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Le français et la diffusion du français dans la musique punk/hardcore

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par Jean-Baptiste LIVET
Université Aix Marseille - Master 2 coopération linguistique et éducative 2010
  

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II. Les rapports des groupes à la langue

Avant d'aller plus en avant dans la réponse à ma problématique, une étude pragmatique des documents dont je dispose s'impose. Tout d'abord, je chercherai à voir ce qui est dit dans les chansons constituant notre corpus, pour dégager les thèmes principaux, le type de langue utilisé et le discours tenu par les formations. Ensuite je m'intéresserai de la même manière aux réponses données dans les interviews, afin de recouper ce qui est dit dans les textes et ce qui est dit dans les entretiens. Cela me permettra de dégager quelques lignes directrices indiquant quels rapports les gens du milieux punk/hardcore entretiennent avec la langue française.

1) Analyse des paroles

A partir du corpus de paroles de chansons disponible en annexe, nous allons tenter une analyse

approfondie des textes de punk/hardcore en langue française. Dans la revue « Glottopol » de janvier 2011, Michaël Abecassis et Gudrun Ledegen affirment que « La chanson, comme fait de société, possède de multiples fonctions (métalinguistique, communicationnelle, artistique, culturelle, sociale, politique, affective), et n'est donc pas un simple moyen de transmission d'un message sémantique, mais également un vecteur et un symbole des valeurs d'une génération, d'une communauté ou d'une nation ». L'objet de ce chapitre est de voir quelles valeurs sont transmises dans le style de musique qui nous intéresse.

1.1 Les Champs lexicaux

Dès la première lecture des paroles du corpus, plusieurs champs lexicaux s'imposent d'eux-mêmes :

· mort/mourir et vie : « Balance ta vie Tu vis tu vas vivre Meurt le pouvoir » « La mort est noire mais rions jaune » « De voir pleurer de voir mourir » « La mort est lente mon
général » « envie de m'faire sauter les plombs » « envie de crever ton chat » « Ils vendent la mort » « Pour une mort infecte » « On est tous mort » « Trop pressé de mourir » « Une vie pourrie » « s'ouvrir les veines » « La vie qui te tombe dessus »

· guerre/armes : « Sous les casques verts le sang rouge » « La mort est lente mon général » « Des bombes brulant d'agent orange En étouffant de défoliant » « Sous les soleil rouge des mortiers » « Un jeune soldat » « Techniques de combat, opérations de survie » « la folie c'est la guerre » « ce sont des bombes au napalm » « Des coups de matraque » « Mais avec un flingue à la main Il vit la guerre au quotidien » « Guerre des nerfs » «Victime complice de l'acte terroriste. » « Bataille déjà perdue » « la mitraille »

· pleurer/pleuvoir : « De voir pleurer de voir mourir » « Il pleut des images » « il pleut sur le Viêt-nam (Afghanistan, Liban, Nicaragua...) » « c'est une pluie de sang » « Il ne peut pas pleurer » « Mais dans la ville tous les hommes sont pluvieux » « demain il pleut » «je fais mon possible pour ne pas pleurer »

· télé : « Allume la télé » « Et regarder la télé » « Radio fourre tout télé immonde » « Devant la caméra en direct » « Panique sur les écrans » « Qui va diffuser le premier Scoop à la télé, l'info est plombée » « De son écran couleur éclairent son dos » « une putain

d'émission » « heureusement qu'y a la page de pub »

· grisaille/ville : « Tu agresses la ville » « Portillons, escaliers mécaniques » « Triste vie, triste ville » « Mais dans la ville tous les hommes sont pluvieux »

· couleurs : « Rouge rouge rouge et noir » « Sous les casques verts le sang rouge » « bérets verts » « La mort est noire mais rions jaune » « Des bombes brulant d'agent orange » « Sous les soleil rouge des mortiers » « grosses lunettes noires » « Le ciel est-il noir » « Carte orange » « De son écran couleur éclairent son dos »

· musique : « J'entends au loin les cris les chants Chants victorieux des plages Normandes » « Des milliers de CD, des millions de chansons. Des concerts à qui, des qu'on sert à quoi, des qu'on sert à rien. Des concerts dans des bouges »

Nous avons clairement affaire ici à des textes très négatifs qui ne respirent guère la joie de vivre... on constate une tendance chez les musiciens punk/hardcore à dépeindre une réalité urbaine triste et difficile. Des liens sont tissés entre le fait de vivre en ville, l'aliénation par la télévision, et la tristesse puis finalement la mort. En ce sens l'analyse que nous avons faite en première partie sur les textes des groupes qui ont joué le 19/03/2011 à l'Assommoir rejoint cette première constatation.

On remarque également un vocabulaire de la guerre qui, par contre, ne correspond absolument pas à la réalité quotidienne de gens qui le chantent : on n'a ici que des groupes français, donc des personnes qui n'ont jamais connu la guerre sur leur territoire. Sans doute faut il voir ici le souci de s'ouvrir sur le monde et sur les gens vivant une situation plus dure qu'en France, à dénoncer les injustices qui ont lieu loin de chez nous.

L'agressivité de la musique est donc renforcée par des textes pas forcément violents, ni insultants, mais plutôt révoltés et pessimistes.

En ce qui concerne le niveau de langue, on a affaire à un français courant, voire familier par endroit (« Comme envie d'me faire sauter les plombs »), mais certainement pas soutenu (pas de passé simple ou de vocabulaire particulièrement recherché). Les paroles ne sont pas « codées » (pas de verlan ou de vocabulaire particulier à un milieu social ou géographique) et compréhensibles par tout le monde. Même si certaines sont plus opaques que d'autres au niveau du sens global de la chanson (comme « What is my punk? »), chacun peut comprendre de quoi il s'agit dans tous les textes. Nous

nous trouvons donc face à un français populaire, standard de l'oral.

Il faut également remarquer que les 11 textes sont rédigés au présent de l'indicatif. Sans doute peut on y voir là une volonté de décrire des réalités et des soucis quotidiens, dans une dynamique liée à l'oralité. Certains passages donnent d'ailleurs l'impression de dialogue, comme si le narrateur attendait une réponse : « La mort est lente mon général », « Comme envie de t'expliquer comme ça/Que ton indifférence ne me touche pas ». D'ailleurs beaucoup de textes comportent des questions : « La France est-elle fière de ses bavures policières ? » ; « Lequel des deux choisir ? » ; « Est-il fait de bric ou est-il fait de broc ? » ; « Pourquoi n'es-tu plus le même ? ».

Tout cela confère aux textes la volonté de se rapprocher de l'auditeur, en parlant la même langue et le même langage que lui, de thèmes qu'il connaît, avec des interpellations directes à son égard. Au début du XXeme siècle, Maurice Chevalier et Charles Trénet utilisaient un vocabulaire populaire pour raconter le Paris de la rue, comme le dit Michaël Abecassis dans son article « From sound to music : voices from old Paris » :

« The popular speech they employed was often artificial and contrived, and used tonguetwisters, puns, and non-standard vocabulary repeatedly for comic effect ; The various linguistic signals (body movements, verbal tics, complicit laughter, etc.) used by the performer to facilitate interaction with his public were a key part of the artistic recreation of popular speech. »

Aussi étonnant que cela puisse paraître si l'on se tient à une comparaison purement musicale, on peut toutefois rapprocher le punk/hardcore de la variété des années 1920 et 1930, qui à l'époque était aussi considérée comme un «art mineur » ou une « musique populaire » par opposition à « musique savante » (Philippe Coulangeon, 2005), en cela que le but de chacune de ces musiques cible un public qui lui correspond en employant le même langage que lui.

1.2 Dimension sociale des textes

Comme on l'a déjà dit à plusieurs reprises, le mouvement punk/hardcore ne se limite pas à une certaine façon de faire de la musique, mais il englobe surtout la démarche artistique et donc le message transmis via les textes des artistes. Mouvement contestataire par essence, certains considéreront des groupes de rap aux paroles engagés plus punk qu'un groupe musicalement punk mais avec des paroles apolitiques (comme les américains de Blink 182 par exemple).

Après avoir apprécié le corpus de texte au niveau lexical, intéressons nous ici cette fois à la sémantique et au sens de ces textes.

Finalement, à quoi sert ce vocabulaire militaire et morbide ? Quel message est transmis à travers ces mots forts ? En effet, il nous faut constater qu'une seule chanson parle ouvertement de guerre, « Sur les sentiers de la Gloire » de Ludwig Von 88. Mais pas n'importe quelle guerre... une phrase nous permet de situer l'action : « A Dien Bien Phu une pierre tombale ». Il s'agit donc du dernier affrontement entre les forces coloniales françaises contre l'armée Viet Minh au printemps 1954 et qui vit la France se retirer de la région après cette défaite.

Au delà donc d'une première apparence de violence gratuite derrière ces paroles, on trouve en fait la dénonciation de l'empire colonial français et des guerres qu'il a engendrées. Cette chanson, sortie en 1985 soit plus de trente ans après cette bataille permet également d'informer de ce qu'a été la guerre d'Indochine et la bataille de Dien Bien Phu, partie de notre histoire bien souvent absente des programmes scolaires...

Le morceau suivant dans la chronologie, « SOS » de Bérurier Noir, part des visions d'un grand blessé de guerre sur son lit d'hôpital pour s'ouvrir sur la violence des divers conflits mondiaux (on peut d'ailleurs constater que 25 ans plus tard, la plupart de ces conflits sont toujours d'actualité : Liban, Palestine, Afghanistan...). On a ici une vision plus humaine de la guerre, moins historique que dans « Sur les sentiers de la gloire », mais dont le but est le même : dénoncer l'absurdité de ces phénomènes.

La chanson « Chico » des Rats aborde le problème sous un angle similaire, en parlant d'un petit garçon qui « vit la guerre au quotidien ». Cette fois l'action n'est pas située géographiquement, et ces paroles visent à dénoncer deux autres aspects injustes de ce genre de situation : le profit des uns (« eux ramassent les dollars ») et l'indifférence des autres (« On vous a montré sa misère/Devant la caméra en direct/Pour une mort infecte/Servie à point dans votre assiette »).

Ce qui nous mène au deuxième thème principal du corpus : l'aliénation par la télévision. Dans leur morceau, les Rats parlent de l'indifférence générale des gens dînant devant le journal télévisé du soir face aux atrocités du monde.

Les Sheriff, dans « Jouer avec le feu », assument le fait qu'eux-mêmes sont parfois hypnotisés par la télévision et du coup ne font rien d'autre (« J'adore/Dormir pendant la journée/Et regarder la télé/C'est sûr c'est moins dangereux/Mais ça fait vivre plus vieux »), ce qui leur permet de « vivre plus vieux » et donc de se fondre dans la masse. Masse que les Cadavres, eux, dépeignent comme un troupeau de mouton, ou plutôt comme des fourmis (« Le train charrie les fourmis travailleuses »), en parlant également de cette indifférence générale (« Radio fourre tout télé

immonde/Ne pas s'en faire, ainsi va le monde »). Indifférence aidée selon Tagada Jones par une information biaisée et orientée :

«Qui va diffuser le premier

Scoop à la télé, l'info est plombée,

Qui a censuré la vérité »

puis

«Obnubilé,

l'oeil rivé,

l'esprit focalisé

Sans réaction ni même d'intuition

Empaffé, il digère à fond l'information

Eh! Eh! il se lève de son canapé

Eh! sans une critique »

Il apparaît que l'esprit critique et le souci de l'actualité est un sujet récurent dans la chanson punk. Selon ces artistes, il faut avoir conscience de ce qui se passe dans le monde et ne pas se contenter de prendre les informations qu'on nous donne : il nous faut aller chercher nous-même l'information juste. On note d'ailleurs qu'à aucun moment les paroles ne se veulent prescriptives (« faites comme ceci, regardez ou écoutez cela »), elles se contentent de pointer du doigt des maux et de plaider l'autodétermination.

En terme de diffusion du français, l'aspect socio-culturel est primordial, et cette apathie générale, cette dénonciation du comportement des Français de la fin du vingtième siècle est totalement ancrée dans son époque. On peut tout à fait imaginer revenir un jour sur ce genre de texte pour aborder le comportement de l'Etat français et de ces citoyens à ce moment là de l'histoire. Ainsi Philippe Coulangeon 2005 affirme que « Les productions culturelles sont en effet soumises à un cycle de vie. Des mouvements inverses de banalisation et de réhabilitation culturelle déplacent périodiquement la frontière qui sépare le domaine de la culture savante de celui de la culture populaire. Cette dynamique temporelle entre de ce fait en composition avec une série de clivages générationnels. (..] Outre l'exemple du jazz ou de la chanson française, dont certains textes (Brassens, Brel, Barbara, Ferré) voisinent aujourd'hui avec les poèmes de Mallarmé ou de Villon dans les manuels de l'enseignement secondaire, on peut constater qu'une grande partie de l'opéra italien, qui relève aujourd'hui clairement du domaine de la musique savante, était considérée, dans la première moitié

du XIXe siècle, comme partie prenante de la culture populaire [Di Maggio, 1982]. »

Loin de nous l'idée de considérer l'oeuvre de Metal Urbain ou de Ludwig Von 88 comme de l'opéra, mais si le bassiste d'Heyoka pense que « François et les Bérus ont été les textes les plus concis qui frappaient le plus l'esprit des gens, c'est vraiment quelque chose de terrible. Je pense que les Bérus ont été une chance. Il y en a eu d'autres comme Brel que j'adore ou Haine Brigade, je pense que dans 50 ans les gens les écouteront encore. », peut être peut-on considérer ces textes, si proches du quotidien d'une certaine frange de la population, comme des témoignages uniques, véritables et poétiques d'une époque (fin du XXe et début du XXIe siècle) et d'un pays (la France), grâce à leurs paroles en français.

2) Analyse des interviews

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein