Résultats principaux et interprétation
Désormais, nous allons présenter les
différents résultats de cette étude et soumettre des
interprétations en lien avec la partie théorique de cette
recherche.
Les données seront présentées successivement
puis nous nous intéresserons aux liens existant entre ces
données.
Tâche de vigilance psychomotrice
Nous allons tout d'abord nous intéresser à la
mesure contrôle de cette étude, la vigilance, au travers des
différentes conditions à savoir le groupe d'appartenance (matinal
vs vespéral) et le moment de la passation (optimal vs non-optimal).
Concernant la variabilité (différence entre les temps de
réaction les 10% les plus rapides et les 10% les moins rapides), les
omissions (>500ms) et les commissions (<100ms) nous ne constatons aucune
différence significative de l'effet du moment (optimal vs non-optimal)
aussi bien pour les sujets du matin que pour les sujets du soir. En revanche,
là où l'on ne constate pas de différence significative
concernant le temps de réaction chez les sujets du matin, les sujets du
soir sont significativement plus rapides le soir.
Ensuite, concernant les différences de groupe, nous ne
constatons aucune différence entre les sujets matinaux pour la
variabilité, les omissions et les commissions. En revanche, les sujets
du soir sont significativement plus rapides que les sujets du matin. Bien que
l'on constate un effet significatif de l'age, ces effets se maintiennent
lorsque l'age est contrôlé.
En réalisant les contrastes locaux pour les
différentes mesures, voilà ce que nous obtenons :
(1) Pas d'effet pour les mesures de variabilité,
omissions et commissions.
(2) Pas d'effet de moment (optimal vs non-optimal) pour les
sujets matinaux
(3) Effet significatif de moment (optimal vs non-optimal) sur le
temps de réaction pour les sujets vespéraux
(4) Effet significatif de groupe (matinal vs vespéral)
sur le temps de réaction
Le maintien du nombre d'omissions, commissions et de la
variabilité nous indiquent que les sujets focalisent leur attention avec
autant de consistance au moment optimal que non-optimal. Cette absence d'effet
nous invite donc à penser que les sujets ne sont pas plus distraits au
moment optimal ou non-optimal de leur journée.
Nous aurions pu nous attendre à ce que les sujets du
matin, tout comme les sujets du soir, aient une performance significativement
plus lente au moment non-optimal de leur journée à savoir le
soir. Une explication quelque peu intuitive de ce phénomène
réside dans le profil des sujets extremes du matin. En effet, ce type de
profil est généralement la résultante d'un emploi qui
impose des horaires matinaux. Ces sujets ont ainsi des journées
régulières, qui sont « normalisées » depuis de
nombreuses années pour certains. Ces sujets, lorsqu'ils sont
éveillés depuis 10h30 sont testés en
milieu d'après-midi, moment où dans leur vie quotidienne, ils
sont autant susceptibles d'être aussi actifs qu'à leur lever. Les
sujets vespéraux sont généralement inscrits dans un mode
de vie qui ne les contraint pas à être actifs dès leur
lever, qu'ils soient jeunes et joueurs de jeux vidéo ou qu'ils
travaillent de nuit. Leur performance le matin s'en trouve dès lors
ralentie. Un point de vue inverse, lui aussi intuitif, serait d'envisager que
le moment optimal des matinaux est en réalité un moment
contraint. De par leur emploi, ils ont été obligés de
devenir productifs le matin. Avec le temps, leur performance le matin s'est
améliorée pour atteindre la performance moyenne de leur
journée. Schmidt et al., 2009 ont testé des sujets au travers
d'une tâche de vigilance psychomotrice et obtiennent des résultats
similaires à ceux obtenus dans notre étude. En effet, les sujets
du soir sont plus rapides le soir mais on ne constate pas de différence
chez les sujets du matin. Dans cette études, les auteurs mettent en
évidence une activation plus importante chez les vespéraux
notamment dans le locus coerulus et le noyau suprachiasmatique (aires
importantes dans les rythmes circadiennes). Cette activation
cérébrale plus importante chez les vespéraux pourrait
être à l'origine de leur meilleure performance le soir.
L'explication la plus cohérente que nous pouvons
apporter concernant la stabilité de la performance chez les matinaux
réside dans l'atténuation circadienne chez les plus
âgés. Aussi bien dans notre étude que de manière
générale, les sujets extrêmes du matin sont
généralement plus âgés que les sujets extrêmes
du soir. Or, on sait que l'age joue un rôle sur le fonctionnement
circadien et qu'avec l'age celui-ci tend à s'aplanir. Une étude
d'Adam et al.,2006 met notamment en évidence que lors d'une privation de
sommeil, la performance des âgés tend à rester beaucoup
plus stable que celle des plus jeunes qui s'effondre.
Tâche GoNoGo (mesure de l'inhibition)
A nouveau, nous avons comparé la performance des sujets
matinaux et vespéraux au moment optimal et non optimal de leur
journée. Les résultats que nous avons obtenus sont contraires
à notre hypothèse : quel que soit le groupe testé, le
temps de réaction et le nombre d'appuis intempestifs ne varient pas. En
effet, nous n'avons pas mis en évidence d'effet significatif du moment
(optimal vs non-optimal) aussi bien pour les matinaux que les vespéraux.
Ces résultats vont à l'encontre de la littérature (May
& Hasher, 1998 ; in Hasher et al., 2008). En effet, May et Hasher
constatent que les sujets du matin produisent globalement plus d'erreurs
et que tous les sujets (matinaux ou vespéraux) effectuent
davantage d'erreurs au moment non-optimal.
Nous restons prudents quant aux données obtenues dans
cette tâche car plusieurs biais ont contaminé la tâche. Le
premier d'entre eux et probablement le plus important est que de nombreuses
données n'ont pas été enregistrées par le
programme, ce qui réduit de manière importante le nombre de
sujets et dès lors la probabilité d'obtenir un effet. De
surcroit, cela n'a pas affecté de manière égale le nombre
de sujets matinaux et vespéraux créant une
inégalité entre les groupes. Ensuite, le contre-balancement de
l'ordre de passation des tâches a lui aussi été
affecté par ce nombre de sujets manquants.
Ensuite, la longueur de la tâche n'était
probablement pas adaptée au testing. En effet, la tâche durait 20
à 25 minutes, ce qui s'est avéré particulièrement
long pour de nombreux sujets qui ont manifesté leur
désintérêt. Ce biais a probablement créé une
sorte d'effet plancher avec une performance dans l'ensemble des conditions
davantage régie par un désintérét de la tâche
que par un effet d'optimalité. Blatter et Cajochen, 2006 mettent en
garde contre cet effet de durée et recommandent l'utilisation de
tâches de vigilance courtes (5 à 10 minutes) lors d'une
déprivation de sommeil, le sujet devenant trop distractible par la
suite.
La corrélation significative entre le temps de
réaction moyen de la PVT et celui du GoNoGo nous invite cependant
à considérer que la performance obtenue par les sujets dont le
score est enregistré est interprétable. L'inhibition est une
fonction cognitive de haut niveau, plus exigeante qu'une tâche de
vigilance. On peut imaginer que de par l'effort cognitif nécessaire, les
sujets sont davantage affectés par la difficulté de la
tâche que par un éventuel effet du moment de la journée.
Ces résultats ne vont cependant pas dans le sens de la
littérature. Manly, Lewis, Robertson, Watson et Datta, 2002 (in Schmidt,
2007) constatent un important effet du moment de la journée, les sujets
étant moins efficients tôt le matin qu'en début
d'après-midi et le soir.
Nous comparons désormais le temps de réaction
à l'ensemble de la tâche à celui obtenu après un X
(élément pour lequel il ne faut pas appuyer). Nous aurions eu
tendance à penser que le sujet devant inhiber sa réponse, il se
prépare à la réponse suivante, à l'inhiber de
nouveau et son temps de réaction s'en trouve ralenti. Pourtant au moment
optimal de la passation, il n'y a pas d'effet significatif et le sujet se
prépare de la même manière à un item suivant un X ou
non. Là où nous obtenons un résultat quelque peu
surprenant, c'est qu'au moment non-optimal, les sujets répondent plus
rapidement après avoir vu un X. Une réponse qui pourrait
être apportée à ce résultat est que
l'attention du sujet étant captée par un élément
inhabituel, il focalise davantage son attention et son potentiel de
préparation en est alors accru. Sa vigilance étant plus grande,
il met moins de temps à répondre à l'élément
qui suit un X. (Je viens de voir un X, je me suis fait/j'aurais pu me faire
piéger, je reste bien attentif !). Buschman et Miller, 2007 ont mis en
évidence une activation cérébrale lors de la
présentation d'un distracteur qui serait dû à une attention
de type bottom-up. Dans notre expérience, nous pouvons penser que le
sujet traite l'ensemble de la tâche de manière top-down et le
stimulus X lui apparait comme un « distracteur » qui vient capter son
attention sur un mode bottom-up. Le sujet, sous l'influence de ce distracteur
focalise alors son attention au cas où un nouveau distracteur
apparaitrait. Ce phénomène ne se produit qu'au moment non-optimal
de la journée, le sujet étant plus à même de
réagir à un « distracteur ».
Echelle explicite
Pour cette tâche, nous avons également
comparé la performance des sujets matinaux et vespéraux à
leur moment optimal et non-optimal. Les résultats que nous avons obtenu
confirment notre hypothèse : quel que soit le groupe testé et le
moment, les sujets ne manifestent pas de variations dans la mesure des
préjugés au niveau explicite. Nous n'avons pas mis en avant
d'effet significatif du moment (optimal vs non-optimal) aussi bien pour les
matinaux que les vespéraux. Ces résultats vont à
l'encontre de la littérature (Bodenhausen, 1990). En effet, les
résultats de Bodenhausen indiquent que les sujets émettent un
jugement social plus défavorable au moment non-optimal de leur
journée.
La première explication que nous pourrions accorder
à ce résultat viendrait d'un effet de récupération
des items de l'échelle. L'échelle est composée de 5 items
et nous pourrions penser que les sujets se souviennent de leur réponse
d'une passation à l'autre, effaçant ainsi l'effet du moment de la
passation. Cependant, en espaçant les passations de 7 à 10 jours
nous pouvons considérer que ce facteur de mémorisation soit
supprimé puisque les sujets n'ont normalement pas effectué un
encodage en mémoire à long terme.
La seconde explication viendrait de la sensibilité de
l'échelle. Les sujets sont susceptibles de manière socialement
désirable et une échelle à 4 niveaux (tout à fait
d'accord à pas du tout d'accord) n'est pas suffisamment sensible pour
détecter un changement de réponse. Les deux premières
explications indiquent dès lors qu'il aurait été
probablement préférable d'utiliser
une tâche plus complexe comme celle de Bodenhausen, 1990
qui utilise une tâche de jugement sur un texte.
Une autre vision de ce résultat viendrait du fait que
les résultats obtenus par Bodenhausen sont liés à
l'inertie de sommeil et la pression homéostatique. En effet, tous les
sujets testés par cet auteur sont testés à 9h du matin et
à 20h. Les sujets extrêmes du soir ne sont normalement pas encore
réveillés à 9h du matin et cela entraine chez eux un effet
de fatigue qui pourrait expliquer leur performance plus mauvaise. Les sujets
extrêmes du matin quant à eux, sont pour certains levés
depuis 15h lorsqu'ils passent la tâche à 20h, ils sont donc soumis
à une pression de sommeil importante qui elle aussi nuance leurs
résultats.
Un compromis entre ces explications résiderait donc
dans l'utilisation d'une tâche moins sujette à l'effet de
désirabilité sociale que les sujets passent 1h30 et 10h30
après le lever. L'analyse de la prochaine tâche, la tâche
d'association implicite devrait donc nous renseigner davantage à ce
sujet.
Tâche d'association implicite (IAT)
Nous avons testé ici si les sujets manifestent une
préférence pour une population (francophone/maghrébine)
plus importante en fonction du moment auquel ils sont testés. Tout
d'abord l'échantillon testé présente de manière
générale une légère préférence pour
la population francophone. Cette préférence, comme nous pouvions
nous y attendre, ne diffère pas significativement entre les sujets du
matin et du soir.
En revanche, notre hypothèse n'est pas
confirmée. Là où nous pensions qu'au moment non-optimal la
préférence serait plus marquée au niveau implicite pour la
population francophone nous ne constatons aucune différence
significative aussi bien pour les sujets du matin que du soir. Si les
résultats obtenus par Bodenhausen, 1990 n'étaient pas liés
à l'inertie et la pression de sommeil, nous nous attendrions à
obtenir le même type de résultats.
Nous pourrions suspecter un manque de sensibilité du
score D mais les résultats utilisant l'algorithme classique de l'IAT
vont dans le méme sens. Nous pourrions également inférer
la présence de biais méthodologique tels que les bruits
environnants au domicile mais cela devrait également influencer la
performance dans la tâche de vigilance.
Nos résultats semblent dès lors indiquer que les
résultats obtenus par Bodenhausen sont davantage le reflet de
l'inertie et la pression de sommeil que d'un effet circadien. Afin de s'en
assurer, il serait nécessaire de faire passer les
mêmes tâches que Bodenhausen en contrôlant cette fois-ci
l'inertie et la pression de sommeil.
L'activation des stéréotypes ne semble pas
reliée à la vigilance. En effet, là où nos sujets
du soir sont plus performants le soir, l'activation de leurs
stéréotypes, elle, ne semble pas varier aussi bien au niveau
implicite qu'explicite. Les résultats obtenus concernant l'inhibition
nous invitent à être prudents mais en se penchant sur la
littérature (Hasher et al., 2008), la performance des sujets du matin
est moins bonne le soir. On ne constate cependant pas dans notre étude
de variation dans l'activation des stéréotypes. On pourrait
dès lors penser que ces notions ne sont pas directement reliées.
Nous restons cependant prudents car les auteurs ne s'accordent pas quant
à la présence d'effets circadiens dans la tâche GoNoGo
(Blatter & Cajochen, 2006).
Dans la continuité de cette étude, il serait
pertinent de tester les sujets dès leur réveil au travers de la
méme tâche d'association implicite (IAT). Si des résultats
apparaissaient lors de cette expérience, cela nous inviterait alors
à repenser les résultats de Bodenhausen en mettant en avant que
des résultats se produisent au lever en raison d'une inertie de sommeil
mais que lorsque ce facteur est contrôlé ces résultats
tendent à disparaitre.
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