B PRATIQUE DU PSYCHOLOGUE EN PSYCHIATRIE DE LIAISON
Nous présenterons tout d'abord les fonctions du
psychologue clinicien en milieu médical dans le cadre d'une
équipe de psychiatrie de liaison, puis nous présenterons le cas
d'une femme que nous avons suivie pendant plusieurs mois. Celle-ci est atteinte
de cancer et a montré des conduites para-suicidaires.
B.1 Le role du psychologue
Le role du psychologue en milieu médical., dite
psychologie de la santé - encore que nous ne travaillons qu'avec
des personnes atteintes de maladie grave- peut se résumer ainsi:
« La psychologie médicale vise également la conduite et
l'experience de malades et leurs relations avec leur entourage
spécialement avec leur entourage medical et leurs médecins.
» (Lagache, 1955, p. 152). Ainsi, la psychologie clinique, concerne
toujours un individu dans son contexte. C'est une science de la conduite qui
prend toujours en compte la dimension intersubjective.
B.1.1 Constitution et organisation de l'équipe de
psychiatrie de liaison
L'équipe de psychiatrie de liaison du Centre Hospitalier
Intercommunal (ou
e
CHI) de Montfermeil est sous la responsabilité du 15
Secteur de l'EPS de Ville Evrard. L'équipe complete est
constituée de 5 psychiatres, 2 psychologues cliniciens, 2
infirmières psychiatriques et une secrétaire médicale. La
consultation est ouverte le matin de 9 h à 13 h, du lundi au vendredi,
avec au minimum un médecin, un psychologue et la secrétaire
médicale. En dehors des périodes d'ouverture du service, en
semaine, c'est un des psychiatres de l'équipe qui sera de garde, et le
week-end, ce sera un des psychiatres de Ville Evrard.
Dans la pratique, les différents services de l'hopital
font leurs demandes de consultations auprès du secrétariat et
selon l'état de mobilité du patient, celui-ci se déplacera
dans les bureaux de consultations ou l'un des membres de l'équipe se
déplacera au lit du malade. La charge de travail est tres variable :
plus intense en début et fin de semaine, et lors de certaines
périodes de l'année, notamment en juillet et au moment des
fêtes de fin d'année. Il s'agit de périodes durant
lesquelles les
crises suicidaires sont les plus fréquentes et qui
s'expliquent par l'aggravation de l'isolement de personnes vulnérables
à des états de crise de désespoir. Selon les approches
sociologiques, le suicide serait lié à la déficience du
lien social. (Durckheim, 1897)
L'activité est très variable, mais l'un des
rôles prépondérant de l'équipe est la gestion de la
crise suicidaire. L'équipe se base sur les recommandations de l'HAS
(Haute Autorité de Santé) : tout d'abord, une première
consultation en présence d'un psychiatre et éventuellement un
psychologue est obligatoire pour tout malade hospitalisé à la
suite de son acte suicidaire ou en menace de passage à l'acte.
L'équipe propose également une consultation
« suicidants » à court terme le temps que le malade
s'engage dans un suivi ambulatoire à moyen ou long terme et tant que le
danger de récidive de crise est présent.
Cas de double tentative de suicide d'un couple
âgé.
Après quelques semaines plutôt calmes en ce qui
concerne les actes suicidaires, l'équipe de psychiatrie de liaison est
appelée au service des urgences pour un couple âgé,
d'environ 80 ans, qui a tenté de s'intoxiquer au gaz de voiture dans
leur garage un dimanche soir. Par l'équipe soignante, nous apprenons que
ce sont les voisins qui ont alerté les pompiers après avoir
remarqué l'absence du couple dans leur maison et la fermeture
inhabituelle du garage alors qu'ils n'étaient pas sortis.
Par le couple, nous allons obtenir un récit
précis de l'événement et des circonstances ayant
mené à cet acte suicidaire. Les pompiers ont dû casser la
porte du garage pour libérer le couple, alors presque inconscients. Le
lendemain, nous rencontrons l'époux avec un des psychiatres de
l'équipe, qu'une autre psychiatre et le psychologue vont s'entretenir
avec l'épouse. Tous deux sont presque rétablis de leur
intoxication et n'en garderont pas de séquelle, mais l'équipe ne
leur permet pas de sortir de l'hôpital comme ils le souhaitent car tous
deux expriment leur volonté de récidive. Aucun signe clinique de
troubles psychiatriques ou de la personnalité n'est présent, ni
aucune souffrance psychologique. L'acte est décrit comme ayant
été prémédité et exécuté de
sang-froid. Ce qui frappe d'emblée est le calme de l'époux
lorsqu'il explique le geste suicidaire et les arguments qui l'ont mené
à ce geste.
L'euthanasie est évoquée dans le discours
<<C'est dommage que l'euthanasie ne soit pas légale dans ce
pays, car c'est une solution pour des gens comme nous. «
Il s'agit d'une situation de dégradation de la
santé sans issue à long terme pour ce couple: mariés
depuis presque 60 ans, ayant élevé 4 enfants dans de bonnes
conditions et ayant eu une vie de couple plutôt harmonieuse et
très fusionnelle, la maladie est venue remettre en question un bonheur
qui semble presque parfait. Tout d'abord, l'épouse est touchée
par une
maladie dégénérative musculaire qui
dégrade sa mobilité et la rend presque totalement
dépendante à ce jour. Elle est totalement dépendante de
son époux au quotidien qui accepte cette charge avec toute sa bonne
volonté. Cette organisation de vie qui a mené ce couple à
beaucoup de renoncements est à son tour remise en question par le
diagnostic pour l'époux d'un cancer du pancréas à un
état d'avancement qui ne lui donne plus que 6 mois d'espérance de
vie avec un traitement. Celui-ci a déjà renoncé à
tout traitement curatif et a préféré un suivi palliatif.
Son désespoir ne porte pas sur sa situation personnelle mais sur
l'avenir de sa femme, qui se retrouvera seule et très dépendante,
probablement obligée d'envisager un placement en maison
spécialisée car les enfants habitent tous en province.
Lors de l'entretien, le moment oü nous avons pu induire
un doute dans le projet de cet homme, fut celui oü il nous demande de ne
rien dire à ses enfants sur leur hospitalisation et sa raison. Bien
entendu, nous ne pouvons pas répondre favorablement à cette
demande et d'ailleurs, les enfants ont été avertis d»s leur
arrivée à l'hôpital et sont en route pour rendre visite
à leurs parents. Monsieur A. nous exprime alors des difficultés
relationnelles avec un des petits -fils, en conflit avec sa mère qui est
divorcée et souffre de dépression, et avec ses grands-parents,
qu'il traite de <<nazis >>. Ce jeune homme présente
des troubles de la personnalité de type <<anti-social
>> et réclame régulièrement de l'argent pour
rembourser des dettes contractées auprès de différents
<< malfrats «. Cette vie de couple tout d'abord
décrite sans histoire se transforme alors en un récit de
harcèlement moral quotidien au sens de la famille. Nous remarquons alors
l'expression attristée et fatiguée de cet homme qui nous
para»t bien en état d'usure psychologique causée par des
tracas quotidiens et ayant aboutit à un moment de crise pour ce
couple.
A l'arrivé de la famille, plusieurs conférences
familiales sont organisées avec la participation d'une assistance
sociale et après 48 heures d'hospitalisation, le couple finira par
porter un jugement critique puis renoncer à son projet suicidaire. Les
enfants réalisent alors l'état d'épuisement de leurs
parents dont ils n'avaient pas conscience jusque-là, tandis que ceux -ci
acceptent l'aide que leurs enfants leurs offrent.
Avec le soutien des enfants, il est décidé tout
d'abord d'éloigner géographiquement le couple de sa situation
conflictuelle. Le couple ira habiter en province chez l'un des fils, en
attendant de trouver une maison spécialisée à
proximité pour l'épouse. L'époux souhaite faire un voyage
avec un autre de ses fils, dans un lieu qu'il a toujours rêver de
connaitre sans en avoir l'opportunité. Il refuse toujours le traitement
curatif pour son cancer, mais s'engage à suivre un traitement
palliatif.
Cette situation montre que l'équipe de psychiatrie de
liaison considère l'évocation de l'euthanasie en tant
qu'idée noire. Dans ce cas, il s'agit donc d'un phénomène
clinique faisant partie de la crise suicidaire du couple et non d'une demande
consciente à laquelle répondre de manière favorable. C'est
cette attitude qui sera prise par l'équipe pour toutes les situations de
crise suicidaire ou de demande d'arrêt
de soin ou d'euthanasie chez les patients vus en consultation. Au
bout de quelques jours, tous ces patients suicidaires ont revu leur jugement et
renoncé à ces projets.
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