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Quelle place pour la poésie dans l'édition de littérature pour la jeunesse en France (1992 - 2012) ?

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par Agnès Girard
Université du Maine - Master 1 Littérature Jeunesse 2013
  

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2 - Le souci de transmettre : l'impact visuel

En accord avec Michel Butor, « la façon dont on dispose les mots sur une page doit être considérée comme une autre grammaire »5 et l'effet visuel du poème est , autant pour l'auteur que pour le lecteur une porte, une ouverture sur l'espace poétique. En amont de l'image illustrant le poème, le texte joue de cet effet visuel, par sa forme, sa typographie, il offre une spatialité qui sensibilise le lecteur.

Lorsqu'un poème se présente au lecteur, il met en scène sa relation avec lui. Trois effets permettent le dialogue entre le poème et le lecteur : les effets visuels, sonores, et de lecture. L'« impact »6 visuel du poème s'inscrit sur l'espace de la page. L'attention du lecteur se concentre sur ce que cet espace propose. La forme du poème, la typographie produisent

1lbid.p.56.

2lbid.p.47

3DAVID François, La revue des livres pour enfants, n°258, Paris, 2011, Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ? ,

p.88.

4MAULPOIX Jean-Michel, « Introduction à la lecture de l'oeuvre d'Yves Bonnefoy », 2005,

<http:www.maulpoix.net>

5MELANCON Robert,« Entretien avec Michel Butor », E tudes franc aises, vol. 11, n° 1, 1975, p. 78,

< http://id.erudit.org/iderudit/036599ar.>

6MOUREY Jo, Des impacts à la pâte des mots, Les actes de Lecture n° 88, décembre 2004.

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alors des effets qui interpellent le lecteur. La forme, la mise en page, la typographie choisies par l'éditeur sont autant d'incitations faites au lecteur de relever le défi de la lecture. Le but de la poésie n'est pas tant de faire « passer un message » que de faire ressentir au lecteur « quelque chose » de l'ordre de l'invisible, du sensible, de l'indicible. Mélange subtil de rythmes, de sons, d'images, la poésie est un langage particulier auquel le poète, avec les mots pour simples outils, cherche sans cesse à donner un souffle nouveau. Les mots se donnent à voir, forment un tout sur la page, s'associent avec la typographie. Cette dernière permet la mise en forme du texte : le texte bouge, il est vivant, il se transforme, il devient animé. Cette animation s'entremêle au texte, soulignant le sens des mots ou le contredisant, premier jeu entre les mots et leur image, jeu entre le lisible et le visible du poème. On découvre « une heureuse typographie si le trait même de l'écriture fait soudainement surgir une émotion. »1 Métalangage avec ses propres codes, ses propres signes, la typographie ajoute du mystère à ce qu'est la poésie. Elle donne de la profondeur au poème, une résistance que le lecteur éprouvera. Par cette double fonction, d'invitation d'abord et de résistance ensuite, la typographie participe pleinement du fait poétique. Quelques courants poétiques ont exploité cet effet visuel. On pense tout de suite aux calligrammes2, croisement entre la calligraphie, l'art des belles lettres et l'idéogramme, symbole graphique représentant un mot ou une idée. Dans la poésie « spatialiste »3, ces effets visuels sont même autosuffisants, ils « sont » poèmes. La question qui pourrait se poser lorsque l'on contemple ces oeuvres est la suivante : Est-ce que le lecteur lit ou regarde les poèmes ? N'y a-t-il pas face à cette réduction extrême de la phrase, de la syntaxe, une autre façon d'être lecteur ? N'est-ce pas l'effet recherché justement ? Et qui peut prétendre s'adapter parfaitement à la perception de l'enfant ? On comprend alors que la typographie donne un caractère essentiel au poème, au recueil de poésies, surtout pour un jeune lectorat, qui regarde le poème avant d'entrer dans la lecture. On comprend dès lors pourquoi dans les recueils de poésie, on trouve généralement un travail très élaboré avec l'image : les dessins y sont originaux, les techniques artistiques nombreuses (typographies, encres, lavis, photographies ou tableaux), et toutes ces composantes « participent de ce que l'on appelle poème ou énonciation poétique. »4 Pour Jean-Michel

1COGNET Anne-Laure, Usages de la typographie dans l'album contemporain, in La revue des livres pour enfants n° 264, avril 2012.

2Néologisme inventé par Apollinaire au début du XXe siècle.

3« Le poème spatial est composé d'éléments linguistiques - mots, syllabes, lettres - disposés sur la page de telle sorte qu'ils fassent ressortir leurs présences les uns par rapport aux autres et qu'ils forment une unité de beauté poétique et de sens. Un projet linguistique lyrique. » Pierre Garnier.

4LEFORT régis , La poésie pour la jeunesse, in La littérature de jeunesse, itinéraires d'hier à aujourd'hui, Magnard, Paris 2008, p.373.

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Maulpoix, « les poèmes sont des objets de langue nettement découpés : des objets dont on pourrait dire qu'ils font image sur la page car c'est à l'oeil qu'ils se donnent pour commencer. »1 L'interruption des vers, leur segmentation sont dans le travail du poète l'occasion qui lui est donnée d'établir un rapport neuf à la langue, un renouvellement dans son rapport au monde. La disposition des vers sur la page n'est pas due au hasard, mais démontre toujours une intention particulière du poète, telle est la composition du poème d'Alain Boudet2 :

(c)Mtus

L'association entre le texte et l'espace, la forme du poème et sa relation aux mots, emporte le lecteur dans la lecture du monde que le poète lui propose. C'est un outil dont les éditions Møtus jouent souvent afin de rendre la poésie encore plus accessible à la jeunesse.

Il y a 20 ans, dans ses Entretiens sur la poésie,Yves Bonnefoy, comparait la crise de la poésie à une crise médiatique. Pour ce poète, ce n'était pas tant l'innovation dans la création poétique qui était en cause, que sa médiation qui tardait à s'affirmer. « C'est l'affaiblissement non pas de sa vigueur créatrice mais plutôt de sa relation au groupe social qui caractérise la crise de la poésie aujourd'hui.3». La poésie contemporaine, pourtant vigoureuse est en mal de médiation. Pour vivre, la poésie contemporaine doit se faire entendre, et pour cela emprunter des voies plus efficaces. La transmission de la poésie, contemporaine ou patrimoniale est une des conditions de sa survie. L'album est un moyen d'y parvenir.

L'album est le médium idéal. En effet, de plus en plus de poésie, y compris les anthologies, passe le cap de la publication sous forme d'album. On le sait, l'album est un

1MAULPOIX Jean-Michel, Qu'est-ce que la poésie ou que dire de la poésie ? http://www.maulpoix.net/definirlapoesie.htm.

2BOUDET Alain, Le rire des cascades, ill. DAUFRESNE Michelle, Landemer, Mtus, 2001.

3BONNEFOY Yves, Entretiens sur la poésie, Le Mercure de France, Paris, 1992, p.5.

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médium fort, où image et texte apportent, dans des schémas qui leur sont propres, un message. Le premier accessible à l'enfant est l'image. L'album, et les poètes ainsi que les éditeurs l'ont compris, est un support qui favorise le contact de la poésie avec son lectorat. Les dernières anthologies parues prennent, elles aussi, la forme d'album : on voit poindre un parti pris de rendre la poésie accessible par l'intermédiaire d'un autre art, qu'il s'agisse du graphisme, de la peinture, des pastels, du collage, de la photographie, de la typographie... Toutes les techniques sont utilisées pour mettre ce genre à part dans un « écrin de beauté », fonctionnant comme un « clin d'oeil » qui serait destiné à ceux qui ne sont pas naturellement portés vers la poésie.

Cependant, certains critiques, auteurs et éditeurs de poésie ne sont pas favorables à l'illustration des poèmes. Les éditions Pluie d'étoiles, fondées en 1998, spécialisées dans les recueils de poésie pour la jeunesse, proposent, elles, une formule nouvelle où l'illustration est absente. Elle peut être créée par le lecteur. Ces éditeurs avaient le sentiment que les illustrations nuisaient à l'approche directe des textes. Jean Pierre Siméon, dans son dernier ouvrage1, accuse les illustrations figuratives de contraindre la lecture. L'imagination, enjeu propre à la poésie, serait entravée par ces illustrations « plaquées », paraphrasant le poème, comme si celui-ci ne se suffisait pas à lui-même. Le critique évoque néanmoins une autre illustration possible, qui ne figerait pas l'interprétation du lecteur et lui permettrait de « rêver autour des poèmes ». Citant le travail de l'illustratrice Martine Mellinette, chez Cheyne éditeur, dans la collection Poèmes pour grandir, il souligne le mystère de l'illustration qui accompagne le questionnement que suggère le poème. On pourrait, en effet, faire une distinction entre les albums d'anthologies, les fabliers, qui illustrent les oeuvres du patrimoine littéraire et les « album-poèmes » qui sont véritable oeuvre de création. Qu'est ce qu'un « album-poème » ? Dans ces ouvrages, le traitement de l'image abandonne la simple illustration pour participer à l'énonciation poétique. Loin d'imposer une interprétation au lecteur, l'image accompagne celui-ci dans la découverte du mystère, et s'associe à l'interrogation du poète sur le monde. Perdant sa fonction de décorative, l'image propose au jeune lecteur un parcours de lecture autonome parce qu'elle elle autorise une « re-création » du contenu textuel. La lecture proposée a alors « une fonction active car elle ouvre au jeune lecteur la possibilité d'une lecture double, voire plurielle, d'où naissent les réflexions et les

1SIMEON Jean-Pierre, La Vitamine P. La poésie, pourquoi, pour qui, comment ? Rue du Monde, Paris, 2012, p.165.

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questionnements. »1 Certes tous les recueils de poésie, les anthologies ou les albums ne peuvent se vanter d'offrir cette double lecture. Des illustrations fades et figuratives, redondantes au texte, peuvent nuire. Mais il semble que des grands noms d'artistes se prêtent de plus en plus à ce travail. L'illustration devient moins l'expression figurée d'un texte qu'elle n'intercède en faveur d'une communication par l'image, d'un éveil de la sensibilité à la rêverie poétique. Nous retiendrons ici particulièrement le travail d'Henri Galeron, qui a illustré huit ouvrages des éditions Møtus (cf. bibliographie), plusieurs textes de François David chez d'autres éditeurs et a créé le logo de la maison d'édition Møtus. Pour lui l'image est « un mariage (d'amour) entre l'idée et son traitement technique afin de dissoudre le fantastique et ses effets trop bruyants dans une simple recherche d'atmosphère. Comme si l'image s'affinait jusqu'à pouvoir se frayer un chemin direct jusqu'au réservoir enfoui de nos images mentales »2. Inspiré des surréalistes, cet illustrateur propose des dessins qui prennent racine dans le réel et s'évadent vers le mystère, déroutant, mais propice à l'imagination.

La couverture de Mes poules parlent3 nous montre une poule à poitrine en forme de tête d'homme. Première ambiguité : de quoi parle-t-on ? D'une poule qui parle ? D'un homme déguisé en poule ? Que veut nous dire le poète-illustrateur quand le poète-auteur affirme que ses poules parlent ? Pourquoi cette bouche d'homme dit « møtus », nous demandant de nous taire (motus et bouche cousue) ? Qui parle de la poule ou de l'homme ? La poule fixe le futur lecteur droit dans les yeux, sans rien dire, alors que le livre annonce « Mes poules parlent ». L'homme, de profil, parle pour dire « taisez-vous ! ». L'invitation est passée et on ne sait trop de l'homme ou de la poule qui a le plus à dire : allons voir de plus près. L'image interroge le lecteur, l'emporte dans les méandres de questionnements infinis. Henri Galeron se revendique de ces artistes qui mettent à portée de vue des lecteurs, des techniques qui font entrer l'image dans notre imaginaire.

L' « album-poème » permet ce que ne dit pas le recueil de poèmes : usant de ces métalangages que sont la typographie, la mise en page et l'image, il propose une esthétique particulière où les différents niveaux de lecture du processus littéraire se dévoilent au lecteur à travers des chemins divers. On constate souvent que la réception par l'enfant est complexe et passe par la nécessaire médiation de l'adulte. Le texte ici rend à la poésie toute l'importance de

1ESCARPIT Denise, GODFREY Janie, Image, illustration,illustrateurs, in La littérature de jeunesse, itinéraires d'hier à aujourd'hui, Magnard, Paris, 2008, p. 284. 2VIE François, Henri Galeron, Gallimard, 1986. 3BESNIER Michel, Mes poules parlent, ill. GALERON Henri, Landemer, Mtus, 2004.

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la voix : sa médiation ne peut se faire que de façon orale. Or, l'oralité est en ultime instance ce qui permet au texte poétique de prendre corps.

Après « l'impact » visuel, arrive le temps de « l'impact » sonore. Les voix du poème participent pleinement de cet effet poétique. La survie de la poésie se joue aussi dans sa mise en voix.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille