivre à travers les langues qu'utilisent ses membres et ses
acteurs.
2) Présentation de la scène
punk/hardcore
Cette étude de cas ne s'intéresse donc ni
à une zone géographique, à une classe sociale ou à
une classe d'âge mais à un mouvement culturel international et
nécessite comme les autres un rappel historique. Nous allons donc tenter
de résumer 35 ans de punk.
La musique punk est née à Londres en 1976 avec
des groupes aujourd'hui entrés dans l'histoire du rock comme the Clash,
the Sex Pistols, The Damned ou The Buzzcocks. Pour beaucoup, le mouvement s'est
éteint aussi vite qu'il avait surgi, en 1978, avec la mort du bassiste
des Sex Pistols Sid Vicious. D'ailleurs, l'un des ouvrages les plus complets
sur cette période (« Punk. » de Stephen Colegrave et
Chris Sullivan) affirme que « L'ironie du punk, c'est qu'à peine
baptisé et défini, il cessa d'exister. »
« You can kill the protester But you can't kill the
protest » (Anti-Flag)
Alors, si les groupes précurseurs de Londres
n'étaient effectivement plus d'actualité dans les années
80, la révolte et la musique punk avaient toutefois eu le temps de se
propager, notamment aux EtatsUnis, chez une jeunesse tout aussi
révoltée. Après Thatcher en Angleterre, l'Amérique
connaissait l'ultra-conservatisme de Reagan. Les punks de Londres avaient
montré que l'on pouvait former un groupe de rock sans être un
virtuose de la musique, mais étaient gérés par des
managers qui s'occupaient de la distribution, de la production, du
merchandising des groupes. Les jeunes américains du début des
années 80 prouveront qu'en plus de faire soi-même de la musique
qui nous ressemble, on peut aussi créer des réseaux de production
de disques et d'organisation de concerts :
c'est la naissance du Do It Yourself, ou DIY, Fais-le toi
même, avec des groupes comme Dead Kennedys (et le label Alternative
Tentacles), Bad Religion (dont le guitariste Brett Gurewitz créera vite
Epitaph records, aujourd'hui l'un des plus gros labels indépendants du
monde) ou encore Black Flag. En 1981, le groupe canadien DOA sort un album
intitulé « Hardcore 81 », et le terme noyau dur,
« hardcore » perdurera pour désigner ce mouvement musical
alternatif.
Dans le même temps, au Royaume-Uni, naît
(déjà !) le mouvement « punk's not dead » avec les
groupes Exploited et GBH qui poussent la provocation encore un peu plus loin
avec des looks toujours plus extrêmes (crêtes colorées,
blousons cloutés) et surtout une musique plus brutale et rapide avec des
paroles simples au slogans sans ambiguïté (« I believe in
anarchy », « I hate cop cars »). Parallèlement, des
groupes comme Crass ou Discharge à Londres créent le mouvement
« Anarko-punk », plus politique que musical, et prônant un
rejet total de la société telle que nous la connaissons : c'est
le début des squatts, du mouvement « vegan »
(végétalien) et de la musique crust.
La France voit quant à elle naître le « rock
alternatif » (voir chapitre « punk en France »).
Depuis, avec des hauts et des bas, le mouvement punk/hardcore
est actif sur la quasi-totalité de la planète, de l'Argentine au
Canada, de l'Espagne jusqu'au Japon, même l'Indonésie ou la
Malaisie produisent des groupes. Diverses branches musicales se sont
créées (post-punk, crust, pop-punk, psychobilly, grindcore,
emocore, garage, et pléthore d'autres sous-sous-genres), et par souci de
simplification, nous utiliserons les termes punk ou hardcore suivant les
groupes, et punk/hardcore pour désigner la scène dans sa
globalité. Aussi, de nouvelles structures ont vu le jour, de nouveaux
groupes ont pris le relais. Quand on parle de la culture punk (incluant donc
non seulement la musique mais également des films, livres, magazines ou
sites internet ainsi que d'un certain positionnement politique) on ne
s'arrête donc pas à un pays ni même à un continent,
et on ne désigne pas non plus une classe sociale (comment pourrait-on
confondre la classe ouvrière anglaise et la classe ouvrière
colombienne ?). Il s'agit d'une « supra-culture », liant des gens du
monde entier autour d'un mouvement culturel.
Cette idée de DIY a fait des émules, et
aujourd'hui la scène fonctionne en circuit fermé,
indépendamment des salles de concerts et de l'industrie
(déclinante) du disque. Il est donc facile de trouver un café
concert, de faire quelques affiches, de contacter quelques groupes et
d'organiser soimême un concert, sans subvention et sans sponsor. En
général, conscients de cette situation et eux-
mêmes habitués à ce style de fonctionnement,
les artistes ne demandent pas beaucoup d'argent pour se produire et fournissent
une partie du matériel de son.
Cela permet au mouvement de rester en dehors du système
de subventions et la baisse ou la hausse des aides publics en matière de
spectacle vivant n'a guère d'incidence sur la fréquence des
concerts punks, là où les grosses structures vivent sous
perfusion des collectivités. Ainsi François Benhamou, dans «
L'économie de la culture » en 2011 nous apprend que «L'Etat
verse environ le tiers des aides publiques aux grandes structures de
création et de production (centres dramatiques nationaux et
régionaux, orchestres, opéras) et les collectivités
locales les deux tiers. Les recettes propres excèdent rarement 30% du
budget (15% pour les orchestres permanents) ». Pour mon concert les
recettes propres ont représenté 230€ d'entrées +
30€ du bar soit 260€ sur un total de 360€ (même si le
budget initialement prévu était de 450€), soit 72% du
budget.
Pour de plus amples informations sur la situation
économique du spectacle vivant en France, consulter le rapport au
ministre de la culture de Bernard Latarjet, « Pour un débat sur
l'avenir du spectacle vivant », Paris, 2004.
Ce fonctionnement basé sur l'initiative privée
(et donc très souvent sur l'amateurisme) comporte également son
lot d'inconvénients : qualité souvent très moyenne du son
(Brigitte Bop : « En concert, on présente souvent les morceaux,
mais c'est surtout prétexte à une blague ou à la
présentation du refrain, pour pallier la faible qualité sonore
»), la promotion est parfois mal assurée par les organisateurs
s'ils ne sont pas habitués ou si les groupes ne les intéressent
pas (et dans ce cas là ce sont ces derniers qui sont
lésés), non-reconnaissance par les professionnels du spectacle
vivant, beaucoup de difficultés pour les musiciens à devenir
intermittents, et en ce qui me concerne accès impossible à des
données chiffrées officielles.
On arrive quand même à trouver bon nombre de
formations, de productions et d'évènements amateurs de grande
qualité, ainsi : « Le développement des pratiques amateurs
met parfois à mal la frontière qui sépare le monde des
amateurs de celui des professionnels. [...] Cette particularité du mode
de socialisation professionnelle des artistes se manifeste notamment dans les
musiques populaires, du rock au rap, en passant par les musiques
électroniques. Le brouillage des frontières est redoublé
par les progrès de l'informatique musicale, qui offrent à
l'ensemble des musiciens amateurs des possibilités techniques
naguère seulement réservées aux professionnels [...].
» (Philippe Coulangeon, « Sociologie des pratiques culturelles
», 2005).
« La première fois que je croise la route du
punk, c'est quand on me met une affiche dans mon salon de coiffure, Rock
Hair, rue de la Ferronerie : une affiche qui annonce un concert des Sex Pistols
au
Chalet du Lac. Une affiche qui ne ressemblait pas à
une affiche. Avec des lettre découpées. Il y a dû avoir au
maximum dix affiches dans Paris. Des affiches fabriquées à
la main. Et je me dis : là il se passe un truc. Je décide
donc d'aller au Chalet du Lac. Et là, je vois mon premier concert punk.
Il devait y avoir moins de 100 personnes. »
Rocky, coiffeur punk et premier manager de Métal
Urbain.
Il en va de même pour l'édition (et le visuel en
général), dominée par les « fanzines » amateurs
dont le plus célèbre est Maximum Rock'n Roll, basé
à San Fransisco, crée en 1982 et qui existe toujours. Depuis
l'apparition du punk en 1976, les fanzines et les affiches en noir et blanc
font partie intégrante du mouvement.
Enfin, il faut savoir que généralement les
paroles sont très importantes dans ces styles musicaux, où
l'engagement est bien vu, et où les paroles doivent le laisser
transparaître. De même l'intégrité artistique est
essentielle pour qu'un groupe puisse se considérer et être
considéré par ses pairs comme « punk ».
La musique peut être de la meilleure qualité qui
soit, si le groupe chante des chansons d'amour « fleur bleue » dans
une soirée promotionnelle pour un supermarché ou une marque de
chaussure, c'est le bannissement assuré de la scène punk. C'est
pourquoi les groupes « mainstream » (célèbres et
diffusés en radio et télévision) comme Green Day ou Blink
182, musicalement punks, sont reniés par la grande majorité des
gens de la scène, aux Etats Unis comme en Europe : ils sont
maquillés, distribués par Universal Music ou une autre maison de
disque « Major » (par opposition aux labels indépendants comme
ceux cités plus haut), tournent des clips pour MTV et vont jouer en Irak
pour les Marines américains. Il serait trop compliqué de rentrer
dans la polémique « qui est punk et qui ne l'est pas », mais
il faut simplement garder à l'esprit qu'être une star, même
avec des cheveux rouges, des tatouages et des blousons à clous, n'est
absolument pas punk. A ce titre, si les Sex Pistols (qui avaient un manager et
ont sorti leur unique disque sur EMI) faisaient la même chose
aujourd'hui, ils seraient haïs par les punks. Aujourd'hui encore, ce
groupe est au centre de tous les débats à cause de ça.
3) Punk en France
« Il ne faut pas croire que c'était un mouvement
énorme. Ce n'était qu'une poignée de gens, le punk en
France. »
Marc Zermati, producteur et gérant de l'Open Market,
premier disquaire punk à Paris.
Pour une fois, la France n'était pas trop en retard
dans le mouvement punk, d'ailleurs le tout premier festival punk a eu lieu en
France, à Mont de Marsan le 21 août 1976 avec à l'affiche
notamment Eddie & the Hot Rods et the Damned. Paris accueillera
également un concert des Sex Pistols le 3 septembre de la même
année.
Quant aux groupes, le critique rock Patrick Eudeline fonde
dès 1978 le groupe Asphalt Jungle, Starshooter voir le jour à
Lyon un an plus tôt. Mais c'est surtout Metal Urbain qui restera dans
l'histoire, car grâce à son 45 tours « Paris Maquis »
sorti le 14 février 1978, il deviendra le premier et à ce jour
unique groupe français à être invité dans les
studios de la BBC pour les fameuses « John Peel Session ».
Le mouvement est donc présent en France dès ses
débuts, et avec des groupes qui chantent en français.
Malheureusement cette première vague (qui sera restée très
marginale et ne regroupe que quelques dizaines d'initiés dans le pays)
ne sera qu'un feu de paille. Il faudra attendre le début des
années 80 et la naissance du mouvement alternatif pour voir arriver une
nouvelle génération de groupes, qui choisiront eux aussi le
français pour s'exprimer.
De ce mouvement alternatif, grâce auquel naîtront
les structures nécessaires au développement d'un mouvement
musical (labels, fanzines, café concerts, studios) retenons deux groupes
majeurs : Bérurier Noir et Mano Negra.
Les premiers resteront toujours fidèles aux principes
d'indépendance et d'autogestion du mouvement punk ainsi qu'à une
musique minimaliste (guitare/boîte à rythme/voix), les seconds
connaîtront le succès populaire en signant sur Virgin et
s'éloigneront petit à petit de la scène en ajoutant
à leur musique des cuivres, des instrumentations et un travail studio
plus sophistiqué. Aujourd'hui encore, le succès et l'influence
des ces deux groupes sont très présents.
« Cette chanson, je n'ai pas encore écrit les
paroles, c'est la raison pour laquelle je vais la chanter en anglais
».
Gad Elmaleh
Dans les années 90, et après la dissolution de
Bérurier Noir en 1989 (commémorée par trois concerts
à l'Olympia immortalisés par l'album « Viva Bertaga »)
le mouvement alternatif est réduit à la portion congrue.
L'heure est au succès des groupes américains, et plus
précisément californiens :
The Offspring en tête, ainsi que Green Day, NOFX,
Rancid. La France « surfe sur cette vague » avec l'apparition de
groupes chantant en anglais et pratiquant pareillement ce nouveau style
qualifié de « hardcore mélodique » ou parfois de «
skate punk » (dû au mélange des deux disciplines par les
principaux intéressés) : Burning Heads (toujours en
activité), Second Rate, Seven Hate.
Les années 2000 seront un peu un mélange de ces
deux facettes du punk/hardcore, avec une frange plus « traditionnelle
» (chant en français, paroles engagées, musique moins
technique) et des groupes « à la californienne » comme ceux
que l'on vient de citer. Certains groupes particulièrement talentueux
arrivent à rallier les deux côtés du public à leur
cause comme les Sheriff (qui chantent en français, avec des paroles
« légères », mais de manière très
mélodique) ou les Burning Heads (qui par leur activité incessante
dans les petits concerts et la production d'autres groupes restent proches de
la scène alternative).
Inutile d'essayer de dresser une liste des groupes les plus
influents dans l'histoire ou aujourd'hui, elle serait toujours trop longue ou
trop courte et sujette à discussion, mais nous pouvons citer en France
quelques groupes « leaders » de cette scène en 2010 : Tagada
Jones, Guerilla Poubelle, La Fraction, les Apaches, Charge 69, Tanker Chaos,
Burning Heads, Banane Metalik, sans oublier les Wampas, seul groupe né
dans les années 80 à n'avoir jamais cessé de sortir des
albums et faire des concerts.
4) La recherche linguistique et la diffusion du
français.
Traditionnellement, la chanson francophone se
caractérise par ses textes et ses grands auteurs que sont Brel,
Brassens, Gainsbourg, Aznavour... tout naturellement, les styles musicaux
modernes et populaires chez les jeunes ont suivi : le rap a donné
naissance à des auteurs/compositeurs exceptionnels comme
Akhénaton pour IAM, Grands Corps Malade, Abd Al Malik ou encore MC
Solaar pour citer parmi les plus connus ; le reggae a vu l'éclosion des
groupes Sinsemillia, Tryo ou Babylon Circus. Le punk en français aussi a
eu sa période de gloire dans les années 80 avec Bérurier
Noir, Mano Negra,
Dans les années 90, une fois ces groupes
terminés, la mode vient d'outre Atlantique et c'est l'explosion des
groupes chantant en anglais comme Seven Hate, ou plus tard Uncommonmenfrommars
et Freygolo.
Depuis, le français peine à s'imposer dans les
textes des groupes de ce genre, surtout dans le hardcore où il est quasi
inexistant.
Alors que la langue française a parfaitement su s'adapter
à d'autres genres musicaux, pourquoi celui-
ci fait-il de la résistance à cette langue ?
Pour les groupes qui malgré tout l'utilisent, de quelle manière
le font-ils ? Pourquoi ce choix, quels messages cherchent-ils à
véhiculer dans cette langue ? Tel est le genre de questions auxquelles
nous tenterons de donner des éléments de réponse dans
cette recherche. Grâce à de nombreuses interviews et une analyse
de plusieurs textes, nous verrons ce qu'en pensent les gens impliqués
dans ce débat et quelles en sont les représentations
concrètes dans les paroles.
Autre différence entre les groupes punks et les autres
: la dimension internationale du mouvement. Pour continuer la comparaison avec
les formations rap ou reggae, il est très rare de voir celles-ci
traverser les frontières et se produire avec succès dans le reste
de l'Europe, voire du monde. Dans le punk/hardcore, ceci n'est pas un
problème. Comme on l'a déjà dit, la scène
fonctionne en circuit fermé, et quand on fait jouer un groupe allemand
par exemple, chez soi, on se crée un contact en Allemagne qui nous
renverra l'ascenseur un jour. Pour citer un exemple, un groupe comme La
Fraction (l'un des rares à chanter en français, justement), qu'on
n'entendra jamais à la radio ni ne verra à la
télévision, a tourné aux Etats-Unis sur plus d'un mois, en
Allemagne, en Scandinavie, en Europe de l'Est. Idem pour le groupe Rennais
Banane Metalik : tournées triomphales aux EtatsUnis, au Japon et au
Brésil. Que dire du groupe de hardcore tourangeau Nine Eleven ?(qui eux
chantent en anglais) il a quant à lui tourné pendant la quasi
totalité de l'année 2010 dans toute l'Europe, jusqu'en Russie et
en 2011 est parti en tournée en Indonésie et en Malaisie... ;
tandis que des groupes d'autres styles, infiniment plus connus en France ne se
produisent que très rarement, voire jamais, à
l'étranger.
L'échange marche dans les deux sens : la France
accueille des groupes du monde entier et rien qu'à Saint Etienne on a pu
voir se produire l'an passé les néo-zélandais d'EcoWar,
les Sud-africains The Mochines, les Singapouriens de Wormrot et nombre de
groupes venus d'Amérique du Nord et du Sud, d'Australie et de toute
l'Europe.
En ce qui me concerne, l'organisation de ce concert avait,
entre autres buts, celui de montrer que la langue française avait sa
place dans ce milieu, qu'il est possible de faire un groupe dans cette langue,
et de tourner comme les autres.
Quand on parle de « diffusion du français »,
on pense immédiatement à « à l'étranger
». Or si ces deux mots n'apparaissent pas dans le nom de cette discipline,
c'est bien qu'elle a également sa place sur les territoires où le
français est langue maternelle et en France notamment. Elle peut par
exemple se faire dans des milieux socio-professionnels où la langue
française peine à s'imposer même chez ses locuteurs natifs
comme l'informatique, la publicité, et donc le punk/hardcore. C'est
pourquoi j'ai décidé de prendre l'initiative en
joignant une passion à ma profession, à savoir ce style de
musique et le FLE.
« L'envahissement réel de la langue
française par des mots anglais témoigne d'abord d'une certaine
suprématie technologique des pays de langue anglaise, et si l'on
considère cela comme une « épidémie », il faut
alors étudier l'épidémiologie. »
(Louis Jean Calvet, « la guerre des langues »,
hachette 1999)
Attention, et je pense qu'il important de le préciser,
le but de cette manifestation n'était pas du tout de dire : « non
au punk hardcore en anglais » ou « vive le punk en français,
soyons fiers de nos couleurs ». La nationalisme n'a rien à voir
dans cette démarche, le message est plutôt : « il est
possible de faire du bon punk hardcore en français, la preuve ».
Comme on le verra dans les interviews, cela a déjà
été fait et perdure aujourd'hui, et surtout il existe trop de
groupes français chantant dans un mauvais anglais, avec un accent
à la limite du ridicule et parfois avec des fautes de langue qui
gâchent tout. Comme le disent les Vulgaires Machins dans leur interview :
« Je n'ai aucun intérêt pour les groupes qui chantent un
anglais cassé et mal écrit. Il existe trop d'excellents groupes
anglophones qui écrivent de très bonnes paroles et chansons pour
perdre mon temps avec ça. » On n'est pas dans une optique
« langue française versus langue anglaise », mais «
langue française avec langue anglaise ».
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