2.1 Les interviewés
La seconde partie du corpus sur lequel nous nous basons pour
construire cette recherche est constituée de neuf interviews de groupes
punk/hardcore. Les quatre groupes qui ont joué le 19 mars 2011 sont
représentés (il n'y a qu'une seule interview pour les groupes
Tados et Solidagité car les deux formations partagent le même
batteur et sont très proches), et les six autres interviews sont celles
de personnes que je connais ou que j'ai eu la chance d'interviewer en allant
à leur concert. Une seule personne interviewée est
également impliquée dans la sélection de paroles de
chansons : il s'agit de Manu, aujourd'hui guitariste chanteur de The Hop
Là! et anciennement batteur des Sheriff. Toutefois, il n'est le parolier
d'aucun des deux groupes. Son avis est cependant de la plus haute importance
puisqu'il fréquente cette scène punk depuis plus de vingt ans et
a fait partie de la formation légendaire que sont aujourd'hui les
Sheriff.
Autre personnalité, plutôt issue de la
scène hardcore quant à lui, il s'agit de Reuno du groupe
Lofofora, également chanteur dans Mudweiser (dans lequel il chante cette
fois en anglais). De loin le groupe qui a vendu le plus de disques de tous ceux
interviewés (Lofofora a sorti des albums pour Virgin Music et BMG et
fait plusieurs apparitions télévisuelles comme dans la version
française de l'émission « Top of the Pops).
Les Vulgaires Machins sont la seule formation non
française de tout le corpus (chansons + interviews), et leur parole est
donc également très importante, sachant qu'ils sont sans doute le
plus populaire des groupes québécois en terme de ventes de
disques et sont forts d'une expérience scénique de centaines de
concerts à travers le Canada et la France principalement.
Heyoka est le groupe interviewé qui a le plus
tourné à l'étranger lors de sa principale période
d'activité entre 1994 et 1996. Brigitte Bop et Garage Lopez, sont deux
groupes aujourd'hui assez importants et surtout très actifs de la
scène punk en France, tous deux ont une discographie fournie et
également une importante expérience du live.
2.2 Les réponses
Comme tous les groupes ont répondu aux mêmes
questions, il est facile de dégager les points communs et les
différences d'opinion.
Première chose : personne ne déclare chanter en
français par obligation, autrement dit parce qu'il ne parle pas anglais.
La plupart affirment avoir la possibilité de chanter en anglais mais
préférer le français afin d'être plus honnête
et intègre. L'autre raison est que le public le plus proche étant
francophone, il doit être en mesure de comprendre tout de suite le
message (« je considère que le but de la personne qui écrit
des textes est que les gens qui sont en face comprennent. » pour Heyoka,
« Initialement, par choix (et pour être compris par la plus grande
partie du public ?!) » pour Solidagité).
On constate ensuite que l'intégralité des
personnes interrogées portent une importance toute particulière
à leurs paroles : lors de la composition tout d'abord, puis en les
incluant dans les CD. Tous les paroliers cherchent à écrire des
choses sensées, rythmées et/ou rimées (Crades Marmots :
« je recherche tout le temps des sonorités spécifiques, je
fais surtout attention aux rimes et à utiliser un français
correct. »). Tous les groupes jugent qu'il est important d'avoir de bonnes
paroles et de les rendre accessibles au public. D'ailleurs dans l'ensemble ils
considèrent que le public est sensible aux paroles et s'y
intéresse (voir réponses à aux questions 8 et 9). Pour
illustrer cela je citerai Vérole, le chanteur des Cadavres, dans une
interview donné pour le livre d'Arno Rudeboy, « Nyark Nyark !
:Fragments de la scène punk et rock alternatif en France (1976 - 1989)
», Broché, 2007 : « On était en France, notre public
immédiat c'était des gens que l'on connaissait, pour se faire
comprendre, il valait mieux chanter dans la langue du pays. [...] Il y avait
l'urgence, on avait des choses à dire, on les disait. Avec cette
volonté d'avoir des textes à slogans. Si, dans une chanson, tu
arrives à ce que les gens retiennent ne serait-ce qu'une phrase, et
qu'elle peut les faire réfléchir, tu te dis qu'au moins tu n'as
pas prêché dans le désert. »
Une première conclusion sans équivoque s'impose
à nous : les punk rockers ont un message à faire passer dans
presque tous leurs morceaux, et autant que faire se peut ils tentent d'y mettre
la forme. Les influences citées sont souvent celles que l'on retrouve
dans le corpus : Bérurier Noir, Zabriskie Point, Les Cadavres et Les
Sheriff principalement. En dehors du punk, deux autres grands noms de
la chanson en français reviennent à plusieurs
reprises : Noir Désir et Jaques Brel.
Quant à leur opinion sur le chant en anglais, et les
groupes francophones qui l'utilisent, deux attitudes sont adoptées par
les interviewés : la majeure partie d'entre eux n'y accordent aucune
importance dans la mesure où chacun doit faire comme bon lui semble
(« faut juste faire comme tu le sens » pour Reuno ou « chacun
est libre de s'exprimer comme il l'entend. » pour Manu).D'autres en
revanche sont nettement plus critiques: « Ils font n'importe quoi. »
pour les Crades Marmots ou « Je n'ai aucun intérêt pour les
groupes qui chantent un anglais cassé et mal écrit. » pour
les Vulgaires Machins. Il est vrai que la question est quelque peu
orientée avec le mot « mal » entre parenthèse, et on ne
parle donc pas des groupes qui chantent en anglais en général,
mais implicitement de ceux qui ne le maîtrisent pas parfaitement.
L'une des questions qui nous intéresse le plus dans le
cadre de notre recherche est la question n°6 : « Y a-t-il des mots ou
des thèmes qui reviennent régulièrement dans vos textes ?
». Heyoka parle du capitalisme sauvage, Reuno de la notion de
pêché et de l'influence de la
judéo-chrétienté sur l'inconscient des gens, Brigitte Bop,
«de bistrots et de personnages qui loosent », White Card «
d'injustice, de mort, d'idéologies dangereuses ... » et plus
largement pour les Vulgaires Machins de « la bêtise humaine
».
Cette question avait pour but de confronter les dires des
paroliers du punk/hardcore à leurs paroles, et de voir si le discours
était cohérent avec les faits. Et force est de constater que
c'est bien le cas ! On a vu les champs lexicaux en 1.1, ainsi la guerre est
à relier avec la réponse de White Card et des Vulgaires Machins,
et le capitalisme évoqué par Heyoka fait écho à
l'analyse des paroles des groupes qui ont joué le 19/03/2011 à
l'Assommoir (cf première partie du mémoire).
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