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Quelle place pour la poésie dans l'édition de littérature pour la jeunesse en France (1992 - 2012) ?

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par Agnès Girard
Université du Maine - Master 1 Littérature Jeunesse 2013
  

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C - Un renouveau poétique à destination des plus jeunes

Parmi ces maisons d'éditions, il en est une que le parcours atypique a porté aux premières lignes de l'édition de poésie pour la jeunesse : les éditions Møtus se sont constituées en association en 1988 et ont fait le choix de s'installer en Basse Normandie. La proximité de cette maison, leur choix d'éditer de la poésie, le caractère artisanal et associatif et, cependant, leur reconnaissance dans le monde de la littérature pour la jeunesse leur confère un parcours hors des sentiers battus qu'il est intéressant de souligner. Loin de proposer un texte affadi sous prétexte qu'il s'adresse aux enfants, ou qu'il soit limité par la forme artisanale que revêt

1Illustratrice, co-fondatrice des édtions Cheyne.

2BOUTEVIN Christine, « Regards sur un éditeur, Cheyne a 30 ans », dans Nous Voulons Lire !, n° 186, novembre 2010.

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ces éditions, elles éditent des textes adaptés de poésie et participent de ce fait au renouveau de la poésie pour la jeunesse.

1 - Dépoussiérer la poésie : nouvelles formes, nouvelles pratiques

Malgré cette volonté de renouveler, de « dépoussiérer » la poésie, rares sont les éditeurs pour la jeunesse qui proposent de la poésie inédite.

Dans une interview, François David écrit à propos de la nouvelle qu'elle « ne se vend pas, dit-on, donc n'est guère éditée, donc ne se vend pas. »1. C'est une problématique attachée à l'existence des éditions Møtus. En effet, une des façons de proposer une poésie nouvelle est de puiser dans le répertoire des poètes vivants. Dans cette politique d'éditer des « inédits », les éditions prônent une volonté d'une poésie qui sort des sentiers battus, proposant une poésie nouvelle et vivante, loin de l'anthologie des « beaux textes ». François David s'attache à éditer des textes contemporains, pour plusieurs raisons, la première étant que la reconnaissance du métier de poète est primordiale pour lui, poète lui-même, il sait la nécessité pour les poètes de vivre de leur travail. De plus, il ne pourrait exister de poésie sans poètes contemporains. L'originalité de publier des textes inédits, est « un choix encore peu courant et précieux en poésie jeunesse, car, pour pouvoir faire des anthologies il faut bien que les textes aient déjà été publiés ! »2. L'éditeur souligne ici une problématique qui différencie les grandes maisons d'édition des petites maisons. En effet, il est plus facile pour les premières de publier des textes inédits à côté de textes qui font foi et qui seront plus vendus. Ainsi le risque est moindre que pour les petites maisons d'édition qui ne conçoivent la poésie vivante que dans le texte inédit et qui font le pari d'une poésie nouvelle et actuelle, sans la sécurité d'éditer d'autres textes qui assurent le succès de la maison.

Le héron au long keb emmanché d'un long ouc3

est une création poétique mais aussi un clin d'oeil à la poésie

le héron : un oiseau au long bec emmanché d'un long cou4

1DAVID François, « Le savoir ou pas », dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.3.

2DAVID François, La revue des livres pour enfants, n°258, Paris, 2011, « Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ? » , p.89.

3 BESNIER Michel, Le verlan des oiseaux et autres jeux de plumes, ill.BOIRY, Landemer, Møtus, 1995.

4JEAN Georges, Le plaisir des mots, Dictionnaire poétique illustré pour les petits et pour les grands, ill. Collectif, Paris, Gallimard, coll. Hors série,1982.

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de Georges Jean, éditée en 1982. La poésie contemporaine est vigoureuse et les auteurs présentent une réelle créativité, c'est en ce sens que les jeunes peuvent découvrir une poésie adaptée à leurs attentes, à leur langage.

Dans le choix des auteurs ou illustrateurs, la politique de Møtus souligne aussi la volonté de « renouveau ». C'est en étant « attentif, en recherche » que François David souligne le rôle de l'éditeur. Les éditions reçoivent quatre manuscrits par jour et le choix des textes publiés se font après lecture de ces manuscrits. François David reste pourtant fidèle à quelques auteurs de poésie qu'il avait publiés en poésie générale comme Michel Besnier à qui il a demandé d'écrire des textes plus adaptés à la jeunesse. Pour François David, « ce qui fait un auteur de poésie ce n'est pas le sujet, c'est sa manière, rare, de l'aborder. »1. Les critères de sélection sont basés sur l'« inattendu », ce qui sans doute explique la grande diversité de style à travers les textes et illustrations publiés chez Møtus. De Thierry Cazals qui propose des textes sous forme de Haïkus,

Neige / neige à perte de vue É et soudain / le petit cul tout blanc du lièvre

à Michel Besnier qui n'écrivait pas pour la jeunesse, François David arrive à soutirer de ces auteurs des formes adaptées pour la jeunesse. L'exigence de l'éditeur est simple : « proposer à l'enfant des textes avec certains mots qu'ils ne connaît pas et le traiter comme un vrai lecteur », mais proposer un texte dont le sujet n'est pas trop difficile à aborder, avec des références culturelles qu'il connaît. Dans cette recherche de poésie sans critère, sans carcan, une poésie libre, l'éditeur se laisse surprendre, s'émerveiller. C'est un véritable travail de création que ce métier d'éditeur, car chaque livre est une oeuvre où les agencements entre l'auteur, l'illustrateur et la mise en page, le choix du papier même, propose une oeuvre unique, qui ne ressemble à aucune autre, avec sa personnalité. Dans cette diversité, nous pouvons retrouver l'exigence d'une poésie vivante, muable, mouvante et par là ouverte à tous. « Avec François David, la poésie s'aventure toujours sur les terres du « libre-dire » et du non convenu »2 écrira Thierry Cazals à propos de sa collaboration avec l'éditeur.

Une aventure en effet, ce pourrait être ce qui définit le mieux le travail de François David. Une aventure qui se continue dans le choix des thèmes proposés à un jeune public.

1DAVID François, La revue des livres pour enfants, n°258, Paris, 2011, Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ? , p.93.

2CAZALS Thierry, Comme une pousse de bambou, revue Griffon n° 189, novembre-Décembre 2003, p. 20.

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Le propos des sujets choisis pour la jeunesse, nous l'avons vu, est polémique. Y'a-t-il des sujets propres à la jeunesse ? Quelques éditeurs de jeunesse prennent le parti de proposer des thèmes graves, sensibles aux enfants. Les éditions Rue du Monde ont participé largement à ce renouveau « parce que le rapport au monde dynamique qu'il m'intéresse de partager avec les enfants inclut et le regard critique sur l'humanité, et l'imaginaire. » souligne Alain Serres1. La maison d'édition Cheyne et sa collection « poèmes pour grandir » prennent le même parti en proposant, dans ses thèmes, des questions adressées directement aux enfants, qui interrogent le monde. Jean Pierre Siméon dira : « Il ne s'agit pas de trier les thèmes car les enfants s'intéressent à tout du monde, n'est-ce pas ? Dans ses aspects les plus heureux et les plus négatifs. Ils sont confrontés aux mêmes choses que les adultes. »2. Møtus appartient à cette catégorie d'éditeurs qui font parler leur poésie sans l'édulcorer sous prétexte qu'elle s'adresse à des enfants. La forme poétique est peut-être même l'occasion de mettre en mots des sujets graves et réels. La politique des éditions Møtus tourne autour de la formule d'Apollinaire ; « J'émerveille ». Pour François David c'est une façon de transformer le quotidien en quelque chose de beau. Les thèmes abordés sont heureux, mais aussi graves : la guerre, la mort, la vieillesse, la différence et le racisme, le chômage, l'enfant tsigane, la faim dans le monde sont des sujets qui permettent à l'enfant de prendre du recul et de questionner cet univers auquel il appartient. Parlant de l'album Le bouleau de Loulou3, l'auteur nous dévoile sa déception à propos de sa réception médiatique. Le chômage est-il un sujet encore tabou ? En 2003, lorsque François David écrit cet article, il le termine par : « En littérature jeunesse, pour pouvoir aborder certains thèmes [...] il y a apparemment encore du boulot. »4 . Les éditions Møtus n'ont eu de cesse depuis de proposer des textes qui abordent des thèmes peu souvent traités par le biais de la poésie et même de l'humour. La prise de risque se situe aussi dans les thèmes choisis par les auteurs et les éditeurs. Mais ces choix garantissent un renouveau de la poésie qui touche plus les enfants et leur réalité. Quand l'enfant peut s'identifier à un héros, un personnage du poème, cette littérature s'ancre en lui plus facilement. Il peut devenir le personnage, il lui ressemble, il vit un quotidien identique. C'est une poésie ancrée dans le quotidien que nous proposent les éditions Møtus, une poésie qui prend

1SERRES Alain, directeur de Rue du monde, La revue des livres pour enfants n° 258, Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ?, avril 2011, p.109.

2SIMEON Jean-Pierre, poète et directeur du Printemps des Poètes, La revue des livres pour enfants n° 258, Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ?, avril 2011, p.86.

3DAVID François, Le bouleau de Loulou, ill. CORVAISIER Laurent, Paris Nathan Jeunesse, coll. Première Lune, 1999.

4DAVID François, Au boulot !, dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p. 16.

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naissance dans le quotidien de l'éditeur : François David crée d'abord des histoires pour ses enfants, écrit des poèmes au détour des rencontres qu'il effectue et choisit des thèmes qui s'ancrent dans la réalité. Cette volonté du quotidien se retrouvent aussi dans le choix des poètes vivants qu'il édite : des poètes qui vivent dans leur temps, qui écrivent avec leur temps.

Le renouveau de la poésie pour la jeunesse se joue aussi dans le choix des éditions Møtus à favoriser les formes brèves. Il nous faut faire un détour ici par le nom de cette maison d'édition. Motus est une latinisation de « mot » et fait référence à l'expression « motus et bouche cousue » pour réclamer la discrétion absolue. Cette locution est renforcée dans sa typographie par le ø barré scandinave qui symbolise la fermeture de la bouche ouverte. On pourrait trouver cette dénomination d'une maison d'édition contradictoire avec le rôle qu'elle se donne : promouvoir la langue. Lorsque François David provoque le questionnement du texte au monde, il le fait jusqu'au bout. En effet, on connaît sa prédilection pour le texte court : les contes, la nouvelle, la poésie concise, les haïkus caractérisent les choix éditoriaux de Møtus. Alors pour dire tant de choses à de si petits, il faut en dire le moins possible, mais le plus clair qu'il soit. Ce « motus » n'est pas une invitation au silence, mais à l'écoute de la forme brève que nous propose les textes de Møtus.

Chut1 / retiens tes mots / bouche cousue / motus / pour dire tellement plus / avec moins.

Dans cette approche du texte court, il y a aussi la volonté de dire doucement, en chuchotant, de dire et d'émouvoir. « Si émouvants les silences et les bouches ouvertes à la lecture de Chut chut petit doigt. Même avec les plus petits. A minuscules voix, en chuchotant, je lis. »2 nous explique François David. Cette contradiction entre les bouches ouvertes et les silences, cette invitation à l'écoute, Henri Galeron nous la propose aussi dans deux illustrations conçues pour les éditions : la première est celle d'un garçon qui pose son doigt sur sa bouche fermée, mais sa bouche appartient à un livre ouvert sur son visage. Ce n'est pas une interdiction de parler qu'illustre Galeron, mais une invitation à lire et à faire silence autour de la lecture. Cette invitation à la lecture est aussi présente dans le logo des éditions Møtus, dessiné par le même illustrateur : une bouche fermée mais la lèvre supérieure est un livre ouvert (illustration de la couverture de ce mémoire).

1DAVID François, Les croqueurs de mots, ill. Maes Dominique, Paris, Editions du Rocher, Coll. Lo païs d'enfance, 2004

2David François, « Mon petit doigt m'a dit », dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p. 16.

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(c)Mtus

Ce choix des éditions Møtus ne s'est jamais atténué depuis sa création et a même fait le thème d'un recueil de poèmes, Bouche Cousue,1 de François David en 2010 qui fait l'éloge du texte court et percutant, sensible et parlant, prouvant qu'en peu de mots l'essentiel peut être dit.

CHUCHOTEZ ! / Doucement / à toute petite voix / tentez / otez des sons / des lettres / des syllabes / jusqu'à ce qu'il ne reste plus que / CHU T !

Une des caractéristiques de la forme brève, depuis la création de cette maison d'édition, prend sa source dans les trois vers d'Yves Bonnefoy :

Les mots comme le ciel,

Infini

Mais tout entier soudain dans la flaque brève2

En revendiquant cette forme courte, François David revendique la grande place accordée à l'imagination et au ressentir de la poésie. Les formes brèves sont adaptées aux enfants parce qu'elles laissent le temps de respirer, de digérer les mots, de les penser, de les poser et surtout d'imaginer :

On a grillagé / la cour de récréation / Nos jeux sont en cage.3

Albin Michel a proposé une très belle anthologie4 de Haïkus avec la particularité d'avoir édité, en deuxième partie de cet ouvrage, des haïkus créés par des enfants :

1DAVID François, Bouche Cousue, ill. GALERON Henri, Landemer, Coll. Pommes Pirates Papillons, Møtus,

2010.

2BONNEFOY Yves, Dans le leurre du seuil, Paris, Mercure de France, 1975.

3BOUDET Alain, Le rire des cascades, ill. DAUFRESNE Michelle, Landemer, Møtus, 2001.

4MALINEAU Jean-Hugues, Mon livre de Haîkus,ill. COAT Janik, Paris, Albin Michel Jeunesse.

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Matin d'hiver / Deux mésanges se battent / Pour du beurre1

Une plage immense / Un tout petit crabe / Une très grosse peur2

Comme le montre Yves Bonnefoy, c'est tout un monde qui se reflète dans cette forme brève, un monde infini, telle notre imagination, mais saisissable enfin parce qu'à portée de main. « Cela reste un idéal, essayer de faire court, car moins on en dit, plus on laisse à ressentir, à imaginer 3». Il est intéressant de rapprocher la démarche de François David avec la pensée d'Yves Bonnefoy parlant du silence que Maulpoix résume ainsi : « Le bonheur du poète : consentir au silence au sein même de la parole »4. En choisissant le silence et la respiration dans ses formes poétiques, l'éditeur offre sa poésie à un lectorat qui est ouvert au monde et à ses multiples représentations.

La forme brève, les thèmes vivants et les textes inédits contribuent à faire de la poésie une langue innovante et surprenante. La poésie n'est plus l'écriture des poètes morts depuis longtemps, elle est devenue quotidienne, présente, telle est sans conteste la volonté des éditions Møtus. Avec les nouvelles technologies, propres à l'édition, elle peut même devenir palpable. La typographie, le choix de l'illustration et la transmission orale sont encore des moyens que l'éditeur s'octroie afin de transmettre cette poésie à tous les enfants.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote