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La culture, opportunité politique, économique, touristique et sociale au profit des villes ? exemple de la ville de Nancy et ses grands rendez-vous

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par Mathilde Jannot
Université de la Sorbonne nouvelle- Paris III - Master 1 2010
  

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A. Démocratisation de la culture dans la ville ou renforcement du sentiment identitaire ?

Entendue au sens sociologique, la culture concerne les oeuvres et les pratiques culturelles et se construit dans les rapports sociaux. Ces rapports peuvent être intergénérationnels, mixtes, composites (lorsque la nationalité, la race ou la religion sont différentes), et se situent plutôt dans une optique de « mélange des genres », au sens où l'entend Bernard Lahire in La culture des individus19 mais ne relèvent en aucun cas d'un « principe d'homogénéité de classe » tel que le concevait Pierre Bourdieu20. Selon Jean-Pierre Saez, « l'objectif de toute politique culturelle consiste à faire partager au plus grand nombre l'accès aux biens culturels. »21 Ce principe de démocratisation hérité de la Révolution Française22 est un objectif vers lequel le Ministère de la Culture tend depuis ses prémices tant dans la politique nationale qu'à des échelles territoriales. Récemment celuici, dans son programme « l'accès à la culture pour tous » a d'ailleurs rappelé que :

« L'accès à la culture est un facteur essentiel d'ouverture d'esprit qui favorise l'évolution des mentalités. La fréquentation des lieux culturels est un outil de socialisation et de lutte contre les replis communautaires. De plus, la rencontre dans les lieux culturels de visiteurs différents est un élément important de sensibilisation, allant dans le sens d'un plus grand respect des autres et favorisant la vie commune. »23

19 La culture des individus. Dissonances culturelles et distinctions, Paris, La découverte, 2004. 20La distinction. Critique sociale du jugement. Paris, Editions de minuit, 1979.

21 Cf. J.P Saez, « Les grandes villes et la culture : des enjeux croisés », p.17.

22 Cf. le principe d'égalité de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : « les hommes naissent et demeurent livres et égaux en droit ».

23 http://www.culture.gouv.fr/culture/politique-culturelle/ensemble/pdf/sentiers-battus.pdf

1. Justifier socialement l'action culturelle

La ville de Nancy n'a nullement l'intention de se détacher de cette ambition. Lors d'un entretien avec M. Maigret, il m'affirmait que : « l'ambition [que se donnent la ville et la Communauté Urbaine] est que tout le monde doit se sentir impliqué dans le système »24 aussi bien par un colloque sur les jardins au XVIIIe siècle que par une vente de fleurs aux couleurs de l'Art Nouveau. Les événements organisés par la ville ont bel et bien une base culturelle, patrimoniale et historique mais le public ne perçoit pas nécessairement la participation à un événement culturel. Subrepticement, la Communauté Urbaine tentera de « veiller à la dimension à la fois culturelle, festive et populaire de l'événement »25 et d'encourager les différents publics, lors d'un micro-événement dans l'événement que constitue l'année à theme, à aller visiter une exposition, voir un spectacle, un concert autour du theme duquel ils viennent de se rapprocher. Ce type d'événement permet en outre, de développer un sentiment d'appartenance à la ville, au-delà des origines culturelles et sociales de chacun. Alors qu'habituellement les habitants d'une ville sont plutôt en situation de « coprésence »26, en se croisant sans se connaître et sans réciprocité de perspectives27mais en ayant seulement le caractère commun d'être de la même ville et d'y déambuler ; les habitants ont l'occasion - lors de ces événements - de se côtoyer et de mieux se connaître. En 2005, de nombreux micro-événements ont eu lieu dont certains dans les quartiers défavorisés de Nancy et son agglomération. L'animation et les préparatifs de la fête de quartier « Tous égaux devant la différence » dans le quartier du Haut du Lièvre en témoignent. Plusieurs ateliers ont été mis en place comme la construction d'un puzzle géant, un travail d'écriture autour d'une sculpture contemporaine, des jeux parcours, un rallye culturel « aux couleurs des valeurs du XVIIIème [où] tolérance, partage des valeurs, connaissance de soi-même et ouverture aux autres cultures [étaient les mots d'ordre]»28. Ce type d'événement issu le plus souvent du fait associatif est organisé en parallèle des manifestations montées par les institutions culturelles. Dans chacun de ces événements, on peut clairement y voir une interaction

24 Entretien M. Maigret, 20 janvier 2010, CUGN Nancy.

25 « Nancy 2005, le temps des Lumières », le bilan, juin 2006, p.9.

26 A. Batteagy, « L'espace commun entre mythes et reconstructions : variations », J.Metral (dir.), Cultures en villes ou de l'art du citadin, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 2000, p.243.

27 Analyse d'Ulf Hannerz dans Explorer la ville, Editions de minuit, 1983 citée par A. Batteagy, ibid.

28 Cf. « Nancy 2005, le temps des Lumières », le bilan, juin 2006, p.16 et p.67.

sociale sous-jacente, pendant laquelle chacun peut partager avec d'autres mais aussi apprendre des choses.

Faire venir les gens au musée ou autour d'un site patrimonial, peut relever des mêmes prérogatives. De plus en plus, dans les définitions nationales ou supranationales que se donne le musée, ces notions de démocratisation et de cohésion sociale sont présentes. En témoigne la thématique de la journée mondiale des musées 2010 organisée par l'ICOM : « Musées et harmonie sociale ». La définition du musée donnée par l'ICOM en 2001, considère le musée comme « une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement [c'est nous qui soulignons] (...) », cette définition inclut par ailleurs une acception plus large du musée au sens où l'entend la loi française, avec les sites et les monuments historiques.29Dans le même sens, la loi « Musées » de 2002, inscrite dans le Code du patrimoine donne pour mission permanente aux musées de France le fait de « concevoir et mettre en oeuvre des actions d'éducation et de diffusion visant à assurer l'égal accès de tous à la culture (
·
·
·) »30. On passe alors d'une « culture pour tous » articulée autour de la distinction traditionnelle culture bourgeoise/culture populaire à une « culture commune » qui implique reconnaissance et partage. A maintes reprises dans les catalogues d'exposition des années qui nous intéressent, on peut lire que des actions de médiation ont été menées. Sans être plus explicite que des évocations, ces phrases sous-entendent néanmoins une volonté d'accès à la culture facilité. Les musées sont d'ailleurs clairement conscients de cette vocation qui leur est attribuée : « Au terme de trois années de travaux (...) le Musée des Beaux Arts a enfin réussi la mutation qui lui fera aborder l'avenir en se concentrant sur le rôle culturel et social qu'il se doit d'avoir. Ce n'est pas le moindre des chantiers à ouvrir. »31. Ce que souligne également le maire :

«Pour autant, le nouveau Musée des Beaux Arts de Nancy n'a pas pour seule vocation d'être le reflet de notre richesse patrimoniale et de notre vitalité culturelle. Il doit être aussi, pour le public local et régional comme pour tous les visiteurs français et étrangers que nous accueillons, un lieu d'enrichissement personnel, de rencontre et de partage. En un mot, un lieu de vie. »32

29 Article 2 a) et b)i.

30 Article L.441-2, c)

31 Cf. B. Salmon. (dir.), Collection du Musée des Beaux Arts de Nancy, Regards, Paris, RMN, 1999, p.16.

32Cf. B. Salmon (dir.), ibid. p.7.

De même, on peut le voir de façon plus explicite dans le bilan de « Nancy 2005, le temps des Lumières » où cette volonté politique s'affirme lorsqu'il est question de « permettre l'accès aux manifestations au plus grand nombre : mesures tarifaires, pass expositions à la carte impliquant les musées de Nancy et du Grand Nancy, « bouquets » spectacle vivant pour croiser les publics »33. Le maximum est fait pour apporter à tous les habitants une chance d'accéder aux manifestations organisées.

L'enquête menée par l'IFOP en avril 2006 révèle que :

« Les événements de « Nancy 2005, le temps des Lumières », ont été largement suivis, 70% des résidents de la Communauté Urbaine ayant en effet participé, dont 38% « au moins une fois », 24 « plusieurs fois » et 8% « le plus souvent possible ». »34

On pourrait reprocher à la ville de Nancy de conforter le « mythe de la démocratisation »35 qui fait imaginer un ensemble de perceptions et d'images unissant les communautés et permettant la justification de l'intervention des acteurs culturels ; ce qu'Erhard Friedberg et Philippe Urfalino développent comme une forme de mécénat qui « permet aux élus d'échapper à la dénonciation de l'arbitraire de leurs choix » en finalisant et justifiant socialement leur action pour pouvoir intervenir dans le domaine culturel. 36 En effet, « (...) moins de la moitié d'entre eux [les résidents de la Communauté Urbaine] juge qu'ils [les événements] ont profité à tous les habitants de l'agglomération (48%) »37. Il y a certes justification sociale de l'activité culturelle - les projets culturels sont motivés par une action sociale à mener - mais pas dénégation cette l'activité, ce qui correspondrait à une action sociale déguisée qui s'insérerait dans des opérations culturelles s'adressant à des publics qui rencontrent des difficultés.

33 « Nancy 2005, le temps des Lumières », le bilan, juin 2006, p.17.

34 Cf. Etude IFOP, Rénovation de la place Stanislas et manifestations « Nancy 2005, le temps des Lumières » : jugements et perceptions des habitants du Grand Nancy, Synthèse des principaux enseignements, juin 2006, p.11. Méthodologie de l'enquête : 702 personnes habitants la Communauté Urbaine de Nancy, âgées de 18 ans et plus, interrogés par téléphone entre le 18 et 20 avril 2006.

35 Cf. G. Saez « Les politiques culturelles des villes. Du triomphe du public à son effacement », pp.197-227

36 FRIEDBERG Erhard, URFALINO Philippe, Le jeu du catalogue. Les contraintes de l'action culturelle dans les villes, Paris, La Documentation Française, 1984.

37Cf. Etude IFOP, op.cit, p.16.

Toutefois, si toute la population de Nancy et de son agglomération ne s'est pas forcément déplacée spécifiquement pour les événements organisés, l'impact des deux grands rendez-vous de 1999 et de 2005 n'est pas négligeable puisqu'ils modifient notablement le cadre de vie des habitants de la Communauté Urbaine, à minima des Nancéiens. Si certains s'en plaignent : « Les principaux motifs d'insatisfaction évoqués concernent d'abord les travaux réalisés : 26% des citations concernent les travaux et leur impact sur la circulation et le stationnement, 11% la durée des travaux et la gêne qu'ils ont causé du fait du bruit ou de la saleté. »38, ce n'est que temporairement. On a tendance à oublier rapidement la durée des travaux et l'insatisfaction passagère causée par des troubles des habitudes quotidiennes. D'autant que « plus de huit habitants de la Communauté Urbaine sur dix (85%) déclarent que certaines choses ou certains événements leur ont plu. (...) les plus fréquemment cités sont les évènements de la place Stanislas (79% de citations), en particulier la rénovation et la piétonisation de la place »39. Les lieux rénovés sont des lieux de passage, empruntés quotidiennement par les habitants, ce sont des lieux de croisement comme le rappelle magnifiquement Pierre Rosenberg pour la place Stanislas :

« Nous oublions surtout l'extraordinaire « croisement » qu'elles [les places, il parle également de la piazza della Signoria] représentent (et dont elles sont les symboles). S'y rencontrent, pêle-mêle, le monde des arts, le monde politique et le monde économique, les ingénieurs, les entrepreneurs, les administrateurs, les ouvriers, les architectes bien sür et les sculpteurs... Ils s'y rencontrent dans l'harmonie ou s'y choquent dans le chaos et la contestation. »40

Ces lieux de « croisement » sont, d'une certaine façon, des lieux d'interaction sociale. De la même manière que les musées peuvent l'être dans la mesure où ils entraînent un dialogue entre les visiteurs qui ne se connaissent pas forcément.

On pourrait se demander si cette cohésion sociale n'est pas éphémère, c'est à dire le temps d'un grand rendez-vous. Or, la présence d'un événement avec une thématique forte, si elle génère une interaction sociale plus forte lors d'une grande manifestation, ne désemplit pas nécessairement après la fin de la manifestation. De même qu'avant le

38 Cf. Etude IFOP, op.cit, p.8.

39 Cf. Etude IFOP, op.cit,p.6

40 Cf. A. Gady, J.M Pérouse De Montclos (dir.); De l'esprit des villes : Nancy et l'Europe urbaine au siècle des Lumières, 1720-1770, p.19.

rendez-vous, l'interaction n'était pas inexistante. Cette cohésion sociale peut être effective et maintenue grâce à un sentiment identitaire fort. En effet, selon Henri-Pierre Jeudy, le culturel est marqueur d'identité et sert de « soupape de sécurité " à la gestion du social41. L'élément culturel, s'il est intelligemment mis en valeur, est un aspect de la politique de la ville qui n'a a priori pas de raison de diviser les individus d'une même entité urbaine, tout au moins sur le fond.

« Les événements qui se sont déroulés en 2005 bénéficient globalement d'une image très positive. En effet, 94% des habitants du grand Nancy jugent qu'ils enrichissent le patrimoine historique et architectural, 62% le pensent « tout à fait », et 91% s'en déclarent fiers, dont 53% « tout à fait 42.

L'élément qui conforte la ville en 1999 est identitaire. Le nom de la ville est d'emblée dans l'intitulé de l'événement : « 1999, l'Année de l'école de Nancy ". Même si le nom générique de l'école de Nancy est l'Art Nouveau, tout contribue pour les habitants de Nancy et des alentours à être fiers de leur « identité locale ". De même, dans chaque démarche événementielle le nom de la ville est présent, ainsi en 2005, il s'agit de « Nancy 2005, le temps des Lumières " et pour 2012, à priori, il s'agira de « Nancy Renaissance ". On peut des lors se demander comment fédérer une population autour d'un theme et si celui-ci ne se révèle pas finalement consensuel.

2. Un thème socialement fédérateur ?

De plus en plus, on recense des manifestations événementielles telles les parades, les grands événements pour le passage de l'an 2000, les grands événements sportifs, les expositions internationales.43On peut penser que ces manifestations collectives viennent relayer les anciens liens sociaux rendus possibles grace à la religiosité, l'appartenance à un syndicat ou à un parti par exemple. Toujours est-il que si l'on privilégie de tels événements telles les expositions temporaires par exemple, le fait est que cela plaît. Cela plaît d'autant plus que la durée en est limitée et qu'il « faut l'avoir vu " ou pouvoir dire « j'y étais ". Tout pousse ainsi les villes à investir pour des événements éphémères mais

41 Cf. H-P Jeudy, La machine patrimoniale, p.104.

42 Cf. Etude IFOP, op.cit, p.10.

43 M. Gravari-Barbas, « La ville festive ou construire la ville contemporaine par l'événement ", PP.279-290

susceptibles de galvaniser les foules plutôt que pour des dépenses de fonctionnement, certes nécessaires et atteignant le même ordre de grandeur que les sommes mises en jeu pour des grands événements, mais dont on a tendance à mesurer l'efficacité en terme de coûts plutôt qu'en terme de besoins réels. L'enjeu est en fait différent, il s'agit aussi d'éviter un investissement qui ne rassemblerait personne, comme nous le verrons plus loin.

Nancy opte plus pour une politique d'incitation à la culture plutôt que de réponse à la demande culturelle. Il s'agit aussi d'inciter la population à se rendre à des activités qu'elle ne réaliserait pas forcément en allant au-delà des attentes citoyennes. On tente d'accompagner le public, on le sensibilise. Il ne s'agit pas de laisser s'exprimer la demande, il s'agit aussi d'en former une. De surcroît, si le public est mieux sensibilisé à la culture, il peut désirer plus que ce qu'il aurait spontanément demandé. La ville et la Communauté Urbaine ne veulent pas proposer du « tout-gratuit ". Elles proposent de développer des manifestations qui vont « stimuler le vivre ensemble "44. On cherche à mélanger le savant et le populaire, en proposant aussi bien des animations plutôt festives que des animations plus complexes. Parmi ces opérations festives, on peut recenser pour 2005 : un bal masqué organisé à l'Opéra au profit d'AIDES, la vente des 92 000 anciens pavés de la place Stanislas reversée au bénéfice de Médecins du Monde, de l'Unicef et de l'Association de lutte contre les myopathies, « Tous à la barre ", 300 mètres de barres d'exercice installées sur la place Stanislas pour suivre un cours de danse organisé par le Ballet de Lorraine, le « banquet des Lumières " où une trentaine de pâtissiers et restaurateurs avaient confectionné 23 000 gâteaux, reproduction de ceux servis à la table de Stanislas dans un décor aux lustres en cristal de Baccarat, un weekend end autour de SaintFiacre, patron des jardiniers avec des fleurs et légumes du XVIIIe siècle exposés et bien sür l'événement phare de la saison : l'inauguration de la Place Stanislas en présence de Jacques Chirac, Gerhard Schröder et Aleksander Kwasniewski. En parallèle des colloques à caractère historique qui prospèrent tels « Les places élevées à la gloire de Louis XV ", « Raison et passions au siècle des Lumières ", « Lumières, religions et laïcité " ou encore des manifestations culturelles nationales spécialement délocalisées comme les « Rencontres de la Villette " et « les Entretiens du patrimoine ». Cette volonté d'organiser des manifestations destinées à l'ensemble de la population s'affiche d'ores et déjà dans le préambule de l'événement Nancy Renaissance : « Les manifestations qu'il est envisagé

44 Cf. J.P Saez, op.cit, p.18.

d'organiser en 2012 s'efforceront, bien entendu, de conjuguer qualité du contenu et audience populaire et auront pour ambition de mieux faire connaître cette passionnante époque, de la révéler au grand public. »45. En outre, des actions de médiation sont mises en place à destination du jeune public pour le sensibiliser. A ce titre, en 2005, les enfants ont pu bénéficier d'événements festifs en partenariat avec leurs écoles en participant à un Carnaval46 sur le theme du XVIIIe siècle. Le projet avait d'ailleurs été initié lors de l'exposition sur Jacques Callot. De façon semblable, toujours en partenariat avec leurs écoles, ils ont pu découvrir le patrimoine nancéien en visitant des chantiers ou avoir une réflexion sur les valeurs du XVIIIe siècle lors de la Journée Européenne des droits de l'enfant. De même, les manifestations régulières, organisées par la ville, telles la Saint Nicolas ou le livre sur la Place47 prévoient dans la programmation de l'événement quelques rencontres ou themes en lien avec le sujet. Ainsi, on réussit à fédérer les gens autour d'un projet plutôt festif qui aura tendance ainsi à rassembler du monde. « L'événement se substitue en quelque sorte aux fêtes locales populaires du passé »48. On peut se demander si on n'opte pas pour le choix de la facilité en trouvant un theme qui fait consensus.

S'agit-il d'une stratégie d'exposition que de redécouvrir un thème pour obtenir l'appui du public ? Peut on penser comme Laurent Wolf qu'il « s'agit d'amener le plus grand nombre de gens à la porte du musée [et par extension des lieux de culture] et de leur signifier avant qu'ils ne la franchissent : vous avez raison d'aimer (...) » ? 49. Il nous faut cependant modérer notre propos étant donné que la thématique choisie pour les grandsrendez-vous n'a pas toujours été un theme qu'on pourrait qualifier de « classique » au sens où il est plus ou moins connu de tous. Si la Renaissance et les Lumières peuvent apparaître plus redondants au regard des publications déjà existantes, de leur présence inscrite dans les manuels scolaires mais aussi parce que sont des thématiques communes en Europe, il n'était pas forcément aisé de traiter des sujets tels que Jacques Callot et l'Ecole de Nancy,

45 Cf. « En 2012, Nancy, le Grand Nancy et la Lorraine célèbreront la Renaissance », p.2.

46 Le Carnaval est organisé tous les ans par les écoles de Nancy.

47 Le livre sur la Place est un salon du livre qui se tient - depuis la rénovation de la Place Stanislas - sur la place Carrière à chaque rentrée littéraire, généralement le 3e weekend de septembre. La Saint-Nicolas, fête du saint-patron des Lorrains a lieu tous les ans le weekend suivant le 6 décembre. (Pour plus d'informations, consulter : www.lelivresurlaplace.fr et www.saint-nicolas.nancy.fr )

48Cf. G. De La Porte du Theil, « La création d'un événement : un métier et des savoir-faire », Cahiers Espaces, n°74, août 2002, p.105.

49 Cf. L. Wolf, « La vérité des grandes expositions. Critique et soumission à l'autorité », Etudes, 2003/2, tome 398, pp.229. Dans cet article Laurent Wolf fait référence à l'exposition Modigliani de 2003 au Musée du Luxembourg.

pour lesquels le regain d'intérêt est relativement récent.50Il était peut-être plus facile cependant d'utiliser ces deux dernières thématiques dans la mesure où elles sont spécifiquement nancéiennes et elles permettent de capter un public local, voire régional avant que d'avoir des ambitions plus gargantuesques. A l'inverse pour les thématiques que l'on dira classiques la difficulté est inverse, il faut en extraire une spécificité nancéienne. Dans le même temps un thème connu, reconnu facilement par le grand public, évoque déjà certaines images mentales.51 D'où peut être une facilité du choix du theme que l'on pourrait reprocher à la ville de Nancy particulièrement aux organisateurs du projet.

On pourrait penser qu'il s'agit d'une aisance que se permettent les conservateurs en utilisant des périodes historiques qu'ils imaginent « comme le point central et vital de transition pour la construction de la réalité d'aujourd'hui ».52 Pour autant, il semble nécessaire d'avoir pour point de départ un patrimoine déjà présent sur lequel la ville et la Communauté Urbaine peuvent se reposer. 96% des habitants de la Communauté Urbaine jugent d'ailleurs que ce type de manifestations est utile pour la mise en valeur du patrimoine historique53. Puisque l'événement va animer non seulement le patrimoine, les musées et la ville entière pour une durée minimale de quatre mois (1999) à un an (2005), il s'avère nécessaire de faire ce choix. En effet, les habitants connaissent, de visu au moins, ce patrimoine ou croient le connaître parce qu'ils sont pénétrés de ces lieux qu'ils côtoient fréquemment. Il serait particulièrement déplacé qu'une ville, qu'elle qu'elle soit d'ailleurs, pour un événement d'une telle envergure, organise tout un événement fondé sur un propos historique qui ne la concerne pas, ou de très loin. Il semblerait par exemple invraisemblable que Nancy monte un événement sur le Paris haussmannien. Evoquer vaguement le Paris haussmannien en tant que repère historique par rapport à un propos sur Nancy à la même période se montrerait plus approprié. C'est d'ailleurs ce qu'a fait le Musée des Beaux Arts lors de l'exposition De l'esprit des villes Nancy et l'Europe urbaine

50 L'année Callot, nous l'avons vu correspondait à une rétrospective de la totalité de l'oeuvre gravée. L'intérêt pour l'école de Nancy est porté dans les années 1970-80 par de jeunes historiens qui s'intéressent à la période, l'Inventaire général des monuments historiques travaille sur les immeubles Art nouveau depuis les années 1980. Parallèlement, les objets Art nouveau, trouvent un regain d'intérêt sur le marché de l'art, notamment japonais, qui ne désemplit pas.

51 Cf. N.Drouguet, « Succès et revers des expositions-spectacles », Culture et musées n°5, juin 2005, pp.65- 88

52 Cf. A. Detherige « Le musée, le public, les médias » dans J.Galard, op.cit, p.71

53 Cf. Etude IFOP, op.cit, p.15.

au siècle des Lumières, 1720-1770 en évoquant d'autres places royales contemporaines de la place royale de Nancy (actuelle place Stanislas) en France et en Europe. C'est ce que s'efforcent de faire les organisateurs des événements, Nancy 2012 s'appuiera avant tout sur le patrimoine Renaissance de la vieille ville avant de se reconsidérer dans un propos plus général. Il en était de même en 1999 avec un patrimoine Art Nouveau particulièrement riche, étendu dans toute la ville même si des ressources extérieures ont été utilisées.

Par ailleurs, on connaît l'enjeu de mise en oeuvre d'expositions. Elles ont un coüt de réalisation élevé de par la sécurité et les frais d'assurance mis en place. De fait, il est préférable pour les institutions organisatrices de bénéficier d'un retour sur investissement, tout au moins de couvrir les frais engagés54. Cette stratégie peut infléchir sur les décisions politiques, budgétaires notamment en choisissant d'abord des themes classiques. D'où le phénomène d'expositions « blockbusters » déjà évoqué, expositions aux titres suggestifs, faisant référence aux ages d'or et aux trésors qui vont capter l'attention du public, comme des financeurs qui veulent investir dans des valeurs sûres. Ces expositions à succès qui s'invitent dans nos musées sont issues directement de la récupération publicitaire par les musées avec, de plus en plus, un système de réservations qui est instauré. Le déplacement exceptionnel d'une oeuvre constitue parfois à lui seul l'événement. 55 On sait d'ores et déjà que le Musée des Beaux Arts accueillera en 2012 quelques oeuvres du Musée des Offices de Florence. Qu'elles que soient ces oeuvres, derriere elles se glisse la notion fascinante de chef d'oeuvres, susceptible d'attirer des visiteurs.

Le patrimoine apparaît comme un miroir de l'identité de la collectivité lui permettant de se construire, de se montrer et de s'exposer. On réinterprète le passé au bénéfice des temps présents, pour revendiquer une place dans l'histoire et dans l'actualité.

54 Cf. V. Patin, op.cit, p.44.

55 Cf. R. Rapetti, op.cit.

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