Conclusion
On a tenté de montrer, au travers de l'exemple de Nancy,
dans quelle mesure la culture peut jouer un rôle au sein d'une politique
globale.
Socialement, le rendez-vous présente un
intérêt, il permet un accès du plus grand nombre à
la culture et aux événements qui lui sont rattachés, se
voulant ainsi comme un temps festif, de rencontres, de « croisements
» autour d'un patrimoine en commun. Patrimoine, possédant une vertu
fédératrice voire identitaire renforçant ainsi le
sentiment d'appartenance à la ville. Les habitants de Nancy et de sa
Communauté Urbaine pouvant alors partager des référents
communs. Les musées et le patrimoine, plus généralement la
culture, semblent devenir l'apanage des collectivités territoriales et
notamment des villes. Gérer une ville ne se réduit manifestement
plus à la régie d'actes techniques. « Garantir la
cohésion sociale, fédérer les talents, mettre en
présence des sensibilités, des générations, bref
faire en sorte que les gens se reconnaissent dans leur ville, aient envie de se
l'approprier, de la découvrir (...) »212semble
désormais être aussi une des fonctions que la ville doit remplir.
Les trois musées de Nancy qui nous intéressent entendent jouer un
rôle moteur dans la vie culturelle tant au quotidien que poussés
par des temps forts. Ils permettent à chacun de découvrir et
s'approprier leurs collections en restant des lieux de partage des
connaissances et du patrimoine, contribuant ainsi à l'enrichissement
personnel. Les musées, à travers ces grands
événements entendent opter pour une réflexion sur
l'avenir, ne se contentant pas de s'appuyer sur un patrimoine glorieux. Ils
rendent possible
212 André Rossinot dans N. Descendre, Le Bottin des
Lumières, p.8-9.
le dialogue de leurs collections avec la création
contemporaine. Emanant d'une volonté politique, les grands rendez-vous,
en condensant les possibilités culturelles stimulent une offre
constante. Cependant, il faut veiller à ne pas uniquement stimuler
l'offre pour accroître la demande au risque de diluer
l'intérêt des publics. Il faut veiller à proposer en
continu une « irrigation culturelle » du territoire avec des
propositions variées en restant ouvert à ce que souhaitent les
habitants locaux.
Pour autant, « (...) 87% des personnes interrogées
souhaitent que ce type d'événements soit renouvelé
à l'avenir ( · · ·) »213. Cela
signifie que l'opération est correctement articulée et que les
investissements financiers ne sont pas futiles. Les énergies des
organisateurs du projet sont communes pour un même projet, les
administrateurs institutionnels s'appuyant sur un large réseau de
partenaires qui prolongent intellectuellement les enjeux financiers
engagés pour proposer une offre fiable et de qualité. Le projet
se doit d'être une réussite intellectuelle et culturelle, il doit
aussi être une réussite touristique - par la fréquentation
qu'il engendre - et économique avec des retombées, de
préférence positives. Cependant, il ne pourrait pas être
qu'une réussite touristique et économique. Si « pendant
longtemps, on a considéré que mêler les problèmes
d'argent aux problèmes de culture constituait une sorte de non-sens,
quasiment une incongruité. Certains conservent d'ailleurs toujours
l'arrière-pensée qu'il ne faudrait pas parler d'argent quand on
parle de culture. Mais nous savons bien que tout doit se mesurer, et que
l'argent constitue l'un de ces moyens de mesure (même si ce n'est
évidemment pas le seul). S'il ne faut pas trop parler d'argent, il faut
toujours parler d'efficacité, car il est inadmissible de ne pas
être efficace dans quelque domaine que ce soit où on utilise de
l'argent, qu'il soit public ou privé. »214. Cette
efficacité se mesure également avec les retombées plus
immatérielles telle la présence médiatique,
l'attractivité engendrée et aussi la pérennité
intellectuelle et physique qu'il va léguer à la
postérité. Actes, publications participent à cette
dernière, les rénovations apportées aux bâtiments et
aux objets paraissent être engagées pour plusieurs
générations, de même que les projets intellectuels qui sont
le fruit de ces événements.
213 Cf. Etude IFOP, op.cit, p.17.
214Intervention de R .Mézin dans M.Gabillard,
R.Mezin, F. Thorel, « Culture et gestion, le point de vue des élus
locaux », P.42
Enfin, s'il nous semblait de prime abord qu'il puisse y avoir
une certaine instrumentalisation de la culture, dès lors que notre
regard est extérieur. Il apparaît en fait que
l'événement soit profitable aux musées dans tous les sens
du terme et que tous les professionnels de la culture soient plutôt
satisfaits que leurs services puissent être mis à profit lors
d'événements d'une telle ampleur. « C'est un travail
concerté, le professionnel a besoin du politique pour le budget,
l'élu a besoin du professionnel pour l'approche scientifique
».215 L'événement est conçu en amont, il
n'est là que parce qu'il s'appuie sur un patrimoine existant pour
illustrer son propos et s'articule comme un temps fort par rapport aux
programmations que proposent les musées aux publics. La
difficulté consiste toutefois à éviter que les
investissements conséquents qui sont déployés pour les
manifestations événementielles ne soient pas mieux
répartis au fil des ans afin d'être disponible de façon
pérenne.
Néanmoins, les événements sont
bénéfiques aux musées à plus d'un titre. Ils
donnent lieu à une fréquentation plus importante et
diversifiée en matière de publics grâce aux moyens qui sont
déployés proposant ainsi une communication opérationnelle.
Ces rendez-vous permettent aux musées de remplir leurs missions de
façon accélérée, parce que tous les professionnels
oeuvrent dans le même sens. Les moyens étant mutualisés, il
devient plus simple de collaborer. L'étude des collections se voit
renforcée grâce à leurs restaurations. S'adapter aux
nouveaux enjeux sociétaux est un des défis actuels des
musées notamment en s'articulant à l'économie, en veillant
toutefois à conserver leur intégrité.
On peut se demander à une échelle plus
importante, si l'événementiel n'est pas une solution par
défaut pour les collectivités suscitée par la
fugacité des mandats et la difficulté de reconduire les actions
culturelles d'une politique opposée. D'où la
nécessité parallèle d'un travail continu d'inscription
territoriale de la culture et de mobilisation des acteurs pour éviter
leur instrumentalisation.
On constate, spécifiquement pour Nancy, que les trois
grands événements ont coïncidé avec la
rénovation des trois grands musées. On pourrait s'interroger,
dans un autre cadre, sur le jardin botanique, l'aquarium et le musée du
fer. Seraient-ils susceptibles d'être aussi porteurs de manifestations
telles que « l'Année de l'Ecole de Nancy » et « Le temps
des Lumières » l'ont été ? Ce sur quoi un opposant de
la majorité ironisait en disant que
215 Entretien téléphonique avec Mme
Véronique Noël le 11/03/2010.
Nancy ne pouvait pas en permanence faire des grands
événements en « remontant jusqu'aux temps
préhistoriques », signifiant ainsi l'épuisement des
possibilités patrimoniales comme un des risques pour la ville et sa
Communauté Urbaine. On peut lui rétorquer qu'il existe
différents angles d'approches d'une thématique muséale et
patrimoniale et que souvent, au fil du temps, on revoit ses positions. De
même, les investissements consentis en 1999 pour le Musée de
l'Ecole de Nancy et le Musée des Beaux Arts, en 2005 pour les
collections du Musée des Beaux Arts et le patrimoine XVIIIe de la ville
ou pour le Musée Lorrain, ne répondront peut être plus,
d'ici peu, aux problématiques sociétales actuelles et qu'il
serait alors de bon temps de revoir ces jugements.
En outre, il serait également intéressant de
s'interroger sur l'essence festive impulsée pour ces
événements. N'existe-t-il pas d'autres moyens de faire venir les
gens au musée ? Plus généralement, on se demanderait alors
quel sera le futur de l'événementiel et si l'on peut opter pour
une voie médiane, entre expositions temporaires et collections
permanentes.
|