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Quelle place pour la poésie dans l'édition de littérature pour la jeunesse en France (1992 - 2012) ?

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par Agnès Girard
Université du Maine - Master 1 Littérature Jeunesse 2013
  

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3 - La place à l'école : devenir « classique »

La reconnaissance du travail patient et passionné des éditeurs de poésie pour la jeunesse passe par les prix, la place médiatique et la reconnaissance que l'institution pédagogique donne à certains auteurs contemporains.

Nous l'avons vu, le renouveau poétique est une volonté de l'Education nationale, et les titres proposés dans les listes sont le reflet de cette volonté de renouveau. Sorties le 31 janvier 2013, les nouvelles listes de référence de livres de littérature pour le cycle 2 et le cycle 31 proposent de nombreux ouvrages des éditions Møtus : pour le cycle 2 : Mes poules parlent, Noémie lit et crie, Le petit cul tout blanc du lièvre dans la catégorie Comptines, abécédaires et jeux langagiers, Mère la soupe dans la catégorie Contes et Fables, Est-elle Estelle ?, La petite fille qui marchait sur les lignes dans la catégorie Albums ; pour le cycle 3, Nasr Eddin Hodja, un drôle d'idiot dans la catégorie Contes et Fables, Le rire des cascades, Le soleil meurt dans un brin d'herbe, dans la catégorie Poésie. Pour le collège, la liste, réactualisée en 2012, propose deux ouvrages de poésie : Mon Kdi n'est pas un Kdo et Un rêve sans faim. Dans une interview de 2012, François David affirmait que le succès de certaines de ses publications tenait à « ce que plusieurs de ces titres ont été salués par des Prix de renom et qu'un grand nombre de poèmes qui les composent font maintenant partie d'anthologies et de manuels »2. Ces onze ouvrages sélectionnés participent effectivement à la reconnaissance de la maison d'édition mais favorisent aussi la rencontre des médiateurs et des éducateurs avec les textes inédits de poésie. Ils deviennent de ce fait une référence commune à tous les enseignants et aux enfants des classes françaises. La résultante n'est pas négligeable, elle permet une ouverture sur le travail des éditions Møtus. En accord avec Jean-Pierre Siméon, on constate

1MEN-DGESCO, La littérature à l'école, Listes de référence, 2013, eduscol.education.fr/litterature-ecole. 2DAVID François, « La poésie Jeunesse : des paroles d'éditeurs », Griffon n° 231, mars-avril 2012, p.8.

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que « dans le domaine de la poésie, le répertoire fourni aux enseignants par l'usage, l'édition ou l'institution via les manuels et les anthologies est le lieu quasi exclusif où, d'une part, se constituent les représentations [que se font les enseignants de la poésie] et où, d'autre part, elles se perpétuent, c'est-à-dire, à proprement parler, elles font école »1. La liste fait foi, de ce fait, elle fait connaître les ouvrages qui sont reconnus comme des références incontournables et la majorité des enseignants, premiers médiateurs de ce genre auprès des enfants, n'entrent souvent en contact avec la poésie qu'à travers cette liste. Figurer dans « la » liste de référence des oeuvres de littérature jeunesse pose aussi paradoxalement le problème de la reconnaissance d'autres textes qui n'y figurent pas. Par essence, le choix est toujours aussi le résultat d'une exclusion. « La » liste devient ainsi « la » référence incontournable à laquelle on doit se référer. A la place d'être une ouverture sur les textes elle procure une contrainte due à ses propres limites. Pour François David, « lorsque cette liste devient obligatoire et que les autres ouvrages, hors liste, sont méconnus ou réduits à la portion congrue, on peut quelque peu s'interroger. Et espérer que la littérature, surtout "jeunesse", invite le lecteur à se délivrer de tout guide imposé... »2. L'année où François David écrivait cela, effectivement, un seul titre des éditions Møtus appartenait à la liste de référence de 2002. C'est peu mais la progression du nombre de titres référencés sur la liste 2013 a permis une reconnaissance des ouvrages publiés. Ce sont ces ouvrages que l'on trouve dans les maigres rayons des libraires quand ils existent. Certes, la liste reste encore restreinte mais elle permet une culture commune aux enfants des classes françaises et une visibilité pour Møtus à l'échelle nationale, au sein de la profession des Professeurs des écoles, ce qui n'est pas négligeable. Ce qui nous amène à une autre problématique : n'y a-t-il pas un paradoxe à vouloir faire de ces poèmes sélectionnés des pépites de littérature classique alors qu'ils se revendiquent comme « nouveaux et insolites » ? La poésie contemporaine, inédite, peut-elle devenir « classique » dans le sens où nous le décrivions au début de ce mémoire ? Et n'aurions-nous pas, à nouveau, des noms de poètes imposés à l'école comme les seuls ouvertures possibles sur une poésie balisée ? Devenir « classique » comporte cette ambiguïté d'une ouverture sur une culture commune mais aussi d'un enfermement dans une liste qui peut s'affadir et vieillir et qui restreint les ouvertures vers d'autres textes. Il en va de la responsabilité des médiateurs, qui permettront aux enfants de « découvrir peu à peu, patiemment, librement, son propre guide, unique, en soi »3. Pour Jean-

1SIMEON Jean-Pierre, La vitamine P, Op.cit. p. 157.

2DAVID François, « Du vin dans son eau », Griffon n° 189, novembre-décembre 2003, p. 22. 3Ibid.

Pierre Siméon1 aussi, les autres occasions de rencontrer la poésie par une démarche spontanée et volontaire sont tellement rares que l'idée de poésie se forme à partir du corpus livré par l'édition pédagogique.

L'enjeu alors n'est plus seulement d'éditer des textes de poésie et la façon de le faire, mais devient le moyen de faire « passer » la poésie : comment les textes inédits s'offrent-ils aux lecteurs, comment faire découvrir des poètes sans en imposer une liste restrictive ? Comment amener le lecteur à s'ouvrir sur une autre poésie, en fait comment former des poètes ? Il semblerait que la poésie soit mouvante, vivante, et qu'elle ne se satisfasse peu des carcans dans laquelle on la confine, voire qu'elle s'y oppose par nature. Il n'est pas facile de faire passer un genre qui évolue, qui est divers, multiple, diffus dans d'autres genres, pourtant c'est aussi un des enjeux pour que vive la poésie. C'est aussi une de ses richesses qui font de la poésie un genre à part.

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1SIMEON Jean-Pierre, La vitamine P, Op.cit. p. 157.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard