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Lee Konitz, l'art de l'improvisation

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par Yvonnick PRENE
Université Paris IV Sorbonne - Master 2 Musique et Musicologie  2011
  

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1.2.3 Les caractéristiques principales du jeu de Charlie Parker

On pourrait ramener les aspects du style de Charlie Parker que l'on retrouve chez Konitz à trois caractéristiques principales : le son, la virtuosité et le répertoire.

1.2.3.1 Le son

Radicalement différent de ces prédécesseurs et contemporains, le son d'alto de Parker est dur et sec. Son utilisation du vibrato varie selon le type de morceau exécuté. Dans les pièces rapides, Parker emploie un vibrato léger et court. Ses attaques franches s'accordaient au nouveau style de jeu, vif et anguleux, qui exigeait plus de précision. Son vibrato devenait expressif dans les ballades sentimentales et les blues. En tous cas, le son de Parker contrastait avec le timbre riche et sentimental de Johnny Hodges (1906-1970) et de Benny Carter. Lee Konitz se souvient de la première fois qu'il entendit le son de Parker. « C'était difficile au début. J'ai même eu quelques soucis avec Charlie Parker. Parce que j'avais l'habitude d'écouter Benny Carter et Johnny Hodges et des gens comme eux. Mais bien sûr, après quelques écoutes, Parker devint

quelqu'un de très spécial. »63

Au milieu des années 1950, les critiques français Robert Aubert et Jean-François Quievreux dédient un article au jeune Konitz alors en pleine ascension. Ils comparent le jeune Konitz, 23 ans à l'époque, encore en pleine formation, au Bird, en ces termes : « sa sonorité est un curieux mélange de Parker et de saxophone classique : elle est curieusement lisse et blanche, presque figée, et ne manque pas de charme. Un vibrato bref et serré placé sur la dernière note de chaque longue phrase donne à sa musique un caractère curieusement chaleureux. Cette sonorité lisse est encore renforcée par une attaque tranchante et une technique instrumentale

hors pair. »64 Les caractéristiques sonores décrites à travers les expressions « mélange de Parker

that came out through his music that were extra musical. But at his best his sound was a

great sound also. When he wasn't really over blowing or being funky and everything, that wasn't my favorite part of him. But I mean if you ever heard him, his playing with Jay McShann, that's when and where he started, that was pure beautiful sound»

63 «consulté en août 2010» http://www.allaboutjazz.com/php/article.php?id=1087 «It was difficult at first. I even had trouble with Charlie Parker at first. Cause I'd been listening to Benny Carter and Johnny Hodges and people like that. But of course after some listening, [Parker] became very special."

64 ROBERT Aubert, QUIEVREUX Jean-Francois, Lee Konitz, Jazz Hot, juillet- août 1950,7.

et de saxophone classique », « attaque tranchante » avec un « vibrato bref » dénotent une parenté certaine avec le style de Parker et plus largement l'appartenance de Konitz au mouvement bop. Les adjectifs pour distinguer sa « sonorité lisse », le son de « saxophone classique » renvoient également aux reproches généraux sur les musiciens cool. Il aurait été judicieux aussi de reconnaître la jeunesse de Konitz et de prendre en compte le temps nécessaire pour acquérir un son mûr. Encore une fois, on doit bien admettre qu'il était difficile à l'époque, comme tout aussi bien aujourd'hui, pour n'importe quel musicien de soutenir la comparaison avec Parker.

1.2.3.2 Virtuosité rythmique et mélodique

On définit la virtuosité comme une grande habileté artistique. Nous envisagerons la virtuosité de Parker à deux niveaux : la variété rythmique dans un premier temps, puis la fluidité sur les tempos rapides et sur les ballades dans un second temps. D'un point de vue rythmique, Parker possédait un sens du tempo solide qui lui permettait ses envolées mélodiques. Il est étonnant de constater que cette part essentielle de son art a été souvent sous-estimée. L'aspect rythmique de Parker est en fait réellement novateur. En revanche, la plupart des conceptions harmoniques qu'il utilisa, c'est-à-dire les accords de passage et le recours aux superstructures d'accord employées dans une perspective originale avaient déjà été explorés par des musiciens tels qu'Art Tatum, Don Byas (1912-1972) et Coleman Hawkins (1904-1969). En posant le regard sur l'histoire du jazz, un changement majeur s'opéra dans les années 1928 et 1932. Le rôle de la contrebasse et de la batterie s'organisa de manière nouvelle, notamment dans le big band de Count Basie (1904- 1984) avec le contrebassiste Walter Page (1900-1957) et le sextette de John Kirby (1908-1952). La formation de ce dernier fut une des pionnières du jazz swing et ouvrit les portes au be-bop. En visionnaire, Kirby révoqua le tuba pour la contrebasse avec laquelle il exécutait des walking basses. Son sextette comprenait ainsi contrebasse, batterie, piano, clarinette, saxophone alto et trompette. Le batteur de sa formation marquait le temps avec la grosse caisse et introduisit de nouveaux accents à la caisse claire qui étaient jusque-là automatiquement placés sur le deuxième et quatrième temps de la mesure. Ainsi, le rôle du batteur évolua durant la période swing vers une plus grande liberté vis-à-vis de la façon de jouer le tempo et l`interaction avec les autres membres de la formation devint monnaie courante. Parfois, au cours de

son improvisation, Bird pouvait diviser une mélodie en groupes irréguliers qui rappelaient les figures d'accompagnement à la caisse claire et à la grosse caisse. En outre, les notes accentuées de Parker jaillissaient à des moments souvent imprévisibles et à intervalles irréguliers. Nous pouvons l'observer dans l'exemple suivant :

Exemple musical 6 : « Koko », Savoy, 1945, quatre mesures d'improvisation de Charlie

Parker (Dbmin; Gb7 ; B sur deux mesures).

« Koko » est un des premiers morceaux du be-bop à avoir été enregistré. Le thème de Parker, construit sur les harmonies de « Cherokee », s'ouvre avec une mélodie complexe rythmiquement, interprétée en homorythmie par la trompette et le saxophone alto. S'ensuit un échange de courtes improvisations jusqu'au solo de Parker. On raconte que le jeune Miles Davis et le pianiste Sadik Hakim (1919-1983) étaient supposés participer à l'enregistrement de Parker. Devant les difficultés rencontrées, ils préférèrent laisser la place aux musiciens plus chevronnés. Improviser sur un tempo extrême comme celui-ci exige une grande maîtrise technique de l'instrument. A cette époque, les musiciens capables de produire un tel solo sur les harmonies sophistiquées de « Cherokee » étaient peu nombreux. On pense à Dizzy Gillespie, Art Tatum, Lennie Tristano, Fats Navarro et Bud Powell. Finalement, Gillespie joua de la trompette durant le thème et se mit au piano pendant le solo de Parker. On remarque également l'interaction de Parker et Max Roach (1914-1985), l'un des plus grands batteurs de Bird, au moment de l'interprétation du thème et durant les improvisations. Contrairement aux batteurs de la période swing, dont le principal rôle était de maintenir un tempo régulier en faisant très peu attention aux improvisations des solistes, Clarke n'hésitait pas à engager Parker dans un dialogue rythmique. C'était un dialogue hautement interactif qui se déroulait sur le moment, une création instantanée pourvue de sens qui comprenait des phrases, des exclamations, des accents, une ponctuation. Clarke bouleversa le rôle traditionnel du batteur. Assujetti jusque-là à maintenir un

tempo régulier pour les danseurs, il devint un vrai accompagnateur et une source d'inspiration pour les solistes. Clarke pointa la connexion omniprésente dans le be-bop entre la batterie et le soliste : « quand les cymbales sont jouées en accords avec ce que le soliste joue, quelque chose qui correspond, c'est vraiment beau, à ce moment tout arrive, juste ici. »65 Avec Dizzy Gillespie, le langage rythmique de Charlie Parker était en ainsi à l'avant-garde de son époque. L'unité rythmique élémentaire employée par Parker de même que la plupart de ses pairs (Bud Powell, Dizzy Gillespie Thelonious Monk (1917-1982) était la croche. Néanmoins, le recours à la double

croche parfois même au sextolet était fréquent dans ses interprétations de ballades ou dans les pièces avec un tempo moyen tel que sur « Parker Mood »66.

Exemple musical 7 : « Parker's Mood », Savoy. Deux mesures du solo de Charlie Parker

(Eb7).

Lester Young usait d'une grande variété rythmique déjà au côté de Count Basie : croches, noires, syncopes, par exemple sur le morceau « When You're Smiling ». Comparé à Young, les solos de Parker apparaissent plus denses. Aussi pour contourner la division des phrases conventionnelles du swing en quatre ou huit mesures, Parker et les boppers construisirent des lignes mélodiques asymétriques et prolongèrent la longueur de leurs phrases. Elles pouvaient être placées de manière inopinée en début ou à la fin de la mesure. Konitz et Tristano, héritiers de ces avancées apportèrent à leur tour un degré supérieur de sophistication rythmique comme nous le verrons dans le chapitre consacré à Lennie Tristano. Habitué au jeu des saxophonistes de

l'ancienne génération - Johnny Hodges (1906-1970), Benny Carter (1907-2003) et Lester Young

65 GILLESPIE, Dizzy, To Be, or Not to Bop, Univ Of Minnesota Press, 2009, p100 «When the cymbals are played according to what the soloist is playing, something that corresponds, it's really beautiful. That's where the whole thing happens, right there.»

66 PARKER, Charlie, Charlie Parker All Stars, Savoy, New York 1948.

- la découverte de Charlie Parker fut un choc pour Konitz. « Lorsque pour la première fois j'écoutai Parker, je fus vraiment émerveillé mais pas encore convaincu. » 67 Virtuose certainement dans leurs styles respectifs, le jeu des maitres du swing contrastait avec la maîtrise instrumentale, la fluidité des phrases et la virtuosité technique de Parker. Le bop échappait encore à l'oreille du jeune Konitz. Ainsi la virtuosité est évidente chez Parker, par exemple quand il prend son envol sur des ballades comme « Embraceable You », « Don't Blame Me » ou « Out of Nowhere ». En dédoublant son débit, il atterrissait toujours élégamment sur le temps. Elle est aussi évidente dans la version de « Koko »68, enregistré sur le label Savoy en 1945, dans laquelle Parker, en dépit du tempo de 300 à la noire et des changements d'accords complexes, Parker parvient à créer une mélodie continue, construite avec logique, et des phrases qui font sens. Parker improvise de façon extrêmement claire, afin de bien faire ressortir les harmonies, dont l'enchaînement dans « Koko » était très rapide.

1.2.4 Un répertoire commun

Lee Konitz et Charlie Parker partageaient un répertoire commun issu du cadre traditionnel des standards de jazz dont l'origine se trouve dans les chansons de Tin Pan Alley, des morceaux composés par les musiciens de jazz et enfin, dans une moindre mesure pour Konitz, à travers le blues. La différence majeure se trouve dans le recours intensif de Parker aux grilles harmoniques de « I Got Rhythm » et des multiples formes du blues dans ses compositions plutôt

que l'usage des show tunes69 de Broadway. Exception faite de l'album Charlie Parker With

Strings70 qui fut composé exclusivement de standards. Il est la compilation de deux séances pour le label Mercury. Néanmoins, le répertoire de Konitz était plus diversifié car il comportait d'avantage de standards et en revanche moins d'anatoles 71 et de blues. Pour autant,

67 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, page 15

68 « Koko » est construit sur la grille du célèbre standard de Ray Noble, Cherokee

69 Un Show Tune est une chanson populaire originalement écrite pour une comédie musicale ou un film.

70 PARKER Charlie, «Charlie Parker With Strings», Mercury, New York, novembre 1949 et juillet 1950

71 L'anatole est un terme employé par les musiciens francais pour indiquer une forme AABA de 32 mesures bâtit sur la grille harmonique du standard «I Got Rhythm ».

l'interprétation de « Blues for Bird »72 en solo de saxophone, lors du dixième anniversaire de la

disparition de Parker, témoignait d'une profonde maitrise du blues.

Comme Parker précédemment, les improvisations de Konitz effacent parfois les mélodies

sur lesquelles elles étaient basées. A titre d'exemple, « Embraceable You » est rebaptisée

« Meandering ». Sur cette ballade Parker commence à improviser dès les premières mesures. Une marque distinctive des musiciens de jazz des années 1920 et 1930 qui préféraient coller davantage à la mélodie. On note que Lester Young avec « These Foolish Things »73 ou Coleman Hawkins sur « Body and Soul » avaient déjà exploré cette pratique mais uniquement en utilisant la ballade comme vecteur. En outre, Konitz interpréta des compositions de Parker telles que l'énergique « Donna Lee » sur l'album Lee Konitz with Warne Marsh paru en 1955.

Curieusement, au moment de la reprise du thème, ils débutèrent la mélodie sur le deuxième temps de la mesure (temps faible) alors que Parker et Gillespie partaient sur le troisième. L'originalité de ce procédé ne semble pas indispensable à la performance. Konitz ne paraît pas aussi à l'aise dans cet exercice. Le déplacement rythmique occasionné contribue en outre à noyer le swing du morceau.

1.2.5 Deux conceptions de l'improvisation

Enfin, nous pouvons distinguer entre ces deux maîtres des différences de point de vue liées à leur approche unique de l'improvisation. Konitz, au côté de Tristano développa une manière plus intuitive d'aborder son solo. Il construisit ses improvisations avec un réservoir limité de phrases préconçues, et reposait assez sur les autres musiciens pour lui fournir de nouvelles idées. Par contre, si un soir l'inspiration venait à lui manquer, il n'avait pas de plan nécessaire pour ce sortir de ce genre de situation embarrassante. De cette façon, il n'avait pas la garantie de pouvoir délivrer une improvisation d'une qualité homogène à chaque performance. Aussi, on note dans ses interventions la place qu'il accorde au silence. Il laisse passer quelques mesures de façon à prendre de la distance vis-à-vis de la musique qu'il est en train de peindre,

72 The Charlie Parker 10th Memorial Concert, New York, Limelight Records, 1965

73 YOUNG Lester, «The Complete Savoy Recording», New York, 18 Avril 1944.

pour observer sa toile avec une vue d'ensemble. Ensuite, il rentre dans le vif du sujet avec des idées fraiches et une vivacité nouvelle. L'enjeu est d'improviser note à note en étant conscient de l'intensité et du timbre de chaque son produit. En outre, pense-t-il davantage pour enchaîner un accord à l'autre en termes d'intervalles qu'en gammes. On associe autant Bud Powell que Lester Young à cette conception de l'improvisation.

Quant à Parker, ses improvisations s'élaboraient à partir de plusieurs types d'approches. Tout d'abord on remarque une stratégie combinatoire. Dans son ouvrage intitulé Analyser le jazz

74 Laurent Cugny définit ce type d'improvisation ; « la combinatoire : le soliste assemble des

unités a priori sans lien entre elles. » Selon James Patrick, Parker façonnait ses improvisations à partir de motifs travaillés préalablement qu'il assemblait spontanément. « Parker fondait ses solos a partir de la grille harmonique sous-jacente, en créant sans arrêt des nouvelles mélodies qui n'avaient pas de ressemblance certaines avec l'originale. En agissant de la sorte, Parker utilisait souvent un procédé de centonization connu des musicologues par lequel, de nouvelles

phrases sont créées à partir de formules mélodiques préexistantes. »75 On qualifie cette approche

également de compositionnelle. Pour Konitz, il était d'avantage un «compositeur» qu'un improvisateur pur, focalisant sur la mélodie en tâchant d'éviter les licks. Ce procédé appelé centonization suggère un assemblage de formules mélodiques préparées. Thomas Owen appliqua cette formule à Parker dans Charlie Parker: Techniques of Improvisation76. Dans une étude minutieuse d'environ 250 solos de Parker, Owen comptabilisa un total de 100 motifs récurrents. Il observait à l'analyse que Parker appliquait un motif particulier en fonction de la grille harmonique et de la tonalité, à la fois en jouant sur les accords déjà établis, les superstructures et

des accords de passage. Néanmoins, Parker possédait également une pensée mélodique horizontale qui lui donnait la liberté d'interagir avec ce qui ce passait autour de lui, en particulier avec le batteur. Konitz met en lumière la part omniprésente d'imprévisibilité et d'improvisation

pure chez lui. « Il concevait ces superbes lignes et les assemblaient de la manière la plus logique

74 CUGNY, Laurent, Analyser le Jazz, Outre Mesure, Paris, 2009

75 PATRICK, James, «Charlie Parker», The Oxford Companion to Jazz, Oxford University Press, New

York, 2000 `'Parker based his solos on the underlying chord structure, endlessly creating new melodies with no obvious resemblance to the originals. In doing so, Parker often used a process known to musicologists as centonization whereby new works are created out of short, preexisting melodic formulas.''

76OWEN, Thomas, Charlie Parker: Techniques of Improvisation, non publié, Los Angeles, 1974

et les interprétaient jusqu'à ce qu'elles prennent vie, ensuite il décidait de dépendre de ce qui communique réellement avec son public. »77 Enfin, au cours de ses improvisations en public, il lui arrivait d'incorporait des citations provenant aussi bien du répertoire jazz que classique, sans pour autant briser la continuité mélodique. L'intuition était prédominante dans son style ainsi que le recours à de courtes cellules mélodiques caractéristiques. Pour lui « intuitif signifie que vous n'avez pas vraiment de plan. Vous commencez à jouer avec une concentration intense et, ajoutez une note après l'autre. »78 Chez Konitz, nous remarquons de courtes cellules mélodiques caractéristiques de son style. Plus simples d'exécution, elles sonnent également de manière moins préméditée et mécanique, comparées aux motifs de Parker.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore