A.6 Gérer une demande d'euthanasie dans le
cadre d'un syndrome dépressif
Ce choix idéologique se justifie d'une part à
cause du choix juridique qui est appliqué en France, et d'autre part,
parce que la demande d'euthanasie s'ins»re aussi dans un
processus psychopathologique.
En effet, les causes des demandes d'euthanasie sont
variées et sont proches de symptômes cliniques de
dépression. L'étude de Van der Maas (1996) les classe dans
l'ordre suivant de fréquence:
- perte de la dignité (57%),
- refus d'une mort indigne (46%),
- ne plus supporter la dépendance vis-à-vis des
autres (33%),
- fatigue et lassitude de la vie (23%).
Afin de pouvoir distinguer entre une demande consciente et un
symptôme dépressif, il est essentiel de comprendre que le cancer
produit chez le malade un travail psychique de défense contre de
nombreuses peurs.
Parkes (1998) a fait une liste principale de ces peurs:
· peur de la séparation d'avec les êtres
aimés, la maison, le travail, etcÉ
· peur de devenir un fardeau pour les autres,
· peur de toutes les dépendances,
· peur de la douleur et des symptômes aggravants,
· peur d'être incapable de finir les tâches ou
les responsabilités de la vie,
· peur de mourir (le passage),
· peur d'être mort (l'état),
· peur des peurs renvoyées par les autres.
De plus, le malade se trouve aussi confronté à de
nombreuses pertes dont il doit faire le deuil (Bacqué, 2005):
· perte de la sécurité interne (confiance en
soi, en son corps),
· perte des fonctions physiques,
· perte de l'image du corps habituelle,
· perte du pouvoir et de la force,
· perte de l'indépendance,
· perte de l'estime de soi,
· perte du respect donné par les autres,
· perte du futur.
L'acceptation de la mort se prepare des l'enfance à
travers la reconnaissance des pertes dans la vie courante et une philosophie de
la vie construite sur le symbole plutTMt que sur l'accumulation de choses et
d'actes.
Il faut déjà distinguer entre une depression
endogene et une depression réactionnelle. La depression endogene est une
depression structurelle liée à certaines personnalités,
oil le sujet est psychiatrique. La depression réactionnelle que peut
subir tout malade à l'annonce d'un cancer est
caractérisées par des affects
dépressifs relies aux pertes causées par l'approche
de la mort. Nous n'avons alors pas à faire à un sujet
psychiatrique.
Parmi les depressions réactionnelles, non psychiatriques,
dits affects dépressifs , il y a une confusion courante entre
le deuil de soi et la détresse existentielle.
D'une part, le deuil de soi est lie à la prise de
conscience des changements qui precedent la mort. C'est un affect
dépressif qui s'integre dans un processus psychique normal. En fin de
vie, des patients qui ont fait le travail d'acceptation de la maladie dont ils
souffrent et des soins, pourront parfois faire une demande d'euthanasie afin de
limiter leurs souffrances en fin de parcours de traitement, lorsque toute
solution de soulagement aura été tentée.
D'autre part, la détresse existentielle est une
atteinte narcissique, qui déclenche la demande d'euthanasie en tant
qu'acte suicidaire. Elle s'inscrit dans un processus non psychiatrique mais oil
le niveau de détresse est très élevé. On y retrouve
des signes cliniques de la depression majeure comme le désespoir, le
sentiment d'inutilité, d'insignifiance de la vie, de deception, des
remords et des perturbations de l'identité, ainsi que l'humeur
dysphorique. Presque tous les patients en phase terminale souffrent de cette
forme de depression majeure. La demande de mort prématurée
sous forme de demande d'euthanasie est alors possible et
disparaitra après un traitement psychologique et biologique de la
dépression.
Il est donc important pour les patients en fin de vie de
savoir évaluer en tant que soignant, la différence entre
dépression «normale» qui correspondra à une demande de
« mort appropriée» et une dépression «
pathologique « avec détresse existentielle qui correspondra
à une tentation suicidaire.
Afin d'aider les différents intervenants,
médecins comme psychologues à répondre à une
demande d'euthanasie, des critères objectifs d'évaluation ont
été mis au point, en tenant compte des aspects psychosociaux.
(Cherny, 1996)
Ces crit»res se présentent sous forme de
questions:
1) Quelles sont les principales préoccupations du
patient ? capacité à faire face à la situation, perception
de perte de controle, travail, estime de soi,
dépendance-indépendance, changement de role, buts à court
et à moyen terme.
2) Le patient a-t-il assez d'informations sur sa maladie et
son traitement?
3) Le patient a-t-il l'opportunité de communiquer ses
problèmes ou ses sentiments ? Avec son conjoint, ses enfants, ses amis,
ses médecins?
4) Pour quels domaines de sa vie de patient est-il encore
prêt à se battre? Quelles sont ses relations avec sa famille, ses
amis, son travail ? A-t-il encore des aspirations et des travaux non
terminées?
5) Quel est l'état habituel de l'humeur du patient? Est
-il calme, anxieux, stable ou versatile ? A-t-il des pensées
suicidaires?
6) Comment le patient tend -il généralement
à répondre aux situations difficiles?
7) La patient a-t-il eu une pathologie mentale
préexistante ou récemment ? Y a- t-il eu une maladie mentale ou
une hospitalisation, une addiction, une tentative de suicide, une histoire
familiale de maladie mentale ou de suicide?
8) Quelles sont les stratégies habituelles du patient
pour faire face ? L'affrontement ou l'évitement?
9) Comment le patient évalue -t-il la facon dont les
membres de sa famille font face ? Font-ils face? Se battent-ils ? Ou sont-ils
dépassés?
|