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Le " retour forcé " des roumains en Roumanie, depuis 2007

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par Audrey Guitton
Université de Poitiers - Master migrations internationales 2011
  

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2) Contexte juridique et administratif des aides au retour

La France et la Roumanie ont signé des accords bilatéraux. Le premier accord, concernant la réadmission des personnes en situation irrégulière, a été conclu en 1994. Ensuite, un accord sur les échanges de jeunes professionnels a été passé en 2003. Le dernier accord bilatéral liant la France et la Roumanie portait sur la protection de mineurs roumains en difficulté sur le territoire français et la lutte contre les réseaux d'exploitation. Il a été signé en 2004; il est toujours en vigueur. Enfin l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne a changé son statut juridique et les accords de 1994 et 2003 sont caduques depuis 2007.

L'étude de ce cadre juridique et administratif révèle, rapidement, l'importance du pouvoir discrétionnaire de l'administration. Un colloque sur le pouvoir discrétionnaire de l'administration s'est déroulé à Oxford, en 1995, sous l'impulsion du conseil de l'Europe8 . D-J Galligan y définit le pouvoir discrétionnaire comme « l'autonomie du jugement et de la décision »9 d'un administrateur. La décision incombe à l'appréciation et à l'interprétation de ce dernier. L'auteur écrit qu'il s'agit d'un « acte délibéré poursuivant certains objectifs, répondant aux contraintes et aux influences qui se manifestent dans différents contextes, plutôt qu'un exercice abstrait et logique. »10 Il s'agit souvent d'établir un fait ou la pertinence d'un fait. Le problème, dans ce cas précis, est que la notion même de « pertinence » ne peut être pensée comme universelle. Elle répond aux représentations sociales et culturelles, des fonctionnaires intermédiaires. Un pouvoir discrétionnaire peut trouver sa source dans des conceptions morales, des objectifs ou des orientations politiques, des décisions personnelles ou de groupe. Alexis Spire écrit que « [...] la décision d'octroyer un droit est le produit d'une combinaison complexe entre les règles juridiques contenues dans la loi, des normes d'interprétation établies par voie de circulaires et un pouvoir d'appréciation conféré aux agents intermédiaires de l'État11. »

a ) En Union européenne (UE)

Les accords de Schengen de 1985 ont établi la libre circulation des biens et des personnes, dans « l'espace Schengen ». Ils furent suivi de la Convention de Schengen en 1990. Depuis, L'UE n'a cessé de favoriser la mobilité de ses citoyens. Le traité de Maastricht, en 1992, a permis la liberté de circulation, d'installation et de travail des ressortissants des pays communautaires. Le

8 Galligan D.-J.., « Pouvoir discrétionnaire et principe de légalité » in Conseil de l'Europe, Pouvoir discrétionnaire de l'administration et problèmes de responsabilité, Ed. Conseil de l'Europe, Oxford, 1995.

9 Ibid., p. 16.

10 Ibid., p. 18.

11 Spire A., Étrangers à la carte. L'administration de l'immigration en France (1945-1975), 2005, Grasset, Paris, p. 259.

9

10

Conseil européen de Tampere, en 1999, énonça la libre circulation pour tous, car « il serait contraire aux traditions de l'Europe de refuser cette liberté à ceux qui, poussés par les circonstances, demandent légitimement accès à notre territoire »12. De grandes « vagues d'élargissement » suivirent. Les ressortissants Roumains furent exemptés de visa Schengen à partir du 1er janvier 2002 et la Roumanie et la Bulgarie sont entrées dans l'Union européenne le 1er janvier 2007. Les deux pays ne font pas partie de l'espace Schengen et font toujours l'objet de mesures transitoires. Ces mesures leur limitent notamment l'accès au marché du travail, dans les autres pays communautaires. La liberté de circulation des citoyens européens est réglementée par la circulaire du 29 avril 2004, du Conseil de l'Europe et du Parlement européen13. L'article 7 de cette directive énonce les conditions de séjour d'un ressortissant européen, dans un autre pays européen, au delà de trois mois. « All Union citizens shall have the right of residence on the territory of another Member State for a period of longer than three months if they: [...] have sufficient resources for themselves and their family members not to become a burden on the social assistance system of the host Member State during their period of residence and have comprehensive sickness insurance cover in the host Member State. » Cette directive a une valeur de recommandation pour les États européens. La France suit ces recommandations, l'Espagne ne le fait pas.

L'EU s'est également accordée sur la nécessité de mettre en place une coordination active en matière de retours, qu'ils soient forcés ou volontaires. Un Fond européen au retour à notamment été mis en place. Il permet, en France, de financer 75 % des « allocations financières incitatives au retour »14 et 50 % de « la mise en place de dispositifs intégrés de réinsertion dans les pays sources, notamment l'Afrique ».15

Bien qu'une tendance à l'harmonisation des politiques migratoires est observable au sein de l'UE, depuis le milieu des années 1980, de nombreuses réticences freinent ce mouvement. En effet, les États souhaitent conserver leur souveraineté nationale dans ce domaine. Ainsi, l'accueil, le séjour et l'éloignement des étrangers restent dictés par des mesures nationales. La mise en application de mesures nationales est souvent plus rapide et plus efficace que celle des traités internationaux, qui ne peut, en aucun cas, se voir imposée aux États souverains. Pour expliquer ce phénomène, C. Wihtol de Wenden écrit que « les migrations défient les principes même du système étatique westphalien par les transgressions qu'elles apportent entre l'ordre politique interne et l'ordre externe (influences, ingérences, allégeances, intrusion, parfois par migrants devenus citoyens interposés et électeurs à distance). »16 Les migrations internationales dérangent les États, en

12 Berramdane A., Rossetto, J. La politique européenne d'immigration, 2009, Karthala, Paris.

13 Directive 2004/38/EC

14 Fond européen pour le retour.

15 Ibid.

16 Wihtol de Wenden C., « La globalisation humaine », in Chemin A., Gélard J.-P. (dir.), Migrants. Craintes et espoirs,

11

remettant en question leur contrôle de leur territoire, et de leurs frontières. En réaction à cela, les États s'attachent à leur souveraineté nationale, dans le domaine des migrations.

b) Le contexte d'application juridique en France

Les circulaires font office d'adaptation du cadre juridique du pays aux conditions économiques, politiques et sociales du moment. Elles sont applicables immédiatement après parution. Bien qu'il ne s'agisse pas de règles impératives, leur non application peut entrainer des sanctions. Karl Messer écrit que : « après tout, l'existence d'une circulaire ne dépend pas de sa validité officielle mais du caractère persuasif de son contenu. »17 Une des fonctions des circulaires est d'éviter que chaque acte administratif puisse être contesté devant les tribunaux. En effet, elles explicitent, souvent, le cadre d'action et d'interprétation des lois.

Ainsi, bien que l'ordonnance du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, ne permet pas « la sélection par l'origine », son application peut différer selon les époques et les circulaires en cours. Les circulaires étant des documents destinés aux administrations, elles ne sont pas soumises au Parlement. De plus,elles ne sont pas publiées au journal officiel. Il est ainsi rare que l'opinion publique soit au fait de ces documents. Ceci permet à l'administration de changer ses pratiques, sans avoir à s'en expliquer et sans déroger à la loi.

Les circulaires peuvent faire varier l'application de la loi. À cela s'ajoute la possibilité d'interprétations différentes de ces circulaires, d'un département à l'autre, d'un employé de préfecture à l'autre18. L'application du droit communautaire, en matière d'immigration, ne déroge pas à la règle. Alexi Spire écrit : « faute d'avoir été traduit en droit interne, les textes européens ont pendant longtemps été répercutés par voies de circulaires, laissant intact le pouvoir discrétionnaire des agents de l'État. » 19 Ainsi, bien que la loi reste inchangée, les pratiques peuvent diverger selon les époques, les lieux, les personnes. Les agents de l'OFII peuvent ainsi adopter des pratiques très différentes, sans déroger à la loi, et en toute « discrétion ».

c) Les textes applicables

La circulaire du 22 décembre 200620, relative aux modalités d'admission au séjour et d'éloignement des ressortissants roumains et bulgares à partir du 1er janvier 2007, stipule que : « les autorités françaises peuvent néanmoins apporter des limitations au droit de circulation et de séjour

2009, PUR, Rennes, p. 243.

17 Messer K., « Circulaires administratives et contrôle judiciaire : observations sur le droit et la pratique en Allemagne et dans l'Union européenne, in Conseil de l'Europe », in Pouvoir discrétionnaire de l'administration et problèmes de responsabilité, Ed. Conseil de l'Europe, Oxford, 1995, p. 111.

18 Spire A., Étrangers à la carte. L'administration de l'immigration en France (1945-1975), op. cit., pp. 143-188.

19 Ibid. p. 234.

20 Circulaire NOR INT/D/06/00115/C.

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lorsque les intéressés représentent une menace pour l'ordre public ou constituent une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale français. ».21 Cette circulaire respecte donc les recommandations énoncées dans la directive du Conseil de l'Europe, relative à la libre circulation des ressortissants européens. Le terme « déraisonnable » est fortement connoté, moralement et culturellement. Il réfère à un jugement de valeur. Dès lors, les agents de l'administration peuvent tous, interpréter et mettre en pratique la législation, de manières différentes. Les circulaires ont, notamment, pour but, d'uniformiser les pratiques administratives. Dans cet exemple, la circulaire propose aux agents, de tenir compte d'éléments matériels et financiers, pour établir la « raisonnabilité » de la charge. Ici encore une diversité de pratiques est possible puisque rien n'est imposé. Les agents peuvent ne pas prendre en considération les éléments matériels cités par la circulaire.

Les Roumains et Bulgares peuvent, également, être reconduits à la frontière, s'ils enfreignent la législation du travail. La Roumanie et la Bulgarie étant toujours sous un régime « transitoire » au sein de l'UE, leurs ressortissants ont l'obligation d'être en possession d'un titre de séjour valide pour travailler en France. C'est un arrêté du 18 janvier 200822 qui régit la situation de l'emploi de ces ressortissants et donne la liste des 150 métiers qui leur sont ouverts. Cet arrêté est une des mesures transitoires dont la Roumanie et la Bulgarie font l'objet. La fin de ce régime transitoire n'étant pas unifiée en UE, les États disposent d'un pouvoir discrétionnaire.

D'après la circulaire interministérielle du 7 décembre 200623 relative aux dispositifs d'aide au retour, un étranger ne peut bénéficier qu'une seule fois de ces programmes. Un dispositif de prise d'empreintes digitales est en train d'être mis en place pour s'en assurer. Les empreintes digitales sont ajoutées aux données regroupées par l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF). Jusqu'à lors, certaines personnes réussissaient à déjouer cette limitation.

Dans le cadre d'une ARH, les différents membres de la famille sont supposés quitter le territoire ensemble. Ainsi « le consentement exprès de chacun des membres de la famille est requis »24. Des entretiens individuels doivent être effectués par l'ANAEM (ou l'OFII) ainsi qu'un accompagnement personnalisé « en vue d'une aide à la décision ». Cet accompagnement doit se poursuivre jusque dans le pays de retour. La prise en charge matérielle doit être maintenue jusqu'à la destination finale.

Les aides à la réinstallation sont distinctes des ARV et ARH, et seules certaines nationalités

21 C'est donc dans ces conditions que les Roumains et Bulgares peuvent faire l'objet d'une procédure de reconduite à la frontière.

22 Arrêté NOR : IMID0800327A.

23 Circulaire interministérielle n° DPM/ACI3/2006/522.

24 Ibid.

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peuvent les cumuler25. Elles ciblent des personnes qui ont un « véritable projet de réinsertion économique dans leur pays d'origine ». Dès lors on s'interroge sur ce qu'est un véritable projet.

Dans le domaine des migrations internationales, bien que des accords internationaux énoncent les grands préceptes à respecter, les états conservent leur souveraineté nationale. L'accueil, le séjour et l'éloignement des étrangers restent dictés par des mesures nationales. De plus, même si la loi nationale ne change pas, les pratiques et les conceptions peuvent diverger selon les époques, les lieux, les personnes. Ainsi, nous verrons que de nombreux aspects des aides au retour humanitaire ne sont pas respectés. Cette observation me conduira à me questionner sur la définition d'un retour forcé.

Dans les définitions des organismes internationaux, travaillant avec les migrants, ce sont essentiellement les facteurs de la migration qui sont mis en avant. The United Nations Population Fund (UNFPA) définit la migration forcée comme « celle qui résulte de la coercition, de la violence, de raisons politiques ou environnementales contraignantes ou d'autres formes de contraintes, plutôt que d'une décision volontaire. »26 Selon cette définition, les deux types de migration sont très différents et opposables. Il n'est pas rare de retrouver cette idée dans les nombreuses publications scientifiques sur le sujet. Selon ces travaux, si le migrant n'est ni réfugié, ni demandeur d'asile, ni apatride, ni déplacé interne, ni déplacé écologique, il est, de fait, migrant volontaire. Ainsi, le sous titre de l'Atlas des migrations dans le monde27, de Catherine Wihtol de Wenden : Réfugiés ou migrants volontaires est très significatif à cet égard : elle cite les mouvements de réfugiés et de demandeurs d'asile, ainsi que le trafic de personnes, comme migrations forcées, et l'exode de cerveaux et les migrations économiques, comme volontaires. Cet angle d'étude ne s'avère cependant pas pertinent dans notre cas d'étude. En effet, le phénomène que je décris, ne peut être pleinement recouvert par ces catégories. Dès lors, pour définir une migration forcée, ou volontaire, il semble judicieux de l'étudier au prisme des pratiques, du comment et non des facteurs, du pourquoi. Véronique Lassailly-Jacob a développé cet axe d'analyse, dans Déplacés et Réfugiés. La mobilité sous contrainte28.

25 Les pays pouvant cumuler les ARH et les aides à la réinstallation sont les suivants : Algérie, Arménie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Burkina Faso, Cameroun, Cap Vert, Comores, Congo, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Géorgie, Guinée, Haïti, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Moldavie, Niger, Nigeria, République centrafricaine, Roumanie, Rwanda, Sénégal (pays pour lequel l'appui à la conception et le suivi sont pris en charge dans le cadre du programme bilatéral franco sénégalais "programme d'appui aux initiatives de solidarité pour le développement"), Somalie, Surinam, Tchad, Togo, Tunisie, Ukraine, Vietnam.

26 http://www.unfpa.org/swp/2006/french/chapter_1/forced_migration.html [Site consulté le 10/02/2010.]

27 Wihtol de Wenden C., Atlas des migrations dans le monde. Réfugiés ou migrants volontaires, Autrement, Paris, 2005.

28 Lassailly-Jacob V., Marchal J-Y., Questel A., Déplacés et Réfugiés. La mobilité sous contrainte, Ed. de l'IRD, Paris, 1999.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon