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Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe

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par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI
Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012
  

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0. INTRODUCTION GENERALE

0.1. Etat de la question : Identité et Appartenance: génétique de la recherche philosophique du temps entropologique

Il n'y a peut être rien de plus décisif en philosophie que les commencements. C'est pourquoi l'ordre dans lequel les questions sont présentées, en dehors de l'ordre alphabétique qui se veut exempt de toute signification préconçue, mérite quelques explications. Etant admis qu'il y a bien des commencements possibles ; par quoi ou comment commencer ? par le monde ? par le moi ? par Dieu ?(1(*)) Il ne s'agit donc pas ici de poser solennellement « l'homme » ou « le monde » comme pierre de l'édifice, mais plutôt de montrer comment la philosophie de Mutuza s'édifie à partir d'une pierre qui est nécessairement empruntée à l'homme : son identité et son appartenance.

Le dessein de ne jamais traiter une question sans commencer par en faire l'historique se heurte ainsi, nécessairement, au problème de l'origine du commencement : pourquoi, de toute éternité ou à un moment donné, y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ce rien est au coeur de la question de l'être. Ainsi l'être est identité ouverte par le principe d'individuation et appartenance réelle par le principe de la localisation.

Or en nous posant cette question, que de questions encore, que de sourires, que de soupçons, peut-être même quel scandale soulève le titre de cette thèse évoquant l'étude sur l'identité et l'appartenance : recherche philosophique du temps entropologique(2(*)) et rétablissement du comput(3(*)) de l'éthique anthropologique chez Raymond Emmanuel Mutuza Kabe ! Son dessein semble immense ; on peut le juger téméraire ou naïf ; nous l'avons souvent estimé tel et pourtant nous avons toujours cru qu'il était aussi nécessaire qu'ardu de le réaliser. Traverser l'oeuvre de Mutuza dans sa réévaluation des concepts pour se donner le droit de dire soi-même au terme ce qu'on pense de l'identité et de l'appartenance et chercher à donner sens à l'oeuvre d'un auteur vivant et dont le renom est en train d'émergé, est-ce sérieux ? Il revient au lecteur d'en décider sur pièce. Nous ne saurons anticiper son jugement. Nous pouvons du moins préciser dès le départ que le sentiment qu'il existe dans le sujet choisi un mouvement ou une dynamique () de forêt à défricher ou à déboiser, d'une terre à bêcher ou à labourer, d'un dessin d'architecture des cases ou de peinture des `mbuya'(4(*)), d'une vague des pirogues des majestueux fleuve Congo et ses affluents, des récits épiques, des proverbes, etc., des sons des `ngoma(5(*))', de musique `ndombolo'(6(*)) ou même d'un charme des contes de fées ne nous a pas quitté au cours de son élaboration. L'histoire dont il s'agit ici est celle d'un corps deux fois millénaire(7(*)) près qui a lutté à coeur perdu pour conserver son identité et son unité. Soumise autant et plus que tout autre organisme vivant aux jeux durables ou passagers de la bonne ou mauvaise fortune du monde, ce corps qu'est la RD Congo entend plus que tout autre aussi maintenir pour elle et manifester aux autres sa conscience de soi.

C'est ainsi que nous avons voulu en préciser dès le départ la génétique : l'historien qui désire étudier les philosophies occidentales dispose aujourd'hui d'instruments de travail aussi nombreux que perfectionnés. En plus d'éditions critiques, publiées le plus souvent en de grandes séries, il peut consulter des commentaires, des dictionnaires spécialisés(8(*)), des concordances mêmes(9(*)). Surtout, il peut se référer à un type d'ouvrages qui lui permet de délimiter son sujet, ou d'en étudier, si l'on peut dire, la géographie intellectuelle et spirituelle, de mieux identifier son apport à la pensée philosophique. Nous voulons parler des manuels classiques, dont le genre littéraire remonte à l'époque du « miracle grec » elle-même - puisque c'est Thalès de Milet ( ?+-V 547) qui nous en a donné le premier exemple dans son « Guide nautique » et dans sa « cosmologie » quand il a parlé de Üñ÷Þ (archè), le principe, pour désigner la chose première et unique. Notons cependant que le terme miracle grec  fut beaucoup utilisé par Heidegger (+ 1976), à la suite de Hegel (+ 1831) qui est le premier à avoir employé ce titre(10(*)). Notons aussi que c'est à cette époque du miracle grec que fut forgé, probablement par Pythagore(11(*)) de Samos (+-V 490), continuateur milésien, le terme öéëïóïöïò (philosophe) par humilité, pour se dire `amoureux' (ößëïò) de la sagesse (óïößá), plutôt que le sage (óïöïò). Philosophie est de ce fait un terme technique, savant et plein de polémique contre les sages (ïß óïöïß).

Rien de tel ne s'offre à celui qui désire faire connaissance avec la philosophie africaine et les adversaires tempelsiens de la philosophie dite « bantoue » de la seconde moitié du XXème siècle et de Tempels (+ 1977) en particulier. Certes, il existe une série dans laquelle on publie des sources ; mais jusqu'à ces jours le corpus smetien ne compte que deux tomes(12(*)). De même on a tenté à plusieurs reprises de donner aux historiens de la philosophie une vue d'ensemble des auteurs qui, au nom de l'Europe, ont combattu Kinshasa et ses alliés ou concurrents. Il existe même par bonheur, des ouvrages qui décrivent ou analysent les travaux faits dans ce domaine depuis un petit siècle(13(*)). Mais nous sommes encore loin de connaitre ce que nous avons appelé « la géographie intellectuelle de controversistes » tempelsiens comme nous connaissons celle des classiques occidentaux. Des nombreux philosophes sentaient que les questions de l'existence de la philosophie, plus que celles de sa sémantique même, étaient au coeur du problème.

C'est ainsi qu'on peut, qu'on doit définir philosophie et science en fonction de deux pôles opposés de la pensée : la réflexion et la spéculation pour la philosophie, l'observation et l'expérience pour la science. Mais il serait fou de croire qu'il n'y a pas de réflexion ni de spéculation dans l'activité scientifique, ou que la philosophie dédaigne par principe l'observation et l'expérimentation. Les caractères dominants en l'une sont dominés chez l'autre et vice versa. C'est pourquoi, il n'y a pas de frontière `naturelle' entre l'une et l'autre. C'est pourquoi aussi il est conforme aux règles habituelles de l'entreprise philosophique de demander à l'auteur quel est le contenu et les moyens de sa problématique. Dans le cas présent, cependant, une pareille exigence est malaisée à satisfaire, car le problème de la signification de la philosophie n'offre rien à dire dans le sens où « dire » est une amorce du connaître(14(*)), soit directement par le mode de l'ostentation, soit médiatement par celui de la démonstration. L'un et l'autre, en effet, supposent le pré-discernement d'un « objet », c'est-à-dire un quelque chose dont le concept soit eidétiquement possible comme unité, au moins, pressentie. Or ce pressentiment n'existe que pour des êtres particuliers (áêïëïýèïé) auxquels l'habitude sociale (ñèoò) ou les antécédents pré-conceptuels (äüîá) nous ont conformés : soit qu'il s'identifie à l'aura conventionnelle d'une Ecole au statut historiquement défini, soit qu'il s'affirme comme trace d'un moi d'une épistèmê (ðéóôÞìç) déployée à partir d'un savoir particulier, soit qu'il se donne - plus vaguement comme un vide (êåíüò)(15(*)), silence (ÓéãÞ) ou manque, au sens épicurien du terme - pour le reflet d'une mode intellectuelle. De toute façon, on ne peut pas définir à partir de ces singularités l'être d'une communauté résiduelle de signification. C'est en ce sens que nous posons, en principe, que n'existe pas a priori de concept auto-suffisant de la philosophie sociale et politique partant de l'identité (être) et de l'appartenance (temps).

A partir de ce vide ou silence (êåíüò ? ÓéãÞ)(16(*)) et/ou manque, ce qui peut être traduit par alternance(17(*)), nous explorons et présentons la philosophie sociale et politique de Mutuza, laquelle se construit autour des concepts d'identité et d'appartenance et dont l'alvéole est l'étude de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi(18(*)) où l'auteur démontre que malgré l'effort apparent de l'unité des trois monades ethniques ou sociales fermées et différentes (ôñéáò åèíïìïíáäéêïé) comme des nombres arithmétiques sous le même glossonyme kinyarwanda, la différence des ethnonymes de ces atomes raciaux (Hutu, Tutsi, Twa) prouve que ce ne sont pas un même peuple(19(*)). L'absence des glossonymes kitutsi et kihutu dévoile en fin de compte, le mythe de Kinyarwanda(20(*)). Or il est dit que les Tutsi parlent kinyarwanda, une langue bantoue, et si les seuls Bantu habitant le Rwanda sont les Hutu, et que tous les Bantu (aussi bien ceux des cités ruandaises) se trouvent en corrélation (rapport de cause à effet) et en correspondance (rapport de concordance ou d'analogie) avec leur ethnonyme, leur glossonyme et leur toponyme, il est alors plus `juste' d'appeler le kinyarwanda le kihutu en raison de son identité et de son appartenance à la famille des langues bantoues parce que les Bantu de qui sort le kinyarwanda(21(*)) sont les Hutu.

La recherche philosophique du temps entropologique et le rétablissement du comput éthique du temps anthropologique forment l'assise précise de la philosophie de Mutuza. L'idée maîtresse repose sur le fait que le besoin de « chercher fortune ailleurs » est une manifestation qui succède naturellement à la phase du « besoin de se grouper en bande hors de la famille » d'un côté, et de l'existence subjective qui reçoit de la séparation ses linéaments, de l'autre côté. L'identification intérieure de chacune des ethnonymes dont l'identité épuise l'essence, identification du même qui crée l'individuation ne vient pas frapper les termes de leur relation quelconque appelée séparation.

La séparation est l'acte même de l'individuation(22(*)), la possibilité, d'une façon générale, pour une entité sociale ou biologique qui se pose à l'intérieur d'un système, de s'y poser non pas en se définissant par ses références à un tout, par sa place dans ce système, mais à partir de soi. Le fait de partir de soi équivaut à la séparation. Mais le fait de partir de soi et la séparation elle-même, ne peuvent se produire dans le cas d'une société qu'en ouvrant la dimension de l'ethnonyme, du glossonyme et du toponyme(23(*)).

Les deux facteurs (le fait de partir de soi et la séparation) trouvent conjointement leur épanouissement dans l'instinct polémogène (désir de participer à des activités militaires pour les hommes ou à des tâches philanthropiques pour les femmes). Cette pulsion instinctive, qui pousse des jeunes à émigrer, est l'une des fonctions de « l'inconscient collectif »(24(*)), facteur conditionné par la recherche de l'auto-signification dont la science en est l'archonte (Ü)(25(*)). Les sciences que nous nommons aujourd'hui anthropologie, ethnologie, sociologie, géographie humaine... ont de tout temps existé(26(*)). Elles apparaissent comme des bourgeons dans l'histoire des civilisations méditerranéennes, une espèce de xénologie, comme l'affirme Jean Daniélou (+ 1974)(27(*)). Hippocrate ( ?+-V377) et Aristote (+ -322) ont traité des peuples exotiques. Nous le rencontrons dans les commentaires de Cicéron (+ -43) et de Marc Aurèle (+ 180)(28(*)). L'oeuvre de Pline le Jeune (+ 113) renferme une somme importante des renseignements, mi-légendaires, mi-réels sur les peuples autres. Elle constitue une véritable « ethnographie ». Les Grecs qualifient sous le nom de ð?ãìç (pygmée = coudée = environ 46 cm) des populations forestières éparpillées en Afrique. Origène (+ 254) l'atteste. Les gnostiques en font mention et pensent que « les nègres ont l'habitude de se nourrir de chair humaine »(29(*)). L'on peut se demander dans quelle condition la migration des peuples n'a pas été favorable à l'identification de certains au point qu'elle rendit certains d'autres sans position, non spatial (Üèåôïò)(30(*))? Ne s'agit-il pas de l'itinéraire d'un peuple dont l'histoire pose problèmes quant à la langue, à la politique et à l'intégration : les Tutsi, en l'occurrence ?

Cet itinéraire, les Mvudi - qui vivent dans une ambiance de grandes discussions autour des sens des mots qu'utilisent les grands esprits congolais dans des media - veulent le comprendre pour le cas de ces sans position, non spatiaux (Üèåôïé). Et un soir, devant leur petit écran, une émission projette les ombres de l'invité que fut le professeur Raymond Emmanuel Mutuza Kabe, où l'on traitait (du problème) du tribalisme. Un débat chaud divisa la famille sur le sens du concept « tribalisme ».

Monsieur Roger Mvudi Ngoma, le pater familias, a pris la parole, en disant: « le vrai problème n'est pas celui de définir ou de chercher le sens ou de préciser le mot tribalisme, ou plutôt ce qu'il signifie, question essentialiste ; mais il nous est demandé de chercher la clarté et la portée anthropologique du tribalisme qui n'est que la recherche humaine de l'appartenance. Tout le monde sait ce que le mot tribalisme signifie ; mais peu d'entre les hommes éminents se donnent cette peine de savoir que le tribalisme implique la notion d'une appartenance à des valeurs qui sont aussi bien culturelles, biologiques que morales, spirituelles ; c'est aussi la problématique de l'identité, c'est-à-dire de la corrélation et de la correspondance entre ethnonyme et glossonyme »(31(*)).

Il revient à dire que ce que le mot signifie n'est pas ce qu'il veut dire; le signifier et le dire tombant à part l'un de l'autre. Ce que le mot tribalisme, pris comme tel et proprement, signifie, il ne dit pas.

Nous avons compris que pour accéder à la maturité et grandir en toute liberté, pour franchir les barrières de l'individualisme derrière lesquelles nous nous cachons et nous protégeons, nous avons besoin d'appartenir à quelque chose de plus grand; nous avons besoin d'être liés à d'autres, sans pour autant être eux. Nous pouvons nous servir de leur langue, sans négliger la nôtre. Nous pouvons nous faire confiance. Nous sommes obligés à verrouiller nos entrées. C'est comme si notre maison avait résisté au grand tremblement de terre que nous appelons la guerre pour finalement se faire manger par des termites entropo-anthropoethnophages.

Comment alors expliquer que nous, hommes, puissions nous entredéchirer et douter de l'humain au point de faire de la question de l'humanité une pomme de discorde et une source de dissentiments ? A Gabriel Marcel (+ 1973)(32(*)) de démontrer que s'il ne s'agissait que d'objections théoriques, on ne pourrait pas s'en consoler si facilement ! La situation effective des concepts de l'identité et de l'appartenance va au-delà du simple constat des désaccords et des dissentiments. Chaque jour sur le terrain les hommes se combattent, se massacrent, razzient, violent, violentent et font douter, sinon désespérer, de notre condition. Au Congo Kinshasa, au Ruanda, en Ouganda, au Soudan, au Tchad, en Côte d'ivoire, en Lybie, en Tunisie, en Egypte, au Kosovo, en Tchétchénie, au Taïwan, au Kurdistan, en Indonésie, la liste des foyers de conflit est longue et interminable, hélas!: sans cesse et presque partout sur la planète se construisent des foyers d'entropies sociales. S'agit-il des malentendus identitaires ou des débats passionnés sur la contradiction dans la manière d'appartenir?

Nous en dissertons chez Mutuza parce qu'il en donne une belle analyse par la réévaluation des concepts. Il distingue le temps historique (temps chronologique qui s'attache aux événements) du temps anthropologique (temps culturel qui s'attache aux structures et dont le principe éthique est la contemporanéité). Pour ce faire nous avons besoin de recourir à ses ouvrages et à ses articles, aux entretiens directifs qui sont les vraies sources de sa philosophie. Pour un meilleur éclairage sur la problématique, nous élargissons notre vision avec des spécialistes tels que Baumann et Westermann, J. Maquet et Vansina, Biebuyck et Pages, Van Bulck et Cuisinier, Papadopoulos, etc.

0. 2. Objectifs : temps entropologique et éthique anthropologique face à l'espace géométrique computationnel

Le rétablissement éthique du temps anthropo-logique(33(*)) analysé par Mutuza étant à la base de cette recherche, nous re-soulevons ces problèmes pour contribuer dans quelque mesure que ce soit à leur solution, non à leur aggravation. On ne saurait guérir une plaie sans en connaître la nature ou l'essence ni la gravité. En évoquant là certains aspects de la tragique histoire identitaire de relations entre les populations lacustres et banyarwandaises, nous voudrions éviter d'aggraver des rancoeurs comme de culpabiliser les Hutu, les Tutsi ou les Twa qui nous liront. Nous ne sommes pas responsables des crimes du passé, même si nous pouvons le devenir des méfaits de l'avenir. Nous devons savoir, dans l'oeuvre de Mutuza, ce qui a pu se passer entre ces populations non pour ressasser leurs ressentiments ou leurs culpabilités, mais au contraire pour faire front, ensemble, afin d'empêcher la continuation ou le retour de telles folies.

Le premier objectif du travail est de présenter une philosophie d'inspiration congolaise dont l'auteur se distingue par son analyses objectives, et par sa synthèse subjective et systématique, par son épistémologie que lui-même qualifie de réévaluation des concepts. Son oeuvre abondante certes, s'endort encore, couverte d'apathie, pieusement dans les rayons des nos bibliothèques. Nous voulons la ranimer, l'exhumer. Le second objectif est la résolution des conflits d'identités et d'appartenances qui déchirent l'humanité dans son ensemble et la RD Congo en particulier, surtout dans sa partie Est, contexte où la question de l'identité et de l'appartenance se pose avec acuité. Ceci se résume dans la perspective du temps entropologique de « La Problématique du Mythe Hima-Tutsi ».

Notre époque s'est confrontée à un problème dont les conséquences s'ouvrent sur un paradoxe conduisant vers un chaos sans nom ; paradoxe qui crée les apories des valeurs et qui s'exprime à travers une multitude des nouveaux langages: Démocratie et Droit de l'homme, Tribu et Nation, citoyenneté mondiale et développement(34(*)) durable, liberté culturelle et dialogue entre civilisations, droit à la vie et qualité de la vie, parité et principe d'équité, etc. Cela provient de la prise de conscience de l'exigence d'émancipation politique des peuples qui est symétrique à leur émancipation historique, qui se comprend comme une sortie de statu quo ethnologique soumis au rythme du temps entendu comme áêïëïõèßá, où point n'est besoin de rattraper un prétendu retard inoculé par le miroir d'un progrès illusoire et d'une histoire en folie fictive.

En d'autres termes, pour citer Théodore Papadopoulos, « l'émancipation politique a entraîné une régression nette de l'état de civilisation institué au prix de longs et pénibles efforts »(35(*)). C'est comme le « jeu des enfants qui s'amusent dans le sable, la joie d'avoir construit s'éteint en même temps que la joie de construire... le sable s'écroule et laisse sans trace la construction bâtie à grand-peine »(36(*)), disait saint Grégoire de Nysse (+ 395).

Dans cette prise de conscience cet « apparent fatras de mots et concepts ne peut être ni condamné, ni corroboré. Des valeurs et aspirations humaines authentiques s'y entremêlent aux fruits amers de l'apostasie occidentale, qui ont vicié de l'intérieur le processus de mondialisation »(37(*)). Ce que souhaitent les populations n'a jamais été connu. Le paradoxe est d'autant plus grand que le rapprochement des peuples qui aurait dû être constaté, mais malheureusement fut fait et se fait encore par les colonisateurs. D'un côté il y a la séparation forcée des peuples par des limites administratives ; de l'autre côté, le rapprochement obligé par la force politique. De là naît le vague de l'identité qui chevauche entre deux chaises : l'une procédurale et déontique, l'autre substantielle et conséquencialiste. Une observation objective démontrera que la tribu et l'ethnie séparent les peuples et s'articulent sur un fossé qui s'élargit imperceptiblement de jour en jour, en mettant la Communauté Internationale devant des conséquences imprévisibles.

L'histoire de la RD Congo ressemble à une histoire de conflits entre des groupes qui cherchent à se dominer les uns les autres, pourrait-on penser ; l'homme a peur de la faiblesse et de l'insécurité. De ce chef il cherche à vivre en groupe, pour se fortifier et se défendre, progresser et se protéger. Les conflits éclatent chaque fois que le groupe se replie sur lui-même, sur ses certitudes, ses préjugés et ses préconceptions. De là naissent l'indifférence et le mépris, le soupçon et la haine.

La rencontre des groupes sociaux entre eux donne lieu à des attitudes opposées : le bond en avant et le repli, l'absorption et l'éjection, l'amalgame et la rupture. Car tout groupe, porteur de pouvoir, connaît des expériences antithétiques de croissance et de désintégration, tout en essayant de se transcender et de se préserver en même temps. C'est une question de choix, de risque et d'épreuve. C'est la vraie dimension du temps en tant qu'épreuve (èëéøçò) qui est un des éléments du pouvoir (äõíÜìéò) inséparable de la contrainte, à laquelle le groupe est soumis à dessein ou involontairement.

Ces rencontres constituent le matériel fondamental de l'histoire entendue comme dans son sens premier, du grec dont la racine désigne l'action de voir, éóôïñ est celui qui a vu ou, si l'on veut, un témoin et ce qu'il peut ajouter à sa propre expérience n'est qu'un autre témoignage au deuxième degré. En elles, se décide la destinée politique de l'homme. Quel en est le caractère ? La base du pouvoir de tout groupe social, c'est l'espace qu'il doit se donner à lui-même. Etre signifie avoir de l'espace, ou « plus exactement se procurer de l'espace pour soi-même »(38(*)).

C'est à ce stade que nous avons rencontré Raymond Emmanuel Mutuza avec La Problématique du Mythe Hima-Tutsi. Les concepts de l'identité et de l'appartenance jouent un rôle important à cause de l'espace géographique et de la lutte de Tutsi de pouvoir pour sa possession.

Il s'agit de replacer le mythe Hima-Tutsi dans l'oeuvre de Mutuza pour en tirer une leçon philosophique quant à la valeur de la thèse proposée. Le travail évoluera en deux étapes : l'exposé et explication. Avec l'explication nous serons dans la normativité. Car c'est une construction théorique fondée sur un jugement de valeur. Nous considérons les relations politiques non dans leur réalité mais en tant qu'idéaux. C'est pourquoi nous avons la possibilité de prendre en considération aussi bien les formes possibles que les formes actuelles de ces relations.

L'intérêt philosophique de cette étude tient à son « actualité ». Les thèses de Pagès en 1933, de J. Maquet en 1954 et en 1961, de Baumann et Westermann en 1962, de Papadopoulos en 1963, ou même pendant l'antiquité de Pline le jeune, d'Aristote, de Cicéron etc. nous aideront à éclairer notre question contemporaine d'appartenance.

Toutefois, la thèse de Mutuza ne saurait être acceptée d'emblée. Il s'agit d'en dégager la portée anthropologique, d'en éprouver la valeur philosophique après la compréhension. Si de prime abord une de ses thèses est fausse, non pertinente, c'est alors que l'on est à même de dire au besoin qu'elle est dépassée. C'est ici que réside la dimension critique de notre travail.

Les conflits à l'Est de la RD Congo en sont une illustration. Sont-ils fondés sur la nécessité et l'impératif d'avoir un espace à soi ? Les Bantu (Hutu) ont-ils perdu leur pouvoir et leur indépendance en accueillant les Tutsi ? Ils peuvent récupérer le pouvoir d'être plutôt plus vigoureux. Mais n'ont-ils pas perdu quelque chose d'important: la relation avec le temps, entendu comme áêïëïõèßá qui fait des Bantu un peuple mystique(39(*)). Ce qui nous amène au problème de l'abandon du pouvoir.

C'est pourquoi la lutte pour l'espace n'est pas simplement la tentative d'écarter un groupe d'un espace donné. Le vrai but, c'est d'attirer cet espace dans un champ de force plus grand, et de le priver d'un centre propre à lui. Si cela se produit, ce n'est pas le pouvoir d'être individuel qui est changé, mais la façon dont l'individu se trouve au centre, influence la loi et l'organisation du pouvoir. C'est la dimension de l'épreuve (èëéøçò) qui est la base même de l'entropie.

Dans le cas concret, ce n'est pas seulement l'espace géographique qui donne pouvoir aux Hima-Tutsi. C'est aussi son rayonnement dans une partie du territoire de la RD Congo, c'est aussi son impact sur la Communauté Internationale. C'est ce que décrie Raymond Emmanuel Mutuza Kabe en disant que « transplantées, immigrées, réfugiées ou clandestines, les populations Hima-Tutsi qui ont trouvé asile sur le sol hospitalier de la République Démocratique du Congo, se sont comportées et ont vécu en conquérantes. Vivant en groupes fermés, elles ont, dès l'origine, reconstitué leur structure politique et intensifier leur identification, au fur et à mesure qu'elles étaient considérées comme étrangères, tendant ainsi à former un Etat dans l'Etat en République Démocratique du Congo »(40(*)). C'est cette pensée qui nous a inspiré et suggéré l'idée de l'appartenance.

On peut redire que notre travail comporte un double objectif. Le premier est celui de présenter la philosophie sociale et politique de Mutuza. Le second est d'y repérer les éléments propres à l'acquisition d'un savoir approfondi de l'ethnoglossotoponyme sous-jacent à l'entropologie du mythe Hima-Tutsi. Ainsi, la séparation et la réunion computiques du glossonyme et de l'ethnonyme ouvriront le champ de la reconnaissance du toponyme culturel.

0. 3. Problématique : séparation et réunion computiques

Identité et Appartenance est une recherche philosophie qui se veut un genre de savoir (et non comme genre d'action). C'est chez Mutuza que nous réfléchissons sur les conditions de possibilité de la génétique de la recherche philosophique du temps entropologique et du rétablissement du comput de l'éthique anthropologique. Aussi, Mutuza construit-il sa théorie du point de vue de la conduite humaine. C'est ainsi qu'il parle du gouvernement intérieur et extérieur des sociétés sous examen dans La problématique du Mythe Hima-Tutsi. Mutuza sait que cette manière de considérer l'objet de la conduite humaine embrasse aussi bien les valeurs qui inspirent cette conduite que les institutions qui leur servent de cadre juridique.

L'étude de l'Identité et de l'appartenance, considérée ainsi, a tendance à la systématisation. La systématisation nous conduit à deux disciplines qui s'embrassent : la sociologie politique, avec son corollaire la science politique et la philosophie politique.

Quant à nous, nous laissons l'aspect sociologique en raison de son analyse des institutions et de sa tendance à les comparer dans leur structure (statique) ou leur évolution (dynamique) afin de déterminer, sinon les causes qui les ont produites, du moins les conditions sans lesquelles elles ne peuvent apparaitre. Nous ne disons pas que la sociologie néglige l'étude des valeurs politiques, mais elle n'en tient compte qu'en tant que faits psychologiques, donnés dans un certain milieu concret ; elle prête plutôt attention à celles qui influencent les consciences collectives qu'aux institutions isolées de certains individus géniaux, parce que seules les valeurs du premier type imprègnent des institutions durables et alimentent les conduites sociales, autrement dit, parce qu'elles sont les seules qui concernent l'objet principal de la sociologie politique.

Quant au sociologue, il est obligé, dans sa discipline à demeurer neutre vis-à-vis des faits qu'il met en lumière, qu'il s'agisse des normes ou des structures. Mais s'il a quelque chose à dire en faveur ou à l'encontre d'une idéologie ou d'un régime, c'est en considération de son efficacité réelle à l'égard de la fin (ôåëåßïò) que la société examinée assigne à la valeur ou à l'institution, ce n'est pas avec la prétention de juger cette fin en elle-même. En un mot, parce qu'il n'a qu'à expliquer et sa science est explicative.

Nous avons laissé l'explication au sociologue. Nous sommes essentiellement dans l'exercice normatif, car c'est une construction théorique fondée sur un jugement de valeur. Nous considérons les relations politiques non dans leur réalité, comme le fait un sociologue, mais en tant qu'idéaux ; c'est pourquoi nous pouvons prendre en considération tout aussi bien les formes possibles que les formes actuelles de ces relations. Partant d'une conception générale de l'homme, et parfois de la divinité, nous projetons dans le champ de la politique afin de constituer un modèle idéal qui serve de critère pour qualifier - voire de but pour modifier - la conduite réelle des gouvernants et des gouvernés.

Nous avons dû, par conséquent, même lorsque notre recherche semblait avant tout constituée par des études de caractère scientifique appuyées sur une vaste érudition sociologique, il faut se souvenir que notre but fondamental est tout autre et qu'il consiste à porter un jugement de valeur sur les normes reçues et sur les institutions en vigueur au nom des valeurs que nous adoptons ou que le mutuzisme, école de la réévaluation des concepts, a adoptées.

C'est pourquoi, dans le mutuzisme, nous avions été obligé de chercher l'axe véritable de cette philosophie dans ses institutions fondamentales, autrement dit, dans ses racines métaphysiques.

C'est pourquoi aussi, il faut éviter ici des perspectives juridiques à cause des connexions qui existent entre le Droit et la politique. Les théories relatives aux institutions bovines des sociétés sous examen chez Mutuza ont nécessairement leur place dans notre étude, mais seulement dans la mesure où on peut les mettre en relation avec les principes métajuridiques de la morale des Hutu et de la conservation linguistique dont elles dépendent (au moins implicitement). De la même manière, les chevauchements entre la fin théorique (vie harmonieuse) et les moyens pratiques de la politique (conquête des terres), peuvent engendrer des dangereuses confusions : parler du nationalisme de Lumumba, de l'unitarisme de J.D. Mobutu ou de l'autonomisationnisme de L.D. Kabila ou encore du mono-ethnisme ruandais de P. Kagamé comme s'il s'agissait de philosophies politiques, alors qu'il s'agit de doctrines consciemment élaborées en vue de l'action au sein d'un milieu déterminé par le moyen de l'adaptation ou de la construction des théories, étrangères par elles-mêmes à toute efficacité pratique. Le rôle de ces constructions doctrinales est incontestable et décisif, mais il ne s'agit pas de philosophies au sens technique du mot et la présente recherche n'y fait allusion que d'une manière accidentelle.

Mutuza part de la lecture du mythe Hima-Tutsi pour re-construire les éléments de l'identité et de l'appartenance d'une population donnée et pour déduire dans le cas d'espèce le manque de corrélation et de correspondance entre leurs ethnonyme (Tutsi), toponyme (banyamulenge) et glossonyme (kinyarwanda) à la base de ce mythe des Banyarwanda.

Pour mener notre recherche, nous nous appuyons sur la réévaluation des concepts que Mutuza(41(*)) préconise. C'est une théorie et une méthode assise sur deux chaises. L'une historiciste et l'autre archéologique. C'est une théorie qui argue qu'aucun concept ne peut être accepté s'il ne passe pas par l'acide culturel. Le terme concept identité nécessite une élucidation. Le mot `concept' vient du latin, conceptus, il est participe passé du verbe concipere, « former en son sein, contenir ». Il est la représentation abstraite et générale d'une chose ou d'un fait. L'appartenance, elle, est une affiliation personnelle et individuelle, officielle et tacite dont l'inclusion s'explique par l'implication dans les propriétés culturelles communes.

Les études anthropologiques sur ce sujet abondent. Si l'anthropologue de sa part s'aventure au-delà de la simple description de sa science, il a bien tôt de constater qu'il empiète sur la théorie sociale et la théorie de l'histoire, pour s'apercevoir en définitive qu'il est en train de prendre contact avec la philosophie. En poussant l'analyse de l'appartenance sociale et culturelle, biologique et spirituelle, l'on tend à la réduire en une problématique gnoséologique dans laquelle la conscience joue un rôle central.

Actuellement, on se réfère principalement à deux modèles pour décrire le fonctionnement des sociétés comme ceux des ordinateurs en le comparant à celui du cerveau : le modèle computationnel et le modèle connexionniste(42(*)). Les réseaux neuronaux, qu'il faudrait en toute rigueur appeler réseaux neuromimétiques puisqu'ils ne font qu'imiter certaines propriétés des neurones, sont issus du second modèle. L'approche d'ingénierie pour l'informatique neuronale utilise des modélisations issues de la recherche génétique de la biologique afin de concevoir des architectures informatiques pouvant accomplir des tâches spécifiques, telles que l'apprentissage (cognition, évolution) et la reconnaissance des formes. Il existe une grande diversité de réseaux neuronaux, chacun ayant ses propriétés particulières comme l'indique ce schéma(43(*)) :

 

F2

Chez Mutuza, la subjectivité(44(*)) se voit attribuée une utilité susceptible de la lancer vers la pensée de l'antiquité grecque qui contemple le monde sub species aeternis. C'est le point de vue éloigné des sociétés actuelles, pour lesquelles la vertu est connaissance, et par conséquent la connaissance est vertu(45(*)). Mais il est difficile pour notre époque de saisir pour une quelconque utilité pratique une telle théorie, qui se base sur un jugement potentiel dont l'actualisation est déférée à une époque future. Cette théorie se borne à des poursuites immédiates en accord avec cette problématique « pour des prédictions sous l'impulsion d'une ingénierie sociale ».

Dans cette perspective intervient la philosophie de l'Histoire parce qu'elle embrasse, en plus de l'esthétique, l'import général de la manifestation culturelle, son sens intérieur, sa valeur logique et sociale par rapport au système ethno-historique auquel elle appartient. Les rapports organiques entre manifestations culturelles relèvent des civilisations différentes dans l'espace et dans le temps.

L'« Homme », par exemple, est une représentation générique qui comprend aussi bien les individus actuels (présents) que les individus virtuels (passés ou à venir). A l'instar d'une médaille, l'homme offrira toujours deux faces : il est à plusieurs niveaux interfacial. C'est pourquoi de l'homme il s'agit d'entropologie plutôt que d'anthropologie.

Que dire de son appartenance ? Est-ce une idée, une chose, un fait ou encore un phénomène ? C'est un problème sérieux auquel nous sommes butés. Il demeure difficile d'appréhender l'appartenance et l'identité thème central de notre thèse. Il faut appartenir. Il faut s'appartenir.

Quelle est la réaction des consciences devant la situation dans laquelle l'humanité dans son ensemble, et la RD du Congo en particulier se trouvent impliquées? Aux yeux de l'opinion nationale c'est l'occident qui s'impose à nous par le Ruanda interposé pour s'approprier nos terres. L'épreuve de la difficulté d'arriver à une solution des problèmes ethnoculturels de la RD Congo par le truchement d'une quelconque inclusion.

Cette entropologie xénologique se traduit en termes d'incompréhension et de mécompréhension autour du concept d'appartenance et de possession.

Pour se rendre compte de l'importance de cette étude sur l'identité et l'appartenance, l'on doit savoir d'emblée comment les Tutsi se re-trouvent en RD Congo. Sont-ils venus pour conquérir ou pour être nécessiteux, contrains de s'exiler pour s'intégrer dans la société d'accueil parce que d'où ils sont venus il n'y a plus de place, d'autres groupes s'y sont installés. Quant à la rencontre avec ces groupes, nous examinerons si l'esclavagisme ne fut pas pratiqué par les populations Hutu de l'Est afin de comprendre l'insertion des Tutsi. Nous chercherons à savoir comment une minorité s'est imposée, quels en sont les astuces.

Le noeud de la problématique devient clair. On est en présence de deux réalités : l'identité et l'appartenance. Dans notre tentative pour les concilier, nous avons abouti à deux conceptions dont l'une, la nécessité métaphysique de la fin de l'entropologie sauve l'identité, mais détruit l'appartenance, et l'autre, l'éternelle instabilité de l'appartenance, sauve l'appartenance mais détruit l'identité. C'est une recherche du besoin de faire partie d'un groupe par le biais d'une réunion anthropologique computative.

0. 4. Hypothèse : réunion anthropologique computative

L'insécurité est au coeur d'une des grandes dichotomies humaines : le besoin de faire partie d'un groupe et le besoin d'être libre et pleinement soi-même. L'appartenance implique une forme de soumission, d'abandon au groupe, à la communauté et à la culture auxquels on appartient. La recherche de l'épanouissement et de liberté intérieure exige que l'on réfléchisse sur les convictions du groupe, que l'on les remette parfois en question et qu'on prenne le risque d'aller à contre-courant afin de vivre en conformité avec la nature, ce qu'on appellera la loi. Dans ce cas concret, il importe de faire fi de la Communauté Internationale pour que la Constitution de l'Etat ne devienne pas la règle d'une société d'exploitation, pour suivre sa conscience, accepter d'être vraiment une nation, sans le principe d'insécurité devenu plus évident. Une remise en question des notions actuelles (droit de l'homme, réfugié, démocratie) nous aide à nous débarrasser de la peur d'être dominé ou écrasé par l'étranger. Sophocle, dans Antigone, est précis quant à la question de la liberté de conscience. La conscience humaine dans sa subjectivité est un fait objectif que nul ne saurait nier. Car il n'y a pas de connaissance antéprédicative(46(*)).

La réévaluation des concepts est une tâche pour sortir de la crise importée par les étrangers en RD Congo. « Khenda milonga », disent Aphende pour signifier que le compatissant est l'homme en danger. C'est de cette manière-ci que nous avons compris l'hypothèse de notre dissertation en l'assimilant au schéma dialectique qui stipule : la réunion ne peut être comprise sans la séparation ; toute connaissance est séparation des contraires; toute mort, leur retour à l'union dans l'infini. Ces conceptions sont propres à la philosophie occidentale. Annoncées par Anaximandre, ont nourri celles d'Héraclite(47(*)).

Notre hypothèse est qu'on ne connaît la vraie appartenance que quand il y a entropie. L'appartenance n'est possible que quand il y a correspondance et corrélation entre identité et appartenance parce que l'absence de l'un est présence de la séparation. Malheureusement il ne peut y avoir séparation si les séparées n'étaient originellement pas unis, bien que nous soutenons que la séparation n'est pas le principe de la réunion. Cette conception de la séparation et de la réunion est la base même de la méthode de la réévaluation des concepts qui s'inspire de la vision de la logique propositionnelle que l'on peut assimiler à la dégradation (entropie) computationnelle que Musey qualifie d'éclatement des concepts.

0. 5. Méthodes : réévaluation entropologique computationnelle

Il nous a été parfois utile d'exposer les mêmes idées de diverses manières pour les faire mieux comprendre de lecteurs différents ; parfois aussi, nous n'avons pas eu le loisir de refondre en un seul exposé plusieurs explications qui portaient sur un même problème parce que nous nous méfions des abondantes considérations méthodologiques par lesquelles certains auteurs font commencer leurs travaux. Non seulement parce que les lecteurs s'épargnent le plus souvent la peine de les lire, mais parce qu'elles reflètent des préoccupations qui, dans le meilleur des cas, sont, comme disait R. Larousse, le fruit d'une longue familiarité avec une discipline mais qui ne devraient pas en précéder l'étude. Pour se livrer avec profit à ce type de travail, il est bien entendu nécessaire d'observer certaines règles déterminées à l'avance et nous ne songeons pas à éluder une telle obligation. Toutefois nous croyons que ces règles, au moins à l'égard des disciplines philosophiques (comme la philosophie sociale dans cette partie de philosophie politique), ont tout avantage à être simples et modestes. Simples, pour être pratiques ; modestes, pour échapper au ridicule qu'il aurait à placer au rang de vérité absolue ce qui n'est qu'une préférence personnelle. Etudier la philosophie d'une certaine manière, c'est déjà choisir un certain type de philosophie(48(*)), et nous avons choisi Mutuza.

C'est pourquoi, nous nous plaçons dans le courant de la réévaluation des concepts inspirée de la Via Antiqua de la Haute Scolastique, plus prête à renoncer à une vision d'ensemble du monde, au cosmos harmonieux - héritage de type platonicien conservé par les antiquités. Pour cette voie, la vérité est une et cohérente et l'erreur doit être multiple et de ce fait, pleine de contradictions.

Cette compréhension inscrite dans l'historicité participe à la « signification du monde » qui ne constitue en fait rien moins que le langage, et qui est constituée par lui. Et considérant que l'homme capable de comprendre est avant tout un être parlant, Hans-Georg Gadamer (+2002) va jusqu'à identifier l'être au langage : « l'être qui peut arriver à être compris est langage ». Il place l'entreprise d'herméneutique philosophique dans le cadre d'une réflexion phénoménologique chère à Edmund Husserl (+ 1938) et Martin Heidegger ; il y adjoint toutefois une dimension analytique -- et linguistique -- qui le rapproche de Ludwig Wittgenstein (+1951).

La lecture critique de l'oeuvre de Mutuza sera la coupole de notre étude. L'interprétation du La Problématique du Mythe Hima-Tutsi nous aidera à mieux ressortir le concept de l'appartenance et de l'identité à partir du temps de désordre, celui que nous appelons temps entropologique en raison de la tension humaine.

Observant la société dans laquelle la scène de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi se déroule, nous utilisons presque les méthodes de collecte d'informations que les sciences sociales exploitent, depuis les statistiques mathématiques jusqu'à la critique des sources écrites ou orales. Aussi nous appuyons-nous, dans une large mesure, sur les recensements, les statistiques démographiques, les chiffres du chômage, de l'immigration, les données relatives à la criminalité, cruauté et à d'autres phénomènes sociaux, autant d'informations recueillies régulièrement par les pouvoirs publics et la Mission de l'organisation de Nations Unis au Congo (Monuc).

Quant aux techniques, la distinction entre techniques qualitatives et techniques quantitatives est quelque peu arbitraire, et parfois déroutante, mais est usuellement utilisée pour classer les différentes méthodes de recherche. Notons que les résultats d'une démarche qualitative peuvent faire l'objet d'une exploitation quantitative, et qu'une recherche quantitative peut, à son tour, faire intervenir des sources qualitatives. C'est ainsi que nous avons recouru aux mathématiques, à la physique, à la biologie, à l'archéologie et à la géographie avec la musicologie pour travailler avec les nombres.

L'observation-directif de certains aspects de la société se pratique depuis longtemps dans le domaine de la recherche sociologique. Les travaux de Harold Garfinkel ou d'Erving Goffman (+ 1982) nous ont fourni à la fois des modèles et des théories de l'enquête d'observation sur le terrain. Dans certains cas, il nous a fallu d'une observation participante, en nous intégrant temporairement au sein des groupes étudiés : nous avons ainsi vécu plusieurs mois au sein d'une communauté tutsie afin de nous rendre compte de la manière dont les immigrés rwandais s'efforcent de préserver leur identité sociale au sein d'une institution. Nous avons pu, en plus du carnet de notes classique, utiliser des magnétophones ou des caméras vidéo pour saisir les individus en interaction sociale.

Cette méthode est également utilisée par les anthropologues ou par les ethnologues. Il s'agit d'entretiens individuels, mais parfois également d'entretiens de groupe. L'entretien était directif (avec un protocole de questions préétabli), semi-directif (réponses ouvertes) ou non directif (en laissant place aux digressions et à la conversation spontanée). Ces méthodes qualitatives ont pris des formes plus spécifiques, comme dans le cas des histoires de vie.

La sociologie, comme l'histoire, avec leur usage intensif des informations indirectes nous ont servi de modèle. Il s'agit, en général, de diverses sortes de documents : des récits de vie, des rapports cliniques ou judiciaires, des documents personnels, des sources journalistiques ou d'autres sources publiées. Nous avons pu réaliser une analyse de contenu de ce genre de corpus. Dans certains cas, cette analyse pourra avoir une dimension quantitative, et comporter l'utilisation de logiciels d'analyse des textes. C'est une enquête.

Le terme « enquête(49(*)) » désigne à la fois la réalisation d'entretiens non directifs et la collecte et l'analyse des réponses recueillies par questionnaire auprès de larges échantillons de la population. Pendant les années quarante et cinquante, les méthodes statistiques servant à classifier et à interpréter les résultats obtenus lors des enquêtes ont été un temps considérées comme la principale technique de recherche sociologique. Pratiqués pour la première fois dans les années trente aux États-Unis, les sondages d'opinion, en particulier les sondages préélectoraux et les études de marché, sont aujourd'hui les outils classiques des politiciens ainsi que des nombreuses organisations et entreprises concernées par l'opinion publique.

Nous ne prétendons nullement sous-évaluer les efforts d'élucidation du concept philosophique d'appartenance chez Mutuza, même si à notre avis ce n'est qu'une hypothèse. On ne peut ouvrir un débat sérieux et honnête à ce sujet sans poser au préalable le problème de la métaphysique(50(*)) comme un rapport entre cette aporie de systématisation et le plan « théorie-logique » de la problématique du discours « philosophique » comme lieu général où la philosophie de l'appartenance trouve son alvéole, se personnalise, coexiste avec d'autres concepts comme la monadologie, le néant, l'unité etc. La réévaluation de concept qui est la méthode même de Mutuza nous permettra de mettre son auteur sur l'acide de la méthode dont il est lui-même le champion.

Nous partirons de l'analyse de l'oeuvre de l'auteur pour scruter la compréhension des concepts de l'identité et de l'appartenance. Si Musey de son côté fait un éclatement des concepts en se posant sur les bases archéologiques, c'est pour montrer et démontrer les limites de l'appréhension de Mutuza et de son acception, quant au contenu à conférer au concept d'appartenance parce que placé du côté historique.

« Quand on se penche sur un penseur, on peut s'appuyer sur deux méthodes : ou faire une étude critique en donnant plus de crédit aux nombreux écrits consacrés à sa doctrine ou insister sur l'urgence d'une lecture directe quitte à intégrer au fur et à mesure les contributions extérieures »(51(*)). Pour ne pas nous enclore dans des interprétations stéréotypées, nous adoptons la seconde démarche. Nous lirons et suivrons Mutuza mot à mot, phrase par phrase, à travers une lecture attentive de son parcours et de ses textes dans/et ou par lesquels il exprime sans intermédiaire les concepts d'identité et d'appartenance(52(*)).

En philosophie, l'herméneutique des phénomènes humains requiert une interprétation qui s'oppose à l'analyse objective des phénomènes de la nature, c'est une notion cardinale de la philosophie contemporaine notamment de la philosophie existentielle (Heidegger dans Etre et temps, Jaspers, Sartre, Ricoeur pour qui l'existence est un signe dont le philosophe doit chercher le sens(53(*)).

0. 6. Limites, difficultés et plan

Cette thèse se limite dans l'espace. Il nous sera difficile de la délimiter temporellement avec précision parce qu'aux éléments d'une culture le dépassement théorique de l'objet immédiat prépare et marche de paire avec le dépassement pratique de notre époque et c'est là le caractère a-temporel d'une hypothèse philosophique. Nous serons donc en mesure d'atteindre le sens axiologique et la justification de la fonction sociale active si nous prenons la réelle dimension du temps anthropologique comme áêïëïõèßá (des êtres relatifs ou consequentia = áêïëïýèùò succession ordonnée des êtres relatifs différents des êtres considérés comme des fins en soi, principalia = Þãïõìíùò), et la vie sociale de peuple étudié comme èëéøçò, une épreuve. Ceci permet de décrypter les éléments du temps entropologique de la pensée de Mutuza. Mais chez Mutuza nous avons évité tout commentaire du fait que c'est le premier travail qui soit entrepris sur son oeuvre.

C'est ainsi que nous avons subdivisé le travail en deux parties reparties en huit chapitres. Pour la première partie intitulée vision philosophique de Mutuza, il y a quatre chapitres dont le premier traite les questions du langage et de sa critique, le deuxième expose l'identité et l'itinéraire de Mutuza en suivant des étapes d'une biographie raisonnée et en accompagnant chaque jalon de sa vie d'un commentaire. Le troisième chapitre fixe les esprits sur l'humanisme mutuziste pour déboucher sur la recherche philosophique du temps entropologique qui en oriente le quatrième chapitre sur l'étude de la conjuration et de l'entropologie tutsies.Commence alors la deuxième partie : rétablissement du comput éthique du temps anthropologique. Le cinquième chapitre traite des techniques et structures socioéconomiques et le mythe de Kanyarwanda. Le sixième chapitre expose l'identité et l'appartenance selon les poèmes dynastiques. Le septième chapitre saisit le mythe de l'appartenance et sa prise de conscience. Le huitième et dernier chapitre fait une critique de l'identité et de l'appartenance chez Mutuza dans l'approche computationnelle lié à l'analyse mathématico-philosophique (mathéphile).

Les scolies et corollaires de certains passages que l'on trouve rapportés dans la conclusion générale sont dans un style moins contraignant et souvent polémique, nous les avions ajoutés en conformité avec notre méthode alors que, même sans eux, nous trouvions naturels à la compréhension.

C'est pourquoi, il ne faudrait pas opposer, dans la lecture de cette thèse, un fait à un raisonnement, mais il s'agit de savoir si ce fait est pensable, exprimable rationnellement pour qu'on n'oppose pas, en somme, une expérience vécue au langage conceptuel dans lequel on la traduit. Et cette thèse sera intéressante (du latin inter - esse, être entre, être parmi, être présent, participer) si vous ne la considérez pas comme le produit surgelé d'un chercheur soi-disant « objectif ». Ce qui est demandé et qui est fixé dès le départ c'est une honnête impartialité. Et je vous prie donc de ne pas confondre la chaste impartialité avec la neutralité objective

Première partie : Vision philosophique de Mutuza

« Ici, l'homme africain ne pense pas, et s'il pense, il pense de façon concrète et non de façon abstraite ; mais il commet des oeuvres artistiques extrêmement symboliques et abstraites. Personne ne relève cette contradiction. »

(Okolo Okonda, Tradition et Modernité en Afrique, le point de la question)

Chapitre premier : LA QUESTION DU LANGAGE

Introduction

Pourquoi commencer cette recherche par le chapitre qui traite le problème du langage et de sa critique chez Mutuza, alors que les concepts de l'identité et de l'appartenance impriment à cette étude une décisive orientation ? La relation du langage et de la situation humaine est si intime que les maitres traits du langage en sont vivement éclairés : ayant perçu d'abord l'action langagier dans l'oeuvre de Mutuza, on pourra pénétrer dans le mystère de sa vraie philosophie de l'identité et de l'appartenance. Et on comprend pourquoi le mot grec ëüãïò (logos), sans doute issu de la racine ëåã-, qui signifie originairement « mettre ensemble, rassembler, ranger », est revêtu, depuis Pindare et les premiers historiens, d'une sémantique intellectualiste : la parole est l'expression d'une pensée maitresse de son objet ; bien parler veut dire, dans ce sens, rendre par la parole une exacte représentation de ce qui est dans la réalité.

En premier lieu, il est intéressant, du point de vue de l'histoire de la philosophie africaine, de noter à quel point Mutuza se situe à contre-courant, en ce qui concerne le langage, de l'orientation massive prise au XXème siècle et que l'on a coutume d'appeler de nos jours le « tournant linguistique » ; biface à l'origine, insufflé d'un côté par Nietzsche et Heidegger, de l'autre par Frege et Wittgenstein (tous penseurs d'outre-Rhin), ce tournant a conservé deux aspects pendant la majeure partie du siècle : l'un proprement continental (entendons européen) et post-heideggérien, l'autre anglo-saxon, qui s'intitula philosophie analytique puis (bien que l'on ne puisse en toute rigueur assimiler les deux écoles) philosophie du langage ordinaire. Les dernières décennies consacrent un rapprochement de ces tendances, confirmant d'autant plus l'importance et la réalité - qui ne peut plus être mise en doute - dudit « tournant linguistique de la philosophie ».

 Au-delà de l'aspect un peu inhabituel de cette conception, il faudra bien voir les motivations profondes de Mutuza, et chasser tout contresens. Il n'est pas dans son idée de soutenir que le langage est négligeable, qu'il ne sert de rien de s'attarder à son sujet - au contraire, Mutuza propose même une théorie des fonctions du langage, et insiste à maintes reprises sur son rôle fondamental. L'intention exacte de l'auteur Des Nations sans Etat est de mettre la philosophie face à ses vrais problèmes, qui ne sont pas de définir des termes ou de déterminer quelles phrases ont un sens. Il pense que ces préoccupations sont stériles et porteuses d'un danger dogmatique.

En second lieu, cette conception du langage mérite d'être inspectée d'un point de vue plus interne, mais pas moins important, car elle sous-tend constamment les différentes options de la philosophie de Mutuza. Notre thèse est presque triviale ; toutefois il est utile de la tester « sur la longueur », et d'en tirer toutes les conséquences. On peut notamment avancer (ce sera l'objet de notre second chapitre) qu'elle n'est pas sans lien avec l'itinéraire de Mutuza qui caractérise l'épistémologie mutuziste. Elle permet également d'expliquer, ou à tout le moins de justifier, le refus de toute approche pragmatique dont la première conséquence est l'absence de réelles thèses concernant la communication (ce choix étant, au demeurant, perçu et pleinement assumé par Mutuza). Notre but sera, dans le troisième chapitre, de montrer que ceci ne fait pas à proprement parler défaut, mais qu'il n'est pas contradictoire - car la place semble se trouver - d'inclure dans la pensée de Mutuza des thèses de ce type à cause de sa conception de l'humanisme.

Section 1. Critique de l'essentialisme

§1. Les questions des mots

« Mes mots prennent leur vol, mais ma pensée se traîne. Et des mots sans pensée n'atteignent pas le ciel », Shakespeare, Hamlet, Acte III, scène III.   A en croire ce qu'il écrit à ce propos dans Des Nations sans Etat, Mutuza fut dès ses premières réflexions philosophiques confronté à ce qu'il appela par la suite « essentialisme », attitude consistant à se concentrer exclusivement - de manière plus ou moins explicite - sur des problèmes de terminologie et de définition, et contre laquelle il conçut immédiatement une méfiance presque épidermique. Il ne s'aperçut que nettement plus tard que la conviction essentialiste, loin d'être l'exception, était comme il l'écrit lui-même « quasi-universelle »(54(*)). Dès lors, il ne cessa de remettre sur son métier de philosophe son combat contre elle.

Arrêtons-nous d'abord à la nature même des textes qui nous serviront des sources : « problématique de l'application des concepts de Progrès, d'Etat et de Sous-développement en Afrique noire ». Et l'on s'aperçoit immédiatement que Mutuza affirme qu'« Etat, Progrès, Sous-développement : ces concepts définissent, peut-être mieux que tout autre, les rapports entre l'Occident et l'Afrique. Leur contenu constitue le critère auquel l'Occident s'est souvent implicitement ou explicitement référé pour juger de la valeur morale, spirituelle et matérielle des civilisations africaines »(55(*)).

C'est dans la perspective de cette philosophie que Mutuza cherche à se définir ; car les concepts utilisés par l'Occident se présentent en archontes de l'identité de termes appliqués aux réalités environnementales. Il annone : « On a plaqué sur le passé africain, afin de le réduire à des schémas connus, tout un vocabulaire emprunté à l'histoire européenne : Etat, Empire, Royaumes etc... Leur adaptation réelle aux situations africaines qu'ils sont censés expliquer n'a jamais été sérieusement examinée. Ils portent d'ailleurs en eux-mêmes un poids de prestige ou de jugement qui leur confère un caractère quasi sacré ; et pourtant ils n'expliquent réellement rien de cheminements propres à l'Afrique »(56(*)).

On comprend que pour Mutuza ce n'est pas tant de la différence des termes que résulte le danger, mais de leur applicabilité que l'on trouve les difficultés. C'est le problème du principe de correspondance et de corrélation entre glossonyme et ethnonyme, entre pensée et réalité, entre culture et production, entre politique et civilisation etc.

La première conséquence de cette manière de considérer le langage nous permet de comprendre que Mutuza s'insurge contre la tendance selon laquelle lorsque des personnalités composent et publient des écrits, elles veulent produire une oeuvre originale, dont l'identité ne peut être doutée, et capable de communiquer un message personnel. Elles n'ont en vue ni le caractère collectif, ni la continuité du groupe humain dans lequel et pour lequel elles écrivent; même dans la littérature « communautaire », l'esprit individuel de l'apport domine l'aspect social. Quant à Mutuza, conscient non seulement d'appartenir à une communauté en marche, mais aussi de n'avoir de vérité et de densité valables que par elle (la communauté), il s'attache à obéir à des prescrits traditionnels, à des vérités collectives : il s'insère dans un vaste mouvement, qu'il respecte et auquel il adhère de tout son être.

§2. Genèse des mots

Tout ce que Mutuza apporte d'original, il le soumet à priori à la censure de la tradition, même si son expérience l'incline à parler de l'autorité même de cette tradition. De toute manière, par ses références, par ses citations, par ses allusions au passé, il se réclame d'une communauté de pensée et de vie avec sa collectivité. En d'autres termes, l'intention et l'apport de Mutuza sont, de soi, communautaires et traditionnels. C'est pourquoi la communauté et la tradition restent juge de l'identité et de l'appartenance des catégories conceptuelles.

Il se demande comment, « méconnaissant l'enseignement humaniste d'un Montaigne dénonçant l'attitude ethnocentrique selon laquelle chacun appelle barbarie ce qui n'est pas son usage », les juristes occidentaux ont bien souvent, sans se soucier qu'une manière de penser s'imposait quand l'objet est autre, projeté leurs conceptions juridiques dans un milieu où elles étaient irrecevables. L'auteur qualifie cette manière de voir d'incapacité et(57(*)) d'illusion ethnocentrique(58(*)). Puis, se demandant pourquoi l'étude des systèmes de droit foncier - son acharnement sur la problématique de la nationalité dans La problématique du Mythe Hima-Tutsi(59(*)) lui a valu le surnom de « a précédé l'histoire » - en Afrique noire n'a pas attiré l'attention qu'elle méritait de la part des juristes(60(*)). Mutuza l'explique en ces termes : « Deux raisons essentielles ont fait obstacle à une compréhension exacte, à l'examen approfondi du problème : il faut imputer sans nul doute principalement ce défaut à la prétention du juriste et du législateur colonial de façonner le droit à sa guise : « n'avoir autre patron et règle de perfection que ses propres moeurs et usances », telle semble bien avoir été l'attitude aveugle... de nombreux jurisconsultes occidentaux quand ils ont abordé l'étude des droits négro-africains et surtout de la propriété du sol »(61(*)).

A ce premier obstacle, Mutuza dit « que la réalité juridique négro-africaine ne peut être saisie en recourant aux catégories rigides et abstraites de notre langage et de notre logique et plus précisément aux concepts romains et napoléoniens, s'en ajoute un autre, non moins important, résultant d'une conception linéaire de l'évolution sociale qui a influencé de nombreux savants en sciences humaines depuis Maine, Morgan, Engels »(62(*)).

C'est ainsi que les structures sociales, économiques et politiques des sociétés africaines sont souvent critiquées par les Occidentaux qui y portent des jugements hâtifs, appuyés sur le système des valeurs dont ils sont imprégnés et qui ne correspond pas toujours à celui des cultures dont ils parlent.

Cette critique, s'exprimant à travers un vocabulaire inadéquat et inspirée par ce que R. Verdier appelle, à juste titre, un « évolutionnisme pseudo-historique, rigide et simpliste »(63(*)), repose donc sur les prémisses fausses et discutables. Elle est partielle aussi, en ce sens qu'un des aspects du problème est le plus souvent privilégié aux dépens des autres : l'économique, le social ou le politique, alors qu'il existe d'étroites relations entre les unes et les autres.

Section 2. Critique

§1. Conflits langagiers

Nous avons signalé que loin de négliger la question du langage, Mutuza lui consacre une place fondamentale dans son argumentation. Il considère, en effet, qu'il constitue l'origine de l'apparition des conflits et que les termes qui constituent son arsenal idéologique viennent des définitions. Au fait, ce que Mutuza refuse c'est l'analyse de caractère d'un concept, dans sa version de la logique traditionnelle par laquelle connaître une chose c'est partir du genre prochain et de la différence spécifique. Pour lui la définition n'est pas l'analyse d'un objet déjà donné, mais elle crée cet objet, c'est le sens qu'il donne au droit de nommer les choses(64(*)). Cette conception est très computationnelle. Elle nous donne le calendrier de différents moments (comput) de la dégradation du système social (entropologique) sous la domination.

L'éthique entropologique quant à elle, est liée à la dégradation qui permet un retour à l'homogène, processus de la destruction, de retour à l'informel. Et tous les combats de l'Occident est de s'élever à l'espoir, si les Africains refusaient de condescendre à l'espoir et professent un surhomme, découvrant ainsi une totale liberté.

C'est ainsi qu'il (l'Occident) s'est mis à gloser des mots tels que le progrès, l'Etat, la politique...

Enfin, cette critique a en vue, implicitement ou explicitement, une modification de structures qui permettrait un progrès, souhaitable selon les normes extérieures aux sociétés en cause ; mais pas toujours désiré par les populations vivant depuis des décennies ou des siècles dans un état d'équilibre social, médiocre parfois - la médiocrité étant une notion relative - mais dont l'immense mérite est, précisément, à leurs yeux, d'avoir duré, assuré la sécurité et fait ses preuves.

Pour toutes ces raisons, notre étude sur les concepts d'identité et d'appartenance chez Mutuza se devait d'être précédée par un bref examen des concepts fondamentaux qui serviront de principe en vertu duquel nous organiserons les diverses données qui constitueront ce travail. En choisissant les concepts d'Etat, de Progrès et de Sous-développement, de démocratie, de civilisation, de culture, d'aliénation... comme concepts opératoires, nous n'opérons pas un choix arbitraire. Ces notions, en effet, expriment les éléments constitutifs de toute société humaine. La société étant, si nous nous limitons ici à la définition qu'en donne la scolastique, « unio plurium ad bonum commune procerandum », le concept d'Etat traduit l'objet formel, tandis que les concepts de Progrès et de Développement expriment la finalité de l'union au double plan moral et matériel.

Notre propos ici est moins de présenter une analyse exhaustive de ces concepts que de décrire le cadre de référence dans lequel notre étude s'inscrit et de souligner l'importance d'abstraire ces concepts du milieu et des circonstances qui les rendent prisonniers d'une civilisation. Car, comme nous dit R. Verdier, « on ne saurait encore une fois trop se méfier de nos déductions logiques et de nos catégories qui risquent de devenir un obstacle à la connaissance des valeurs propres qui confèrent aux civilisations noires leur profonde originalité. »(65(*))

« Mais le problème de la réévaluation des concepts n'est pas propre à l'Afrique, dit-il »(66(*)). G. Berger parlant de vieillissement des concepts constate désenchanté que « les choses vont aujourd'hui si vite que les machines sont démodées avant d'être usées. Il arrive qu'elles le soient avant d'être mises en service ; c'est qu'il faut parfois plus de temps pour les construire que pour en inventer d'autres meilleures. Nos lois, nos règlements, nos institutions tombent sous la même menace(67(*)).

« Et les concepts, ces indispensables instruments de la communication entre les hommes, les véhicules intellectuels de nos inventions, de nos lois, de nos institutions, de nos jugements n'obéissent-ils pas à ce vieillissement rapide et irréversible ? »(68(*)) Un esprit subtil parlant de changement de sens des mots disait que si les mots changent de sens, et les sens de mots, un héritage de mots n'est pas l'infaillible indice ni l'exacte mesure d'un héritage d'idées.

§2. Critique d'usage des mots

Mutuza nous rappelle que malgré l'information que nous avons de ces problèmes «  nous n'y prenons pas toujours garde et nous continuons à nous servir de ces mots alors qu'ils ne correspondent plus aux réalités nouvelles. Nous parlons aujourd'hui de progrès et de sous-développement comme de deux situations parfaitement tranchées et exactement contradictoires ; alors qu'il nous faut bien reconnaître entre ces cas limites, une série de situations intermédiaires. Nous parlons d'Etat et nous appliquons indistinctement et univoquement ce terme, né dans un contexte culturel défini, à des sociétés et à des civilisations différentes, alors que nous reconnaissons le rôle déterminant que jouent dans la formation des idées, les cadres socio-culturels(69(*)).

Quel sens, quelle signification peuvent avoir les termes Etat, Progrès et Sous-développement appliqués en Afrique ? Il ne s'agit pas, remarquons-le, de l'application de notions formelles ou nominales, mais des notions ontologiques(70(*)).

Mutuza utilisa le terme d'« Etat »  lors de la rédaction de Le bwame superstructure de la société lega frein ou moteur au développement vers 1971, pour désigner la position qu'il identifiât, en étudiant la fameuse querelle dite des universaux, comme s'opposant au nominalisme.

On pourrait faire ironiquement remarquer que c'est, pour quelqu'un qui dit n'accorder aucune importance aux mots, un souci superflu ; en effet, on oppose habituellement audit nominalisme le réalisme, notamment platonicien. Pourquoi donc créer un mot ? C'est que, ainsi que le note Mutuza, cette appellation de "réalisme" met en jeu un terme « quelque peu trompeur, comme on le voit par le fait que cette théorie "réaliste" est appelée aussi quelquefois "idéaliste"»(71(*)) c'est, de fait, le cas en ce qui concerne la philosophie de Platon. Or, de son côté, Mutuza tient à revendiquer un réalisme qui mérite tout à fait son nom mais a pour caractéristique d'être anti-essentialiste. On voit donc bien qu'il y a un réel intérêt à éviter la confusion en distinguant clairement les deux positions. Qui plus est, le nominalisme, comme on aura l'occasion de le voir tout au long de cette dissertation, partage avec l'essentialisme certains présupposés - n'entrant pas en compte dans la querelle des universaux. Aussi est-on vraiment fondé à introduire un troisième terme.

Quoiqu'il en soit, la réaction immédiate de Mutuza fut de considérer que l'immense majorité des philosophes se fourvoyait en dirigeant ses efforts sur le sens des mots, réduisant ainsi parfois son activité à la recherche de définitions exactes censées être les seules à donner accès à la connaissance. Il s'éleva tout d'abord violemment contre l'attitude, qualifiée d'obscurantiste, consistant à tenter de tirer quelque chose d'important des significations de certains mots, tant il lui semblait naturel que de telles préoccupations fussent stériles. Il se forgea alors un principe : « Ne jamais débattre des mots et de leur sens parce que de telles discussions sont spécieuses et ne signifient rien ».

Il raconte même quelle aversion pour la philosophie lui donna la lecture de Franz Crahay, où il ne trouva que « définitions qui (lui) parurent arbitraires et sans intérêt, érigeant en axiome ce dont il était question, si tant est qu'il y ait eu quelque chose en question ». Le moins que l'on puisse dire est que le jeune Mutuza ne fut pas séduit par la "grande philosophie analytique(72(*))". Il écrit : « de ces trois reproches, Crahay s'attache surtout au premier et définit la philosophie comme `une réflexion explicite, analytique, radicalement critique et autocritique, systématique, au moins en principe et néanmoins ouverte, portant sur l'expérience, ses conditions humaines, les significations et les valeurs qu'elle révèle »(73(*))

Il faut toutefois nuancer ces propos qui, présentés ainsi, sont susceptibles d'induire en erreur. Mutuza ne conserva fort heureusement pas son aversion pour la philosophie (ni pour Crahay !) et la lecture de Marx y fut sans doute pour quelque chose. Il ne faudrait pas en outre exacerber cette première impression qu'il eut et faire de sa réaction un peu violente contre le verbiage en général, ou ce qui peut sembler tel, son unique opinion à l'égard de la philosophie. Bien qu'il continue - à raison - de reprocher aux philosophes de s'empêtrer ponctuellement dans des pseudo-problèmes linguistiques. La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, il sied de rappeler que Mutuza fut l'un des rares défenseurs de la "philosophie analytique" (i.e. des questions des mots au sujet desquels la colonisation ne peut trancher) face aux néocolonialisme et aux philosophes immatriculés qui «jouent ainsi, en Afrique noire, le rôle de censeur, de gendarme et d'inquisiteur au compte de la `philosophie universelle'...et aussi je considère comme immatriculé tout non africain qui prouve par ses écrits qu'il se croit nanti de la mission de propager `la civilisation universelle »(74(*)), Houtondji et Towa- contre lesquels il soutint toute sa vie durant qu'il existait de véritables problèmes philosophiques, qu'il était possible d'en discuter de manière critique, mais qu'il ne s'agissait absolument pas de questions verbales ou de définitions.

Pourtant, comme on le peut constater, il avait toutes les raisons de comprendre la condamnation wittgensteinienne qui fait de toute la philosophie un tissu de non-sens brodé au moyen d'erreurs grammaticales et de confusions terminologiques. Mais, s'il est bien certaines questions qui s'avèrent vides d'intérêt en philosophie, et si le verbiage post-hégélien l'énerve autant qu'il peut énerver l'auteur du Tractatus, Mutuza affirme qu'on ne peut réduire la philosophie à ces constatations pessimistes qui la voudraient superflue.

Wittgenstein, on le sait, dit en effet en 6.53 : « La juste méthode de philosophie serait en somme la suivante : ne rien dire sinon ce qui se peut dire, donc les propositions des sciences de la nature - c'est-à-dire quelque chose qui n'a rien à voir avec la philosophie - puis à chaque fois que quelqu'un tenterait de dire quelque chose de métaphysique, lui démontrer qu'il n'a pas donné de signification à certains signes dans ses propositions ». Mutuza admet lui-même dans Ethique et Développement qu'il ne se sent pas complètement étranger à l'état d'esprit de cette réaction, ainsi que nous le suggérions. Il écrit d'ailleurs, après avoir évoqué Crahay : « la crainte de Crahay traduit, un peu plus clairement, sa foi en sa mission sacrée de prêcher la civilisation de l'universel en stigmatisant, sous prétexte de la rigueur scientifique, toute tentative d'affirmation de soi des autres civilisations. Nous croyons pour notre part que si la civilisation de l'universel doit s'édifier un jour, elle ne le fera jamais sur les cendres des autres civilisations, mais grâce à leurs apports. Ce qui suppose leur existence propre et s'oppose à leur assimilation à la civilisation de l'universel de Crahay. »(75(*)).

 Toutefois, Mutuza continue malgré tout de soutenir qu'il existe des problèmes philosophiques réels et que même si Houtondji s'est immatricularisé, il a eu «maigre fécondité, il faut avoir le courage de le dire ! Si tel est le seul mérité que Houtondji se reconnait, il faut avouer alors que l'ethnophilosophie est encore plus féconde, car si la critique est aisée, l'art est difficile et l'on ne jette de pierres qu'à un arbre qui porte des fruits. Et les fruits de l'Ethnophilosophie doivent avoir été assez savoureuxpour que Houtondji ait jugé nécessaire de lui jeter tant de pierres»(76(*)).

Ceci explique pourquoi, à plusieurs reprises au cours de son oeuvre, il note le besoin urgent de « défendre la philosophie » contre ceux qui, dans la mouvance de la colonisation, voudraient lui dénier la possibilité de traiter d'autre chose que de problèmes terminologiques préalables. En cela il s'oppose radicalement à la philosophie coloniale, qui s'efforce avec acharnement de développer les conceptions de l'anthropologique colonialiste. On a du mal pour cette raison à comprendre comment Mutuza a pu être assimilé aux anthropologues, alors même qu'il était désigné par ses membres comme le représentant de « l'opposition officielle », selon les termes de Mgr Mzee Munzihirwa(77(*)).

Il est, de fait, peu difficile de mesurer ce qui les sépare, si l'on garde à l'esprit le refus mutuziste de traiter des problèmes de mots et d'assimiler aux questions de significations celles de vérité, revendiquant de la sorte l'existence de vrais problèmes philosophiques africains tandis que pour les philosophes immatriculés il n'existe rien de tel, la philosophie africaine ne consistant qu'à brasser des mots des langues occidentales dénués de sens pour gloser sur des pseudo-problèmes. 

Il est à espérer que se dissipe la confusion consistant à faire de Mutuza un anthropologue au même titre, par exemple, que Baumann et Westermann. Il suffit pour ce faire simplement de lire un peu Mutuza (ou P. Pagès, qui n'aurait sans doute pas compris qu'on fît de Mutuza son compagnon de bataille), et l'on ne trouvera plus ce genre de malheureuse phrase : «Le rôle de l'anthropologie politique est justement de montrer comment le pouvoir s'est organisé, s'est exercé à tel moment et en tel endroit ; d'étudier, en somme, la solution donnée par tel ou tel peuple au problème du pouvoir et non de juger la valeur des institutions d'un peuple à partir de critères propre aux institutions d'un autre. Jusqu'à ces dernières années les ouvrages classiques occidentaux, inspirés par l'hypothèse que nous venons d'évoquer, nous donnaient de l'Afrique pré-coloniale, l'image du chaos ou de stagnation. Dans l'esprit de leurs auteurs il était inconcevable que des groupes humains aussi primitifs aient pu avoir un passé politique digne d'intérêt »(78(*)).

Les anthropologues qui constituent au début des années 20 autour de la colonisation, avant de compter parmi les auteurs illustres parfaitement colonialistes à tendance positiviste, sont assez révélateurs de l'état d'ignorance qui règne en RD Congo à l'égard de la pensée de Mutuza. C'est tout de même bien Mutuza qui écrit: « si je n'avais pas de problèmes philosophiques sérieux ni l'espoir de les résoudre, je n'aurais aucune excuse d'être philosophe »(79(*)), déclaration pour le moins étrangère à l'esprit des philosophes immatriculés. Cela étant dit, l'on ne peut pas non plus trop radicalement opposer Mutuza et ses amis de la querelle de la philosophie Bantoue, pour cette raison que ce sont, de fait, pour l'essentiel ses amis, et que, malgré leurs divergences (non négligeables) ils sont "du même côté", autrement dit du côté de la résistance. Ils veulent tous faire reconnaitre l'identité de cette philosophie quoique des manières différentes.

Mutuza peut leur reprocher de parfois mal la défendre, mais ses critiques visent la plupart du temps des penseurs comme Elungu ou Houtondji qui pensent qu'il n'y de philosophie qu'occidentale et le schéma d'une philosophie vraiment africaine doit emprunter celui de l'Occident; l'on peut suspecter Mutuza d'avoir un peu rapidement assimilé la philosophie bantoue des Immatriculés à ces deux seuls philosophes. Elungu n'aurait, au fond, certainement pas nié l'existence de problèmes réels de la philosophie bantoue, ni son intérêt pour leur résolution. Et le fait que Mutuza soit déclaré « opposition officielle » indique bien qu'il s'agit d'un critique "de l'intérieur".

Toujours est-il que ce qui constitue aux yeux de Mutuza l'erreur générale des philosophes, autrement dit le préjugé essentialiste, n'est assurément pas le seul fait des analystes du langage du XXème siècle. Qui plus est, on a du mal à ne pas voir dans l'attitude passionnément anti-occidentaliste de ces philosophes une tentative oedipienne désespérée qui au bout du compte reste prisonnière de ce qu'elle entendait détruire, tant il est vrai, et Wittgenstein l'avait tout de suite vu, qu'elle n'est elle-même qu'une théorie métaphysique et par là - selon ses propres critères à la fin du Tractatus- vide de sens. 

Ce n'est pas tout cependant; car elle ne fait au fond qu'hériter du legs essentialiste de la tradition philosophique et perpétuer ainsi son erreur. On sait en effet qu'Aristote était perçu par les philosophes immatriculés à vocation analytique comme le précurseur de l'analyse des significations ; mais il devait lui-même le souci essentialiste de la définition à son maître Platon, à qui Mutuza, à la suite de Popper, attribue la "paternité" de l'essentialisme. A partir de lui, toute la philosophie s'est organisée autour de ce thème. Et lui propose la réévaluation des concepts à la place de l'essentialisme.

Section 3. Réévaluation des concepts et saisie de l'identité et de l'appartenance

§1Catégorie conceptuelle

Qu'entend-il, nous le demande, par réévaluation des concepts ? Quelle conception de la culture et de l'histoire a-t-il d'une pensée très étroitement liée à la colonisation ? Nous voudrions bien qu'il eût expliqué cette réévaluation par son hypothèse de l'identité. Nous voudrions, de plus savoir combien de degrés de mouvement le moi colonisé peut imprimer à ces concepts et avec quelle force les tenir inculturés ?

C'est autour de l'idée de l'Etat que l'Occident a ordonné sa connaissance du passé, dit Mutuza. C'est également à partir de cette idée qu'il a jugé la valeur des organisations socio-politiques des autres sociétés humaines. « Il (l'Occident) a ainsi eu souvent tendance à croire que les peuples munis d'un système complexe sont réellement supérieurs à ceux auprès de qui il affirme n'avoir rencontré que des organisations sociales simples, élémentaires, rudimentaires ou primitives, que certains de ses représentants trouvent abusif de considérer comme organisations politiques étatiques »(80(*)).

Cette conception résulte de l'hypothèse selon laquelle la valeur morale des civilisations se mesure à leur degré d'organisation politique et de hiérarchisation (81(*)). Si les Africains contemporains ont mis l'accent sur les Etats et les Empires africains, c'est justement par réaction contre cette hypothèse quelque peu simpliste.

Naguère les Européens tenaient le raisonnement suivant : il n'y a jamais eu d'Etat, ni d'Empire en Afrique, donc les Africains n'ont pas d'histoire digne de ce nom, ni d'identité historique, par conséquent - et c'est là qu'ils voulaient en venir - ils ne peuvent prétendre être vraiment les égaux des Blancs.

Mais c'était malheureusement oublier que l'histoire ne juge un peuple que par rapport à ses conditions de vie. Si tous les peuples du monde avaient dû faire face aux mêmes problèmes, il est fort probable qu'ils se seraient développés tous de la même manière. Même s'ils le voulaient ils ne parviendraient pas sans renoncer à leur identité.

Certes de nos jours, cette idée n'est partagée par aucun anthropologue sérieux. Les dix dernières années ont vu un bouleversement total des idées classiques sur les sociétés africaines. Cependant un malaise persiste. Et ce malaise résulte de la non identification du domaine politique. D'où la répugnance de certains africanistes à considérer comme « Sociétés politiques » des communautés humaines qui n'ont pas un chef à leur tête.

C'est pourquoi il a semblé pour Mutuza, à la suite de G. Balandier, que les considérations initiales à toute anthropologie politique consistent à savoir « comment identifier et qualifier le politique ? Comment le « construire » s'il n'est pas une expression manifeste de la réalité ? Comment déterminer ses fonctions spécifiques si l'on admet, avec plusieurs anthropologues que certaines sociétés primitives sont dépourvues d'organisation politique ?(82(*))

Or, à ce sujet et dès le départ, il faut souligner deux faits importants qui caractérisent les sociétés africaines et sur lesquels la plupart d'auteurs sont d'accord.

C'est d'une part, la diversité des institutions et de formes d'organisations sociales et politiques(83(*)). D'autre part, l'intégration et l'interpénétration de différents domaines des sociétés africaines. Dans ces sociétés, en effet, les différents éléments tels : le social, le politique et l'économique se trouvent impliqués les uns dans les autres. Ce n'est que par un effort d'analyse que l'on peut les dissocier. Aussi, celui qui ne s'est pas imposé un tel effort ne peut que nier ou minimiser l'existence de l'un ou l'autre de ces éléments ou les confondre.

G. Balandier souligne-t-il autre chose en parlant de la diversité de formes d'organisations politiques africaines ? Combien l'Afrique représente « le plus extraordinaire laboratoire dont puissent rêver les chercheurs attachés à l'élucidation du phénomène politique »(84(*)).

« En premier lieu, celui du vocabulaire. La terminologie politique manque de rigueur et laisse apparaître, selon les auteurs, de différences de contenus qui sont parfois notables. Bien souvent déjà les concepts sont marqués par les interprétations différentes selon les cultures ou les sociétés auxquelles ils s'appliquent, et ceci au sein même de notre système de pensée occidental. Qu'en sera-t-il alors quand il faudra les étendre à un domaine étranger à ce système ? »(85(*))

Et soulignant le caractère d'intégration des sociétés africaines, l'auteur pose le deuxième problème que soulève l'étude de l'anthropologie politique dans son application à l'Afrique.

« En second lieu, dit-il, celui de la spécificité du phénomène politique lui-même. De nombreuses sociétés africaines présentaient des formes d'organisations dans lesquelles les structures religieuses, économiques, sociales et familiales interféraient avec les structures politiques et s'en différenciaient mal »(86(*)).

Section 4. Les concepts à problème

§1. Etat

Nous exposons ces concepts tels que l'auteur les a présentés ; étant donné que sa méthode refuse les définitions, nous risquerons de leur conférer des acceptions qui sont liées à notre formation. C'est pourquoi nous cherchons à comprendre ce que l'auteur dit à leur propos. Il s'empresse d'esquisser dans ses écrits une définition de l'Etat. Il ne le fait pas en compréhension mais en extension. Il ferme de cette façon la porte idéologique. Son propos commence : « Il n'est pas d'un grand secours pour notre propos de nous étendre sur ces opinions. Qu'il nous soit permis ici, au contraire, d'esquisser une définition du concept Etat à partir des éléments que nous venons d'énumérer »(87(*)).

Et il poursuit: « Nous pouvons donc considérer comme Etat toute société constituée par la réunion sur un territoire déterminé d'un groupe d'hommes obéissant à une autorité chargée de réaliser le bien commun du groupe. En ce sens et compte tenu des apports importants résultant de l'analyse de sociétés « primitives » une redéfinition du fait politique ; pourvoir et Etat s'impose. C'est pourquoi, plutôt que d'être amené à définir le politique de telle sorte qu'en soient rejetées des formes originales, n'est-il pas nécessaire d'en finir avec le poids de l'ethnocentrisme qui nous fait prendre comme modèle celui de la Cité grecque, de l'Etat et de donner au mot « politique » un sens plus large. Il s'agit d'imposer un renversement complet à partir du fait qu'il n'existe pas de sociétés apolitiques. C'est dans ce sens que se situent les travaux de Balandier dont le livre « Anthropologie politique » est une sorte de nouveau départ pour la discipline. Le pouvoir politique définitivement séparé du sens étroit qui était le sien, y est vu « comme résultat pour toute société » de la nécessité de lutter contre l'entropie qui la menace de désordre »(88(*)). Cette définition le pousse à donner celle du pouvoir

§2. Pouvoir

Quant au pouvoir, nous disons que ce n'est pas la force qui gouverne, ni le pouvoir physique, mais l'image du pouvoir et la croyance qu'elle suscite et entretient dans l'esprit des sujets dont elle ébranle délibérément la raison. Dans la mesure où le pouvoir a pour fonction de défendre la société contre ses propres faiblesses, « on ne peut conclure que cette défense ne recourt que par un gouvernement bien différencié. Tous les mécanismes qui contribuent à maintenir ou à recréer la coopération interne sont eux aussi à considérer »(89(*)).

Les rituels, les cérémonies ou procédures assurent une remise à neuf périodique ou occasionnelle de la société, sont autant que les gouvernants et leur bureaucratie, les instruments d'une action politique ainsi entendue. Cet enseignement des anthropologues est, pour une part, transférable aux sociétés non traditionnelles ; elles ont aussi leurs procédures de « récupération », de remise en état de la société globale ; et la comparaison ne manque pas d'éclairer. »(90(*))

§3. Progrès

Le progrès selon Lalande est une marche en avant, un mouvement dans une direction définie(91(*)). Et Mutuza dit que « Quand nous parlons de progrès et de sous-développement, il s'agit toujours d'un progrès humain. Or, avec le progrès humain nous passons de la réalité spatio-temporelle à sa valorisation par l'homme dans le sens de son amélioration. Le progrès ne nous soumet pas seulement à un ordre irréversible, mais surtout à un ordre valorisé qui évoque une exigence de l'homme. Le progrès se réfère au passé, à la tradition. Il n'y a pas de progrès sans comparaison avec le passé ou avec autrui(92(*))

Et il ajoute que « le progrès humain est un terme essentiellement relatif, puisqu'il dépend de l'opinion professée par celui qui parle sur l'échelle des valeurs dont il s'agit. Le mot progrès a un passé, il a une histoire dont le XVIIIème siècle constitue le point culminant. C'est au siècle des Lumières que le concept progrès se constitue en terme opératoire et pose des questions qui, jusqu'aujourd'hui n'ont rien perdu de leur actualité »(93(*)).

C'est contre Hegel qu'il explique le progrès : « Contrairement à l'idéalisme de Hegel, la philosophie du XVIIIème siècle n'a donc pas soupçonné que l'esprit peut lui-même être, devenir, et que, dans son développement, la part « démoniaque » peut servir de médiation... C'est Hegel qui substituera au caractère linéaire et nécessaire du progrès des lumières une conception dialectique : le progrès par le déchirement dans la contradiction surmontée. Rappelons-nous seulement la dialectique du maître et de l'esclave dont Marx tirera les conclusions que nous savons sur la lutte des classes »(94(*)). Cette idée de progrès permet à Mutuza d'expliquer ce qu'est la société.

§4. Société, esclavage et colonisation

C'est concernant la question de l'humanité du Noir que Mutuza entend parler de la société, de l'esclavage et de la colonisation. Il dit que « jamais alors, l'Europe ne fut à ce point satisfaite d'elle-même, convaincue de sa propre mission et de sa supériorité sur les autres races... Les succès de l'impérialisme occidental prouvaient apparemment la supériorité de la race blanche. Le XIXème siècle définit la civilisation comme la contrepartie spirituelle à l'origine des espèces de Darwin. De même que les formes animales s'étaient développées graduellement à partir de stades inférieurs ainsi la civilisation était le résultat d'un long progrès des formes les plus basses aux formes les plus hautes de la culture. L'Europe du XIXème siècle se vit elle-même au sommet de la pyramide et considéra sa propre civilisation comme le couronnement de tout effort humain. Toutes les autres formes de cultures, n'étaient que des degrés qui pouvaient permettre d'y atteindre ou témoignaient de vagues tentatives à égaler »(95(*)).

Or, il est remarquable que l'Europe avec sa philosophie pérenne se donne le pouvoir de cataloguer l'humanité. Dans cette pyramide, l'Afrique occupait - au cas où on lui reconnaissait quelques valeurs humaines - le niveau le plus bas. Et le plus grand service qu'on pouvait lui rendre, durent croire les conquérants du XIXème siècle était de détruire ces valeurs humaines.  C'est d'abord l'esclavage : l'esclave noir est un humain à qui on dénie l'humanité. Il devient un objet, un instrument que l'on malmène avec d'autant plus de brutalité qu'on redoute de découvrir en lui, un jour, un autre soi-même. L'esclavage est alors une mainmise totale et brutale sur les personnes et sur les biens»(96(*))

§5. Sous-développement

Mutuza esquisse bien cette question dans La Problématique du Mythe Hima-Tutsi. Le problème de sous-développement est à la mode. Il a pris une place de choix dans la littérature économique ; les sociologues, les géographes, les juristes et même l'homme de la rue, parlent couramment aujourd'hui de sous-développement ou de pays sous-développés.

Mutuza dit que « La vulgarisation de ce terme explique en partie son ambiguïté(97(*)). Aussi, depuis quelques années les auteurs tentent-ils de préciser la notion de sous-développement et d'examiner les implications que comporte l'adoption d'une définition rigoureuse. A l'origine de cette conception il y a selon Mutuza une confusion grave entre sens et vérité qui repose, entre autre, sur une sorte de croyance animiste dans une autorité, ou un pouvoir, des mots.

L'histoire de la philosophie voit ce souci acharné des définitions exactes, censées donner un savoir supplémentaire, perdurer de siècle en siècle, même chez les adversaires de Platon qui restent prisonniers d'une sorte de préjugé essentialiste en ce qui concerne les mots. On le retrouve, sous des formes diverses, chez Berkeley, Wittgenstein et leurs émules, autant que chez Husserl (et un pan entier de la phénoménologie - que l'on songe un instant à l' « intuition des essences »), Hume, Moore ou Carnap (on sait, par exemple, que ces deux derniers prônent respectivement l'analyse philosophique et l'explication des concepts). Ces philosophes accordent aux problèmes concernant les mots et leur signification une place majeure et sont tributaires de ce que l'on a appelé la décision platonicienne, spécialement en ce qui concerne l'idée d'explication ultime qui sous-tend, on le verra, l'idéal de précision terminologique.

Contre cette tendance prédominante, Mutuza maintient que les questions de définitions sont « toujours sans objet, sans intérêt philosophique; il cite également R. Gendarme qui a recensé vingt et une définitions parmi tant d'autres(98(*)). Et il ajoute que « les définitions sont des dogmes; seules les conclusions que nous en tirons peuvent nous offrir un nouvel aperçu des choses»(99(*)) , et répète inlassablement que les mots que nous employons n'ont en soi pas d'importance. Ce qui doit être pris au sérieux, « ce sont les questions qui concernent les faits, et les affirmations sur les faits ; les problèmes qu'elles résolvent ; et les problèmes qu'elles soulèvent »(100(*)).

Il ne faut pas pour autant voir en Mutuza une sorte d'anarchiste du langage rejetant l'idée de précision pour on ne sait quel motif obscur et affirmant qu'il n'y a qu'à parler sans se soucier des termes que l'on emploie. S'il soutient bien qu'il ne faut pas s'y intéresser outre mesure, et surtout ne pas en faire son unique objet d'étude, c'est qu'il tient que la vertu cardinale de l'expression ne doit pas être la précision, mais la clarté.

La suspicion à l'égard de la terminologie doit être vue en ces termes également ; ce qui est refusé n'est pas l'apport, parfois réel, que peut donner une mise au point sur le sens d'un mot, mais l'attitude obscurantiste qui peut se cacher derrière le "pointillisme linguistique". Ce que vise Mutuza, c'est bien « la terminologie prétentieuse et la pseudo-exactitude qu'elle implique », qui se trouve chez Popper (P.S. I , Préface de 1956 - p. 27), au nom de ce que l'on appellera son "principe d'effort" : « Ce qui peut être dit doit, et peut, l'être avec toujours plus de simplicité et de clarté » (id.) Il convient de ne pas interpréter cette maxime en un sens "wittgensteinien", insinuant qu'il y a des choses qui ne peuvent être dites (mais juste, par exemple, montrées), tant il n'est rien qui soit plus étranger à l'esprit de Mutuza que ce genre de mysticisme. Ce qu'il faut retenir est ce « devoir moral pour les intellectuels » qu'est le rejet de l'obscurité dans l'expression des idées, ainsi que le souci de n'être pas plus précis que la situation ne l'exige.

Au niveau philosophique, le contexte culturel de Mutuza est très important si on veut bien comprendre sa lutte pour l'identité et l'appartenance.

Conclusion

Telle est la manière de voir de cet Homme très célèbre (autant que nous pouvons le conjecturer d'après ses paroles) et nous eussions eu peine à croire qu'elle provînt d'un tel homme si elle était moins subtile.

Son combat pour les questions des mots résulte du problème de l'effort d'adaptation d'un groupe culturel à un nouveau milieu culturel, c'est qu'il appelle acculturation et de la nécessité de traduire les « réalités africaines dans des langues étrangères ». Il s'ensuit que nombre « des philosophes zaïrois, en effet, paraissent pencher pour promouvoir des langues africaines et leur emploi comme instrument d'expression »(101(*)).

Pour recouvrir la vraie identité et lutter contre l'oppression, Mutuza donne en paradigme les problèmes de pays des grands lacs, surtout l'Est de la RD Congo, avec La Problématique du Mythe Hima-Tutsi. C'est la question du langage qui en est le leitmotiv. Il écrit que « le fait que ces philosophes écrivent et parlent français, et ce faisant, ils constatent qu'ils parlent avec l'Occident une même langue sans parler un même langage »(102(*)) .

L'Occident qui a mé-compris et mal interprété les institutions africaines a joué avec les concepts pour pouvoir les méconnaitre et, dans le cas des Hutu et des Hima-Tutsi, il a fini par mal percevoir les rapports des forces des uns et des autres pour les opposer et se placer en arbitre et sapeur pompier. Mutuza écrit en ces termes : « on a essayé (...) d'autant que possible, de rapprocher l'installation des groupes bantu des migrations qui ont amené les Hima-Tutsi dans la région, et souvent, on a tenté de démontrer, par l'absurde, que c'est cette immigration récente qui fut à l'origine d'une amorce d'organisation de type étatique. »(103(*))

Pour mieux saisir le problème posé par Mutuza, nous sommes dans l'obligation de suivre son itinéraire scientifique et quelle solution il donne à la question de l'identité et de l'appartenance.

Chapitre deuxième : ITINERAIRE DE MUTUZA

De ce qui vient d'être dit, nous ne pouvons, en vérité, assez nous étonner qu'un Philosophe, après s'être fermement résolu à ne rien déduire que des principes connus d'eux-mêmes, et à ne rien affirmer qu'il ne le réévaluât culturellement et historiquement, après avoir si souvent reproché aux philosophes immatriculés de vouloir expliquer les choses obscures par des qualités occultes, admette une hypothèse plus occulte que toute qualité occulte dont l'itinéraire ressemble à une escalade vers les cimes embrumées d'une haute montagne.

Mutuza est né dans une période de turbulence. Il est marqué par une expérience inédite qui détermine son intelligence, refaçonne son regard sur la réalité environnementale, sur le mode de convivance entre les autochtones Lega d'une part et d'autre part ceux venus d'ailleurs, en l'occurrence les Tutsi du Rwanda. Le contexte historique de la vie de l'auteur de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi va nous en éclairer.

Section 1. Contexte historique

§1. L'homme

Mutuza est un des noms de la philosophie afro-congolaise. On peut dire que, dans plusieurs domaines, il marque de son empreinte un moment décisif. C'est lui qui est le fondateur de la méthode de la réévaluation des concepts par ses recherches sur la culture lega et les sens des concepts anthropologiques colonialistes, par ses commentaires à la fois théologiques et philosophiques des deux cultures (euro-américaine et négro-africaine), c'est lui qui a tenté la première synthèse philosophique du moment et qui, de façon méthodique, s'efforce d'expliquer la condition congolaise(104(*)). Il est l'homme enfin qui a le premier décrit les voies de la lutte intellectuelle des professeurs contre la dictature et fondé ainsi la philosophie politique de la résistance(105(*)) dans sa publication, Quand les guerres tribales battent leur plein(106(*)), qui date des années 60.

Sans vouloir postuler a priori une symétrie entre les tendances innées de Mutuza et le choix de son domaine d'investigation, « l'on ne peut d'autre part s'empêcher de constater une continuité en particulier lorsqu'il ne s'agit pas apparemment d'une option fortuite, lorsqu'il en va d'un acte profondément motivé, revêtant au surplus les caractéristiques d'une vocation authentique »(107(*)).

Son influence s'annonce grande. Les années 60 et 70 sont jalonnées de ses articles. On cite La famille traditionnelle à la croisée des chemins(108(*)), article qui montre déjà son élan intellectuel. Dans cet article il parle de la rencontre entre le christianisme qui prêche la monogamie et la tradition africaine qui autorise la polygamie. Il y a L'Afrique écartelée(109(*)) qui est un discours panégyrique et provocateur dans lequel Mutuza traite du mouvement et du devenir de l'Afrique. Il démontre le conflit tribal et linguistique entre les populations.

Dès le début des années 199O les étudiants de la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa entrent en contact avec la pensée révolutionnaire de Mutuza. Ceux de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines n'hésitent pas à traiter comme thèmes de mémoires sa pensée politique(110(*)), suite à son cours des Idées Politiques. Trois mémoires de Licence en Philosophie(111(*)). En 1991, Mutuza compte parmi les rares professeurs Commissaires d'Etat (Ministre) à tenir une conférence en la Salle de Promotion Mgr Luc Gillon de l'Université de Kinshasa. Il y traite de la décentralisation(112(*)). La question rebondit avec l'arrivée de l'AFDL à l'occasion d'opinions soutenues par les opposants radicaux qui ouvraient le chapitre sur la nationalité. Tshisekedi intervient personnellement dans le débat. Mutuza est alors suspecté. Ses idées sur le fédéralisme dérangent. Pourtant à cette période là le pays prend conscience d'une crise. L'est de la RD Congo est une banquise à problème. Tout ressortissant de l'Est est trop facilement assimilé à l'étranger à cause de l'assimilation des Hutu aux Banyarwanda, premier mythe hima-tutsi.

Que faut-il en penser ? Mutuza est le premier philosophe zaïrois qui s'est attelé de bonne heure à poser la question avec pertinence et profondeur, a tenté de pousser l'effort de son intelligence jusqu'à ses extrêmes limites dans l'investigation du fédéralisme et de la présence des étrangers sur le sol congolais(113(*)). Ces limites, il les a plusieurs fois dépassées, mais c'était peut-être nécessaire pour que l'on pût les fixer exactement avec l'idée de la décentralisation. A une époque où le glissement de la décentralisation au fédéralisme et de la confusion du fédéralisme à la balkanisation n'étaient pas encore déterminées, il a essayé de voir jusqu'où l'esprit des occidentaux pouvait aller. C'est ce qui fait l'extraordinaire grandeur de sa tentative(114(*)).

Ses oeuvres se repartissent en trois moments. Le premier est un ensemble d'articles qui traitent de la culture en général, particulièrement de la culture lega. Le deuxième renferme les ouvrages, critiques quant au rôle des occidentaux dans des conflits interafricains. Le troisième aborde les réflexions thématiques où transparait sa théorie d'appartenance.

L'authenticité de ses oeuvres ne pose aucun problème, elle n'est pas sujet à discussion. Elles sont toutes de ses mains. A part les fragments du catéchisme qui est une copie en traduction du grand catéchisme de l'Eglise latine d'avant Vatican II. Il existe aussi une somme de dissertations manuscrites, du Petit Séminaire de Lusaka, où son professeur, en outre du cycle de l'enseignement des enfants (ðñïò ôçí ô?þí åãêõêëßùí ðáéäåßá), se préoccupait, dès ses premières années, de l'exercer à l'art épistolaire.

Son oeuvre ne manquera point des contradicteurs plus au moins farouches à l'exemple de ses anciens étudiants tel que Ngoma Binda vers les années 90(115(*)). Elongo Vicky(116(*)), Ntumbwa Tshimpaka(117(*)) et Milala Barnabé(118(*)) dépendront de sa méthode. Le même Ngoma Binda combat les idées de Mutuza sur Le Civisme et Développement(119(*)) et sur la nature de la démocratie(120(*)).

A la fin du vingtième siècle, Ntumbwa Tshipamba dans son Le paradoxe de la libération par la chosification dans la conception welienne de l'Etat l'accuse d'avoir été un précurseur de l'identitarisme et du régionalisme classique et philosophique congolais(121(*)). Si au début Milala s'est montré son admirateur il décria plus tard son contra philosophiam societatem(122(*)).

L'itinéraire de Mutuza est translucide. Il est un des philosophes zaïro-congolais sur lequel il s'avère aisé d'être renseigné. Ses propres documents sur l'évolution de la société globale congolaise et de la culture lega en rapport avec le développement de son siècle en sont témoins.

Si l'on s'attèle à la personne de Mutuza on s'aperçoit que l'homme de Maniema vit en califourchon dans un siècle mouvementé dont il connait lui-même une existence mouvementée. Et cela encore en trois temps : historique, anthropologique et entropologique. Le premier temps le place dans un de-venir, dans la trame évolutive propre à l'individu et de sa société. Il en fait une étude ipso scientifique. Le deuxième temps constitue l'import esthète de l'art de son peuple dans ses dimensions et après s'être dépouillé de toute ressemblance avec la réalité environnante concrète. Le troisième est celui de l'identité que nous appelons le temps entropologique. Il y a entropie lorsque les éléments d'une entité se dé-voilent dans leur identité originaire, surtout en matière de langue. C'est de là que l'on parle d'appartenance d'un peuple à un moment donné de son histoire. Car il n'est pas impossible que telle langue se révèle être l'outil particulier bien adapté à l'acquisition d'une certaine forme de culture. Pour ce, rien ne permet d'affirmer que la langue d'un peuple détermine le type de civilisation qu'il devra se forger. Le primat de l'objet (la langue) faisant place au primat de la fonction (la culture), l'on ne découvrirait la différence que quand il y a entropie.

Conformément à ce trois temps, Mutuza accepte que ce siècle est nôtre, c'est un siècle qui nous entraîne vers des horizons inconnus et incertains. Mais comment alors le juger ? Fût-elle limitée au demi-siècle révolu, toute vue d'ensemble reste hasardeuse, d'autant plus que la décennie 1990-2000 ne parait pas, jusqu'ici, marquer un tournant significatif d'une démocratisation de l'Afrique. Toutefois, à mesure que l'esprit remonte du présent vers le passé la perspective devient plus nette, les grandes lignes se dégagent et les valeurs sûres s'affirment tandis que s'estompent les modes passagères qui viennent d'un dictat historique de la Deuxième République.

Avec la grande dictature du citoyen Mobutu, les principaux mouvements se dessinèrent assez nettement. Mais à partir des années 90 et 94 le critique doit procéder avec extrême prudence, tant apparaît fluctuante, d'une année à l'autre, l'entropologie tribale qui implique la problématique de l'appartenance et le faux fuyant mythe Hima-Tutsi tel qu'argumenté par le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) et la science coloniale(123(*)). Mutuza explicite cette question à partir de la question sur la nationalité(124(*)).

Ainsi la période antérieure à l'indépendance de la RD Congo (1960) peut être analysée avec quelque assurance.  Et les voisins Ruandais font de la sorte la sagesse du départ héritée des cultures des Bantu avec le Kinyarwanda comme outil de cette culture fragmentée et commuée en connaissance méfiante, commuée en savoir commutatif, commuée avec la vérité selon le pragmatisme américain: l'importance des colons qui la dominèrent ou se formèrent alors ne peut plus être contestée. C'est dans ce contexte que Mutuza va se présenter face aux mots ou aux définitions et précisera sa place parmi les autres philosophes. C'est là que se forment la génétique de sa pensée consciente et sa science philosophique.

§2. Conscience et science philosophique

On parle de conscience et science philosophique quand il s'agit du pouvoir d'être. Et qui peut mieux connaître Mutuza que Mutuza lui-même ? Il y a certes, des choses que l'homme connaît de lui-même, il y en a d'autres qu'il ignore. Ce qu'il ignore peut être connu des autres. C'est ce qui est ignoré qui peut faire l'objet de la recherche. Qui est, au fond, Mutuza ? Cet astre brillant dans le firmament des philosophes naquit à Yuma Kalima le 05 mars 1938. Fils de Mugumo, un modeste Mwami de Yananio, et de Kyotala, gentille dame qu'il n'a connue que très peu. Il est jumeau dont le frère est mort quelques années après, d'où le nom de Kabe, c'est-à-dire moitié. Dans le sein maternel, il est moitié. On le reconnait dans la famille comme moitié d'un frère fort physiquement. C'est pourquoi on le nomme Mutuza Kabe. Il est encore moitié à cause de la mort prématurée de sa mère le laissant amputé du fait de la séparation et de la cession à cette partie de soi. C'est une dure montée. Il est mis au monde avec son frère, il lui est semblable, tout en étant symétrique et mitoyen. Il évolue dans une corrélation entre son égo-logicité Kabe et l'acceptation d'être moitié. Ce qui fait que, chez les Lega les résultats mathématiques des deux nombres premiers dont la différence vaut 2 appelés nombres premiers jumeaux, s'appliquent sans beaucoup de peine, comme 5 et 7, 17 et 19, 101 et 103. Les Lega sont, comme d'ailleurs tous les Bantu, des géomètres, c'est-à-dire professionnels qui réalisent des mesures et des levés des terrains. Leur théorie géométrique s'intéresserait alors aux relations entre les points, les droites, les plans, les courbes, les surfaces et les volumes... Ils seraient, pour ainsi dire des savants mathématiciens avant la lettre. Les mathématiciens ne sont pas encore parvenus à découvrir si l'ensemble des nombres premiers jumeaux connus aussi des Lega est infini, c'est ainsi que les chants donnant l'identité des héros Balega sont des véritables poèmes géométriques.

La grand-mère, après la mort de la mère, prit soin de Mutuza chétif et maladif, l'instruisit en lui répétant ces mots prophétiques que Mutuza n'a jamais oubliés(125(*)):

kilega français

« Kamugulampungu je suis un petit serpent;

Nakega mubili nsa kega lukindo je manque de poids corporel, mais je suis très estimé

Natikizye melele kwi tumba j'ai cueilli une igname épineuse de là haut ;

Nu nkutitya kisamba ku nzogu zikwenda j'ai arraché la queue d'un éléphant en marche;

Kami ka mitongomitongo d'apparence d'un petit mwami chétif ;

Kasikila ka mintalabanda qui joue au flou comme un jeune garçon qui agit comme un vieux ;

Mpene za kilemba moi un bouc

Nenda idungu nsisile mitanda»(126(*)) si loin que j'aille, je ne termine pas mes voyages sans retour.

Orphelin de mère, séparé de la grand-mère, le voici auprès de sa grande soeur, épouse d'un instituteur de l'école primaire de Watangabo. Comme jumeau, il était soumis à un traitement particulier. Eduqué dans la cour du Mwami, il était préparé à en assurer un jour la charge(127(*)). Mutuza progresse dans les méandres du pouvoir traditionnel et s'en y familiarise avec les arcanes à travers les multiples actes initiatiques.

v Un jour sa vie bascula.

Un de ses amis qui savait lire et écrire l'a injurié par écrits et l'a envoyé auprès d'un de ses ainés avec le bout de papier sur lequel était transcrite l'injure. Kabe s'avance, tend la main et donne le bout de papier. L'ainé prend la feuille, la lit et éclate de rires. Il expliqua à Kabe que c'était une injure. Kabe s'étonna qu'une petite feuille peinte des lignes pût être porteuse d'une injure. Il décida alors d'aller à l'école apprendre lui aussi à communiquer de cette manière. Timide mais colérique, Kabe réussit à être un écolier assidu qui n'a jamais fait l'école buissonnière(128(*)).

Il reçoit une éducation chrétienne et se donne une formation chrétienne et philosophique ; mais portant à l'extrême le mouvement d'idées et d'exigences nouvelles qui animait à la fois les prêtres autochtones et les intellectuels d'après l'indépendance du Congo-Kinshasa, il finit par défroquer et se séparer ouvertement de tous les dogmatismes (il a 28 ans) ; et les évêques occidentalistes, tout au long de ce petit siècle, fixent sur lui la haine qu'ils portent en général à des élèves moins dociles. Comment s'en est-il pris ?

Il fit de bonnes études au Petit-Séminaire de Lusaka où la langue de l'enseignement était le seul que le swahili(129(*)). Il y avait interdiction formelle de parler français, au motif que le petit séminariste ne devienne évolué. En quatrième latine la langue de Molière est introduite. Ses maîtres le familiarisèrent non seulement avec les idées de l'égalité et de l'unicité de la race humaine, mais aussi et surtout avec la philosophie des années d'avant-indépendance. Ils l'ont surtout initié à l'art épistolaire. C'est ainsi qu'il avait écrit plus de trente dissertations dont nous ne conservons qu'une dizaine et quelques fragments difficiles à reconstruire. Cela montre déjà la formation de son esprit scientifique.

A vingt ans, il entre au Grand Séminaire(130(*)) de Baudouinville (Moba), dirigé par les Pères Blancs. Mutuza se heurta à ses supérieurs parce qu'il apprenait l'anglais(131(*)). On enfreignit ainsi à son penser liberté. Il dit dans son autobiographie que ses supérieurs furent des salauds sartriens. Cinq ans après, son évêque l'envoie poursuivre ses études théologiques à Lovanium (actuel UNIKIN). Ici, il a pour compagnons Tshiamalenga, Ntedika, Rwamani, Ndembe, etc.; il s'y adonne avec zèle excessif (Üãáí ðñïèõìüôáôá).

Il ne se contentait pas de ce qu'on lui offrait ; mais il cherchait à aller plus loin, il s'intéressait singulièrement aux culturologues et particulièrement à la culture africaine, parce que compagnon de Mgr Tshibangu.

Le père Romellar qui «  interdisait Mutuza de publier ses articles en français au motif qu'un missionnaire devrait écrire en langue locale pour se faire comprendre et non pas en français comme un politicien »(132(*)) lui créait une tension forte. Et la question de la langue devenait un nouveau problème chez Mutuza. Il se pose alors la question de savoir comment pourrait-on se faire comprendre si on ne parle pas la même langue? Avec les conglossologues il y a moyen que l'interlocution soit active qu'avec les alloglossologues qui ne comprennent ni ne partagent les mêmes schèmes.

Mutuza fustige cette sorte d'apartheid. Il se familiarise peu à peu avec le marxisme. Ses réclamations sont considérées comme une révolution. On l'assimile au communiste. Ses supérieurs s'inquiètent du fait que l'émeute qui eut lieu à Lovanium fit de Mutuza un chef de fil(133(*)). Malgré ces accusations, il résiste et persévère dans son combat pour la justice.

En septembre 1963, il est ordonné prêtre catholique romain à Kalima. Avec comme devise « Dumodo Christus anoncientur » (pourvu que le Christ soit annoncé.  Il accepte plutard un poste de vicaire dominical à la Paroisse Saint Joseph des Epinettes à Paris où il composa et prêcha ses homélies de la Période d'Avant et de la Nativité, du Dimanche de carême et les 5ème et 7ème Dimanches de Pâques dont la publication, plus tard, portera le titre de Sermons d'un prêtre défroqué134(*). En 1964, il poursuit ses études de théologie à l'Institut Catholique de Paris ; il obtient sa Licence en 1966. La même année il continue avec les études de philosophie avec une Licence. L'ardeur de la recherche brule son esprit, ce qui l'incita à prendre l'inscription en 1970 pour le Diplôme du Maître ès Arts. Il monte, en 1971, à la Sorbonne pour un Diplôme en Histoire. Il a donné aussi cours à l'Institut Pédagogique National (IPN) avant la soutenance de sa thèse en Philosophie.

Les relations avec ses supérieurs commencèrent à se re-dégrader. Il est conscient de la responsabilité qui l'attend comme enseignant et formateur de la jeunesse. Pour garder sa conscience pure et vivre loin de la haine, il décide de quitter la robe blanche et défroque. Acte héroïque. Il s'appelle lui-même prêtre défroqué. Il épouse Marguerite Tambwe, une infirmière en 1969, dont il aura cinq enfants. En octobre 1972, il est proclamé Docteur en philosophie à l'Institut Catholique de Paris. A Anvers, en 1973, il devient Master en promotion du développement : gestion financière et publique, du Centre Universitaire de l'Etat.

A Paris, Mutuza avait lu les oeuvres de Verneau sur les scolastiques. Parce que se destinant à la rupture épistémologique, il lit Karl Marx et Hegel, et se fit laisser séduire par les thèses du Révérend Père D. Dubarle. C'est alors qu'il s'éprend, comme ses camarades aux idées de l'Indépendance de la RD Congo. Peu enclin à l'ouverture, ses seuls amis furent des livres et les encadreurs dans des travaux académiques. Pour raison de jalousie, il fut privé de bourse d'études et a dû regagner le pays avec sa femme et ses enfants.

v Début du combat

Une fois au pays, il commence sa carrière de professeur. Il publie l'Apport des philosophes zaïrois à la philosophie africaine, ouvrage qui lui valut le titre de professeur ordinaire. Il dispense les cours de philosophie, de psychologie, de philosophie politique, philosophie sociale, philosophie morale, de méthodologie de la recherche scientifique, d'éthique... Ses notes de cours composent son itinéraire philosophique. Son prestige grandit. Il écrit un ouvrage systématique contre le centralisme du régime du Marechal, Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre.

L'entrée des troupes de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) fut un tournant décisif pour la réorganisation du pouvoir politique. Mutuza voit de mauvais oeil la présence des étrangers. Il se souvint qu'en 1994, il y eut flux des réfugiés rwandais qui fuyaient le « génocide ».

Mutuza a un rayonnement comme professeur. Ses cours de philosophie sur la tradition, l'histoire, la société expriment des facettes de sa pensée. Le travail d'enseignant l'aide à construire son système. Il publie De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine. Apport des philosophes zaïro-Congolais (2008).

La notion de culture est l'épicentre de la pensée de sa pensée. Mais avant d'aborder de front, une explication préliminaire est de mise. De nombreux chercheurs, après nous, seraient tentés de ne voir en lui que le disciple peu original d'esprits plus grands, plus créatifs. L'influence de Hegel et le marxisme est indéniable dans sa philosophie sociale et politique. Son Histoire semble puiser à la fois dans la tradition orale de Balega et chez Papadopoulos. Mutuza ne serait qu'un confluent fortuit de divers courants qui l'ont précédé ! Mais ce même reproche ne vaudrait-il pas pour tous les grands esprits ? Ne se situent-ils pas à la croisée de chemins ? La Summa theologica de Thomas d'Aquin n'a-t-elle pas jailli du choc entre Aristote et Albert le Grand ? Musey n'est-il pas le point convergence créatrice de Tarski et de Bohenski ? 

Jamais le regard tourné vers les sources ne saurait expliquer le génie d'un auteur. Les parties ne peuvent éclairer ce qui est simple et unique, ce que la pensée créatrice élabore à partir de matériaux préalables.

Convaincu de briser les barrières érigées par la colonisation, quelque part, dans la pensée de Mutuza gît un point très fin, très délicat, qui éclaire toute l'oeuvre, qui communique vie et diaprure. Il s'en suit que le développement de la philosophie zaïro-congolaise a eu pour conséquence, à partir de la publication du Père Tempels (1945), d'accentuer l'abîme entre l'Occident et l'Afrique. Crahay avait fait du Noir un être essentiellement hybride entre le Ëüãïò et les ëïãéêïé occidentaux. A cet effet, il avait fait des emprunts à la mythologie traditionnelle, à la biologie darwinienne. Il avait accentué la pente de presque tous les philosophes précédents, mais en forçant, en durcissant leurs affirmations. Sa condamnation par Smet comportait l'écroulement d'un certain monde intellectuel.

Les congolais, à l'instar de Kinyongo, Tshiamalenga, Nkombe Oleko, Mgr Tshibangu, Elungu Pene Elungu, Mudimbe, Bwakasa, Musey, etc. ont eu la mission de construire une philosophie nouvelle, selon une perspective rénovée, tout en préservant les éléments valables de la Tradition. Cette construction s'élabore, dans un affrontement permanent. Exemple, Musey dessine d'une main sûre le plan de l'édifice dans ses grandes lignes ; Mudimbe avec son art oratoire tranchant, aiguise les concepts ; Mutuza, dans ses deux derniers ouvrages(135(*)), parachève l'oeuvre en divers sens ; il creuse les fondations, élève la voûte. A leur suite, Okolo, Ngangura, Lokadi, Mbambi, Nzege, etc. font la peinture de l'édifice et plantent un potager attrayant et concentrique pour la protection des fleurs du jardin intellectuel zaïrois afin d'attirer les abeilles étrangères qui viendraient butiner la nouvelle rationalité décomplexée de tout aliénation. N'est-ce pas l'affirmation du privilège d'une culture ?

§3. Privilège de la culture et son identité

Si on prend le privilège de la culture et l'élément culturel comme base de l'identité, et l'identité culturelle comme base de réussite, alors on s'aperçoit facilement qu'il s'agit du développement d'un peuple. C'est ainsi que nous sommes toujours tentés de faire de la différence l'origine et la référence des conflits. Car la différence est présence immédiate au conflit et au mépris. Elle nous donne le monde que les mots travestissent selon leurs propres lois. Pourtant, dans la mesure où la culture peut se dépouiller de la correspondance et de la corrélation, c'est-à-dire de l'office du langage, elle ne peut rien recueillir, sinon l'éphémère, le mouvant, le changeant, un monde inconsistant qui passe, tramé d'apparences fugitives. Or la science exige l'identité, le constant, le mesuré, le connu. Et si elle est savoir vrai, si en elle réside la vérité, c'est qu'elle récuse, comme flux d'apparences, la culture immédiate. Tel est le présupposé de la philosophie de Mutuza : ni les productions sociales ni les connaissances qu'on en a ne sont des critères ou des références de ce qui est. Pourquoi donc intervertir la théorie des valeurs aussi longtemps qu'au commencement (de la culture) est le langage. Lui seul est accueil de l'être, lui seul décide du vrai, à mesure de sa domination sur les préjugés, sur les préférences, sur l'individualité, sur l'historicité. On sort alors du domaine de ce qui doit être pour s'enclore dans le champ de ce qui est, sans jamais être quelque chose.

Cette thèse, l'auteur s'est employé à la fonder et à en tirer les conséquences. Il devait la défendre sur plusieurs fronts : contre le capitalisme, le pragmatisme et le néocolonialisme empirique. Il fait le procès de la certitude du concept de l'Etat(136(*)). Contre le néocolonial, il déjoue l'attrait des néo-darwiniens (dont le schéma est de détruire les Hutu et de protéger les Tutsi, race minoritaire), il attribue le droit naturel de l'appartenance au fonctionnalisme, à l'articulation, à la révolution et à la détermination. Il combat le sentiment, le subjectivisme, les facilités de l'avoir, de la croyance de l'arbitraire et de l'invérifiable. Il se débat pour éclairer le principe du semblable et du dissemblable, du singulier et du général, du particulier et de l'universel. Ici intervient la problématique des concepts. Non qu'il faille se rendre au prestige des mots, ou se satisfaire d'un formalisme, d'un nominalisme vide. Il s'agit de restituer au langage son pouvoir de réflexion. Pour ce faire il importe d'enraciner le pouvoir dans une origine commune à l'être et au connaître.

v Les concepts anthropologiques

Langue, matérialisme, capitalisme, fonctionnalisme, société, pouvoir, identité, intégration, articulation, révolution, détermination, sentiment, subjectivité, similitude, dissemblable, singulier, général, universel, particulier, langage... constituent des termes de base de l'étude de la culture chez Mutuza.

Si Kant définit la culture comme un processus : « Produire chez un être raisonnable l'aptitude générale aux fins qui lui plaisent, par conséquent dans sa liberté », il était obligé d'ajouter qu' « ainsi seule la raison peut être la fin dernière que l'on a quelque raison d'attribuer à la nature par rapport à l'espèce humaine (137(*))».

Cette conception en quelque sorte finaliste de la culture par rapport à la nature se prolonge chez Hegel, qui emploie le mot Bildung (« formation », « éducation ») pour désigner le processus formateur et transformateur de l'esprit. Si Hegel attribue toujours un caractère universel à la culture, il envisage cependant qu'elle conditionne une vision du monde selon les groupes considérés. Cette nuance entre une conception universaliste et une approche particulariste se retrouve dans les premières définitions formulées par les anthropologues de la fin du XIXe siècle et du début du XXe.

La première définition anthropologique de la culture est élaborée par le Britannique Edward Burnett Tylor dans son ouvrage Primitive Culture (la Civilisation primitive, 1871) : « La culture, considérée dans son sens ethnographique le plus large, est ce tout complexe qui englobe les connaissances, les croyances, l'art, la morale, la loi, la tradition et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société ». La culture est ici envisagée comme regroupant tous les traits humains qui peuvent être transmis socialement et mentalement, plutôt que biologiquement. La définition de Tylor continue donc d'envisager la culture en l'opposant à la nature.

Profondément ancré dans cette perspective universaliste et envisageant la « culture » au singulier comme synonyme de la « civilisation », il considère que les différences dans les champs de la connaissance, des coutumes et des croyances témoignent des différences de degré d'avancement entre les sociétés. Considérées sur une échelle de progrès définie en fonction de la complexité relative de la technologie et des institutions sociales, ces différences sont en effet imputables au niveau de développement mental atteint biologiquement par les populations considérées. L'anthropologie se doit donc de classer les différentes cultures observées selon un continuum allant du type le plus simple au plus élaboré.

Franz Boas fournit une première critique de cette définition pour imposer une approche résolument particulariste de la culture. L'anthropologue américain d'origine allemande affirme que les formes et les modes de vie des hommes n'évoluent pas selon un modèle linéaire et en fonction du niveau de leur développement mental, mais qu'elles sont les produits de processus historiques locaux. Ces processus historiques sont déterminés non seulement par les conditions environnementales dans laquelle vit la société considérée, mais également par les contacts qu'elle entretient avec les sociétés avoisinantes. Par conséquent, plutôt que de comparer des institutions observées dans différentes sociétés, les anthropologues doivent, selon Franz Boas, analyser en priorité les éléments d'une culture dans le contexte de la société étudiée.

Margaret Mead, Ruth Benedict et Ralph Linton qui représentent cette perspective particulariste et relativiste connue également sous le nom de « Culture et personnalité » établissent le premier lien entre l'anthropologie et la psychanalyse. Leur Ecole envisage la culture dans une perspective holiste, où l'individu forme un tout indivisible qui ne peut être expliqué par ses différentes composantes appréhendées séparément. Dans ce cadre, l'individu est entièrement façonné par la culture du groupe dont il est issu -- par le biais de l'éducation --, jusque dans sa personnalité, ses comportements, sa vision du monde. Le relativisme culturel apporte ainsi une réponse directe aux thèses racistes de l'époque, qui reposent largement sur les postulats évolutionnistes.

Alfred Kroeber et Clyde Kluckohn tentent-ils de recenser l'ensemble des définitions de la culture dans l'espoir de proposer une approche plus comparative. L'anthropologie culturelle américaine demeure toutefois très imprégnée de la conception boasienne de la pluralité des cultures, l'analyse de la culture d'une société ne s'effectuant qu'en référence à elle-même.

Le débat autour du concept de culture s'articule par la suite autour de la question de la distinction entre culture et société. Les structuralistes proposent une vision moins inclusive de la culture et moins déterministe dans la mesure où ils considèrent que seule l'analyse de la structure sociale peut rendre compte de façon pertinente de la manière dont les individus et les groupes produisent et sont les produits de leur contexte culturel. La culture, considérée alors comme un ensemble de normes de comportement, de symboles et d'idées, apparaît secondaire par rapport au système social(138(*)).

Les anthropologues de tendance marxiste, ainsi que les militants féministes, soulignent que le concept de culture masque en réalité les clivages entre les classes, les genres et les différentes idéologies qui s'affrontent dans une société. L'anthropologue Lila Abu-Lughod s'insurgent contre le caractère réifiant de la culture qui, en homogénéisant et en donnant une vision statique des groupes humains, leur confère une altérité radicale et parfois déshumanisante.

Dans ce cadre, certains anthropologues proposent comme priorité l'analyse des confrontations et des articulations entre les différentes valeurs et pratiques qui sont propres aux différents individus et groupes au sein d'une même société. De cette manière, il s'agit de comprendre comment ces valeurs contradictoires peuvent parfois s'articuler pour donner naissance à d'autres valeurs et d'autres pratiques. Dans cette perspective la culture est davantage perçue comme un processus -- cette idée est notamment développée par l'anthropologue américain Sally Falk Moore -- ou comme un flux (R. Fox)(139(*)). Ulf Hannertz, insistent sur la nécessité de se concentrer sur les phénomènes de métissage des cultures (« créolisation »). Grâce aux flux plus nombreux et plus intenses des personnes, des biens et des valeurs, les individus d'une société donnée ont accès à plusieurs autres espaces culturels. Empruntant des éléments au sein de ces autres cultures et les adoptant au sein de la leur, ils participent à la créolisation de cette dernière(140(*)).

v Réévaluation des concepts anthropologiques

Le bilan de ces analyses de la culture et de son identité conduit maintenant à la découverte de son fondement. Si nous ne sommes pas inventeurs de la culture, si, d'autre part, il n'est pas de culture sans peuple, c'est qu'elle a sa racine dans une civilisation et dans une parole, un ëüãïò qui est le sujet. C'est ainsi que l'universalité d'une culture ne peut s'imposer à chacun à mesure qu'elle révoque la subjectivité. C'est grâce à son unicité, à l'unicité de la race humaine, à la singularité des origines que la culture est possible.

Mutuza se situe en califourchon des travaux des anthropologues et philosophes de son époque. Il connaît Bastian Adolf qui tenta de démontrer le caractère universel de certaines croyances populaires. Afin de comprendre que c'est par tradition que la pensée se forme, Bastian Adolf fit ses études aux universités de Berlin, Heidelberg et Prague. Dès 1850, il voyagea à travers l'Asie, l'Afrique, l'Australie et l'Amérique du Nord et du Sud, et, en 1860, il publia Der Mensch in der Geschichte (« L'homme dans l'histoire »), une étude anthropologique qui en fit une figure de proue du diffusionnisme. Il accorde un rôle primordial à la psychologie dans l'interprétation de l'histoire des cultures et apportent une contribution à l'étude comparative de différentes cultures.

Mutuza connaît aussi l'école américaine, pour de raison de l'exaltation des certaines puissances soutenant la thèse de la diffusion des origines communes des caractères culturels et s'opposant à un développement identique des sociétés. Mais ces courants furent bloqués par leur démarche qui consistait à illustrer leur thèse à partir de données statistiques. Le diffusionnisme comme l'évolutionnisme défendaient la supériorité de la culture occidentale.

Mutuza tente de retracer l'évolution sociale et culturelle de Lega(141(*)), sans pour autant se cantonner à observer les changements survenus dans certaines sociétés africaines qui subissent l'influence des sociétés occidentales. Le but de Mutuza est alors de voir dans quelle mesure et vers quel mode d'organisation ces groupes ethniques évoluent. La rapide transformation des sociétés renouvelle sans cesse l'objet de ses recherches et lui permet de réfuter les théories diffusionnistes.

C'est en métaphysicien qu'il résout le problème de la culture. Par manque d'informations suffisantes en des sciences biologiques, Mutuza tombe facilement dans le polyphylétisme. La problématique de l'universel n'est pas une forme abstraite. Ce qui est identique en soi et pour tous, c'est l'universel concret du ëüãïò tel qu'exposé dans De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine(142(*)). Si le sens de l'être naturel devient une idée et se confond avec une idée advenue dans la nature, c'est qu'à la source s'opère une réflexion de l'Etre et sa conversion en idée en tant qu'acte éternel de naissance du Verbe(143(*)). Mutuza explique cette idée dans Sermons d'un prêtre défroqué. Il pense au Verbe de Dieu fait chair et qui a habité parmi nous. Il pense que la base est une couche de la population qui est privée, mais ayant déjà en puissance, de l'avoir, du savoir et du pouvoir. Comme on dirait le déjà mais pas encore, ceux qui sont en voie de devenir.

Cette analyse de l'idée, Mutuza la développe dans ses homélies aux paroissiens de Saint Joseph des Epinettes. Il dit que « Tous les hommes, quels qu'ils soient, à quelque race, à quelque classe sociale qu'ils appartiennent portent en eux l'image de Dieu »(144(*)). On voit que la question de la culture se transforme en une question de logique. Mutuza développe la question ontologico-politique, exposant le statut de la « culture primitive » dans ses trois moments : Histoire-Ingénierie-Prédiction. Ainsi est fondé le droit d'appartenance dans l'être même. Ce qui équivaut au pouvoir de vérité qui défie toute domination. C'est sur ces trois moments qu'il tisse la voûte de son édifice épistémologique.

L'ontologie mutuziste est inséparable de la théologie trinitaire parce qu'elle prétend résoudre le problème philosophique de la vérité et de l'application de la politique dans le concret.

Section 2. De la politique au politique

§1. L'homme d'Etat

Si la politique constitue la coupole de l'édifice épistémologique de Mutuza, la culture en est la base. Mutuza veut être sur le terrain pour mener son action. En 1969 il devient Conseiller au Bureau Politique du M.P.R. Les élections des années 77, sous le régime du Marechal Mobutu, offrent l'occasion de discréditer les Commissaires du peuple. Parce qu'il prend la défense des Kivutiens contre les Tutsi, Mutuza s'attira la reconnaissance du Parti Etat, MPR, tout en soulevant l'opinion en faveur des sujets de Pangi, dans la province de Kivu, au Maniema, en 1987, dix ans après.

Mutuza est fier d'être entré en politique par la grande porte des élections. A ce titre la base l'a mandaté comme représentant au Bureau Politique, et ensuite au Conseil Législatif (Assemblée Nationale)(145(*)). Mutuza a découvert le sens du bien commun et le sens de responsabilité envers la communauté.

Les sujets de Pangi furent souvent opprimés. Mutuza soutient de parole et d'autorité la loi sur la décentralisation. Il met en garde les commissaires du peuple, qui voulurent, pour cesser avec les hostilités, octroyer la nationalité congolaise, sans condition, à tous les Hima-Tutsi. C'est là son premier discours académique(146(*)) qui démontre de son ingénierie(147(*)) sociale et de sa théorie de prédiction(148(*)) de l'action sociale.

Comme Conseiller et Chef de la section Idéologie à l'Institut Makanda Kabobi, Mutuza, dans son Mon expérience d'homme politique congolais, dit que « mon passage (...) m'a donné l'impression que je m'étais retiré de la vie sacerdotale pour entrer dans une église (...), car, le travail qui était demandé aux conseillers de l'Institut n'était ni plus ni moins que celui qui est demandé au théologien, à savoir : expliquer, expliciter et justifier les dogmes sans jamais les contester ni les mettre en doute »(149(*)).

Mutuza insiste sur l'aspect de la majorité. C'est l'idée qu'il se fait du choix électoral. Il donne deux conditions pour accepter d'être candidat : primo il ne veut pas être en compétition avec plusieurs candidats en vue de constituer une assiette électorale crédible et d'envisager avec confiance des alliances et des adhésions avec d'autres groupes. Secundo, il pense que son aire géographique doit s'organiser pour entreprendre sa campagne. Comme professeur d'Université et comme technicien dans le Parti, il n'aurait pas les moyens pour assurer sa campagne électorale face à ses adversaires politiques qui disposent des moyens de leurs « campagne à l'américaine : avions, cortèges des voitures accompagnant les leaders, distribution de billets de banque, frais à la foule et j'en passe »(150(*)).

Mutuza pense à la nécessité du renouveau de la mentalité dans la Région. Il croit que le niveau intellectuel élevé est le critère pour que l'on aborde les problèmes régionaux et pour que l'on fît des propositions concrètes au Bureau Politique. L'ancienneté est un critère relatif et l'expérience le critère absolu.

Mutuza se nourrit des idées de Kipling (+ 1936) dans Rawrads and Fairie. Ce qui lui permit d'avoir des idées révolutionnaires. Son oeuvre est fortement politisée. Il y développe trois thèmes principaux : le patriotisme, le devoir des congolais vis-à-vis de leur pays et l'autorité de l'Etat. Son nationalisme révolutionnaire a nui à ses ambitions politiques notamment face à l'accueil dans les milieux intellectuels pro occidentaux. Son anti-néocolonialisme idéaliste est bien loin de la réalité de la néo-colonisation. Il en avait tout à fait conscience. Les campagnes électorales furent une jungle. Candidats et bases s'affrontent et se confrontent. Mutuza se souvient du frère Mowgli de Kipling. Il pense à l'adoption. Pour se consoler, au lieu de lire les aventures de Mowgli, il méditait un des autres beaux poèmes de Kipling : « SI »(151(*)).

S'il s'est engagé dans ces élections, ce n'est pas qu'il ignorait la philosophie du système en place. Le tout s'est fait dans le dessein de contraindre « le système de se définir dans le fait, plutôt que de lui prêter des intentions »(152(*)).

On voit là combien « la Loi de la Jungle établit très clairement que chaque loup peut, lorsqu'il se marie, se retirer du Clan auquel il appartient ; mais, aussitôt ses petits assez âgés pour se tenir sur leurs pattes, il doit les amener au Conseil du Clan, qui se réunit généralement une fois par mois à la pleine lune, afin que les autres loups puissent reconnaître leur identité. Après cet examen, les petits sont libres de courir où il leur plaît, et, jusqu'à ce qu'ils aient tué leur premier daim, il n'est pas d'excuse valable pour le loup adulte et du même Clan qui tuerait l'un d'eux. Comme châtiment, c'est la mort pour le meurtrier où qu'on le trouve, et, si vous réfléchissez une minute, vous verrez qu'il en doit être ainsi »(153(*)).

C'est là que se manifeste le Mal zaïrois. Il s'indigne, il se sent frustré. Il dénonce pour ne pas être complice. « Nous ne pouvions longtemps accepter cette injustice sans la faire connaître, la partager en quelque sorte avec les autres, écrivit-il »(154(*)).

En tant qu'homme politique, l'auteur de l'Ethique et Développement : cas du Zaïre, réfléchit sur les valeurs à promouvoir dans un Etat. Il pense à la régulation de la justice. Il fait une étude métaphysique des rapports entre justice et punition, amour et pouvoir155(*). Il dénonce l'hédonisme et l'eugénisme fonctionnel de la classe dirigeante, et ne laisse pas de côté la vénalité des agents. Tout est corrompu. Il faut que la société se défende. Il faut une éthique de responsabilité.

La publication du livre connaitra oppositions et attaques. On trouve alors des astuces de toute part pour interdire la publication de l'ouvrage. Mutuza, qui s'était jusqu'alors interdit de traiter des questions des mots, se voit dans l'obligation de clarifier certains concepts qu'il a utilisés dans son livre.

L'histoire se complique quand Kangafu de l'Institut Makanda Kabobi, censure le livre de Mutuza en attribuant à l'expression « développement» un marxisme marxisant «la base et la superstructure» en l'accusant de manque de coordination. Mutuza est accusé de démobilisateur. Son livre taxé d'avoir des propos irrespectueux, outrageants et excessifs. Mutuza réagit violemment à cause des associations provoquées par l'idée mal zaïrois (imposer en établissant fortement, prouver ou vérifier...), et signala à Kangafu que la distinction entre la base et la superstructure ne venait pas de son livre mais d'une mauvaise compréhension de ces expressions marxistes de base. Il attaque Kangafu mot à mot. Il lui montre qu'il est d'abord professeur d'université avant d'être politicien, qu'il est philosophe avant d'être moraliste et qu'il est historien avant de pouvoir rapporter une opinion.

Kangafu enviait être ce qu'il n'était pas sans savoir ce qu'il était. Il ne put que décliner la proposition. Mutuza, très consistant et insistant revient sur le terrain logique de la scolastique. Kangafu y était aussi initié. C'est en considérant que les questions d'appellation n'ont pas d'importance, que Mutuza accepta la proposition d'amputer le chapitre au livre même si cette proposition ne lui plaisait guère. Il se retrouva vite face à la confusion qu'il avait cherché d'éviter : en quelques années l'expression «développement », utilisée par Mutuza lui-même dans plusieurs articles, était devenue synonyme de mal zaïrois. Personne ne s'était jamais soucié des remarques et mises en gardes répétées de l'auteur de Ethique et développement contre cette dérive sémantique ; si bien qu'il décida alors d'utiliser la base et la superstructure pour désigner sa thèse et afin d'éviter qu'on l'associât plus longtemps, dans un parfait contresens, à une évaluation soumise aux règles du calcul du mal Zaïrois.

Il est à noter que les deux hommes politiques se placent sur la philosophie scolastique. Kangafu prend les arguments du moine Gaunilon contre saint Anselme de Cantorbéry (156(*)) et les lance à Mutuza. Ce dernier l'attaque de front et agence les idées qu'il défend dans son ouvrage. Kangafu, de son côté accuse Mutuza de contradiction, mais sans étayer sa thèse avec des preuves. Mutuza se voit triomphant et cherche par quelle voie instruire celui qu'il considère comme enfant intellectuel.

Mutuza écrit : «comment un auteur peut, à propos d'un même chapitre « être concis» d'une part, et « n'effleurer que la chose » d'autre part ». Cette affirmation est une des celles que l'on donne en exemple en logique formelle pour illustrer l'état d'un raisonnement vicieux »(157(*)) (lequel n'est jamais très précis), ou « votre affirmation confond ainsi toute les notions »(158(*)) (par la manière dont les mots sont employés dans le contexte d'une théorie). Dans ce cas ces mots sont biens plus ambigus. L'avis de l'auteur de Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60 est sans appel : « des concepts sans ambiguïté, ou ayant des frontières tranchées, n'existent pas ». Mutuza restera alors dans ses fonctions d'enseignant.

Dix ans après, c'est-à-dire en 1987, il eut eu en septembre des élections législatives. Mutuza regarde les gens, voit les politiciens et comprend que ses adversaires politiques n'avaient aucune prise. Parce qu'  « en tant que professeur, il(s) ne pouvai(en)t, par leurs manoeuvres, me faire démettre de mes fonctions »(159(*)). Il se souvint alors de l'aventure de 1977.

Il décide de se présenter comme candidat Commissaire du Peuple avec la motivation de contribuer au bonheur du Peuple, de défendre les faibles. En tant que prêtre, il s'en souvient, il ne supporte voir les malheurs des autres. Et il accepte de revenir aux affaires.

Mutuza va connaître les déboires. Son concurrent avait tellement peur de lui au point qu'il « s'était même avisé de (l)'éliminer physiquement, pendant que (il) menai(t) (sa) campagne à l'intérieur de la Zone »(160(*)). Les affiches de Mutuza ont souffert d'outrages.

A la proclamation des élections Mutuza échoue, il n'est que suppléant. Son adversaire élu au nombre de voix « plus élevées que celui des électeurs »(161(*)), Mutuza devient député élu.

Dans les années 90, pesait sur Kinshasa une double menace de coup d'Etat et un putsch, de la subversion appuyée par les Tutsi du Rwanda. Tout se discutait activement dans les villes et les villages, dans les cours, les marchés et aux croisements des chemins et rues. Et cela dans un nouveau langage. Tous discutent activement. Si vous demandez de la monnaie à quelqu'un, il répond ou développe la philosophie sur la démocratie et sur la dictature. Si vous voulez savoir le prix d'un pain, on vous répondra que Tshisekedi sera le Premier Ministre. Si vous demandez « mon bain est-il prêt ? », votre serviteur vous répondra qu'en démocratie on est libre de faire ce que l'on veut(162(*)). Les passions sont si violentes que les séances manquaient parfois de dignité et de retenue. Ces curieuses doléances montrent l'atmosphère dans laquelle le changement social s'opère. Mutuza s'indigne du comportement de l'homme politique. Dans une interview au journal Numerica, il confesse comme au IIème Concile oecuménique: « je salue à distance accords et consensus ; car je sais combien ils sont fastidieux,  plus jamais je ne siègerai parmi ces grues et ces oies »(163(*)).

On a souvent critiqué Mutuza, le politique. On ne comprend pas l'homme politique sans prendre soin de ses angoisses de la vie et ses répulsions face au pouvoir militariste et démagogique. Sans considérer non plus les difficultés que pouvait rencontrer dans la République du Zaïre de son époque un homme nouveau, ne disposant ni de clientèle ni d'argent. Mutuza est un philosophe répugnant au pouvoir militaire. Il est un homme de goût et d'étude, détestant la démagogie. Il connaît et regrette l'immodération de ses compatriotes.

Il apparaît au contraire que, loin d'être médiocre et inférieur à l'orateur ou au philosophe ; homme politique, il entend demeurer lucide et habile, ouvert à des situations et solutions neuves et libératrices.

L'auteur de l'Apport de la Psychologie dans la formation d'un juriste n'a pas d'autres moyens d'action et d'influence que le refuge dans ses publications. Chez Mutuza action et culture sont inséparables. Haïssant la violence, il cherche l'efficacité. Il la trouve dans la parole agissante, dans les écrits d'histoire et de philosophie. L'homme d'Etat est un éducateur. Il doit lui-même au préalable recevoir une formation. Il lui faut forger l'homme, tout l'homme pour obtenir un personnage politique(164(*)). Ainsi naît la notion d'« intérêt général » dont l'assise est le concept d'appartenance.

Mutuza est obligé d'appartenir à une structure. Il doit obéir à la nouvelle vague politique. Député, il s'en va à Kalima en vacances parlementaires. Il réfléchit, pense et partage ses expériences avec la population. Il voit comment on adhère au Mouvement Populaire de la Révolution malgré l'état des choses, il participe à la création du Parti Politique « le Mouvement de solidarité pour le Développement », (MSD) qu' « Un groupe d'intellectuel de tous âges, de toutes les conditions sociales et de tous les milieux, venaient de créer un Parti Politique, le Mouvement de Solidarité pour le Développement, en sigle M.S.D... »(165(*)).

Nous sommes à la turbulence du redoutable Bindo, de l'impitoyable Masamuna, de l'incroyable Madova et de beaucoup d'autres escrocs dont les Kinois furent des naïves victimes.

Mutuza, comme Cicéron, ne perd jamais de vue ni son expérience concrète d'homme d'Etat, ni son dessein d'appliquer au cas particulier de Kindu, les principes qu'il déduit de sa philosophie d'appartenance. Lors qu'il écrit, la crise de l'identité est évidente. Chacun s'interroge sur le meilleur régime à établir, sur les devoirs qu'inspirent aux citoyens les révolutions et les guerres civiles.

Le président du M.S.D. est nommé Ministre. Homme d'Etat qu'il est devenu va souffrir du fait que les membres de son Parti Politique interprètent mal sa nomination. Ils ont pensé qu'il le fût parce que Président du Parti. « Grosse erreur, déclare Mutuza ! »(166(*)). Et à lui d'ajouter en toute modestie que « c'est grâce à mon nom et à ma réputation dans le milieu politique, le Parti avait acquis du crédit, en ce moment où les groupes politiques se préparaient pour affronter le multipartisme, mais hélas ! ceux qui devaient permettre à notre Parti de fonctionner, ont brillé par leur incohérence et leur mesquinerie ! »(167(*)).

Le parlementaire s'est vêtu en costume et cravate contrairement à l'idéologie de l'époque. Il montrait qu'il n'était pas de l'obédience du citoyen Président Fondateur de M.P.R.

Cette étape éclaire l'état d'âme de Mutuza. Sa formation scientifique ne lui permet pas d'être un bon second. Il est normal parce que philosophe, législateur et concepteur, il n'est pas «un exécutant de quiconque que ce soit, Président de la République ou Roi »(168(*)).

Il fait la connaissance d'Arthur Zahidi Ngoma. Cet homme est intelligent. Il est un des nos intellectuels. Il a travaillé à l'UNESCO.

Comme Ministre de la Culture et des Arts, Mutuza a conçu trois axes de la politique culturelle : 1° la conversion des associations culturelles en des unités de production ; 2° la commercialisation des oeuvres d'art ; 3° la mise en place du Conseil Supérieur de la Culture et des Arts. Il importait de donner un sens aux activités culturelles, d'établir une corrélation et une correspondance entre la culture et le tourisme.

Mutuza réfléchit entre autre sur l'entrée des réfugiés rwandais. En tant que Ministre, il voit se dessiner ce qu'il redoute de plus : l'errance qui n'est pas le propre de l'homme et l'entropie. Et il décrie la présence étrangère.

v Xénologie

Marquant l'irruption de la tragédie dans le quotidien insignifiant des pays des Grands Lacs, la scène des meurtres des congolais, dont la seule cause réside dans la pesanteur irrésistible de la non-correspondance et de l'accablante non-corrélation entre l'ethnonyme, le glossonyme et le toponyme entre Tutsi, Hutu et kinyarwanda, constitue un épisode central autour duquel s'articulent les premiers chapitres de La problématique du Mythe Hima-Tutsi. Inauguré par la mort des femmes enterrées vivantes également sous le signe d'une monstrance du pouvoir, la quête du sol écrase et entraîne les grands lacs jusqu'à la mort par millier des congolais. La problématique du Mythe Hima-Tutsi ressemble au récit d'un étranger au monde, comme à son geste, précipité malgré lui dans un enchaînement inéluctable de hasards face auxquels il reste passif et indifférent, les Tutsis symbolisent l'absurdité d'une condition dont les lois échappent à l'homme.

La xénologie de Mutuza est un marxisme à la camusienne très visible dans son oeuvre. Il veut comprendre les autres, comme Camus (+ 1960) dans l'Etranger(169(*)) cherchait le sens de la différence. Et c'est le 17 mai 1997, avec l'entrée d'un groupe de rebelles menés par Laurent Désiré Kabila (+ 2001), qui achève de s'emparer du Zaïre en prenant possession de la capitale, Kinshasa, que va éclore le mythe hima-tutsi. La République du Zaïre est rebaptisée République Démocratique du Congo, RDC. Mutuza se demande comment les étrangers - rejetés par la population à cause des menaces de sédentarisation - vont rentrer chez eux alors que la Communauté Internationale qui les héberge ne fait aucun effort de démocratiser le Rwanda !

Une nouvelle rébellion s'abattit sur le pays dont à la tête furent les Tutsi du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) prêts à s'approprier une partie de la RC Congo. L'histoire a fini par donner raison.

C'est alors qu'intervient la période des consensus, des accords, des dialogues, des négociations.... Mutuza cherche alors comment démythifier les Tutsi. Il multiplie les conférences ; il renforce ses enseignements. Sa méditation sur l'appartenance s'ouvre par l'analyse du désordre. Nous assistons à la théorie entropologique. Mutuza rencontre Zahidi Ngoma qui venait d'être choisi par consensus comme Vice-président de la RD Congo. Celui-ci le nomme Conseiller Principal à la Vice-présidence en charge du Socio-culturel. Mutuza compose et achève La problématique du Mythe Hima-Tutsi.

Zahidi Ngoma, Kalele Kabila et Ingele Ifoto s'entendent sous-main pour se partager le pouvoir : le gage de ce marché sera la mise en quarantaine de Mutuza, manigancée en 2005 par Ngoma Binda qui ambitionnait devenir Député Indépendant, allié au Camp de la Patrie. Chose qu'il n'a pas obtenue. Mutuza abandonné par les membres de son Parti, se refuse à déclencher la division. Il se retire dans son domaine et se refugie dans l'activité philosophique. Mais, en 2006, devant l'indignation de la Province de Maniema, Zahidi Ngoma se reprend, et le territoire de Pangi finit par obtenir quelques représentants : c'est le retour triomphal. Cependant Mutuza ne retrouve pas son influence de jadis ; il ne peut que louvoyer entre Zahidi Ngoma et Bonane et tenter de rallier le M.S.D., Parti modéré à très large assiette sociale, où le Maniema du second tour de la présidentielle serait fortement représenté. C'était la réaffirmation de la prédiction de Mutuza sur l'avènement de la démocratie  afdelienne: « Vincere scis Hannibal, sed victoria uti ne scis »(170(*)).

La philosophie politique de Mutuza est historiciste. Il part de l'évolution des systèmes politiques pour aboutir à la valeur dont il entend construire. Une bonne marge de cette philosophie est la place qu'il accorde aux conséquences imprévisibles de l'action humaine. Sans cette position, sa pensée n'aurait pas d'encrage théorique.

Sa philosophie de l'Histoire, analyse de l'évolution de la société lega(171(*)), puise chez Hegel mais avec cette différence que chez Hegel l'esprit absolu est une espèce de divinité qui échappe l'homme, tandis que pour Mutuza, l'esprit absolu reste une activité humaine, lié à sa situation d'être relatif. Cela est conforme à la dimension du temps entendu comme succession (áêïëïõèßá). C'est avec La problématique du Mythe Hima-Tutsi qu'il s'élève au-dessus de la mêlée. On peut dire qu'il a écrit un chef-d'oeuvre de philosophie politique et de philosophie d'histoire pour enfin nous révéler sa théorie sociale. Et l'an 2006 offre à la République un pouvoir légitime et cela, par les urnes.

Bonane, Ministre de la Recherche Scientifique et Technologique, voulant redorer l'image qu'il avait reçue de la science nomme Mutuza Président a.i. du Conseil Scientifique National en 2007. Mais se heurtant sur-le-champ à la fois au projet de Tutsi de ne pas voir la RD Congo libre, Bonane est révoqué quelques semaines après son Arrêté ministériel. Comme Mutuza est le plus redouté des philosophes, il travaille sans rémunération avec ses assistants pendant dix huit mois. Mais l'infatigable chercheur de la vérité n'a cessé de travailler. Et, en 2008, il achève l'oeuvre qui défend l'image du philosophe zaïro-congolais avec De la Philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, Apport des philosophes zaïro-congolais.

Les Tutsi ne le lui ont pas pardonné. Ils n'ont cessé de s'attaquer à lui en personne en achetant les images télévisées autour des livres et écrits de Mutuza. C'est l'essence génétique de sa pensée qui est attaquée de toute part.

§ 2. Essence de la pensée de Mutuza

L'essence de la pensée de Mutuza est d'être utile à la société, sa société. Il est un des personnages de la philosophie contemporaine congolaise sur lequel nous sommes le mieux renseignés. Nous possédons sur lui des documents précieux de la philosophie. Le premier est le commentaire sur Numerica, commentaire qui expose sa foi en l'historicisme, en la prédiction et en l'ingénierie sociale. Le second se trouve dans l'ensemble de son oeuvre philosophique.

Ces brefs renseignements nous montrent suffisamment que dans le devenir des idées, certaines oeuvres paraissent des jalons privilégiés et possèdent une portée qui leur donne le statut d'« événements ». La Problématique du mythe Hima-Tutsi du philosophe lega est de celles-là. Parue en 2004, l'ouvrage a mis en mal les partisans de l'octroi sans condition de la nationalité congolaise aux Tutsi.

Si l'on se propose de retracer son parcours ainsi que les grandes articulations de ses idées, il conviendrait de tenir compte des moments suivants.  La première étape est marquée d'abord par une série d'insatisfactions d'ordre culturel et social, ensuite par une mise en cause(172(*)) de l'enseignement sur le développement en Afrique noire, par la mise en cause de la présence de Tutsi en RD Congo, et enfin par l'expérience sur le terrain où, en philosophe et homme d'Etat, il vit l' « agressivité et la conflictualité aux dépens de la solidarité et de l'intégration dans leurs contacts (eux les Tutsi) avec les autres peuples »(173(*)). Prêtre catholique romain, il ne manqua pas de transformer sa nouvelle soutane en défroque pour combattre de front ses maîtres. Il est enseignant. Sa vie est celle de tout philosophe. Celui dont les oeuvres qui compte de très nombreux opuscules, sont pour la plupart des ouvrages de circonstances et dont le plus important est une chrono-graphie anecdotique et philosophique des philosophes zaïrois(174(*)). Nombre de ses écrits ont trait aux questions culturelles et politiques(175(*)).

On constate que chez Mutuza aussi, la société a de plus en plus de mal à coïncider avec elle-même. Autrement dit, les hommes qui vivent en elle et par elle s'identifient de plus en plus difficilement aux relations et aux pratiques qui leur collent à la peau, mais leur semblent en même temps extérieures, comme imposées d'un dehors qu'ils ne savent pas très bien situer. Une grande partie de la pensée contemporaine témoigne de cet état de choses en se faisant pensée du retrait, c'est-à-dire du désinvestissement par rapport aux pratiques sociales et représentations qui les accompagnent.

La philosophie de Musey, par exemple, après avoir été tentée par le projet d'une réévaluation des concepts passant notamment par l'élucidation des structures de la vie quotidienne, s'est tournée vers un réexamen critique de toute la pensée de la philosophie occidentale, conçue comme pensée de la volonté-de-puissance et de la domination dans l'oubli du rapport originaire avec le négro-africain. Pour Mutuza, tous les échanges sociaux, toutes les pratiques, marquées par la réification et l'esprit de domination, participent d'une structuration sociale qui aveugle les esprits et nivelle les différences.

La société qui prend la consistance d'une seconde nature s'abandonne au vertige du monde, de l'accumulatif, de l'hétérogène du déjà vu, déjà codifié. Une telle évolution de pensée ne pouvait que provoquer une certaine angoisse, car elle nous oblige à marcher à tâtons dans l'inconnu et à repenser des formules anciennes, pour les restituer dans un langage accessible et vivant. La philosophie, l'anthropologie, la sociologie, la théologie et les autres sciences humaines peuvent se révéler dangereuses lorsqu'elles deviennent des idéologies qui veulent s'imposer à la réalité, au lieu d'être des moyens humbles de mieux écouter la réalité et s'émerveiller devant elle.

Il faut non pas regretter le passé, mais vivre le présent et avancer vers l'avenir « afin de comprendre ceux qui nous entourent, découvrir la vocation de l'être humain et saisir l'évolution de notre monde »(176(*)).

Il est intéressant aussi de savoir que cette tradition qui traite l'homme, le politique et le penseur avec tant de désinvolte mépris a été systématiquement forgée par ceux-là mêmes que l'auteur dénonce dans La problématique du Mythe Hima-Tutsi. Ceux-ci l'assassinant, assassinent du même coup les libertés congolaises sans les avoir assassinées qu'ils n'assassinassent des Congolais. Des crânes, des membres, des dents... quel horreur pour la déshumanisation des populations en conflit ? Ces hommes luttent pour ce qu'ils n'ont pas choisi : l'ethnie.

Citoyen Mutuza est patient. Il est heureux d'être ce qu'il est sans jamais perdre ce qu'il n'est pas qu'il ne cesse de chercher. L'auteur de Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, bien qu'homme nouveau, apparaît aux conservateurs modérés et à l'opinion congolaise, du fait de ses liens avec les journalistes et ses sympathies « populaires », comme l'homme capable de sauver la légalité.

Avec courage, éloquence et habileté, il combat sur des deux fronts, voulant éviter la guerre civile, empêcher la subversion, faire pièce aux démagogues. Pour cela, il s'appuie non pas sur l'opinion publique, mais sur les étudiants avec aussi certains journalistes et sur une partie de professeurs qu'il essaie d'associer aux décisions de son Parti Politique, le Mouvement de Solidarité pour le Développement (MSD) moyennant quelques concessions.

Tel est le premier problème qu'il se pose : l'appartenance qui implique à l'orée une culture générale. Mutuza se trouve entre trois options: les professeurs du Civisme et Développement et de Philosophie de son temps, essaient de ramener leur science à quelques recettes de routine; ils ont imité Crahay qui, à la suite d'Isocrate, avait conçu ce que nous appelons « culture générale », étendue, sélective. Cependant, ennemie des curiosités excessives et des spécialisations; avant Isocrate, les sophistes avaient rêvé d'un savoir universel et approfondi, Aristote avec le stoïcien Posidonius, avaient essayé d'en réaliser l'idéal. Mutuza rejette la première solution et balance entre les deux autres. Si la position d'Isocrate représente le moindre mal, au dire de Houtondji, celle des autres philosophes offre un idéal dont on peut se rapprocher, soit individuellement, soit en suivant l'évolution des cultures et des traditions(177(*)).

Cette attitude à la fois nuancée et exigeante est dictée à l'auteur de Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre par la définition même qu'il donne à la culture : « la culture est un ensemble complexe d'objets matériels, de comportements, d'idées, acquis dans une mesure variable par chacun des membres d'une société déterminée »(178(*)). Pour combattre l'hégémonie culturelle occidentalisante, Mutuza renchérit en distinguant la culture de la civilisation: « Quant à la civilisation, elle désigne l'ensemble des valeurs et des efforts que l'humanité doit réaliser en vue de modifier le monde pour le progrès et le perfectionnement des sociétés et des hommes »(179(*)). On voit là comment on est sorti du devoir être à l'être. C'est la mise en déroute de la théorie des valeurs. Il faut donc que le philosophe palie cette difficulté. L'auteur de De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine trouve l'issue par les penseurs de la polémique sur l'existence de la philosophie bantoue. Il choisit une génération qui a lutté de front. On trouve quelques figures qui illustrent les débats en sciences sociales, en sciences humaines. Dans le domaine théologique c'est surtout Mgr Tshibangu, Mulago qui le marquent et l'inspirent. Il est aussi élève des célèbres Pères Blancs qui ont eu l'habitude de publier aux éditions du Cerf(180(*)) et dont la réticence raciste fait encore échos. Mutuza a été fortement influencé par ses maîtres romains catholiques, des grands théologiens comme Jean Daniélou (+1974) et Henri De Lubac...

Il a eu une influence de son professeur de philosophie, Dubarle et Stanislas, et celui de sociologie, Breton et de Jean Pierre Chrétien. Celui-ci donnait les cours d'anthropologie coloniale et insistait sur des Tutsi ; il les protégeait comme une minorité des lions au détriment de la majorité des agneaux.

On retiendra que ces influences ont créé en lui une triade qui inspirera tout son schéma philosophique : amour, pitié et sympathie. La philosophie de l'appartenance tient une grande place dans l'histoire de sa pensée. Elle intervient pour lui fournir une technique. Il s'éloigne du psychologisme méthodologique. Il emprunte la psychologie d'inspiration du Concile Vatican II pour tendre à dominer les passions sans rejeter pour autant la douleur si elle est sympathie, pitié, amour - caritas, misericordia, amor, (óõìðáèåéá, åëåïò, áãáðç). Cette triade lui donne deux couples : rythme-neurotonique et plaisir-douleur(181(*)).

Avec cette conception, la théorie d'appartenance chez Mutuza est à la fois proche de Crahay et de Tempels ; mais Mutuza dénonce la conception universalisante de la culture telle que nous la trouvons chez Crahay. A cela se rattache une théorie originale des « thèses », ou questions générales. Toute question particulière, ou « hypothèse », se ramène à une question générale.

Cet effort pour nourrir la culture avec la philosophie de l'histoire permet à Mutuza de fournir une réponse originale à une question célèbre depuis Platon: l'histoire, chère à Thucydide (+ -400), et la rhétorique, chère aux sophistes, ne sont-elles pas une antiphilosophie ? Mutuza a, en ce domaine de culture, le souci d'unir étroitement forme et fond.

Par cette découverte, nous avons certainement atteint le noeud de l'affaire. Mutuza, comme nous venons de le voir, a pris coutume d'énoncer des jugements normatifs en termes des conséquences qu'il désire obtenir. Il dit « La nationalité n'est donc pas, avant tout, une affaire du temps, ni de lieu d'origine, sinon les Portugais nés au Congo-Zaïre depuis1482 seraient tous devenus des Congolais de naissance. La nationalité n'est pas non plus une affaire administrative, sinon elle émanerait de la volonté du Prince, principe qui viole le droit des peuples à disposer librement d'eux-mêmes et qui ne fait que remettre au plus tard la solution du problème. »(182(*))

Mais revenons-en pour finir, Il ne s'agit pas seulement des théories d'un doctrinaire. Il suffit de lire ici ce qui concerne l'action et la philosophie de Mutuza pour voir que ses écrits se confondent avec sa vie, et même avec sa mort, peut-être !

Ce serait une erreur de croire que Mutuza, dans une période de sa vie où l'action lui était pratiquement interdite, où le pouvoir lui avait échappé, ait improvisé, à partir d'une lecture éclectique des anthropologues, des oeuvres théoriques qui ne seraient en somme que des palliatifs. Dès sa jeunesse, à la différence de ses contemporains, il a considéré la philosophie comme une vocation exigeante et essentielle ; mais il avait refusé les échappatoires qui offraient alors les doctrines belges, anglaises et germaniques, qui permettaient à certains, dont Kinyongo Jeki, son ami, de refuser l'engagement dans la vie politique.

Il n'est pas difficile, en effet, de retrouver dans ses textes politiques très antérieurs aux grands bouleversements afdeliens, dans ses cours de civisme et développement ou celui de l'apport de la psychologie dans la formation d'un juriste, ses positions sur le meilleur régime.

Mais on peut sans doute découvrir aussi dans l'exposition de ces thèmes un enrichissement permanent, un passage du simple programme à la théorie, une élévation vers une sorte de mysticisme religieux qui nous fait insensiblement passer du domaine de la politique contingente à celui des « vérités éternelles ».

Nous trouvons d'abord, chez Mutuza, des indications générales sur l'état de la politique à son époque. Si on le pressait d'ordonner ses désirs et ses valeurs dans une hiérarchie, citoyen Mutuza(183(*)) se révélerait certainement d'abord démocrate, et seulement bien après socialiste. Il écrit que par démocratie il n'entend pas quelque chose d'aussi vague que le pouvoir du peuple ou le pouvoir de la majorité, mais un ensemble d'institutions (entre autres notamment les élections générales, c'est-à-dire le droit pour un peuple de chasser un gouvernement) qui permettent un contrôle public des gouvernants et leur limogeage par les gouvernés, et qui permettent aux gouvernés d'obtenir des réformes...La démocratie ... est le seul procédé connu par lequel nous pouvons essayer de nous protéger contre l'abus du pouvoir politique. Elle consiste dans le contrôle des dirigeants par les dirigés. C'est le seul moyen de permettre la maîtrise du pouvoir économique par les dirigés. L'engagement de Mutuza envers la démocratie prend une forme qui oblitère la question de savoir ce qui passe en premier. Cela lui permet d'esquiver le problème des priorités en conflit. A la différence de nombreux démocrates-sociaux (comme Gambembo Fumu wa Utadi) il ne semble pas être ennuyé par le dilemme : et qu'est-ce que je fais si le processus démocratique engendre des résultats réactionnaires et antisociaux ? La raison pour laquelle le problème ne se pose pas en termes de réversibilité de son image de la démocratie. Il conçoit sa philosophie politique à partir des bases éthiques.

§3. Ethique et politique

Le pouvoir est la capacité de produire un effet sur les êtres ou sur les choses. Ainsi, l'analyse philosophique de la notion du pouvoir porte donc sur le siège réel d'une telle capacité et sur la nature des effets qu'elle produit. On désire, en présence des maux et injustices qui accablent les hommes mettre un terme. Et le pouvoir politique est au sein des sociétés humaines, l'enjeu d'une compétition particulière - et immémoriale -, en vue de produire des effets jugés souhaitables.

C'est pourquoi, l'éthique permet à Mutuza de connaitre la politique. D'ailleurs, nombre d'oeuvres philosophiques de Mutuza, loin de traiter des sujets théoriques et abstraits, sont étroitement liées aux événements de son existence, et portent sur des questions d'éthique, dans la vie quotidienne comme dans la vie politique. Il pense que l'opinion publique n'est pas la voie nécessaire pour la compréhension de la société parce que c'est tout le monde qui pense. Or, dans le domaine de la pensée la force individuelle est plus grande que la force d'une collectivité. Car, celle-ci est une sentimentalité mélioriste qui n'entre pas dans le domaine de l'éthique et de la politique.

On sait que le terme « éthique », désignant un certain mode et un code de comportement, a de temps à autre donné prétexte à la formulation de diverses opinions. Au cours des dernières années, la théologie occidentale l'avait longtemps abandonné considérant que l'éthique exprime une conception révolue de l'homme et de la vie(184(*)). Ce terme a son origine dans la pensée de l'antiquité grecque. Etymologiquement, il dérive du mot ñèoò (ithos) qui est une autre écriture et interprétation du mot åèoò (éthos). Aristote considère l'éthique comme le pendant de la vertu, après la raison (äßáíïçôéêÞ). Il pense que le mot « éthique » dérive du mot « ethos », qui signifie « habitude », dont il se différencie très peu(185(*)). Par conséquent l'éthique qui se forme selon l'habitude est liée au temps. L'éthique désigne le comportement de l'homme qui se forme au cours du temps. Çèoò est l'habitude, une disposition morale analogue à ÜñåôÞ, qui peut s'acquérir sans intervention de l'intellect, l'ñèoò, étant ainsi à l' ÜñåôÞ ce que l'ìðåéñßá est à l'ðéóôÞìç. D'autres écrivains anciens considèrent l'éthique comme quelque chose de divin, au-delà de la formation d'une façon de se comporter qui résulte de l'habitude. « Çèoò áíèñþðùí äáßìùí », dira Héraclite, entendant par là que l'éthique est pour l'homme la puissance divine qui demeure en lui-même(186(*)). Ici, l'éthique humaine va au-delà d'une attitude façonnée par l'habitude ; c'est le résultat de communion avec le divin. C'est dans Le Bwame, superstructure de la société lega frein ou moteur au développement ? qu'il définit une sorte d'éthique du citoyen au sein de la République. En particulier, dans Les fondements culturels du fédéralisme, il s'inspire des travaux des anthropologues, avec références à Platon et à Aristote pour définir la forme de gouvernement la plus parfaite à ses yeux, en plaçant le Zaïre au coeur de ses conclusions.

Pour la politique, Mutuza conçoit l'Etat comme une machine dont l'ingénieur a la lourde responsabilité de la garder en forme. C'est pourquoi, il pousse à l'extrême son opposition à Marx et à Rousseau. D'abord séduit par Karl Marx (+ 1883), il récuse la thèse du contrat social. C'est que Rousseau applique au politique la conception cartésienne de la liberté absolue, souveraine et inscrutable. La « volonté générale » réalise dans la cité, en fusionnant les libertés individuelles, la toute indépendance divine, sans degré ni langage, sans positivité ni organisation. La liberté humaine met au défi la toute puissance de Dieu, de ce Dieu dont nous n'avons aucun a posteriori. On ne peut non plus se douter que la « volonté générale » sécrète les lois comme le Dieu de Descartes (+ 1650) invente l'ordre des raisons. Il en résulte que le droit relève de son fait et que les individus sont aliénés à la volonté indivise et sans visage. Rousseau (+ 1778) engendre Robespierre (+ 1794), la liberté absolue équivaut à la terreur.

C'est la philosophie de l'Etat lega qu'il coordonne pour appliquer en RD Congo afin de pouvoir démontrer que l'Afrique peut inspirer de la structure de sa philosophie sociale et politique.

Mais c'est en s'opposant à la doctrine marxiste de la superstructure que Mutuza définit sa position singulière. Il applique sa philosophie morale à la théorie de la superstructure de Marx. Mais il ne pense pas que la philosophie est nécessairement politique. Car, ce serait contredire la philosophie que de rester sur la science positive, chère à Comte (+ 1857). Même ceux qui s'inspirent de Politique d'Aristote tirent des principes premiers de ce qu'ils doivent, de ce qu'ils peuvent et de ce qu'ils ne doivent pas faire.

Si non, ils énumèrent les nombreux effets désirables que nous attendons. Les questions de savoir quand est-il juste - si ça l'est jamais -, que certaines personnes, qu'ils soient dictateurs ou majorités démocratiques, emploient la force pour obliger les autres à se soumettre à leur choix ? Qu'est-ce qui rend la violence légitime ? Quand est-ce notre devoir que d'obéir à l'autorité politique, et quand est-il fondé de s'en servir pour distribuer des avantages aux dépens de nos citoyens ? Le sens commun identifie la contrainte de l'Etat à la réalisation par la force du bien être commun. En effet, si, pour Marx le capital n'est pas res (l'argent, moyens de production), il doit être, au contraire, étudié comme processus cyclique qui se déroule en permanence à l'échelle de la société tout entière, et dont le moment principal est celui de la production ; c'est là que s'effectuent la transformation matérielle de la nature et la création de survaleur ; c'est là que s'effectue le travail sous la condition de fournir un surtravail. L'autonomie de la culture réalise un dualisme anthropologique et se résout dans son universalité, dans la loi morale inconditionnelle qui impose à notre vouloir son impératif catégorique, comme le dirait Kant.

La critique mutuziste du matérialisme historique montre d'abord son formalisme, son abstraction. Marx ne dit jamais ce qu'il faut faire, mais comment il faut le faire. Cela permet à Mutuza d'aller aux sources de l'Etat. Son admiration pour baame(187(*)) chez les Lega se conjugue, dans sa réflexion sur la politique, avec l'adhésion au principe, répandu par le christianisme de la théologie de gourdin, de la liberté et éclaire les vicissitudes de l'histoire politique de la RD Congo.

Les `baame' ont réalisé l'unité substantielle des individus dans la réciprocité des consciences au sein d'une même organisation. Cette unité est naturelle, immédiate. C'est pourquoi les individus ne s'en affranchiront, dans l'Etat congolais qu'en étant réduits par le droit à la plate identité d'atomes indifférents, à la personnalité juridique. En revanche, l'inaliénable volonté personnelle s'insurge contre l'ordre pour s'épuiser dans la violence.

Il faut donc, et c'est là le rôle de l'Etat moderne, substituer à l'organisme naturel, miné par les tâches, l'organisation rationnelle qui seule assure et règle le jeu des volontés. Mais l'exigence de conciliation se conjugue ici avec une nécessité inhérente à la communauté des Hutu. Car Mutuza, à partir de sa philosophie de la société lega, déduit des principes très stricts d'une certaine ecclésiologie. La société globale congolaise doit se réaliser, dans l'ordre objectif de l'histoire de la conscience collective absolue que le Lusu(188(*)) révèle. Ce qui implique une société conciliée, offrant l'unité de l'universel et du singulier, de l'intérieur et de l'extérieur. Or Mutuza porte sur l'histoire des communautés des Bantu un jugement très dur. Si le Bwami, très décentralisé chez les Hutu, sombre dans l'extériorité, dans le cours du monde, meurt chez les Tutsi, à leur rencontre avec les Hutu, il fut renforcé et perverti par les colonisateurs. Le Lusu, de son côté, dévalorisait les oeuvres des Blancs et méprisait leur civilisation en s'enfermant dans une intériorité abstraite. Il a eu le privilège de valoriser l'unité du pays dont les institutions modernes durent tenir compte de leur clandestinité et de leur survivance.

Avec sa rigueur habituelle, simple et rude, Mutuza en déduit que la RD Congo a manqué à sa mission de réalisation d'un Etat fort. C'est donc l'Etat fédéral qui remplacera, c'est son hypothèse, l'Etat centralisé non-conforme aux fondements culturels. Ce ne serait d'ailleurs pas un Etat laïc qui traduira, dans la communauté des hommes, quelque chose de semblable à la religion absolue. Marx en avait vu les lueurs chez Hegel sans jamais s'y être trompé lors qu'il affirme, dans la Question juive, que l'Etat ne doit point être séparé de l'Eglise, mais disparaître comme la religion, car c'est lui qui la réalise. Cela nous parait clair du fait que Mutuza a refusé de faire parti du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) le considérant comme une Eglise. Il dit que « Certes, j'étais déjà à cette époque Conseiller et chef de section idéologique à l'Institut Makanda Kabobi. Mais là, je ne me suis pas vraiment senti dans ma peau. Depuis que je me suis retiré de l'exercice canonique de la vie sacerdotale, je suis devenu allergique à toute institution ou système de pensée dogmatique et totalitaire. C'est pourquoi, je me gardais de quitter une église pour entrer dans une autre. J'entends ici l'église du point de vue institutionnel et non de la foi »(189(*)). Cette connaissance d'une éthique responsable nous permet de bien cerner les questions philosophiques et les préoccupations de Mutuza.

Section 3. Espace philosophiques

§1. Milieu philosophique

Comment Mutuza se prend-il dans l'espace philosophique de son temps ? C'est dans une tradition que l'on comprend la pensée de Mutuza. Sa vie et sa pensée plongent dans la communauté universitaire, dans sa vie familiale, dans sa politique, dans son idéal de la morale. Mais, par ailleurs, la pensée de l'auteur de Mon expérience d'homme politique congolais s'est aussi définie en fonction de la philosophie de son temps. Nous avons vu dans quelles circonstances il a été amené à étudier la philosophie. Il est un enseignant qui comprend la nécessité de réévaluer les concepts, pour exposer la culture lega à l'élite intellectuelle, d'en connaître la philosophie et la pensée pour répondre à ses difficultés.

Ceci nous aide à comprendre son attitude à l'égard de la philosophie : d'une part, il la méprise, en tant qu'elle est une chose de ce monde au service de l'oppression, alors que la culture est une participation et une intégration au monde véritable ; il la combat en tant qu'elle est une vision idéologique du monde qui forme un tout qui s'oppose à la vision plurielle. Pour lui le philosophe est pareil à un chef d'orchestre qui, à l'aide de son diapason, détecte les irrégularités sonores du choeur.

La doctrine de la théologie (orthodoxe) d'Origène est remarquable, l'enseignement philosophique consistait à conduire les disciples à travers tous les systèmes, « ne leur laissant ignorer aucune des doctrines des grecs », leur recommandant de ne s'attacher à aucun d'entre ces maitres, « même s'il était considéré comme parfaitement sage (ðÜíóïöïò) par tous les hommes », mais d'adhérer à la culture seule et à sa tradition. A cet égard, Mutuza est loin de partager l'optimisme de Musey qui compare les philosophes aux héros et aux prophètes et reconnaît en eux l'inspiration du Ëüãïò.

Mutuza a compris que, si la colonisation est en soi indépendante des systèmes philosophiques et de leur actualité (capitalisme et communisme), il devait cependant l'exposer en fonction des problèmes de son temps.

Il est un philosophe qui pense pour son compte. On trouve très peu chez lui, hors du De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, de citations ou d'allusions précises à la philosophie, sa philosophie se situe dans la problématique de philosophe de l'actualité.

Ce qui caractérise la pensée d'avant et d'après l'indépendance de la RD Congo et de l'Afrique des années 60. Elle est toute entière tournée vers le problème des rapports entre Blancs et Noirs, vers la question de l'identité culturelle. On parle de la philosophie africaine, de son existence, de sa non-existence de la philosophie africaine. Le premier groupe est celui des négateurs dont Franz Crahay, Levy Brühl (+ 1939) sous l'impulsion de Hegel et leurs disciples, qui qualifient la pensée des Nègres de la pensée alogique, et de la pensée sauvage. Le deuxième groupe est celui des critiques comme Houtondji et ses partisans qui accusent les philosophes africains des ethno-philosophes suite à la publication de l'ouvrage de Tempels; le troisième groupe est celui de Tempels avec La Philosophie Bantoue et les philosophes immatriculés, et, le quatrième groupe est celui de ceux de la réévaluation des concepts dont Musey, Mutuza et Bwakasa sont les représentants. Il y a des nuances dans ces écoles. Les questions comme celles de l'évolution(190(*)) de la race noire, celle du rôle de la tradition orale, celle de la supériorité et de la liberté sont au coeur des controverses.

La pensée de Mutuza baigne dans la même problématique. Dans un article. Mutuza a précédé l'histoire, du Journal Numerica, son éditorial a montré comment AFDL et Mutuza, sont deux adversaires, avec un identique esprit: combattre la dictature sous toutes ses formes. Est-ce à dire que la pensée de Mutuza soit une pensée tribalisante, un chainon de l'opposition radicale qui veut voir clair à propos de la présence des troupes rwandaises sur le territoire congolais? La notion de la nationalité est au coeur du système de Mutuza. Le problème central de la philosophie politique du temps présent. Mutuza insiste sur les faits de la culture déjà mis en valeur par Jean Ladrière : « Il n'existe pas une méthode générale de l'interprétation qui permettrait de passer d'un seul coup d'une expression culturelle donnée à sa transposée dans l'ordre conceptuel pur. Toute oeuvre de réflexion compréhensive doit découvrir ses propres voies et se forger ses propres instruments. L'entreprise de déchiffrement ne peut se contenter de suivre des chemins tracés à l'avance, elle ne peut que se développer pas à pas, dans la double fidélité à ce qu'elle veut comprendre et à l'exigence d'intelligibilité qui la met en mouvement »(191(*)).

Le problème précis c'est de situer Mutuza dans l'environnement philosophique de son temps, de décrire les mouvements des idées à cette époque. Ce point est l'un de ceux où les études sur les philosophes zaïro-congolais n'ont pas encore eu lieu. Nous cherchons les éléments nouveaux pour en préciser la portée. Nous cherchons dans l'oeuvre de Mutuza les traces les apparentes de la philosophique de son temps, par les problèmes posés et par des dépendances plus strictes. Il nous restera à voir dans le cas de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, la réaction d'un philosophe en face de la culture et la défense que lui oppose Mutuza. Il nous le montre dans l'interprétation qu'il donne de l'attitude des Bantu face aux Tutsi cultivés de son temps, c'est-à-dire le dessein même qui l'avait amené à se consacrer à la philosophie.

Quelle est la philosophie au contact de laquelle Mutuza s'est forgé? C'est dans une philosophie contradictoire qu'il n'a toujours pas comprise(192(*)). Ne pas comprendre est sa philosophie parce que certains de ses professeurs parlent des choses qu'ils ne connaissent ni ne comprennent eux-mêmes. Pour se consoler, il se plonge dans la pensée de Rudyard Kipling. Il vit avec les Blancs comme le frère Mowgli. C'est une philosophie sociale à coloration marxiste. Mais quelle est cette philosophie sociale marxiste? La question est susceptible de trois réponses. La première est de dire que Mutuza a été en contact avec l'oeuvre de Karl Marx. Cette thèse comprend une part de vérité. Mutuza a fréquenté les textes de Marx. Dans La problématique du Mythe Hima-Tutsi, Mutuza fait mention du matérialisme historique(193(*)). Mutuza n'ignore pas Hegel ni Nizan (+ 1940), il s'attache plus à Marx auquel il doit beaucoup. On trouve chez lui les grands thèmes de la pensée marxiste : révolution, Etat, pouvoir, égalité, combat pour l'identité culturelle, intérêt général(194(*)).

Pour Kangafu, Mutuza est un néo-marxiste. L'épisode se situe au cours de la conférence sur le fédéralisme à l'Université de Kinshasa au début des années 9O. Or, la guerre d'agression a lieu vers la fin de l'année 97 alors que les Rwandais sont déjà en RD Congo depuis 1994 fuyant le génocide.

On voit là deux Mutuza dont l'un prêche la démocratie et l'autre se bat pour la nationalité et l'intégrité territoriale. Dès lors, si nous écartons l'influence, la plébiscité de Numerica comme impossible à déceler la philosophie politique, celle de l'Etoile comme improbable, nous ne pouvons pas définir Mutuza comme néo-marxiste. A partir de quoi, cependant, expliquer sa pensée et les affinités qu'elle présente avec Nizan, en mai 1966 ? Reste que ce soit à partir d'influences communes auxquelles le néo-marxiste d'un côté, le mutuzisme de l'autre soit la réponse. Or, c'est précisément ce que les textes nous indiquent. Et nous arrivons ici au noeud de notre problème. Si nous prenons, en effet, les textes de Mutuza lui-même nous n'avons pas à chercher ailleurs ses sources philosophiques. Les oeuvres qu'il a fréquentées, avec celles de Marx, ce sont celles des fonctionnalistes, des structuralistes, des Pères conciliaires de Vatican II. Or, si nous reprenons la vie de Marx, par Gustave Marttelet, nous retrouvons les mêmes noms. Nous avons désormais tous les éléments pour définir les concepts de la formation philosophique de Mutuza. Il y a d'un côté le contact personnel avec une partie de l'oeuvre de Marx ; il y a, à l'autre extrémité, l'enseignement des missionnaires dont la portée est difficile à déterminer. Mais, entre les deux, l'élément essentiel nous apparaît la fréquentation des philosophes et commentateurs de la génération antérieure. La lecture de la Présence Africaine, de Césaire Aimé (+ 2008), de Cheick Anta Diop (+ ?), de Alioune Diop (+ ?), de J. Kizerbo (+ ?), ne sont pas en reste. C'est le milieu à partir duquel la pensée de Mutuza s'est constituée.

§2. De la démocratie

Notre pays s'appelle la République Démocratique du Congo. Et des nombreux autres Etats d'Afrique sont dénommé x démocratique. De ce fait, une coutume à repenser conduit les philosophes africains à rechercher si l'on doit démocratiser l'Afrique ou africaniser la démocratie. Mutuza préconise la démocratie comme système politique. Il précise qu'elle est obligatoire si et seulement si sa structure politique et administrative se caractérise par un réel équilibre entre l'exécutif et le législatif, si elle a une action continue et efficace conduisant à la liberté. Nous sommes tous appelés à la libération du coeur, à nous ouvrir aux autres et à découvrir ce qui fait le fond de notre être. Chercherions-nous à définir les mots démocratie et liberté ? Il est intéressant, du point de vue de l'histoire de la philosophie, de rappeler à quel point Mutuza se situe à contre courant, en ce qui concerne l'orientation massive prise au XXème siècle et que l'on a coutume d'appeler de nos jours le «tournant linguistique ». Biface à l'origine, insufflé d'un côté par Nietzsche et Heidegger, de l'autre par Frege et Wittgenstein, lequel tournant qui a dû conserver pendant la majeure partie du siècle deux volets: l'un continental et post-heideggérien, l'autre anglo-saxon, qui s'intitula philosophie analytique puis (bien qu'on ne puisse en toute rigueur assimiler les deux écoles) philosophie du langage ordinaire.

Tandis qu'en Europe(195(*)) se passe des débats sur le langage et la querelle des mots, en Afrique c'est le débat sur l'existence ou la non-existence d'une philosophie authentiquement africaine. Une longue période fut consacrée et consacra un rapprochement de ces tendances, confirmant d'autant plus l'importance et la réalité dudit « tournant linguistique de la philosophie». Le jeu de mots est un exercice que l'on rencontre dans les littératures coloniales. On nie pratiquement tout ce qui est humain au nègre. La démocratie est un luxe pour l'Afrique, disait un homme d'Etat français, il s'agit de J. Chirac! Et Mutuza se dresse contre cette tendance. Pour lui, il faut comprendre la conception et la réalité démocratie plutôt que s'en tenir au mot démocratie.

Nous ne savons pas trop ce que veut dire Mutuza quant à ce qui concerne la démocratie. Nous lisons «-L'industrialisation n'est pas une panacée ; mais il faut noter que l'industrialisation exige un système de gouvernement approprié qui n'est autre que démocratie »(196(*))

La manière dont pour sa part Mutuza emploie le terme démocratie est assise sur deux chaises : le déontique et le conséquencialiste.

En général, il y a deux sens courants de la comprendre. L'un est procédural et déontique. Il se réfère à un ensemble de règles de décision collectives qui, si elles sont respectées, constituent un régime que nous appelons démocratique. L'autre est substantive et conséquencialiste. Elle se réfère à l'ensemble des décisions communes qui, si on les a bien prises, caractérisent un régime démocratique.

Le sens déontique nous obligerait à accepter le verdict des urnes, aussi idiot ou pervers que nous puissions le juger ; c'est la décision démocratique, et nous sommes censés de le respecter. Les démocrates-sociaux (les liberals) américains sont les partisans de cette interprétation, alors que les libéraux classiques seraient entraînés, par des verdicts des urnes déplorables, à mettre en cause les règles, les lois électorales, le droit de vote inconditionnel, le financement des campagnes ou d'autres éléments du processus de choix collectif.

L'interprétation conséquencialiste, en revanche, nous amène à identifier une procédure de décision comme démocratique si elle a donné le bon résultat, antidémocratique si elle a donné le mauvais. Ainsi, il en va pour Rousseau et de ses héritiers comme Robespierre dont A. Mathiez (+ 1932) proclame la grandeur en disant que : « quand les adversaires de la Révolution s'attachent à confondre Robespierre avec la Terreur et à faire retomber sur ce grand démocrate tout le sang qui fut alors versé, ils sont dans leur rôle. Pour atteindre l'idée démocratique, ils visent l'homme qui la personnifia et qui la fit triompher tant qu'il vécut ».

Il n'y a rien dans le conséquencialisme mutuziste qui oblige un conséquencialiste à parler en termes de la lettre au Père Noël, en termes d'un inventaire de ce que devraient réaliser de bonnes institutions. Il est tout à fait autorisé à tourner un peu, et à raisonner plutôt en termes des caractéristiques qu'une institution doit posséder pour être bonne, où le bon demeure un bon conséquencialiste, instrumental, déduit des buts qu'il veut faire servir par l'institution. Une telle démarche ne vient pas naturellement du conséquencialiste. Que citoyen Mutuza lui-même, metteur en scène de l'ingénierie sociale dans la résolution des conflits, la Némésis des énoncés vides de sens déguisés en propositions, produise une liste de ce qu'il entend par institutions bien construites au lieu de nous dire comment, précisément, il faut les concevoir, contribue quelque peu à corroborer cette analyse.

Il existe cependant un cadre où l'on peut décrire la démocratie par les effets que nous souhaiterions lui voir produire sans dresser pour autant contre l'autre des rhétoriques invérifiables. C'est le cadre du consensus politique démocrate-social. On est tenté de croire que l'idée que Mutuza se fait de la démocratie est relative au consensus, et qu'elle est difficilement compréhensible en-dehors. A l'intérieur tout le monde est à peu près d'accord sur ce que veut dire « les gouvernés contrôlent les gouvernants », que « le pouvoir économique de l'Etat ne menace pas la liberté mais la protège »; qu' « aucun citoyen n'est réduit à un esclavage de fait ». Dans le premier cas cela veut dire que le gouvernement est renversé quand il en fait trop ou pas assez ; dans le deuxième cas cela veut dire que le pouvoir est exercé dans un cadre institutionnel et suivant la volonté arbitraire des bureaucrates ;  dans le troisième cas cela veut dire que les économiquement faibles ne sont jamais forcés de se vendre sur le marché du travail.

Quiconque qui n'est pas démocrate-social ne sera pas persuadé que ces termes décrivent un monde reconnaissable. Ils sont réversibles et invérifiables ; ils jugent au lieu de décrire ; ils ne signifient la même chose que pour ceux qui ont la même mentalité.

La même mentalité, contraire à la démocratie et à la paix dont elle est sensé apporter, doit être cultivée. Les opinions démocratiques sont subjectives ; et les intérêts qu'elles sont sensées défendre sont aussi subjectives. Or la Culture est une des notions clés de l'anthropologie, définie en 1871 par Edward Burnet Tylor (+ 1917) comme « un tout complexe qui englobe les connaissances, les croyances, l'art, la morale, la loi, la tradition et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société »(197(*)). La culture est la base de recherche pour Mutuza, du moins en ce qui a trait au concept d'appartenance.

Dans La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, l'auteur nous donne de la communauté tutsie une vision idéale. Pour croître vers la maturité humaine et grandir dans la liberté intérieure, pour franchir aussi les barrières de l'individualisme et de l'égocentrisme derrière lesquelles nous nous cachons souvent pour nous protéger, nous avons besoin d'appartenir à quelque chose de plus grand que nous-mêmes. Nous avons besoin d'être liés aux autres.

Le groupe est la manifestation concrète de ce besoin d'appartenance. L'appartenance a ses pièges. Si le groupe nous donne une identité, une sécurité, une protection, un lieu pour nous affirmer, il peut aussi se fermer sur lui-même en cherchant à prouver sa supériorité par rapport à d'autres groupes à travers et la distanciation et le mépris. L'appartenance devient alors source de conflit. Nous accusons souvent la race, la religion et la culture d'être à l'origine des grands conflits de l'humanité. En chacun de nous git une certaine insécurité qui nous incite à prouver que nous sommes meilleurs, plus puissants, plus brillants. Si nous n'utilisons pas la race, la religion ou la culture pour prouver notre supériorité, nous trouverons d'autres armes. Nos actes les plus généreux cachent, eux aussi, un besoin de supériorité sur les autres.

Mutuza rêve d'une structure économique commune à la région des Grand-Lacs africains, source de paix pour ces peuples : « C'est pourquoi pour avoir la paix et la sécurité dans les pays des grands lacs, les peuples de cette région doivent se doter de projets de société industrielle moderne qui les rassemble autour d'un idéal commun de l'industrialisation.

En effet, un projet de société est un ensemble de valeurs, expressions des besoins et des aspirations d'une communauté humaine, valeurs se rapportant à la nature et au fonctionnement de la société, dont les règles de gestion et de gouvernement sont consignées dans leurs constitutions respectives.

De ces projet de société découlent des lois, des normes et des normes auxquelles les membres de la société devront se soumettre pour réaliser l'idéal des sociétés industrielles modernes, qu'ils se seront tracé eux-mêmes. »(198(*))

Lorsqu'il est question d'une démocratie populaire, l'auteur prend ses distances envers ses maîtres politiques. Le capitalisme comme tout autre système politique n'avait jamais existé nulle part ; qu'il est encore à venir, et qu'il était lui-même l''avenir'. Car le lendemain de l'élection de Barack Obama à la présidentielle américaine, G.W Bush a assuré au monde que le capitalisme n'était pas à abolir mais à restructurer(199(*)).

§ 3. De l'appartenance et de l'identité(200(*))

Il est question de trouver une structure valable qui doit être le point d'appui à l'identité. Celle-ci est la forme de la compréhension. Elle peut être définie comme un ensemble des éléments individuels qui sont reconnus légalement sur le plan de l'état civil. Elle permet de prouver sans équivoque ce qu'on est. On parle alors dans ce contexte d'une usurpation d'identité lorsque la conscience collective de l'identité n'arrive à être acceptée par une autre conscience collective. L'identité mise en confrontation peut aussi être comprise comme un ensemble d'aspects personnels fondamentaux qui caractérisent une personne ou un groupe. C'est pour cette raison que l'on dit que quelqu'un affirme son identité culturelle, sexuelle, sociale... Nous pouvons encore comprendre une identité comme un ensemble des caractères propres à la base d'ensemble constitué par une entité abstraite. Dans ce sens il est question de l'identité d'une ville historique. Chez les socialistes l'identité repose sur similitude première. Ils disent que l'on doit partager les identités de points de vue. En mathématiques l'identité équivaut à une égalité qui se vérifie quelle que soit la valeur des variables. C'est pourquoi l'on porte des termes indéterminés d'une identité, d'identité remarquable. Sous l'angle moral lié à l'histoire et aux évolutions l'identité s'accomplit dans la recherche d'une « authenticité » dont la source est le sentiment d'identité individuelle où « chacun est sa propre mesure ». A ce stade il y a deux exigences revendicatives qu'il importe de concilier : l'une est celle de l'appartenance à la communauté dans son ensemble, et l'autre est celle de la reconnaissance de la différence de l'individualité de la dignité humaine au sein de la communauté. Les principes fondationnels du moi ne peuvent être situés exclusivement à l'intérieur du moi lui-même : on ne devient un « moi » qu'en état de référence à ce qui nous entoure. Il ne peut y avoir d'« identité » réelle en dehors du cadre extérieur à soi. C'est la dimension morale qui va prendre le dessus et l'identité s'incruste dans la psychologie sociale pour la désaliénation du « moi collectif »

Mutuza emprunte Taylor qui a changé de registre. Celui-ci plaide pour une morale réaliste, qui prendrait en compte l'histoire et la psychologie, et qui permettrait d'articuler les exigences morales avec les possibilités de réalisation effective. Il prend au départ en compte la nature humaine. Taylor entend asseoir sa réflexion sur une « anthropologie philosophique » qui créerait une nouvelle ontologie. Afin d'échapper à la prééminence actuelle de l'épistémologie, Mutuza change la triade de Taylor (chair-langage-société) qui lui paraissait intéressant d'étudier le rapport entre amour, pitié et sympathie. Il pense que phénotype permet aux sens de retrouver le corps vécu, de redécouvrir la chair et de recouvrer la société, en un mot la recherche du Bien (Üãáèïò).

Les biens constituent des normes pour le désir. Mutuza donne la priorité au Bien sur le juste (à l'inverse de Rawls (+ ?)) et s'élève contre l'emprise des droits et de la justice procédurale dans le libéralisme contemporain, bien qu'il place au-dessus de tout, la justice, la bienveillance et les droits de l'individu. Les définitions des biens données par Mutuza sont fondamentales. Nous référant à ses écrits par l'emploi de ce dont il entend par « biens de vie », « biens constitutifs », « biens convergents » et « biens communs », Mutuza est Proche de Tylor.

Refusant la distinction entre les faits et les valeurs, il considère que notre rapport au monde consiste à interpréter sans cesse notre orientation vers le Bien.

Plutôt que de théoriser gratuitement, Tylor nous interpelle dans la mesure où il est en prise directe avec les problèmes vivants de la société occidentale contemporaine.

Le besoin d'appartenir est une réalité profondément humaine. Le concept d'appartenance permet de situer les autres dans l'enclos des questions que posent les contemporains quant aux voies de recomposition de l'espace géographique, de l'espace du pouvoir.

Mutuza définit l'appartenance en rapport avec l'État. Il le considère comme un ensemble d'institutions politiques régissant la vie des citoyens(201(*)). C'est surtout la terre -ãçò- qui est l'élément primordial de et pour l'appartenance. Et l'identité est l'ensemble des caractères propres qui constituent l'Etat dont la mission de prouver sans équivoque ce qui est. Dans ce contexte, ce sont les mathématiques qui nous éclairent, et la métaphysique sera le locus (ôüðïò) démonstratif des êtres.

Des philosophes considèrent entre autre que l'essence d'un objet est ce qui forme son identité, qui dit ce qui fait que l'objet est ce qu'il est en lui-même. L'essence peut être assimilée à l'appartenance à une espèce au sens logique du terme. Aussi Socrate est humain par essence.

D'autres penseurs estiment que chaque objet a une essence individuelle unique. Un cas d'essence individuelle spéciale, mais controversée, est appelé « singularité », qui est la propriété qu'a un objet d'être précisément cet objet. Manifestement, s'il existe des singularités, c'est qu'il y a des propriétés qui ne pourraient faire défaut à un objet.

Pour Aristote, la définition d'une chose énonce son essence. On ne parvient à la compréhension scientifique d'une chose que si l'on saisit son essence. Aristote identifie l'essence de l'objet à sa forme substantielle : elle est ce qui fait que l'objet est ce qu'il est. L'essence d'un objet est l'espèce de la chose qu'il est. Ainsi, l'essence de Socrate est d'être un être humain et l'essence d'une maison est d'être un abri pour les hommes et les biens. Cette conception est ce qu'on appelle la définition. Et Sir K. Popper dit qu'Aristote est le père de l'essentialisme, fondateur de la philosophie du langage, la cause même de l'arriération moyenâgeuse.

Ce lien étroit, manifeste dans la pensée d'Aristote, entre l'essence, la définition et les critères qui permettent d'identifier l'appartenance d'une chose à une espèce est remis en question par John Locke. Celui-ci introduit une distinction entre l'« essence réelle » d'un objet, qu'il définit comme la constitution interne de ses parties sous-jacentes, et son « essence nominale ». L'essence nominale de l'objet est l'idée qui correspond au nom de l'objet dans notre esprit. Cette idée est une liste, plus ou moins exhaustive, des qualités sensibles connues de l'objet. Étant donné que l'essence réelle d'un objet nous demeure inconnue, selon Locke (+ 1704), les critères qui nous permettent d'identifier un objet sont distincts de sa nature sous-jacente.

Le débat sur l'essence dans la philosophie contemporaine est centré sur la question de savoir quel type de nécessité est impliqué dans l'affirmation selon laquelle une propriété essentielle est une propriété qu'un objet doit avoir. Wilard Quine (+2000) prend position contre les essences en soutenant que ce qui fait la nécessité d'une chose n'est pas une particularité de l'objet en question, mais plutôt une particularité de la façon dont on le décrit.

Par exemple, on peut faire référence au nombre « neuf » par le chiffre « 9 » ou, étant donné qu'il y a neuf planètes dans le Système solaire, par l'expression « le nombre de planètes ». Néanmoins, si la phrase « 9 est nécessairement plus grand que sept » est vraie, la phrase « le nombre de planètes est nécessairement plus grand que sept » est fausse, puisqu'il a pu exister un nombre de planètes inférieur à sept. La nécessité, affirme Quine, est fonction de la façon dont on décrit l'objet concerné. Le philosophe américain Saul Kripke fait valoir à l'encontre de Quine que l'exemple est lié à une particularité de la description (« le nombre de planètes »). Kripke appelle ce type de description « désignateur faible » : il ne désigne pas le même objet dans tous les mondes possibles, c'est-à-dire dans toutes les conditions possibles du monde réel. À l'opposé, les termes désignant une espèce naturelle et les noms propres sont des « désignateurs rigides ».

Par exemple, le terme « eau » désigne une substance qui est H2O dans tous les mondes possibles. L'eau est donc nécessairement H2O, et cela indépendamment de la façon dont nous décrivons l'eau. Aussi, pour Kripke, les espèces naturelles comme l'eau ont des essences que l'on peut découvrir empiriquement. Kripke prend position en faveur des essences individuelles qu'il lie à la nécessité des origines d'une chose, par exemple, d'un individu qui est issu d'un ovule fertilisé particulier et de sperme fait d'une série d'atomes particulière. La se dévoile la question de l'évidence et de la certitude. On entre du coup dans la problématique des entités sociales tels que l'Etat, la société, la tribu...

La discussion philosophique sur l'essence de l'Etat, chez les socialistes, est enchâssée dans un réseau des problèmes afférents portant sur la modalité, sur les théories de l'appellation et de la référence, sur les espèces et les lois naturelles.

Si tel est l'Etat, quelle serait alors la société ? Si la société n'est pas l'État, il serait de fait tentant de la réduire à une simple communauté d'individus échangeant des services et des biens. La société aurait par conséquent une fonction avant tout utilitaire ou pragmatiste dans son sens américain : regrouper les forces des individus, diviser et spécialiser le travail, régir les échanges et organiser le commerce. On peut craindre que la société ne se réduise à ces seules fonctions. La société est analogue à l'organisme dont les membres ont des fonctions à remplir, tandis que l'Etat est analogue à la machine dont les ingénieurs sociaux sont appelés à garder en forme.

Selon Hume (+ 1776), l'homme est un être dépourvu de qualités naturelles. Il a plus de besoins que les autres animaux, et moins de moyens pour les satisfaire. Il est faible. C'est pour pallier à cette faiblesse naturelle que l'homme vit en société. La vie en commun permet aux individus de regrouper leurs forces pour se défendre contre les attaques et pour réaliser à plusieurs ce qu'un seul ne saurait entreprendre. Elle permet de diviser et de spécialiser le travail, ce qui en accroît l'efficacité. Cela génère également de nouveaux besoins. Se dessine alors une communauté d'échanges où chacun participe, à son ordre et mesure, à la satisfaction des besoins de tous. Mutuza y puise le concept d'appartenance.

Mutuza se réfère à Adam Smith (+ 1790) : l'individu est dans l'incapacité de satisfaire tous ses besoins. Il ne peut les satisfaire que s'il 'obtient qu'un autre fasse ce qu'il ne sait pas faire. Dès lors, il sera possible d'échanger le produit de son travail contre le produit du travail des autres. Nous sommes dans le schéma fonctionnaliste. Pour qu'autrui accepte l'échange, il faut qu'il éprouve, lui aussi, le besoin d'acquérir ce que l'autre produit. Il est de l'intérêt propre que le plus de gens possible aient besoin de ce que l'on produit. Comme chacun fait de son côté le même calcul, il est dans le bénéfice de tous que les besoins aillent en s'augmentant. Ce qui entraîne l'interdépendance. Les échanges deviennent les assises d'une société libérale. La satisfaction des besoins individuels dépend d'autrui, mais la satisfaction des siens propres dépend de soi-même. Chacun dépend de tous les autres. Personne n'est plus maître de soi.

Réunis en société, les individus deviennent interdépendants grâce à l'échange continuel de services et de biens. Dans la vie en communauté, l'homme travaille pour acheter le travail d'autrui. Chaque bien produit a une double valeur : une valeur d'usage en tant qu'il satisfait un besoin, et une valeur d'échange, en tant qu'il est une marchandise. Ainsi que le note Aristote, comment échanger maison et chaussures ? C'est la monnaie, comme commune mesure instituée, qui rend possible l'échange de produits qualitativement et quantitativement différents. C'est ici que Platon voit le danger d'une société fondée uniquement sur les échanges et le commerce. Les individus y auront indéfiniment tendance à profiter des échanges non pour acquérir les biens nécessaires à la vie, mais pour accumuler de l'argent. De simple moyen, la monnaie devient une fin en soi, pervertissant ainsi le système de production et d'échange, corrompant le lien social.

D'après Aristote, la vie en communauté n'a pas pour seul but de faciliter les échanges afin d'assurer la survie : ce qui fonde la vie en communauté, c'est cette tendance naturelle qu'ont les hommes à s'associer entre eux, par l'amitié (öéëéá). Il ne s'agit pas simplement de dire que nous sommes tout naturellement enclins à aimer nos semblables, mais bien plutôt que nous avons besoin de vivre en société avec eux pour accomplir pleinement notre humanité. Comme le remarquait Kant (+ 1804), l'homme est à la fois sociable, et asocial : il a besoin des autres, tout en entrant en rivalité avec eux. C'est cette « insociable sociabilité » qui a poussé les hommes à développer leurs talents respectifs et leurs dispositions naturelles, à devenir en définitive des êtres de culture.

Comme l'a montré l'ethnologue Claude Lévi-Strauss (+ 2010), on ne saurait réduire les échanges aux seules transactions économiques. En fait, il existe deux autres types d'échanges qui ont d'ailleurs la même structure : l'organisation de la parenté, et la communication linguistique. Une société n'est pas réductible à une simple communauté économique d'échange ; elle se constitue par l'organisation des liens de parenté (le mariage), par l'instauration d'un langage commun à tous ses membres, par un système complexe d'échanges symboliques qui établissent les rapports et la hiérarchie sociale, etc. Pour Émile Durkheim (+1917), une société n'est alors pas une simple réunion d'individus : c'est un être à part entière exerçant sur l'individu une force contraignante et lui fournissant des « représentations collectives » orientant son existence.

Si l'appartenance est dans l'éthique et la politique, si la culture est le socle de l'appartenance et la conscience collective de l'idéal de la vie en société, nous sommes alors dans le contexte de la recherche de l'identité comme chez les Anglais à l'époque de saint Thomas More (+ 1852).

« C'est pourquoi, dit saint Thomas More, je réfléchis à la Constitution si sage, si moralement irréprochable des Utopiens, chez qui, avec un minimum de lois, tout est réglé pour le bien de tous, de telle sorte que le mérite soit récompensé et qu'avec une répartition dont personne n'est exclu, chacun cependant ait une large part. J'oppose à ces usages ceux de tant d'autres nations toujours occupées à légiférer sans être pour autant mieux gouvernées »(202(*)). Dans toute nation où le sens du bien commun souffre, chacun nomme sien ce qui lui est tombé dans les mains. Tant de lois accumulées sont impuissantes à garantir l'acquisition, la conservation de la propriété, à distinguer de celle du voisin ce que chacun désigne comme son bien propre, ainsi que le prouvent surabondamment des procès qui surgissent à l'infini et qui ne se terminent jamais. Cette comparaison m'incline à donner raison à Platon ; je m'étonne moins qu'il ait refusé de rédiger une Constitution pour ceux qui rejetaient le principe de la communauté des biens. En effet, ce grand sage avait fort bien vu d'avance qu'un seul et unique chemin conduit au salut public, à savoir, l'égale répartition des ressources.

Thomas Moore se demande « comment la trouver réalisée là où les biens appartiennent aux particuliers ? Lorsque chacun exige un maximum pour soi, quelque titre qu'il allègue, si abondantes que soient les ressources, une minorité saura les accaparer et laissera l'indigence au plus grand nombre. À quoi s'ajoute que le sort donne souvent à chacun ce qu'il a le moins mérité : bien des riches sont des gens rapaces, malhonnêtes, inutiles à l'État ; bien des pauvres sont des gens modestes et simples, dont le travail incessant profite à l'État plus qu'à eux-mêmes. »(203(*))

Il a fallu des méprises de Ngoma Binda(204(*)) telles que «  De même, le professeur Mutuza Kabe a rassemblé une demie douzaine d'article publiés, ça et là, sur l'histoire des peuples des Grands Lacs et sur les concepts de développement, de sous-développement, de civilisation, etc. » pour voir en Mutuza un simple copiste ! Ngoma Binda prétend que Mutuza ne comprend pas ses modèles et il renchérit qu' « aucun enseignement universitaire sérieux ne peut les accepter comme leçon de civisme, nonobstant le droit à la `liberté académique' qui du reste, si elle est bien comprise, s'écarte de toute excentricité »(205(*)); mais c'est général qu'il ne le comprend pas lui-même. Ngoma Binda demande à Mutuza des innovations, des créations qui n'entraient point dans ses propos. Ce sont des mêmes antécédents et concomitances de l'obéissance au mythe. Mutuza est comme dans la théorie des ensembles, sa preuve a priori par les effets exclus ; il se présente à la manière d'une recherche d'antinomies dans le concept, d'antinomies qui le rendraient impossible au réel. Il devient alors valable, du moins légitime n'est-ce pas un raisonnement non positif, dogmatique, intuitionniste, qui cherche à exclure seulement l'exclusion, et qui y parvient. Son argument sur le civisme et le développement et la démocratie était destiné à démontrer comme prétentieux le fait de parler d'une citoyenneté transfrontalière. Ce sont ces antécédents et concomitants qui ouvrent à Mutuza la voie de fustiger l'erreur des philosophes et anthropologues de la science coloniale.

§ 4.La problématique de l'identité et de l'appartenance dans la perspective d'une minorité

Ici s'ouvre un débat sur l'historicisme mutuziste. Sa pensée semble y pencher et deux faits justifient cette perspective : sa conception d'état et d'action, et son approche de la théorie des valeurs. Il justifie cela par deux ensembles dont l'un est agricole et l'autre pastoral. Les groupes des Bantu basés sur les terres ruandaises avant l'arrivée des Tutsi sont conçus comme des migrants. C'est une erreur des anthropologues et des philosophes de la science coloniale qui touchent directement aux matériaux exhumés. Un des mythes du colonialisme qui consiste à déformer les conceptions anthropologiques et philosophiques, conçues comme exodes sacrés, est en effet celui qui est emprunté au chapitre I de La problématique du Mythe Hima-Tutsi de Mutuza. C'est le problème de la migration. C'est le problème du pouvoir royal, c'est le problème du Mwami.

Quant à ce qui concerne l'espace particulier des Tutsi, nous sommes en présence de deux forces. Ces aspects montrent la position que l'on peut adopter à l'égard des sciences sociales, plus particulièrement au sein de ces dernières, les démarches qui participèrent de l'édification du vaste ensemble que l'on appelait à l'époque sciences coloniales et qui survécurent dans les sciences du développement. Avec l'erreur des anthropologues et des philosophes de la science coloniale nous revenons aux perspectives personnelles de l'auteur.

En d'autres termes, l'effort de l'unification que le colonisateur belge a instauré est biaisé par la prise de conscience de la différence qui existe entre les Hutu et les Tutsi. Vouloir faire croire à ces deux atomes leur unité n'est-il pas voiler l'idée de la création d'un empire tutsi-land dont le coeur battant est le kinyarwanda ? Il est possible que la connaissance et la maîtrise de concepts est la clé de prise de solution chez Mutuza. Comment s'en sort-il ?

Et bien, Mutuza ne se laisse pas impressionner par la nécessité de définir ses termes. C'est la vertu des pédants. Il est à l'aise dans une terminologie forte, qui se débrouille toute seule, qui se passe de définitions fignolées. Sa patience pour l'analyse conceptuelle a des limites ; il aimerait mieux laisser un degré de liberté à l'interprétation, que d'encourager ce qu'il considère comme de la philologie stérile, du rabâchage de concepts, à la manière d'Aristote.

Ce fut à la suite de discours de certains leaders politiques sur la crise financière du capitalisme qui s'abat sur les pays occidentaux. Philosophes, économistes, politologues, sociologues, anthropologues, théologiens, etc. tous veulent définir des termes en se demandant qu'est-ce que le capitalisme ? Qu'est-ce que la finance ? Qu'est-ce que la démocratie ? Qu'est-ce que le socialisme ? Ce genre de plaisanterie, cependant, est plus qu'un jeu avec les mots pour Mutuza qui lui-même est diplômé en finance publique. Les pseudo-descriptions sollicitent littéralement ce genre de manipulations. Qu'il y ait de la place pour jouer avec les mots est signe que les définitions ne collent pas, qu'elles n'ont pas de rapport les unes avec les autres ni avec la réalité, constituant une rhétorique efficace, mais restant bien en-deçà d'énoncés de bonne foi, vérifiables pour leur contenu d'information ou pour leur cohérence dans le contexte.

C'est contre Crahay et les autres définisseurs que Mutuza se lève. Que disent les mots ? Rien du tout en eux-mêmes, répond Mutuza. Pour les autres, les mots laissent une immense question sans réponse. Dans quelle mesure la démocratie telle que la conçoit Mutuza est-elle compatible avec une idéologie conservatrice ou libérale ? Pour dire les choses différemment : comment être démocrate sans en même temps être socialiste ? Dans une culture où se rencontreraient la démocratie et la société, il y a consensus.

Le terme démocratie a beaucoup de valeur que de sens ; il demande une culture sociale. En latin sociétas se réfère à la fois à l'agriculture (agricultura) et à l'esprit. Cicéron désigne la philosophie par le terme animi cultura. L'expression cicéronienne est reprise par Francis Bacon (+ 1626) pour désigner l'activité intellectuelle et la pratique des lettres. Au XVIIe siècle, le juriste allemand Samuel von Pufendorf (+ ?) est le premier à l`employer sans complément, en l'opposant à nature. Cette conception atteint son plus haut degré de précision chez Kant. Il la définit comme un processus : « Produire chez un être raisonnable l'aptitude générale aux fins qui lui plaisent, par conséquent dans sa liberté ». Et il ajoute : « Ainsi seule la raison peut être la fin dernière que l'on a quelque raison d'attribuer à la nature par rapport à l'espèce humaine ». Mutuza cherche à se détacher de cette idéologie occidentale et craint de tomber dans l'historicisme.

L'historicisme conduit à une conception en quelque sorte finaliste de la culture par rapport à la nature dont on trouve le prolongement chez Hegel, qui emploie le mot Bildung (« formation », « éducation ») pour désigner le processus formateur et transformateur de l'esprit. Ici la vérité est limitée dans l'histoire. Point de vérité éternelle. Et si Hegel attribue toujours un caractère universel à la culture, il envisage cependant qu'elle conditionne une vision du monde selon les groupes considérés, contrairement à l'évolutionnisme qui prétend qu'on part du simple vers le complexe. Lessing n'est pas en reste de cette conception pas moins que Hegel et tout le courant du modernisme. Cette nuance entre une conception universaliste et une approche particulariste se retrouve dans les premières définitions formulées par les anthropologues de la fin du XIXeme siècle et du début du XXeme.

La première définition anthropologique de la culture est élaborée par le Britannique Edward Burnett Tylor dans son ouvrage Primitive Culture (la Civilisation primitive) : « La culture, considérée dans son sens ethnographique le plus large, est ce tout complexe qui englobe les connaissances, les croyances, l'art, la morale, la loi, la tradition et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société »(206(*)). La culture est ici envisagée comme regroupant tous les traits humains qui peuvent être transmis socialement et mentalement, plutôt que biologiquement. La définition de Tylor continue d'envisager la culture en l'opposant à la nature. Cette définition est importante pour ouvrir la base de la recherche sur l'appartenance chez Mutuza. On voit le lien entre corps esprit, recherche de la psychologie positiviste. Ce qui veut dire que la culture donne l'identité d'un peuple. C'est d'ailleurs le sens historique d'une telle définition qui biaise la réunion de l'identité et de l'appartenance chez Mutuza qui veut tout traiter sur le plan historiciste.

Comparant l'action des Bahega et des Nande, Mutuza dit que « nous croyons que seule une interprétation historique matérialiste nous permettrait de trouver ici une réponse satisfaisante à cette question. Car selon Marx, l'évolution matérielle et spirituelle de l'humanité est commandée par le système de production et de lutte de différentes classes qui participent à cette production. »(207(*))

S'il existe un lien entre la philosophie politique et du développement de Mutuza, entre sa conception de la société et la politique, c'est bien le rejet de l'historicisme. Sans ce lien-là, ses remarques en passant sur le bon ou le mauvais gouvernement, la politique rationnelle, l'égalité, la justice sociale, la liberté et sa protection, pourraient facilement être prises pour des opinions ad hoc de n'importe quel citoyen profane, bien intentionné et progressiste, dont les années de formation s'étendraient de la Grande dépression au premier Etat-providence et à l' « l'économie mixte » -opinions qui n'ont guère d'ancrage théorique bien visible et qui naissent spontanément d'une sentimentalité mélioriste. Sa position véhémente contre l'historicisme, en revanche, semble fournir un principe unificateur, permettant d'organiser des éléments disparates de diagnostic social en ce qui ressemble à une théorie politique.

S'il y a une bonne dose de l'antihistoricisme, c'est parce que l'ingénierie sociale est impossible pour une raison fondamentale : nous ne pouvons pas consciemment manipuler la société à moins de nous autoriser une hypothèse réfutable sur sa physique. Toute hypothèse de ce genre serait historiciste et, en tant que telle, se révélerait irréfutable(208(*)) et donc dépourvue de sens.

On pourrait le penser, mais on aurait tort. Car loin de désespérer de la chose comme Ngoma Binda pourrait l'attendre de la philosophie de Mutuza(209(*)), celui-ci a beaucoup de confiance dans l'ingénierie sociale. Bien plus, il y voit davantage que le simple tripotage aveugle, aléatoire, une machine qui fait des siennes, que nous comprenions ou non comment elle fonctionne. Avec K. Popper (+ 1994), à la différence de Hayek (+1992), il ne veut pas s'arrêter à la méthode des essais et des erreurs, la méthode que nous sommes sensé utiliser lorsque nous n'avons aucune idée de ce que nous devrions faire. Il est persuadé que nous pouvons en faire davantage.

Bien que se référant à Marx, Mutuza éprouve une immensité de mépris et de haine pour Hegel. Il est sans voix face à la croyance historiciste(210(*)), du moins sans la patience d'expliquer complètement pourquoi l'historicisme, s'il avait été développé par un meilleur philosophe, serait toujours inacceptable pour le rationalisme critique(211(*)). Nous, nous croyons qu'il y a quelque place pour douter qu'il le serait ; car il est possible de lire la politique de Mutuza comme si ce qu'il disait, ce n'est pas que l'historicisme a toujours tort, mais que la question est de savoir comment être un bon historiciste.

Quelle est la différence entre les lois du développement social et le corpus d'hypothèses sur la manière dont la société fonctionne, que l'on jugerait être possible et utile ? Mutuza est-il, ou n'est-il pas historiciste ? Car la différence évidente à savoir que les lois se prétendent vraies alors que les hypothèses qui ont survécues sont des propositions incertaines, qui demeurent à jamais ouvertes à la critique, n'est que la différence fondamentale entre toute connaissance empirique telle qu'on la concevait avant, et toute connaissance empirique du conflit des pays des grands lacs depuis la problématique du Mythe Hima-Tutsi. Mutuza ne nous a pas dit de nous garder des sophismes historicistes parce qu'ils embrassaient une conception fallacieuse, stérilement inductiviste de la connaissance(212(*)).

Citoyen Mutuza, comme tout philosophe, sait contourner les difficultés en objectant à la science coloniale d'avoir raisonné sur une matière, le développement de l'Afrique et la protection des minorités africaines, faite d'événements uniques et singuliers comme s'ils étaient répétables et productibles. La vie de la société bantoue, comme d'ailleurs de toute société, son tissu social, ne se prêtait pas davantage à une théorisation expérimentale dans sa version inductiviste, pré-poppérienne, qu'elle ne le fait dans sa version poppérienne ou museyenne. Or, en prônant une technologie sociale, Mutuza semble affirmer que Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre serait parfaitement applicable à l'évolution sociale, que nous pourrions comprendre, prédire et façonner.

Mais alors pourquoi la prophétie historique sans fondement est-elle fausse, et la prédiction sociale et l'intervention qui se fonde sur elle, rationnelle et digne d'être encouragée ?

La réponse semble être que même la prophétie historique a raison lorsqu'elle prédit correctement. « Nous croyons que seule une interprétation historique matérialiste nous permettrait de trouver une réponse satisfaisante à cette question »(213(*)). Et c'est précisément ce qui est arrivé avec le dialogue inter-congolais. En fait, Mutuza avait prédit que cela se passerait. Et il nous faut dire que c'était vrai. Mais si l'historicisme n'a épistémologiquement aucun sens, est-ce que ce n'est pas pour de mauvaises raisons, par pur hasard qu'il ne s'est pas trompé ? Ou alors, est-ce que ça n'a plus d'importance ?

La croyance en une technologie sociale(214(*)) est incontestablement une croyance en une forme d'historicisme. Cependant, comme les termes que Mutuza utilise pour caractériser l'historicisme d'une part, la technologie sociale de l'autre sont quelque peu irréversibles (pile la prophétie déterministe, face à un ensemble d'hypothèses prédictives accessibles au test), on peut avoir l'impression qu'ils sont à des années-lumières l'un de l'autre. Mais ce n'est le cas que la même opération linguistique soit décrite par Mutuza comme une métaphysique comme une science réfutable, selon Musey, suivant qu'elle prédit, ou pourquoi, ou dans combien de temps.

Dans le fond, l'historicisme traite l' « histoire » comme une suite d'événements (« l'évolution sociale ») qui affichent certaines régularités, plus faciles à prévoir que d'autres. Cette conception peut être rapportée à l'hypothèse inductiviste, essentiellement non-humienne(215(*)) qui affirme que les événements connus du passé constitueraient un corpus suffisant d'informations factuelles pour qu'on puisse en tirer des extrapolations valides en ce qui concerne les événements à venir, même quand les événements passés et à venir sont des événements singuliers, étant de caractère historique, c'est-à-dire unique et non reproductible. En conséquence, l'histoire ou l'évolution sociale auraient des lois qui pourraient être facilement découvertes et utilisées.

Pour l'historiciste estampillé marxiste, l'ingénieur social peut bien faire ce qu'il fait. Il peut s'appliquer dans le sens des « lois du développement social » au lieu d'essayer de les entraver. C'est la thèse de l'  « impuissance de la politique ». S'affairer pour occasionner des changements sociaux qui doivent arriver de toutes les façons est d'une utilité limitée (au mieux, cela peut atténuer les « douleurs de l'accouchement »), alors que le faire pour entraver le cours nécessaire de l'histoire est futile et contre-productif.

Profondément ancré dans cette perspective universaliste et envisageant l'« Histoire avec grand H » au singulier comme synonyme de la « civilisation », Mutuza considère que les différences dans les champs de la connaissance, des coutumes et des croyances témoignent des différences de degré d'avancement entre les sociétés. Considérées sur une échelle de progrès définie en fonction de la complexité relative de la technologie et des institutions sociales, ces différences sont en effet imputables au niveau de développement mental atteint biologiquement par les populations considérées. L'anthropologie se doit de classer les différentes cultures observées selon un continuum allant du type le plus simple au plus élaboré, comme le dit Tylor à propos de la culture. Ainsi comprise, l'Histoire avec grand H n'existe pas(216(*)).

Au début du XXe siècle, Franz Boas fournit une première critique de cette compréhension pour imposer une approche résolument particulariste de la culture. L'anthropologue américain d'origine allemande affirme que les formes et les modes de vie des hommes n'évoluent pas selon un modèle linéaire et en fonction du niveau de leur développement mental. Elles sont les produits d'un processus historiques locaux.

On peut citer Mutuza : « Contrairement à l'attitude de tous les Etats du monde, qui ont plutôt tendance, en pareil cas, de n'accorder aux minorités que moindre autonomie possible, dans la crainte de favoriser leur expansion et leurs entreprises, l'Etat Zaïro-congolais a encouragé la minorité ethnique rwandaise à imposer sa loi à la majorité nationale dans le Kivu-Maniema. Cette situation, il ne fallait pas être prophète pour le prédire, est une bombe qui devait exploser tôt au tard. »(217(*))

Mutuza indique que c'est le tour de passe-passe lorsqu'elle est à grande échelle. La science coloniale lorsqu'elle porte sur la minorité (cette dernière étant testée par le succès ou l'échec à un coût raisonnable). Mais le mot clé de la minorité, dans ce contexte signifie détail. Le détail ici n'est rien d'autre qu'un procédé-clé pour se dispenser de répondre à la question.

Autant que nous eussions pu nous en assurer, citoyen Mutuza ne définit nulle part ce que c'est qu'une minorité. Lire le mot comme s'il se rapportait à l'ampleur des chantiers de réformes serait évidemment erroné. Pas à pas ou petit à petit, tout cela est bien trop subjectif et réversible pour laisser dire d'une mesure sociale si c'est ou non une mesure de détail.

En fait, Mutuza emploie le mot comme synonyme de « testable ». Un acte « détaillé » d'ingénierie sociale est un acte dont nous pouvons discerner et juger les effets dans un avenir fini, de préférence avant que nous ne soyons tous morts. On peut supposer qu'il est économique, dans les termes de l'analyse coûts-avantages et risque que nous encourions si elle échoue. Si c'est ainsi que nous devons comprendre et utiliser le terme minorité, le détail, c'est une pétition de principe, préjugeant de la question qu'elle est sensée résoudre. L'ingénierie sociale est « détail » lorsqu'elle est testable. Elle est testable lorsqu'elle est « le détail » ; la technologie sociale est testable lorsqu'elle est détail.

Quant à Mutuza le concept de minorité dans la population congolaise est sans fondement. Il ne l'utilise presque pas. Il pense que minorité et race sont des termes réversibles. On peut utiliser l'un à la place de l'autre. Pour la RD Congo, il croit que s'il y a une population qui se déclare minorité, elle est, de son avis, étrangère et, par conséquent, dangereuse pour le développement. C'est pourquoi il déclare étrangers les Tutsi parce qu'ils s'appellent minorité. Sa patience pour l'étude historiciste lui permet de déclarer tout haut l'inutilité de s'attarder à ce terme de minorité. Ou on appartient et on s'appartient, ou bien on cherche l'inclusion et la miction nuisible à la mixtion de la culture de cette société globale, la RD Congo. C'est là son antihistoricisme méthodologique.

Pour l'antihistoriciste conséquent, l'ingénierie sociale devrait être impossible pour la raison fondamentale que nous ne pouvons pas consciemment manipuler la société à moins de nous autoriser une hypothèse réfutable en `physique'. Mais toute hypothèse de ce genre serait historiciste et, en tant que telle, se révélerait irréfutable et donc dépourvue de sens, à la manière poppérienne.

Le processus historique est déterminé non seulement par les conditions environnementales dans laquelle vit la société en question, mais également par les contacts qu'elle entretient avec les sociétés avoisinantes. Par conséquent, plutôt que de comparer des institutions observées dans différentes sociétés, les anthropologues doivent, selon Franz Boas, analyser en priorité les éléments d'une culture dans le contexte de la société étudiée(218(*)).

Cette perspective particulariste et relativiste de la culture donne naissance au milieu du XXeme siècle à l'école culturaliste américaine, connue également sous le nom de « Culture et personnalité » et représentée notamment par Margaret Mead, Ruth Benedict et Ralph Linton. L'école culturaliste, qui établit le premier lien entre l'anthropologie et la psychanalyse, envisage la culture dans une perspective holiste219(*), où l'individu forme un tout indivisible qui ne peut être expliqué par ses différentes composantes appréhendées séparément. C'est le juste milieu entre l'approche cognitiviste et l'approche historiciste qui donne les matériaux d'une anthropopsychanalyse et permet d'atteindre un antihistoricisme.

Une ligne forte dans la pensée de Mutuza paraît exprimer un antihistoricisme cohérent, au sens de dilemme. Dans sa théorie sociale, Les fondements culturels du Fédéralisme au Zaïre, il donne une place d'honneur aux conséquences non désirées et non prévues de l'action humaine. Ce sont ces conséquences qui font de la théorie sociale un domaine distinct de recherche et qui l'empêchent de s'effondrer en une sorte de « psychologisme méthodologique ». Il est conscient du caractère « peu maniable, persistant ou fragile du tissu social, sa résistance aux tentatives que nous faisons pour le façonner »(219(*)), - perspective bien peu favorable, pourrait-on penser, pour entreprendre des travaux de réfection prétendant justement le refaçonner.

Dans ce cadre, l'individu est entièrement façonné par la culture du groupe dont il est issu -- par le biais de l'éducation ou de l'initiation--, jusque dans sa personnalité, ses comportements, sa vision du monde. Le relativisme culturel apporte ainsi une réponse directe aux thèses racistes de l'époque, qui reposent largement sur les postulats évolutionnistes qui font passer les animaux aux stades des primitifs, les primitifs au stade de prélogiques, les prélogiques au stade des sauvages, les sauvages au stade des pauvres, les pauvres au stade des tiers mondes, les tiers mondes au stade des envoies du développement, de ceux-ci aux endettés, etc.

Dans une interprétation holistique du langage, on se demande comment les mots peuvent-ils signifier ce qu'ils signifient ? Des conditions de vérité déterminent la signification, et le sens d'une phrase dépend de sa relation avec les autres phrases. Donald Davidson (+ 2003) essaie de dégager une théorie de la signification à partir d'une théorie de la vérité devant suffire à l'interprétation-compréhension d'ensembles (holisme) de phrases énoncées dans un langage naturel, et non des propositions logiques indépendantes. Pour les interpréter, nous devons être capables d'y distinguer, dans la trame même des assentiments que nous leur donnons, les rôles joués par la croyance et la signification afin d'éliminer les confusions. On applique alors un « principe de charité » consistant à présupposer vraies les croyances et la rationalité des interlocuteurs. Et c'est en pratique, au fil de la conversation, que l'interprète ajuste instantanément sa théorie interprétative. La théorie n'est pas figée.

Décrire l'action est un mouvement corporel et rationnel. Elle est intentionnelle si l'agent a des raisons (croyances, désirs, etc.) et s'il y a au moins une raison qui en est cause. Une cause est un événement qui en produit un autre, qui en est l'effet. L'existence d'une relation causale entre deux événements est indépendante de la manière dont ils sont décrits, et peut être énoncée même si l'on ne connaît pas la loi empirique sous laquelle les événements sont subsumés.

Une hypothèse faite sur les conséquences probables d'une mesure de politique publique appartient à la technologie sociale lorsqu'elle est exposée au test du succès ou de l'échec. Elle est du tour de passe-passe lorsqu'elle ne l'est pas. Mais les deux sont historicistes en ce qu'elles présupposent une science de la société, la possibilité de savoir ce qui lui fait faire un mouvement dans un sens ou dans un autre. La démocratie africaine des pays des grands lacs libérera les populations lacustres relève du tour de passe-passe, parce qu'il n'y a pas de test envisageable pour nous dire si les Congolais ont été libérés ou pas. Cependant une analyse de corrélations multiples de ce genre est d'une difficulté notoire, et ne livre que rarement des résultats clairs.

Le manque de fiabilité des corrélations, n'est ni aggravée ni atténuée par l'étendue des phénomènes sociaux que nous lions par une relation de cause à effet. L'ingénierie sociale par la zaïrianisation de l'industrie n'est pas une réforme de détail au sens de petit à petit, prudente et hésitante. Il est impossible de le faire autrement qu'avec audace, par panzentiers si ce n'est d'un seul coup. Son statut n'est pas différent en termes de la philosophie faillibiliste de la connaissance, des « droits » de douane ou des avantages « sociaux ». Ses effets ne sont pas moins difficiles à évaluer avec une quelconque confiance. Les Mots et les Choses décrivent les mutations épistémiques, qui, de la Renaissance à l'âge industriel, ont rendu possible l'apparition des « sciences humaines ». Foucault s'attache ici à décrire celle qui, au tournant de l'âge classique, affecte particulièrement le statut du langage, alors qu'à la Renaissance, le langage imprégnait le monde dont il se distinguait à peine, comme s'il en était une émanation. A l'âge classique il devient l'expression directe de la pensée. Devenu purement instrumental et fonctionnel, le langage exprime la pensée, sans décalage, sans opacité, au point qu'on vient presque à en oublier l'existence.

Les mots ont reçu la tâche et le pouvoir de « représenter la pensée ». Mais représenter ne veut pas dire ici traduire, donner une version visible, fabriquer un double matériel qui puisse, sur le versant externe du corps, reproduire la pensée en son exactitude. Représenter est à entendre au sens strict : le langage représente la pensée, comme la pensée se représente elle-même. Il n'y a pas, pour constituer le langage, ou pour l'animer de l'intérieur, un acte essentiel et primitif de signification, mais seulement, au coeur de la représentation, ce pouvoir qu'elle détient de se représenter elle-même, c'est-à-dire de s'analyser en se juxtaposant, partie par partie, sous le regard de la réflexion, et de se déléguer elle-même dans un substitut qui la prolonge.

À l'âge classique, rien n'est donné qui ne soit donné à la représentation ; mais par le fait même, nul signe ne surgit, nulle parole ne s'énonce, aucun mot ou aucune proposition ne vise jamais aucun contenu si ce n'est par le jeu d'une représentation qui se met à distance de soi, se dédouble et se réfléchit en une autre représentation qui lui est équivalente. Les représentations ne s'enracinent pas dans un monde auquel elles emprunteraient leur sens ; elles s'ouvrent d'elles-mêmes sur un espace qui leur est propre, et dont la nervure interne donne lieu au sens. Le langage est là, en cet écart que la représentation établit à soi-même. Les mots ne forment donc pas la mince pellicule qui double la pensée du côté de la façade ; ils la rappellent, ils l'indiquent, mais d'abord vers l'intérieur, parmi toutes ces représentations qui en représentent d'autres. Le langage classique est beaucoup plus proche qu'on ne croit de la pensée qu'il est chargé de manifester ; mais il ne lui est pas parallèle ; il est pris dans son réseau et tissé dans la trame même qu'elle déroule. Non pas effet extérieur de la pensée, mais pensée elle-même.

Le refus de définir ses ensembles en compréhension rend difficile les assertions de Mutuza sur les explications qu'il donne de l'action humaine. Et, par là, le langage se fait invisible ou presque. Mutuza pense que le langage est en tout cas devenu si transparent à la représentation que son être cesse de faire problème. Mais il oublie que la Renaissance, à laquelle il se réfère, s'arrêtait devant le fait brut qu'il y avait du langage : dans l'épaisseur du monde, un graphisme mêlé aux choses ou courant au-dessous d'elles; des sigles déposés sur les manuscrits ou sur les feuillets des livres. Et toutes ces marques insistantes appelaient un langage second -- celui du commentaire, de l'exégèse, de l'érudition --, pour faire parler et rendre enfin mobile le langage qui sommeillait en elles. L'être du langage précédait, comme d'un entêtement muet, ce qu'on pouvait lire en lui et les paroles dont on le faisait résonner. À partir du XVIIeme siècle, c'est cette existence massive et intrigante du langage qui se trouve élidée. Elle n'apparaît plus celée dans l'énigme de la marque : elle n'apparaît pas encore déployée dans la théorie de la signification. À la limite, on pourrait dire que le langage classique n'existe pas. Mais qu'il fonctionne. Toute son existence prend place dans son rôle représentatif, s'y limite avec exactitude et finit par s'y épuiser. Le langage n'a plus d'autre lieu que la représentation, ni d'autre valeur qu'en elle : en ce creux qu'elle a pouvoir d'aménager.

Par là, le langage classique découvre un certain rapport à lui-même qui jusqu'alors n'avait été ni possible ni même concevable. À l'égard de soi, le langage du XVIeme siècle était dans une posture de perpétuel commentaire : or, celui-ci ne peut s'exercer que s'il y a du langage, -- du langage qui préexiste silencieusement au discours par lequel on essaie de le faire parler. Pour commenter, il faut le préalable absolu du texte. Et inversement, si le monde est un entrelacs de marques et de mots, comment en parler sinon sous la forme du commentaire ? À partir de l'âge classique, le langage se déploie à l'intérieur de la représentation et dans ce dédoublement d'elle-même qui la creuse. Désormais, le Texte premier s'efface, et avec lui, tout le fond inépuisable des mots dont l'être muet était inscrit dans les choses. Seule demeure la représentation se déroulant dans les signes verbaux qui la manifestent, et devenant par là discours. À l'énigme d'une parole qu'un second langage doit interpréter s'est substituée la discursivité essentielle de la représentation : possibilité ouverte, encore neutre et indifférente, mais que le discours aura pour tâche d'accomplir et de fixer. Or, quand ce discours devient à son tour objet de langage, on ne l'interroge pas comme s'il disait quelque chose sans le dire, comme s'il était un langage retenu sur lui-même et une parole close. On ne cherche plus à faire lever le grand propos énigmatique qui est caché sous ses signes. On lui demande comment il fonctionne : quelles représentations il désigne, quels éléments il découpe et prélève, comment il analyse et compose, quel jeu de substitutions lui permet d'assurer son rôle de représentation. Le commentaire a fait place à la critique(220(*)). Le « monisme anomal(221(*)) » est la théorie du monisme anomal développée par Donald Davidson identifie les événements mentaux aux événements physiques (monisme), tout en niant qu'il y ait des lois mentales ou psychophysiques (anomisme(222(*))). Elle résulte de la distinction effectuée d'une part entre les événements particuliers (mentaux et physiques) et leur description et d'autre part entre les relations et les lois causales.

La rationalité est un trait social que seuls possèdent les communicateurs. Dans ce cadre, certains anthropologues et sociologues (Tshungu et Kabuya Lumuna) proposent comme priorité l'analyse des confrontations et des articulations entre les différentes valeurs et pratiques qui sont propres aux différents individus et groupes au sein d'une même société. De cette manière, il s'agit de comprendre comment ces valeurs contradictoires peuvent parfois s'articuler pour donner naissance à d'autres valeurs et d'autres pratiques. Dans cette perspective la culture bantoue est davantage perçue comme un processus.

Cette idée est notamment développée par l'anthropologue américain Sally Falk Moore ou comme un flux (R. Fox), chez les Tutsi(223(*)).

Dans le contexte de la mondialisation, anthropologues, tels que Ulf Hannertz, insistent sur la nécessité de se concentrer sur les phénomènes de métissage(224(*)) des cultures (« créolisation »). Grâce aux flux plus nombreux et plus intenses de personnes, de biens et de valeurs, les individus d'une société donnée ont accès à plusieurs autres espaces culturels. Empruntant des éléments au sein de ces autres cultures et les adoptant au sein de la leur, ils participent à la créolisation de cette dernière. C'est ce que nous appelons appartenance.

Section 4. Philosophie de l'Etat

§1. Pouvoir politique

Les catégories conceptuelles les plus usitées pour les phénomènes d'effervescence politique se veulent sous une forme ou sous une autre, initiateurs d'un âge d'or (RDC eloko ya makasi). Elles sont d'une part la distinction entre le messianisme et la conscience vocationnelle ; d'autre part, la disjonction entre les traditions ya Bantu et le colonialisme.

Cette distinction a alimenté des controverses. Elle connote deux caractéristiques, touchant un processus social d'intervention et une conception théologique de la grâce. Les Tutsi n'ont eu à être populairement connus en R.D. Congo que sous le régime afdelien. Mutuza dénonce le méfait du pouvoir politique et annonce sa philosophie politique.

Cela ne fut connu et identifié clairement que pendant la transition, Un Plus Quatre ; ce n'était qu'en ce temps là(225(*)) que les Hima-Tutsi ont eu le privilège de renforcer leur mythe. Cette fois là en se faisant passer pour des êtres intelligents. Nous savons par d'autres sources qu'être Tutsi ne signifiait pas appartenir à cette ethnie. C'est être évolué. Et l'ouvrage du philosophe congolais, avec ses révélations, fut mal accueilli par ceux des Congolais qui désapprécient la valeur de leur intelligentsia. Quant aux Hima-Tutsi, l'ouvrage est lu comme un oktoèque ou paraclitique(226(*)).

Selon le journal Numerica (Les Documents), on y lit A la une : « Mutuza Kabe a précédé l'histoire en conjurant l'AFDL dès août 1997 »(227(*)). Et Etoile, avec le problème de la guerre à l'Est de la RD Congo, reprend que « depuis plus d'une décennie, notre pays, la RDC, est devenu un champ de bataille le plus meurtri du monde par le nombre de morts, par le sadisme et le cynisme avec lesquels les hommes sont traités avant d'être tués, assassinés ou égorgés. Pourquoi tant de morts ? Pourquoi tous ces actes de barbarie et de sauvagerie qui banalisent la vie humaine, mais qui laissent indifférentes la communauté internationale ? »(228(*)).

En réponse à l'interrogation du journal, Mutuza nous apparaît comme un nouveau Cicéron qui, philosophe, a su bien concilier philosophie et action politique. Cependant, il n'est pas écouté. L'allusion est plein de sens. Mutuza est victime de ce qu'il est en lui-même.

Ainsi, les sociétés totalement nationalisées, celles de colons où l'État métropole est seul actionnaire -- présentent un particularisme : leur conseil d'administration est composé de représentants de l'État, de représentants des salariés, voire de représentants d'usagers. Le particularisme est encore fort, même dans les sociétés où l'État détient seulement une participation majoritaire : ces sociétés furent certes régies entièrement par la loi de la Conférence de Berlin en 1884. Leur Conseil d'Administration dut obligatoirement comprendre les représentants des salariés, et la Cour des comptes exerça sur elles un contrôle. À l'inverse, les sociétés privatisées furent, en principe, soumises au statut de droit commun des sociétés privées. L'État belge put les maintenir sous sa coupe par divers moyens. Il put ainsi s'octroyer le droit de nommer un administrateur, de contrôler les cessions d'actions importantes ou de s'opposer à certaines cessions d'actifs.

L'Etat belge se donnait le devoir de protéger les étrangers au Congo. Les Belges et les Tutsi qui vécurent sur son sol furent donc des sujets à protéger. Par là il fallait inculquer aux Tutsi un complexe de supériorité.

La rencontre fut riche mais destructrice. Riche, parce que les nomades tutsi apprirent le sédentarisme. Ils furent instruits par les Bantous sur le sens du respect de l'humain. L'humanisme bantou leur fut enseigné. L'âme tutsie n'a pas su s'en imprégner. Destructrice, à cause du manque moral des Tutsi et de leur vide d'appartenance au grand ensemble Congo. N'appartenant pas dans cet ensemble ils veulent l'inclusion par une entrée forcée, eux comme un ensemble, dans la RD Congo. C'est leur raison d'agir comme des domptés de leur activité qui fait d'eux ce qu'ils sont par la reconnaissance de leur maîtres. Dire que les Tutsi sont comme ceci ou comme cela ne justifie pas leur mode de vie.

C'est pourquoi nos raisons d'agir sont à traiter comme des causes de nos actions, et nos intentions sont des désirs ou des croyances. Si une cause mentale interne à un esprit unique ne peut être considérée comme une raison, il y a alors irrationalité. Il nous faut admettre que cet esprit est cloisonné en « territoires ». Si un agent intempérant maintenant deux prémisses contradictoires (appartenant chacune à un « territoire ») agit à l'encontre de ce qu'il juge être le meilleur, il est irrationnel. Les causes de son action ne sont pas ses raisons (rupture entre rationalité et causalité). En fin de compte, la rationalité est un trait social que seuls possèdent les communicateurs.

Les effets sur le « tissu social » sont testables ou ils ne le sont pas, quelle que soit l'échelle des expériences de l'ingénieur social. Si les petites comme les grandes sont également testables, elles ont toutes leur place dans la boîte à outils de la technologie sociale, où certains outils peuvent être grands et costauds, et d'autres fins et délicats. Lorsque Mutuza parle de minorité en terme de détail, ce qu'il entend est « exposé au test de l'expérience », ou « à juger d'après le succès ou l'échec de son application. Il ne veut pas dire « petit » par opposition à « grand », « graduel » par opposition à « immédiat », sauf dans la mesure où cela signifie en fait qu'elles sont testables.

Il suffit de réfléchir à quelques-uns des rôles que nous devrions attendre de l'Etat: « l'Etat a pour fonction essentielle d'assurer aux individus dont il a la charge les conditions matérielles de la vie avec le bien nécessaire à la moralité. Il doit pour cela garantir aux pays la sécurité intérieure et extérieure. Détenant, dans la nation, l'autorité suprême, l'Etat doit avoir à son service des forces telles qu'aucune autre puissance ne puisse lui résister victorieusement. Par suite, il doit exclure les particuliers des fonctions qui leur donneraient la maîtrise absolue de la nation, ou prendre les mesures nécessaires pour les empêcher de nuire. Mais d'une manière générale, la mission de l'Etat est de ` promouvoir, d'harmoniser et de contrôler toutes les activités nationales sans s'y substituer' »(229(*)). C'est nous qui soulignons ces lignes. Il s'agit d'anéantir les forts et de redresser les faibles

« Fort », « faible », et tout spécialement « inéquitable » sont des mots élastiques. Pour certains l'institution même de la négociation collective suffit à rendre équitables tous les contrats de travail ; pour d'autres, ils sont tous inéquitables parce qu'ils laissent de la place pour l'exploitation. Ces termes essentiellement subjectifs, chargés d'affects, n'ont de sens admis, ne font l'objet d'un consensus qu'au sein d'une « communauté de discours » homogène, à savoir les démocrates sociaux. Le contenu normatif de ces expressions est indéterminé. Elles peuvent être légitimement une intervention virtuellement illimitée au nom des faibles, et pour rétablir d'équité. La vie sociale, quelque institution que l'on ait pu construire pour la canaliser, reproduit sans cesse des conditions que l'on peut décrire comme la faiblesse pour les uns, et la force pour les autres. Le caractère inéquitable des accords qu'ils pourraient faire passer si on les livrait à eux-mêmes en produirait autant. Ces descriptions sont, bien entendu, impossibles à tester. Elles peuvent engendrer littéralement n'importe quelle prescription politique, y compris l'Etat.

§2. Exigences politiques et les crédos mutuzistes

Ce double mouvement affleure dans la philosophie sociale de Mutuza. Comment cette conception de Mutuza du passé se conjugue-t-elle avec la projection de l'avenir ? C'est ce que suggèrent les crédos exigences normatives du pouvoir politique. En pratique, des normes de politique publique sont contraintes suivant les cas, par les sens que le consensus donne à la force, à la faiblesse, etc. L'Etat, en d'autres termes, a un mandat mutuziste pour faire ce que le consensus (à travers son interprétation de ce qui serait faible, fort, équitable, etc.) lui demande de faire.

Quel est, dans ce cas, le contenu réel de ce genre de commandements ? Comment les transcrit-on en contraintes définies, en normes pour l'action politique ? Elles sont vides de sens, dans la mesure où l'on peut dire de tout Etat, quel que soit son rôle, qu'il s'y conforme, à condition que le « consensus » soit opportunément défini comme : « ne pas s'écouter parler, mais de prendre part à la parole »(230(*)), accord minimal avec ce que les hommes de l'Etat sont en train de faire. Si cette approbation était insuffisante, l'Etat devrait évidemment changer de registre, puisque c'est cela que signifie le mot minimal dans ce contexte. Un consensus démocrate-social ne manquerait pas d'engendrer des politiques démocrates-sociales. Si le consensus se trouvait être « néoconservateurs », « libertarien » ou « nouvelle-Gauche », l'Etat adopterait vraisemblablement les mesures correspondantes, reflétant le sens très différent que l'on donnerait à la « protection des faibles » et à ce qui est « équitable ».

Cependant, on ne nous a toujours pas expliqué pourquoi et comment le consensus des hommes de volonté porte à la démocratie sociale plutôt qu'au conservatisme, au libéralisme, au socialisme...

Le consensus démocrate-social reste difficile à identifier. Quand les institutions démocrates-sociales ne sont-elles ni « trop à gauche » ni « trop à droite » mais se situent dans le centre? Dans quel sens précis répondraient-elles à la demande d' « équité » et de « protection pour les faibles » ? A un certain moment Mutuza demande une assurance obligatoire pour l'invalidité, le chômage, sans parler de vieillesse, et les moyens d'existence statutairement garantis pour quiconque est disposé à travailler. Une réversibilité évidente caractérise des détails terre-à-terre de ce genre : quel est le niveau de prestation qui constitue une assurance suffisante contre le risque en question ? Et que signifie « améliorer leur standard de vie, ...Mais qu'allons-nous faire de ces moyens ? Qu'en fait aujourd'hui l'Europe qui les a inventés et mis en oeuvre ? »231(*), -et qu'est-ce qui passe pour des moyens d'existence ? Certes, toutes les normes de ce qu'un Etat devrait faire ne sont pas facilement quantifiables. Tous ne peuvent pas être traduits en engagements précis. Et il n'y a que des engagements précis dont on puisse dire que les hommes d'Etat les ont respectés, ou ne l'ont pas fait, ou qu'ils ont outrepassé leurs pouvoirs. Sinon ces affirmations ne seraient que vague rhétorique, de simples assertions irréfutables. Par conséquent, même en condescendant à sortir des nobles généralités, à passer de planifier, étape par étape, des institutions qui préserveront la liberté, particulièrement la protection contre l'envahissement tutsi... au niveau plutôt ennuyeux des institutions concrètes que nous devons construire pour y parvenir, on ne préserve pas le discours mutuziste du danger de se faire retourner pour justifier quasiment n'importe quelle position, et s'y faire mettre n'importe quel contenu empirique, même si l'intention de départ était manifestement de verser dans la démocratie sociale modérée.

Les thèses de Mutuza sont présentes au travers de ses oeuvres (Ethique et développement, plus précisément dans Les fondements culturels du fédéralisme). Il a également écrit Le dialogue intercongolais (2002).

On pourrait le penser. Car, loin de désespérer de la chose comme nous pourrions l'attendre de l'évaluation des concepts, Mutuza a confiance dans l'ingénierie sociale.

Il reste à noter qu'après avoir placé notre confiance dans l'ingénierie sociale, fondée sur la possibilité d'une technologie sociale évolutionniste, il ne serait guère logique d'imposer à son domaine d'action une sorte de limite d'origine extérieure. Agir ainsi serait présupposé que, même si la technique est bonne, il y aurait quelque chose de meilleur au-dessus d'elle, une source de connaissance qui l'emporte sur la technologie elle-même. Une technologie sociale est fonction de la culture de l'ingénieur social.

Franz Boas (+ 1942) a tenté mieux que quiconque de parler de la culture dans sa version factuelle. Tout en se fondant sur les théories de Franz Boas, le courant de pensée culturaliste s'en détache cependant en essayant de nuancer sa définition de la culture. Ainsi, au début des années 1950, Alfred Kroeber (+1960) et Clyde Kluckohn tentent-ils de recenser l'ensemble des définitions de la culture dans l'espoir de proposer une approche plus comparative. L'anthropologie culturelle américaine demeure toutefois très imprégnée de la conception boasienne de la pluralité des cultures, l'analyse de la culture d'une société ne s'effectuant qu'en référence à elle-même avec son ingénierie.

C'est pourquoi certain a pensé que si la technologie laisse entendre que d'après le bilan factuel, il est possible de faire le bien quelque part, il serait étrange de déclarer qu'il faudrait quand même mieux ne pas le faire. Il s'ensuit tautologiquement de l'idée même d'une technologie sociale que si l'on s'attend à ce que le bilan coût-avantage d'une politique, il est préférable de la mettre en oeuvre et non de l'abandonner. Dans cette optique, il est difficile d'interpréter la mise en garde du citoyen Mutuza contre le fait de chercher à faire le bonheur des gens, ou à réaliser certaines valeurs qui leur sont chères, dont on ne doute pas qu'elles le seront une fois réalisées.232(*) Et de toutes façons, redresser les torts, apaiser la souffrance ne contribue-il pas au bonheur des gens ? Où peut-on dire que l'un s'arrête et que l'autre commence ?

Il semble y avoir une sorte d'incohérence entre l'appel à l'ingénierie sociale et la mise en garde contre l'ambition de la Communauté internationale de faire le bonheur des gens. Pourrait-on la surmonter en faisant valoir qu'un mandat pour rendre les gens heureux risque trop qu'on l'interprète comme autorisant à forcer les gens pour leur bien, -de sorte que la technologie devrait être assortie d'une contrainte, de peur qu'elle ne soit employée pour « faire le bien par la force » ? Quelque interprétation de ce genre, aussi tirée par les cheveux qu'elle soit, pourrait lier la contrainte de Mutuza « contre le bonheur » à la règle de J. S. Mill (+ 1873) interdisant de forcer les gens pour leur bien. Cependant, le corollaire de la règle de Mill est que c'est mal -moralement, déontologiquement mauvais, et pas seulement voué à l'échec, dangereux, inopportun ou inefficace- de forcer les gens si ce n'est pas pour les empêcher de faire du mal à autrui.

Il n'y a aucune trace visible d'une telle règle déontologique dans l'oeuvre(233(*)) de Mutuza. Contre la tendance potentiellement totalitaire à forcer les gens à être heureux, sa position est, pour autant qu'on puisse en juger, conséquencialiste, tout comme l'intégralité de son ingénierie sociale. Si l'ingénierie sociale représente quelque chose, c'est une suite de décisions politiques qui conduisent les gens à consacrer leurs efforts et leurs biens à d'autres fins qu'ils ne le feraient si on leur permettait de faire comme ils le jugent bon. La coercition à laquelle ils sont soumis est d'un genre que Mill n'aurait pas jugé défendable(234(*)) ; elle est en revanche positivement bienvenue dans la pensée politique de Mutuza, où la question de sa justification ne se pose pas, la simple raison étant que pour Mutuza le conséquencialiste, le bilan « globalement positif », l' « avantage net », légitime ipso facto l'emploi de la force pour y parvenir. Si le « bilan » est correctement calculé et le « coût » correctement estimé, ils prennent déjà en compte le caractère indésirable de la coercition, lequel n'a tout simplement pas assez de poids. Dans ce cas, il n'y a aucun besoin de quoi que ce soit d'autre pour légitimer, pour ainsi dire, au second tour. Que l'Etat ait « la mission de `promouvoir, d'harmoniser et de contrôler toutes les activités nationales sans s'y substituer'(...) ; et ne doit pas limiter ses préoccupations aux intérêts matériels (...), (il) doit collaborer au triomphe des valeurs supérieures et universelles sur les valeurs purement individuelles... »235(*) est une demande qui stipule que l'Etat fasse le bien, évite le mal, et dans cette manière de penser, cette demande est une question qui n'a plus de sens.

Il faut attendre les années 1990-2000 pour voir émerger des critiques qui remettent véritablement en cause l'idée de culture comme un ensemble cohérent et homogène. Les politiciens congolais marxistes, ainsi que les militants nationalistes, soulignent que le pays est dirigé par les étrangers. Cela masque en réalité les clivages entre les classes, les genres et les différentes idéologies qui s'affrontent dans la société congolaise. Des chercheurs tels que l'anthropologue Gudijiga s'insurgent sur le caractère réifiant de la culture qui, en homogénéisant et en donnant une vision statique des groupes humains, leur confère une altérité radicale et parfois déshumanisante(236(*)).

Il pense que la Communauté internationale, les Nations unies, avec ou sans la bonne foi, se force à apporter de l'aide. Elle force les autres à être heureux. Un des thèmes majeurs de cette conception mutuziste est cette découverte de l'ingénierie sociale. C'est ainsi que Mutuza a pris coutume d'énoncer des jugements normatifs en termes des conséquences qu'il désire obtenir. La démocratie doit permettre aux gouvernés de remplacer les dirigeants et de brider le pouvoir économique. Nos institutions doivent empêcher l'exploitation de moins doués, des moins impitoyables, ou des moins chanceux, empêcher même de mauvais dirigeants de faire trop de dégâts. La vie politique doit être expurgée du crime de l'anti-égalitarisme qui donnerait à certains hommes le droit de se servir des autres comme d'un instrument. L'ingénierie sociale doit améliorer notre vie et rendre nos institutions économiques et sociales plus efficaces.

Il n'y a aucune trace visible d'une telle défense dans l'oeuvre de Mutuza contre la tendance potentiellement totalitaire à forcer les gens à être heureux. Un des thèmes politiques caractéristiques de son Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre est une forte recommandation de limiter l'étendue du pouvoir et l'ambition de nos objectifs politiques : c'est ce qui conduit bien des libéraux (à la différence des Liberals américains) à considérer Mutuza comme l'un des leurs(237(*)). Tenter de réaliser le paradis sur terre amène immanquablement l'enfer... il faut tenir pour un devoir de lutter contre la souffrance, mais le droit de se soucier du bonheur des autres doit être limité au cercle étroit de leurs amis.

Cependant, si l'on prenait cette injonction pour la description d'une limite au domaine légitime de la politique, on serait forcement déçu. Lutter contre le mal et la souffrance, voilà bien une description parfaitement réversible de l'action politique, cela veut dire ce que le consensus souhaite que cela signifie, et de même la recommandation de ne pas chercher à faire le bonheur des gens(238(*)).

En tout cas, avant d'interpréter Mutuza comme un partisan du gouvernement limité, des limites au pouvoir d'Etat et au domaine du choix collectif, il faudrait réconcilier ces contraintes avec exigences déterminées qu'il adresse, ou juge que les citoyens peuvent légitimement adresser, à l'Etat et par implication les uns aux autres(239(*)).

Mutuza est un nominaliste, il réduit les êtres et les choses et leur nature à l'état de masse informe par les actes de foi suspects, par des pétitions de principe dangereuses. Nous sommes tous nominalistes par naissance, et en tant que nominalistes, nous avons tendance à objectiver notre monde. Mais cette tendance est seulement un accident historique et non pas une nécessité essentielle »(240(*)).

Il suffirait de réfléchir à quelques-uns des rôles que nous devrions attendre de l'Etat, proposées par citoyen Mutuza avec une bonne foi manifeste : « Nos frères et voisins immigrés chez nous, in illo tempore, ont cru qu'en prenant les armes et qu'en se joignant aux armées de leur pays d'origine ils allaient obtenir la nationalité congolaise que leur avait refusée la C.N.S. et les lois zaïroises. »(241(*)) Il écrivait ces lignes en se référant à la situation des pillages à la fermeture de la Conférence Nationale Souveraine (CNS).

Les Hima-Tutsi ont tenté de condamner l'homme privé et public, de décrier le politicien et même de rabaisser le philosophe qui ne serait qu'un « adaptateur » brillant et superficiel de Papadopoulos ; ils ne manquèrent pas de faire appel à la demande des résolutions du plan de la recolonisation tutsi au Kivu et Région Centrale de l'Afrique en 1962 : « Puisque nous sommes numériquement faibles au Kivu et que nous, pendant les élections de 1960 avons réussi d'une façon très magistrale à nous fixer au pouvoir en nous servant de la naïveté Bantoue et que d'autre part notre malignité a été découverte un peu plus tard par les Congolais, tout Mututsi de quelle région qu'il soit est tenu à appliquer le plan ci-dessous et d'y présenter une très large diffusion dans les milieux du District des Volcans.... »(242(*)). Avec cette politique d'intoxication, il est dit que «  les Bahutu craignent plus la rumeur que la lance et les militaires »(243(*)). De là la tactique de déclarer que Mutuza, s'il a des amis, a toujours beaucoup d'ennemis. Mais une « réhabilitation », comme voudrait la tenter certains de ses assistants ou l'auteur de cette thèse, serait de peu d'intérêt s'il ne s'agissait que de défendre une mémoire. Il est intéressant de montrer que cette réhabilitation permet d'écarter plusieurs contresens invétérés, concernant aussi bien la carrière, l'action politique, l'oeuvre théorique que la politique de Mutuza. Du coup, on lui restitue une dimension, une cohérence, une humanité qui justifie son prodigieux succès culturel : car sur lui repose en partie l' « humanisme » congolais, compris par la notion d'appartenance.

Certes «l'interventionnisme...conduit à un accroissement du pouvoir de l'Etat et de la bureaucratie. Mais ce n'est, encore une fois, qu'un problème de technologie sociale et d'ingénierie sociale détaillée...la liberté se planifie, il n'y a pas que la sécurité », écrit Mutuza au ministre qui avait en charge la Recherche Scientifique et Technologique.

Comment quiconque pourrait-il désavouer ces objectifs-là, et comment pourrait-on ne pas applaudir la constitution institutionnelle capable de les réaliser ? Et c'est d'autant plus facile d'être d'accord qu'approuver ces buts ne nous engage absolument à rien. Les conséquences que Mutuza nous encourage à rechercher lorsque nous faisons des choix politiques, sont de nature telle que si nous allons à droite plutôt qu'à gauche, en avant et non en arrière, nous pourrons toujours dire que ce sont eux que nous recherchons. Qui ne pourra jamais prouver que nous ne sommes pas en train de construire la liberté ?, ou que nous commettons le crime d'anti-égalitarisme ?

La partie difficile de la théorie politique de Mutuza, c'est sa laborieuse mise au point non de ce que nous voulons, mais de la manière de l'obtenir. C'est assez facile appeler à des institutions construites pour faire ceci, cela et encore cela. L'incertitude et la sueur apparaissent lorsqu'il faudra effectivement planifier ces institutions qui feront les choses en question, et (avant même de commencer à tracer les plans) les décrire dans le rude langage du technicien qui possède, lui, un contenu d'information réfutable.

Quelles sont le règles auxquelles le choix collectif doit être soumis pour qu'il puisse passer pour démocratique ? Qu'est-ce que nous devons faire, ou nous abstenir de faire, pour faire fonctionner efficacement une économie ? Qu'est-ce qu'un contrat équitable, quelles sont les lois dont nous avons besoin pour faire respecter les contrats qui sont justes, et annuler ceux qui ne le sont pas ? Ce n'est pas suffisant de dire que les institutions doivent être justes, ou rationnelles. Toutes nos institutions le sont, ou aucune ne l'est, au bon plaisir de l'observateur. Mais à la fin des fins, il faudra bien dire, dans une langue non réversible, dans quelle mesure précise elles sont censées de se conformer à quels critères précis.

Nous sommes ici invités à une réflexion sur la condition humaine vue à travers le prisme privilégié de l'appartenance et de la résistance à toute tentative qui nous y exclurait. Rien n'est plus dramatique qu'une appartenance forgée suivant un mythe. Et le mythe de l'appartenance des Hima-Tutsi s'est édifié sur celui d'un animal, le boeuf,... chacun peut le comprendre : tout mythe d'appartenance consiste en une infraction à la loi naturelle ; celle-ci veut qu'un homme n'ait jamais rien en propre en terme de langage. Qu'il tente de le faire et voilà ses héritiers plongés dans les pires embarras. Les Hima-Tutsi avaient légitimement pris possession de l'héritage bovin, joui de ses biens. Son appartenance les oblige à restituer tout ce dont son langage les avait gratifiés. Autant dire que l'appartenance à un langage met nécessairement les héritiers vivants dans une situation impossible. Leur réaction naturelle sera de nier le retour à la vie d'un défunt, d'y voir une supercherie. Et en tout cas de se refuser à lui rendre l'héritage dont la mort les avait mis en légitime possession.

Les Hima-Tutsi le savent : rien n'est plus difficile que de convaincre les Bantu de la simple possibilité de s'approprier d'une des leurs terres, qu'il s'agisse de la leur exproprier ou de se l'y associer. Avant les Tutsi, personne n'avait jamais signalé aucun cas de ce genre. Cela ne manquait pas de rassurer les Bantu, encore émus par les tueries, massacres, vols, viols perpétrés à l'est de la RD Congo.

Or voilà que la RD Congo, avec ses terres, se met en mesure et prend conscience de son appartenance. Les Congolais caressent ce projet, taxé par tous, surtout la fameuse communauté internationale, de folie depuis plus de dix ans. Nous n'entrons pas au Ruanda où les Hutu souffrent de l'opprobre animalité Tutsi. Nous sommes chez nous en RD Congo, les massacres perpétrés par le Ruanda se traînent dans le huis-clos de leurs ghettos en se réfugiant dans les rébellions (les plus horrible sont celles de Tutsi comme Ruberwa avec son RCD et CNDP de Nkunda Batruare, un rebelle de RCD de Ruberwa) et sollicitant l'aide de la communauté internationale. Mutuza refuse tout bien fait forçant les autres à être heureux. « La situation d'exception prévalant dans le pays peut justifier que l'on recourt, de façon réaliste ou pragmatique(244(*)), à des solutions d'exception »(245(*)). Or ce refus est justifiable et justiciable pourvue que l'on soit sur une bonne base épistémologique des deux disciplines de la science sociale. Ces deux disciplines nous aideront pour comprendre l'appartenance et le mythe. Il s'agit de l'ethnologie et de l'anthropologie.

Les historiens sont en général d'avis qu'un texte court a des chances d'être plus ancien. Par ce fait, l'antériorité de la culture bantu semble être concluante.

Fort de ce qui vient d'être dit, nous croyons que les Tutsi sont des nomades qui au départ furent des esclaves chez les Bantu et dont l'écrasante culture des agriculteurs les ont assujettis jusqu'à leur imposer, dans les moindres détails, la langue kihutu. Il est dès lors aisé de comprendre pourquoi il n'y a nulle part en RD Congo une langue kitutsi.

Chercher à définir les concepts de la Science Coloniale serait de peu d'importance du fait que réévaluation des concepts s'y oppose. Si nous nous y appliquons, nous serons hors l'idée de notre auteur et nous ne lui serons plus fidèle. Il faut aussi noter avec Baumann et Westermann que « la classification des langues est le complément nécessaire de la répartition ethnographique des tribus et peuples ; le plus souvent d'ailleurs, cette dernière s'appuie sur les faits linguistiques »(246(*)). ils ajoutent que « l'étude de la structure des langues n'a pu être qu'esquissée ici, mais cette étude aide très nettement à comprendre les civilisations et l'esprit qui les a inspirées » (247(*)).

Qui plus est, l'erreur capitale de la science coloniale et des anthropologues constructeurs du mythe « Hima-Tutsi » dans un essentialisme méthodologique, et surtout de la philosophie analytique de Crahay et ses émules, consiste à penser qu'il est possible d'atteindre quelque chose comme définition exacte et, de manière plus large, un discours précis qui ne faillasse plus par quelque ambiguïté ou confusion typique du langage ordinaire. Car précision et exactitude sont, en matière de discours, des idéaux trompeurs et fallacieux.

Quand on s'attelle à des descriptions, il faut éviter d'abréger tout élément étranger. S'il en fallait, il vaudrait mieux le faire là où ce qui était proprement congolais est faible et où ce qui était étranger à la RD Congo l'emporte d'autant. C'est ce que Papadopoulos fit dans La poésie dynastique du Rwanda et l'épopée Akritique.

§ 3 Tâche philosophique et rationalisme

A Lovanium, une foudre est tombée des nuages du ciel de l'époque : la lutte pour une conception plus libre. Dans Le décollage conceptuel, Franz Crahay, alors professeur à Léopoldville, place le langage au centre de ses préoccupations en exigeant qu'il soit l'objet exclusif des recherches philosophiques(248(*)).

Mutuza peut apparaître comme le sympathique chien arrivant dans ce jeu de quilles pour qui, les questions de terminologie sont de peu d'importance puisque selon lui, rien ne dépend de mots. Et il s'agit d'une position réelle et ferme en fait de philosophie du langage, non d'une négligence d'homme de science. C'est une position contradictoire du fait que Mutuza préconise la réévaluation des concepts comme condition de possibilité d'une rupture épistémologique et d'une philosophie authentique. Il dit : « voilà ce que nous pourrions appeler situer la philosophie, c'est-à-dire montrer son caractère relatif. Mais la philosophie a ceci de paradoxal : qu'elle est un relatif absolu. Et c'est cet autre aspect qui la fait traiter de philosophie pérenne que nous voudrions élucider maintenant. »(249(*))

La question est délicate. On se rappellera alors à quelle condition l'expression « contre courant » n'est pas excessive pour lui. Mutuza est l'un des philosophes zaïro-congolais qui ait axé sa réflexion sur quelque chose d'extérieur au langage, à affirmer ouvertement et ostensiblement qu'il faut se désintéresser du langage, que les idées importantes ne correspondent pas à des concepts et ne peuvent s'y réduire.

Cette conception mérite d'être inspectée de près et d'un point de vue interne. Elle sous-tend les options de la philosophie de Mutuza. Il propose une théorie des fonctions des concepts, et insiste à maintes reprises sur son rôle fondamental. Son intention est de mettre la philosophie face à ses problèmes, qui ne sont pas de définir des termes ou de déterminer quelles phrases ont un sens. Mutuza n'exprime pas clairement cette idée. On la cherchera en vain dans ses écrits. Il la soutient dans ses encadrements. Par contre on voit le contraire qui se produit : il faut une réévaluation des concepts.(250(*)) Au-delà de tout le concept doit présenter l'aptitude à comprendre. Il nous faudra commencer par la critique qu'il adresse aux ethno-philosophes et aux philosophes immatriculés, plus particulièrement à Crahay et ses émules. A lire de près c'est à Platon et à ses émules Aristote, Hegel, Marx, qu'il s'adresse.

Dans le texte Les fondements culturels du fédéralisme Mutuza énumère quelques-uns des critères qui font partie de la tradition non écrite (ÏáñÜäïóéò) après une longue dictature. Il comprend l'appartenance comme l'affiliation individuelle officielle ou tacite ; affirmer son appartenance au clan. Inclusion en vertu de propriétés communes, l'appartenance de x à l'ensemble y.

Il y a au départ un besoin d'appartenance pour nous permettre de confronter l'insécurité. C'est une étape importante, surtout à la première rencontre. L'appartenance rassure notre liberté. Ce besoin d'appartenance est une réalité humaine. C'est un besoin libre et qui permet l'homme de s'enraciner. L'être humain vient de la terre qui est le corps d'une femme. Il s'enracine dans une culture, dans une langue, dans une race. L'appartenance est la terre dont chacun se nourrit pour grandir.

Le groupe peut être cette terre, à partir de laquelle nous trouvons la confiance pour nous ouvrir à d'autres et, par là, découvrir notre humanité. Les Tutsi partent de l'expérience du vide qu'ils ont senti. ils surent qu'ils étaient seuls au milieu des Bantous, retranchés, coupés de l'environnement ; en raison de la morphologie et de la culture. D'autre part ils ont besoin d'être reconnus et confirmés par les Congolais indigènes et autochtones. Ils ont besoin d'avoir une place au sein de la grande famille congolaise. Mais ils sont en difficulté par rapport à la culture de ceux qui sont en face d'eux.

Avec l'étude du Mythe Hima-Tutsi de Mutuza, nous arriverons au coeur de son oeuvre. Son idée essentielle est celle de l'appartenance présentée sous l'apparence de la dissimilitude. Mutuza admet qu'il est certaines situations dans lesquelles des éclaircissements à propos des mots employés (surtout dans les mythes) sont utiles. Il écrit dans A propos de l'hypothèse de A. Moeller sur l'origine et l'unité culturelle des peuples du Kivu que « L'occupation actuelle du pays par les Lega se serait faite à partir de ce point par les descendants de Kisi, Koima et Beya de la manière suivant :... »(251(*)).

Et pour cette citation nous ne pensons pas que la philosophie consiste en la résolution de puzzles linguistiques. Toutefois, l'élimination des malentendus est une tâche préliminaire nécessaire. Quant aux définitions, il reconnaît volontiers qu'elles ne sont pas toujours dénuées d'intérêt, spécialement lorsqu'elles ont pour objet de distinguer entre deux acceptions d'un même terme. L'ambiguïté du terme connaissance ou savoir facilite l'erreur des carnapiens en matière de théorie de la connaissance. Dès lors, il y a toujours lieu de préciser quelle acception l'on vise en employant ce terme.

Quand Mutuza consent dans Ethique et Développement à faire des remarques sur le concept de développement252(*), il signale qu'il y est contraint malgré les absurdités régnant à ce propos : les définitions ou analyses linguistiques de mots ou de concepts ne l'intéressent pas.

A propos de terme de la réorganisation des sociétés contemporaines253(*), il pense qu'on a tellement dit n'importe quoi, qu'il doit se résoudre à y dire quelque chose, pour l'amour la clarté. C'est dire que cela ne procède pas d'une attitude systématique ou d'une méthode d'explication des concepts ; il n'y a pas recherche de définitions. Lorsqu'il s'attarde sur le sens d'un terme, il ne s'agit que d'une tâche préalable, puisque « rien ne dépend des mots »(254(*)).

En dehors de cette perspective, les questions de terminologie s'avèrent inutiles et stériles. Mutuza rejette le prétendu problème de savoir s'il faut parler de supériorité ou d'infériorité entre les Tutsi et les Bantu. Pour lui cette question est sans intérêt, parce qu'essentiellement verbale. Il écrit : « Or la différence entre ces cas (Amérindiens et Américains) et celui des Tutsi-Hutu consiste dans le fait que les Américains pouvaient se passer de services des Indiens, alors que les Tutsi ne pouvaient pas se passer de ceux des Hutu, s'ils voulaient se donner une stabilité sociale et économique »(255(*)).

Mutuza a adopté la terminologie de ses adversaires, suivant le conseil qu'il prodigue lui-même face aux objections de pure terminologie. Il échanger ses termes pour ceux que propose l'interlocuteur. Il croit que son argumentation ne se trouve pas affectée.

Dans Ethique et Développement, Mutuza a du ôter un chapitre qui parle du mal zaïrois parce qu'il a accepté la position de Kangafu. C'est entre autre en fonction de ce chapitre que l'on peut établir une préférence entre les discours du Chef de l'Etat comme source nationale et l'opinion de n'importe quel citoyen épris de justice et de nationalisme.

Mutuza parle du mal zaïrois comme un fait testable, désignant le degré auquel il résiste aux tests les plus sévères. Le terme employé dans le texte avant la censure est «le développement » ; il avait été délibérément choisi de manière à être neutre, autrement dit afin de n'être pas d'emblée associé à l'idée de démocratisation, puisque Mutuza estime que lorsqu'un discours présidentiel résiste à des tests, il n'accroît pas pour autant son degré de démocratisation.

L'histoire se complique quand Kangafu censure l'expression de Mutuza « développement» par un marxisme «la base et la superstructure». Mutuza s'inquiéta de ce choix à cause des associations provoquées par l'idée mal zaïrois et signala à Kangafu que la distinction entre la base et la superstructure ne venait pas de son livre mais d'une mauvaise compréhension de ces expressions marxistes de base.

Kangafu déclinait la proposition. Considérant que les questions d'appellation n'ont pas d'importance, Mutuza accepta la proposition d'amputer le chapitre du livre même si cette proposition ne lui plaisait guère. Il se retrouva vite face à la confusion qu'il avait cherché d'éviter : en quelques années l'expression « développement », utilisée par Mutuza lui-même dans plusieurs articles, était devenue synonyme de mal zaïrois. Personne ne s'était jamais soucié des remarques et des mises en garde répétées de l'auteur d'Ethique et Développement contre cette dérive sémantique. Il décida d'utiliser la base et la superstructure pour désigner sa thèse afin d'éviter qu'on l'associât plus longtemps, dans un parfait contresens, à une évaluation soumise aux règles du (calcul) mal Zaïrois.

Il est sans doute délicat de faire la part entre le malentendu réel et ce qui relève de la négligence coupable. On a pu, par exemple, reprocher à Mutuza de se contredire, puisqu'il avait employé lui-même le mot fondement culturel quand il était question du fédéralisme. Il est difficile de déterminer s'il s'agit de confusion, d'étourderie ou de mauvaise foi.

La confusion est plus regrettable que le terme fondement culturel ou confirmation a de fortes connotations vérificationnistes. Il véhicule l'idée d'une progression vers un degré de certitude tendant à être définitif, ce qui va à l'encontre de la conception mutuziste de la science. Popper combat de telles affirmations vérificationnistes prônées par les empiristes logiques(256(*)).

L'on constate par cet exemple anecdotique, quoique révélateur, qu'il est impossible de ne jamais s'occuper de terminologie sans autant sombrer dans le souci systématique de la définition. Il y a effectivement intérêt, quand plusieurs acceptions d'un mot sont télescopés, « pour renforcer son pouvoir (...), supplanter l'organisation qui réponde à la culture du colonisateur »(257(*)), comme le note Mutuza, à attirer l'attention sur cet état de choses en montrant qu'il existe des énoncés qui sont vrais lors qu'on prend le terme dans l'un ou l'autre sens, et qui s'avèrent incompatibles dès lors qu'on ne les distingue pas. En l'absence de ce genre de risque, les questions appelant des définitions restent « des questions vides ».

Cet itinéraire nous permet de saisir l'humanisme de l'auteur de Sermons d'un prêtre défroqué. Avant de proposer un jugement sur la personnalité de Mutuza, il parait bon d'indiquer, au moins rapidement, quels concepts s'échelonnent dans les ouvrages, ne serait-ce que pour exposer et compléter son atmosphère intellectuelle. Notre but sera atteint si nous faisons comprendre au lecteur quels problèmes se posent au philosophe et les méthodes dont il dispose pour les appréhender et les résoudre au mieux pour que l'on les appelle philosophie de Mutuza :

IDENTITE

Individu

Pouvoir

Développement

Culture

Société

Histoire

Tradition

Coutume

Structure

Etat

Economie

Liberté

Démocratie

APPARTENANCE

Mais ce qu'il importe de dire, en fait, c'est que le développement exposé...ne se trouve pas avec cette rigueur chez Mutuza. Il est une conséquence nécessaire de sa méthode, mais lui-même ne l'a jamais tirée de façon aussi explicite. Et cela pour cette simple raison qu'il était obligé de construire un système et qu'un système de philosophie doit, selon les exigences traditionnelles, se conclure par une vérité absolue. Quelle que soit donc la force avec laquelle Mutuza, surtout dans Quelles institutions pour un Congo démocratique, affirme que cette vérité éternelle n'est autre chose que le processus psychologique, c'est-à-dire le processus historique de l'humiliation de l'humanité elle-même(258(*)), il se voit cependant contraint de donner à ce processus une fin, précisément parce qu'il faut bien qu'il arrive quelque part au bout de son système. Dans Quelles institutions, il peut faire à son tour de cette fin un début, en ce sens qu'ici le point final, la Réévaluation absolue - qui n'est d'ailleurs absolue que parce qu'il ne sait absolument rien en nous dire - « s'aliène » dans la nature.

Conclusion

Mutuza apparaît donc comme un homme engagé dans la vie intellectuelle, spirituelle, politique et économique de son pays. Il juge que les problèmes philosophiques sont des problèmes de base, qui permettent de comprendre comment se posent les autres problèmes. Il fait figure d'épistémologue pour nombre de ses lecteurs par sa méthode de la réévaluation des concepts. C'est qu'il veut poser correctement les questions souvent altérées par la maladresse qui déforme la position de tous les problèmes humains, surtout ceux des rencontres interculturelles pour l'identité et l'appartenance. Il est un esprit majeur qui refuse de se contenter d'explications traditionnelles colonialement reçues ; il se soumet à son propre jugement n'hésitant pas à se contredire et ne veut pas céder à ses propres passions.

Dans cet itinéraire, nous avons considéré les composantes de sa biographie non point chacune, mais toutes conjointement dans les configurations qu'elles constituent par leur groupement. Il est remarquable que notre auteur, qui n'est ni un philosophe ni apologète de l'érudition réserve peu d'espace à ce genre de débat dans son oeuvre philosophique. Quand la discussion avec les adversaires de la philosophie africaine l'oblige à mettre l'accent sur ce qui constitue la réalité essentielle de l'érudition, ce n'est pas sur l'autorité des philosophes qu'il met l'accent, mais sur les faits culturels. La philosophie n'est pas d'abord pour lui une doctrine. Elle est un genre de vie (æùÞ) dans l'histoire singulière, qui se manifeste par la force du témoignage et par la transformation morale des hommes.

Nous voudrons insister au cours des pages suivantes, sur le mécanisme, de la création, du maintien, et de la dissolution par Mutuza de l'humanisme européen, notion à la fois permanente et fluctuante, et sur les méthodes anthropologico-philosophiques. En creusant le contexte historique de la vie de Mutuza, nous avons rencontré un congolais dont la pensée entre dans une histoire concrète. Cela nous a permis de comprendre que la pensée philosophique nait des autres, parfois à la suite des autres, après les autres, ou à côté des autres. La pensée de Mutuza est de celles-là. L'auteur de De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine est un philosophe qui cherche à identifier sa vie aux actions qu'il mène. Il ya une triade cyclique dont le penser, le vivre et l'agir constituent une dialectique Pensée-Vie-Action. Son entrée en politique fit de lui un philosophe et homme politique. L'essence génétique de sa pensée est issue de l'expérience. De là, l'auteur de Mon expérience d'homme politique congolais n'avait qu'un pas pour construire une éthique et une politique de responsabilité dont l'essence est l'intégration. Cela marque un moment décisif. Les questions philosophiques et les préoccupations de l'auteur de Les fondements culturels du fédéralisme sont ceux de son milieu philosophique. Les thèmes principaux de ce milieu philosophique sont la démocratie et la liberté, avec leurs rapports réciproques et leurs variances. Avec la démocratie on est sur le thème de la culture et dans le champ de la civilisation. Quant à la liberté, c'est la question de l'humanité du Noir qui se pose. Mutuza dégage l'essentiel de l'unicité du genre humain et la pluralité des cultures pour banaliser le monisme culturel. Ces variances engendrent le concept d'appartenance et ouvrent la voie vers leurs antécédents.

L'auteur de La problématique du Mythe Hima-Tutsi conçoit alors une philosophie de l'Etat. Cela ne lui était possible que par la manière philosophique de cataloguer les pouvoirs politiques. Il donne le pouvoir politique et les catégories d'interprétation, commande les exigences politiques et ses crédos ; puis il nous oriente, par son rationalisme, vers une tâche philosophique préalable.

Chapitre troisième: HUMANISME DE MUTUZA

Introduction

Nous cherchons le lien concret qui existe entre la vie de Mutuza et la signification de son oeuvre, c'est-à-dire son intention et son but. Or il est nécessaire (sans réduire l'oeuvre à n'être que l'expression de la vie) de rapporter cette oeuvre à la situation existentielle et politique de Mutuza pour comprendre que sa doctrine n'est pas un jeu éclectique des évolués des pays anciennement colonisés, mais l'effort pour apporter les réponses au problème que pose l'aliénation individuelle (passionnelle), culturelle, politique et religieux, et la recherche de la confirmation de l'identité et appartenance qui est le lot des Pays de Grands Lacs, et notamment dans le Congo-Zaïre qui vécut le flux migratoire de Tutsi en 1959 et plus tard en 1994, la guerre d'agression de 1998 à 2003 avec l'accession de P. Kagame au pouvoir au Ruanda ; mais n'en est pas moins tombée après Lusaka et récemment à Sun City sous le joug d'une attribution de la nationalité (à partir de 1960) et d'une idéologie africanophile d'une citoyenneté transfrontalière ou d'une crainte de taxation de xénophobie.

Ce qui prouve que l'on dépend toujours de son époque. Et les principaux ouvrages de Mutuza sont des témoignages très fidèles du trouble, en ce siècle, de la vie et de la pensée africaines. Dans le chapitre précédent, nous avons évoqué le vide que Mutuza ressent quand il se trouve seul, coupé des autres. Nous aussi, nous avons un tel besoin d'être reconnus et confirmés par quelqu'un qui ait confiance en nous ! Cela n'est pas assez. Être en relation avec une seule personne ne suffit pas, nous avons aussi besoin d'amis, d'avoir une place au sein d'une famille, d'un groupe, d'une communauté, d'une culture. Il faut aller jusqu'aux racines de ces réalités. En métaphysique, on oppose l'anthropologie à l'ontologie. Une philosophie anthropologique est une philosophie de l'homme qui est à la base l'humanisme. L'humanisme est une doctrine morale qui reconnaît à l'homme la valeur suprême(259(*)). Son principe est celui de la tolérance. La philosophie défend l'idée du progrès des civilisations vers une forme idéale de l'humanité, où l'homme serait à la fois libre, grâce au progrès technique, à l'égard des contingences et déterminisme de la nature(260(*)), et libre à l'égard des hommes(261(*)), grâce à la mise en oeuvre d'une Constitution idéale et mondiale. Dans le cas sous examen, Mutuza est contre cette Constitution idéale et mondiale à cause de la citoyenneté transfrontalière des pays des grands lacs.

Ainsi l'humanisme classique est connu sous le prisme où les penseurs occidentaux l'ont logé. Il s'agit d'un retour aux textes et à des valeurs de l'Antiquité. Ils se sont adjoints tout naturellement à l'esprit de liberté et d'indépendance face aux dogmes trop rigides grâce à la Réforme. Une nouvelle libération de l'homme et l'apparition d'un esprit de tolérance que le Don Juan de Molière (+ 1673) appelle l'amour de l'humanité, a vu jour. C'est une espèce de foi en l'homme tout-puissant et maître absolu de la matière. Une anthropolâtrie.

L'humanisme de Mutuza se maintient dans la culture des Balega, tout en la poussant à la rupture semblable à celle opérée par Nietzsche (+ 1900) avec la morale judéo-chrétienne : déclarant la « mort de Dieu », pour fonder l'humanisme de surhomme. La référence à l'Homme comme sujet universel, qui espère agir au nom des valeurs, disparut avec des mouvements idéologiques du XIXe siècle comme la colonisation et des philosophies diverses qui nièrent ou nient encore l'humanité des Noirs, dont celles de Lévy Brühl (+ 1939) en France ou de Lévi-Strauss et Tempels, donnèrent la mesure.

L'humanisme de Mutuza est une autre rupture culturelle d'avec la tradition dominatrice exhibant les limites de la colonisation.

Il se dégage, dans sa quête anthropologique, les termes qui signifient une tendance générale du néocolonialisme à attacher la plus grande importance à faire le bien forçant les autres d'être heureux et à considérer l'époque ante-coloniale comme le standard et le modèle communs par lesquels il faut guider toute activité culturelle.

Il s'établit le lien entre l'anthropologie et la politique. Les Récits épiques sont étudiés et évalués pour leur valeur propre, et non pour servir à embellir et justifier la civilisation des Baame... L'intérêt pour cette époque antique (au sens du temps anthropologique) s'exprime dans une quête fervente de l'oralité: les récits épiques, proverbes, dictons, etc., les oeuvres des dramaturges, poètes et rapsodes qu'on connaissait par coeur et, pour la première fois, éditées de manière critique par certains occidentaux qui acclimatent leur réalités aux faits africains observés. Ils les interprètent avec leurs schèmes et catégories culturels où il y a compartimentation des classes.

L'humanisme de Mutuza est la partie anthropologique de son oeuvre. Et dans cette anthropologie nous étudions ce qu'il entend par la lutte politique. Pour y parvenir nous voyons d'abord le problème de la rencontre ensuite le marxisme mutuziste ou son isolement politique ; nous en arriverons enfin à la considération de l'ordre et du désordre dans la lutte politique.

La lutte politique démontre directement l'affront d'Atalante(262(*)) comme réponse au nominalisme méthodologique : le nominalisme méthodologique ; l'importance de la déconstruction du langage philosophique. Est-ce la terre comme espace qui guide l'affront ou la géométrie qui en est l'arpentage qui conduit à la lutte ? L'idée de société pluraliste et diapasonnée nous permet de comprendre la résistance mutuziste.

Avec la résistance politique nous avons le paradoxe de la communauté et la question de savoir si les faibles ont une place. Mutuza se présente en philanthrope (öéëáíèñüðùò) pour répondre aux nominalistes et, pour résister à la tendance politique d'aliénation.

Section 1. Lutte politique

§1. Rencontre

Nous trouvons chez Mutuza des indications générales sur l'état de la politique de son époque. Dans Les fondements culturels du fédéralisme, une oeuvre détaillant la possibilité d'appartenance, il nous donne de la communauté ancestrale des Balega une vision idéale.  : Les baame vivent détachés de tout impérialisme et il justifie sa position face au modernisme: « la notion d'Etat au sens moderne est récente pour la plupart des pays du Tiers-Monde qui ont accédé à l'indépendance grâce au phénomène de la décolonisation »(263(*)). Mutuza croit qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre, que l'esprit de Dieu(264(*)) planait sur les Lega quand il fit et prouva l'impossible, c'est-à-dire que deux fois deux font cinq(265(*)). Il le fait pour rappeler à l'homme blanc. Ce qu'il a fait de mal quand il a déformé le concept de Bwami en le considérant comme une institution tutsie alors que les baame sont des Hutu et leur mode de gestion, bien que cédé aux Tutsis, gardaient sa substance.

v A la découverte des pays des grands lacs

C'est en 1858 que le premier Européen, John Hanning Speke (+ 1864), découvre la région des grands lacs, sans entrer cependant dans le pays. Dans les années 1880, il est suivi par des explorateurs allemands puis des missions catholiques sont établies. En 1890, les Allemands parviennent à intégrer le Rwanda (Ruanda) ainsi que le Burundi (Urundi) à leurs possessions d'Afrique orientale malgré les réticences du mwami Musinga. Les Belges, aidés par les Anglais chassent les Allemands et occupent le pays en 1916. Puis le territoire du Ruanda-Urundi est placé sous mandat de la Société des Nations (SDN) et son administration est confiée à la Belgique.

v Education pour tous

Dans un premier temps, la Belgique gouverne en s'appuyant sur les autorités en place, le mwami et l'aristocratie tutsie, dont les pouvoirs sont cependant modifiés et figés par la réforme de 1926 (les fonctions de chef deviennent héréditaires). Le mwami Musinga est destitué en 1931 et exilé au Congo belge (l'actuelle République démocratique du Congo). Il est remplacé par son fils Mutara III Rudahigwa, jugé plus docile. Appliquant le système de l'administration indirecte, la nouvelle administration autochtone est chargée par la puissance coloniale de faire exécuter les travaux de mise en valeur du pays. Dans cette optique, les Banyarwanda sont soumis en 1934-1935 à un recensement des hommes adultes et valides, à qui l'on délivre un livret d'identité où figure la mention de l'appartenance sociale, dite « ethnique ».

Les missions chrétiennes, protestantes à la fin de l'époque allemande, catholiques sous la colonisation belge, se multiplient et prennent en main l'éducation sur l'ensemble du territoire tandis que le jeune mwami Mutara -- il a vingt ans au moment de sa prise de fonction -- se fait baptiser en 1943. Mais ses relations avec l'Église et les autorités de tutelle se dégradent peu après, en raison du transfert toujours plus important des pouvoirs locaux à l'administration coloniale. Il demande notamment la suppression des corvées publiques et de la chicotte, et le rétablissement de l'élection des chefs, tandis que la majorité hutu, dont les responsables n'ont comme formation que les écoles des missions, demande à être associée au pouvoir. Dès 1956, par l'intermédiaire du Conseil supérieur qu'il préside, et sous la pression de ses conseillers, il réclame un calendrier précis pour l'accession du pays à l'indépendance, tandis que la majorité hutu fait passer les réformes sociales et politiques avant l'indépendance qui aurait redonné aux Tutsi le pouvoir absolu qu'ils détenaient avant la colonisation. Il s'apprête à présenter cette exigence devant les Nations unies en 1959 lorsqu'il est inopinément convoqué à Bujumbura, alors capitale du Ruanda-Urundi. Sa mort -- mystérieuse -- est annoncée dans la soirée du 25 juillet 1959. Dès lors, le pays plonge dans la guerre civile.

v La présence étrangère au Congo

Après la mort du mwami Mutara, décédé sans héritier, son successeur, Kigeli V, illégitime aux yeux des Hutu et imposé par les conseillers du souverain défunt, applique une politique de fermeté dans la défense des privilèges de l'aristocratie tutsi. Les revendications socio-économiques ont pris, depuis la publication, en 1957, du Manifeste des Bahutu, une dimension politique, sous l'impulsion du Parmehutu (parti du Mouvement de l'émancipation hutu), et dégénère en affrontements communautaires. L'Église est accusée de prendre fait et cause pour la majorité hutu et l'administration coloniale laisse se développer les révoltes qui éclatent en novembre 1959 et ensanglantent le pays après l'assassinat d'un responsable politique hutu. Les Tutsi, très minoritaires, se sont déclarés massacrés et pourchassés. Ils entrent au Congo belge. L'année suivante, le mwami doit quitter le pays, plus de 200 000 Tutsi font de même.

En janvier 1961, la république est proclamée et un référendum, organisé quelques mois plus tard, rejette la monarchie par 80% des voix. Le Parmehutu remporte les élections organisées au mois de septembre suivant, avec 78% des suffrages. Le 26 octobre 1961, son dirigeant, Grégoire Kayibanda, secrétaire de l'archevêque du Rwanda, est élu président de la République rwandaise.

v Catégorie philanthropique

Il y a un marxisme très moderne. C'est comme si un athéisme judéo-protestant planait sur le ciel culturel lacustre. Il y a un syncrétisme religieux. On fait croire les Tutsi d'être enfants d'Israël. Cette généalogie ne se rencontre pas avant l'arrivée de l'homme blanc. Encore que les Tutsi n'ont pas la tradition écrite. Les poèmes dynastiques qui sont le monument historique du Rwanda sont écrits au XXe siècle et ne disent rien à ce sujet. Les Israélites ont remplacé les Cananéens dans la terre promise, les Tutsi peuvent-ils remplacer les Hutu ? L'auteur de La problématique du mythe Hima-Tutsi a subi l'influence de l'hégélianisme, c'est pourquoi il fait une interprétation typologique des événements. Il se demande : « comment un peuple a remplacé un autre peuple dans la direction des territoires, et comment les premiers sont-ils au service des seconds »(266(*)). Nous pensons que de ces choses publiques et banales pour vous il est inutile d'en parler. Dans notre description de la rencontre de Mutuza avec d'autres philosophes qui s'identifient avec la rencontre d'un pouvoir d'être avec un autre pouvoir d'être, nous nous arrêtions à la rencontre qu'il a eu avec ses amis. Il faut maintenant étendre la description à la rencontre des groupes sociaux entre eux, c'est-à-dire entre les Hutu et les Tutsi. Ce faisant, nous trouvions les mêmes caractères de la rencontre des pouvoirs : « la poussée en avant et le repli, l'absorption et l'éjection, l'amalgame et la séparation »(267(*)). Tout groupe porteur de pouvoir connaît des expériences de croissance et de désintégration. L'histoire, pour ainsi dire, « essaie » sa nouvelle constellation. Et dans ces « essais », des nations et empires sont sacrifiés et d'autres sont appelés à naitre. Le pouvoir d'être de chaque groupe de pouvoir politique est mesuré par sa rencontre avec le pouvoir d'être d'autres groupes de pouvoir.

Le pouvoir n'est jamais pure force physique. Il est aussi le pouvoir des symboles et des idées dans lesquels s'exprime la vie d'un groupe social. La prise de conscience d'une telle substance spirituelle peut créer le sentiment d'une vocation particulière. Si nous regardons l'histoire de l'Europe, nous trouvons une série d'expressions de cette conscience d'une mission et des conséquences historiques extraordinaires en découlent. En unissant sans qu'on puisse les distinguer, la volonté-de-puissance et la conscience vocationnelle, les Belges ont soumis l'immense territoire congolais au droit de Léopold II et à l'ordre d'un immense empire colonial. De la même façon, Tippo Tib (+ 1905) a apporté la culture arabe aux peuples du Maniema qui furent soumis par les armes. La conscience vocationnelle s'exprime dans des lois. Dans ces lois, justice et amour sont tous deux réels. La justice des empires n'est pas seulement idéologie ou rationalisation. Les empires n'assujettissent pas seulement, ils unissent aussi. Dans la mesure où ils sont capables de faire cela, ils ne sont pas sans amour. C'est pourquoi, ceux qui sont soumis reconnaissent tacitement qu'ils sont devenus participants à un pouvoir d'être et de signification supérieur. Si cette reconnaissance s'évanouit, parce que le pouvoir unificateur, la force et l'idée vocationnelle de cet empire s'évanouissent, c'est la fin de l'empire. Son pouvoir d'être se désintègre et les attaques extérieures ne font qu'exécuter un sort qui est déjà fixé. Dans la rencontre Tutsi-Hutu les Tutsi ont perdu un des éléments constitutifs d'une entité culturelle : la langue(268(*)).

Les Tutsi ne font pas partie de la famille des Bantu comme les Hutu. Pour ce faire il est opportun de savoir d'où viennent les Hutu. Avant cela, il est nécessaire de savoir ce que sont les bantu, d'où ils viennent et comment ils se trouvent là où ils sont. Avant cela, certaines figures sont indispensables dans cette étude.

v Réversibilité des faits historiques

Si Mutuza ne développe pas le sens d'érudition philosophique, ce n'est pas qu'il en méconnaisse l'existence et l'importance. C'est qu'il s'agit d'une chose si courante qu'il ne vaut pas la peine d'y insister. Et ceci nous montre combien l'interprétation typologique dans la réévaluation des concepts était familière aux philosophes post-tempelsiens. Mutuza, lui, va développer l'aspect historico-culturel « qui peut édifier et instruire les autres ». Quand il soutenait sa thèse en philosophie, il avait en vue la rencontre des Balega avec un Swahili appelé Tippo Tib.

Pour ce grand chasseur d'autruches, Mutuza nous adjure au nom de toute l'orthodoxie, de détruire tout le nid d'autruches et de transpercer de son javelot de Saint-Georges (+ vers 303) tous les oeufs d'autruches(269(*)) à demi achevés de couver(270(*)). C'est que Mutuza évite de pousser son cheval dans le désert du panthéisme, il se prend pour brave tueur de dragons, lutte contre l'impérialisme extériste qui rôde, cherchant qui dévorer, détruit cette maudite engeance d'autruches et hisse le drapeau de la Traite des Noirs sur le Territoire de Kasongo où, à Zanzibar, Tippo Tib, fils d'un négociant swahili et d'une Arabe se lança dans le commerce au début des années 1860, dans la région sud du lac Tanganyika et, où, en faisant usage de la force ou de la diplomatie, il s'arrogea le quasi-monopole du marché de l'ivoire. Il se dirigea ensuite vers le nord-ouest, sur le territoire de la République démocratique du Congo, et fixa son quartier général à Kasongo en 1875. Il y fonda un État à l'organisation peu rigoureuse, qu'il pacifia, puis il se lança dans d'autres affaires, telles que la construction de routes et les plantations.

Nous sommes là à la deuxième rencontre des Bantu avec d'autres groupes des populations. La première rencontre étant celle qu'ils ont eu avec les Tutsi. L'hypothèse de la rencontre des Tutsi peut sans doute être datée trois cents ans avant Tippo Tib. Les occidentaux pénétrèrent le pays et rencontrèrent des royaumes.

Tippo Tib s'opposa dans un premier temps à l'intrusion des Européens sur ce territoire, mais, estimant son action vaine, il se mit au service du roi Léopold II de Belgique en assumant la fonction de gouverneur du district de Stanley Falls dans le nouvel État libre du Congo, de 1887 à 1890. Toutefois, trouvant sa situation intenable, il se retira à Zanzibar, où il mourut. Sa mort fut un présage pour l'actuelle diminution de souveraineté nationale, la montée de groupes de pouvoir globaux et la division du monde en différents systèmes politiques qui englobent tout, soulèvent naturellement le problème de l'unité de toute l'humanité.

v Métaphysique de la rencontre

On ne peut pas nier que l'être est un, et que les qualités et les éléments de l'être constituent un ensemble des forces qui se conjuguent et qui entrent aussi en conflit. Cet ensemble est dans la mesure où il est et donne le pouvoir à chacun de ses éléments et de ses qualités.

De l'analyse métaphysique de rencontres des pouvoirs d'êtres entre différents groupes sociaux, Mutuza arrive à nier l'idée utopiste d'un Etat mondial créé par une espèce d'union fédérale des principales puissances actuelles et par leur soumission à une autorité centrale à laquelle tous les groupes participent. Il y a lieu de reconnaître le retour du « même dans le même il demeure et en lui-même repose dans l'immuable ici », comme l'avait bien vu Parménide d'Elée. Et on s'en va vers un centre mondial, gouvernant les autres nations par des méthodes libérales et dans des formes démocratiques.

L'analyse métaphysique de Mutuza est préventive, elle est de taille, pour ceux qui connaissent l'union technique du monde, ce qu'elle a favorisé la centralisation, mais n'ayant pas pris en compte les facteurs psychologiques qui prédominent souvent. L'utopie d'un Etat mondial est en parfaite contradiction avec l'analyse du pouvoir à cause qu' « un centre de pouvoir, qui unit la force avec la conscience vocationnelle, ne peut pas se soumettre lui-même à une autorité artificielle qui ne possède ni l'une, ni l'autre »(271(*)).

v Ontologie de la rencontre

L'ontologie est l'élaboration du ëüãïò et le üí est la parole raisonnable qui saisit « l'être en tant que tel ». Il est difficile pour un esprit contemporain de comprendre le « esse ipsum latin », l'être lui-même, le üí Þ üí grec, l'être en tant qu'être. A la différence de l'analyse métaphysique qui est descriptive, l'ontologique nous montre que l'être est un, il n'est pas une identité morte, ni une répétition de la même chose. Il est dans la richesse de sa texture. L'ontologie ne décrit pas l'infinie variété des êtres, vivants et morts, subhumains et humains. L'ontologie analyse cette activité de l'être lui-même qui est à l'oeuvre dans tout ce qui est, vivants ou morts, sub-humains ou humains. Elle précède toute autre approche cognitive de la réalité. Elle vient avant toute science, pas toujours historiquement, mais toujours en valeur logique et en dernière analyse.

Pour la rencontre, Mutuza nous donne une triade : centralisation, Etat mondial et pouvoir universel. L'influence de Hegel est manifeste ici. C'est l'amour unificateur qui conduit à cette triade. Il croit au schéma dialectique de l'union et de la séparation. Il se peut qu'après l'histoire mondiale, caractérisée par la montée d'une unique structure de pouvoir en pouvoir universel, avec un minimum de suppression, la loi, la justice et l'amour réunificateur incarnés dans ce pouvoir deviennent le pouvoir universel de l'humanité. Même alors le Royaume de Dieu n'est pas arrivé. Car même alors entropie et révolution n'auront pas disparu. Il peut se constituer de nouveaux centres de pouvoir, d'abord secrets, puis connus, allant vers la séparation de l'ensemble, ou vers sa transformation radicale. Ils peuvent aussi former une conscience vocationnelle propre.

Alors, la lutte des pouvoirs recommence et la période de l'empire mondial accompli sera limitée, comme était la période de la paix d'Auguste. L'amour unificateur n'unira-t-il jamais l'humanité ? L'humanité, dans son ensemble, ne pourra-t-elle jamais devenir une structure de pouvoir ou une source de justice universelle ? Mutuza a abandonné le domaine de l'histoire ; il s'approche de la question métaphysique qui est celle de ce qui est ultime dans une rencontre.

Tout vient avec l'arrivée des Occidentaux. Ils acclimataient leurs réalités aux modes de vie des peuples rencontrés. Ils ont été phénoménalistes et morphiques. Leur description de la vie était loin d'être anticipée par son explicitation comme séparation et réunion, ou comme amour. Leur christianisme ne saurait être une interprétation digne du dogme de la Trinité(272(*)) du Dieu vivant. Dans son Fils, Dieu se sépare de Lui-même, et, dans l'Esprit, il retrouve son unité. Il s'agit là, d'une manière de parler symbolique ; mais elle rappelle que Dieu n'est pas une identité morte qui laisserait les injustices se perpétuer dans l'indifférence. Blancs, Noirs et Tutsi(273(*)) sont des groupes de pouvoirs d'être qui sont entrés en compétition. Voyons où s'arrêtera leur jeu.

Dans la polémique avec les Tutsi, ceux-ci s'approprient certains territoires en échange de leurs femmes. La séparation avec soi-même est aussi un des éléments qui justifie la foi chrétienne selon laquelle « la paix est une vertu qui rétablit la réunion de ce qui est séparé alors qu'il était uni auparavant »(274(*)). Tous les Baame durent avoir des femmes des Tutsi comme épouses de plus. Et le jeu était allé plus loin. Ce qui fait qu'aujourd'hui certains Tutsi réclament être des Congolais seulement en temps de paix. Les Bantu les accusent d'avoir pris en témoins les Européens, eux que les Bantu gênaient. Dans cette rencontre il a été plus facile aux Bantu de se reconnaître étrangers là où ils le sont effectivement. Cependant il a été et il est encore difficile, voire même impossible pour les Tutsi d'accepter qu'ils sont étrangers là où ils le sont évidemment. C'est le problème d'isolement dans les rencontres entre les groupes porteurs de pouvoirs d'être.

§2. Marxisme, socialisme ou isolement politique : question des mots ?

La problématique du mythe Hima-Tutsi poursuit l'analyse sur l'absurdité du monde à la manière de Camus (+1960) avec le Mythe de Sisyphe ; elle en propose une théorisation sous forme d'essai. L'auteur interroge la résistance et la lucidité du monde occidental(275(*)) en faveur des Tutsi ; il fonde son propos sur la légitimité de l'hégémonie, l'expansion et le racisme(276(*)), ce que nous qualifions d'entropologie, considérée comme l'une des manifestations les plus libertaires de l'absurde, tentant ainsi de démontrer, par l'exemple de l'Histoire et le constat de l'expérimentation, que la seule attitude viable est la médiation morale.

Si pour Camus les questions sont celles de savoir « Comment un socialisme, qui se disait scientifique, a-t-il pu se heurter ainsi aux faits »(277(*)), la réponse de Mutuza est simple : il n'était pas scientifique. Pourtant les explications de Camus sont d'une importance capitale. Le marxisme de Mutuza est partiel, il emprunte ceci à Camus, l'« échec (de Marx) tient, au contraire, à une méthode assez ambiguë pour se vouloir en même temps déterministe et prophétique, dialectique et dogmatique »(278(*)). Si l'esprit n'est que le reflet des choses, il ne peut en devancer la marche, sinon par l'hypothèse. Si la théorie est déterminée par l'économie, elle peut décrire le passé de la production, non son avenir qui reste seulement probable. La tâche du matérialisme historique ne peut être que d'établir la critique de la société présente ; il ne saurait faire sur la société future, sans faillir à l'esprit scientifique, que des suppositions. Camus poursuit qu' « Au reste, n'est-ce pas pour cela que son livre fondamental s'appelle le Capital et non la Révolution ? Marx et les marxistes se sont laissés aller à prophétiser l'avenir et le communisme au détriment de leurs postulats et de la méthode scientifique »(279(*)).

Cette prédiction ne pouvait être scientifique, au contraire, qu'en cessant de prophétiser dans l'absolu. Le marxisme n'est pas scientifique ; il est, au mieux, scientiste. Il fait éclater le divorce profond qui s'est établi entre la raison scientifique, fécond instrument de recherche, de pensée, et même de révolte, et la raison historique, inventée par l'idéologie allemande dans sa négation de tout principe régulateur. La raison historique n'est pas une raison qui juge le monde. Elle le mène en même temps qu'elle prétend le juger. Ensevelie dans l'événement, elle le dirige. Elle est à la fois pédagogique et conquérante. Ces mystérieuses descriptions recouvrent, d'ailleurs, la réalité la plus simple. Si l'on réduit l'homme à l'histoire, il n'a pas d'autre choix que de sombrer dans le bruit et la fureur d'une histoire démentielle ou de donner à cette histoire la forme de la raison humaine.

Dans Les fondements culturels, Mutuza démontre que l'histoire du nihilisme contemporain n'est qu'un long effort pour donner, par les seules forces de l'homme, et par la force tout court, un ordre à une histoire qui n'en a plus. Cette pseudo-raison finit par s'identifier alors avec la ruse et la stratégie, attendant de culminer dans l'Empire idéologique. Que viendrait faire ici la science ? Rien n'est moins conquérant que la raison. On ne fait pas l'histoire avec des scrupules scientifiques ; on se condamne même à ne pas la faire à partir du moment où l'on prétend s'y conduire avec l'objectivité des scientifiques. La raison ne prêche pas, ou si elle prêche, elle n'est plus la raison. C'est pourquoi la raison historique est une raison irrationnelle et romantique, qui rappelle parfois la systématisation de l'obsédé, l'affirmation mystique du verbe, d'autrefois.

Cette lutte est dans l'analyse que Mutuza fait du Programme de l'idéologie -politique de l'AFDL. L'auteur de La problématique du mythe Hima-Tutsi se donne la peine d'étudier la philosophie du langage. Il prend la responsabilité de réévaluer les concepts des dix leçons du Programme de l'AFDL. Il attaque le Programme dans l'emploi de certains concepts : « Par ailleurs, l'usage de certains concepts stéréotypés employés en dehors de tout contexte précis et sans nuance, donne l'impression d'un amalgame des propositions juxtaposées sans lien logique contraignant ni valeur significative précise. Et tout cela exprimé dans un vocabulaire, dont les auteurs n'ont manifestement pas la maîtrise. Ce qui conduit à des analyses simplistes et contradictoires(280(*))». A ce verbiage informe s'oppose une quête d'exactitude inspirée de la méthodologie scientifique. Il se met pour cela sur les pas de Carnap (+ 1970) pour qui la clarification des concepts est l'unique tâche d'une philosophie digne de ce nom. Mutuza s'inscrit dans cette optique. Dans La Construction logique du monde, Carnap définit son projet comme « la recherche de définitions nouvelles pour des concepts traditionnels, en vue d'une plus grande clarté ». Il y a un positivisme qui conduit directement à une lutte pour les mots comme celle des classes chez Marx.

La lutte de Mutuza prouve à suffisance qu'il maîtrise le terrain marxiste. Il dit : « ces concepts n'évoquent-ils pas l'image des mines anti-personnelles que l'on veut semer sur le territoire congolais pour voir notre pays imploser en vue de permettre, aux pêcheurs en eaux troubles, d'exécuter leur sale et ignoble besogne ? »(281(*))

Pour cela, « il apparaît ainsi que la forme comme le fond de l'idéologie politique ne disent pas ce qu'ils pensent vraiment. Les catégories utilisées ainsi que certains concepts : Révolution, lutte des classes, exploiteurs, exploités, espionnage, ennemis, soldats, guerre, milices...ne sont-ils pas, en réalité, l'échos de la formation idéologique de certains responsables de l'AFDL, formation qui date de l'époque de l'émancipation coloniale et qui était tirée certainement d'une idéologie marxiste, maoïste mal assimilée ? »(282(*)). La précision dans l'emploi et l'acception des termes mène à la clarté dans l'expression. Dans sa Syntaxe logique du langage, Carnap avance que c'est avec de tels concepts « clarifiés » qu'il sera possible d'envisager une « philosophie plus exacte ». Mutuza insiste sur la distinction entre clarté et précision; bien qu'il est contre la tendance carnapienne, tendance qu'il ne maîtrise d'ailleurs pas.

v La politique et le langage

Il faut distinguer la politique du langage chez Mutuza. Mais quel sens il y a-t-il à insister sur cette distinction ? N'est-ce pas fondamentalement contradictoire avec l'esprit mutuziste ? L'auteur de Mon expérience d'homme politique congolais recommande de ne pas s'attarder sur la question des mots. Qui plus est, il n'y a pas dans notre cas ambiguïté d'un terme mettant en jeu quelque chose plus vaste. C'est qu'au fond, l'important n'est pas de ne pas confondre clarté et précision, mais de dénoncer la quête de précision comme illusoire et dangereuse. La différence est de taille. Ce que l'on trouve chez Mutuza est une critique de l'idéal de précision lié fortement à celui de certitude, ce n'est pas une querelle sur les mots.

Il ne faudrait pas attribuer le souci de précision aux seuls philosophes de notre siècle. On peut trouver chez maints auteurs classiques les idées similaires. Hume évoque dans la section VII de L'enquête sur l'entendement humain l' « explication exacte » des mots qui en fixerait le sens précis et résoudrait une part de problème que constitue la trop fréquente obscurité régnant en philosophie. Mutuza est contre cette philosophie de la croyance parce que Hume préconise l'incommensurabilité du discours philosophique. Or, ce que nous avons appelé l'idéal de précision repose justement sur cette croyance en l'existence d'un sens précis dont nous informerait une définition exacte, autrement dit la définition véritable, rigoureuse, complète, du mot ou du concept en question.

L'idée frégéenne de définition d'un concept illustre ce que Mutuza nomme un dialogue de sourds(283(*)). Si l'on revient chez Frege (+ 1925), on voit, dans les lois fondamentales de l'arithmétique, que l'on peut définir un concept en déterminant « de manière non ambiguë si un objet est subsumé ou non par le concept correspondant ». Puis il ajoute: « Pour utiliser une métaphore, le concept doit posséder des frontières ».

De manière plus générale c'est, comme pour Frege, c'est par la définition que l'on escompte gagner en précision, et éventuellement atteindre la précision et selon Carnap (+ 1970), par exemple, expliquer une certaine chose, c'est la remplacer par le concept exact qui lui sert d'explicans. Mais on voit immédiatement l'écueil que rencontre ce souhait : la régression ad infinem. En effet, il se trouvera toujours dans la nouvelle définition des termes à définir, puisque l'on veut être absolument précis. Sauf à admettre, qu'on finit par arriver à des termes indéfinissables primitifs, parce que logiquement simples et minimaux. On reconnaît là ce qui fut la position de Frege, contre Hilbert notamment : le choix des termes indéfinis, comme les axiomes d'une théorie, n'est pas arbitraire. Mutuza montre qu'une y a une différence entre le concept et le terme. Un concept peut être exprimé en plusieurs terme, tandis qu'un terme est toujours identitaire. L'exemple des concepts d'Etat, de Tribu, de nation...

C'est pourquoi la recherche de la précision ne peut pas, ne doit pas, être une fin en soi. Elle entraîne au demeurant la plupart du temps une perte de temps et d'énergie sur des préliminaires qui se révèlent le plus souvent inutiles : « pour pouvoir porter un jugement objectif et impartial sur mon ouvrage »(284(*)). Ce qui serait grave c'est d'avoir une perte de clarté dans l'expression. « En effet, clarté et précision sont des fins différentes, parfois même incompatibles »(285(*)) . Parce que seule la clarté est une valeur intellectuelle -en tant qu'exigence ayant trait au discours et à sa présentation, elle conditionne la bonne marche de la discussion critique et sa possibilité.

Pour Mutuza tendre à la clarté de ses pensées et à leur lucidité, c'est un devoir moral pour tous les intellectuels. Le manque de cette clarté est un péché, la prétention un crime.(286(*))

Il sied toutefois de ne pas se méprendre sur le statut de l'idée de clarté. Pas plus que l'exactitude, elle ne peut fournir un quelconque critère systématique de vérité ou de préférence. Elle n'est pas plus que l'exactitude. « La situation d'exception prévalant dans le pays peut justifier que l'on recourt, de façon réaliste ou pragmatique, à des solutions d'exception »(287(*)).

Comme souvent Mutuza procède par défaut, autrement, la clarté et la distinction constituent des traits, l'obscurité et la confusion sont susceptibles d'être des indices de l'erreur. Il s'agit d'un principe régulateur, une sorte de critère pragmatique(288(*)), témoin d'un esprit ouvert à la critique. Il est en effet fort difficile de soumettre à la critique des idées présentées de façons obscure et floue.

La suspicion à l'égard de la terminologie se présente en ces termes également. Ce qui est refusé n'est pas l'apport, parfois réel que peut donner une mise au point sur le sens d'un mot, mais l'attitude obscurantiste qui peut se cacher derrière le pointillisme. Ce qu'évite Mutuza, c'est bien « une telle confusion,...critique tendancieuse et calomnieuse, se refugiant dans les affirmations gratuites et qui, pour peu qu'elle se soit permise de coller au texte »(289(*)). C'est  la pseudo-exactitude qu'elle implique au nom de ce que l'on appellera le principe d'effort : « je vous mets au défi de citer dans mon texte le ou les passages où j'utilise les termes...que vous employez de manière scandaleusement confuse qui témoigne de votre ignorance crasse de ces concepts élémentaires du marxisme »(290(*)). Il convient de ne pas interpréter cette maxime en un sens wittgensteinien, insinuant qu'il y a des choses qui ne peuvent être dites (mais juste, par exemple, montrées). Il n'est rien qui soit plus étranger à l'esprit de Mutuza que ce genre de mysticisme. Ce qu'il faut retenir est ce devoir moral pour les intellectuels qu'est le rejet de l'obscurité dans l'expression des idées, ainsi que le souci de n'être pas plus précis que la situation ne l'exige.

Mutuza donne une nouvelle image de la lutte et du marxisme Le seul aspect scientifique du marxisme se trouve dans son refus préalable des mythes et dans la mise au jour des intérêts les plus crus, comme le pense Camus. Mais en cela, Marx n'est pas plus scientifique que La Rochefoucauld (+ 1680). Cette attitude est celle qu'il abandonne dès qu'il entre dans la prophétie. On ne s'étonnera pas que, pour rendre le marxisme scientifique, et maintenir cette fiction, utile au siècle de la science, il eût fallu au préalable rendre la science marxiste, par la terreur.

On pense que le progrès de la science, depuis Marx, a consisté en gros, à remplacer le déterminisme et le mécanisme assez grossier de son siècle par un probabilisme provisoire. Marx écrivait à Engels (+ 1895) que la théorie de Darwin (+1882) constituait la base même de leur théorie. Pour que le marxisme restât infaillible, il a fallu nier les découvertes biologiques depuis Darwin. Comme il se trouve que ces découvertes, depuis les mutations brusques constatées par de Vriès (+1935), ont consisté à introduire, contre le déterminisme, la notion de hasard en biologie, il a fallu charger Lyssenko (+ 1976) de discipliner les chromosomes, et de démontrer à nouveau le déterminisme le plus élémentaire.

Pour cela, le XXeme siècle devra nier aussi le principe d'indétermination en physique, la relativité restreinte, la théorie des quanta et enfin la tendance générale de la science contemporaine. Le marxisme n'est aujourd'hui scientifique qu'à condition de l'être contre Heisenberg (+ 1976)(291(*)), Bohr(292(*)), Einstein (+ 1955)(293(*)) et les plus grands savants de ce temps. Après tout, le principe qui consiste à ramener la raison scientifique au service d'une prophétie n'a rien de mystérieux. Il s'est déjà appelé le principe d'autorité ; c'est lui qui guide les Églises lorsqu'elles veulent asservir la vraie raison à la foi morte et la liberté de l'intelligence au maintien de la puissance temporelle.

§3. Ordre et désordre dans la lutte politique

Nos vies évoluent dans un mouvement constant, dans une alternance d'ordre et de désordre. Il y a des moments, comme l'adolescence ou la vieillesse, où la fragilité et l'angoisse sont plus fortes. Dans l'ensemble, la vie n'est jamais linéaire. Elle se joue de nos agendas, de nos sécurités et de nos places établies. Elle est parsemée de moments de chaos, de désordres, causés par une maladie, un accident, la perte d'un travail, la disparition d'amis. Ces temps entropiques qui bouleversent nos projets et nos habitudes exigent une remise en ordre progressive de nos vies. L'entropie sociale n'est jamais facile à vivre. C'est un temps de deuil, de désolation.

C'est dans cette perspective que Mutuza ouvre une autre question dans la lutte politique : les rapports entre les structures claniques et les structures étatiques. Il se démarque de M. Balandier. Cette question est liée à celle de la genèse de la société à état traditionnel et également au problème de la typologie des systèmes politiques. Elle en pose elle-même deux autres :

-dans quelle mesure le vieil ordre clanique et lignager est-il aboli dans la société à Etat ; dans le cas contraire, comment coexistent-ils ?

-dans quelle mesure peut-on tracer une frontière entre les structures claniques ou celles qui sont dites telles et les structures étatiques ou celles qui sont dites telles ?

L'auteur de Les fondements culturels du fédéralisme, déclare qu'il est impossible d'opposer terme à terme ces deux structures ; le plus souvent les auteurs proposent un continum entre les deux. Mutuza ne nous laisse pas indifférent. Il considère, comme l'a aussi fait E. Leach, que ces aspects sont comme deux pôles ; pôle égalitaire clanique et pôle inégalitaire hiérarchique ; entre les deux toute une série de formation diverses peuvent prendre place et cela aussi bien d'une société à une autre qu'à l'intérieur d'une même société au cours de son histoire.

On se rend compte que le problème des relations entre clan et Etat engage bien plus que l'anthropologie politique. Il a une incidence générale et montre que les sociétés portent en elles des incompatibilités et des contradictions. Au cours de leurs transformations elles n'éliminent pas les formes anciennes d'organisation : « le vieux coexiste avec le neuf » : c'est la notion de complexité verticale dont parle H. Lefèvre. Complexité à laquelle Sartre a donné son adhésion dans la partie « Question de méthode » de la critique de la Raison dialectique. Mutuza se situe sur le terrain des sociétés présentant une géologie sociale où différentes couches et différents éléments cohabitent de façon plus au moins harmonieuse. C'est la lutte dont Marx chante la victoire et prophétise l'avènement.

Les marxistes ont envisagé ce problème, principalement Engels, dans l'Antidühring. Engels examine les modalités du pouvoir dans les communautés primitives : il y existe des individus qui ont la sauvegarde des intérêts collectifs ; mais ces fonctions opèrent sous le contrôle de tous. Ce sont des charges qui représentent les débuts du pouvoir d'Etat. Alors se pose la question comment cette fonction sociale a-t-elle pu devenir avec le temps une autorité sur la société ?

J. J. Maquet souligne à propos du Ruanda ancien, ce que Mutuza affirme dans La problématique du Mythe Hima-Tutsi, l'existence d'une contradiction entre clan et Etat. Cette contradiction est en partie résolue en vidant le clan de sa substance ; elle conduit à l'annulation de l'un des termes.

Dans ce Ruanda le politique est au maximum dégagé du système clanique : le clan est comme une forme qui aurait été vidée de son contenu. Le politique est plus organisé sur la base des réseaux des rapports personnels que sur des réseaux de descendance. C'est l'autorité administrative et militaire qui lui fournit sa base. Cependant dans les régions périphériques, éloignées de la source du pouvoir et de l'autorité, c'est l'ordre clanique qui l'emporte sur l'ordre étatique.

Comment l'Etat tente-t-il de résoudre les contradictions qu'il porte en lui ? Comment les marxistes ont essayé de répondre ? Ici intervient la place de la prophétie sociale de Marx que Camus paraphrase : « Finalement, de la prophétie de Marx, dressée désormais contre ses deux principes, l'économie et la science, il ne reste que l'annonce passionnée d'un événement à très long terme. Le seul recours des marxistes consiste à dire que les délais sont simplement plus longs et qu'il faut s'attendre à ce que la fin justifie tout, un jour encore invisible. Autrement dit, nous sommes dans le purgatoire et on nous promet qu'il n'y aura pas d'enfer »(294(*)) ». Le problème qui se pose alors est d'un autre ordre. Si la lutte d'une ou deux générations au long d'une évolution économique forcément favorable suffit à amener la société sans classes, le sacrifice devient concevable pour le militant : l'avenir a pour lui un visage concret, celui de son petit enfant par exemple. Camus continue : « Mais si, le sacrifice de plusieurs générations n'ayant pas suffi, nous devons maintenant aborder une période infinie de luttes universelles mille fois plus destructrices, il faut alors les certitudes de la foi pour accepter de mourir et de donner la mort. Simplement, cette foi nouvelle n'est pas plus fondée en raison pure que les anciennes »(295(*)).

La recherche du domaine de définition, condition de possibilité de l'existence d'une fonction, permet de comprendre l'identité des différents éléments des ensembles. C'est pourquoi on parle de la destruction chez les marxistes. Cela crée les frontières du politique par rapport à la culture envisagée en tant que système et rapport à ses divers éléments. Il existe une corrélation entre la culture et le système politique. Cette corrélation est inversement proportionnelle c'est-à-dire que moins l'intégration culturelle est poussée plus l'intégration politique est efficace. Cette proportionnalité est calculable à partir de la fonction f dont l'axe des x, la droite x = a et la droite x = b296(*).

Nous sommes en mathématique pure et quiconque veut comprendre la lutte politique avec ses valeurs telle qu'expliquer par Mutuza doit entrer dans la théorie des ensembles en logique. Pour simplifier, on doit supposer que f(x) = 0 entre a et b. Pour tout x = a, soit L(x) l'aire de la région comprise entre a et x. On détermine la valeur de A, supposant que cela suffit pour calculer L(x) et pour l'appliquer à x = b. Si h est une petite variation de x, le domaine délimité par la représentation graphique de f et l'axe des abscisses compris entre x et x + h s'apparente approximativement à un rectangle de hauteur f(x) et de largeur h(297(*)).

Par conséquent, l'aire de ce domaine, par ailleurs égale à L(x + h) - L(x), est sensiblement égale à f(x).h. Lorsque h ? 0, ces approximations deviennent plus fondées : k / h ? f(x). On en déduit que L(x) = f(x) : L est une primitive de f. Donc, si nous connaissons une primitive F de f,L = F + c,c est une constante. Mais comme L(a) = 0, c = -F(a). Par conséquent, A = L(b) = F(b) - F(a). C'est sensible dans ce domaine où le mythe prend la place de l'histoire(298(*)).

Où veut-on en venir avec ses analyses mathématiques si Mutuza, après Malinowski, révèle que le mythe et le rituel peuvent être intégrés comme des arguments en matière de langage justifiant le droit, le statut, le pouvoir ? L'étude de ces fonctions nous montre que le mythe et le rituel peuvent régir le politique et dans cette mesure nous apparaissent comme les homologues de l'idéologie dans nos sociétés modernes.

A moins que Mutuza traite avec la philosophie du langage pour atteindre ses objectifs en matière de lutte politique. Nous donnant une réponse contre le marxisme instrumental et nous invitant à la métaphysique comme le ôïðïò ou le socle du nominalisme, il nous avertit de l'affront comme résolution à la prophétie marxiste.

Ceux qui pressentent cette vie nouvelle et la voient émerger à travers le désordre sont souvent considérés comme des révolutionnaires ; on les trouve trop modernes ou trop libéraux. Ceux qui ne pressentent rien de neuf et ne perçoivent que l'ébranlement de leurs repères habituels ont peur et s'accrochent à ce qu'ils connaissent. Quant à ceux qui gouvernent, ils croient souvent qu'en tenant fermement les rênes du pouvoir ils éviteront l'anarchie. En réalité, les responsables ont peur de partager ou de perdre leur pouvoir. Eux aussi craignent le changement.

Section 2. Affront comme réponse au nominalisme

§ 1. Nominalisme méthodologique

On sait qu'il importe beaucoup aux philosophes, en particulier ceux de notre siècle, d'être précis dans leur langage, de savoir de quoi ils parlent. Mutuza est quelque part intransigeant dans ses propos quand il reproche aux philosophes et intellectuels congolais d'engager des discussions sur des évidences(299(*)). Il se demande comment, quand bien même sachant qu'il importe beaucoup aux philosophes, en particulier ceux de notre siècle, d'être précis dans leur langage, de « savoir de quoi ils parlent », mais ils ne laissent pas d'en discourir tout de même que s'ils les comprenaient.

L'affront trouble tellement la philosophie de Mutuza qu'il est buté à la question ontologique du statut de sa lutte politique(300(*)). Dans quelle mesure l'injure et l'injustice sont-elles autorisées dans la lutte politique ? C'est le problème de circonstance. Tous les problèmes concernant le temps, la connaissance et l'être dans son humanisme nous poussent vers l'analyse ontologique du nominalisme. Nous sommes tous nominalistes sans le savoir et par naissance. En tant que nominalistes, nous avons tendance à objectiver notre monde(301(*)). Cette tendance est seulement un accident historique et non pas une nécessité essentielle. Le souci des réalistes du Moyen Age par exemple était de maintenir la validité des universaux comme expressions authentiques de la réalité(302(*)).

Le nominalisme, dans notre conception philosophique vient du latin nominalis, « nominal », dans la philosophie scolastique médiévale, doctrine qui substitue à la notion d'idées générales celle de signes généraux, et qui affirme que les universaux (ou concepts universels), sont des signes, et non des substances constituant un ordre du réel ; seules les choses particulières sont pourvues d'existence.

Ainsi les universaux, tels que cercle, beauté ou animal, passent pour n'être que des noms, des termes qui ne servent à évoquer que des choses particulières. Le nom « cercle » qui s'applique aux choses circulaires, est, en tant que tel, une désignation générale ; mais il n'existe pas séparément une entité concrète et une essence de la circularité correspondant au nom. L'universel ne peut donc être qu'un terme.

Le nominalisme s'est développé dans la lignée de la logique dérivée d'Aristote selon laquelle toute réalité est faite de choses singulières, tandis que la théorie du réalisme est issue des idées universelles (ou archétypes) de Platon. Pour le réalisme, les universaux ont une existence réelle et séparée, antérieure ou indépendante des objets particuliers dans lesquels ils se manifestent.

La querelle entre le nominalisme et le réalisme s'est amplifiée au Moyen Âge : la position nominaliste a été exposée par Roscelin (+ 1125), puis développée par Guillaume d'Occam (+ 1349), tandis que la position réaliste a été illustrée par Bernard de Chartres et Guillaume de Champeaux (+ 1121).

Entre le nominalisme et le réalisme, le conceptualisme fait figure de doctrine intermédiaire, pour laquelle les universaux, bien que dénués d'existence réelle ou substantielle dans le monde extérieur, existent néanmoins en tant qu'idées ou concepts, et ne sont par conséquent davantage que des simples noms. Un réalisme plus modéré affirme que les universaux sont logés dans l'esprit humain et qu'ils se réfèrent à des qualités des choses particulières.

L'enjeu de la querelle n'est pas seulement philosophique ; il est aussi théologique, car Roscelin soutient que la Trinité (le Père, le Fils et le Saint-Esprit), conçue traditionnellement par la théologie catholique comme constituant l'unité d'une seule nature divine, ne peut être comprise selon la méthode individualisante du nominalisme que comme trois dieux distincts et séparés. Aussi l'Église est-elle fermement opposée au nominalisme. Dans le domaine de l'éthique, cette position anti-nominaliste implique le rejet d'une hypothétique nature humaine et le refus de la doctrine du droit naturel bâtie sur ce concept : selon la position dominante dans l'Église, les actes sont moralement bons ou mauvais selon qu'ils sont commandés ou interdits par Dieu.

Le nominalisme d'Occam a suscité de nombreux débats, notamment avec les empiristes et dans les discussions sur la nature du langage. Le questionnement sur les universaux, surtout, ne s'est pas éteint et a ouvert la voie à de nombreuses théories nominalistes modernes telles que l'instrumentalisme, le pragmatisme et le positivisme logique.

La critique sans appel que la philosophie analytique(303(*)) adresse d'ailleurs à toute la littérature philosophique qui la précède, c'est-à-dire la « métaphysique » est de ne pas savoir de quoi elle parle, ou plutôt de parler de n'importe quoi, voire de rien du tout, en utilisant des termes au mieux confus, au pire complètement vides de sens. Cette situation est d'autant plus dangereuse quand il s'agit de mal du pays, cette sangsue.

§2. De la déconstruction du langage philosophique

Mutuza cherche à construire un nouvel édifice du nominalisme en créant la réévaluation des concepts. Mais le rapport qu'il entretient entre le terme et le concept ouvre la voie qu'il a fermée aux questions des mots et de leurs définitions. C'est là la déconstruction du langage philosophique par laquelle il interpelle les philosophes d'entretenir la confusion entre le terme et le concept. Pareille explication ouvre la voie qu'il a fermée aux questions des mots et de leurs définitions. C'est là sa déconstruction.

Par la déconstruction du langage philosophique, Mutuza entend démonter les éléments dont se sont servis les ingénieurs de la science philosophique pour en élever un nouvel édifice capable de rénover la société congolaise. Il entend le faire en rapport avec la philosophie du langage dont la réévaluation des concepts est une des méthodes qu'il préconise. Il l'emprunte dans la forme négative, Áïßêïäüìçóéò(304(*)), ce qu'Aristote construit en métaphysique.

La philosophie du langage a deux orientations. La première est celle dite philosophie analytique. En tant que méthode de la philosophie, l'analyse linguistique remonte à l'Antiquité grecque. Plusieurs dialogues de Platon, par exemple, ont explicitement pour objet de clarifier des termes et des concepts. Il n'en reste pas moins que ce style particulier de la philosophie connut un spectaculaire regain d'intérêt au XXe siècle. Sous l'influence de la première tradition de l'empirisme britannique de John Locke (+ 1704), George Berkeley (+ 1753), David Hume (+ 1776) et John Stuart Mill, ainsi que des écrits du mathématicien et philosophe allemand Gottlob Frege, au XXe siècle, les philosophes anglais G.E. Moore (+ 1958) et Bertrand Russell (+ 1970) sont apparus comme les pères de ce courant analytique et linguistique contemporain. La parenté de pensée est que Mutuza refuse de faire le bien en forçant les autres à être heureux.

Mutuza se situe entre Hume et Stuart Mill cherchant à répondre à la question comment faire le bien sans forcer les autres d'êtres heureux ? Sa réponse est proche de Moore et Russell qui rejetaient l'idéalisme hégélien, en particulier l'interprétation qu'en livraient les oeuvres du métaphysicien anglais Francis Herbert Bradley. Celui-ci affirmait que rien n'est absolument réel sauf l'absolu. Leur opposition à l'idéalisme et leur attachement à l'idée qu'il est crucial, en philosophie, de porter une attention minutieuse au langage, eurent une influence déterminante sur l'état d'esprit et le style de la philosophie dans une grande partie du monde anglophone au XXe siècle.

Moore considérait la philosophie avant tout comme une analyse. Philosopher exige de clarifier des propositions ou concepts énigmatiques, en leur apposant des propositions ou concepts moins énigmatiques et censés être logiquement équivalents aux premiers. Cette tâche une fois accomplie, on peut établir avec plus d'exactitude la vérité ou la fausseté de propositions philosophiques problématiques. Moore est célèbre par ses minutieuses analyses d'énoncés philosophiques énigmatiques comme « le temps est irréel », par lesquelles il déterminait alors la vérité de telles assertions. Fortement influencé par la précision des mathématiques, Russell chercha à développer un langage logique idéal qui soit le reflet fidèle de la nature du monde. Les propositions complexes peuvent, selon la thèse de Russell, être résolues en leurs plus simples composantes, qu'il appelait « propositions atomiques ». Ces propositions renvoient aux faits atomiques, les ultimes constituants de l'univers.

La conception métaphysique fondée sur cette analyse logique du langage, jointe à la nécessité, pour les propositions pourvues de sens, de correspondre à des faits constituent ce que Russell a appelé l'« atomisme logique ». Son intérêt pour la structure du langage le conduisit également à distinguer la forme grammaticale de la forme logique d'une proposition. Les assertions « Jean est bon » et « Jean est grand » ont la même forme grammaticale, mais des formes logiques différentes. Ne pas reconnaître cette différence reviendrait à traiter la propriété « bonté » comme si elle était une caractéristique de Jean au même titre que la propriété « grandeur ». C'est de ce genre d'erreur que découle la confusion philosophique.

Les recherches mathématiques menées par Russell attirèrent à Cambridge le philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein (+ 1951), qui devint une des figures centrales du mouvement analytique et linguistique. Dans son premier ouvrage, Tractatus logico-philosophicus (1921), dans lequel il exposa pour la première fois sa théorie du langage, Wittgenstein soutenait que toute philosophie est une critique du langage et que « la philosophie a pour but l'éclaircissement logique de la pensée ». Les résultats des analyses de Wittgenstein se rapprochaient beaucoup de l'atomisme logique de Russell. Il affirmait que le monde est, en dernière analyse, composé de faits simples, que le langage a pour but de dépeindre. Pour être pourvues de sens, les assertions sur le monde doivent être réductibles à des énoncés linguistiques qui ont une structure similaire aux faits simples représentés. Dans cette analyse du premier Wittgenstein, seules les propositions qui représentent des faits -- comme les propositions de la science -- sont considérées comme factuellement signifiantes. Les propositions métaphysiques, théologiques et éthiques sont jugées comme factuellement vides de sens. Influencé par Russell, un groupe de philosophes et de mathématiciens fonda à Vienne, dans les années 1920, le mouvement dit « positivisme logique ».

Sous la direction de Moritz Schlick (+ 1936) et de Rudolf Carnap, le cercle de Vienne accomplit une des oeuvres les plus significatives de l'histoire de la philosophie analytique et de la philosophie du langage. Pour eux, la tâche de la philosophie est la clarification du sens et non la découverte de nouveaux faits (objet de la science) ou l'élaboration d'une explication d'ensemble du réel (quête infructueuse de la métaphysique traditionnelle). Les positivistes répartissaient tous les énoncés pourvus de sens en deux catégories : les propositions analytiques et les propositions empiriquement vérifiables. Les propositions analytiques, qui englobent les propositions de la logique et des mathématiques, sont des assertions dont la vérité et la fausseté dépendent entièrement de la signification des termes qui les composent, comme la proposition « deux plus deux égalent quatre ». La seconde catégorie de propositions pourvues de sens comprend toutes les assertions sur le monde qui sont vérifiables, du moins en principe, par l'expérience sensorielle. En fait, les sens de telles propositions requiert la méthode empirique de vérification. Cette théorie vérificationniste de la signification, de l'avis des positivistes, permet de démontrer que les assertions scientifiques sont des affirmations factuelles légitimes et que les énoncés métaphysiques, religieux et éthiques sont factuellement vides. Les idées du positivisme logique furent exposées de A. J. Ayer(305(*)).

La théorie positiviste vérificationniste de la signification fit l'objet de critiques virulentes de la part de philosophes comme Karl Popper. Finalement, cette théorie étroite de la signification fit place à une conception plus large de la nature du langage. Là encore, Wittgenstein joua un rôle prépondérant. Rejetant nombre des conclusions du Tractatus, il inaugura une pensée d'un type nouveau, qui culmina dans son oeuvre posthume, les Investigations philosophiques (1953). Dans cet ouvrage, Wittgenstein montrait que la variété et la flexibilité du langage se font jour dès lors que l'on prête attention à la façon dont le langage est vraiment utilisé dans le discours ordinaire. Les propositions font beaucoup plus que dépeindre des faits. Cette découverte fut à l'origine du concept wittgensteinien de jeux de langage. En témoignent, par exemple, le scientifique, le poète, le théologien, qui sont impliqués dans différents jeux de langage. De plus, la signification d'une proposition doit être comprise dans son contexte, c'est-à-dire en termes des règles du jeu de langage dont elle fait partie. Wittgenstein en conclut que la philosophie est la tentative de résoudre les problèmes qui résultent de la confusion linguistique, et que la clef de tels problèmes réside dans l'analyse du langage ordinaire et dans l'usage approprié du langage. Le mouvement analytique et linguistique s'est vu enrichi de nouvelles contributions, à travers les oeuvres des philosophes britanniques Gilbert Ryle, John Langshaw Austin et P.F. Strawson, et du philosophe américain W.V. Quine. Selon Ryle, la tâche de la philosophie est de reformuler les « expressions systématiquement trompeuses » sous une forme logiquement plus exacte. Musey y avait apporté sa pierre en démontrant dans le Cratyle de Platon l'importance d'une réévaluation des concepts et de leur fonctionnalité. Il s'intéressait tout particulièrement, comme son collègue Ryle, aux assertions dont la forme grammaticale suggérait l'existence d'objets non-existants. Ainsi Ryle est-il célèbre par son analyse du langage mentaliste, langage qui suggère trompeusement que l'esprit est une entité au même titre que le corps.

La deuxième est celle du langage ordinaire. Mutuza se réfère à Austin qui affirmait que toute recherche philosophique doit, dès le départ, porter une attention particulière aux distinctions subtiles qui sont à l'oeuvre dans le langage ordinaire(306(*)). L'analyse du concept d'Etat débouche sur une théorie générale qu'il appelle rupture épistémologique. Cette rupture est proche des actes de langage chez Austin, c'est-à-dire une description de la variété des actes qu'un individu est susceptible d'accomplir en énonçant quelque chose.

Mutuza complète sa théorie par l'analyse que Strawson fit des relations entre logique formelle et logique du langage ordinaire. La complexité de ce dernier n'est pas, selon lui, représentée de façon adéquate par la logique formelle. Aussi est-il nécessaire d'ajouter un grand nombre d'instruments analytiques à la logique pour analyser le langage ordinaire. Quine se pencha sur le rapport entre langage et ontologie. Il affirmait que les systèmes linguistiques tendent à engager leurs utilisateurs à présupposer l'existence de certaines choses. Pour Quine, les raisons qui justifient la manière de s'exprimer d'une façon plutôt qu'une autre sont purement pragmatiques. L'analyse du langage, considérée comme partie intégrante et indispensable des recherches philosophiques, demeure un aspect majeur de la philosophie contemporaine. Par ailleurs, le clivage se perpétue entre ceux qui préfèrent travailler avec la précision et la rigueur des systèmes logiques symboliques et ceux qui préfèrent analyser le langage ordinaire.

Mutuza a opté pour cette dernière position. Bien qu'il y ait peu de philosophes contemporains pour affirmer que tous les problèmes philosophiques sont linguistiques, l'idée que l'examen de la structure logique du langage et de l'usage du langage ordinaire peut souvent contribuer à la résolution des problèmes philosophiques demeure largement partagée. Et ce partage, Mutuza le prend en termes du géométrique.

§3. Terre ou géométrie ?

Si la terre est cet espace géographique habitable, la géométrie qui, comme la terre, dérive du même étymon ãçò, n'est pas un simple arpentage (ãåùäáéóßá). Elle est plutôt une construction de cet espace. Le constructeur, l'être humain, vient de la terre -la terre du corps de la femme -, il s'enracine dans une culture, une langue, une race(307(*)). L'Appartenance est comme la terre où chacun est nourri pour grandir et porter des fruits. Ainsi le groupe peut être cette terre, à partir de laquelle nous trouvons confiance pour nous ouvrir à d'autres et, par là, découvrir notre humanité commune.

Pour comprendre cette humanité commune il n'y a qu'une seule voie : la philosophie. La définition de la philosophie que Mutuza nous donne est d'inspiration russellienne(308(*)). Comment ? Elle mêle la déduction à l'induction. C'est une mathématisation des données de la culture. L'idée d'une géométrie cartésienne est assez remarquable(309(*)). Nous sommes dans un pythagorisme de l'école de Franz Crahay qui, à tous points de vue, est la plus importante pour notre étude, celle d'un ressortissant des écoles occidentales. La philosophie occidentale des siècles coloniaux est, en effet, pénétrée par la pensée géométrique de Pythagore et de Descartes au point qu'on peut parler du cartésianisme d'un Crahay et réciproquement qu'un Smet pourrait aussi bien être considéré comme pythagoricien(310(*)).

Le cartésianisme se construit en réaction contre cette attitude d'extorsion. Le principal représentant de cette réaction est Dubarle. Mutuza lui a réservé la dédicace de son livre De la Philosophie Occidentale à la Philosophie négro-africaine, Apport des philosophes zaïro-congolais.

Biangani, en indiquant la liste des textes de Senghor, de Houtondji, de Tempels et de Towa où l'on propose de retrouver sa pensée, ne méconnait pas les divergences des interprètes et affirme lui-même souvent plus qu'il ne démontre. Mais cette réserve faite, la substance de la pensée est sociologique. Or ces philosophes insistent trop sur l'humanité négro-africaine. Négritude. Ce n'est qu'avec les mathématisables que nous pouvons bien comprendre le concept d'appartenance.

La mathématique en ce sens sera un moyen adéquat. L'étude des nombres nous guidera. Tout poème ou texte dû à l'oralité se conforme à l'étude des fonctions mathématiques311(*) avec une appartenance et une inclusion en même temps de tons et longueurs des syllabes. Ce qui permit à Mutuza de saisir la valeur numérique de la démocratie. Il écrit que « ils ne représentaient qu'eux-mêmes et leur ethnie, forte de quelques 40. 000 âmes, contre plus de 50.000. 000 d'âmes qui peuplaient la province du Kivu-Maniema d'alors »(312(*)).  Seul le nombre, à la manière pythagoricienne nous convaincra(313(*)). Mais avant tout, il faut connaître ces nombres et leur nature.

C'est parce que les mathématiques sont les sciences ayant pour objet l'étude au moyen du raisonnement et de la déduction d'êtres ou d'entités abstraites (nombres, figures, etc.) que nous considérons les faits comportementaux des Bantu comme mathémasables.

De la genèse de ces sciences, il est intéressant de démontrer qu'elles sont nées des besoins pratiques de l'homme (dénombrement, mesures de l'espace géographique). Avec le temps, elles ont pris leur autonomie surtout avec le développement d'un mode de démonstration rigoureuse des propriétés à partir de prémisses posées pour vraies (méthode axiomatique). Tout en gardant un lien avec le réel -- nombre de concepts ou de problèmes mathématiques sont nés de la physique --, elles ont aussi créé leurs propres objets, concepts et théories. Ceux-ci à leur tour sont devenus souvent des outils puissants pour l'étude des phénomènes physiques ou pour la modélisation des réalités humaines et sociales. L'exemple du partage de l'Afrique en un exemple dans la modélisation des réalités sociales et humaines. Ces réalités furent mises en pratique par les sciences coloniales vers les années 1884.

La Conférence de Berlin, tenue de novembre 1884 à février 1885, qui a consacré les règles du partage colonial en Afrique centrale était imprégnée des idées géométriques et mêlait les convictions analytiques. Mutuza décrie le recul vers lequel les chercheurs et spécialistes des pays de Grands-Lacs nous entraînent en suivant le schéma de Berlin de la citoyenneté transfrontalière.

En effet, l'Allemagne et la France ont organisé cette conférence de Berlin qui avait réunit les délégués de quatorze nations : Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Espagne, États-Unis, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Russie, Suède, Turquie. Le 23 février 1885, les États participants édictent, dans un « acte général », deux principes essentiels de la colonisation. Le premier proclame la liberté de navigation sur le Niger et le Congo et la liberté de commerce dans le bassin du Congo ; le second, aux objectifs plus vastes, développe la théorie des zones d'influence : chacune des puissances contractantes peut revendiquer l'annexion de territoires occupés en reculant indéfiniment ses frontières jusqu'à ce qu'elles rencontrent une zone d'influence européenne voisine. Cette extension territoriale suppose une occupation effective et une notification instantanée des accords conclus par les dirigeants autochtones avec les autres puissances contractantes.

Cette conférence a dû donner l'image d'une rencontre digne de pensées sociales selon la théorie de big bang(314(*)) et de la répartition des richesses. Après la première guerre dite mondiale, s'est constitué le Cercle de Vienne dont la pensée influencera le monde scientifique.

C'est à partir des études de ces scientifiques que nous avons pu distinguer la pensée analytique de la pensée géométrique de nos deux peuples : agriculteurs et pasteurs.

L'échec de l'Allemagne à la deuxième guerre mondiale a permis aux puissances occidentales de confier la direction de ses colonies à la Belgique. Et c'est par ici que nous avons la meilleure compréhension de nos deux sociétés, Hutu et Hima-Tutsi. Ceux des philosophes qui venaient en Afrique avaient entre leurs mains ces deux armes pour opposer les Hutu et les Tutsi. Sachant l'accent culturel de leur pensée penchant de l'analytique et de la géométrie, c'est comme un certain positivisme social.

Mutuza recourt à l'analyse psychologique des deux civilisations. Le recours à la méthode psychanalytique est un emprunt de la géométrie analytique. La pensée analytique permet de jouer un rôle minutieux dans le développement des raisonnements concernant les relations sociales, car la géométrie analytique le permet d'unifier les concepts de l'analyse (relations numériques) et de la géométrie (relations spatiales). Si on se place du côté des mathématiques, l'étude des géométries non-euclidiennes et des géométries dans les espaces à plus de trois dimensions n'aurait pas été concevable sans une approche analytique. De même, les techniques de la géométrie analytique, en rendant possible la représentation graphique de nombres et des expressions algébriques, ont apporté une meilleure compréhension du calcul infinitésimal, de la théorie des fonctions et d'autres problèmes mathématiques plus complexes.

Les populations des pasteurs n'ont pas d'esprit géométrique, c'est-à-dire qui étudie les relations entre les points, les droites, les courbes, les surfaces et les volumes. Comme l'ont développé les Hutu à cause de limites terriennes qu'ils se doivent. Elles ont plutôt une pensée analytique, c'es-à-dire qui concerne la psychanalyse. Dans ce sens qu'elles procèdent de la déduction à partir de principes fondés sur l'expérience et l'observation. Ce qui les différencie des peuples agriculteurs qui traitent géométriquement leurs relations sociales, avant l'arrivée de l'homme blanc.

A partir du XIXe siècle, un double mouvement s'est fait jour : vers l'étude des relations et des structures, d'une part, et, d'autre part -- liée à certaines difficultés rencontrées --, vers la refondation complète des sciences sociales au moyen de la logique et mathématique formelle, avec le fonctionnalisme de Malinowski. Plus récemment, les mathématiques, qui ont largement contribué à l'élaboration conceptuelle de l'ordinateur, ont trouvé dans cette machine et dans sa puissance de calcul un outil précieux pour tester et modéliser des hypothèses ou même « démontrer » des conjectures. C'est encore ici la réouverture du structuralisme et du modèle de la communication.

En effet, les mathématiques ont pratiquement le même âge que l'humanité elle-même : des preuves du sens géométrique et de l'intérêt pour des formes et des motifs géométriques ont été découvertes sur les poteries préhistoriques et sur les peintures des cavernes. Les systèmes de calcul sont, à cette époque, probablement fondés sur l'utilisation des doigts de l'une ou des deux mains, comme en témoigne la prédominance des bases 5 et 10 dans la plupart des systèmes de numération actuels. Ce qui justifie l'antériorité des agriculteurs dans les pays des grands lacs de l'Afrique centrale.

Pour qu'une science se développe, il convient que s'établisse entre le savant et son objet cette « distance critique », ce recul indispensable qui est la condition première de l'objectivité et qui nous fait spontanément défaut entre nous-mêmes et la société dans laquelle nous vivons. Il nous est plus aisé de prendre conscience d'autrui comme individu qui est mon vis-à-vis que de la société qui nous enveloppe et nous pénètre nous-mêmes et notre semblable. Ainsi est-ce la maxime inscrite au fronton du temple de Delphes -, (ãíþóåé óåáõôïí), connais-toi toi-même - , qui a servi de point de départ de la méthode de Socrate et ses disciples. Ce qui fut le premier essai occidental d'analyse de soi et d'autrui. Mais ces mêmes Grecs appelaient « Barbares » tous les autres peuples qui n'appartenaient pas à la famille hellénique, fondant les particularités propres à chaque peuple dans le refus explicite ou voilé d'avaliser leur manière d'être. Tous les hommes de toutes les sociétés ont commencé par considérer leur propre organisation et leurs propres modes de vie comme les seuls valables. « Etrange » et « Etranger » sont des mots dont le sens est bien près de se recouvrir.

§4. Société pluraliste et diapasonnée(315(*))

Dans la vie sociale le lien extérieur est plus fort que le lien biologique. Le but d'une communauté et la mission peuvent parfois empêcher la relation entre les membres. Ils se rencontrent non plus en tant que personnes, mais seulement pour collaborer et réaliser les objectifs de la communauté. Les membres peuvent même se cacher derrière les mille activités du groupe pour éviter les relations personnelles. L'autre n'est pas une personne importante en elle-même, mais seulement en tant qu'elle partage le même idéal. L'activité du groupe prime sur la qualité de l'amour(316(*)) qui doit unir les membres.

Il a été souvent dit que dans les villages africains, les gens sont rarement seuls. « Tout d'abord, ils vivent très proches les uns des autres, dit Jean Vanier »(317(*)). Ce qui est vrai c'est que dans la plupart des cas, les enfants dorment dans la même pièce. De ce fait la cour retentit de la présence des tantes, des oncles, des cousins et des parents en grand nombre. Tous sont rassemblés sous l'autorité d'un chef ou d'un groupe d'anciens.

Dans cet environnement, chacun semble marcher au pas : les hommes, les femmes, les anciens, les jeunes, les petits savent se situer, et chacun se sent en sécurité dans un monde dont la hiérarchie naturelle est stable. Ce constat nous permet d'affirmer que l'humanité a toujours été jeune parce que de toujours il y a des parents, des grands-parents, des fils, des petits fils, des neveux, des oncles des tantes, des cousins, etc. La société est pluraliste et diapasonnée.

Par société pluraliste et diapasonnée on entend un ensemble des souches et des couches de populations dont la conscience collective est de construire une culture idéale malgré les différences qu'elles subissent à la manière des valeurs que revêtent les nombres dans les ensembles, mais diapasonnée, on veut alors montrer quelque mécanisme de la marche cadencée et rythmée comme des notes musicales d'une gamme.

L'image que Mutuza se fait de la société est celle de M. Balandier. Mais Mutuza y adjoint la pensée de Russel. Il mathématise sa pensée et ouvre les antinomies entre état et lignage. Le fonctionnalisme de Malinowski est assurément présent dans les considérations des relations sociales chez Mutuza. Pour que l'on arrive à bien comprendre Mutuza dans ce domaine du pluralisme social et de l'harmonie qu'on en recherche, il nous faut saisir le sens des nombres pour que le fonctionnalisme soit restitué dans son champ propre : le raisonnement.

v Imitation des nombres par des choses sensibles ou entités culturelles

· Présentation graphiste des ensembles(318(*))

· De l'ensemble de nombres

Dans la philosophie pythagoricienne, le nombre est une quantité évaluée en unités. Il est une catégorie qui différencie l'unité de la pluralité. On peut donc croire Mutuza quand il se déploie à donner un exemple particulier contraire à la thèse proposée pour les Pays de Grands Lacs. Nous nommons íóôáóéò(319(*)) et c'est une position si l'on s'en tient au schéma graphique des ensembles. Dans le schéma ci-haut il y a six ensembles. Ces six ensembles de nombres peuvent être symbolisés par des cylindres de longueur infinie s'emboîtant les uns dans les autres. Les Nombres sont soit un mot soit un symbole utilisé pour désigner des quantités.

En arithmétique, un nombre désigne un élément des ensembles , , , , ou (ensembles qui « s'emboîtent » les uns dans les autres).

v Entiers naturels

Les nombres les plus simples sont les entiers naturels, ou entiers, c'est-à-dire présent dans l'univers indépendamment des êtres humains.qui appartiennent à l'ensemble infini 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 ... On dit que l'ensemble des entiers naturels, noté , est fermé vis-à-vis de l'addition et de la multiplication, ce qui signifie que la somme ou le produit de deux entiers naturels est toujours un entier naturel. En revanche, ce résultat est faux pour la soustraction de deux entiers naturels. C'est pourquoi on a été amené à introduire les entiers relatifs. Cette compréhension nous conduit vers la connaissance des chercheurs et spécialistes des pays de Grands Lacs selon qui l'évolution fait partie de la vie. Et c'est vrai, mais ils le disaient à propos du changement qui veut qu'il faille tout balayer du passé. Ils ont oublié qu'il y a des valeurs essentielles, profondément humaines, qu'il s'agit de préserver, non pas en les conservant embaumées dans leur cadre ancien, mais en réfléchissant à la façon de les vivre dans l'avenir(320(*)). Les Congolais se considèrent comme des entiers naturels. Alors que les Tutsi sont pour eux des entiers relatifs, c'est-à-dire possédant des signes soit ils sont congolais pour un temps soit ils ne le sont pas du tout(321(*)).

v Des entiers relatifs

Une pauvreté dans la connaissance des mathématiques fait que Mutuza présente la conception de la morale des Tutsi comme un manque de morale humaniste, et par conséquent pragmatiste. C'est comme si un Tutsi serait un entier relatif qui est un entier naturel existant de façon dépendante et auquel on attribue un signe, positif (symbole +) ou négatif (symbole -). Par exemple, 0, 1, - 3, - 6 sont des entiers relatifs, si est seulement si la possession est en négatif chez eux du fait de l'aséité du roi. Cela est une image que les Hutu se font des autres parce que ces autres ne sont pas enracinés dans une terre. À noter que lorsque l'entier relatif est positif, on omet souvent de préciser son signe, et c'est l'attitude que prennent les Tutsi en temps de paix. On constate donc que l'ensemble des entiers relatifs, noté , englobe l'ensemble des entiers naturels. On peut écrire  Ì  . Mais si cette image est vraie, comment avons-nous dans les échos du prétendu génocide le vocable des Hutu modérés ? Ce raisonnement montre qu'il y a des hommes dont la conscience est quelque peu décimale. Et Mutuza dit que « tout cela n'est exigible que dans la mesure où les droit des minorités sont compatibles avec l'existence et les intérêts les plus généreux de l'Etat. Or tel n'est malheureusement pas le cas des « Rwandais » qui, non contents de voir l'Etat Congo-Zaïre reconnaître et protéger leur existence et leurs intérêts, jusqu'à les promouvoir au sommet du pouvoir de l'Etat, exigent, par la force des armes, la reconnaissance de la nationalité congolaise collectivement, sans se soucier des prérogatives de l'Etat congolais »(322(*)).

v Nombres décimaux

La recherche du soutien des Occidentaux(323(*)) dont bénéficient les Tutsi fait dire à l'opinion congolaise qu'ils sont des entiers décimaux(324(*)).Un entier décimal est le quotient d'un entier relatif par une puissance de 10. Ainsi, - 100,2 ; 2,4 ; - 0,06 ; 8 et - 5 sont des entiers décimaux. L'ensemble des entiers relatifs est inclus dans l'ensemble des entiers décimaux, noté . On a donc  Ì   Ì  . L'ensemble des entiers relatifs est fermé pour la soustraction, mais non pour la division : on a alors été conduit à créer les fractions, dites nombres rationnels(325(*)).

v Nombres rationnels

On appelle nombre rationnel ou fraction tout nombre égal au quotient de deux entiers relatifs. En d'autres termes, r est rationnel s'il existe deux entiers relatifs p et q, q non nul, tels que r = p/q. Par exemple, 4/5 ; - 3/6 ; 5 ; 0 ; - 7,5 ; - 4 sont des nombres rationnels. On constate donc que l'ensemble des entiers rationnels, noté , contient l'ensemble des entiers décimaux . En effet, tout entier décimal d peut s'écrire sous la forme d = n/10p, où 10p est une puissance(326(*)) de 10. De même, tout entier naturel n correspond à la fraction n/1. On a  Ì   Ì   Ì  .

Par ailleurs, la somme, la différence, le produit et le quotient de deux nombres rationnels sont encore des nombres rationnels.

v Nombres réels

· Possibilité de sensibilité

La présence tutsie est problématique en RD Congo (1959). Et surtout quand il y a des nouvelles entrées de ces populations. L'esprit géométrique est, avons-nous dit, le propre des Hutu. Il y a à croire que Mutuza se réfère aux grands géomètres quand il parle de la citoyenneté transfrontalière telle que développée par les intellectuels africains au Cap(327(*)), en Afrique du Sud. C'est d'ailleurs avec le développement de la géométrie classique qu'est apparu le besoin de créer de nouveaux nombres comme base de différenciation. Ainsi, la longueur de la diagonale d'un carré dont le côté mesure une unité ne peut s'exprimer à l'aide d'une fraction. Cette longueur est égale à la racine carrée de 2, de symbole . Multipliée par elle-même, cette valeur vaut 2. De même, le quotient de la circonférence d'un cercle par son diamètre n'est pas un nombre rationnel, mais vaut p = 3,1415... Ces nombres sont dits irrationnels328(*).

La réunion de l'ensemble des nombres rationnels et de l'ensemble des irrationnels constitue l'ensemble des nombres réels, de symbole. On peut donc écrire  Ì   Ì   Ì   Ì  .

· La sensibilité arithmétique

La philosophie de Pythagore nous fait comprendre le dénombrement ou la démographie numérique des populations des grands-lacs. Si l'algèbre est une science majeure qui considère la nature des grandeurs selon leur nature et non selon leur valeur et les représente par des lettres et des symboles, le nombre réel r est un nombre algébrique s'il existe une relation de la forme a0 + a1.r + a2.r2 + ... + an.rn = 0, avec a1, a2, ..., an rationnels et n entier. Par exemple, est un nombre algébrique, car ( )2 - 2 = 0. Mutuza a raison de symboliser les valeurs culturelles de ces populations par une certitude arithmétique pour atteindre le nombre transcendant(329(*)).

v Monadisme (330(*))

C'est dans un atomisme métaphysique que Mutuza démontre le cloisonnement de peuple du Mythe Hima-Tutsi. Il pense que leur apparente ouverture est comme un nombre qui, fermé s'oppose à un nombre idéal (åßäçôéêüò). Il croit aussi pouvoir nous mettre en garde contre une tendance d'une grandeur semblable à un nombre réel  dit transcendant s'il n'est pas algébrique. Le mathématicien français Joseph Liouville en a démontré l'existence au XIXe siècle en explicitant les nombres dits « de Liouville »(331(*)). On peut aisément construire des nombres transcendants, en s'appuyant par exemple sur le théorème suivant : si a est un nombre algébrique non nul, alors ea est un nombre transcendant. En revanche, démontrer la transcendance d'un nombre donné est beaucoup plus délicat. Ainsi, la transcendance du nombre e n'a été démontrée qu'en 1872 par le mathématicien français Charles Hermite(332(*)), celle du nombre pi (p) en 1882 par le mathématicien allemand Lindemann et celle de 2 par le mathématicien allemand Carl Siegel, en 1932.

· Limites de la Décade

Dans les limites de la Décade le produit d'un nombre réel par lui-même est toujours positif ou nul. Aussi, l'équation x2 = - 1 ne peut pas avoir de solution dans l'ensemble des nombres réels. C'est pourquoi un nouvel ensemble de nombres a été construit, pouvant vérifier, entre autres, l'équation précédente. En définissant le nombre imaginaire i tel que i2 = - 1, on appelle nombre complexe un nombre de la forme x + iy,x et y sont des nombres réels. On peut alors résoudre l'équation suivante : x2 = - 9 par x = - 3i ou x = + 3i. On appelle nombre imaginaire un nombre pouvant s'écrire sous la forme ai, a étant un nombre réel.

Les nombres complexes sont donc une combinaison des nombres réels et des nombres imaginaires. Par conséquent, l'ensemble des nombres complexes, noté , englobe l'ensemble des réels, ce qui permet d'écrire les relations d'« emboîtements » successifs suivants :  Ì   Ì   Ì   Ì   Ì  .

Pour calculer le conflit de civilisation et la manière dont l'une des ces civilisations a sur-dominé, Mutuza recourt aux mathématiques. Il conduit son raisonnement lentement vers la cime de la vérité sociale et culturelle. Il fait par exemple ce calcul :

BANTU CHAMITES

Organisation politique V2 ? Organisation politique V6

Organisation économique V4 ? Organisation économiques V2(333(*))

Mutuza considère les deux civilisations comme deux ensembles qui nous donneront différentes fonctions. Il dit : « constatons que deux civilisations différentes, pastorale et agricole, représentées par deux groupes ethniques distincts, les Watutsi et les Bahutu, se trouvent confrontées ; et comme l'une empiète sur le domaine de l'autre, un conflit en résulte. Nous avons donc là un conflit de civilisations mettant à l'épreuve une civilisation pastorale et une civilisation agricole »(334(*))

La problématique de l'ascendance intervient quand il s'agit de parler de la supériorité des moyens culturels « généraux dont chacune dispose »(335(*)).

« Les Bantous cultivateurs disposaient d'une technique d'exploitation de la terre qui permettait l'établissement plus ou moins permanent d'une tribu et son expansion sur une aire géographique déterminée »(336(*)).

Les rapports entre structures claniques et structures étatiques sont liés à la question de la genèse de la société à Etat traditionnel et également au problème de la typologie des systèmes politiques. Le Mythe Hima-Tutsi est là. Nous voyons que Mutuza l'interprète selon la philosophie russellienne de l'unité et selon la théorie pythagoricienne des nombres et de la musique byzantine qui comprend un cycle d'octave. La Problématique du mythe Hima-Tutsi doit être un paraclitique(337(*)), donnant au calcul des nombres une valeur qui nous fera découvrir la pensée géométrique des Hutu et la pensée analytique des Tutsi. Il sera question de ð (p). Sa conception instrumentaliste nous permettra d'analyser le poème de la poésie dynastique du Ruanda. Un poème des Bantu sera aussi étudié(338(*)). Dans leurs longueurs musicales, nous devons chercher la dernière note sur laquelle les deux poèmes tombent. Les Bantu cultivent en chantant. Mais comment peut courir un Tutsi derrière la bête en chantant ?

· Vers conté

Il s'agit ici de la musique en termes des majeures : quoi qu'il en soit, l'instrumentalisme mutuziste, il ne faut pas négliger cette précision qui a son importance, s'oppose ouvertement à l'essentialisme. Pour résumer cette opposition, nous donnerons certains graphiques pour mieux comprendre cet aspect du mutuzisme.

Nous insistons sur le fait que les notes de musique, en majeur, font un cycle en octave. Si la poésie dynastique du Rwanda donne un cycle complet, alors l'antériorité Tutsi sera approuvée. Si c'est le contraire ce que ce poème n'est qu'un développement d'un poème Hutu(339(*)).

Un poème dynastique est un récit politique qui concerne une dynastie des souverains. Un conflit dynastique. L'histoire dynastique d'un pays.

Une épopée  est une suite d'événements aventureux. Notre voyage a été une véritable épopée. Elle est aussi une suite d'événements historiques ou héroïques : une épopée militaire. Dans la littérature c'est un long récit le plus souvent en vers racontant les hauts faits d'un personnage mythique en recourant généralement au surnaturel : lire une épopée antique.

Les récits épiques sont des récits qui présentent une suite d'événements aventureux. Synonyme: mémorable. Une bataille juridique épique. Littérature qui raconte en vers les hauts faits d'un personnage mythique en recourant généralement au surnaturel : un vaste roman épique.Dans cette perspective, le nombre d'or nous conduira vers une critique de la raison ambiante des poèmes dynastiques. Le calcul à l'aide de la valeur de ð (p) donnera toute la valeur à ces poèmes dynastiques, sans en négliger la tournure antiphonique de la durée de l'octave. Une triode permettra aussi de saisir la katavasie de noël selon le poème 172 :

« Heureux est le sein qui t'a allaité,

Ainsi que celui qui a allaité Jésus-Christ ».

Une tablette de la Babylonie ouvrira le symbole de l'unité, prédite par la séparation, symphonie des idiomêles avec les hirmoi de la razzia. Ces hirmoi nous permettent de comprendre et de reconnaître ce que Mutuza écrit : « Nous voici placés devant deux conceptions du monde qui ne sont pas faites pour vivre harmonieusement ensemble. L'occident impérialiste et hégémonique l'a, non seulement compris, mais il l'a cultivé et entretenu et s'avise aujourd'hui de s'en servir pour assurer ses intérêts en Afrique centrale, en commençant par la région des Grands-lacs »(340(*)). De ce fait, les Hima-Tutsi croient couper la communauté de leurs voisins et de la société congolaise en général ; ils se ferment par un prétendu élitisme et par peur de perdre certaines valeurs ; ils empêchent alors la croissance de leurs membres vers plus d'autonomie, de liberté et de maturité intérieures, vers un plus grand sens de responsabilité. La vie de la société, réduite à une communauté, risque de devenir un monde sécurisant et « idéal » qui doit répondre aux besoins de chacun.

On peut comprendre cette psychologie du do ut des (du donnant-donnant) qui n'est pas toujours manifeste, et l'antiquité classique possède des belles prières désintéressées et d'une noblesse surprenante : s'attirer la bienveillance de dieux, qui devient ainsi un moyen par rapport à une fin humaine. La clef de do est appelée clef d'ut en raison du tournant cyclique de son octave, image de la communauté(341(*)). Mais une communauté ne peut jamais répondre à toutes ces attentes. Si elle cherche à le faire, elle risque d'infantiliser ses membres en empêchant leur croissance. C'est ainsi que les conflits surgirent entre Hutu et Hima-Tutsi, et la communauté rwandaise s'affaiblit et tend même de s'effondrer. C'est là l'idéal de leur octave dans les poèmes dynastiques. Voici l'octave des poèmes et leur combinaison: Roi 1, Dieu 2, Race 3, Archer 4, Vaches 5, Guerre 6, Pluie 7, (Roi 8).

Dans les poèmes on a des accords des mots comme suite :

1+3= 4 5+7= 12

2+4= 6 6+8= 14

3+5= 8 7+9= 16

4+6= 10

Il y a d'autres entiers qui ne font pas directement partie de la chaîne octave : Tambours 9, Sauveur 10, Deuilleur 12, Législateur 14, et Razziaire 16. Avec ces entiers nous voyons la fermeture et l'ouverture des poèmes. Ces entiers permettent de comprendre la mathématisation des activités royales (1), auxquelles le poète revient incessamment en décrivant des cercles concentriques (2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 1O, 12, 14, 16,...). C'est une octave du Roi (1)(342(*)).

· Octave : la puissance dynastique du do ut des

En musique dans l'échelle diatonique, l'octave est l'intervalle de sept degrés avec réplique au grave ou à l'aigu du degré choisi comme point de départ.

Une voix qui grimpe les octaves est la note située au huitième degré de l'échelle diatonique et portant le même nom que celle du premier. Le "la" de l'octave supérieure. Pour que l'interprète joue la séquence une octave plus haut ou plus bas(343(*)). Jouer à l'octave. En religion office commémoratif important de la liturgie catholique célébré le huitième jour après une fête solennelle, l'octave de la Pentecôte. Huitième mouvement de lame destiné à contrer une attaque en escrime, enchaîner sur une riposte après une octave.

Dans la musique akadinda pour xylophone, de l'ethnie baganda en Ouganda, deux groupes de trois musiciens se font face de chaque côté d'un xylophone. Le premier groupe joue un motif répété en octaves et, pendant les silences, le second groupe joue un motif imbriqué. Le tempo peut atteindre jusqu'à six cents notes par minute. En Afrique orientale, centrale et australe, des groupes de musiciens jouent sur des flûtes et des trompettes bouchées, chaque musicien jouant une seule note dans un ordre strict.

L'alternance des parties crée une riche texture polyphonique. Cette technique instrumentale, appelée « hoquet », était employée dans la musique médiévale en Europe aux XIVe et XVe siècles. Elle joue un rôle de premier plan dans la musique des Bochimans, qui habitent le désert du Kalahari, et dans celle des Pygmées des forêts tropicales d'Afrique centrale344(*). Nous donnons la texture octave de la gamme de do majeure, de do mineure harmonique, do mineure mélodique ; nous y ajoutons la gamme chromatique, la gamme ton par ton, la gamme pentatonique. Cette marque permettra la compréhension des poèmes dynastiques du Ruanda et des récits épiques des Lega(345(*)).

Nous y joignons do de la tonalité majeure mi dièses mi bémols, sol majeur aussi (avec connaissance de fa dièse), ré tonalité majeure avec fa dièse et do dièse, fa de l tonalité majeure avec fa dièse, do dièse et sol dièse; fa de tonalité majeure est mi dièse, du reste la lecture est régulière.

Dans ce contexte le nombre p nous aidera aussi à découvrir avec ardeur la valeur instrumentale du mythe.

Avant tout cela l'habitude de grouper diverses mesures puis diverses valeurs d'indice en catégories, d'établir des coupures brutales dans une succession de valeurs très proches les unes des autres est commode, mais arbitraire. Elle facilite les comparaisons et les conclusions, mais risque parfois la réalité des faits.

A un oeil exercé, un examen direct apprend beaucoup. Mais les mesures ont toujours l'avantage sur le simple examen de pouvoir être plus facilement transmises à autrui, et n'est-ce pas un caractère de la science que d'être une connaissance transmissible ?

· Courbe de la variable des valeurs culturelles

Pour qu'une comparaison soit valable avec les résultats d'autres chercheurs concernant le même groupe ou d'autres groupes humains, les techniques employées doivent être les mêmes. C'est là la condition première de tout résultat. Or la plupart de temps les hypothèses de la science coloniale furent des idéologies dangereuses et non-réfutables. Il est donc impérieux que l'examen de la courbe, il existe divers moyens mathématiques, exprime la variabilité d'un caractère à l'intérieur d'un groupe ; c'est ce que fait Mutuza : « le décompte de moyens dont disposait chacune de deux civilisations fait que nous arrivons à une presque égalité des moyens culturels et cependant nous devons expliquer la domination tutsie »(346(*)).

Il a fallu donc à notre auteur de donner « une valeur numérique, absolument conventionnelle et illustrative, aux moyens culturels ci-dessus, on pourrait avoir :

BANTU CHAMITES

Organisation politique V2 ? Organisation politique V6

Organisation économique V4 ? Organisation économiques V2

Les Watutsi ont prédominé parce que la somme des moyens culturels dont ils disposent par rapport à ceux des Bantous était supérieure :

V2 + V4 = V6

V6 + V4 = V8 »(347(*))

On accepte sans peine que l'organisation politique, liée à la quête de l'espace et problématique de la structuration des Etats modernes, puisse être la base de considération suprêmatique des Tutsi sur les Hutu. La continuité des éléments politiques fait appel aux thèmes concentriques semblables aux chiffres 141592653589793238462643383279 + n de après la virgule.

v Nombre Ð

L'espace géographique a une importance capitale dans la saisie des valeurs culturelles d'un peuple. Depuis l'Antiquité, les mathématiciens ont remarqué qu'en mesurant la circonférence d'un cercle (c'est-à-dire la longueur de la ligne qui forme ce cercle) et qu'en la divisant par son diamètre, on obtenait toujours le même nombre. On a pu croire que la périphérie est égale à la dimension psychologique du terrain que se donne une population348(*).

Ils ont décidé d'appeler ce nombre pi et de le noter p.

On peut donc écrire :

 

· D'où vient le nom pi ?

p est la première lettre du mot grec (peripheria) qui signifie la circonférence du cercle. Cette notation n'a pas été donnée par les Grecs. Ce symbole n'est apparu que vers 1600. C'est un mathématicien suisse nommé Leonhard Euler qui a imposé cette écriture au milieu du XVIIIe siècle.

· Combien vaut pi ?

On ne connaît pas exactement la valeur du nombre pi. Ses décimales (c'est-à-dire le nombre de chiffres après la virgule) sont infinies et impossibles à prévoir. Depuis le XVIIIe siècle, on sait aussi que p ne peut pas être égal à une fraction : on dit que p est irrationnel.

Même si on ne connaît pas sa valeur exacte, on peut utiliser une valeur approchée de pi. Les Babyloniens, vers 2000 avant J.-C. utilisaient la valeur 3,125 (c'est-à-dire 3 + 1/8). Au fil du temps, les mathématiciens ont cherché à préciser cette valeur. Vers 200 avant J.-C., Archimède a trouvé que pi était à peu près égal à 3,1418 et 1 600 ans plus tard, on connaissait les 14 premières décimales de pi(349(*)).

Aujourd'hui, grâce à la puissance de calcul des ordinateurs, on connaît plus de 1 200 milliards de décimales du nombre pi. Dans la pratique, on remplace souvent p par 3,14 -- ce qui permet d'effectuer des calculs suffisamment précis. Pour se souvenir d'une valeur plus précise de p, on peut apprendre le poème dont voici la première strophe :

« Que j'aime à faire apprendre ce nombre utile aux sages

Glorieux Archimède, artiste ingénieux,

Toi qui, de Syracuse aime encore la gloire,

Soit ton nom conservé par de savants grimoires... »

En comptant le nombre de lettres de chaque mot (3 pour « Que », 1 pour « j' », 4 pour « aime », etc.), on obtient les 30 premières décimales de p (soit : 3,141592653589793238462643383279).

· Comment obtenir une valeur approchée de pi ?

Il existe de nombreuses méthodes pour calculer une valeur approchée de p. La première utilise la définition de pi. Elle consiste à mesurer à l'aide d'une ficelle la circonférence d'un cercle et à la diviser par le diamètre.

Archimède, quant à lui, a utilisé une méthode géométrique : il a construit deux polygones réguliers encadrant un cercle, l'un à l'intérieur et l'autre à l'extérieur du cercle. Il obtient ainsi un encadrement de la circonférence du cercle et donc de p.

D'autres méthodes sont liées à la probabilité, comme l'expérience des aiguilles de Buffon : on lance des aiguilles d'une certaine longueur sur un parquet composé de lattes de même largeur (la longueur des aiguilles est égale à la largeur des lattes). La probabilité qu'une aiguille tombe sur deux lattes à la fois est égale à 2/p. Ainsi, en reproduisant un grand nombre de fois cette expérience, on s'approchera de ce nombre.

Enfin, de nombreuses formules permettent de trouver des valeurs approchées de p comme la formule de Wallis :

· Ou la formule de Leibniz pour une compréhension métaphysique du phénomène social

 

 

· A quoi sert le nombre pi dans la géographie humaine?

Par définition, le nombre p permet de calculer la circonférence d'un cercle. Il apparaît aussi dans le calcul de l'aire A du disque (A = p × r², où r est le rayon du disque) ou du volume V de la sphère.

Pendant plus de 2 000 ans, les mathématiciens ont essayé de savoir s'il était possible de construire à la règle et au compas un carré de même périmètre qu'un cercle donné. C'est lorsqu'on a démontré que p ne pouvait pas être la solution d'une équation du type 5x² - 3x + 2 = 0 (on dit que p est transcendant) qu'on a pu démontrer que cette construction, appelée quadrature du cercle, était impossible(350(*)).

En plus d'intervenir dans de nombreux domaines des mathématiques, de la géométrie aux calculs de probabilité, on retrouve le nombre p en astronomie, en physique et dans bien d'autres domaines encore, surtout en philosophie politique et sociale. Ce qui n'empêche pas les philosophes de recourir, dans leur géométrie sociale, au nombre d'or.

v Nombre d'or et géométrie sociale

· Qu'est-ce que le nombre d'or ?

Parmi tous les rectangles, certains nous semblent plus beaux que d'autres. Ils ont dans la majorité des cas la même proportion. Ces rectangles s'appellent des rectangles d'or et le rapport de leur longueur par leur largeur s'appelle le nombre d'or.

C'est par ce nombre que l'on comprend que « si les Chamites possédaient eux-mêmes les moyens économiques des cultivateurs bantous, ils n'auraient point besoin d'admettre dans leur corps social des populations étrangères et de faire des concessions en leur faveur, en vue de les maintenir ainsi incorporés »(351(*)).

On note en général le nombre d'or par la lettre grecque ö (phi). Cette notation est apparue en 1914 en hommage à Phidias, un sculpteur qui a décoré le Parthénon à Athènes.

Dans un rectangle d'or, on a:

 

Le nombre d'or apparaît aussi dans d'autres figures géométriques comme le pentagone régulier, qui est une figure géométrique à cinq côtés inscrit dans un cercle et dont tous les côtés et tous les angles ont les mêmes mesures. Dans cette figure, le rapport d'une diagonale par un côté donne le nombre d'or.

v Combien vaut le nombre d'or ?

Le nombre d'or a pour valeur exacte et pour en trouver une valeur approchée, on peut utiliser une calculatrice. ö vaut à peu près 1,618 mais ses décimales (c'est-à-dire le nombre de chiffres après la virgule) sont infinies et impossibles à prévoir.

On peut aussi se servir de la suite de Fibonacci pour approcher le nombre d'or. Cette suite a été inventée au Moyen Âge par le mathématicien italien Léonard de Pise dit Fibonacci, pour étudier la reproduction des lapins. Et c'est justement pour l'étude de la santé de reproduction tutsie que le nombre d'or parait important(352(*)).

Les deux premiers nombres de cette suite sont 1. Pour trouver les différents termes de la suite, on additionne les deux précédents. On obtient donc les nombres :

 

En divisant chaque terme de cette suite par le précédent (à partir du deuxième 1), on se rapproche du nombre d'or.

 

Enfin, en utilisant la formule suivante, on trouvera également une valeur approchée de ö :

 

· A quoi sert le nombre d'or dans une étude philosophique ?

Le nombre d'or est probablement connu depuis la préhistoire. Il a été utilisé par de nombreux architectes et artistes depuis l'Antiquité. La pyramide de Khéops en Égypte, construite vers 2800 avant J.-C. montre que son architecte a utilisé le nombre d'or et il en est de même pour le Parthénon à Athènes, construit au Ve siècle avant J.-C.

À la Renaissance, de nombreux peintres (comme Piero della Francesca ou Léonard de Vinci) utilisent les qualités esthétiques liées au nombre d'or dans leurs tableaux. Léonard de Vinci illustre même un livre sur les propriétés mathématiques, esthétiques et mystiques du nombre d'or ; le moine italien Fra Luca Pacioli l'expose dans « la divine proportion (353(*))».

Le nombre d'or apparaît même dans le domaine de la musique puisque le luthier italien Antonio Stradivari (dit Stradivarius) utilise lui aussi ce nombre pour construire ses fameux violons à la fin du XVIIe siècle.

Au XXe siècle, de nombreux architectes et peintres s'intéressent encore au nombre d'or pour leurs réalisations, en particulier l'architecte français Le Corbusier et le peintre espagnol Salvador Dalí(354(*)).

Quelles sont les propriétés du nombre d'or ?

 

En plus de ses qualités esthétiques, le nombre d'or possède une propriété algébrique intéressante puisque pour trouver son carré (c'est à dire ö × ö) il faut lui ajouter 1. Autrement dit : ö × ö = ö + 1. C'est ainsi qu'on définit en général le nombre d'or. Une autre propriété qui découle de la précédente est que pour trouver son inverse, on lui retranche 1, donc :

· Où trouver le nombre d'or dans l'interprétation du conflit chez Mutuza ?

Quand on lit les poèmes de Mutuza, on est surpris de sa marque de monstrance du nombre d'Or dans les eaux du Tanganyika et du Kivu. La fenêtre de sa chambre donnait du côté de Tanganyika et voyant le couchant du soleil et le déclin de la lumière du crépuscule, il s'étonne que cette béatitude naturelle ne soit pas commune aux voisins.  Le nombre d'or apparaît dans de nombreuses réalisations humaines, mais aussi, mystérieusement parfois, dans la nature.

S'il n'est pas étonnant de retrouver le nombre d'or chez l'étoile de mer qui a une forme de pentagone croisé, on peut être surpris de le voir apparaître dans une coquille d'escargot, dans une fleur de tournesol ou dans une écaille de pomme de pin. Il paraît même que le rapport de la hauteur totale du corps humain à la hauteur du nombril équivaut au nombre d'or ! Ce qui nous permet de comprendre l'aspect phénotypique sur lequel les Tutsi insistent pour réclamer leur identité.

Nous y reviendrons dans les éléments suivants.

· Tablette de calcul babylonienne

Tablette en argile couverte de symboles mathématiques rédigés en cunéiforme. Le système de calcul babylonien était un système en base 60 (le nôtre est en base 10)(355(*)).

Nous commençons maintenant à voir plus nettement comment s'organise, en toute cohérence, le rapport de Mutuza au mythe. Il serait frôler la contradiction que de parler chez lui d'une théorie de la politique et du mythe, non tant sur le fond (car il y a un nombre important de considérations majeures qui y ont trait) que d'un point de vue, disons, technique d'histoire de la philosophie de l'histoire. Il est crucial de montrer, en effet, qu'à ce sujet il occupe une position atypique et presque à contre-courant dans cette histoire. Ainsi, comme l'on se doit d'éviter rigoureusement de parler de morale kantienne, on se gardera de parler de philosophie politique de Mutuza. Ceci peut avoir l'air d'un point de détail ou d'un souci maniéré, mais il est possible qu'il ait son importance, si l'on en juge par ce que l'on peut encore actuellement lire ou entendre sur Mutuza.

L'idée principale à retenir est que les préoccupations utiles au sujet de la politique et du mythe sont pour la plupart régulatrices. Elles renvoient toutes à des exigences d'ordre intellectuel et ouvrent au final, on tentera de le montrer, sur des soucis éthique (prenant raine dans l'épistémologie). Le reproche que l'on adressera à Mutuza sera sa trop grande foi en un principe coopérateur.

Pour l'heure, tirons les premières conséquences des options Mutuzistes, originales, en ce qui concerne l'épistémologie et la philosophie de l'appartenance. Elles sont une des grandes résistances au moment où la société congolaise se posait en paradoxe communautaire.

Section 3. Résistance

§1. Paradoxe de la communauté et instrumentalisation du langage communautaire

Le paradoxe dont nous parlons prend sa source dans cette péricope de Maquet citée par Mutuza dans La Problématique du Mythe Hima-Tutsi: « Ce mécanisme politique et économique en même temps, est admirablement analysé par Maquet (p. 175) ; l'auteur soulève ici les structures politiques, d'une part, mises en oeuvre pour assurer non pas tellement une expansion, mais surtout un équilibre difficile entre les tendances antinomiques inhérentes au système social (p. 182) ; d'autre part, le contrat de servage pastoral, dont il est question dans le droit coutumier des bovidés, moyen sûr pour :

a. Assurer l'adhésion du Hutu au système social en lui offrant l'apport du prestige social,

b. Exploiter son travail tant agricole que domestique »(356(*))

Cela apparaît clairement chez Mutuza dont la soif de trouver un sens à la vie, un ordre où l'on peut se reposer et un remède à l'angoisse de l'isolement nous amène à découvrir l'importance de la communauté. Il y a des familles, des tribus et des groupes qui fonctionnent dans un ordre « parfait » semblant apporter une solution au chaos de la vie. Les liens qui unissent les gens entre eux leur donnent un sentiment de sécurité et de force. Mais ces ordres parfaits et les sécurités trop fortes peuvent être dangereux. Ils peuvent étouffer les libertés des personnes et empêcher leur évolution. L'établissement de l'histoire est pour Mutuza une démarche préalable. L'essentiel de l'oeuvre est pour lui l'explication, l'ñìçíåßá. Cette explication, c'est d'abord celle des événements historiques. Les récits de migrations des Bantu ne reposent ni sur des légendes, ni sur des mythes d'origine et de migration. « Les lacunes au sein des données dont nous disposons ne nous autorisent pas à intituler ce paragraphe « Histoire ... ». Les traditions orales que nous avons accueillies manquent de précisions spatio-temporelles, si bien qu'il est encore impossible de reconstruire la chronologie des événements »(357(*)). L'idée est plein de sens. Les discours oraux des communautés ont plus le souci de clarté que de précision. Les mots qui en constituent les constructions ne sont que des instruments de la compréhension. Rien n'est a priori conçu.

Les mots, les concepts, les notions, ne sont jamais que de simples instruments, qui ne servent qu'à formuler les théories. On appelle donc cette vision du langage « instrumentaliste » pour l'évidente raison que les termes employés sont considérés comme des instruments, et qu' « ils n'ont dans la formulation des théories qu'un rôle technique et pragmatique, équivalent à celui que jouent les lettres dans la formulation des mots »(358(*)). Ainsi, « lettres et mots ne sont donc que des moyens par rapport à des fins »(359(*)), des fins différentes, il est vrai.

Il ne s'agit pas, on le comprend grâce à cette analogie, de soutenir que les termes que l'on utilise dans une communauté n'ont strictement aucune importance ; comme les caractères au sein d'un mot, on ne peut en enlever ou en échanger impunément quelques uns. Ce qui importe, c'est de voir que leur rôle n'est pas déterminant en ce qui concerne le sens des énoncés.

Mutuza exemplifie cette idée en rappelant que l'on peut fort bien traduire une théorie en un langage différent (qu'il s'agisse de langue naturelle ou de formalisation) sans faire du mot à mot et en obtenant deux théories logiquement équivalentes. Ainsi en va-t-il des diverses axiomatisations de la géométrie projective, ou des formalisations (corpusculaires, ondulatoires) de la mécanique quantique. « L'analyse de l'évolution des institutions et de la culture matérielle de la religion (bien que pauvre par insuffisance des données disponibles) ne permet cependant pas d'affirmer l'antériorité de l'arrivée des Hima-Tutsi et la création de l'institution du Bwami par eux »(360(*)). Une antériorité d'une lettre dans un mot ne peut être mise en doute par un philologue. Autrement, il parlera d'un mot à la place d'un autre. Les notions de certitude, de sincérité, de compétence nous obligent à suivre les traces de Mutuza.

Il est important de remarquer combien le nominalisme méthodologique, tel que nous avons tenté de l'esquisser, relève de ce que l'on peut appeler l'hygiène intellectuelle. Il est en ce sens une sorte de garde-fou ; sa principale motivation - qui ne doit pas occulter son fondement philosophique réel - est d'empêcher de tomber dans certains pièges et certaines erreurs qu'induit une pensée du langage politique.

Mutuza signale souvent qu'il souhaite éviter les équivoques à propos des termes qu'il emploie ; c'est qu'il voit bien que l'on est toujours tenté, dans la pratique philosophique, de s'interroger largement sur le sens des mots par la réévaluation des concepts. On n'a pas fini d'écrire ces lignes, et on se demande : pourquoi l'auteur des récits épiques des Lega du Zaïre a-t-il écrit Lega du Zaïre ? Il y a-t-il de Lega dans d'autres pays ? Ce qui nous semble impossible. Mais tel n'est pas notre propos. Nous voulions seulement démontrer que le souci de l'hygiène du langage est un souci philosophique auquel on ne saurit se dérober et les philosophes qui partagent les affinités théologiques savent bien lancer des critique sur des systèmes de pensées qui oppriment les faibles.

Le national-socialisme qui constituait le fondement idéologique du IIIe Reich, régime totalitaire et raciste institué en Allemagne sous la direction de Adolf Hitler entre 1933 et 1945 éclaire bien la place qu'occupent les faibles dans nos sociétés. L'idéologie nazie, prônant la purification de la « race germanique » et la réunion de toutes ses composantes au sein d'un même État, a cherché à étendre sa domination sur toute l'Europe centrale. Cette politique militariste a été à l'origine de la Seconde Guerre mondiale et n'a pris fin qu'avec l'effondrement du nazisme et de l'Allemagne face aux Alliés, en 1945. La pensée de Tillich par laquelle il nous présente une critique importante du national-socialisme nous a permis de comprendre Mutuza qui est dans la même situation. La recommandation préalablement importante qu'il en donne est la révision formelle des dogmes chrétiens et l'abandon de symboles devenus désuets Dans le Courage d'être (1952), -Mutuza se rapproche de lui par la méthode de la réévaluation des concepts(361(*)). C'est la même interrogation de Paul Tillich sur l'aliénation de l'individu dans la société, et affirme que l'existence s'enracine en Dieu, qui est au fondement de tout être. Cela se rencontre aussi chez Mutuza. Cherchant à renouer le dialogue entre la foi et la culture, Tillich affirme que la théologie chrétienne, malgré sa particularité, porte en elle le sens universel et qu'elle est en mesure d'intégrer l'attitude critique et les concepts scientifiques de la pensée contemporaine sans ébranler la notion de révélation (Theology of Culture, 1959). Que ferait Mutuza pour défendre les faibles s'il ne cherche pas la voie dans la culture et les valeurs qu'elle défend ? On voit qu'il se souvient des béatitudes renversant la question du comment vivre en faible en pourquoi être faible.

§2. La place des faibles et l'idée de succession

« Le peuple vaincu, affirme TRAG de SNALE, tâche toujours d'imiter le vainqueur par la tenue, la manière de s'habiller, les opinions et les usages, rapporte Mutuza »(362(*))

Les membres les plus fragiles de notre société ont beaucoup de mal à y trouver leur place. L'image véhiculée de l'être humain idéal est celle d'une personne autonome, efficace et compétente ; elle exclut des personnes âgées(363(*)), malades ou démunies. La société ne devrait-elle pas se définir comme le lieu où l'on tient compte des besoins de tous les membres et où l'on reconnaît les dons de chacun ?

Selon une des thèses fondamentales de Nietzsche, les valeurs traditionnelles (représentées essentiellement par le christianisme) ont perdu leur emprise sur la vie des individus : « Dieu est mort », proclamait-il, résumant ainsi le « nihilisme passif » de la civilisation moderne. Les valeurs traditionnelles représentaient, à ses yeux, une « morale d'esclaves », une morale créée par des individus faibles et en proie au ressentiment, qui encourageaient la douceur et la gentillesse pour privilégier des comportements servant leurs propres intérêts. Nietzsche soutenait qu'il était possible de remplacer ces valeurs traditionnelles en créant des valeurs inédites, projet qui l'amena à élaborer la notion de surhomme (Übermensch).

Nietzsche opposait les masses, conformistes, qu'il qualifiait de « troupeau » ou de « populace », à un homme de type nouveau, assuré, indépendant et individualiste à l'extrême. Le surhomme qu'il appelait de ses voeux a des sentiments profonds mais contrôle rationnellement ses passions. Tourné vers le monde réel plutôt que vers les récompenses promises par la religion dans l'au-delà, le surhomme affirme la vie, y compris la souffrance et la peine qui sont le lot de l'existence humaine. Le surhomme est créateur de valeurs, créateur d'une « morale de maîtres », laquelle reflète la force et l'indépendance de celui qui se libère de toutes les valeurs, à l'exception de celles qu'il juge valables(364(*)).

Toute conduite humaine, selon Nietzsche, est motivée par la volonté de puissance. Dans son sens positif, la volonté de puissance n'est pas uniquement synonyme de pouvoir sur les autres, mais signifie aussi le pouvoir sur soi, indispensable à la créativité. Une telle puissance est manifeste dans l'indépendance, la créativité et l'originalité du surhomme. Affirmant clairement que l'idéal de surhomme ne s'était jamais réalisé, Nietzsche fit toutefois mention de plusieurs personnages susceptibles de servir de figure emblématique du surhomme, comme Socrate, Léonard de Vinci, Michel-Ange (+ 1564), Shakespeare (+ 1616), Goethe (+1832), Jules César (+ - 44) et Napoléon (+1821).

Dans l'histoire de la pensée zaïro-congolaise, l'oeuvre de Mutuza revêt une importance considérable dans la mesure où il est le premier homme d'Etat à tenter de concilier les exigences de la pratique politique et les résultats de la spéculation philosophique. Sans doute Gambembo et Nzege(365(*)), etc., ont beaucoup travaillé sous le régime du Marechal, mais ils n'ont pu continuer à travailler dans la même politique et encore moins résister aux vagues actuelles d'une politique des critiques acerbes de la part de ceux qui conçoivent la philosophie comme l'ancila politicae(366(*)).

Les grecs, dans la Haute Antiquité, et surtout Platon et Aristote, avaient-ils déjà fondé à proprement parler la philosophie politique pour la défense des faibles. Mais le premier le faisait en métaphysicien et en moraliste, sans véritable responsabilité d'homme d'Etat ; et le second, en savant, cherchant à cataloguer les diverses formes de Constitutions et à en faire l'histoire. Leur philosophie politique est semblable à un poème du pantocrator. C'est ainsi que l'étude d'une telle philosophie implique le savoir culturel dont le rapport des forces constitue l'aspect successoral ou dynastique.

Dans le cas sous examen, que raconte la poésie dynastique du Ruanda et les récits épiques des Lega du Zaïre racontent les merveilles royales pour la poésie dynastique du Ruanda, et les caractères successoraux des héros Lega. Si dans la poésie dynastique du Rwanda l'aspect successoral est très mécanique, au point de faire de la royauté un partage temporel chronologiquement équitable, on en vient à l'épopée Akritique, chez les Byzantins, dans son idée de succession qui oriente le roi vers une morale que lui offre le choeur des Akritiques ; ainsi, les récits épiques chez le Bantu stipulent que le mwami rappelle la succession qui n'obéit qu'à la loi naturelle de la mort. L'idée de la mort donne droit à la succession et l'héritier sait que ce qu'il a hérité n'est pas de celui dont il est le successeur, mais des ancêtres et aïeux.

Dans les différents récits des littératures ruandaise, byzantine et bantu (lega), nous allons les passer à pieds joints un grand nombre des problèmes ou, plus exactement, nous ferons nôtres les solutions d'un auteur excellent, Oppenheimer. Pour lui et beaucoup d'autres(367(*)), les hommes éminents dont il est question dans ces différentes littératures, sont des successeurs immédiats des héros, personnages à la taille élevée et non pas des disciples de ceux-ci, qui ne relèveraient que de la troisième génération après les héros.

Si cet ensemble des textes, qui seront compris, a été et demeure à ce point discuté entre les Occidentaux, les Chamites et les Bantu, c'est qu'il constitue, comme Mutuza l'exprime dans son titre, « la problématique du mythe Hima-Tutsi ». Mais quelle est au juste la portée d'un tel témoignage ?

Nous sommes ici en anthropologie et non en histoire. Nous regardons les textes de ces différentes communautés sociales. Ce qui signifie que nous portons des jugements sur les groupes auxquels Mutuza fait allusion pour son concept d'appartenance, dans leurs rapports dans le temps anthropologique. C'est parce que nous voulons nous placer en dehors du temps subjectif contemporain et nous situer dans l'objectivité que nous avons à nous permettre d'établir correctement l'apport de Mutuza dans la corrélation des concepts de mythe et d'appartenance dans l'espace et dans le temps.

La question de l'appartenance tourne autour du mot et de l'idée de succession (en grec äßáäï÷ç). Son utilisation est des plus naturelles. Non seulement ces mots « succession », « successeur », « succéder » reflètent exactement ce qui s'est passé entre les ascendants et les descendants. Mais au surplus leur usage courant dans l'africanitude et dans l'hellénitude ne crée aucun problème à N'sanda Wamenka, à Alexis Kagame et à Papadopoulos.

Au fond, ce que nous voulons éviter n'est pas tant d'éventuelles considérations terminologiques que l'obstacle sérieux qu'elles peuvent constituer si l'on en systématise la pratique, ainsi que l'usage dogmatique que l'on peut en faire, à savoir occulter les questions de fond. C'est bien pourquoi l'auteur de Le dialogue inter-congolais, prolégomènes à une culture démocratique pense les questions de mots en termes d'éclaircissement préalable ou de tâches préliminaires nécessaires. Son souci est d'empêcher, par exemple, que par une manoeuvre plus ou moins volontaire un problème soit transformé en une question des mots.

v Parole du Verbe

L'auteur affirme qu'« au commencement de tout changement il y a toujours un verbe organisateur et coordonnateur. Et c'est ce verbe incarné qui engendre l'action créatrice de la nouvelle vie »(368(*)), sens mythique des « errances et des égarements de toutes sortes (le Zaïre) a besoin aujourd'hui, à défaut d'un prophète incontestable, de groupes d'hommes et de femmes de réflexions disséminés à travers nos régions, nos zones, nos collectivités, nos groupements, nos villes, nos cités et nos villages qui rassemblent pour les unir autour d'un idéal commun de démocratie... »(369(*)). L'exemple qu'il donne consiste à tenter de répondre à la question « comment, en effet, ne pas s'apercevoir que certains des grands problèmes de notre temps relèvent de la différenciation ethnoculturelle très accusée des peuples de la terre, et que l'anthropologie sociale est la discipline indiquée à exercer les fonctions de spécialiste auprès de l'homme malade ? »(370(*)).

Nous sommes ici en plein historicisme mutuziste et en introduisant le vocable historicisme nous espérons éviter les équivoques comme nous espérons que personne ne sera tenté de demander si l'un des arguments discutés appartient réellement à l'historicisme, et ce que le mot historicisme signifie réellement, proprement, ou essentiellement. Rien, dans le monde humain, n'est permanent. Le seul élément éternel, c'est « l'impermanence » elle-même, le caractère fluctuant et périssable de toute chose. Il y a un lien entre la fin de la vie et sa signification ultime : s'accoutumer à l'impermanence ou prêter foi en la pérennité de la vie ?

La question posée par la mort nous suggère d'un mot, du point de vue humain, fonde la nécessité d'une succession de type mythique. Une pareille succession n'arrive qu'après la mort. Nous nous souscrivons en faux à l'idée caressante d'Alexis Kagame de l'équité dans le partage des durées des règnes des différents successeurs royaux de la dynastie des poèmes dynastiques du Ruanda. Comme si les uns étaient privés de leurs charges royales avant leur mort pour faire ainsi trente ans au pouvoir. C'est d'ailleurs la preuve que les Tutsi ne tiennent pas la mort d'un homme comme un événement et un début d'une autre réalité.

Le philosophe qui cherche à comprendre le sens de la poésie dynastique du Ruanda trouvera sans difficulté que l'idée de la mort est difficile à prouver chez Kagame. Or, la succession est l'acte par lequel un homme se donne, en la personne d'un enfant, d'un héritier, d'un collaborateur ou d'un disciple, quelqu'un d'autre que lui qui, après lui, soit encore lui-même(371(*)). A qui verrait dans une telle conduite une obsession hellénistique devant la mort et l'effet d'un désir tout profane d'immortalité, Javierre apporte le contre-témoignage surabondant de la littérature biblique et judaïque. Dans ce cas ci il ne s'agit pas seulement de se survire par ses enfants à défaut de le faire par soi-même(372(*)), il faut au surplus et peut-être avant tout, assurer la pérennité d'un dessein prophétique qui a sa source en Dieu.

v Sens de la mort

Ce qui ne peut être accompli par une seule personne, limitée dans l'espace et dans le temps, arrivera par le moyen d'une autre qui, entrant dans le même dessein, en assurera la pérennité. Sera possible ainsi, grâce à une multitude, ce qui serait impossible à un seul. Ce que le poème dynastique ne dit pas. Dans le poème tous les rois ont le même mérite parce que dieux. De ces dieux dont tout dépend. On comprend pourquoi le poète chante que :

« Le mode dont Dieu prédestine les Rois

Est un mystère pour les autres,

ô le Cent-fois-puissant »

(P. 123, p. 78).

Le philosophe se doit de comprendre que nous sommes devant une structure de l'homme au service des desseins qui débordent de vie et qui, pour couvrir la durée qui s'impose, doivent prendre le chemin de la succession. Ce qu'ignore le poème.

Toutes les dynasties s'insèrent dans une humanité historiquement mortelle ; malheureusement le thème de la mort semble absent dans le poème. Certes le Muntu croit à la victoire de la vie sur la mort, sur sa mort. Mais c'est donc la mort qui, mettant seule un terme à leur fonction, en fonde aussi le caractère successoral. C'est donc bien le fait humainement inévitable de la mort qui explique, au regard des textes généalogiques des peuples, le recours spontanée au principe de succession. Seule la succession dans l'oeuvre de N'sanda Wamenka, les Récits épiques des Lega du Zaïre, Tome 1, est capable d'assurer la pérennité d'une fonction à travers et par-delà la mortalité de ses représentants. N'sanda Wamenka sur ce point n'est pas novateur ; il met en oeuvre ou plus exactement il voit qu'a été mise en oeuvre dans la littérature orale une structure humaine élémentaire, qui permet à notre mortalité d'entrer au service de ce qui la déborde.

La finitude humaine n'était pas seulement mesurée à un projet d'un individu, comme Platon pouvait le concevoir à propos de la paternité. En Muntu, la finitude humaine se trouve confrontée à un dessein d'une ampleur divine à laquelle devait s'adapter la pérennité biologique qui fait la gloire de la tribu. Ainsi s'établissait dans la conscience et les structure de Bantu le sens d'une continuité d'institution qui, en passant du biologique au spirituel, jouerait un rôle au service divin.

Une antique tradition locale cananéenne, antérieure à la conquête d'israélite, révèle le type de souverain auquel le pouvoir politique est attaché. Si on considère les études de Baumann et Westermann dans Les peuples et les civilisations de l'Afrique, on comprendra que les souverains ont le pouvoir de combattre les peuples dont il est souvent difficile de préciser l'identité.

Les récits épiques désignent une succession soustraite aux généalogies, c'est-à-dire aux ruses de la vie pour dépasser la mort, tout en y demeurant assujetti. Ainsi, la génération en consacre l'infirmité.

v Questions des mots

Dans ce contexte, Mutuza s'allie à Papadopoulos dans la résolution de conflits entre les Tutsi et les Bantu. Mais avant cela, il est utile de qualifier la position de Mutuza à l'égard de l'appartenance comme optimiste (ce qui ne nous étonne pas de la part de celui qui s'appelle avec beaucoup d'humour le philosophe le plus heureux qu'il ait jamais rencontré !). Cela nous permet de faire quelques clarifications nécessaires, spécialement à propos de l'instrumentalisme méthodologique. C'est la méthode que Mutuza emprunte pour la résolution des conflits. Il nie le bien fondé de la démarche des positivistes tout en étant dans leur schéma darwinien. Mais il a peut-être oublié que la théorie positiviste vérificationniste de la signification fit l'objet de critiques de la part des philosophes comme Karl Popper. Finalement, cette théorie étroite de la signification cède la place à une conception plus large de la nature du langage. Là encore, Wittgenstein joua un rôle prépondérant. Rejetant nombre de conclusions antérieures du Tractatus, il inaugura une pensée d'un type nouveau, qui culmina dans son oeuvre posthume, les Investigations philosophiques (1953). Dans cet ouvrage, Wittgenstein montrait que la variété et la flexibilité du langage se font jour dès lors que l'on prête attention à la façon dont le langage est vraiment utilisé dans le discours ordinaire. Les propositions font beaucoup plus que dépeindre des faits, c'est le sens de la computation. Cette découverte fut à l'origine de l'important concept wittgensteinien de jeux de langage. En témoignent, par exemple, le scientifique, le poète, le théologien, qui sont impliqués dans différents jeux de langage. De plus, la signification d'une proposition doit être comprise dans son contexte, c'est-à-dire en termes des règles du jeu de langage dont elle fait partie. Wittgenstein en conclut que la philosophie est la tentative de résoudre les problèmes qui résultent de la confusion linguistique, et que la clef de tels problèmes réside dans l'analyse du langage ordinaire et dans l'usage approprié du langage. Le mouvement analytique et linguistique s'est vu enrichi de nouvelles contributions, à travers les oeuvres des philosophes britanniques Gilbert Ryle, John Langshaw Austin et P.F. Strawson, et du philosophe américain W.V. Quine. Selon Ryle, la tâche de la philosophie est de reformuler les « expressions systématiquement trompeuses » sous une forme logiquement plus exacte. Il s'intéressait tout particulièrement aux assertions dont la forme grammaticale suggérait l'existence d'objets non-existants. Ainsi Ryle est-il célèbre par son analyse du langage mentaliste, langage qui suggère trompeusement que l'esprit est une entité au même titre que le corps, c'est un psychologisme qui attaque la conception wundtienne des états de conscience.

Austin affirmait que toute recherche philosophique doit, dès le départ, porter une attention particulière aux distinctions subtiles qui sont à l'oeuvre dans le langage ordinaire. Son analyse du langage déboucha sur une théorie générale des actes de langage, c'est-à-dire une description de la variété des actes qu'un individu est susceptible d'accomplir en énonçant quelque chose. Strawson est connu pour son analyse des relations entre logique formelle et logique du langage ordinaire. La complexité de ce dernier n'est pas, selon lui, représentée de façon adéquate par la logique formelle. Aussi est-il nécessaire d'ajouter un grand nombre d'instruments analytiques à la logique pour analyser le langage ordinaire.

Quine se pencha sur le rapport entre langage et ontologie. Il affirmait que les systèmes linguistiques tendent à engager leurs utilisateurs à présupposer l'existence de certaines choses. Pour lui, les raisons qui justifient la manière de s'exprimer d'une façon plutôt que d'une autre sont purement pragmatiques. L'analyse du langage, considérée comme partie intégrante et indispensable des recherches philosophiques, demeure un aspect majeur de la philosophie contemporaine. Par ailleurs, le clivage se perpétue entre ceux qui préfèrent travailler avec la précision et la rigueur des systèmes logiques symboliques et ceux qui préfèrent analyser le langage ordinaire. Bien qu'il y ait peu de philosophes contemporains pour affirmer que tous les problèmes philosophiques sont linguistiques, l'idée que l'examen de la structure logique du langage et de l'usage du langage ordinaire peut souvent contribuer à la résolution des problèmes philosophiques demeure largement partagée.

Conclusion

Nous avons exposé la différence existant entre l'humanisme classique et l'humanisme de Mutuza. Il résulte de cette analyse que l'humanisme de Mutuza est un humanisme anthropologique : « il fait de l'homme le centre de la création... Mais en réaliste et avisé, cet humanisme n'a jamais proclamé sa foi en l'homme tout-puissant maître absolu de la création »(373(*)). Il fait, au contraire, dépendre l'efficacité de l'activité humaine sur la création de sa conformité aux volontés de Dieu qui lui parviennent par le canal des ancêtres. L'humanisme de Mutuza se révèle ainsi comme baignant dans le divin d'où il prend sa source. Dès lors, nous ne comprenons pas malgré notre volonté, « le langage de ceux qui parlent - au point de vue idéologique - d'un communisme africain, puisqu'en Afrique, la communauté ne se justifie que parce qu'elle prend ses racines dans les sentiments religieux. Comme nous ne comprenons pas non plus ceux qui affirment que la personne du Noir (Muntu) est résorbée dans la tribu au point qu'elle perd son individualité, car chez nous c'est la communauté qui, loin de supprimer l'individu, se mobilise pour le servir. Que ce soient là quelques uns de ces mythes créés par le dominateur en vue de perpétuer sa domination, cela ne nous étonne guère »(374(*)).

Seuls ces derniers sont utilisés dans l'établissement des classifications raciales. Toute classification est arbitraire. L'extension de la notion de race dépend du nombre de critères admis à la définir. Ainsi plus on accepte les critères et plus le nombre de races augmente et, plus encore l'identité se perd, plus aussi l'appartenance devient floue. Les Grecs qualifient certains négrilles sous le nom de ðàãìç -Pygmée = coudée = environ 46 cm. Si Les textes classiques sont étudiés et évalués pour leur valeur propre, et non pour servir à embellir et justifier la civilisation chrétienne, l'intérêt pour l'Antiquité s'exprime dans une quête fervente et réussie des manuscrits classiques : les dialogues de Platon, Hippocrate et Aristote ont traité des peuples exotiques. Les histoires d'Hérodote et de Thucydide, les oeuvres des dramaturges, poètes et Pères de l'Église grecque sont redécouvertes et, pour la première fois, éditées de manière critique. Grâce à la venue d'érudits byzantins qui, après la prise de Constantinople par les Ottomans, se réfugient à Venise, Florence, Ferrare et Milan, l'étude du grec se développe aux XVe et XVIe siècles. Bien que cette étude de la littérature, de l'histoire et de la philosophie morale antiques s'avère parfois n'être qu'une simple imitation des auteurs classiques, elle cherche à produire des hommes libres et civilisés, des individus pourvus de goût et de jugement et c'est ce que Mutuza nous présente en analysant la culture lega. L'oeuvre de Pline le Jeune renferme une somme considérable de renseignements, mi-légendaires, mi-réels, qui constituent une véritable « ethnographie » renchérissant cet humanisme. Et l'humanisme de Mutuza est la partie anthropologique de son oeuvre qui nous montre sa réaction face aux Tutsi.

Nous avons tenté ci-dessus de définir la philosophie de Mutuza, qui est la connaissance de la diversité humaine dans une humanité commune ; et d'exposer ce que sa philosophie a atteint, c'est-à-dire une interprétation historique de la diversité des groupes humains. Pour cela le philosophe a dû successivement établir comme faits scientifiques les différences de comportements et de civilisations révélées dans ses ouvrages. La sériation de ces faits nous a permis d'établir des classifications philosophiques, en apparentant aux diverses philosophies. Nous avons étudié le mécanisme des différences entre pensées analytique et pensée géométrique.

Chapitre quatrième: CONJURATION ET ENTROPOLOGIE TUTSIES

Introduction

Ce chapitre sur la conjuration des Tutsi fait suite du chapitre précédent qui a traité de l'humanisme et surtout à la question de savoir si les faibles ont une place. A cette question la réponse était que l'exclusion est la façon dont nous rejetons et mettons à l'écart des personnes appartenant à tel ou tel groupe. C'est une réalité très subjective. Certaines personnes nous attirent, car elles nous stimulent et cherchent à nous faire plaisir. D'autres nous font fuir car elles nous font peur, peut-être parce que nous leur faisons peur. Nous éveillons entre nous des sentiments de rivalité.

Les réflexions de Mutuza sur le problème des Hima-Tutsi n'est pas facile pour les Hutu, ceux-ci se sentent négligés et rejetés par ceux-là mêmes qu'ils ont adoptés et qui auraient dû s'allier pour faire face aux Blancs. Ils se sentent trahis. L'attitude des Tutsi alimente en notre auteur un sentiment de non-valeur ; elle suscite des tensions, un sentiment de colère et de révolte qui affecte leur relation avec l'étranger. L'auteur des Réflexions d'un séminariste au tour des événements des années 60 nous dit que les Hutu ont besoin d'être libérés de la haine qui leur est inspirée par les Tutsi et qui les domine. Si, un jour, ils parvenaient à comprendre pourquoi les Hima-Tutsi agissent ainsi, ils seront sur la voie du pardon. Mais pour que ce pardon engendre une rencontre véritable et une communion des coeurs, il faudrait que les Hima-Tutsi acceptent de réfléchir sur leur comportement, réalisent combien ils ont blessé les Hutu et leur demandent pardon. C'est à ce moment seulement que la réconciliation, la guérison du coeur et la libération pourraient être possibles pour chacun de ces groupes. Ici encore Mutuza pense que la question n'est pas de comprendre mais de reconnaître qu'il y a dans ceux qui ont blessé des blocages qui les empêchent d'admettre leur culpabilité.

C'est pourquoi pendant les années 1960, les écrivains de la jeune génération se détournent des fantaisies « colonialistes » de leurs aînés pour s'impliquer davantage dans les bouleversements politiques d'un Congo secoué par des manifestations nationalistes. Formant un mouvement connu sous le nom de chant de coq, ils soutiennent les courants libéraux qui font alors leur apparition en différents endroits de la RD Congo. Mutuza donne « le cas de la société rwandaise où nous avons un phénomène classique de la transculturation »(375(*)). Comme principal philosophe de cette période, Mutuza, dont l'idéalisme rationaliste, comme celui de Hegel(376(*)), a eu une forte influence, notamment, du poète et critique Heinrich Heine(377(*)). En comparaison avec la défaite de la révolution de 1830, lutte au cours de laquelle Heine, lui-même patriote et libéral, part pour Paris, où il écrit la plus grande partie de sa poésie et où il produit de nombreux articles critiques sur l'art et la politique de l'époque, Mutuza en fit autant et dans la même ville, Paris. Observateur perspicace, il est le précurseur de nombreuses techniques de la mise en garde contre l'influence étrangère du journalisme moderne(378(*)). Médiateur entre les cultures occidentale et lega, il complète et rectifie l'ouvrage l'Afrique est mal partie, et affirme l'importance pour l'Europe de la pensée de Tempels. Sa poésie prend le ton de la satire politique et sociale, mais il revient plus tard à son lyrisme premier. Sa vie est celle d'un exilé politique, mais d'un exil volontaire sans exil. Il tente de réveiller l'activité politique congolaise dans son ouvrage La problématique du Mythe Hima-Tutsi.

La réaction qu'on a de cette oeuvre est un acte ou comportement en réponse que les Tutsi donnèrent en réponse psychologique. On peut alors comprendre cette réaction comme dans le domaine de la chimie : processus de transformation de la matière; et en physique comme le processus de modification de la structure d'un noyau atomique avec libération d'énergie ; quant à la politique c'est l'opposition à tout changement dans le système social ou politique, il s'agit du mouvement de riposte spontané ou organisé. En rapport avec l'entropie c'est la force de sens contraire et d'intensité égale à l'action exercée, force de sens contraire et d'intensité égale à l'action exercée.

C'est pourquoi nous abordons le problème de l'insurrection : l'entropologie ; l'analytique fonctionnelle et chronologique de l'entropologie ; la théocratie et patrimoine. Cela nous conduit à comprendre le mythe chez Mutuza : histoire et ethnologie du mythe; sens et interprétation du mythe ; mythe et psychanalyse dans la pensée analytique ; il y a dans tout cela une poésie dynastique et des récits épiques qui nous éclairent sur l'interprétation des fonctions du pouvoir. Le pouvoir est lié à l'autonomie. Il est nécessaire de parler de l'indépendance et ses équivoques chez Mutuza : indépendance du premier genre ou affirmation de l'autonomie de l'Homme Noir ; indépendance du second genre ou la réduction culturelle du contenu colonialiste ou impérialiste ; cela aboutit à l'indépendance du troisième genre ou l'abolition désirée de la civilisation.

Section 1. Conjuration insurrectionnelle

§ 1. Entropologie

Sous un titre provocateur, le conflit de civilisation(379(*)), Mutuza nous donne une explication intéressante de l'insurrection. L'insurrection est l'action par laquelle une population ou un groupe recourt massivement à la force pour s'opposer au pouvoir établi ou à une autorité, opposition ou protestation violentes (contre quelque chose) (soutenu). Cette insurrection entraine l'entropie. Par l'entropie on arrive à la séparation. Par la séparation on découvre l'identité. Et nous trouvons chez Mutuza des allusions proches à l'entropie sociale. Il le fait en rapport avec la désintégration de la langue de Batutsi et la glossophagie de leur culture et société. Il y a lieu de le comprendre si on comprend Lévi-Strauss : « Le monde a commencé sans l'homme et il s'achèvera sans lui. Les institutions, les moeurs et les coutumes, que j'aurai passé toute ma vie à inventorier et à comprendre, sont une efflorescence passagère d'une création par rapport à laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut-être celui de permettre à l'humanité d'y jouer son rôle. » Ce rôle est vain d'ailleurs, puisque l'homme « apparaît lui-même comme une machine, peut-être perfectionnée que les autres (...) précipitant une matière puissamment organisée vers l'inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive ». Quand il s'agit de l'homme c'est donc moins d' « anthropologie » que d' « entropologie » qu'il faudrait parler, puisqu'il s'agit alors d'un « processus de désintégration »(380(*)) s'en prenant aux « manifestation les plus hautes » de l'homme et non pas d'un accomplissement véritable de ce qu'il voudrait devenir, à défaut de l'être par nature. On entendrait alors par entropie une grandeur ou fonction variables permettant d'indiquer le degré de désordre d'un système. On peut définir, de manière macroscopique, la variation d'entropie d'un système à une température T, recevant ou fournissant une quantité de chaleur dQ par la relation différentielle : dS = dQ / T. Cette expression montre notamment que l'entropie est une grandeur extensive, c'est-à-dire qu'elle est la somme des entropies des différents éléments constituant le système. Le second principe de la thermodynamique stipule que l'évolution au cours du temps d'un système isolé (caractérisé par dQ 0) se fera toujours dans le sens de l'augmentation de l'entropie, c'est-à-dire vers un état de désordre maximal (entropie maximale : dS 0).

Ce que Lévi-Strauss pense de la modernité, Mutuza le corrobore en rapport avec la colonisation. Vouloir à tout prix comparer ces deux auteurs est fastidieux. Leur lien tient dans l'acceptation de la structure. Si en 1877, Ludwig Boltzmann (+ 1906) a donné une définition microscopique de l'entropie comme étant la fonction d'états vérifiant la relation : S = k.log Ù où k est la constante de Boltzmann, et Ù est le nombre des différents états microscopiques (ou micro-états) réalisant un état macroscopique donné (par exemple, les molécules d'un gaz) ; la quantité Ù est généralement associée à la probabilité thermodynamique de l'état macroscopique. L'entropie mesure alors le degré d'incertitude ou le manque d'information que l'on possède sur un système. C'est ici le lien entre Mutuza et les autres scientifiques. Le désordre sera, par exemple, maximale dans le cas où plusieurs événements peuvent apparaître avec une probabilité identique, ou nulle dans le cas de problèmes déterministes. L'entropie maximale est atteinte pour un système totalement désordonné ; un tel système présente une symétrie maximale. En revanche, un système parfaitement ordonné présente très peu de symétrie, donc une entropie minimale.

v Insurrection

Mutuza fut confronté dès ses premières réflexions à ce qu'il appelait «Le Mythe Hima-Tutsi ». Il s'est penché sur la problématique du développement  des Congolais, peuple bantou qui a accueilli les Tutsi, peuple nomade, de civilisation pastorale, d'une attitude consistant à se contenter exclusivement sur les problèmes de survie et contre laquelle il conçut immédiatement une méfiance presque épidermique et il ne cessa de remettre sur son métier son combat contre cette attitude enrichie par les colons et à son inventeur. L'État et les autres personnes morales occidentaux de droit public détenaient des participations dans de très nombreuses sociétés, notamment depuis la colonisation. On voit ainsi peu à peu se développer un statut propre aux sociétés du secteur public, statut dont l'originalité dépend de la fraction de capital détenue par l'État.

En mai 1997, un groupe de rebelles mené par Laurent Désiré Kabila, vrai congolais, aux dires des Bana Tshangu381(*), achève de s'emparer du Zaïre en prenant possession de la capitale, Kinshasa. La république du Zaïre est rebaptisée République démocratique du Congo le 17 mai 1997. Les habitants de Kinshasa, lassés par trois décennies de dictature de Mobutu, accueillent les rebelles avec enthousiasme ; mais déjà, ils mirent Kabila en difficulté parce qu'ils ne voulaient pas de la présence rwandaise dans leur territoire et surtout, dans le gouvernement, avec des postes politiques et militaires.

La foule a réservé à Laurent-Désiré Kabila un accueil triomphal à Kinshasa, le 20 mai 1997. Après la prise de la capitale par ses troupes, le 17 mai, le chef de l'AFDL a immédiatement organisé le gouvernement de la République démocratique du Congo. Des civils et des soldats zaïrois ralliés à Kabila avaient distribué des bandeaux blancs symbolisant leur soutien aux rebelles.

L'Afdl entrant au pouvoir, et le dictateur parti, une nouvelle rébellion s'abattit sur la RD Congo, c'est la rébellion menée par les astucieux Tutsi qui s'acharnent de s'approprier la terre de la RC Congo. Ce fut la prédiction de Mutuza sur l'avènement de l'Afdl. Mais les Congolais ne pouvant laisser une partie de leur terre parce que la terre leur appartenant est l'héritage que l'on ne peut dilapider, ils s'organisèrent de telle manière que les rebelles ne résistassent.

v Théanthropologie

Il s'est développé un courant de pensée en théologie et en ontologie qu'on appelle anthropologie. Ce courant n'est pas de l'Anthropologie mais elle est une anthropologie. C'est l'exaltation des valeurs humaines. Or quand il s'agit de l'anthropologie comme discipline scientifique il y a l'humain et l'humanité qui s'ambrassent. Ce ne sont pas les valeurs qui sont étudiées mais les produits de ces valeurs. Quand Mutuza dit qu'  « il reste cependant que pour le Muntu, la vie humaine est sacrée, elle transcende toutes les autres valeurs sur terre. Elle ne peut impunément être sacrifiée. C'est pourquoi si le Muntu pardonne naturellement et oublie facilement tous les autres crimes, il ne pardonne jamais et n'oublie jamais ses morts. Les morts ne sont jamais morts. Par contre, chez les Hima-Tutsi, il n'y a que deux valeurs qui comptent au monde : `le roi et la vache' »(382(*)), il rappelle la valeur que tout groupe humain attache à l'espace géographique pour acquérir le pouvoir.

Mutuza sait que la terre appartient aux ancêtres du Muntu. Tout peut être partagé. Mais pour la terre il faut appartenir pour être en communion parfaite avec les ancêtres. Les Tutsi ne l'entendent pas de cette manière. Il faut se battre pour exproprier la terre. Mais que faire de cette terre, eux qui courent derrière les bêtes ? Eux qui ne sont devenus humains que parce qu'ils ont vécu avec les Bantu ?

Un certain Azarias Ruberwa, un Tutsi type, qui a « foi au mythe de la supériorité ontologique des Hima-Tutsi sur les Bantu et par la croyance au mythe du Rwanda invincible qui attaque et ne peut être attaqué »(383(*)), avec sa démagogie deviendra un des quatre Vice-présidents de la RD Congo. Cela ne manqua pas d'indigner les Congolais. Mais que faire parce que les Congolais étaient en temps de guerre ?

Ancien rebelle, devenu démagogue, déjà battu à la présidentielle, Ruberwa réunit dans une conjuration hétérogène tous les dépossédés mécontents et se propose, avec la complicité de certains opposants, comme J. P Bemba, et de nombreux sénateurs, de s'emparer du gouvernement par l'émeute et la force(384(*)). Et Bemba est exposé au ridicule. Tandis que Ruberwa bat campagne sous l'étiquette de pasteur parce qu'il sait que les Bantu sont religieux.

Il n'est donc pas étonnant que l'on trouve de nombreuses attaques contre la personne même de Ruberwa, de la part de ceux qui ont souffert de son mensonge quant à son appartenance à la RD Congo. Et l'on a facilement découvert que ce Ruberwa affirme s'être abstenu, dans sa réplique aux citoyens congolais de l'Est, de mensonges et de virulences, lui dont la plume ne produit que calomnies, mensonges et impostures ; dont l'âme est remplie de poison, orgueil et envie ; dont la tête ne pense que bêtises, fureurs et démences ; dont la bouche ne profère que latrines, fientes et fumier...Il est important de se rendre compte que de telles attaques ne procédaient ni simplement de la verve satyrique de Congolais menacés, ni de leurs possibles penchants agressifs ; mais qu'elles étaient faites de propos délibéré : on les employaient, chez Aphende, ou non selon que l'on désiraient ou non atteindre l'adversaire (mundele, le Blanc), dans son honneur. Et si les journaux en ont fait usage, cela est plein de sens. Un étranger peut être nôtre mais il n'est jamais des nôtres. Il n'est qu'un Tutsi, un coureur derrière les animaux, et dont l'âme est semblable à celles de ceux de son activité. De là la démystification du Mythe Hima-Tutsi : ce ne sont que des mendiants, sans terre, des errants à la haine des dépossédées.

L'an 2004 a vu la parution de La problématique du Mythe Hima-Tutsi, ouvrage fâcheux et déroutant les ambitions des Tutsi. Conseiller du Vice-président issu de l'opposition non armée, bien que lui-même Zahidi Ngoma fut président de la rébellion RCD à laquelle il renonça, Mutuza s'acharne à garder la vertu.

Un problème grave préoccupe les Bantu de la RD Congo : l'établissement de rapports diplomatiques entre Kinshasa et Kigali. Il est à noter que la réaction de la communauté congolaise a été unanimement négative après les événements de 1998 à Kinshasa, sous L.D. Kabila. Cette appréciation venait même de ceux qui avaient accepté les immigrés Hutu pourchassés par les Tutsi. Cette situation créa de difficulté à ceux-là même qui ont oeuvré pour l'adhésion du pouvoir de Kinshasa à l'ONU, voire de ceux qui avaient oeuvré dans le sens philanthropique.

Nous voudrons tenter d'expliquer cette réaction à partir de quelques faits concrets. Nous ne parlons pas ici du langage de la sociologie ni de l'histoire mais celui de la politique ou de l'anthropologie et de la philosophie, afin que les choses deviennent claires pour les hommes politiques qui sont responsables de notre pays. Ces derniers doivent prendre conscience, en effet, de ce que la politique onusienne qu'ils ont choisie, lorsqu'elle est appliquée à la vie de pays dus du tiers monde, ne doit pas se traduire par un nivellement culturel. Une coexistence économique et politique entre les peuples d'Afrique Centrale ne doit entraîner aucune concession en ce qui concerne les convictions anthropologique et culturel.

§ 2. Analytique fonctionnelle et chronologique de l'entropologie

La philosophie analytique a récupéré la linguistique qui est une de ses filles prodigues et dont les méthodes et l'objet même se sont peu à peu précisés au cours des cinq derniers siècles. Issue de l'enseignement des grammairiens, elle aboutit dans sa forme la plus neuve à une description de la structure des langues -libérée de nombreux postulats philosophiques, élargies, mais non différente en son essence des analyses de l'Antiquité.

v Regard mutuziste et ses emprunts chez les anthropologues

Mutuza nous donne l'image qu'il a des structures politiques et sociales des Tutsi : « instruites par les difficultés et les risques rencontrés au cours de leur immigrations, les populations hima-tutsi ont dû développer, plus que de peuples sédentaires, l'agressivité et la conflictualité aux dépens de la solidarité et de l'intégration dans leurs contacts avec les autres peuples »(385(*)).

Ce qui nous permet de dire que l'analyse est une décomposition d'une donnée en ses principes ou en ses éléments. Et la fonction est l'ensemble d'opérations par lesquelles se manifeste la vie organique, physique ou sociale. Nous y sommes avec Lévi-Strauss qui, poussant cette notion rationaliste386(*) jusqu'à l'absolu, il essaye de faire de l'ethnologie ce que Leibniz tenta pour la métaphysique : une science exacte. Pour parvenir à ce but louable en soi, il veut d'abord donner une méthode : on peut classer l'expérience humaine en styles, pour lesquels il y a des modèles mesurables, des formes et des lignes biens précises. Et cependant, étrange contradiction non moins qu'heureuse certitude au coeur de l'éveil de la RD Congo la plus désenchantée, « il incombe encore à cet homme, pense Lévi-Strauss, de vivre et de lutter, penser et croire, garder surtout courage »(387(*)). Ni Marx, ni Freud, ni davantage Nietzsche, ces trois hérauts de la modernité, ne désavouèrent une telle consigne, sans être plus capables d'ailleurs qu'un Lévi-Strauss de la fonder. Devant l'absurde inéluctable de la mort auquel le congé est donné à l'infini reconduit, surgit pourtant chez chacun et chez eux tous nous ne savons quel espoir d'une réconciliation de l'homme avec la nature »(388(*)), d'un combat nécessaire d'Eros contre la mort(389(*)), d'un « éternel retour qui dit que rien ne peut vraiment finir(390(*))! Inséparable d'une lutte pour l'amélioration sociale ou personnelle des groupes ou des individus, intérieur à un oui que mérite le monde, l'homme dont on a compromis le statut de sujet prend par bonheur ici sa tardive revanche. Par là on arrive à l'analytique qui est une déduction à partir de principes fondés sur l'expérience et l'observation. Elle devient fonctionnelle quand on l'associe à la conception de l'école de pensée psychologique attachée à l'étude de l'esprit comme organe. L'analytique devient alors fonction d'échantillon et de nombre.

Elle a dû influencer le mouvement philosophique du XXe siècle dominant en Grande-Bretagne et aux États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale, qui vise à analyser le langage et les concepts qu'il exprime.

v Entropie et migration conjurée

Mutuza pense que dans la plupart des applications pratiques, lorsque l'on décide d'envoyer un message, on le choisit parmi un ensemble de messages possibles. Tous ces messages sont susceptibles d'être transmis, mais avec une probabilité qui leur est propre. On désigne alors par entropie, terme emprunté à la thermodynamique, la moyenne des quantités d'information des différents messages possibles. Dans le cas simple où les N messages ont tous la même probabilité, l'entropie totale H se traduit alors par la formule H = log2N. Cela n'est possible que dans une même communauté de discours comme celle de Bantu.

Les Bantu sont les populations vivant dans les régions équatoriales et méridionales de l'Afrique et parlant des langues apparentées.

Le terme « Bantou » a été formulé au milieu du XIXe siècle par le linguiste W. C. Bleck pour qualifier les peuples chez lesquels ba-ntu sert en général à nommer les populations (singulier : mu-ntu). D'après la théorie linguistique, remise en cause au fur et à mesure que se multiplient les recherches archéologiques, les Bantu seraient originaires de la région comprise entre le sud de la Bénoué (Nigeria) et l'actuel Cameroun, puis auraient migré par étapes vers le reste de l'Afrique centrale et vers l'Afrique orientale et australe. Cette dispersion des Bantu débute au Ier millénaire av. J.-C. pour se terminer au XIXe siècle avec l'arrivée des Zoulous en Afrique du Sud où les Khoi-san (Bochimans et Nama) sont déjà établis. C'est l'une des plus étonnantes migrations de l'histoire humaine. La cause exacte de ce mouvement n'est pas établie avec certitude, mais elle correspond au grand mouvement de désertification qui a affecté le Sahara, repoussé ses populations sur ses régions périphériques, et, en diminuant le volume des eaux des grands fleuves, favorisé l'établissement de populations dans les vallées.

Tôt dans leur histoire, les Bantu se sont divisés en deux branches linguistiques majeures : les Bantu de l'Est et ceux de l'Ouest. Les Bantu de l'Est ont migré à travers les hauts plateaux, au Zimbabwe et au Mozambique actuels, jusqu'en Afrique du Sud ; ils sont agriculteurs et éleveurs. Les Bantu de l'Ouest se sont établis dans la forêt et la savane jusqu'en Angola, en Namibie et au Botswana. Souvent de filiation matrilinéaire, ils sont associés à la métallurgie du fer. Leurs ancêtres fondateurs sont des rois-forgerons civilisateurs dont la connaissance de la métallurgie leur a permis de fabriquer des outils en fer pour défricher les clairières.

Aujourd'hui, la langue dérivée du bantu la plus largement parlée est le swahili. C'est la langue véhiculaire des commerçants, parlée de Djibouti à Kinshasa et jusqu'en Afrique du Sud.

Quant aux Hutu, ils constituent une population de langue bantoue habitant la région de Masisi et les environs en RD Congo, le Rwanda et le Burundi, dans la région inter-lacustre de l'Afrique centrale.

v Préjugé de la dépendance des Hutu aux Tutsis

Les traces de métallurgie du fer mises au jour dans la région permettent d'établir que les premiers agriculteurs bantous, en provenance du bassin du Congo, étaient installés dans la région, dont l'environnement était propice à l'établissement humain, au IIIe siècle de notre ère. Lorsque les Tutsi s'établirent à leur tour dans les collines de l'Est du Rwanda, entre le Xe et le XVe siècle, les Hutu avaient déjà formé de petits royaumes qui, avec l'arrivée des Tutsi se réunifièrent en un seul et unique Ruanda.

L'image -- déformée -- habituellement donnée de la société qui s'élabora alors montre les Hutu placés dans une situation de dépendance et de soumission totale à l'égard de Tutsi, seuls détenteurs du pouvoir et de la richesse. Le système politico-religieux extrêmement hiérarchisé qui fondait le royaume Tutsi au Rwanda était en fait moins rigide : parmi les chefs qui, sous l'autorité suprême du mwami (roi) Tutsi, géraient les affaires, les chefs de sol étaient le plus souvent choisis parmi les Hutu de même que les chefs d'armée pouvaient également être Hutu. Et les mariages mixtes étaient relativement fréquents. Au Burundi, dans le royaume Baganda, la souplesse du système était plus grande encore. Si l'on considère la masse de la population, Tutsi et Hutu partageaient le même sort, vivant les uns et les autres de l'agriculture comme de l'élevage. Ils parlaient la même langue qu'on nomme le kinyarwanda ou le kirundi, et avaient la même religion héritée des aïeux Bahutu, le roi étant devenu, par la suite, l'image d'Imama, le dieu suprême.

La politique menée par les colonisateurs européens, allemands d'abord, puis belges après la Première Guerre mondiale, allait dresser la majorité hutu (85 % environ dans chacun des deux pays) contre la minorité tutsi. L'administration coloniale, en effet, s'appuya, pour assurer son pouvoir, sur l'aristocratie Tutsi et figea les rôles de chacun au nom d'analyses ethnologiques rapides. En 1926, les fonctions de chef devinrent ainsi héréditaires. Le Bwame n'était originellement pas héréditaire, son image originelle est celle que l'on rencontre chez les Balega, les Banande, etc. (en RDC). En 1934 et 1935, l'administration coloniale procéda à un recensement de la population du Rwanda-Urundi et délivra des livrets d'identité sur lesquels devait figurer obligatoirement l'appartenance « ethnique ».

Les clivages ainsi institutionnalisés se renforcèrent encore au Rwanda dans les années 1950. Après la mort mystérieuse, en 1959, du mwami Mutara, qui s'était fait le porte-parole des aspirations indépendantistes de son peuple, éclata le premier conflit meurtrier entre Hutu et Tutsi. L'Église catholique, puissance incontournable au « pays des mille collines », prit alors fait et cause astucieusement pour la majorité hutoue. L'administration coloniale favorisa désormais les Hutu. En février 1961, la monarchie était abolie par un référendum, la république proclamée. Le régime serait désormais dominé par les Hutu jusqu'à la guerre civile de 1994-1995. La fin de la monarchie au Rwanda eut d'importantes répercussions au Burundi, où affluèrent les Tutsi rwandais. Spoliés de leurs terres, exclus du pouvoir, ils contribuèrent au raidissement du pouvoir Tutsi burundais. L'Union pour le progrès national (Uprona), parti unique, rassemblait pourtant à l'origine Tutsi et Hutu.

En 1966, fut institué un régime militaire républicain qui maintint la domination Tutsi sur les Hutu jusqu'en 1992, date à laquelle le pouvoir fut partagé entre l'Uprona et le Frodébu (Front pour la démocratie au Burundi), à dominance des Bahutu. Mais les affrontements intercommunautaires continuent depuis lors à déchirer le Burundi. En 1994, le massacre est déclenché au Ruanda. Poussés à l'exode puis à l'exil au Zaïre par la victoire des Tutsi du Front populaire rwandais (FPR), nombre d'entre les Hutu furent à leur tour massacrés en 1996-1997, dans l'Est du Zaïre, par les forces tutsies alliés à L.D. Kabila, soutenus par l'armée rwandaise et par son encadrement tutsi.

Les Tutsi, eux, sont une population habitant la région inter-lacustre d'Afrique centrale, principalement le Rwanda et le Burundi ainsi qu'une petite partie de la Tanzanie limitrophe.

Les Tutsi, présentés le plus souvent comme un peuple hamitique, sont probablement originaires de la vallée du Nil. Ils s'établirent progressivement entre le Xe et le XVe siècle dans la région des grands lacs africains où vivaient les Twas, peuple de pygmées connus déjà par les Grecs depuis l'Antiquité (ð?ãìç = coudée(391(*)) = environ 46 cm) et les Hutu, agriculteurs d'origine bantoue. Ces pasteurs constituaient une minorité numérique au sein des royaumes qui existaient alors. Vers le XVIIe siècle, un royaume gouverné par les Tutsi s'était développé sur la plus grande partie du territoire de l'actuel Rwanda (à l'exception du Sud-ouest).

Le système politico-religieux était extrêmement hiérarchisé : le roi ou mwami, image du dieu suprême Imama, était entouré d'une aristocratie tutsie qui fondait son pouvoir sur la possession du bétail. La gestion directe des ressources du royaume appartenait aux chefs de pâturage -- pour l'essentiel des Tutsi --, aux chefs de sol -- le plus souvent des Hutu -- et la défense du royaume relevait des chefs d'armée, recrutés parmi les Tutsi et les Hutu. La masse des sujets du roi, Tutsi comme Hutu, partageait le même sort. Les mariages mixtes étaient fréquents. Une langue commune s'était élaborée, le kinyarwanda ou le kirundi, appartenant au groupe des langues bantoues.

Le régime colonial, allemand puis belge après la Première Guerre mondiale, institutionnalisa le clivage entre les communautés. Le système d'administration indirecte qui fut appliqué au Rwanda-Burundi, sous mandat de la Société des Nations (SDN), favorisa la domination de l'aristocratie tutsie. À partir de 1934-1935, Tutsi et Hutu furent officiellement séparés en deux «ethnies», l'appartenance à l'un ou à l'autre groupe devant être obligatoirement mentionnée sur le livret d'identité.

Au Burundi, la domination politique et économique de la minorité tutsi -- 12 à 14 % de la population -- se maintint jusqu'en 1992, date à laquelle fut instauré un partage du pouvoir. Au Rwanda, la majorité hutu, soutenue par l'Église catholique et, à partir de 1959, par l'administration coloniale, prit le pouvoir en 1961. Trois ans auparavant, les Tutsi avaient été victimes de massacres perpétrés par les Hutu en révolte. L'histoire du pays, comme celle de son voisin burundais, devait être marquée par des massacres intercommunautaires périodiques. Les derniers, qui, après l'assassinat, en avril 1994, des deux présidents, hutu, du Burundi et du Rwanda, furent commis par les Hutu au pouvoir et visèrent les Tutsi, ont été qualifiés de génocide par l'ONU. Un tribunal pénal international a été institué pour juger les responsables des massacres qui ont touché également les Hutu politiquement modérés, faisant entre 500 000 et 1 million de victimes.

À l'issue de la guerre civile, le Front populaire rwandais (FPR), tutsi, prit le pouvoir au Rwanda. Une telle évolution de pensée provoque souvent une certaine angoisse car elle nous oblige à marcher à tâtons dans l'inconnu et à repenser les formules anciennes, pour les restituer dans un langage accessible et vivant. Cela invite à revitaliser les principes à partir de notre expérience et de notre vie, par ces principes. Il faut non pas regretter le passé, mais vivre le présent et avancer vers l'avenir, afin de comprendre ceux qui nous entourent.

Avec ce problème, nous arrivons sur le point le plus épineux de la pensée de Mutuza. L'étude comparative des civilisations, qu'elle relève de l'Ethnographie, de la linguistique ou de la littérature comparée, n'a pu aborder avec succès le problème des correspondances culturelles des divers monuments de la civilisation protohistorique ou historique, dit Papadopoulos392(*). Par correspondance culturelle nous entendons l'établissement de la corrélation d'une manifestation de la civilisation matérielle, esthétique ou sociale, avec l'état d'évolution ethno-historique du peuple qui en est responsable. Par corrélation culturelles nous voulons signifier l'établissement de l'état comparatif et des connexions organiques qui relient deux manifestations culturelles relevant de civilisations différentes. Il ne s'agit pas, bien entendu, comme le note encore Papadopoulos393(*), de l'établissement d'une corrélation externe, savoir d'une comparaison des données de la civilisation dans le temps chronologique, mais bien de la détermination d'une part des liens internes d'une manifestation culturelle avec le système ethno-historique dont elle dérive, d'autre part des rapports essentiels qui subsistent entre deux systèmes de civilisation séparés dans l'espace et dans le temps pour un pouvoir à sauver.

§ 3. Théocratie et patrimoine

Peu d'entre nous ont à faire face à la haine une attitude d'autogérance. Il est souvent impossible aux blessés de pardonner tant que leurs offenseurs ne se repentent et ne leur demandent pas pardon. Cependant, les Bantu ne veulent pas que la haine gouverne leur propre vie et ils disent aux Hima-Tutsi de ne plus continuer dans ces manèges, afin qu'ils vivent dans la vérité. Ainsi, les blessures étant profondes, le cheminement vers la liberté peut être très long et douloureux. Nous pensons ici aux milliers des Congolais qui ont survécu aux exterminations des massacres à l'Est. Comment cela peut-il être possible si le pouvoir et ce qu'il est censé protéger ne sont pas bien compris ? Comment alors comprendre l'humanisme tutsi en face de la théocratie ? En d'autre terme quelle théocratie est digne du pardon et porteur d'espoir d'un peuple victime en face d'un peuple bourreau qui s'écrie victime?

La théocratie vient du grec èåï? - dieu - êñáôïò de êñáôåéí - tenir, posséder, ce que la science politique traduit par gouverner ou pouvoir, theokratos, « gouvernement de Dieu », gouvernement fondé sur la souveraineté divine, où le détenteur du pouvoir est Dieu, l'incarnation d'un dieu ou son ministre394(*). Par extension, un pays où le pouvoir est entre les mains du clergé est également appelé théocratie.

Les nuances des régimes de l'ancienne Babylone ou du Japon traditionnel nous montrent que ces monarchies n'étaient pas, au sens propre, des théocraties. Si le souverain était également le grand prêtre du culte national, il n'était cependant pas un dieu. Les pharaons de l'ancienne Égypte dirigeaient un régime proche de la théocratie. Moïse, pour sa part, a instauré un véritable régime théocratique au sein du peuple hébreu. Le théologien français Jean Calvin, au XVe siècle, puis l'homme d'État et militaire anglais Oliver Cromwell, au XVIe siècle, ont essayé de mettre en oeuvre des théocraties. Dans les communautés musulmanes, le califat était aussi une théocratie. À l'époque contemporaine, le gouvernement de l'ayatollah Khomeiny en Iran a pu être considéré comme théocratique.

C'est cette manière qui nous a conduit à replacer les correspondances culturelles dans leur situations externes du point de vue chronologique ; et les corrélations culturelles dans leurs rapports sémiologiques et essentiels. Dans ce sens les évolutionnistes avec leur concept de survivance nous aideront beaucoup. Ces survivances constituent le patrimoine culturel.

Le patrimoine constitue l'ensemble des richesses du monde naturel, culturel ou historique héritées du passé et transmis à une collectivité qui doit le préserver pour le transmettre aux générations suivantes. Le patrimoine est un bien, une richesse commune. Il ne peut pas appartenir à une seule personne. Sa valeur est inestimable, on ne peut pas lui donner de prix et il ne peut pas être acheté ou vendu. Cet héritage peut prendre plusieurs formes ; on distingue le patrimoine naturel, le patrimoine historique et le patrimoine culturel.

Tout ce qui fait la richesse et la diversité de la nature constitue le patrimoine naturel. Appartenant à l'ensemble des habitants de la Terre, il est formé par les ressources naturelles, comme l'air et l'eau, et par toutes les formes de vies animales et végétales présentes dans la nature (c'est la biodiversité). Il comprend aussi les montagnes, les volcans, les océans, les mers et les fleuves, les déserts, etc.

Très fragile, ce patrimoine est de plus en plus menacé. Pour le protéger, on crée par exemple des parcs nationaux et des réserves naturelles. Cependant, une grande partie des richesses existant à la surface de la Terre ne bénéficie d'aucune protection particulière.

Le développement des villes et des industries, la multiplication des automobiles et des déchets non recyclables ont un effet négatif sur sa préservation. Les problèmes de pollution et les catastrophes écologiques (comme les marées noires) ont fait comprendre aux hommes que certains éléments de leur environnement risquaient de disparaître à jamais. Déjà des espèces animales et végétales se sont éteintes et d'autres sont en danger. L'équilibre climatique lui aussi est menacé en raison du réchauffement de la planète. De nombreuses ressources naturelles, comme l'eau, peuvent s'épuiser.

Les hommes sont responsables du patrimoine naturel qui leur a été légué. Leur devoir est de le respecter et d'en prendre soin. Ils devront sans doute changer leur manière de vivre pour réussir à laisser aux générations futures une planète qui a conservé toutes ses beautés et sa diversité. Le patrimoine historique est constitué de tout ce qui apporte un témoignage sur l'histoire d'un lieu ou d'un peuple. Chaque pays, chaque région, chaque groupe national ou ethnique à travers le monde possède donc un patrimoine historique qui lui est propre.

Le patrimoine historique s'illustre sous diverses formes. Par exemple, les écrits rassemblés au cours des siècles et qui témoignent d'événements historiques ou donnent des détails sur la vie quotidienne de nos ancêtres font partie de ce patrimoine. Tous ces textes et récits constituent une somme de documents que l'on nomme archives et qui font l'objet d'une conservation minutieuse.

Les objets de la vie courante sont à regrouper dans la même catégorie. Ils sont souvent l'unique trace de coutumes, d'activités ou de métiers disparus. Certains sont conservés dans des musées tandis que d'autres se transmettent au sein des familles de génération en génération. Toutes ces traces constituent des héritages importants pour comprendre et connaître notre histoire et celle de nos ancêtres. Le patrimoine historique englobe également, en raison de leurs fonctions ou de leur lien précis avec certains évènements de l'histoire, les monuments civils ou religieux. Malheureusement, comme pour les autres vestiges du passé, nombre d'entre eux ont disparus. Des mesures importantes (comme en France la loi Malraux de 1962) ont été prises pour tenter de les protéger et les garder en bon état. L'attachement de la population au patrimoine historique s'exprime chaque année depuis 1984 en France au travers des Journées du Patrimoine.

Certains monuments font également partie, en raison soit du type de leur architecture, soit de leur style ou du renom de leur architecte, du patrimoine culturel. Le patrimoine culturel est constitué de toutes les oeuvres artistiques mais aussi toutes les traditions issues de la culture populaire qui nous viennent des siècles passés.

Le patrimoine culturel d'un peuple représente une grande partie de son identité. Il fournit des références communes à un même groupe d'individus et renforce pour chacun le sentiment d'appartenance à ce groupe.

La langue parlée dans une région ou un pays est l'une des composantes principales de son patrimoine culturel. On range également dans cette catégorie de nombreux autres types d'expressions comme les hymnes nationaux, des chansons, des productions artisanales ou gastronomiques, des danses, des fêtes, des célébrations et tout ce qui appartient au folklore. Les contes et légendes populaires, mais aussi les poèmes et les oeuvres des grands écrivains occupent une grande place au sein du patrimoine culturel. Celui-ci englobe également les oeuvres architecturales mais aussi toutes les autres oeuvres artistiques.

Les bibliothèques et les musées sont chargés de la conservation d'un grand nombre de ces créations : manuscrits ou partitions originales, oeuvres sculptées et peintes par les plus grands artistes y sont gardés avec le plus grand soin. Les éléments qui forment ce patrimoine appartiennent parfois à des particuliers. Eux aussi ont le devoir de les préserver et de les transmettre. Ils doivent créer et entretenir les conditions nécessaires à une bonne conservation et faire entreprendre des travaux de restauration lorsque cela s'impose.

La nécessité de préserver toutes les richesses transmises par les générations passées et la prise de conscience des dangers qui guettent cet héritage ont amené la Conférence générale de l'Unesco de Paris à établir, à partir de 1972, une liste d'éléments du patrimoine dont la survie doit être garantie : le patrimoine mondial de l'Unesco.

C'est le point de vue beaucoup plus compréhensif de l'anthropologie sociale et de la philosophie de l'Histoire qui est intervenu, lequel embrasse, en plus de l'esthétique, l'import général de la manifestation culturelle étudiée, son sens intérieur et sa valeur logique et sociale par rapport au système ethno-historique auquel elle appartient, et en outre les rapports organiques ou essentiels entre manifestations culturelles relevant de civilisations différentes dans l'espace et dans le temps. Cela étant, les monuments littéraires, ainsi que les autres témoins de la civilisation, comme le mwami, deviennent des sources au sens propre du mot, non de sources d'histoire littéraire ou d'histoire d'art, mais des sources historiques au plus haut degré, de vrais documents-témoins de l'évolution socioculturelle de l'humanité. Cela fonde parfois le mythe.

Ernst Cassirer précise que le mythe n'est pas identique à l'émotion qui l'a fait naître mais en est l'expression -- l'objectivation, dans laquelle l'identité et les valeurs fondamentales du groupe acquièrent une signification absolue. Selon lui, le mythe et les modes de pensée mythiques forment le substrat des cultures occidentales, scientifiques et technologiques.

La théocratie tutsie est le passage du mythe à la religion. Ainsi, si l'on passe de la mythologie à la religion, c'est une autre forme culturelle que l'on découvre : sacrifice, prière, rituels du culte modifient le projet mythique. Nous découvrons de cette manière que le mythe Hima-Tutsi se conforme à la pensée de Ernest Cassirer selon laquelle pour le mythe le monde est fait de physionomie, pour la religion toute physionomie est suspecte : le divin étant au-delà, son objectivation nous donne un objet pur intérieur, le roi ou le mwami. Car « le roi n'est pas un homme (...), le roi, c'est lui Dieu » (Poème 65, p. 53 selon la présentation de Kagame).

Section 2. Mythe

§1. Histoire et Ethnologie

Nous avons vu ce qu'était l'environnement socio-politico-philosophique et ce que Mutuza en a retenu. Il y a entre lui et la pensée de son temps une problématique commune. Nous en avons reconnu certains éléments dans la conception du monde, de la vie sociale, de la vie politique, de relation avec les « étrangers » qui ouvre le temps ethnologique. L'ethnologie occupe parmi les sciences sociales une place d'intermédiaire. Elle travaille sur des matériaux qui lui sont fournis par l'ethnographie, et elle sert de point de départ à des disciplines plus exhaustives. Il reste que la synthèse de l'ethnologie ne se donne pas pour ultime. Il y a deux façons d'utiliser les connaissances qu'elle propose pour aller au-delà de l'ethnologie proprement dite.

Dans l'étude sur la perpétuation du mythe Hima-Tutsi, on cherchera à utiliser le savoir ainsi accumulé pour faire une théorie générale de la société tutsie et de dépasser ainsi l'ethnologie en sociologie et en histoire pour parvenir au niveau philosophique. C'est seulement à ce stade que le concept d'appartenance ne souffrira d'aucune autorité.

Ce faisant, nous serons sur le champ de l'anthropologie. Et dans l'anthropologie, entendue comme la « connaissance applicable à l'ensemble du développement humain »(395(*)), on cherchera à fonder l'ethnologie. Nous accumulerons des études de J. Maquet, de Papadopoulos sur La poésie dynastique du Ruanda et l'Epopée Akritique, de J. Vansina sur L'évolution du royaume rwanda des origines à 1900, de J. Czekanowski sur Forchungen im Nil-Kongo-Zwischengebiet, de H. Baumann et D. Westermann dans Les peuples et les civilisations de l'Afrique suivi de Les langues et l'éducation traduit par L. Homburger ; les travaux de Eickstedt sur Histoire des races humaines et d'autres auteurs que nous ferons intervenir selon le besoin de la cause.

L'origine du mythe Hima-Tutsi remonte de la confusion des anthropologues coloniaux. La dissemblance et la ressemblance zoologiques furent à l'origine de la distinction des populations. Encore que l'on ne doit pas négliger ces transcendantaux philosophiques.

Baumann et Westermann, troublés par la dissemblance zoologique, racontent dans leur ouvrage que « La race éthiopienne est grande et gracile, c'est une race nettement faite pour les steppes et les migrations. Elle présente tous les indices d'une race noble et de haute lignée : des mains longues et étroites, la taille ou ceinture fine, la poitrine large, mais les hanches étroites, des dents saillantes, les paries sexuelles effacées. Le crâne allongé et le visage étroit portent des cheveux laineux et les lèvres sont moins épaisses que celles des noirs ; la peau caractéristique est rouge bronzé »(396(*)).

Ici nos auteurs sont très extérieurs. Ils prennent les aspects biologiques pour indice de noblesse et de haute lignée. Ils sont peu informés de la génétique. C'est ainsi que leur affirmation ne fait que nourrir le mythe. Ils ne citent pas les indices de noblesse ; mais seulement les aspects anatomiques admirables.

« S'agit-il d'insister sur les dissemblances anatomiques de différentes races, peuples et cultures et d'essayer d'établir de corrélations entre ces différences et de l'utilisation qui est faite du corps ? »(397(*)). Ce qui aboutirait à des explications de ce genre : « Les Pende courent plus vite que les Yaka ou les Pygmées Babingas parce qu'ils ont de grandes jambes.. » (Idem), encore que l'on ne doit pas négliger ces aspects.

Baumann et Westermann se montrent superficiels quand ils décrivent leur rencontre avec d'autres populations : «Le développement le plus marqué de ce type se rencontre parmi les Himas. Les Himas forment une classe de pâtres-guerriers qui gouvernent les agriculteurs bantous et les Pygmoïdes dans la région des lacs...les Héras... sont les seuls admis à épouser les femmes Himas. Il est vrai qu'ils ne peuvent se marier qu'avec des filles les plus pauvres de la noblesse... »(398(*)). Car tous les peuples ne permettaient pas qu'un autre vienne prendre les filles de la lignée. Par contre, pour prouver leur supériorité, ils prenaient, eux, les filles d'autres comme signe de domination. Ainsi une explication de la mythologie et du mythe s'avère nécessaire pour la meilleure compréhension de ce phénomène, Hima-Tutsi, à l'Est de la RD Congo.

La mythologie est un ensemble des mythes propres à un peuple, à une société. C'est aussi l'étude et l'interprétation de ces mythes. Phénomène culturel complexe, le mythe peut être étudié selon différents points de vue. Généralement, c'est un récit, chargé de symboles, qui raconte l'origine du monde, des dieux, la création des animaux, des hommes, l'origine des traditions, des rites et de certaines formes de l'activité humaine. Le mythe est fondateur de presque toutes les cultures qui, en chacune, ont possédé et/ou en possèdent. Relation d'événements situés dans un temps antérieur à l'histoire des hommes, le récit met en scène des êtres et des processus surnaturels. Le mythe est lié, à maints égards, à la religion. Il éclaire, par sa nature multiforme, bien des aspects de la vie individuelle et culturelle.

§2. Sens et interprétation du mythe

Dès l'origine, le mythe soulève un problème de sens et d'interprétation. Les controverses se sont accumulées quant à sa valeur et à son statut.

v Mythe, histoire et raison

Dans la Grèce archaïque, ìýèüò (mythos) et ëüãïò (logos) ne s'opposent pas. Tous les deux désignent un récit sacré concernant les dieux et les héros. Pourtant Xénophane, Platon et Aristote exaltent la raison et dénient au mythe la capacité d'appréhender le réel. À la notion de mythe, la tradition judéo-chrétienne oppose celle de l'histoire : le Dieu des Hébreux et des chrétiens est révélé à l'humanité à travers son histoire ; Dieu a été révélé à Moïse dans l'Égypte des pharaons. Bien que fondamentales, ces distinctions entre raison et mythe, entre mythe et histoire, ne furent jamais tout à fait absolues.

À propos de certains mythes, Aristote vieillissant conclut que ìýèüò (mythos) et ëüãïò (logos) peuvent, dans certains cas, se chevaucher. Platon utilise le mythe à titre d'allégorie et comme procédé littéraire lui permettant de développer un argument. Enfin, mythe, raison et histoire coexistent dans le prologue de l'Évangile selon saint Jean : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. »

Néanmoins, la place du mythe et de l'histoire dans la Bible a été l'objet d'âpres débats de la part des premiers théologiens.

· Mythique et réalité

La question de savoir si c'est le mythe, la raison ou l'histoire qui exprime le mieux la réalité des dieux, des humains et de la création s'est prolongée dans la culture occidentale. Adoptés et assimilés par les Romains, les mythes grecs continuent d'inspirer écrivains, philosophes et artistes de la Renaissance ou de l'ère romantique. Des éléments de mythologies païennes persistent en tant que substrat folklorique de diverses cultures européennes.

Le siècle des Lumières et le romantisme renouvellent, à travers l'élaboration des théories évolutionnistes et la promotion de nouvelles disciplines, l'intérêt pour le mythe. Bien que rationaliste, le siècle des Lumières s'intéresse à toutes les formes d'expression humaine, y compris à la religion et à la mythologie. Soucieux de donner un sens aux mythes, en apparence irrationnels et fantastiques, les philosophes « éclairés » considèrent les mythes comme l'expression d'un effort intellectuel pour expliquer le monde, comme une étape dans l'évolution de la pensée humaine, allant de l'ignorance et de l'irrationnel vers le rationnel.

Ils voient également dans les mythes un aspect de l'évhémérisme, c'est-à-dire de la divinisation des vertus d'un être humain. Toutefois, plus important qu'aucune des théories sur les mythes, reste le développement de disciplines consacrées à la mythologie : en anthropologie sociale et culturelle, comme en histoire des religions, les chercheurs commencent à prendre en compte les mythes extra-européens et envisagent la mythologie dans une perspective universelle.

Avide de nouvelles sources culturelles et intellectuelles, le romantisme se tourne vers les mythes indo-européens et, considérant le mythe comme une forme irréductible d'expression humaine, lui prête, en tant que mode de pensée et de perception, un prestige égal si ce n'est supérieur à la compréhension rationnelle de la réalité.

v Typologie des mythes

Les mythes peuvent être classés selon le thème dominant qu'ils décrivent.

· Mythes cosmogoniques

Les mythes cosmogoniques, ou mythes de la création, décrivent la naissance de l'Univers. Généralement le plus important dans une culture, il sert de modèle à tous les autres mythes. Certains récits mythiques (Genèse, chap. I), les mythes égyptiens, australiens, grecs et mayas racontent la création de l'Univers ex nihilo. Dans la plupart des cas, le Créateur est tout-puissant et devient le centre de la vie religieuse (Hébreux), ou une divinité plus distante (mythes australiens, grecs, mayas).

D'autres mythes cosmogoniques font émerger l'Univers de mondes inférieurs (les Navajo et les Hopis). Selon un mythe polynésien, le monde émerge des différentes couches d'une noix de coco. Dans de très nombreuses cultures, le monde naît de l'éclosion d'un oeuf fertile (Afrique, Chine, Inde, Pacifique-Sud) et, dans cet oeuf, les Dogon voient le « placenta du monde ».

Un autre type de mythe cosmogonique décrit la destruction d'un monstre. Dans le Poème de la création (Cf. la religion babylonienne), Enuma elish, Marduk terrasse le monstre marin Tiamat et, des deux moitiés de sa dépouille, fait le Ciel et la Terre. Le mythe cosmogonique des parents du monde est extrêmement répandu en Afrique, en Asie du Sud-est, en Océanie et en Indonésie : d'un couple primordial, éternellement uni, naissent sans fin des enfants, qui, avides de lumière, séparent leurs parents et libèrent un espace où les divinités façonnent un monde humain.

De nombreux mythes, en Sibérie, en Asie centrale, en Inde, etc., racontent comment un animal (tortue, oiseau, sanglier) plonge dans les eaux primordiales et en rapporte une parcelle qui devient la Terre.

Le thème du sacrifice est commun à plusieurs mythes cosmogoniques : dans le mythe babylonien, le corps sacrifié de Tiamat est la Terre ; dans le mythe indien que relate un des hymnes du Rig-Veda, l'Univers entier résulte du sacrifice d'un géant primordial, Purusha, démembré par les dieux.

· Mythes eschatologiques

Les mythes eschatologiques, ou mythes de la fin du monde, décrivent la fin du monde et le destin de l'individu après la mort. La description de la fin du monde, cataclysme final, conflagration universelle ou ultime bataille des dieux, est présente dans l'ensemble de la mythologie indo-européenne, et notamment dans la branche germanique. Enracinée dans la condition humaine, la question du destin posthume est au coeur de nombreux mythes. Les uns, et généralement les plus anciens, envisagent une prolongation de l'existence dans l'au-delà, mais sans possibilité de retour : réduites à des ombres ou à des doubles, les créatures errent éternellement dans l'au-delà (l'Arallou babylonien, l'Hadès des Grecs, le Shéol des Hébreux). L'idée du salut de l'humanité, d'une résurrection et d'un jugement est le fait du zoroastrisme, puis du mazdéisme d'une part ; du judaïsme, du christianisme et de l'islam, d'autre part.

· Mythes de la naissance et de la renaissance

Habituellement liés à l'initiation rituelle, les mythes de la naissance et de la renaissance disent comment la vie peut être renouvelée, le temps inversé ou les humains transmués en de nouveaux êtres. Dans les mythes sur l'avènement d'une société idéale (mythes millénaristes) ou celui d'un sauveur (mythes messianiques), les thèmes eschatologiques sont combinés aux thèmes de la naissance et de la renaissance. Les mythes millénaristes et messianiques sont présents dans les cultures tribales d'Afrique, d'Amérique du Sud et de Mélanésie (culte du cargo), aussi bien que dans le judaïsme, le christianisme et l'islam.

· Mythes du héros culturel

Des mythes sont consacrés à des êtres qui, par leurs actions, leurs artifices ou leurs découvertes, sont élevés au rang de héros, tels Prométhée, qui dérobe le feu aux dieux, le forgeron dogon qui vole des graines dans le grenier des dieux et les donne à la communauté, ou Hainuwele, en Indonésie, qui, par les orifices de son corps, livre profusion de biens aux hommes.

· Mythes de fondation

Depuis l'apparition des premières cités, entre le IVe et le IIIe millénaire av. J.-C., des mythes racontent la fondation de certaines d'entre elles. L'Épopée de Gilgamesh à Babylone, ou le mythe de Romulus et Remus à Rome sont des mythes de fondation.

v Etudes du mythe

La mythologie a attiré des savants venus d'autres disciplines telles l'histoire, l'archéologie, l'anthropologie, l'ethnologie, la linguistique ou la psychanalyse.

· Mythe et langage

Parce que le mythe est une narration, un grand nombre de savants se sont concentrés sur sa structure linguistique. L'un d'eux, Friedrich Max Müller, soutenant que le mythe est un exemple du développement historique de la langue, voit dans les dieux et les faits décrits dans les textes védiques de l'Inde ancienne non pas des êtres ou des événements réels, mais les balbutiements du langage humain, une tentative pour exprimer les phénomènes naturels (mer, tonnerre, feu, etc.) à travers des images visuelles et sensuelles.

Plus récemment, Claude Lévi-Strauss, partant des travaux des linguistes de l'école structurale (Ferdinand de Saussure, Roman Jakobson, le folkloriste Stith Thompson), pense que les éléments constitutifs du mythe sont hiérarchisés de la même manière que les éléments constitutifs du langage et recherche dans la mythologie la manifestation d'un savoir humain permanent et interminable.

· Mythe et connaissance

Les théories affirmant que le mythe constitue une forme et un moyen de connaissance sont aussi anciennes que l'interprétation du mythe lui-même. La superposition des modes mythique et rationnel a été étudiée par les philosophes grecs, et notamment par Origène, qui prétendait que la révélation chrétienne de Dieu en Jésus pouvait très bien être comprise en termes mythiques.

Deux orientations majeures reviennent à propos de la relation entre mythe et connaissance. Selon la première, le mythe est conçu comme un concept intellectuel et logique. Selon la seconde, il est étudié dans sa signification imaginative, intuitive -- soit comme un mode de perception différent des modes de connaissance rationnelle et logique, soit comme un mode de connaissance antérieur à la connaissance rationnelle.

L'un des pères de l'anthropologie britannique, sir Edward Burnett Tylor, pense que dans les cultures archaïques le mythe repose sur une illusion psychologique, sur une confusion de la réalité objective et subjective, du réel et de l'idéal. Il attribue au mythe une valeur morale. Un peu plus tard, Robert Ranulph Marett voit dans le mythe une réponse émotionnelle de la part des peuples primitifs à l'égard de leur environnement. Il situe la signification du mythe à une étape intellectuelle antérieure à la pensée rationnelle.

L'ethnographe Maurice Leenhardt explique le mythe comme l'expression de l'expérience vécue par la communauté. Ayant longtemps séjourné parmi les Mélanésiens, il observe que ceux-ci répondent passivement aux réalités non humaines, ne cherchant pas la maîtrise intellectuelle ou technologique de leur environnement mais tentant de s'y adapter et de composer avec ses forces. Il qualifie cette attitude de cosmographique et lie les mythes des Mélanésiens à leur expérience cosmographique du monde.

Lucien Lévy-Bruhl développe encore davantage la notion de mentalité prélogique en avançant que les peuples primitifs, en l'absence de toute catégorie logique, acquièrent la connaissance du monde par une participation mystique à la réalité et expriment cette connaissance dans leurs mythes.

Andrew Lang (+ 1912) et Wilhelm Schmidt (+ 1954), ayant noté la présence fréquente dans certains mythes d'un « haut dieu », qui crée le monde avant de s'en éloigner, établissent une distinction entre les mythes présentant un dieu créateur et ceux qui n'en présentent pas : pour eux, le concept de créateur provient d'une contemplation métaphysique et non pas d'une évolution de la pensée du prélogique au rationnel. Dans leur formulation, les mythes incorporent simultanément le rationnel et l'intuitif.

Mircea Eliade expose une interprétation du mythe à la fois rationnelle-logique et imaginative-intuitive. Selon lui, le mythe révèle une ontologie primitive -- une explication de la nature de l'être. Le mythe, par le biais des symboles, exprime un savoir complet et cohérent ; malgré son apparence triviale et sans fondement, il permet un retour aux origines, une découverte ou redécouverte de la nature de l'homme. Paul Ricoeur estime l'existence du mythe nécessaire pour appréhender justement les origines, les processus et la profondeur de la pensée humaine.

· Mythe et société

L'interprétation philosophique et spéculative du mythe par Giambattista Vico (+ 1744) soulève le problème de la relation entre mythe et société. Dans les Principes de la philosophie de l'histoire (1725), il suppose quatre étapes au développement du mythe et de la religion en Grèce : au cours de la première étape, celle de la divinisation de la nature, le tonnerre et les dieux deviennent Zeus, la mer devient Poséidon. Au cours de la deuxième étape apparaissent les dieux liés à la domestication de la nature : Héphaïstos, dieu du Feu, Déméter, déesse du Grain. Dans la troisième étape, les dieux incarnent les institutions humaines (Héra, le mariage). Enfin, la quatrième et dernière étape voit l'humanisation des dieux, telle qu'on la retrouve chez Homère.

Examinant la relation entre mythe et société, Émile Durkheim puise dans les cultures aborigènes d'Australie et affirme que les mythes sont la réaction des individus face au phénomène social : ils expriment la façon dont la société se représente l'humanité et le monde, et constituent un système moral, une cosmologie et une histoire. Affinant cette conception sociologique du mythe, Bronisaw Malinowski (+ 1942) dote le mythe d'une fonction indispensable, celle d'exprimer, d'améliorer et de codifier les croyances. Garant de la moralité, le mythe contient les préceptes destinés à guider l'individu.

Si la signification sociologique du mythe est unanimement acceptée par les anthropologues, elle n'implique pas cependant que le mythe soit compris comme une fonction de la société humaine, mais plutôt que mythe et société coexistent : l'ordre sociopolitique peut être perçu comme l'inexact reflet de l'ordre social ou cosmique présent dans les mythes et, simultanément, les mythes peuvent légitimer l'ordre social.

Le premier, sir James Frazer (+ 1941) suggère, dans son oeuvre centrale, le Rameau d'or (1890) la relation entre mythe et rituel, mais c'est George Dumézil (+ 1986) qui trouve, en se fondant sur une étude des mythes indo-européens, la combinaison de trois fonctions hiérarchisées -- souveraineté, force et fécondité --, structure tripartite que reflètent aussi bien le système des castes en Inde que les triades divines. Accréditant la thèse selon laquelle les mythes naissent d'émotions, Ernst Cassirer précise que le mythe n'est pas identique à l'émotion qui l'a fait naître mais en est l'expression -- l'objectivation, dans laquelle l'identité et les valeurs fondamentales du groupe acquièrent une signification absolue. Selon lui, le mythe et les modes de pensée mythiques forment le substrat des cultures occidentales, scientifiques et technologiques.

§3. Mythe et psychanalyse dans la pensée analytique

Pour les psychanalystes le mythe est un outil leur permettant d'éclairer la structure, l'ordre et la dynamique de la vie psychique de l'individu et de l'inconscient collectif. Sigmund Freud (+1939) a recours au mythe pour expliquer les conflits et la dynamique de l'inconscient (complexe d'OEdipe, par exemple). Carl Jung (+ 1961) reprend la théorie de son maître en tentant de montrer l'évidence de l'inconscient collectif, à partir duquel il élabore sa théorie des archétypes. Freud et Jung établissent une analogie entre rêve et mythe. Anthropologue et psychanalyste, Géza Róheim (+ 1953) s'attache à montrer, à partir de l'observation de mythes, de coutumes et de rêves, l'universalité et l'unicité du psychisme humain. L'étude la plus exhaustive des mythes, vus sous l'angle de la psychanalyse, est l'oeuvre de Joseph Campbell (les Masques de Dieu, 4 vol., 1959-1967), dans laquelle, combinant les aperçus de la psychanalyse (principalement celle de Jung), les théories de la diffusion historique et de l'analyse linguistique, il formule une théorie générale sur l'origine, le développement et l'unité de l'ensemble des cultures humaines.

A l'ère de la mondialisation, l'étude comparée des civilisations, qu'elle relève de l'ethnographie, de la linguistique ou de la littérature comparée, et même de la géographie linguistique de la RD Congo, n'a pas encore abordé avec succès le problème des correspondances culturelles des divers monuments de la civilisation protohistorique ou historique. « Par correspondance culturelle nous entendons l'établissement de la corrélation d'une manifestation de la civilisation matérielle, esthétique ou sociale, avec l'état d'évolution ethno-historique du peuple qui en est responsable. Par corrélation culturelle nous voulons signifier l'établissement de l'état comparatif et des connexions organiques qui relient deux manifestations cultuelles relevant de civilisations différentes. Il ne s'agit pas, bien entendu, de l'établissement d'une corrélation externe, savoir d'une comparaison des données de la civilisation dans le temps chronologique, mais bien de déterminer d'une part des liens internes d'une manifestation culturelle avec le système ethno-historique dont elle dérive, d'autre part des rapports essentiels qui subsistent entre deux systèmes de civilisation séparés dans le temps et dans l'espace et, ou dans le temps(399(*)) ».

v Applicabilité des mythes

Nous reviendrons sur la problématique de correspondance et corrélation. La question de Mutuza est insinuante : «... comment comprendre et expliquer, alors que la République Démocratique du Congo, pays hospitalier, qui héberge des milliers d'immigrés de ses neuf pays frontaliers, se trouve confronter, d'une manière récurrente et vitale, qui menace l'intégrité de son territoire, par la présence de seuls immigrés Hima Tutsi à qui il a offert pourtant sa légendaire hospitalité jusqu'à les hisser au sommet du pouvoir de l'Etat »(400(*)).

La comparaison qu'établit Papadopoulos entre deux monuments littéraires relavant des civilisations éloignées l'une de l'autre dans l'espace et dans le temps, lesquelles sont en outre absolument libres d'influences réciproques démontre bien la valeur d'un mythe qu'un peuple peut avoir sur son héros civilisateur.

Les monuments sont le cycle d'éminemment caractéristique des civilisations éloignées respectives qu'il représente et peut justement être qualifié de monuments nationaux en tant qu'important l'esprit des peuples qui les ont créés.

Friedrich Maximilian Klinger (+1831) est, avec Lenz (+ 1792), l'un des dramaturges les plus radicaux et les plus prolifiques du Sturm und Drang. Ce mouvement littéraire doit d'ailleurs son nom à la pièce éponyme écrite par l'auteur en 1776.

Né à Francfort, issu d'un milieu très modeste, Friedrich Maximilian Klinger parvient néanmoins à étudier le droit grâce au soutien de bienfaiteurs, dont fait partie son ami Goethe.

v Décentrement de la réalité vers le mythe

C'est ce même Goethe (+ 1832) qui, en 1775, plaide en faveur de ses drames Othon (Otto), sa première tragédie, et la Femme souffrante (Das leidende Weib) auprès de l'éditeur Friedrich Weygand. Suivent d'autres pièces : les Jumeaux (Die Zwillinge, 1775), Simsone Grisaldo (1776) et surtout Sturm und Drang (littéralement « tempête et assaut », 1776), qui donne son nom, et en quelque sorte sa définition, au mouvement littéraire du Sturm und Drang et apporte à son auteur la renommée. Entre 1776 et 1777, Klinger se joint à la troupe d'Abel Seyer en qualité de comédien et de dramaturge. Au cours des voyages qu'il effectue à la même époque, il fait la connaissance de Lessing et du philosophe Friedrich Heinrich Jacobi (1743-1819), avant d'embrasser, dès 1778, une carrière militaire, dont il gravira tous les échelons. Engagé comme lieutenant dans un corps de volontaires, deux ans plus tard, passé au service de la Russie, il devient officier d'ordonnance en 1780, puis général en 1798.

Durant cette période, et en marge de ses occupations militaires, il continuera d'écrire des drames (Prinz Seiden-Wurm, 1780 ; Elfride, 1783), mais c'est surtout ses romans philosophiques, dont Vie, exploits et descentes aux Enfers de Faust (Fausts Leben, Taten und Höllenfahrte, 1791), qui retiendront désormais l'attention. Curateur à l'université de Dorpat (aujourd'hui Tartu en Estonie), au sein de laquelle il dispense, entre 1803 et 1816, la culture allemande, Klinger cesse définitivement d'écrire après la disparition de son troisième fils, mort des suites d'une blessure à la bataille de la Moskova. Si l'oeuvre de Klinger demeure importante au regard de l'histoire culturelle allemande, on ne lui reconnaît que peu de valeur aujourd'hui sur un plan strictement littéraire. L'oeuvre de J. J. Maquet, dans Le système des relations sociales dans le Rwanda ancien, donne, avec une négligence euro-centrique, les différences de l'outil de transformation négro-africaine. Il justifie toute sa thèse par la théorie de la migration.

La migration est un des thèmes majeurs de la perpétuation et de l'expansion de tous les phénomènes sociaux. « la civilisation des Chamites éleveurs de gros bétail de l'Afrique du Nord s'est répandue du Nord-est au Sud par la même voie de migration que celle des chasseurs de steppes que nous venons de décrire. Toute l'Afrique orientale a été occupée par elle, et par ceux qui la transportaient. Les Chamites orientaux ont porté leur sang éthiopien partout où nous rencontrons des manifestations de leur civilisation particulière ; l'apparition de leurs traits physiques est même un critère de la possibilité de la présence de leur civilisation et l'inverse se trouvant être également vrai, la thèse de l'identité de la civilisation et du sang paraît pleinement justifiée »(401(*)).

C'est une tâche difficile que de chercher à trouver une hypothèse fiable pour la justification de la domination des Tutsi sur les Bantu. Certains auteurs ont voulu corroborer que suite à l'écrasante majorité Bantu, les Tutsi ne purent résister avec leur langue, qu'on ne nomme pas d'ailleurs. Mais comment justifier que celui qui gouverne ne parvienne pas à imposer sa langue ? Comment justifier que les Tutsi n'ont pas de langue (kitutsi) comme le bantus ont la langue dite protobantu et dont les affinités ne sont pas à démonter?

Certains semblent confirmer l'antériorité de Tutsi. Les populations de ce groupe sont arrivées avant celles de Bantu. Mais les fossiles archéologiques datés avec certitude se réduisant à ceux de Predmost, il serait aventureux d'établir une sorte de filiation entre les deux groupes qui se présentent plutôt comme deux branches divergentes, deux solutions d'architectures différentes des premiers stades de notre étude. Nous y reviendront avec force détail.

§ 4. Poésie dynastique et Récits épiques dans l'interprétation des fonctions du pouvoir

Nous pouvons dire qu'une étude comparative attentive du poème dynastique du Rwanda et d'un poème bantu de même genre démontre que l'antériorité des Tutsi sur les terres bantoues n'est pas convaincante parce que les poèmes dynastiques font une traine si longue qu'on les croirait à des paraphrases du poème bantou, fort court.

Si nous acceptons que l'idéologie soit l'ensemble des structures sociales qu'une communauté crée en vue de se doter d'un statut social, l'aspect mathématique qui marque certains points de ce chapitre prouve à suffisance qu'il y a une puissance dans les questions des mots. Le terme puissance peut être appliqué à toutes les causes physiques, encore que la physique théorique ait abandonné ce symbole anthropomorphique pour le remplacer par les équations mathématiques. Mais même la physique actuelle parle de « champs de puissance » pour décrire les structures fondamentales du monde matériel. C'est là au moins une indication sur l'importance de ce concept jusque dans l'analyse la plus abstraite des phénomènes physiques.

Les physiciens sont généralement conscients du fait qu'ils utilisent une métaphore anthropomorphique lorsqu'ils emploient le terme de pouvoir. Il s'agit d'une catégorie sociologique transposée à la nature (exactement comme la loi, ainsi que nous le verrons plus loin). Mais le terme de métaphore ne résout pas le problème. Il faut nous demander maintenant comment il est possible que les sciences physiques et les sciences sociales se servent toutes deux du même mot ? Il doit y avoir un point d'identité entre la structure du monde social et celle du monde physique. Et cette identité doit se manifester dans l'emploi commun du même terme. Mais il n'y a qu'une seule façon de découvrir le sens fondamental de pouvoir : c'est de chercher ses fondements ontologiques(402(*)).

Comme il y a ambiguïté de relation entre pouvoir et force, cette dualité provoque le temps entropologique parce que uniquement dans la sphère humaine. Comme Mutuza se refuse les définitions, nous sommes devant une exigence qui nous oblige de marcher à contre courant de sa méthode. Nous nous y refusions plus haut mais la nécessité étant, la tâche définitionnelle s'avère importante. La distinction entre pouvoir et force n'a de sens que pour l'homme.

v Parenté clanique

L'un des postulats fondamentaux de l'anthropologie sociale et culturelle, telle qu'elle s'est développée depuis le XIXe siècle, est l'idée que les liens de parenté sont au coeur de l'organisation sociale de toute société. Dans la plupart des sociétés, les principaux groupes sociaux sont constitués sur la base des clans et des lignages. Lorsque l'appartenance au groupe parental est fondée sur l'ascendance paternelle uniquement, on parle d'un système de filiation patrilinéaire. Les sociétés matrilinéaires, dans lesquelles l'appartenance au groupe est fondée sur l'ascendance maternelle, sont rares aujourd'hui. Hérodote fut le premier historien à décrire un tel système, chez les Lydiens d'Asie Mineure. Plusieurs groupes d'Amérindiens, dont les Iroquois, les Cherokees et les Creeks, présentent une organisation matrilinéaire.

L'organisation parentale bilatérale, dans laquelle l'appartenance au groupe est fondée sur les deux ascendances, maternelle et paternelle, prévaut dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs (chez les Inuit, par exemple, ou les peuples du désert du Kalahari, en Afrique australe).

Dans toutes les sociétés parentales, les membres d'une famille, d'un clan ou de tout groupe parental possèdent généralement un ancêtre commun. Ainsi, il arrive que des groupes de familles se considèrent comme les descendants d'un même ancêtre, dit ancêtre « totémique ». Ce concept est un facteur qui permet à lui seul d'unifier un grand nombre de peuples en période de guerre ou d'activités rituelles, en leur forgeant une identité distincte de celle de leurs voisins et ennemis. Parmi certains « peuples nomades » d'Asie centrale qui s'attaquèrent pendant des siècles aux sociétés sédentaires d'Asie et d'Europe, l'organisation militaire complexe reposait sur une filiation patrilinéaire.

Les sociétés humaines autrefois considérées comme « de structure simple » sont les groupes de chasseurs-cueilleurs comme les Inuit, les Bochimans de Kalahari, les Pygmées du Congo et les aborigènes d'Australie. Parmi ces peuples, un petit nombre de familles sont regroupées en groupes nomades d'environ 30 à 100 individus, tous parents et attachés à un territoire particulier.

Les rares groupes vivant encore de la chasse et de la cueillette servent d'exemple hypothétique de ce que fut l'organisation sociale et culturelle durant l'histoire de l'humanité. Le système de parenté, l'idéologie religieuse, les pratiques prophylactiques et médicales, et les caractéristiques culturelles de ces peuples sont simples et peuvent être facilement étudiées.

Des systèmes économiques et sociaux plus complexes n'étaient envisageables qu'en présence d'une source de nourriture régulière et stable, permettant la sédentarisation des premières communautés humaines. C'est pourquoi l'invention de l'agriculture et de l'élevage représenta un apport culturel crucial. Elle coïncide avec ce qu'on appelle la transition néolithique qui, selon les dernières découvertes archéologiques, eut lieu au Proche-Orient et en Asie orientale il y a environ 12 000 ans. Avec l'augmentation de la population et la sédentarisation, les organisations socio-politiques se sont développées, reliant de nombreux groupes locaux. Ces nouveaux systèmes sociaux rassemblaient souvent plusieurs milliers de personnes en groupes, composés de différentes communautés qui s'intégraient progressivement les unes aux autres par le biais de pratiques religieuses communes et par l'échange de nourriture.

Bien que les « petits groupes » ne fussent généralement pas dotés de « gouvernement central », l'augmentation de la population et des ressources alimentaires rendit possible, voire nécessaire, une organisation politique centralisée. Dans les « petites sociétés » qui pratiquent l'agriculture, les systèmes religieux de la communauté mobilisent les individus dans des rites complexes, où les responsabilités sacerdotales sont assumées à tour de rôle. Le groupe familial constituant l'élément de base, les cérémonies sont souvent centrées sur la famille ou le lignage.

L'émergence de systèmes sociaux centralisés avec une stratification sociale s'accompagne presque toujours du développement d'une organisation religieuse ecclésiastique avec des prêtres à temps plein, des rites complexes impliquant l'ensemble de la population et une tendance accrue à la réglementation morale et politique. Ces systèmes religieux complexes sont rarement parvenus à éliminer les pratiques individuelles de chamanisme (notamment pour guérir les maladies) ou les observances religieuses axées sur la famille.

v Regroupement social

« Il a fallu auparavant, disait Kant, que les hommes, qui vivaient d'abord, dans une liberté anarchique, de chasse ou de pêche, eussent passé de la vie pastorale à celle d'agriculteur ; qu'ils eussent découvert le sel et le fer (vraisemblablement les deux premiers objets de commerce entre des peuples différents) pour avoir entre eux des relations pacifiques, et pour contracter, même avec les plus éloignés, des rapports de convention et de société. »(403(*)) Des découvertes archéologiques datant des premiers royaumes-villes attestent d'un partenariat étroit et fréquent entre les chefs religieux et les dirigeants politiques et économiques : la religion joue ainsi un rôle important comme force conservatrice. D'un autre côté, les mouvements de réforme sociale radicale sont, à l'origine, très souvent des mouvements religieux. Même dans les sociétés modernes, l'apparition de nouvelles formes religieuses porteuses d'un message social réformiste est fréquente et ne manque pas de susciter troubles politiques et persécutions (Réforme en Allemagne au XVIe siècle, mouvement bahaï en Iran au XIXe siècle, le kimbanguisme, le Nzambi Mpungu, l'Eglise des Noirs, etc. en RD Congo).

Les schémas assez simples d'évolution culturelle proposés au XIXe siècle ont beaucoup évolué au fil des découvertes archéologiques et ethnologiques. Certains anthropologues du début du XXe siècle, dont l'Américain d'origine allemande Franz Boas et l'Américain Alfred Kroeber, adoptèrent un point de vue antiévolutionniste. Ils estimaient que les processus culturels et sociaux étaient si différents à travers le monde qu'il était impossible de schématiser des étapes ou des tendances générales.

Deux explications fondamentalement différentes de l'évolution culturelle ont été élaborées. La doctrine évolutionniste reçue au XIXe siècle soutenait qu'il doit exister une unité psychique fondamentale de l'humanité, puisque des processus similaires d'élaboration et de développement culturels apparaissent dans des sociétés différentes. Ainsi, les similitudes dans l'émergence d'une stratification sociale et des élites dirigeantes, par exemple, sont d'après cette thèse le fait de qualités mentales communes à tous les humains.

L'approche matérialiste, défendue par un nombre croissant d'anthropologues, met quant à elle l'accent sur les conditions matérielles de vie, les sources d'énergie de l'environnement naturel, les technologies et les systèmes de production des groupes humains. Les influences de l'environnement sont également prises en compte car le développement de systèmes culturels complexes a été particulièrement favorisé par certaines conditions géographiques et climatiques. Par exemple, le Proche-Orient, à l'époque de la préhistoire, possédait une faune (cochons sauvages, moutons et chèvres) et une flore qui se prêtaient particulièrement bien à la domestication et la culture.

Les méthodes de recherche des anthropologues sont aussi variées que les sujets qu'ils étudient. Pour les anthropologues archéologues, il est essentiel d'établir des schémas chronologiques, afin de relier dans le temps les activités humaines du passé dont on a retrouvé la trace. Parmi les méthodes de datation employées par l'archéologie moderne, la technique du carbone 14 est sans doute celle qui est la plus couramment utilisée. On sait en effet que les plantes et les animaux vivants contiennent des taux fixes d'une forme radioactive de carbone, appelée le carbone 14. Celui-ci se détériore à un rythme régulier pour donner du carbone non radioactif. En mesurant la teneur en carbone 14 de morceaux de charbon, d'échantillons de plantes, de fibres en coton, de bois, etc. il est possible de déterminer avec précision l'âge des matériaux.

L'âge des restes fossilisés de l'Afrique de l'Est, datant de plusieurs millions d'années, a été établi à partir d'une autre méthode radiologique, utilisant du potassium-argon. Le potassium radioactif (potassium 40) se désintègre extrêmement lentement pour produire de l'argon 40.

La datation des vestiges archéologiques s'effectue enfin par la stratigraphie, l'étude des couches sédimentaires qui se sont déposées progressivement à la surface de la terre et qui comportent des vestiges de l'activité humaine passée. Pour déterminer les séquences stratigraphiques, il est nécessaire de recourir à l'histoire géologique du terrain, à l'analyse du sol et des restes fossilisés d'animaux et de plantes, ainsi qu'à un véritable travail de détective, qui consiste à réunir les restes disséminés et lacunaires des constructions humaines.

L'anthropologie sociale et culturelle a pour base une enquête sur le terrain au cours de laquelle l'observateur s'immerge dans la communauté ou l'organisation sociale qu'il veut étudier. Par des contacts quotidiens, réitérés longuement, il peut espérer établir une communication et se faire accepter, en montrant notamment -- ce qui n'est pas toujours aisé -- que ses objectifs sont désintéressés. Cette première étape de la recherche sur le terrain peut prendre des semaines, voire des mois, en particulier lorsqu'il faut apprendre la langue locale.

Les premiers ethnographes recueillaient leur information par un contact direct, le plus souvent en interrogeant quelques « informateurs-clés », choisis pour leur bonne connaissance de leur culture ; leurs témoignages étaient simplement rassemblés, recoupés et comparés avec les observations faites sur le terrain. Toutefois, les études des systèmes culturels complexes et en mutation nécessitent des outils méthodologiques supplémentaires. Des questionnaires structurés (sur des échantillons de la population) sont utilisés pour obtenir des informations précises sur les habitudes alimentaires et sanitaires, les ressources économiques, les migrations dictées par le travail, les loisirs, etc. Les données précises sur les transactions effectuées sur les marchés, les horaires de travail, les prises de poisson et de gibier, et la production agricole sont utilisées pour analyser la situation économique. Des tests psychologiques complexes sont effectués lorsqu'il s'agit d'étudier la personnalité des individus. Les informations des registres des mairies, des églises, les textes des municipalités, les rapports gouvernementaux, etc. sont également analysés.

De telles méthodes de recherche quantitatives et techniques ne peuvent toutefois remplacer le travail sur le terrain. Au contraire, des questionnaires détaillés, destinés aux informateurs, ainsi qu'une analyse qualitative élaborée des systèmes symboliques, rituels et culturels en général, conservent une place méthodologique essentielle.

v Pouvoir exponentiel et entropologie

Comparant les Pasteurs et Agriculteurs dans ce qu'ils ont de différent dans les comportements, Adnan Haddad découvrit que « les pasteurs ont des attitudes, avec leur désordre, qui ne permettent pas l'établissement d'une paix durable »(404(*)) qui est possible dans un Etat. Les conditions de formation des États-nations sont diverses. Dans les régions du Proche-Orient, par exemple, il semble que les premiers États-villes se soient développés lorsque l'accroissement de la population et l'augmentation des besoins alimentaires qui s'ensuivit nécessitèrent la mise en oeuvre de vastes projets d'irrigation. Dans d'autres cas, un emplacement stratégique sur une route commerciale (Tombouctou, par exemple, qui se trouve sur la route de commerce du sel dans le Sahara) favorisa la centralisation administrative et militaire.

Ces États ou ces royaumes naissants se sont rapidement étendus, englobant les régions voisines par une domination économique ou militaire. Les premiers sites urbains au Proche-Orient, en Égypte, dans le nord de l'Inde, le sud-est de l'Asie, la Chine, le Mexique et le Pérou possédaient déjà des fortifications militaires, généralement assorties de constructions somptueuses à vocation religieuse (les temples, les pyramides égyptiennes, les kivas pueblos, les ziggourats mésopotamiennes) marquant l'émergence d'un clergé organisé. Ces premières villes accueillaient en conséquence une société stratifiée, composée d'une élite militaire et religieuse minoritaire, et d'une population de paysans et d'ouvriers asservis405(*).

Les systèmes de croyances des groupes de chasseurs-cueilleurs peuvent paraître complexes, car ils font appel à un monde surnaturel, aux « forces de la nature » et à l'intervention des esprits et des dieux. Les groupes de chasseurs-cueilleurs relativement égalitaires et restreints en nombre ne disposaient généralement pas de prêtres à temps plein. Toutefois, il y existait toujours des chamans, des hommes ou des femmes censés être en contact direct avec les êtres et les forces surnaturels qui leur avaient transmis le pouvoir de résoudre différents problèmes, les maladies, par exemple.

Dans les petites sociétés qui pratiquent l'agriculture, les systèmes religieux de la communauté mobilisent les individus dans des rites complexes, où les responsabilités sacerdotales sont assumées à tour de rôle. Le groupe familial constituant l'élément de base, les cérémonies sont souvent centrées sur la famille ou le lignage.

L'émergence de systèmes sociaux centralisés avec une stratification sociale s'accompagne presque toujours du développement d'une organisation religieuse ecclésiastique avec des prêtres à temps plein(406(*)), des rites complexes impliquant l'ensemble de la population et une tendance accrue à la réglementation morale et politique. Ces systèmes religieux complexes sont rarement parvenus à éliminer les pratiques individuelles de chamanisme (notamment pour guérir les maladies) ou les observances religieuses axées sur la famille.

Des découvertes archéologiques datant des premiers royaumes-villes attestent d'un partenariat étroit et fréquent entre les chefs religieux et les dirigeants politiques et économiques : la religion joue ainsi un rôle important comme force conservatrice. D'un autre côté, les mouvements de réforme sociale radicale sont, à l'origine, très souvent des mouvements religieux. Même dans les sociétés modernes, l'apparition de nouvelles formes religieuses porteuses d'un message social réformiste est fréquente et ne manque pas de susciter troubles politiques et persécutions (Réforme en Allemagne au XVIe siècle, Kimbanguisme en RD Congo, mouvement bahaï en Iran au XIXe siècle). Les fonctions sociales de ces mouvements conduisent à un organicisme qui aspire à une harmonisation sociétale en rapport avec les fonctions mathématiques qui révèlent la valeur de l'optimisme. Les exponentiels sont révélateurs des pouvoirs d'être et de l'idéologie de conquête dans la situation expansionniste.

C'est avec le problème d'expansionnisme et de la conquête que le graphique de la fonction exponentielle devient important pour la compréhension de notre étude sur l'interprétation du pouvoir.

L'exemple typique de fonction à croissance exponentielle est bien évidemment la fonction exponentielle elle-même y = ex, dont la représentation graphique est donnée ci-contre(407(*)). E, nombre réel, dit exponentiel et noté de sa première initiale e, intervenant dans différentes branches des mathématiques et dans toutes les disciplines scientifiques utilisant un formalisme mathématique. C'est un élément important qui permet l'interprétation de la croissance numérique des minorités et de leur reproduction. Depuis sa définition au XVIIe siècle, de nombreux mathématiciens cherchent à déterminer le plus grand nombre possible de ses décimales ; sa valeur approchée, à 10-24 près, est égale à : 2,718 281 828 459 045 235 360 287. Ce qui nous a permis de déterminer la condition de possibilité de l'existence d'une entropie dans l'interaction des éléments des systèmes sociaux sous examen.

v Fonction exponentielle pour l'interaction des éléments d'un système social

Il sied de rappeler que Mutuza fait beaucoup appel aux éléments mathématiques. Ne formalisant pas son langage, il se rabat à la littérature qui peut parfois fatiguer. Le lecteur attatif découvrira que mutuza use la méthode géométrique, comme un agriculteur. Et cette fonction exponentielle résume la pensée de Mutuza sur la constitutionalité du Les fondements culturels du fédéralisme.

Ce réel est notamment la base d'une fonction : la fonction exponentielle d'une variable x, notée exp (x) ou ex. Cette dernière est la fonction réciproque du logarithme népérien, noté ln et défini en 1614 par le mathématicien John Néper (+1617)(408(*)). L'évolution de la variable y, ne dépendant que de celle de la variable x, est déterminée par la résolution de l'équation différentielle du premier ordre de type : y' = dy / dx = ky où k est un réel quelconque, et de solution générale : y = A.ekx. Ce nihilisme est à la base du domaine de définition de E. où A est la valeur particulière de la variable y lorsque la variable x est nulle. Ce nihilisme est la base flouée du domaine de définition de E.

v La base flouée et propriétés de l'application du réel E dans la connaissance de l'interprétation du pouvoir

Le nombre e intervient aussi dans la notation exponentielle des nombres complexes. Pour tout complexe z, tel que : z = x + iy où i est le nombre imaginaire pur tel que i2 = - 1, on a : ez = ex.eiy avec eiy = cos y + i.sin y En particulier, on a : ei p = - 1 (formule d'Euler).

Formule remarquable car elle met en relation e, i et p, qui sont, tous trois, des nombres très particuliers et nous définissent la reproduction des êtres dangereux d'un système en nombres infinis.

D'autre part, le réel e est un nombre irrationnel. Mieux encore, le mathématicien français Charles Hermite (1822-1901) a établi en 1872 que le nombre e, est un réel transcendant, à l'image du réel pi (p), dont la transcendance n'a été démontrée qu'une dizaine d'années après. Par définition un nombre est transcendant s'il n'est pas algébrique. Le nombre e n'est donc la racine d'aucun polynôme à coefficients entiers de quelque degré que ce soit, autrement dit il n'existe aucun ensemble d'entiers (an),n est un entier naturel, qui satisfasse à la relation :

 

Au XVIIIe siècle, les travaux du mathématicien Leonhard Euler, associés aux apports du calcul infinitésimal ont permis d'établir un développement en série des fonctions logarithme et exponentielle. Dès lors, e a été défini par la somme de la série :

e = 1 + 1/2 ! + 1/3 ! +... = Où n est un entier naturel ; e est aussi égal à la limite de l'expression (1 + 1/x)x, lorsque x tend vers l'infini. C'est encore l'unique réel tel que :

 

Cette puissance exponentielle manque beaucoup aux Tutsi parce qu'ils ne savent pas où ils sont étrangers, où ils ont les devoirs ni moins là où ils ont les droits. Leur rencontre avec les Bantu a créé des tensions graves et nourrit la haine(409(*)). Les Tutsi, comme groupe dirigeant, participent aux tensions du pouvoir, spécialement à la tension entre pouvoir reconnu et le pouvoir par contrainte. Ces deux formes sont toujours présentes et aucune structure de pouvoir ne peut se maintenir en l'absence de l'une d'elles.

Beaucoup d'auteurs anthropologues, ethnologues et ethnographes ont corroboré l'idée selon laquelle les Hutu ont reconnu la seigneurie tutsie. Mais il est à noter que la reconnaissance tacite du peuple se manifeste lorsqu'il raisonne ainsi : « Nos rois le sont par décret divin et non d'une destinée historique. Cela ne se discute pas, aucune critique n'est permise !il nous faut les accepter parce qu'ils sont des dieux ». Mais comme les Bantu savent que le roi est homme et non pas dieu, le roi devient de ce fait le représentant du peuple. Et la reconnaissance tacite du peuple, chez les Bantu, se manifeste lorsqu'ils raisonnent : « nos dirigeants nous les avons choisis, sont nos représentants, maintenant il nous faut les accepter aussi longtemps qu'ils détiennent légalement le pouvoir, même s'ils en abusent ; autrement le système lui-même s'effondrerait, avec les chances qu'il nous donne ». C'est ainsi que les Tutsi au pouvoir se sentirent en sécurité aussi longtemps que cette sorte de reconnaissance par les Hutu, Bantu, leur était accordée subconsciemment, dans l'éthique bantoue, ou semi-consciemment ou, pour parler de façon métaphorique, tacitement.

Le rêve d'un tel royaume divin, à caractère vocationnel créé est devenu dangereux pour le système lorsque la reconnaissance par les Hutu, Bantu, est devenu consciente et qu'il a fallu supprimer les doutes. C'est comme une certaines fonctions dont la particularité est de présenter à l'infini une allure très proche de celle d'une droite appelée asymptote(410(*)). Lorsqu'un point situé sur la représentation graphique de la fonction s'éloigne à l'infini, la distance entre ce point et la droite asymptote tend vers 0. En calculant le coefficient de cette droite, on peut tracer la courbe associée à la fonction avec plus de précision. Par exemple, la fonction f qui à tout x non nul associe f(x) = x + 1/x a pour asymptote en - 8 et + 8 la droite d'équation y = x.

Puis, il est arrivé le moment où cette suppression n'a plus eu d'effets et la situation révolutionnaire se développa(411(*)). Il faut remarquer que, même dans une telle situation, le pouvoir garde un caractère centré(412(*)) ou hiérarchique : les porteurs de la situation révolutionnaire forment un groupe des marginaux. Cela fait que s'ils sont économiquement faibles, ils sont minoritaires. Par là ils décident de ne plus accorder leur reconnaissance au groupe gouvernant. Marx les a appelés, selon l'image militaire, l'avant-garde. Dans une situation révolutionnaire, ils représentent le centre du pouvoir, au stade prérévolutionnaire, ils forment le groupe qui gouverne. Cela fait appel à l'indépendance comme principe de l'autonomie et de l'affirmation de l'humain.

Section 3. Le concept « indépendance » et l'équivoque mutuziste

§1. Indépendance du premier genre ou affirmation de l'autonomie de l'Homme Noir

Ici l'appartenance s'effondre à cause de l'insécurité et laisse la société s'enfermer cherchant la place de l'individu au sein du groupe et la place du groupe parmi les autres groupes. C'est ainsi que sous un premier aspect, l'indépendance désigne, chez Mutuza, le processus par lequel l'homme d'Afrique noire s'est progressivement affranchi de la tutelle d'une colonisation qui lui avait servi de berceau. Après l'effondrement des empires et royaumes antiques, en effet, la colonisation demeura la seule institution capable d'assumer des tâches éducatrices. Fortement charpentée en soi-même, héritière de la culture antique qu'elle intégrait aux données de la civilisation, la colonisation introduisit peu à peu les Hima-Tutsi dans l'héritage combiné de la culture antique et du capitalisme et impérialisme naissant. Elle joua ainsi un rôle de suppléance, sans précédant pour elle(413(*)), et qui n'était pas fait pour durer. Emancipation de la société traditionnelle par rapport à une colonisation dans le domaine politique, culturel, social, économique aussi, définit donc l'indépendance au premier sens du mot. C'est à propos des biens des citoyens que les Représentants de la Colonie Belge à la Table Ronde de Bruxelles utilisèrent à leur profit un mot qui relevait du Droit belge et qui désignait en ce cas le retour d'une colonie à son autonomie. Utilisé par les Représentants en janvier et février 1960, ils exprimaient la revendication que la « Nation » faisait valoir sur des bien-fonds appartenant jusqu'alors à la Métropole. Il y a de ce fait un certain relent polémique dans le nouvel usage de ce mot. En effet, l'indépendance désigne toujours plus au moins le processus au cours duquel les nations ou les hommes font valoir leurs droits propres et leur inaliénable liberté à l'égard d'une instance qui semble y faire obstacle ou qui réellement s'y oppose. C'est l'autonomie légitime de l'homme et de sa société. Les Belges évitaient, pour l'exprimer, le terme d'indépendance historiquement conflictuel et culturellement ambigu.

« Ce ne sont pas un peuple, ce ne sont que des tribus. Laissons-les faire l'expérience pour nous permettre d'être des modèles, disaient certains colons »(414(*)). « Ces primitifs attachent trop d'importance au mot indépendance », ajoute un autre colon. « Mais, Dieu est un mot alors que nous y croyons, réplique un troisième »(415(*)). Il est très difficile d'être clair dans l'approbation du meilleur, plus judicieux aussi sur sa fragilité.

Beaucoup de ces problèmes sont d'abord énoncés comme des hypothèses. L'exemple le plus frappant est celui proposé par le physicien Amedeo Avogadro. La loi qu'il énonça fut tout d'abord proposée comme hypothèse par le physicien italien Amedeo Avogadro, en 1811. Les chimistes et les physiciens italiens étudièrent cette hypothèse et, dans les années 1850, grâce au chimiste italien Stanislao Cannizzaro, la loi d'Avogadro fut universellement acceptée. La loi dit que dans les conditions normales de température (0 °C) et de pression (1 atm ou 101 325 Pa), une mole de gaz occupe un volume de 22,4 L (volume molaire) et renferme N = 6,023 × 1023 molécules. Cette loi demeura un paradigme en sociologie moderne pour justifier la stabilité sociale et l'harmonie au sein des groupes. C'est la loi de l'organicisme. Ce nombre est analogue à la conception de l'indépendance au premier sens. Car la combinaison et la compression donne autonomie aux gaz.

L'indépendance au second sens du mot justifie amplement la sagesse avec laquelle la Table ronde intègre ici, sans employer le mot, l'indépendance prise en son premier sens.

§2. Indépendance du second genre ou réduction culturelle du contenu colonialiste et impérialiste

Au second sens du mot, l'indépendance ne désigne plus seulement chez Mutuza l'autonomie légitime de l'homme, elle évoque au surplus le phénomène de réduction dont le capitalisme et l'impérialisme est l'objet. Si la colonisation, en effet, a réellement contribué à l'édification de l'homme, cet homme, en prenant ses distances, n'emporte-t-il pas avec lui des valeurs que la colonisation elle-même a prônées ? Pensons au nationalisme, au front commun, à la justice, à la vérité et même à la raison. Il est tentant dès lors de penser que ces valeurs, constitutives de l'humain, représentent à leur tour le seul contenu important du capitalisme et impérialisme ou de la colonisation. Si l'hypothèse est vraie, elle permettrait de dire que l'impérialisme et le capitalisme -toutes ces expressions se valent ici -est une institution (ou un moment) désormais dépassée. Pédagogue et l'enfance de l'homme, témoin de sa jeunesse, elle peut être rejetée comme inutile à sa majorité. Sans doute, les choses sont-elles moins simples qu'il le parait d'abord, mais le schéma évolutif se trouve dégagé. S'approprier l'humain, promu, impliqué et en certains cas défendu par la colonisation, c'est vider, pense-t-on, cette colonisation de la seule substance qui a fait sa valeur. Le contenu du nationalisme aurait donc à passer tout entier sous la seule maîtrise de l'homme et de l'humain. Ce furent des penseurs allemands qui firent le succès d'une telle opinion et qui lui donnèrent l'ampleur que nous lui connaissons désormais.

v Lessing

Lessing, dans ses Cent thèses sur l'Education du genre humain, expliquait-il vraiment autre chose en 1780 ? Il refusait les critiques purement négatives que Voltaire et les Encyclopédistes adressaient ou avaient adressées à la colonisation ; ils reconnaissaient que la colonisation avait appris à l'homme par voie d'autorité ce que l'homme désormais pouvait et devait s'approprier par sa seule raison.

« A l'individu, explique-t-il, l'éducation ne donne rien qu'il n'aurait pu tirer de lui-même, mais ce qu'il aurait pu tirer de son propre fonds elle le lui donne plus vite et sans d'aussi grands efforts. De même, la Révélation (nous soulignons) n'enseigne rien au genre humain que la raison humaine laissée à elle-même n'aurait pu trouver, mais par ce moyen l'humanité a reçu et continue de recevoir l'enseignement des vérités essentielles plus tôt qu'elle n'aurait pu l'avoir par elle-même »(416(*)).

Pensant honorer la Tradition juive et chrétienne, Lessing la réduisait au rôle d'avant-coureur ou de fourrier des « lumières » nouvelles. Même gardée au titre de stimulant culturel incomparable, la Révélation proprement dite se noyait dans un mysticisme rationnel tout humain. C'est ainsi que Mutuza, hégélien, n'a pas manqué de comprendre Lessing en pensant que « le Congo que la Belgique cède, à contrecoeur, aux Congolais le 30 juin 1960, n'a, lui non plus, d'existence que formelle et fictive en tant qu'Etat »(417(*)).

Lessing cependant n'est pas isolé : de manière philosophique, Kant le frôle de près avec La Religion dans les limites de la raison. Et Mutuza renchérit que « en effet, d'une part, ceux qui n'ont appris à connaître et à aimer l'Afrique que depuis cinq ans se disputent à qui mieux l'honneur d'adresser à l'endroit du colonialisme le réquisitoire le plus acerbe. Quant aux autres, ils ont des intérêts trop enracinés dans la terre africaine pour qu'ils la libèrent définitivement au son de la trompette entonnant son hymne national ! Qui sont-ils ? »(418(*)).

Mais c'est Hegel qui donnera à l'indépendance du contenu impérialiste sa forme philosophique.

v Hegel

Du point de vue philosophique, le seul qu'on ne dépasse pas au regard de Hegel, l'incarnation n'est pas séparable de l'horizon suprême qu'ouvre à nos yeux l'histoire réelle de l'esprit. Dans cet ensemble où l'Orient, l'Egypte, Israël et plus spécialement la Grèce, occupent une place de choix, le Christ couronne un processus de maturation progressive de la conscience authentique de soi. Apparue à la surface de l'histoire dans un individu particulier -conformément au paradoxe de l'esprit « absolu » qui ne redoute aucune détermination singulière -, l'incarnation révèle à tous le devenir destiné à chacun.

Dans ces homélies, Mutuza s'inspire de Hegel, dans La vie de Jésus. Aucun individu humain ne saurait s'accomplir en effet comme esprit et comme liberté, sans passer par le chemin de la mort dont le Christ est la meilleure des représentations. La mort dont il s'agit ici n'est pas la mort simplement naturelle, qui achève la vie sans rien apporter d'autre que la pure suppression biologique. La mort, nécessaire entre toutes, dont Jésus est l'exemple et le révélateur, est celle de l'esprit ; elle implique ou elle est une opération qu'on peut dire infinie, dans laquelle la conscience accepte de passer par la contradiction, apparente et réelle à la fois, que lui donnent les choses en leur opacité. A ce prix, la conscience devenant la conscience de soi découvre que ce qui apparaît d'abord lui échapper relève en vérité de ses pouvoir. L'esprit, s'il veut naitre à soi-même, n'a donc pas à craindre de se livrer à l'objectivité du monde qui lui semble tout d'abord hostile, étrangère et, pour tout dire, mortelle. « Ce n'est pas cette vie qui recule d'horreur devant la mort et se préserve pure de la destruction, mais la vie qui porte la mort et se maintient dans la mort même, qui est la vie de l'esprit », explique Hegel en un texte qui deviendra célèbre(419(*)). La vie de l'esprit pour l'indépendance du second genre est présente dans la philosophie de Mutuza : « Le chef de chacune de ces ethnies avait conclu indépendamment des autres chefs des contrats avec les membres de l'Etat Indépendant du Congo. Ces ethnies, par ailleurs, avaient très peu de contacts entre elles et se considéraient comme souveraines et indépendantes les unes des autres. L'Etat Indépendant du Congo était donc composé d'une multitude de « nations » indépendantes, mais désormais soumises à un monarque, Léopold II, roi des Belges »(420(*)).

Le mystère du Christ conduise Mutuza à creuser les conditions requises à la vie de l'esprit. Il s'avère essentiel à la mission civilisatrice d'aider les hommes noirs à découvrir et développer toutes leurs dimensions humaines. Le philosophe, en sa recherche des profondeurs ultimes de l'esprit et de la liberté, ne pouvait échapper à une si heureuse influence. C'est pourquoi la démarche de Mutuza de type hégélien est l'écho qui nous rappelle un aspect liminaire qui ne peut que réjouir et parfois fasciner tout révolutionnaire. A une condition, toutefois : que le fait de s'inspirer de la culture n'en vienne pas à l'altérer, en en réduisant l'initiation à des mythes. Cet art de réduire la mission civilisatrice de la colonisation aux seules dimensions de l'esprit ou du vouloir humains, si sublimes qu'ils soient, représente l'essence même de l'indépendance du second genre(421(*)). Dans ce contexte Léopold II est un confirmatur d'une idéologie politique ou sociale.

Or à travers Mutuza, qui le trahit peut-être mais qui se donne cependant comme son héritier, et qui l'est, Marx a exercé et exerce encore une influence décisive dans les infra-structures culturelles de l'indépendance. La trahison de Mutuza vient à juste titre de celle de Marx à Hegel dans le domaine de la sécularisation de la foi. C'est pourquoi il ne nous importe pas cependant d'analyser ce type de trahison en son principe même et de saisir sur le vif son écart initial par rapport à l'incarnation(422(*)). Aucune hostilité de la part de Mutuza qui veut protéger l'apport de la colonisation.

Les nouvelles affirmations du pluralisme des valeurs qui, toutes, prétendent à l'authenticité, soit sous une forme réflexive, crée un désarroi dans la mentalité occidentale, habituée à penser selon les normes d'un système monothéiste. Les philosophies de Hegel et de Marx sont des vestiges de cette manière habituelle de penser, parce qu'elles essayent de réduire à un principe ou à dieu unique, à savoir l'Esprit chez l'un et la matière (Economie) chez l'autre, la variété et diversité infinie des phénomènes humains et sociaux. Le polythéisme resurgit avec toutes les tribulations qui sont les conséquences d'un antagonisme irréductible des valeurs. Les théories des valeurs sont arrachées par la sociologie ; chaque valeur affirme son autonomie et entre en concurrence avec les autres, d'où d'inévitables conflits dans la mesure où chacune prétend nourrir un nouveau prophétisme. A la différence du polythéisme antique qui demeurait sous le charme mystérieux des dieux et des démons mais le monde actuel, sous l'effet d'une rationalisation et d'une intellectualisation croissantes, est un désenchanté, désorienté, dépoétisé.

Mutuza pense que tôt ou tard, la conduite occidentale peut révéler sa propre anomalie. La tentation ayant grandi de confondre l'impérialisme avec la seule colonisation dont il a favorisé l'éclosion, la tentation de liquider l'impérialisme même se présente à son tour. C'est une troisième étape qui marque la fin du processus d'indépendance, si elle est mal protégée du pouvoir réducteur dont elle n'est pas exempte. Encore qu'il eût lui-même rejeté avec horreur une expression « culturaliste », Mutuza qui, comme Nietzsche qui eut la nausée l'expression « théologique », est un des représentants idéal de ce troisième type d'indépendance qu'il souligne.

§3. Indépendance du troisième genre ou abolition désirée de la civilisation

On sait combien l'auteur des Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60 eut l'ambition de supprimer la colonisation, souvent identifiée par lui avec les derniers avatars de la science coloniale(423(*)). Férocement lucide sur une vision du monde qui s'estime, par moments, comme Nietzsche, capable de détruire, il se bat contre elle non sans ressentiment comme si, nouvelle tunique Nessus(424(*)), elle lui tient encore à la peau. Nietzsche a proclamé la fin de ce « rien », de ce nihil, qu'est devenue l'Europe, infestée par la passivité chrétienne ; il ne peut s'empêcher de revenir à travers le visage de l'enfant dont il envie l'innocence et le jeu, sans pouvoir le retrouver lui-même. Par delà Dionysos et Ariane, aussi mythiques que l' « éternel retour », ce nostalgique de la Grèce demeure, au fond de l'Engadine, un chrétien de naissance épris de Celui qu'il combat, faute de pouvoir, à sa manière, le remplacer(425(*)). Haïssant Paul, qu'il défigure tout autant que Socrate, en raison de la croix où Jésus le déçoit, Nietzsche espère anéantir la foi chrétienne en s'apprenant à ses déformations. C'est par là que Mutuza le rejoint, lui qui représente l'indépendance du troisième genre, qui n'atteint l'au-delà de la Révélation qu'en s'assurant d'abord du moment négatif de sa liquidation. Ainsi pense Mutuza de l'indépendance ; à moins qu'il ne s'acharne comme Nietzsche lui-même, à caricaturer une mission civilisatrice inhérente à la colonisation et qui devait définir la vie des peuples autochtones(426(*)).

Voyez ces Tutsi, déclare Charles Djungu-Simba dans un journal(427(*)), bien qu'ils soient nos ennemis, passez près d'eux en silence et l'épée au fourreau. Attention cependant de ne pas « se souiller », « si l'on s'en prend à eux ». Ils passent pour des bergers, ce sont seulement des moutons : ils suivent un «  Sauveur » dont il faudrait les délivrer ! Projet d'ailleurs insensé, car ils ont fait de leur captivité la condition de leur puissance ; leur désistement est devenu la source d'un empire sur ceux dont ils cultivent ainsi la maladie. Le salut qu'ils proclament dans « ces cavernes embaumées qu'ils appellent murenge consiste à consentir à ce qui nous détruit. La guerre est donc pour eux le maître-mot, c'est leur maître tout court. N'ont-ils pas dû apprendre à dire « non » à tout ce qui mérite un « oui » ?, dit C. M. Overdulve(428(*)).

D'où vient donc que des hommes qui ont altéré à ce point « la plus pure doctrine, soient devenus si convaincants ? Certes ils sont « pleins d'astuce » mais la meilleure raison se trouve dans le fait que « jamais encore il n'a existé de Surhomme », dit Nietzsche ; ils ont donc exploité les penchants trop humains, qui ont fait l'homme religieux. L'homme, ou plutôt cette forme de l'homme qu'il faut à tout prix dépasser, est un être en effet qui s'est cassé en deux et qui a construit « Dieu » avec la moitié de lui-même dont il s'est alors dépouillé.

Mutuza emprunte Nietzsche ici. Il n'est pas d'ailleurs loin de Feuerbach qui a lancé, le premier, cette généalogie réductrice de la « culture ». Mais alors que Marx a transposé l'idée de Feuerbach sur le terrain économico-social, Nietzsche, lui, l'a maintenue dans le domaine psychologique, comme le fait Mutuza lui-même à la suite de Freud dans L'avenir d'une illusion. De toute manière, Mutuza croit y trouver la raison du succès « remporté » par les Tutsi. Le Tutsi réussit parce qu'il s'arroge une fonction de médiateur, qui dispense les hommes d'exister par eux-mêmes ; il prend ainsi la place lâchement délaissée par chacun en soi-même et falsifie en justice ce qui n'est qu'une abdication.

Marx, dans les Manuscrits de 1844, avait félicité Adam Smith d'avoir été comme un nouveau Luther qui a intériorisé le sacerdoce dans le croyant lui-même, comme Smith avait intériorisé la richesse dans le travailleur ! Mutuza, lui entend anéantir toute trace de « Tutsi » dans la RD Congo. La médiation en tant que le fait de devenir soi-même grâce à une relation constitutive à un autre que soi, était valable pour Luther, comme elle l'est pour Hegel(429(*)) à condition qu'elle se résorbe finalement dans la liberté du croyant. Pour Mutuza, cette médiation doit être à tout prix supprimée, de quelque nature qu'elle soit(430(*)).

C'est par le doute effrayant sur soi-même qu'elle peut provoquer et non pas par les fins délirantes au service desquelles elle se trouve liée, que la critique mutuziste du colonisateur entre dans les composantes culturelles de la « crise » que nous analysons. En effet, à la faveur d'une « mission civilisatrice» qui les mettait au contact immédiat et brutal avec le milieu ouvrier, bien des colons ont découvert tout d'un coup, en eux ou dans l'action civilisatrice, des défauts ou des manques profonds sur lesquels ils avaient pu s'illusionner. Ils avaient pu le faire, faute d'avoir réellement rencontré la partie non lettrée des autochtones, qu'ils ont rejetés sans en avoir alors été conscients. En rejoignant sur le terrain des hommes façonnés par leur refus de la « civilisation », nombre de colons entrèrent dans une auto-critique d'autant plus radicale que les « valeurs », rencontrées chez leurs sujets, souvent devenus amis, semblaient rendre inutile la « mission » dont ils étaient porteurs. Même s'ils ignoraient totalement le bestiaire burlesque imaginé par Nietzsche pour ridiculiser les attitudes qu'il prêtait aux primitifs, tel ou tel colon de « mission » en venait à se voir comme bête de somme, `âne' ou « chameau », précise Nietzsche(431(*)) -qui aurait consenti à se voir « bien » chargé. Mutuza va dans cette même ligne : refus de l'enfance, transformation en « lion », par rapport à leur propre passé. Ainsi pouvait-ils déchirer à belles dents leur précédente identité et « conquérir » la « liberté et le droit sacré de dire non » à ce qui leur avait paru tout d'abord un « devoir ».

Eblouis par des modalités nouvelles que revêtait l'humain, meurtris par les contradictions auxquelles l'exposait leur « mission », certains, mais non pas tous, se laissèrent convaincre que l'authenticité de l'Homme noir et la fidélité de le servir ne pouvaient plus passer par cette civilisation qui avait vu en eux des délégués de sa présence. Les années 60 furent cette prise de conscience de l'abolition désirée de la civilisation et de colonisation.

Conclusion : Refonte nécessaire de tels présupposés mutuzistes

Comment se libérer d'une vision politique qui considère comme un dogme l'opposition de principe qu'elle a peu à peu établi entre la culture et la civilisation dans le domaine de l'anthropologie et de la science coloniale, sans s'affranchir des présupposés dont cette vision résulte, des interdits dont elle est obérée ?

Remarquons tout d'abord que cette distinction est la dernière étape d'une longue dérive au cours de laquelle la vision politique de Mutuza devenue la nature qui apparaît étrangère ou hostile au mystère de l'humanité qui cependant la fonde. Livrée dès lors à la seule compétence du savoir et du pouvoir humains, la vision politique est elle aussi entièrement enfermée sur soi. Comme elle est la condition sine qua non de l'histoire, elle entraîne dans l'histoire le mutisme de l'humanité. Le moindre signe que l'on pourrait trouver d'elle en elle, détruirait la parfaite immanence que le Mythe Hima-Tutsi ainsi construit dans la colonisation entend s'attribuer.

Dans sa charpente, la philosophie de Mutuza constituait le paysage que nous inspections dans cette partie de notre dissertation. Son relief est rempli de montagnes caillouteuses du fait que Mutuza aborde beaucoup de thèmes dans son acception du concept d'appartenance, qu'il n'utilise d'ailleurs pas. C'est pourquoi sa cartographie laisse à désirer. Comme philosophe, Mutuza a ouvert la voie vers une autre façon de concevoir la philosophie de l'histoire et sa vision de la culture. Il a contracté pour cela une dette envers la culture lega qu'il donne en paradigme. Suivant notre avertissement nous étions entrés dans une jungle de problèmes et de confusions, mais partout nous avions vu comment en sortir : à savoir grâce à une herméneutique de l'oeuvre de Mutuza soumise à la réévaluation des concepts telle que l'on le rencontre chez Musey.

Le concept d'appartenance dans la Problématique du Mythe Hima-Tutsi explique cette herméneutique du phénomène humain à l'occasion d'un essai d'interprétation de la culture. Deux conséquences marquent alors sa pensée: le refus de définition et le maintien de concept. Du coup en effet l'universalité du concept devient une nécessité linguistique. Dans sa tentative de concilier définition et concept, il a abouti à deux conceptions dont l'une, le refus de définitions crée la confusion mais maintient le concept ; et l'autre, le maintient de concept crée de définitions, mais maintient la confusion.

v Refus de la définition

La dernière conséquence de cette réflexion laisse Mutuza sans voix à cause de son refus de définition. On cherchera en vain une théorie de philosophie politique chez Mutuza : le refus de définition est en même temps le refus de théorie parce que l'on ne peut avoir l'une sans l'autre. Mais il ne s'agit pas ici d'opposer un fait à un raisonnement, il s'agit plutôt de savoir si ce fait est pensable, exprimable rationnellement. C'est ce que peuvent faire tous ceux qui tenteront de rejeter la philosophie politique de Mutuza. Ils auront à contester au départ qu'une définition puisse se réduire à la connaissance de l'objet, un fait à son explication dans laquelle on peut analyser après coup ; et ils auront opposé, en somme, une expérience vécue au langage conceptuel dans lequel on la traduit.

Mutuza se montre plus prudent devant le problème de concept. Il se contentera de l'admirer, comme l'oeuvre du langage qui ne violente pas les confusions. Il signifiera pour lui la certitude d'une réelle appartenance qui est acquise dans l'ordre social, mais qui laisse aux confusions individuelles la possibilité de s'y soustraire. C'est une jungle nominale. Dans cette jungle il y a conflit des valeurs conceptuelles: démocratie (procédurale et déontique ou substantive et conséquencialiste) et droit de l'homme, la confiance aux voisins (communauté internationale) et la garde des frontières (souveraineté nationale). De là nait ce qui est forcé (armée), forcé, cela doit aussi garder son identité (contrôle). Autrement ce n'est pas forcé mais détruit. Dans ce contexte le temps entropologique se découvre dans les mots dont Mutuza se veut sans fausse modestie l'éclaireur.

Aux questions des mots, le concept d'appartenance ouvre la formulation du mythe Hima-Tutsi et son argumentation par la science coloniale. Mutuza réoriente la philosophie en dénonçant l'appartenance forcée des Tutsi sur les terres congolaises et l'erreur des anthropologues et philosophes de la science coloniale de vouloir confirmer l'assimilation des Tutsi à la nation congolaise. Il annonce une ingénierie sociale hors de tout utilitarisme, mettant en garde la tendance onusienne de faire le bien en forçant les Congolais d'être heureux. Il montre la vraie philosophie de l'appartenance et la perpétuation du mythe comme une tâche philosophique préalable.

v Nominalisme méthodologique 

De là nait le nominalisme méthodologique. Les définitions ne doivent pas occulter la valeur que la clarté apporte. L'identité du mythe Hima-Tutsi réside dans la définition (précision d'une équité successorale des dynastes) plutôt que dans la clarté (de la limite par une succession dont la mort ouvre la voie). Ce qui ramène à la conception instrumentale du mythe et à l'association de la théorie des ensembles et des nombres mathématiques, du cycle de l'octave et du nombre ð (p), passant par le nombre d'or et l'ouverture à la tablette de calcul babylonien. C'est l'effort d'une hygiène philosophique de l'anthropologie traditionnelle. Mutuza est optimiste. Optimiste, à cause de son antihistoricisme et à cause de son acceptation de la philosophie en tant qu'une vie, un genre de vie.

L'optimisme mutuziste dans la résolution du conflit Hutu-Hima-Tutsi révèle la problématique de l'appartenance culturelle. Ce qui justifie l'étude de corrélation et correspondance culturelles avec la fonction exponentielle dans la logique mathématique.

C'est un travail qui ouvre le mythe Hima-Tutsi à l'idéologie d'un royaume centralisé. Conception difficilement conciliable avec la problématique de la démocratisation des Etats modernes. Car les Tutsi ne se connaissent jamais étrangers dans une terre étrangère. Ils ont la turpitude de ressembler à des animaux de leur activité. La vie humaine étant inféodée à celle d'un boeuf, l'homme n'a de sens que dans sa vie biologique c'est-à-dire temporelle. Ce qui est tout à fait le contraire de Muntu qui voit la mort ouvrir un autre genre de vie. La mort devient un lien avec la vie et non pas une chaîne(432(*)).

L'histoire qui fonde l'anthropologie mutuziste est une ingénierie sociale antihistoriciste qui nous oblige à appartenir à des valeurs plus élevées. Cela à la seule condition que chaque groupe ne se ferme pas sur ses certitudes, ses préjugés et ses idéologies. Cela implique que le statut d'étranger soit accepté et respecté sans voile ni honte de peur que n'éclatent pas des conflits.

L'unification, à partir d'un état de philosophie ethnologique de l'organisation sociale antihistoriciste, témoigne déjà d'une élévation vers une condition historique d'une teneur considérable. La révolution philosophique de Mutuza prépare l'effondrement du système politique qui existe.

Deuxième partie : Rétablissement du comput éthique du temps anthropologique

«Tous ceux qui se querellent disent qu'ils sont dans leur droit. Ils prennent, cependant, plus de droit que ce à quoi ils ont droit, et c'est pourquoi ils sont constamment en désaccord. »

(Père Païsios, Lettres, p.189)

« Vouloir le règne de la loi, c'est vouloir le règne exclusif de la raison ; vouloir, au contraire, le règne d'un homme, c'est vouloir en même temps celui d'une bête sauvage, car l'appétit irrationnel a bien ce caractère bestial, et la passion du pouvoir fausse l'esprit des dirigeants, fussent-ils les plus vertueux des hommes »

(Aristote, La Politique, II, 16)

INTRODUCTION

L'oeuvre de Mutuza est un discours qui se trame autour des Grands Lacs(433(*)); elle s'inscrit dans une noétique à dessein brouillée et accidentellement embrouillée. Il est tributaire d'un polycentrisme à la fois indécis et imprécis dont les points de jointure demeurent a-syntoniques en raison des intentions voilées des auteurs. Loin d'être un discours polyphonique et implicite, il s'avère être bien plutôt un discours disjonctif.

Mutuza est d'abord un professeur. Avant d'aborder sa pensée personnelle et la manière par laquelle il parle aux Tutsi, avant même de le voir dans ses contacts avec le milieu intellectuel de son temps, il a fallu le situer dans son milieu véritable qui est la communauté universitaire. Nous avons vu par sa vie que Mutuza avait été prêtre, professeur et homme d'Etat : toute sa vie s'écoule dans ces fonctions cérébrales. A cet égard, son oeuvre plonge dans le milieu socio-politico-intellectuel. Il est intéressant de l'envisager sous cet aspect, en voyant ce qu'elle nous apprend de la vie socio-politico-intellectuelle de son temps et ce que lui-même en pense à propos du vocable de la raison ambiante Pays des Grands Lacs.

Dans cette partie, nous abordons la critique de cette raison ambiante Pays des Grands Lacs, qui s'explique par l'analyse du temps entropologique chez Mutuza, [- telle que Ngoma Binda l'a découvert, bien qu'avec plein de contradictions dans son article : textes écrits « sur l'histoire des peuples des Grands Lacs » et « même si ces textes (épars et conçus, chacun, dans des contextes différents et pour des objectifs tout différents) ont été regroupés sous l'intitulé générique d'Ethique et Développement... »(434(*)) ] - et enjeux éthiques, processus de séparation et de réunion entre l'historicisme et la prédiction,- comme -comme d'ailleurs ignoré par le même Ngoma Binda dans son analyse sur l'oeuvre de Mutuza. C'est une question liée au langage et qui se mêle à un mythe tissé par un certain nombre de préjugés phénotypiques.

La raison ambiante ouvre la continuité et la discontinuité entre le monde végétal, le monde animal (valeurs matérielles) et le monde humain (valeurs intellectuelles et morales) dont le mythe Hima-Tutsi explique la divinisation du second, animal, par l'expression libre et naturelle en rapport avec un constructivisme néocolonialiste renfermé dans les poèmes dynastiques du Rwanda.

Les poèmes dynastiques du Ruanda décrivent l'histoire, dans son sens premier, du grec dont la racine désigne l'action de voir: éóôïñ (l'histor) est celui qui a vu ou, si l'on veut, un témoin et ce qu'il peut ajouter à sa propre expérience n'est qu'un autre témoignage au deuxième degré, comme soulever à l'introduction générale. C'est déjà là l'ingénierie sociale. Nous avons à ce stade le devenir, l'image et l'étreinte.

Les paléontologues, les ethnologues, les géophysiciens, les biologistes et les anthropologues sont clairs là-dessus : avec le devenir, le processus d'évolution biologique, qui va de l'apparition de la première cellule vivante à l'émergence de la conscience chez l'Homme, s'étend sur des milliards d'années, en regard desquelles la progression qui va des Mammifères supérieurs à l'être humain semble infime, aussi bien par sa durée que par le nombre relativement limité des modifications anatomiques et biologiques auxquelles elle correspond. Ce qui fait appel à la notion de race(435(*)).

Cependant, les rapports de l'homme (histoire) avec les animaux ( prédiction et l'ingénierie sociale) sont fondés, depuis la préhistoire, sur un antagonisme initialement lié, pour les uns et les autres, aux nécessités de la survie. L'Homme, attaqué par les animaux, depuis les temps les plus reculés, a dû se défendre. D'autre part, il lui a fallu pratiquer la chasse pour assurer son existence. Les techniques qu'il a inventées, de plus en plus perfectionnées au fil des âges, lui ont permis d'assurer sa suprématie. C'est ainsi que, très tôt, le Chien a été domestiqué et dressé par l'Homme pour l'aider à capturer ses proies. Plus tard, l'élevage (tel que l'on le rencontre chez les Tutsi) ayant remplacé la chasse, c'est des animaux encore que devait dépendre la subsistance de l'être humain - surtout celle des Tutsi qui ne s'en « nourrissent presque pas ».

Etant donné la dépendance totale dans laquelle ils se trouvent par rapport aux animaux, l'Homme se devait de traduire cette situation dans ses croyances religieuses et ses mythes. Les ethnologues ont d'ailleurs observé la présence privilégiée de l'animal dans toutes les mythologies des peuples « primitifs »(436(*)) existant encore aujourd'hui. Ce processus de divinisation marque le début de la rupture entre l'humanité et le règne animal, l'animal divinisé devenant finalement étranger à l'Homme.

Les exigences de rentabilité augmentant à travers les siècles jusqu'à devenir la motivation essentielle de toute activité humaine, la rupture acheva de s'effectuer quand l'Homme fut amené à considérer les bêtes comme des objets utiles ou nuisibles qu'il s'arrogea le droit d'entretenir ou de détruire selon ses besoins. Aujourd'hui, le milieu artificiel créé par la société industrialisée implique une ignorance totale du monde naturel, au détriment duquel l'Homme a longtemps cru pouvoir développer sans risque une vie urbaine hypertrophiée, dont la seule finalité semble désormais être sa propre expansion.

Cependant, il n'est plus possible de douter que la destruction d'espèces végétales ou animales(437(*)) ne perturbe profondément l'équilibre écologique du monde vivant, dans lequel chaque élément est nécessaire à la survie de l'ensemble, c'est la théorie fonctionnaliste. Aujourd'hui, l'Homme est amené à reconsidérer sa position au sein de la nature. Les travaux des naturalistes et fonctionnalistes ont montré que les liens qui rattachent l'Homme aux animaux supérieurs ne relèvent pas simplement de la biologie, mais qu'ils s'étendent au domaine psychologique. Entre l'instinct animal et l'intelligence humaine, il n'existe pas de rupture radicale, mais une succession de stades évolutifs au terme desquels se situe l'apparition de l'Homme, c'est encore le caractère mathématique dont la succession renvoie au nombre ð.

Les trois éléments constitutifs de cette deuxième partie, tirés de l'analyse mutuziste des poèmes dynastiques, apparaissent clairement : les techniques et les structures socio-économiques et linguistiques où on traite de l'activité banyarwandaise. On trouve, comme second élément, la poésie dynastique du Ruanda et les valeurs qu'elle défend et dont le manque de correspondance et corrélation entre les ethnonymes (Hutu - Tutsi - Twa) et du glossonyme kinyarwanda laisse bien percevoir le temps entropologique. Le troisième et dernier élément se situe dans la problématique de l'intégration et de la diffusion même du mythe de l'appartenance autour de la vache et le peuple du mythe, les Tutsi.

Chapitre cinquième : TECHNIQUES ET STRUCTURES SOCIO-ECONOMIQUES ET LE MYTHE DU KANYARWANDA L'ANCETRE DES BANYARWANDA

Introduction

Mutuza a commencé par l'analyse des structures technico-sociales pour comprendre les populations hima-tutsies. Dans cette analyse certaines corrélations apparaissent clairement et il en est arrivé à ouvrir le temps entropologique pour la meilleure compréhension de la problématique du mythe hima-tutsi. L'identité et l'appartenance en ont imposé une certaine habitude qui se forme dans le temps historique que nous appelions çèïò. En arrivant à ce point de la formation d'une habitude dans le temps, les enjeux éthiques et sociaux imposent leurs structures et deviennent des faits sociaux réels dont les techniques ne sauraient expliquer les diversités politiques et sociales que voile l'ancêtre Kanyarwanda chez Banyarwanda. S'il est aisément perceptible que les techniques enseignées par Kanyarwanda à ses descendants depuis le début de leur origine, comme d'ailleurs celle de toute l'humanité, jusqu'à nos jours, sont passées des formes les plus simples aux systèmes les plus complexes, l'organisation des sociétés qui les ont utilisées ou qui les utilisent n'apparaît pas avec une évidence aussi nette.

Certes on comprend que les hommes qui conçoivent et fabriquent aujourd'hui des avions, des computeurs, des machines électroniques ou des fusées spatiales ne soient pas organisés de la même manière que les hommes qui taillaient la pierre pour en faire des outils et des armes. Mais entre ces deux exemples dont la complexité bien connue de l'un n'a pas pour corollaire la simplicité que l'on serait tenté de prêter à l'autre, se situent une infinité de système où les rapports entre les techniques et les structures socio-économiques peuvent varier selon l'ancêtre qui les enseigne. C'est pourquoi nous nous proposons d'étudier dans ce chapitre les hypothèses des différences structuro-sociales entre les Bantu entre eux d'une part et de l'autre part entre les Hutu et les Tutsi selon J. Maquet, Th. Papadopoulos et R.E. Mutuza ; nous analyserons l'unité familiale et le problème d'ascendance, et enfin, l'évolution des systèmes dans le contexte mutuziste.

Section 1. De la différence chez J. Maquet, Th. Papadopoulos et R.E. Mutuza (438(*)) Face au Kinyarwanda comme mythe unificateur d'une société atomisée

§ 1. Correspondance et corrélation technico-structuro-économiques

Un fait nous dérange dans la compréhension de la structure des systèmes des peuples de l'étude que nous menons ici. Comment est-ce possible que jusqu'à aujourd'hui aucune recherche n'a trouvé quelque trace d'idiomes des Batutsi ? Ou encore, il est connu que les femmes tutsies étaient données comme épouses, à leur arrivée, aux baame des royaumes des Bahutu et que comme femmes, comment est-ce qu'elles n'aient pu jamais rien apprendre, comme élément de leur langue, à leurs maris à qui elles ne donnassent, selon certaines sources, que des enfants adoptifs ? Quelle correspondance et corrélation dans une telle société atomisée ? C'est dans la structure sociale que se présente bien la connaissance d'un peuple, et cette connaissance n'est possible que par l'analyse du temps entropologique. Le temps entropologique, lui, ouvre la voie de la correspondance et de la corrélation entre les structures technico-économiques.

Pour comprendre la correspondance et la corrélation technico-structuro-économique nous devons recourir aux théories mathématiques dont les nombres439(*) traitent des différences et que, parce qu'aux éléments différentiels d'une langue la dénomination des outils accuse une différence technico-structurelle. La différence étant l'absence de similitude (entre au moins deux éléments ou deux personnes), on parle d'une différence fondamentale. Elle peut aussi être un aspect ou un attribut distinctif entre au moins deux éléments ou deux personnes ; c'est pourquoi certains généticiens peuvent déclarer que la différence entre les deux races est une différence spécifique. En éthique et en politique on cherche le caractère original par lequel on se distingue des autres, c'est pour cette raisons que les partisans de la démocratie sociale parlent de droit à la différence ; ils voient en ce sens l'écart quantitatif (entre au moins deux valeurs).

R. Descartes, à la différence de J. Locke(440(*)), est de ceux qui nous obligent de comprendre la différence selon la loi infinitésimale441(*). Pour lui, les différences finies sont une branche des mathématiques qui étudie les différences entre des paires successives de nombres ; elles nous laissent découvrir les résultats de cette discipline utilisés dans de nombreuses applications(442(*)). Il considère, par exemple, la formule yn = 3n - 1 qui donne pour n = 1, 2, 3, ... la progression arithmétique 2, 5, 8, 11, 14, ... ; les différences entre les paires successives sont 5 - 2 = 3, 8 - 5 = 3, ... La suite de nombres et la suite des différences sont souvent écrites :

 

La formule yn = n2 - 3n -  2 donne pour n = 1, 2, 3, ... les nombres de la première ligne du tableau suivant :

 
 
 

On peut montrer que, si les y sont déterminés par un polynôme de degré n, leurs différences ne sont constantes. Réciproquement, si les différences ne d'une suite de y sont constantes, la suite peut être engendrée par un polynôme de degré inférieur ou égal à n.

Pour une fonction dont on ne connaît qu'une partie des points (x1, y1), (x2, y2) ... de sa courbe représentative, le tableau des différences finies, avec les estimations des erreurs, peut être utilisé pour déterminer les coordonnées d'autres points de la courbe (par interpolation et extrapolation), ainsi que des valeurs approchées de la dérivée de la fonction en différents points, ou d'intégrales définies de la fonction pour divers intervalles d'intégration.

On peut parfois créer une suite de y grâce à une formule récursive, c'est-à-dire une formule qui exprime yn à l'aide d'un ou de plusieurs de ces prédécesseurs. Par exemple, si yn est le nombre de façons de naturaliser au moins une personne dans un pays de n naturalisés de telle sorte que deux personnes n'occupent jamais deux pays voisins, on peut démontrer que yn = yn-1 + yn-2 + 1, avec y1 = 1, y2 = 2. Les différences finies peuvent être utilisées pour « résoudre » de telles équations, c'est-à-dire pour trouver une fonction qui permet d'exprimer yn en fonction de n. Dans cet exemple(443(*)) :

 

 


est le coefficient binomial défini par

 

Suite à ces opérations mathématiques complexes, Mutuza qui, comme un avorton parmi les maîtres comme J. Maquet, Papadopoulos, Baumann et Westermann, etc. est arrivé à trouver la base de la différence culturelle, dans son La problématique du Mythe Hima-Tutsi, en ressortissant les éléments technico-économique pour comprendre l'organisation politique après l'éclatement de petits royaumes en un unique Rwanda comme le clame ce poème dynastique:

« Il fut en butte à une opposition inouïe

Mais ses victoires furent sans nombre

Il fit trembler les adversaires

Et rassembla bien des pays en un seul,

Les fusionnant en son unique Ruanda »

(P. 171, p. 102)

Le but premier de la recherche de la correspondance et corrélation est d'élever l'équivoque de la science coloniale sur la problématique de la séparation et de la réunion de deux peuples aux origines différentes et aux systèmes politiques presque opposés.

Après une lecture attentive des auteurs qui ont traité de ce sujet, nous pouvons avoir une meilleure compréhension de la théorie de différence entre ces peuples ou atomes socioculturels. Ces auteurs ne mentionnent nullement le mot tutsi avant l'éclatement des royaumes hutu du Ruanda anciens. Baumann et Westermann disent qu'il s'agit d' « une région ethnologique d'un caractère assez uniforme s'étend(ant) entre la chaîne des lacs Albert-Edwart, Kivu et Tanganyika, d'une part, et le lac Victoria-Nyanza avec le Kaguera et le Nil à l'Est, d'autre part. Une partie du pays est une région élevée, montagneuse, très fertile qui comprend l'Ourundi, le Rwanda , le Kiziba, l'Ankolé, le Toro, l'Ounyoro, l'Ouganda et l'Ousoga (..) Le pays entier a été submergé par une vague d'immigrants chamites orientaux, éleveurs de gros bétail, venus probablement du pays des Gallas dans le Nord-est (...) Cette couche de nobles constituait aussi une unité ethnique répandue dans tout le cercle et qui s'opposait aux assujettis ; le centre politique fut jadis le grand Etat de Kitwara (ou Kitara) qui formait le point d'appui de l'organisation »(444(*)). Ici les auteurs nous préviennent déjà contre le danger de confusion qui règne entre race et ethnie. On comprend que le terme tutsi fut plus ethnologique que racial. Parce que ce n'est que « plus tard, l'état se disloqua et des royaumes indépendant furent créés dont les plus importants furent ceux de l'Ouganda, de l'Ounyoro et le Karagwé. Les seigneurs chamites s'appellent selon les états : Hemas, Himas, Houmas, Toussis, Hindas, etc. »(445(*)).

Nous tâchons d'illustrer les notions qui précèdent par l'examen comparatif des populations relevant d'une même aire linguistique, si pas d'une même langue l'une de l'autre dans l'espace et dans le temps, lesquelles sont entre autre absolument libres d'influences réciproques. En attendant d'illustrer les mêmes notions à base de données plus universelles nous nous limiterons à la corrélation des peuples et cultures représentées par deux civilisations : agricole et pastorale. C'est là la tâche des théories mathématiques des différences.

Il est d'ailleurs couramment connu que la civilisation chamitique orientale de l'Afrique est essentiellement une civilisation pastorale, « les immigrants Chamites ayant conservé intacte (selon Papadopoulos) leur tradition d'éleveurs de gros bétail, laissant aux peuples bantous soumis et incorporés dans les royaumes qu'ils ont fondés les occupations agricoles qui leur étaient propres »(446(*)).

Papadopoulos épouse l'avis de Baumann et Westermann sur la garde en pureté de la civilisation pastorale perpétuant d'une manière remarquable leur hiérarchie sociale traditionnelle et organisant les Etats fondés par eux sur le modèle absolutiste et théocentrique des peuples pastoraux.

Il ressort que pour lui le corollaire de l'organisation sociale est le mode de production. Une question peut être posée : comment le petit peut-il incorporer le grand ? Autrement dit dans quel royaume chamite les Bantu furent-ils incorporés ? Nous pouvons accepter que pour Papadopoulos incorporer est synonyme d'assimiler. Mais là aussi nous sommes butté à une difficulté énorme. Car le premier élément culturel de l'assimilation est la langue ; il continue en disant que « ce n'est que dans le domaine linguistique qu'ils[les Tutsi] ont dû subir l'influence décisive des peuples bantous soumis et politiquement incorporés en en adoptant la langue sous l'effet d'une écrasante supériorité numérique et en abandonnant complètement leurs propres idiomes chamitiques »(447(*)).

On voit le kinyarwanda au centre des enjeux politiques, éthiques et sociaux entant que non seulement comme élément unificateur, mais aussi et surtout, paradoxalement, comme un diviseur. Unificateur, parce que les monades ethniques (Hutu-Tutsi-Twa) sont collées par lui, kinyarwanda; diviseur à cause de l'authenticité et d'originelleité de kihutu dénommé kinyarwanda dans un contexte utilitariste, pragmatiste ou instrumentaliste.

Nous remarquons d'ailleurs chez Papadopoulos ce rapprochement entre la langue, la technique et structure économique des peuples.

Une même technique peut être utilisée dans des systèmes économique de nature différente : les engins spatiaux américains et soviétiques sont très proches les uns des autres bien qu'ils soient le produit d'économies de type capitaliste d'une part, socialiste de l'autre. Cependant dans l'histoire de l'humanité, on peut pratiquer un certain nombre de coupes qui mettent en évidence des correspondances d'ensemble, n'excluant pas les nuances, les exceptions, entre types de technique et modes de production : le moulin à eau est caractéristique de la féodalité, comme la machines à vapeur est liée au développement de l'industrie capitaliste. Tout comme les boeufs servent de charrue pour les peuples agriculteurs et richesse prestigieuse pour les pasteurs pour l'élargissement des royaumes.

Papadopoulos voit déjà un mythe dans la question des origines des royaumes chamites en Afrique des Grands Lacs. Il écrit que « la question des origines des royaumes chamites de la région d'entrelacs est en réalité beaucoup plus complexe et intimement liée avec l'expansion chamitique nord-sud qui n'a pas encore fait l'objet d'investigations suffisamment approfondies. Il est évident que ce que certains africanistes ont qualifié d'invasion chamitique n'est qu'une expression très sommaire et probablement très peu appropriée pour désigner les mouvement migratoires de peuples non-bantous, nilo-chamitiques, chamitiques ou autres qui ont pénétré le domaine géographique des Grands Lacs africains. De là à nier la réalité de ces mouvement migratoires constitue une hypothèse téméraire non confirmée par les données culturelle. Dans le cas plus spécial qui nous occupe, il semble que la formation du royaume ruandais est aboutissement d'un procès d'unification progressif entraînant la disparition des nombreux petits royaumes qui se partageaient le pays »(448(*)).

Si on peut admettre que dans leurs grandes lignes les institutions sociales sont solidaires des techniques, et qu'à un niveau technique correspond un type d'organisation de la production, on ne saurait y voir une relation de cause à effet à sens unique. Considérée comme la connaissance qui permet de réaliser une fin, une technique n'est pas nécessairement déterminante de nouvelles formes d'organisation du travail et de la société. On serait même tenté d'inverser les termes du rapport : les conditions de la production amènent à concevoir de nouveaux procédés techniques. A l'appui de la première proposition on pourrait citer le cas de certaines inventions qui anticipent à tel point sur les besoins sociaux réels qu'elles ne sont pas adoptées par le groupe. Le moulin à eau, considéré comme une révolution technique médiévale, a été conçu par des penseurs grecs ; la machine à vapeur mise au point par Denis Papin a été précédée dans l'Antiquité par le turbine de Héron d'Alexandrie. Il ne peut s'agir d'une occasion manquée ; ces deux techniques hautement évoluée ne pouvaient avoir un développement généralisé à une époque où les forces productives constituées en grande partie par des esclaves étaient obtenues à bon compte. En Afrique, chez les Hutu, un phénomène analogue s'est produit avec l'arrivée des Tutsi.

Maints exemples pourraient être avancés : même si l'on reconnaît aux structures socio-économiques une portée déterminante, on ne saurait toutefois rejeter toute influence de l'apparition d'une technique nouvelle dans le processus de leur évolution. Lefebvre Des Mouettes a soutenu que la fin de l'esclave antique avait été accélérée par l'invention vers le 10e siècle du collier d'épaules à armature rigide. L'attelage antique, basé sur la tradition par la poitrine gênait la respiration de l'animal et diminuait ses possibilités. Ce moindre rendement devrait être récompensé par l'utilisation et l'exploitation de l'homme-esclave. Mais si on rappelle que l'Antiquité avait en puissance de possibilités techniques et qu'elle ne les a pas développées, que s'il y a eu correspondance entre l'apparition du collier d'épaule et la fin de l'esclavage antique, on ne saurit y avoir une relation directe et privilégier ainsi le déterminisme technique.

La succession des modes de production et l'organisation de la société ont été traduits dans leurs grandes lignes par le schéma marxiste, à qui Mutuza se réfère, qui, du communisme primitif au socialisme, les fait passer par l'esclavage antique, la féodalité et le capitalisme. Si pertinente que soit cette vue d'ensemble, on ne peut l'accepter sans retouche, notamment en ce qui concerne le point de départ de l'évolution, qui apparaît comme une constitution de l'esprit(449(*)) - et nous sommes déjà chez Hegel- plutôt que comme une réalité objective. Les travaux ethnologiques, jusqu'aux plus récents, n'ont jamais recueilli la trace d'un état de la société caractérisé par le communisme primitif, avec tout ce que cette dénomination impliquerait sur le plan de l'organisation sociale : notamment la promiscuité sexuelle de la «  horde ». Bien au contraire, les sociétés ayant conservé les cultures matérielles les plus archaïques, comme les Pygmées (ð?ãìç = coudée = environs 50 cm), ont des systèmes de parentés extrêmement complexes. Ces peuples furent connus des grecs, comme Ptolémée qui en parle en citant les « monts de la Lune » qu'est le Ruwenzori.

Contestable sur ce point, ce schéma ne rend pas compte des particularités des autres systèmes, dès qu'il s'agit de sociétés non européennes. Une récente discussion sur « le mode de production asiatique » montre la difficulté d'intégrer au schéma théorique ce type particulier, caractérisé par la coexistence de communautés paysannes égalitaires et d'un despotisme qui prélève une part importante de la production, mais assure en contrepartie l'organisation d'un système de techniques supérieures nécessitant une concentration du savoir et de l'autorité.

A. Metraux, décrivant les Etats pré-incaïques, écrivait à propos des Mochicas, indiens de la côte Nord du Pérou (300 à 800 après J-C) :

« Comme en Egypte et en Mésopotamien, la conquête du désert sur la côte péruvienne postule l'existence d'une autorité respectée et d'une bureautique bien organisée. K. Marx avait déjà pressenti le rôle de l'irrigation dans la formation de gouvernements despotiques de types asiatique (les incas, 1962)(450(*)) .

Dans une telle société l'économie est sous la contrainte d'un pouvoir autoritaire qui prend progressivement la forme d'un état : on voit dès lors la possibilité de rapprochements entre ce type d'organisation ancienne et la forme soviétique du socialisme.

D'autre part l'introduction du mode de production asiatique dans la théorie permettait de remettre en cause le dogmatisme historique et la succession des grands stades caractérisés par des modes de production universellement comparables. Il apparaît en effet qu'avant le capitalisme, ceux-ci ont formé des systèmes difficilement réductibles.

Ce débat où des considérations politiques d'actualité jouent un rôle important, a le mérite de mettre en lumière la liaison entre systèmes techniques, organisation sociale, économique et politique. Ce n'est que dans la mesure où un pouvoir central autonome dirigeait des travaux d'infrastructure à grande échelle que les paysans pouvaient produire un surplus pour l'entretien de la classe supérieure(451(*)).

Un des traits le plus caractéristique du mode de production asiatique est l'absence de propriété privée du sol ; peut- on en déduire qu'il est directement issu de la communauté primitive, laquelle n'aurait connu que la propriété collective des terres ? Nombreuses sont encore les populations, y compris les pays occidentaux, où la propriété du sol est au moins en partie collective. La nature de ces rapports de possession n'entraînant pas pour autant la mise en commun de la production, on ne saurait parler de communisme...

L'intérêt de ce type de société est de faciliter l'analyse du processus initial de différentiation des fonctions dans un groupe autonome(452(*)). Engels l'a esquissé en montrant, à travers l'expansion démographique(453(*)) et l'antagonisme entre communautés, la nécessité vitale de créer des organes pour protéger les intérêts communs et se défendre contre les intérêts rivaux. Les hommes chargés de cette fonction ont une situation privilégiée - le mwami- qui se perpétue non seulement par l'hérédité  mais aussi et surtout par la méritocratie(454(*)); de sociale la fonction devient politique et la contrepartie de cette-ci prend la forme d'une exploitation économique. Telle serait d'après les marxistes le processus de la différenciation sociale primordiale.

Le mode de production asiatique peut-il être caractéristique d'autres continents ? Il ne le semble pas en ce qui concerne notre Afrique noire par exemple, où les Etats à pouvoir centralisé, nombreux aux sud du Sahara, -pas généralement dans le Maniema- et dans la partie orientale, n'ont pas contribué à développer des techniques supérieures, systèmes d'irrigation notamment, comparables à ceux de certaines parties de l'Asie.

Ce mode de production a-t-il jamais connu en Afrique les conditions nécessaire à son développement ? Le processus de différenciation sociale qu'il implique doit nécessairement se dérouler dans des communautés qui n'ont subi aucune intervention extérieure. Cette évolution interne n'a pas eu en Afrique noire, dans la zone soudano-sahélienne, puisque la plupart des Royaumes et Empires (Ghana, Mali, Songhay, Haoussa, Bornou)(455(*)) ont reçu avant leur établissement des apports extérieurs ; berbères, puis arabes, venus à travers le désert. Même si ces derniers ne participaient pas directement au pouvoir, ils ont fourni le modèle de son fonctionnement et obtenu des facilités pour leurs transactions commerciales de l'Afrique noire vers le Maghreb ; or, ivoire, peaux et esclaves constituant l'essentiel du trafic, il ne peut s'agir là d'une organisation technique d'un niveau supérieur.

« Les populations noires qui restèrent à l' écart des influences des nomades blancs continuèrent à vivre en petites communautés fermées. Elles ne présentèrent jamais une division du travail social suffisante pour qu'une classe de chefs politiques privilégiés puisse se former »(456(*)). Cependant, elles ont progressivement adopté, dans le cadre du village, des systèmes culturaux très élaborés, alors que les Etats- néo-soudanais, utilisateurs d'esclaves, en restant à une agriculture très primitive, malgré des possibilités matérielles, notamment dans le domaine du travail du fer, beaucoup plus étendues.

Le problème des techniques et de leur utilisation par des hommes vivant en société est ainsi posé. S'agissant de sociétés qui en sont à un niveau qui peut être qualifié de pré-industriel si toutes doivent nécessairement passer le stade de l'industrie, leurs activités les plus représentatives sur le plan matériel se limitent aux techniques de collecte, de production et de fabrication les plus élémentaires : chasse, pêche, agriculture, élevage, travail du bois, du fer pour l'outillage, des fibres textiles pour vêtement, de la terre pour les récipients. Selon leur évolution, on peut distinguer d'après le professeur Leroi-Gourhan différents états de ces techniques(457(*)), de très rustique à semi-rustique. On pourrait se limiter à cet énoncé pour définir le niveau technique des sociétés archaïques isolées, c'est-à-dire qui n'auraient pas reçu d'importants apports des pays occidentaux. Dans de nombreux groupes techniques caractérisés naguère encore par la rusticité de leurs techniques, certains individus sont intégrés, au moins en partie, dans des activités de type industriel.

Par contre, dans des sociétés qui présentent tous les aspects d'un état plus au moins industriel, des secteurs entiers de celles-ci correspondant à des activités artisanales ou agro-pastorales, demeurent encore à des stades d'évolution technique plus archaïques.

Ce décalage se traduit sur le plan socio-économique et apparaît nettement dans certains types de sociétés rurales françaises.

Dans des sociétés caractérisées par la rusticité de leurs activités agricoles, on constate que certaines des autres techniques sont à des niveaux relativement différents. Les Inké de la Haute Côte d'Ivoire et les Proto-Indochinois de la chaine annamitique ont des systèmes culturaux analogues : ils utilisent le procédé qui consiste à semer le riz dans une partie de forêt défichée et brûlée. Alors que les premiers ont d'excellents forgerons capables de fabriquer des fusils de traite à partir du minéral de fer, les autres se bornent à forger des armes blanches ; par contre, ces derniers savent tailler dans du bois dur des engrenages hélicoïdaux pour leurs égreneuses à coton.

Les deux milieux ont subi le contact des groupes extérieurs dont ils ont adopté un procédé techniquement supérieur : le fusil de traite dans un cas, l'égreneuse à coton dans l'autre. Peu de groupes archaïques sont restés à l'abri de tout contact ; chacun a développé une technique pour laquelle il était déjà pourvu de praticiens expérimentés : forgerons chez le Malinké, spécialistes du bois chez les montagnards de l'Indochine. Ces deux exemples très simples pourraient être sinon généralisés, du moins largement multipliés : ils serviraient à montrer que le domaine des techniques est tributaire du milieu physique mais plus encore du milieu humain. Son insertion dans le groupe social reste donc à préciser : on ne pourra mettre en évidence cette liaison qu'en envisageant l'organisation des membres de la société qui participent à l'emploi d'une technique particulière.

L'analyse de quelques-unes de ces techniques et du contexte socio-économique auxquels elles sont liées montrera certaines étapes de l'évolution de l'organisation de l'homme dans le domaine de la production(458(*)). Celle-ci doit être prise dans son acception la plus large : dans la mesure où elle implique un travail elle englobe aussi bien la collecte la plus élémentaire des produits destinés à l'alimentation que la fabrication des biens de consommation dans la société d'abondance.

En restant dans ce cadre de notre propos, c'est-à-dire les sociétés pré-industrielles, il convient d'insister sur le caractère social de toute production, même la plus élémentaire : la simple cueillette ne se fait pas au seul profit de l'individu qui l'effectue. Intégré dans un groupe avec lequel il partage les fruits de son travail, il reçoit en contrepartie une part du butin des autres membres. La division du travail la plus élémentaire, par sexe, se situe dès ce moment : la cueillette des baies et des pantes comestibles revenant à la femme, la chasse aux gros animaux étant réservée à l'homme(459(*)). Cette activité implique la fabrication d'armes de pierre. Tous les hommes vivant dans le même groupe n'étant pas également habilles, certains se spécialisent et se bornent à la taille des pierres, alors que d'autres sont meilleurs chasseurs. Les ateliers de débitage du silex que l'on a retrouvés au grand Presssigny, à Spiennes et à Girolle montrent que la division du travail technique remonte aux temps préhistoriques.

Dans l'état de connaissance de nos sociétés anciennes et des sociétés exotiques actuelles on peut donc pratiquement admettre cette division. Elle entraîne corollairement la notion d'échange, non seulement à l'intérieur d'un groupe, mais encore d'un groupe à l'autre. Le concept d'économie de subsistance, où un groupe vivrait en autarcie complète, ne résiste pas à une analyse, sauf dans des cas rares et particuliers. Tout au plus peut-on parler de secteurs d'autosubsistance, par exemple quand la totalité des besoins alimentaires est satisfaite par la chasse, la pêche, la cueillette, l'agriculture, l'élevage. Il est rare que les biens de consommation produits correspondent exactement aux besoins, même en admettant que ceux-ci soient très variables. Il peut y avoir pénurie ou surplus : ces derniers peuvent être mis en réserve ou servir de moyens d'échanges. La possibilité de conserver des denrées alimentaires d'origine végétale ou animale est un fait déterminant dans le processus de différenciation économique et sociale. Avec le développement de l'agriculture, avec le perfectionnement des méthodes culturales et des moyens de stockage des grains, avec la domestication des animaux, se place l'origine du processus de thésaurisation qui permet non seulement d'accumuler les richesses pour assurer la sécurité alimentaire, mais encore de spéculer sur leur vente à des prix très élevés en cas de disette.

Cependant, d'une manière générale, on peut considérer que les activités de production et d'échange ne se situent pas exactement dans un même cadre social : si la majorité des membres d'une société traditionnelle ont des activités de production, les échanges deviennent peu à peu le privilège de certains d'entre eux.

Le groupe primitif, selon la définition de Leroi-Gourhan (le geste et la parole), constituée par un nombre restreint d'individus des deux sexes, correspond à une unité de subsistance dans le cas des activités de cueillette et de chasse. Il peut s'identifier avec l'unité d'exploitation dans un contexte d'activité agropastorale, tel que celui que l'on rencontre chez les Hima-Tutsi au Rwanda. Une analyse plus fine de quelques-unes de ces sociétés pastorales montrera la nature des rapports entre les membres d'un groupe unis par des liens de parenté, -ce qui est d'ailleurs le cas avec les Tutsi(460(*))-, d'alliances qui vivent en communauté de propriété et de travail(461(*)). A la définition de ces structures socio-économiques traditionnelles, on ajoutera le processus de leur transformation sous l'effet de l'économie de marché introduite au niveau de la production par des cultures dites industrielles.

Toutefois, avant de passer à l'étude de ce type particulier de société très précisément inscrit dans le temps et l'espace, encore qu'on en retrouve des traits relativement comparables dans certains secteurs des sociétés rurales de France, certains traits généraux, voire universels des sociétés archaïques doivent être éclairés.

§2. Caractères dominants des économies et éloignement des identités Hutu-Tutsi-Twa

Pour découvrir la différence il faut nécessairement voir les caractères dominants des économies. Ceci nous permet de trouver les lieux des activités des ceux qui se distinguent les uns des autres. Les travaux des philosophes et sociologues qui les premiers ont tenté de faire la synthèse et d'interpréter les récits des voyageurs sur les sociétés « primitives » allaient dans le sens d'une distinction fondamentale entre ces sociétés et celles des pays occidentaux. Un des critères majeurs de cette différenciation avait pour base les principes d'identité et de contradiction, opposés à ceux de la mentalité européenne. Pour cette raison on appliqua à celle des primitifs le qualificatif de prélogique, sans se rendre compte que la distinction portait seulement sur le système de références. Aussi Lévi-Strauss a pu écrire dans « La Pensée sauvage » que jamais la conscience des primitifs n'était perdue dans la confusion et la participation, mais qu'au contraire leur pensée était rompue à tous les exercices de spéculation.

Le plan des croyances a servi à distinguer les prétendus primitifs, imprégnés de pensée magique, des sociétés monothéistes. Mais ce que l'on sait des fondements religieux des sociétés occidentales reste par sa nature très proche des démarches magico- religieuses des groupes archaïques.

Le comportement des membres de « la horde primitive » a fait long feu : la promiscuité sexuelle qu'elle impliquait n'a pas résisté aux analyses mettant en évidence le passage de l'état de nature à celui de culture(462(*)).

Dans le domaine des échanges apparaît encore aux yeux de l'observateur occidental non prévenu un maximum de comportements illogiques. On peut citer quelques manifestations ostentatoires qui ne sont que la caricature de ce comportement : l'achat de montres ou de souliers vernis par des autochtones qui n'ont aucune notion de la division horaire du temps, ou qui ont toujours marché pieds nus.

Il est plus intéressant d'en appréhender de plus fondamentaux, dont la finalité difficilement conservable par des esprits occidentaux ne leur est cependant pas totalement étrangère. Citons par exemple l'image du capitaliste qui allume son cigare avec un billet de banque : celui qui peut détruire des richesses sans espérer autre chose que d'en retirer du prestige est le symbole de la puissance.

Dans certaines sociétés, le type le plus achevé de l'irrationalité en matière économique est celui de la destruction des biens de consommation d'une manière ostentatoire. Il n'est pas nécessaire d'insister sur la causalité économique qui dans les pays développés, amènes à détruire, pour en faire remonter les cours, des produits trop abondants.

Le «  potlatch » des Indiens de la région de Vancouver, sur la cote Pacifique du Canada, au cours duquel de grandes quantités de richesses sont cérémoniellement détruites, est une des formes de l'échange dans la mesure où il implique la réciprocité. M. Mauss a appelé « phénomène social totale » une telle cérémonie, car elle exprime une signification sociale, magico - religieuse, économique, juridique et affective.

Il n'est d'ailleurs pas nécessaire qu'il y ait destruction ostentatoire de richesse pour que la cérémonie soit pleinement significative. Plus généralement les richesses rassemblées par un groupe sont offertes à un autre sur lequel le premier veut assurer sa suprématie morale sinon politique. Les bénéficiaire de cette opération ne sont pas en définitive ceux qui reçoivent, mais ceux qui donnent, puisque ces dons leur assurent prestige et puissance. Le groupe qui les a reçus devra, pour retrouver sa supériorité, procéder ultérieurement à des contre-dons d'une valeur plus élevée au cours d'une cérémonie analogue. « Donner, c'est manifester sa supériorité, recevoir sans rendre, c'est se subordonner »(463(*)).

Avec cette conclusion fondamentale, il faut retenir le caractère collectif de l'institution : ces destructions ostentatoires, ces échanges de dons et de contre-dons ne s'opèrent qu'entre des collectivités, entre des groupes sociaux ou familiaux, entre individus. C'est une des particularités des sociétés non industrielles que d'être intégrées dans des ensembles dont tous les membres sont solidaires.

Des institutions comparables au potlatch ont été signalées en Polynésie, en Mélanésie, en Nouvelle Guinée. Ailleurs dans le monde, et parmi des populations moins archaïques, des cérémonies mettant en jeu des cadeaux collectifs importants ont été attestées. Peut-on dire pour autant qu'aujourd'hui les changements qui sont intervenus dans les sociétés de ce type, favorisées par l'introduction de l'économie monétaire, ont été tels que les exemples cités ne sont plus que des curiosités anachroniques ?

Il serait aussi loin de la vérité de le prétendre que d'affirmer que les rapports économiques ne ressortissent qu'à ce système. Georges Balandier, récemment, a décrit le Bwiti du Gabon comme un exemple de ces survivances. Les Haoussa du Niger dont la réputation dans toute l'Afrique de l'Ouest, de commerçants avisés n'est plus à faire, sont aussi d'excellents cultivateurs. Ils cultivent des plantes industrielles, arachide et coton, en plus de leur production vivrière traditionnelle. Certains d'entre eux louent des terres et emploient de la main-d'oeuvre salariée : ils vendent leur coton à la Compagnie Française pour le Développement du Textile (CFDT) et spéculent notamment, en fin de saison sèche et en période de disette sur le mil et le sorgho qu'ils stockent dans d'énormes greniers. Ce contexte n'empêche pas certains de ces cultivateurs particulièrement entreprenants et qui ont récolté mille gerbes de mil ou de sorgho de procéder encore aujourd'hui à des redistributions périodiques à caractère ostentatoire.

Ce type d'institution connue sous le nom de « dubu » (mil) permet la consécration du titre de Chef des cultures (sarki'n noma). C'est donc sur le plan des valeurs, et plus précisément du prestige social que le décalage entre le comportement actuel, économiquement « rationnel », et le comportement traditionnel apparaît comme irréductible. Le caractère collectif de l'institution est mis en lumière par le fait même que la récolte de mille gerbes de mil ne peut être le fait d'un seul cultivateur postulant du titre. L'aide qu'il peut obtenir de manoeuvres salariés serait insuffisante s'il ne faisait appel à une masse de villageois accomplissant le travail en commun et, dans la mesure où le prestige de leur employeur rejaillit sur eux, à leur bénéfice. D'autre part, afin que la masse des cadeaux distribués, parmi lesquels on peut compter des gerbes de mil, des couvertures, des ânes, des chevaux, des vêtements, des nattes, apparaisse plus importante, l'aspirant « sarki'n noma » fait appel à l'aide de ses concitoyens, amis et parents, qui partagent ainsi sa renommée. On s'efforce de rassembler le plus grand nombre de participants ; tous les dignitaires ont leur place parmi les invités, mais le chef de canton, le chef de village, les maîtres de culture de la région, reçoivent obligatoirement les plus riches cadeaux. L'énoncé de ces quelques personnages ne rend pas compte de la foule qui les entoure et dans laquelle chaque individu est subordonné à un chef : le plus représentatif parmi eux n'est- il pas le « griot(464(*)) », personnage spécifiquement africain dont le rôle est de chanter les louanges de ses maîtres et de tous ceux qui sont prêts à lui faire des cadeaux. La valeur de ceux-ci qui peut atteindre un montant considérable montrerait si besoin était que le prestige ne s'acquiert pas par l'argent que l'on accumule, mais par celui que l'on distribue.

On ne donne pas à n'importe qui, ni n'importe comment. Les modalités de cette distribution sont régies par des règles impératives. Elles sont variables en fonction de la nature des rapports de sociabilité entre le détenteur de la richesse qui aspire à la reconnaissance de la puissance, et les bénéficiaires des dons(465(*)).

§ 3. Hiérarchie des structures d'appartenance et des valeurs de Gihanga

Par hiérarchie on entend(466(*)) une organisation sociale par classement des personnes selon une échelle ascendante d'importance et de pouvoir ; on peut aussi penser à un ensemble des personnes dont on dépend directement dans une entreprise(467(*)). Il y a là un classement de choses selon leur importance. Et Gihanga est le père fictif d'un fils fictif, événementiel pourrait-on dire dans le contexte structuraliste, appelé Kanyarwanda. Toute cette construction renferme non pas un mythe mais un mensonge. Néanmoins nous pouvons appeler cette construction événementielle un mythe dans un sens beaucoup plus large afin de comprendre que le système des valeurs de cette société est directement issu de ses structures internes. Celles-ci ne se confondent pas avec les relations sociales que l'on peut observer ; elles constituent un niveau de la réalité, invisible mais présent au-delà des relations sociales visibles. Sans la connaissance de ces structures, on ne peut accéder à la connaissance de valeurs de la société, qu'il ne faut pas confondre avec les comportements particuliers des individus qui la composent, cette dualité apparaissant nettement caractérisée dans le cas du « dubu » Haoussa. Il convient d'insister sur le caractère complexe de l'analyse, particulièrement dans des sociétés en transition dont les structures sont déjà altérées : les valeurs correspondant au modèle initial demeurent longtemps inchangées, alors que certains individus paraissent répondre sur certains points aux définitions du comportement économique rationnel (au sens occidental).

Tout individu vivant en société est représenté à plusieurs niveau de la sociale : il est à la foi membre d'une famille, d'une classe et d'une catégorie professionnelle, il a une appartenance religieuse, politique, syndicale, etc.

Toutes ces caractéristiques qui constituent la personnalité d'un individu n'ont pas la même valeur, ne sont pas situées dans un même plan, mais peuvent interférer. Par analogie, les structures, familiale, sociale, économique, politique, dans une société donnée se trouvent placées dans un rapport variable(468(*)). Le rôle et l'importance de chacune des structures par rapport à l'ensemble sont significatifs de cette société. Dans la mesure où certaines ont une fonction qui parait déterminante dans le jeu de l'ensemble, on peut parler de hiérarchie des structures. Par suite d'interventions extérieures cette hiérarchie peut se trouver remise en cause et des structures dominantes peuvent devenir subordonnées. Mais ces changements prennent l'aspect de glissements plutôt que de bouleversements. Encore sont - ils loin de s'effectuer d'une façon homogène, ce qui contribue à rendre leur connaissance difficile.

Prenons le cas relativement simple des sociétés les plus traditionnelles d'Afrique de l'Ouest appelées paléo-nigritiques et qui se situent dans la zone soudano- guinéenne, tels les sénoufo, les Lobi, les tallensi, les Kabré. Jusqu'à maintenant ces populations ont vécu en limitant au maximum leurs échanges culturels avec l'extérieur. Dans de tels systèmes, caractérisés par une absence de pouvoir politique à un niveau supérieur au village, la communauté villageoise est formée par des familles étendues, comprenant plusieurs générations placées sous l'autorité de l'aîné. Ce dernier apparaît à la fois comme un chef de famille et comme un patron sans compter d'éventuelles fonctions accessoires : prêtre du sol, forgeron, devin, etc. son rôle essentiel est de gérer les moyens, les forces de production et de reproduction du groupe familial. Il dispose des terres, non pas parce qu'il les possède au sens du droit romain, mais parce qu'il est seul détenteur du pouvoir rituel qui permet de les défricher, il organise le travail des différentes personnes actives de son groupe ; il reçoit l'ensemble de la production et en assure la redistribution. C'est également lui qui doit fournir une femme à chacun des jeunes gens en âge de se marier en payant la compensation matrimoniale : en revanche il reçoit celles que lui procurent la cession des filles les biens de consommation et sur les femmes est fondement et l'assise la plus solide de son autorité. Dans un tel système la vie sociale et la production dépendent étroitement des rapports de parenté.

« En fait il faut examiner de plus près ces rapports de parenté car s'ils déterminent la place des individus dans la production, leurs obligations sur le sol et les produits, leurs obligations de travailler, de donner, etc., ils fonctionnent comme rapports de production, de même qu'ils fonctionnent comme rapports politiques, religieux, etc. La parenté est donc ici à la fois infrastructure et superstructure »(469(*)).

Ce schéma théorique est valable pour les groupes sociaux qui continueraient en plein XXe siècle à vivre sans avoir subi d'influences d'autres groupes plus évolués. On trouvera bien peu de populations qui lui répondent exactement, mais on peut considérer que la plus grande partie d'entre elles ont appartenu plus ou moins récemment à un tel système et qu'elles en dépendent encore dans des propositions variables. C'est là que se situe la difficulté de l'analyse : dans des sociétés en mutation comme le sont notamment celles d'Afrique noire, certaines des composantes du système défini plus haut varient rapidement, alors que d'autres suivent avec un retard important. En général ce sont les rapports de production qui sont les premiers atteints, mais les valeurs sociales, religieuses, politiques, demeurent longtemps inchangées ou à peine altérées ; comme on le sait en ce qui concerne les sociétés occidentales, la superstructure se transforme beaucoup plus lentement que l'infrastructure(470(*)). Cette loi se vérifie en Afrique avec d'autant plus d'ampleur que si on limite la notion d'infrastructure aux rapports de production, ceux-ci se dégagent très rapidement des rapports de parenté, sans que pour autant les concepts nés de la prédominance de ces derniers cessent d'être valables. Un exemple fera comprendre l'importance de ce décalage en ce qui concerne le développement de l'agriculture, plus précisément l'adoption de nouvelles techniques de production.

Sous la double influence, d'abord de l'Islam, ensuite et surtout de la colonisation européenne, les structures de parenté des populations haoussa-phones du Niger central ont cessé de jouer un rôle dominant dans la production. La terre, autrefois possession collective de la famille étendue ou du lignage, devient l'objet de droits d'usage privés. L'unité de production tend à se réduire à la famille mono ou polygame. Cette évolution est déjà très avancée bien qu'on puisse encore trouver des témoins de plus en plus rares, il est vrai, de l'ancien type. Une analyse de formes extérieures permettait même d'y voir un début de stratification en classes sociales sur la base de rapports de production de type libéral. Certains exploitants agricoles, acquérant par location de terres, utilisent une main-d'oeuvre extra-familiale salariée, relativement importante, pour la culture du coton. On pourrait être tenté de voir dans ces exploitants de véritables entrepreneurs au sens où l'entend l'économiste occidental. En fait, ils ne font que suivre le schéma traditionnel : le surplus monétaire provenant de la vente de la production n'est pas capitalisé. Il est en partie thésaurisé par achat de bétail mais le but final n'est pas l'investissement dans l'exploitation en vue d'en tirer un profit maximum. La recherche de la puissance, du prestige, ne passe pas l'accumulation capitaliste. Elle s'exprime comme dans la société traditionnelle par la possession d'une distinction, d'une renommée d'ordre religieux ; c'est le voyage à la Mecque, par exemple, et le titre de « Hadji » qui confèrent à ce pseudo- entrepreneur le statut le plus élevé dans la hiérarchie sociale.

Le système des rapports sociaux s'exprime toujours comme dans la société traditionnelle par le processus de la redistribution. Le chef de grande famille distribuait aux différents éléments de celle-ci les biens de consommation et les femmes dont ils avaient besoin. Le pseudo - entrepreneur conserve le contrôle sur les jeunes hommes de sa famille en s'assurant le privilège - incontesté - de leur fournir leur première épouse. Il redistribue sous forme de salaires une partie de l'argent gagné par la vente de sa production : la main-d'oeuvre salariée qu'il emploie constitue le signe extérieur de sa puissance. Elle représente le substitut de ses dépendants familiaux d'autrefois. Il n'y a pas lieu de s'étonner si ces exploitants agricoles n'acceptent pas tous les changements techniques proposés par la société chargée de la diffusion de la culture du coton. Ils n'ont rien à gagner sur le plan de la puissance et du prestige à remplacer leur « clientèle » (au sens romain du terme) de manoeuvres salariés par une charrue et une paire de boeufs. On ne saurait accuser ces populations d'être imperméables à tout progrès technique, car ce sont précisément les mêmes qui depuis environ un siècle ont fait spontanément leur « révolution agricole » en transformant totalement leurs techniques agraires. L'attitude des exploitants agricoles restent conforme aux valeurs de la société. Si on admet que dans celle-ci le prestige, la puissance, sont liés non à l'accumulation des richesses, mais à sa redistribution selon des normes directement liées à la structure naguère dominante, ce comportement découle de la logique interne du groupe : il est profondément rationnel. Ce n'est que dans la mesure où la connaissance de ces structures et des valeurs qu'elles déterminent sera acquises qu'on peut comprendre certaines raisons du rejet d'une technique objectivement valable.

C'est là qu'intervient le problème de l'individualité occidentale qui n'apparaît vraiment qu'au niveau supérieur de la vie, c'est-à-dire avec la conscience qui rend possible le savoir de soi comme d'un moi(471(*)). Ce niveau est celui de l'homme. Et alors se pose le problème de savoir comment des individualités peuvent se relier. Ce problème possède d'une part un aspect logique ; par elle-même la notion d'individualité pose le problème du rapport du singulier et de l'universel et, du particulier et du général d'une part. Il possède d'autre part une portée capitale comme problème de l'intersubjectivité et de la communication. Le problème métaphysique de la logique n'a véritablement son sens que dans la rencontre humaine, synthèse des individualités dans un sens universel. Les quatre abîmes kantiens se présentent alors dans notre analyse : existence, organisation, individualité et personnalité. C'est cette soif de trouver un sens à la vie, un ordre où l'on peut se reposer et un remède à l'angoisse de l'isolement qui nous amène à découvrir l'importance de la communauté. Il y a des familles, des tribus et des groupes qui fonctionnent dans un ordre «parfait » semblant apporter une solution au chaos de la vie. Les liens qui unissent les gens entre eux leur donnent un sentiment de sécurité et de force. Mais ces ordres parfaits et les sécurités trop fortes peuvent être dangereux. Ils peuvent étouffer la liberté des personnes et empêcher leur évolution.

Section 2. Identité familiale et unité d'exploitation

§1. Le constructivisme social et appartenance familiale

Si Leucippe (+ -370) et Démocrite d'Abdère (+ -370) ont vu en atome l'élément insécable de la nature, une société atomisée ne peut se prétendre appartenir à une monade. L'unité familiale à son tour s'estompe par unification forcée des atomes compartimentalement closes. Seul un constructivisme peut parvenir - si pas dans le rejet de la structure pour la sauvegarde de l'événement - à sauver l'extra-séquence où l'entropie détermine chaque élément et en donne l'identité réelle à cause de l'entrecroisement des plans.

L'élément du constructivisme du mythe Hima-Tutsi est le kinyarwanda. Elément fragile mais dominant le plan de l'unité et unicité apparentes.

Mais pour résoudre le problème d'unification des atomes sociaux (Hutu-Tutsi-Twa) tel qu'il a été institué par la science coloniale, nous devons rentrer dans la problématique du problème métaphysique de l'atomisme grec.

Le problème métaphysique est le même qui est posé à Anaxagore (+ -420) et à Empédocle (+ -433), à la suite de la critique éléatique du changement. Comment concilier l'immuabilité et l'éternité de l'être avec la réalité du mouvement et du changement, la « voie de la vérité » avec celle de l'opinion » ? A partir d'une analyse de la prédication, c'est sur ce plan que la difficulté sera définitivement levée (dans Le Sophiste de Platon). La réponse grecque atomiste reste encore physicaliste.

Le vide est « non-être » ou l' « infini » (Diogène Laërce, IX, 31, mentionne cependant un vide originaire composé de vide et de plein), et les atomes, insécables (étymologiquement), sont aussi dits « indivisibles », l' « être », le « solide »(472(*)), « corps primordiaux » ou « grandeurs primordiales »(473(*)), « premiers principes » ou « compacts », disait Simplicius dans commentaire au De caelo, 242, 18. Et comme l'être parménidien, ils sont encore inengendrés, immuables, impassibles, c'est-à-dire inaltérables. Leur existence permettrait de résoudre, dans son principe même, l'aporie zénonienne de la dichotomie (si la divisibilité va à l'infini, elle amène au rien, et les corps se composeraient de rien(474(*)). Cela va dans l'élaboration de plans comme dans le constructivisme classique.

On peut comprendre ce constructivisme partant de son origine artistique. Dans l'art contemporain, il est la tendance d'avant-garde d'origine russe touchant de nombreux domaines de création, qui prônait le passage de la composition à la construction ainsi que la production de lignes et de plans ; ainsi, pourrait-on voir l'adepte de ce mouvement artistique dans la construction, et l'abandon du tableau de chevalet au profit de la production de lignes et de plans.

Le caractère communautaire et spiritualiste de cet enseignement se marque principalement sous l'autorité d'Itten, qui a introduit au Bauhaus des habitudes alimentaires végétariennes et un comportement général et vestimentaire inspiré de la doctrine mazdéenne. Cette tendance fut combattue par l'arrivée d'influences constructivistes et par celle de Théo Van Doesburg (+ 1931), qui avait ouvert à Weimar un enseignement concurrent, inspiré par le néoplasticisme de Mondrian.

Nous avons là un chiasme alimentaire dont on doit rechercher le sens intime dans le mode de production.

Hutu agriculteurs produits végétariens

Tutsi éleveur produits laitiers

Il y a d'un côté l'échange important dans la construction et constitution de l'esprit humain dont l'adoption du kinyarwanda comme outil d'unification des trois atomes : Hutu-Tutsi-Twa. Musey(475(*)) qui nous démontre le mouvement constructiviste par la protection des structures démontre la limite de la science. Il appelle esprit cette limite. Parce que c'est l'esprit qui est cette limite, il démontre que c'est la résistance de la nature qui permet à l'homme d'inventer, de découvrir et d'avancer dans la recherche scientifique.

De l'autre côté, ni le spiritualisme ni le matérialisme n'ont convaincu Mutuza dans la compréhension de l'unité d'exploitation familiale. Il prend l'appartenance familiale comme base de la réalisation d'une société. Les Banyarwanda devient alors un terme vague d'une identité vague. Le Rwanda à son tour devient une terre vague d'une culture vague.

v Tribu et tribalisme

Dans La mise en question du concept d'Etat et de civilisation, Mutuza fait une différence entre la tribu et le tribalisme(476(*)). L'ancêtre commun n'est donc pas un rocher éternel. Les enjeux sociaux ont la facilité de le déplacer à leur guise. Il n'est pas non plus de la matière brute dont l'existence n'est connue que par d'autres sujets que soi. Cette analyse de la matière beaucoup d'autres philosophes et artistes y ont déjà pensé. Certains empiristes en sont célèbres et pertinents dans le raisonnement. La matière existe-t-elle au-delà des idées que nous nous en faisons ? Berkeley est sceptique quant à nos prétentions à connaître. Seule la perception sensible semblerait pouvoir nous permettre l'accès à la réalité. Giambattista Vico (+ 1744) qui publie la même année son ouvrage De Antiquissima va encore plus loin, en évoquant la possibilité d'une « fabrication » de la réalité par notre pensée discursive. Berkeley (+ 1753) et Vico apparaissent aujourd'hui comme les principaux fondateurs de la pensée constructiviste moderne de la réalité. Pour eux, le matérialisme est un idéalisme conventionnel.

Alors que le mouvement Dada s'essouffle dès 1922, certains de ses participants se tournent vers un nouveau mouvement, le surréalisme, fondé par André Breton lors de la publication du Manifeste du surréalisme en 1924. Breton y affirme principalement la supériorité de l'inconscient sur le conscient et l'importance des rêves dans la création artistique, qu'elle soit littéraire ou plastique. C'est cet intérêt commun pour les processus inconscients, spontanés, irrationnels qui fait le lien entre les nombreux surréalistes comme Max Ernst, Salvador Dalí, René Magritte, Paul Delvaux, Man Ray, André Masson, Yves Tanguy ou Joan Miró.

Parmi le veste éventail de population qui ressortissent à cette étude, on peut reconnaître différents niveaux caractérisés par les systèmes politiques qui ont été adoptés et à l'intérieur duquel elles s'inscrivent. En ce qui concerne les pays anciennement colonisés, la recherche de l'état dans lequel se trouvait une population donnée avant l'impact du colonisateur est primordiale ; l'économie monétaire internationale a profondément modifié et transforme encore ses structures, ses modes de pensées et d'action.

v Corporation du pouvoir

En ce qui concerne l'Afrique noire inter-lacustre, deux cas nous étonnent : l'unité culturelle ethnologique dont l'organisation sociale de nombreuses populations étaient demeurées à un niveau d'organisation politique très différente de l'occident, dont le cadre se heurta à la vision colonialiste napoléonienne qui croyait que ce cadre ne dépassait pas le village, et que d'autres avaient constitué de véritables Etats dotés d'un pouvoir central et d'une hiérarchie de fonctionnaires et de dignitaires civils et militaires. Cette division en catégories sociales - que l'on ne peut appeler classes sociales au sens économique et moderne du terme - s'est répercutée sur le plan professionnel plus particulièrement dans les cités qui étaient le siège d'une autorité(477(*)). Cette spécialisation sociale et professionnelle avait abouti, dans ces véritables villes, à la constitution de corps de métiers, de corporations formant des groupes sociaux fermés, dont les membres ne pouvaient selon un principe d'endogamie se marier qu'entre eux. On donne le nom de caste à ces groupes professionnels, bien que ce terme désigne par ailleurs, notamment en Inde, une réalité différente. Ces Etats ont aussi connu, comme l'Europe antique, l'esclavage des populations conquises par faits de guerre. On pourrait être tenté d'en déduire un parallélisme dans l'évolution de la société et y trouver un stade féodal comparable à celui de l'Europe médiévale. Sans approfondir l'analyse, on peut reconnaître, au moins sur ce point, une profonde différence. L'Afrique des Empires et des royaumes n'a pas connu la division territoriale en domaines fonciers analogue à ce que représentait le fief dans la société féodal. Les rapports entre les chefferies africaines et leurs sujets s'expriment directement et non par rapport à un territoire : le chef contrôle une collectivité d'hommes, non une région rigoureusement délimitée. La terre n'est pas, comme en droit romain, une propriété privée ; dans la mesure où elle est abondante, et surtout parce que les techniques agraires ne permettent pas une exploitation intensive et continue du sol, elle est du ressort de la communauté.

§ 2. Appartenance, hiérarchie des structures et valeurs de l'identité des Banyarwanda

Ce principe d'organisation est aussi valable dans l'ensemble d'Afrique de l'ouest quel que soit le système politique adopté. Les Etats fortement centralisés et hiérarchisés de la zone soudano- sahélienne, ceux gravitant autour du Bénin, comme les communautés réduites au cadre villageois les zones soudano- guinéenne et forestières l'ont observé jusqu'à la conquête coloniale.

Non seulement en Afrique, mais partout où les systèmes culturaux sont basés sur une utilisation temporaire du sol et aboutissent à une agriculture itinérante, les rapports entre la terre et l'homme ressortissent surtout au domaine du sacré. L'institution du « maître de la terre » qui a connu une très grande extension en Afrique noire se retrouve chez les Proto Indochinois avec des fonctions comparables. Les « hommes sacrés  dans la forêt et le village » selon G. Condaminas(478(*)), sont chargés de distribuer chaque années des lopins de terre à cultiver et de conduire les cérémonies religieuses concernant le sol et le Paddy, tout autant qu'un rôle de gestionnaire des terres communes du groupe, le « maître de la terre » a un pouvoir religieux. C'est donc aussi le « prêtre de la terre », intercesseur entre les génies des eaux et les hommes qui pensent se les concilier par des sacrifices(479(*)).

Dans une certaine mesure les chefs de famille jouent aussi un rôle important dans l'accomplissement des rites agraires concernant les champs cultivés par leur groupe. C'est règle générale en Afrique de l'Ouest et on la retrouve chez les montagnards des Plateaux indochinois, en particulier dans les cérémonies de fin de récolte du riz : c'est le chef de famille qui rapporte au grenier familial, dans la dernière gerbe, «  l'âme du paddy qu'il se doit de conserver et de protéger jusqu'aux prochaines semailles »(480(*)).

Ces rituels peuvent être considérés comme des techniques magiques dont le chef de famille détient le privilège. On peut mesurer ainsi l'importance du groupe familial dans les sociétés archaïques, il constitue une unité d'exploitation qui possède ses propres forces productives et ses moyens de production.

« Chaque fois que je vais en Afrique, dit Jean Vanier, je suis frappé par l'importance du sens communautaire dans la culture africaine. La grande ville occidentale, trépidante et bruyante, peuplée d'individus en compétition qui se débrouillent comme ils peuvent, s'oppose au village africain, organisé autour de la communauté »(481(*)). Cette observation vaut aussi bien pour les campagnes occidentales. Mais tel n'était pas le propos de l'auteur.

On comprend alors que si les travaux des spécialistes de l'anthropologie sociale et des ethnologues en général insistent particulièrement sur les structures familiales, les rapports de parenté, les systèmes de mariage et d'alliance dans les sociétés non occidentales, ce n'est pas par souci de mettre en évidence les particularités ou les singularités de ces populations. Il apparaît rapidement que les rapports de parenté jouent un rôle déterminant dans le fonctionnement, y compris l'aspect économique, de ces sociétés. On pourrait dire que c'est là un lieu commun de l'anthropologie sociale et c'est pourquoi une de ses préoccupations majeures est de rechercher la nature des relations entre les structures que dans leurs sociétés occidentales ils distinguent comme spécifiquement économique.

Il est hors de notre propos de faire un recensement qualitatif des différents systèmes matrimoniaux dans le monde, ni même en Afrique du lieu de notre travail, de nombreux ouvrages en ont décrit les caractères spécifiques. Cependant pour la suite de l'exposé il est nécessaire de donner quelques précisions sur les types de familles qui seront examinés ici pour comprendre comment la minorité a pu diriger la majorité qu'elle a trouvée sur le terrain.

En général la famille est un groupe constitué par les parents, par le sang et les parents par alliances à un degré très proche et qui ont une résidence commune. On distingue la famille élémentaire ou nucléaire constituée par le marin, la femme et les enfants, groupement qu'en Europe on appelle souvent ménage.

La famille polygame est constituée par un mari, ses épouses et leurs enfants ; « on peut considérer qu'elle est formée de plusieurs familles élémentaires »(482(*)).

D'ailleurs, dans les villages africains, les gens sont rarement seuls. Tout d'abord, ils vivent très proches les uns des autres. Dans la plupart des cas, les enfants dorment dans une même pièce. La cour retentit de la présence des tantes, des oncles, des cousins et des parents en grand nombre. Tous sont rassemblés sous l'autorité souvent stricte et puissante d'un chef ou d'un groupe d'anciens(483(*))

La famille étendue ou indivise constitue un type très courant bien connu dans les sociétés non occidentales colonialistes(484(*)): elle comprend un groupe de parents par le sang et d'alliés qui s'étend au minimum sur trois générations. C'est ce groupement résidentiel dont l'importance numérique peut être élevée, surtout en cas de polygamie, et compter jusqu'à une centaine de personnes, qui constituait, qui constitue encore dans certaines régions l'unité de base du clan et de la tribu évoluant jusqu'à des systèmes capables de donner l'idée vraie de l'appartenance au lignage et à l'identité sociale. Mais nous pensons aussi que la génétique et la biochimie des races, en dépit des mélanges actuels de celles-ci, sont les seuls outils scientifiques capables de nous mener à la source de l'origine des races, comme à l'origine première du genre humain. L'aspect actuel de l'humanité est semblable à celui des couches géologiques d'un terrain qui, en dépit de nombreux bouleversement et mélanges successifs, permettent de retracer à rebours l'histoire de notre planète. La génétique des races et en particulier le sang des peuples reflètent la longue évolution de l'homme, cet « anthropoïde inachevé ».

Section 3. Evolution des systèmes

§1. Appartenance au lignage et identité sociale des familles grand-lacustres

Comme nous ne sommes pas ici au théâtre La Nuit des rois de Shakespeare, nous devons envisager les processus génétiques selon lesquels la présence des gènes appariés, de provenance hétérogène (père et mère d'espèce et race différentes), au lieu de réaliser une expression somatique intermédiaire, hybride, ou de dominance d'un des caractères au détriment de l'autre, pourront réaliser, soit un caractère nouveau (n'appartenant pas aux parents), soit neutraliser à la fois les caractères des deux parents (appariement génitique mutilant).

Nous abordons le problème classique des compatibilités et des incompatibilités structuro-technologique avec leurs corollaires politiques de catalyse et dialyse des processus de synthèse constructive ethnique. C'est d'ailleurs l'évolution des systèmes politiques qui, on ne sait pas si ils sont héréditaires du point de vue sociale ou génétique si bien que de deux, la loi de la ãíåóéò (génération) est présente et celle de la ö?ïñÜ (corruption ou destruction) s'en suit sans peine pour l'évolution d'un système par les mariages (ãáìïò)(485(*)).

On entend par évolution la transformation graduelle ou progressive ; l'on peut dire que le lingala est une langue en perpétuelle évolution. En philosophie on parle de l'enchaînement causal de phénomènes appliqué à l'univers ou à une totalité. Elle est opposée, en ce sens au principe de la création divine. C'est une transformation lente aboutissant à la diversification des espèces vivantes au cours des temps à partir d'une même forme de vie primitive. Certains parlent du développement d'une famille.

Cette famille comprend les descendants d'un même ancêtre ; ses membres consanguins constituent un lignage. On peut distinguer des patri et des matrilignages selon le mode de transmission de la parenté et de la succession.

Dans la mesure où les femmes sont prises selon le principe d'exogamie, en dehors du lignage, elles restent des étrangères au sein de la famille. Elles participent ainsi directement aux termes des échanges entre les lignages ; et surtout théorique, généralement femme contre bien précieux dans un système plus complexe. Cette institution s'est étendue aux mariages endogamique, c'est-à-dire aux relations d'alliance qui se nouent à l'intérieur du lignage, et qui dans certains cas peuvent être préférentielles.

Le type même de ces préférences est les mariages entre cousins germains. Là où la conception occidentale ne voit qu'une parenté au 4e degré, quelle que soit l'origine des conjoints, un grand nombre de sociétés distinguent quatre cas différents de mariages pour un jeune homme ; avec la fille du frère de son père ; de la soeur sa mère ; de la soeur de son père, du frère de sa mère. Les deux premières sont appelées cousines parallèles, les secondes cousines croisées. L'avantage de ces mariages ne s'explique que par la nature des structures familiales qui sont souvent fort différentes d'une population à une autre dans une même région géographique.

Egalement fort différents sont d'un groupe à un autre le mode de transfert des femmes et le montant de la contrepartie. Celle-ci peut être relativement élevée et atteindre l'équivalent de plusieurs années de revenus ou au contraire entre tout à fait symbolique. De toute façon on ne peut parler d'achat au sens où nous l'entendons : la femme qui quitte sa famille la prive d'une certaine force de travail(486(*)). En Afrique les richesses de la « dot » (ou plus précisément de la compensation matrimoniale) sont constituées aussi en partie par des prestations des services du fiancé, puis du mari, à son beau-père, selon des modalités bien définies et qui seront précisées. Ces échanges ne peuvent s'expliquer que par la nature de l'organisation de la société, par sa structure familiale composée de lignages, par la conception du travail. La notion de valeur du travail, travail manuel, bien entendu, puisque les sociétés qui nous occupent peuvent être qualifiées de pré-industrielles, est ambiguë. Si l'idée de reconnaître, au moins implicitement, à la force de travail, au moins implicitement, à la force de travail une valeur économique est universelle, le concept de son honorabilité n'est pas partagé par toutes les sociétés(487(*)). « En Afrique les populations paléo-nigritiques ou paléo soudanaises l'honorent, mais celles qui ont appartenu aux Etats et Empires le méprisent et en abandonnent le monopole aux esclaves. Chez les Haoussa, on considère que la terre n'est source de richesse que dans la mesure où l'homme l'a fécondée par son action, ce qui confirme la non-valeur de la possession foncière et l'importance du travail, donc de l'homme, dans les sociétés africaines traditionnelles. On ne saurait comprendre l'attitude de certaines populations africaines vis-à-vis du travail manuel qu'en examinant la division de la société traditionnelle en catégories sociales : nobles, hommes libres, esclaves. »(488(*)).

L'esclavage déterminé par la transformation d'anciennes communautés familiales en Etats centralisés, a eu pour effet d'abandonner à la main-d'oeuvre servile le travail de la terre(489(*)). Le mépris de cette activité par les hommes libres qui seuls auraient pu avoir intérêt à augmenter la production en adoptant de nouvelles méthodes, a abouti dans la zone des grands Etats à une stagnation de l'agriculture pendant de longs siècles. Par contre les populations de villageois indépendants qui ne relevaient pas de ces Etats ont pu faire progresser lentement mais effectivement l'agriculture. Cependant d'une manière générale, qu'elle qu'ait été le statut des cultivateurs, les Africains ont toujours recherché des formes collectives de travail agricole. L'homme isolé sur son champ n'obtient jamais un bon rendement : s'il y est contraint, il essaie de trouver un palliatif sonore, un outil muni d'anneaux qui cliquètent et rythment l'effort comme la houe, « temo » de Aphende. Mais les meilleures conditions sont celles qui correspondaient naguère avec les dimensions de la famille étendue, qui pouvait aligner au moins une dizaine d'hommes sur un seul des champs cultivés par le groupe. Malgré les tendances à la fragmentation de la famille étendue en familles nucléaires, on retrouve en Afrique des unités d'exploitation groupant de nombreux travailleurs, comme chez les Hutu au Rwanda.

L'impact de la colonisation européenne a indirectement provoqué la rupture des unités familiales de grandes dimensions qui correspondaient à une unité d'exploitation. On a souvent mis en cause l'économie de marché comme facteur de cette désintégration, mais ce serait oublier qu'elle était pratiquée de longue date en Afrique. On peut encore reconnaître des zones où l'on retrouve des témoins matériels des monnaies de fer : tiges ou plaquettes en forme d'instrument aratoire ou d'arme, monnaie de bronze, monnaie de coquillage (cauris provenant de l'Océan Indien). Ce n'est que dans la mesure où les cultures industrielles - café, cacao, arachide, coton, etc.. - se sont développées que le facteur économique est devenu prédominant. Dans l'organisation économique traditionnelle le chef du groupe familial avait le contrôle absolu sur la production, lui seul commandait la main-d'oeuvre, lui seul redistribuait les richesses et la nourriture.

Dès l'instant que les plantes cultivées purent être vendues directement à un commerçant qui les payait comptant, les choses changèrent et les hommes placés sous l'autorité du chef de famille n'acceptèrent plus la concentration du produit de la vente entre les mains de ce dernier. Ils commencèrent par vendre à leur profit la production des petits champs qu'ils travaillaient pour leur compte personnel, après avoir effectué les travaux sur les champs communs du groupe familial, puis cherchèrent a augmenter leur propre production au détriment de celle de la communauté. Les chefs de familles étendues tentèrent de résister sur le plan de la distribution des terres et des femmes dont ils avaient le double monopole. S'ils ont conservé, au moins en principe, le dernier, ils ont dû abandonner le premier et accorder des terres et l'autonomie économique à leurs dépendants. On pourrait croire revivre les heures pénibles du XIXème siècle, où certaines communautés paysannes du centre de la Frances « véritable Républiques des parents », se trouvèrent confrontées aux mêmes problèmes : « ... les jeunes gens...ne voulurent plus travailler qu'à leur fantaisie pour le compte de la communauté, détournant tout ce qu'ils pouvaient soit de travail, soit d'autres objets communs, au profit de leur propriétés particulières, dont la règle leur interdisait cependant l'exploitation directe. Ils s'arrogèrent aussi le droit d'exiger des comptes et de surveiller la réparation des fruits. De là des défiances et souvent des querelles. Dès lors, les jours de calme et de bonheur que la communauté avait accomplis disparurent sans retour »(490(*)).

Il semble cependant que les jeunes hommes Africains ont su, plus vite et plus complètement que ceux de la France rurale, acquérir leur indépendance malgré des obstacles d'ordre social. En effet, ce n'est que dans la mesure où un homme est marié et a un enfant au moins qu'il peut être considéré comme chef d'une famille, donc d'une exploitation agricole. Dans certaines populations de la RD Congo, les Lega et Hutu notamment, le garçon voudrait-il créer une plantation de Tumba, qu'il ne le pourrait pas, car les arbres ne se plantent que dans les champs des bananiers après une première récolte. Seules les femmes, selon des croyances universelles, peuvent faire les semailles car représentent l'élément fécondant de la terre-Mère. Aucun jeune homme ne s'aviserait de violer ce principe. Aussi doit- il se marier rapidement, mais seul le père peut décider du mariage et payer la « dot de la fille ».

Finalement le garçon quitte le village et va gagner l'argent de la compensation matrimoniale qu'il remet à son père pour obtenir une femme et par là même la liberté d'exploiter.

En France le jeune couple qui acceptait d'aller vivre sur l'exploitation de ses parents et beaux-parents était souvent astreint à des conditions aussi rigoureuses que dans l'Afrique traditionnelle. Dans un contrat de mariage du début de ce siècle, ne lit-on pas : « ... les futurs époux iront faire leur demeure et résidence en la maison et compagnie des père et mère du futur époux qui s'obligent à les loger, nourrir, éclairer, chauffer, blanchir et entretenir, eux et les enfants à naitre du mariage, à la charge pour les futurs époux d'apporter dans la maison commune leur travail matériel ». Les époux se trouvent ainsi placés dans une situation de dépendance morale et économique par rapport aux parents du jeune homme. On peut préciser qu'en règle générale, ils ne recevaient pas de salaire régulier : le fruit de leur travail était représenté par l'héritage de la propriété après le décès des parents.

Si les jeunes gens africains réussirent à conquérir très vite leur liberté d'exploiter leurs champs à titre personnel, ils durent se rendre rapidement à l'évidence qu'ils n'en tiraient pas un gain substantiel. Le travail qu'ils devaient effectuer seuls en était d'autant plus pénible. Comment concilier les activités en groupe qui conviennent si bien à tous les cultivateurs, et plus particulièrement à ceux de l'Afrique noire, avec l'individualisation de la production du champ?

Les jeunes Africains n'eurent pas à inventer des nouvelles formes de travail : la société possédait des institutions qui pouvaient être adaptées à leurs nouveaux besoins. Toutes les populations d'Afrique noire connaissaient, à côtés du travail dans le cadre familial, une forme de travail dans le cadre du village, basé sur l'appartenance à un groupe d'âge(491(*)). Tous les jeunes garçons dès qu'ils ont l'âge de participer au travail agricole appartiennent au groupe des jeunes, et ils peuvent y rester jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes chefs de famille. Par ailleurs, dans quelques populations, tous les garçons qui sont initiés en même temps forment une classe d'âge qui a ses droits et ses devoirs précis. Traditionnellement, d'une manière générale, le chef du village demande à un groupe ou à un clan de jeunes des travaux qui prennent l'allure de corvée, tel le nettoyage du village. Ce même groupe offre son aide à un de ses membres qui va exécuter des façons culturales sur le champ de son futur beau-père, ces services faisant partie intégrante de la compensation matrimoniale.

Une simple translation a résolu le problème des jeunes gens. Ceux-ci, afin de retrouver un niveau de production relativement élevée, associent leurs efforts pour travailler au bénéfice492(*) d'un des leurs, à charge pour chacun d'entre eux de rendre le service dont il a bénéficié : sarclage, récolte, battage.

Comment traduire cette évolution en termes de structures ? Dans le contexte traditionnel les rapports de parenté apparaissent comme constituant la clef d'une organisation qui englobe les relations économiques, religieuses, à l'intérieur de la famille étendu - patri- ou matrilinéaire. Les rapports de production que celle-ci implique ne se confondent pas totalement avec la structure de parenté puisqu'ils s'en dégagent sans que pour autant la solidarité du groupe familial sur le plan des alliances se trouve rompue. Le chef de famille, et ceci est attesté par de nombreux ethnologues, continue à être seul habilité à choisir la première épouse pour chacun de ses dépendants, frères cadet, fils ou neveu, même s'ils sont économiquement indépendants, par exemple lorsqu'ils ont émigré en milieu urbain ou lorsqu'ils sont salariés. Aucun d'eux d'oserait transgresser la coutume : il ne le pourrait d'ailleurs pas, car le père de la famille n'acceptait pas d'argent ou de cadeaux données directement par le jeune homme. La génération des pères est solidaire pour conserver les quelques privilèges qui lui restent encore: c'est là un aspect du conflit de génération en Afrique qui s'inscrit dans un système de structure en pleine évolution.

§ 2. Identité des structures socio-économiques et les techniques agraires chez les Hutu

La théorie marxiste de l'Etat soutient que les lois d'un Etat sont des instruments qui donnent le contrôle social au groupe dominant. Ce contrôle est beaucoup plus tourné vers des centres des productions agricoles. La source du pouvoir étatique peut-être l'invasion militaire ou la stratification socio-économique. Dans les deux cas la justice ne peut exister que si l'Etat dépéri et a été remplacé par une administration sans pouvoir politique. La justice de la classe dominante est injustice(493(*)), et, si elle est défendue, devient idéologie. Les lois qu'elle établit préservent un ordre social donné, et aussi longtemps qu'il n'y a pas d'alternative à cet ordre social, les lois des classes dominantes sont préférables au chaos. Des tenants plus cyniques de cette théorie définissent la justice exclusivement comme une fonction du pouvoir et pas du tout comme son juge. Ils acceptent l'analyse marxiste sans accepter l'espérance marxiste, et réduisent complètement la justice à une fonction du pouvoir de production.

A la lumière des informations qui précèdent et qui concernent les populations rurales de l'Afrique, dans le Ruanda voisin, on peut interpréter les rapports entre les structures socio-économiques et quelques techniques essentielles pour la vie des groupes considérés. Malgré les efforts d'industrialisation, les activités agro-pastorales occupent encore de 70 à 90% de la population de l'Afrique inter-lacustre(494(*)). Pour une grande partie il s'agit d'une agriculture traditionnelle qui concerne les produits vivriers et, dans une plus faible mesure, certaines plantes commerciales comme l'arachide, le coton, etc. Contrairement aux idées couramment admises, les techniques agraires ne sont pas demeurées sans changement depuis des siècles : instruments aratoires et façon culturales ont évolué en fonction des besoins des structures des différents groupes sociaux. Si on peut avancer qu'aux temps préhistoriques l'instrument universel a été la houe de pierre, de bois, ou constituée d'une valve de coquillage, celle-ci n'a pas été le seul moyen d'action sur le sol. Des instruments adoptés aux conditions du milieu ont été élaborés, comme la grande pelle verseuse des riziculteurs de la côte Atlantique, la houe à très large fer des Sénoufo et l'iler, outil spécifiquement africain qui permet de semer et de sarcler sans se baisser. La genèse de cet instrument, dit Leroi-Gourhan, est difficile à établir, mais si on peut préciser que son aire d'extension historique se situe exclusivement dans des populations islamisées de la zone sahélienne au sud du Sahara - par exemple dans le territoire de Kasongo en RD Congo -, on peut par là même avancer quelques hypothèses.

Cet instrument à trouvé les conditions primitive de son emploi dans un contexte écologique et social bien déterminé : dans la zone sahélienne, au contact de groupes d'éleveurs. Chez les juifs, on remarque d'ailleurs que, quoique l'élevage occupe une activité principale, les bergers sont une classe de gens de peu de valeur. On a même la facilité de les appeler « race ». D'après R. Martial, « on appelle race l'ensemble d'une population dont les caractères psychologique latents ou manifestes (langue en particulier) et les traits anthropo-biologiques constituent, dans le temps (histoire), une entité distincte »(495(*)). C'est avec cette définition que nous comprenons l'appartenance d'un peuple en rapport avec les structures socio-économiques qui l'accompagne.

§3. Race et économie : structures socio-économiques et appartenance raciale

Le structuralisme est l'affirmation du primat de la structure sur l'événement ou le phénomène. Les processus sociaux se déploient dans le cadre de structures fondamentales qui restent le plus souvent inconscientes. Il existe un décalage entre ce que les hommes vivent et ce qu'ils ont conscience de vivre, et c'est ce décalage, qui rend les discours, que les hommes tiennent sur leur conduite, impropres à rendre compte de façon adéquate des processus sociaux effectifs. De même que c'est la langue qui produit du sens par son jeu de différences, de même c'est l'organisation sociale qui génère certaines pratiques et certaines croyances propres aux individus qui en dépendent.

Gobineau qui avait conçu que « toutes les civilisations (étaient) comme dérivées d'une race fictive » se heurte à la pensée de Hankins qui dit très justement qu' « on ne saurait identifier la race avec la nationalité et la nation ». Nous allons parler des Bantu des régions lointaines de notre locus du mythe Hima-Tutsi pour en fin montrer les champs entropologiques du mystère de l'union culturelle. Il y a quelque chose que nous devons observer chez les nomades d'origine blanche venus à travers le Sahara. Comme on peut encore l'observer au Niger et au Tchad, leurs descendants actuels nomadisent avec des troupeaux de bovins ou de camelins, tandis que leurs serviteurs noirs, descendants d'esclaves, se livrent à une agriculture élémentaire dans les sables quasi stériles situés à la limite des cultures. L'instrument conçu sur le modèle de la lance des Touareg, est mieux adopté que la houe au sarclage rapide de grandes étendues de terres légères. Sa pratique s'est étendue à la plus grande partie de la zone sahélienne, celle qui a connu les Etats à pouvoir centralisé et à division du travail social très poussées. Les esclaves avaient le monopole des activités agricoles : nullement intéressés par les rendements - un esclave ne possède aucun bien - ils ont reproduit les mêmes procédés techniques pendant des siècles, sans prendre conscience que ceux-ci, en favorisant une intense érosion éolienne, stérilisaient peu à peu les terres. De même, leurs maîtres se souciaient peu de cette situation, puisque pour élever la production chaque fois que la nécessité s'en faisait sentir, il leur suffisait d'augmenter le nombre de travailleurs et d'utiliser de nouvelles terres.

Pendant ce temps, les populations paléo-nigritiques, freinées dans leur évolution technique par les contraintes de leur système initiatique, accomplissaient de lents, mais substantiels progrès. Une agriculture de type intensif, caractérisée par des façons culturales nombreuses et soignées faites à la houe, a servi de modèle à certains groupes utilisant l'iler, mais qui ont ressenti la nécessité d'une transformation techno-économique.

La seconde moitié du XIXe siècle a apporté d'importants changements dans la situation politiques de l'Afrique : le début est marqué par l'arrêt de la traite des esclaves à destination d'Amérique, la fin voit la conquête coloniale, avec la cessation des guerres intestines, des raids de pillards et d'esclavagistes destinant leurs captifs aux pats arabes de Tippo Tib. Le résultat de ces événements fut l'accroissement démographique et le développement du commerce, en produits locaux aussi bien qu'en marchandises européennes. Toutes les populations qui pratiquaient une agriculture très extensive se trouvèrent placées devant le problème de l'élévation du niveau de la production ; chacune le résolut en fonction de ses propres normes et valeurs.

Les Bantu de la RD Congo sont différents des anciens conquérants et employeurs d'esclavages, les Songhay et les Djema de la vallée du Moyen Niger qui ne concevaient pas le travail comme une activité honorable, surtout dans leur propre pays : ils cherchèrent la solution dans l'émigration saisonnière vers les pays de la côte ou la main - d'oeuvre temporaire trouve toujours à s'employer. Si le travail a été fructueux, on peut embaucher des manoeuvres qui font le gros du travail agricole : ceux-ci apparaissent comme le substitut des esclaves d'autrefois. Les rapports anciens ont disparu, mais les concepts nés des structures anciennes sont restés intangibles.

Les groupes Lega, en RD Congo, plus industrieux parce que n'ayant pas connu les conquêtes esclavagistes, ont choisi la solution du changement technique. L'abandon de la machette et/ou la hache et la reprise du travail à la houe ont permis le défrichement et la mise en valeur des terres lourdes des forêts. Cette évolution a été si courte qu'on peut parler d'une véritable mutation technique, favorisée par l'islamisation qui a fait table rase de certaines coutumes agraires, l'adoption de la nouvelle technique a été rapide et complète dans des zones homogènes. Ces succès est dû en partie au système de travail en commun : il n'était pas matériellement possible que les deux techniques de défrichage avec la hache et la machette puissent se faire sur un même champ par un même groupe de travailleur. Si les conditions économiques et démographiques ont rendu indispensable le changement technique, ce sont les structures socio- professionnelles qui ont favorisé sa diffusion à l'échelle d'une vaste région.

On peut aussi prendre l'exemple des Wolof(496(*)) du Sénégal, ou la partie la plus importante d'entre eux qui dans le cadre de l'islamisation a adhéré à la confrérie des mourides, ont réussi à augmenter leurs production en conservant des systèmes culturaux extensifs. Sur des champs temporaires, ils utilisent encore nom-ou la culture attelée sous l'influence européenne.

Cette réussite tient à la conjoncture d'un certain nombre de facteurs favorables qui s'inscrivent dans les structures agraires et religieuses du groupe.

L'appartenance à l'Islam, dans la mesure où elle implique la rupture avec les cultes locaux - ce qui, malheureusement ne fut pas le cas des Lega -, facilite l'abandon des terres d'origine. Mais on ne peut s'installer sur des nouveaux terrains de culture que si on appartient à une organisation solidement établie et expérimentée. Le mouridisme(497(*)), mouvement islamique spécifiquement sénégalais est aujourd'hui marqué par un comportement favorable aux réussites matérielles plutôt que par le mysticisme ascétique qui le caractérisait à l'origine. On peut aussi croire de la perte de kitutsi comme langue, sans aucune survivance n'existe ni dans les idiomes, ni dans les idiomêles. Il s'appuie sur ses cadres, les marabouts et sur ses disciples, les talibés. Certains de ces derniers sont formés dans des centres de colonisation agricole, mais chez les Lega c'est le Kimbilikiti qui tient ce cordon ombilical ethno-cultuel. Chez les marabouts ouest-africains, les jeunes y apprennent abandon total à Dieu, mais la contemplation n'exclut pas l'action qui prend la forme d'un travail productif au bénéficie de la hiérarchie religieuse. On trouve et nullement et rarement ces rites initiatiques systématiques chez les Tutsi.

L'organisation mouride peut résumer ainsi son programme : «  travaille comme si tu ne devais jamais mourir. Prie comme si tu devais mourir demain ». Son succès dans le Sénégal central et la poussée des colons vers la partie orientale ne s'expliquent que par sa puissance idéologique, qui sait utiliser la force de travail des Talibés. Sous le contrôle étroit des marabouts et chez les Lega les baame qui recueillent une part de la production en nature, en espèce et en services, les communautés pionnières étendent toujours davantage leurs cultures.

L'appartenance à une confrérie dont l'influence religieuse se double d'une puissance économique et politique incontestable, ouvre aux fidèles l'accès aux Terres Neuves. Celles-ci sont obtenues soit par déclassement de forêts domaniales, soit par refoulement des éleveurs peul de leurs terrains de parcours. Le phénomène est différent car les Tuas, bien que repoussées par les Bantu, gardent des terres fertiles. Cependant avec les Tutsi le problème est tout à fait compliqué ; parce que les Bantu vivent avec eux non point en conquérants, comme voulaient nous le faire croire J. Maquet et Baumann et Westermann, mais en hôtes, c'est-à-dire l'hospitalité des Bantu est cet humanisme mystique et religieux. Les conséquences au point de vue technique risquent à long terme d'être grave : l'utilisation des sols jusqu'à épuisement et défrichement des nouvelles terres ne peuvent être indéfiniment poursuivies.

D'autre part, l'équilibre indispensable tant au point de vue agricole qu'économique dépend en partie de l'existence d'un troupeau important qui assure en partie la fumure des champs. Ce type d'exploitation du sol entre dans la définition de «l'économie de rapine », c'est d'ailleurs la razzia(498(*)) qui est, chez les Tutsi, une institution nécessaire pour la survie d'un clan. Il rappelle les procédés les plus extensifs : dans la mesure où la terre est abondante, il n'est pas nécessaire de la ménager. Ce n'est pas le rendement moyen (production par unité de surface pendant plusieurs années) qui est recherché - ce qui se trouve dans le Droit Coutumier Rwandais tel que codifié par A Kagame -, mais la production brute, sans tenir compte des besoins futurs de la population qui aura vraisemblablement doublé.  

Les préoccupations actuelles ne sont plus rigoureuses que celles qui ont prévalu lors de la genèse de l'instrument qui permettait de sarcler(499(*)), de défricher, etc. plus vite. Pour augmenter la production, suffit-il aujourd'hui de multiplier la terre et les hommes ? Il n'en est pas non plus le cas dans l'élevage ; on ne rencontre aucune industrie pastorale au Rwanda où les Tutsi sont réputés champions éleveurs.

En dernière analyse, peut-on parler de rapports de production d'un type déterminé à propos des communautés mourides ou tutsies? La position des marabouts et des baame apparaît conforme aux principes de la morale de l'Islam et de kimbilikiti, puisqu'ils vivent des dons, aumônes et services de leurs fidèles. Mais cet aspect des choses ne doit pas cacher la réalité : aucun de ceux-ci ne pourrait appartenir à la communauté contre l'accord du marabout ou du mwami qui en fait le contrôle non seulement la vie religieuse, mais aussi la vie politique sociale du groupe.

Dans celui-ci, composé d'immigrants, l'unité familiale de base est la famille nucléaire ; le mwami choisit les conjoints et arrange les mariages à son gré. Bien que chaque village de pionniers ait son chef et ses notables choisis, la structure qui domine la vie sociale et en permet le contrôle total par les confréries est d'ordre à la fois religieux et économique. Il est difficile de faire le départ économique. Il est difficile de faire le départ entre ces deux formes privilégiées, car selon les préoccupations personnelles des baame, on peut dire que l'une ou l'autre est déterminante dans la nature des rapports qui s'établissent entre ceux-ci et leurs sujets ; mais les rapports de production apparaissent toujours derrière les rapports politiques. La famille reste dans ce sens la base de la communauté villageoise et noyau de la mentalité collective.

§ 4. Communautés familiales et communautés villageoises

La mentalité collective(500(*)), interprétée du point de vue psychanalytique de Freud, étant un fait involontaire, est donc une contrainte, un asservissement contre lequel le moi ne peut rien. Quel est le rôle joué par la famille dans la constitution de la société ? Il est courant d'affirmer que la famille est la cellule de la société, mais d'autres auteurs observent que la famille est une entité indépendante du concept social et qu'elle en serait plutôt l'antagonisme. Des analogies ont été esquissées entre certaines formes de rapports sociaux, caractéristiques des populations africaines actuelles comme de groupes particuliers d'anciennes sociétés rurales françaises. Elles ne permettent cependant pas de conclure à une similitude globale des structures socio-économiques.

Des premiers, il ressort que le système d'organisation de la société à pour base des unités étroitement conditionnées par des liens de parenté et d'alliance. Ceux-ci sont déterminants à l'intérieur de la famille, sur tous les plans de la vie sociale ; ce n'est que dans la mesure où la tradition s'oppose à l'économie que les rapports formés à l'occasion du travail et de la production deviennent autonome. On peut parler ici d'une loi générale d'évolution501(*), alors que les faits du domaine français ne constituent que des témoignages très partiels, notamment en ce qui concerne les communautés de parents, qui n'ont jamais représenté l'ensemble de nos sociétés rurales. Celles-ci ont élaboré, depuis l'origine des techniques agro- pastorales, des formes d'organisation caractérisées par une vie collective qui transcende la vie sociale et fonctionnelle des unités familiales. Considérant leur aspect contraignant, on a pu parler de servitudes collectives auxquelles chaque famille, chaque foyer devait souscrire dans son propre intérêt. L'organisation communale de la propriété territoriale était le trait le plus significatif du système que l'on trouvait en France plus particulièrement dans les pays d'habitat groupé.

Le terroir cultivé était divisé en un certain nombre de quartiers (soles, contrées, saisons, selon les provinces) qui étaient périodiquement affectés à une culture ou laissés en jachère. Chaque foyer disposait de terres dans chacun de ces quartiers et devait obligatoirement suivre le rythme annuel de la communauté dans ses différentes opérations culturales et pastorales. Le bétail de chaque foyer était réuni sous la garde d'un pâtre ou d'un berger communal qui conduisait son troupeau sur les quartiers en jachère du terroir cultivé ou sur les fiches communales.

Si en Afrique Orientale - surtout dans le Ruanda-Urundi - on peut reconnaître une organisation comparable en ce qui concerne la garde des bêtes, confiées à un pâtre commun, appartenant à une ethnie spécialisée dans l'élevage, les Peul, on ne trouve que de rares traces de l'organisation collective des terres de culture. D'une manière générale, l'utilisation de celles-ci est laissée aux seuls soins du chef de famille : on peut constater que le lien de voisinage ne fournit qu'un principe secondaire de l'organisation sociale502(*). Telle était du moins la situation avant que les grands changements liés indirectement à l'introduction de l'économie de marché viennent la bouleverser. Dans la mesure où les structures socioéconomiques des villages africains vont se dégager peu à peu de la pression des rapports de parenté, les liens de voisinages s'affirmeront pour organiser le terroir cultivé selon des normes correspondant aux besoins nés de l'expansion démographique et du développement économique. Apparemment la famille étendue a conservé sa cohésion. Le chef de famille continue à payer les impôts des adultes qui vivent dans l'enclos (appelé concession ou carré) renfermant les cases de tous les membres du groupe. Cet ensemble de cases, habitations ou cuisines, ne varie que par la multiplication des greniers, mais ses limites restent immuables, maintenant le système d'organisation spatiale du village, au moins aussi longtemps que ses occupants sont assez nombreux pour les entretenir. Compte tenu des difficultés pour un jeune homme de fonder une nouvelle concession, il porte longtemps la trace de l'ancienne structure familiale.

En revanche, le dessin des champs cultivés traduit immédiatement les tendances à l'indépendance économique de chacun des membres de la famille : le parcellement qui remplace peu à peu les grands champs collectifs des groupes familiaux permet de mesurer cette évolution. Celle-ci est récente, mais si rapide que dans certaines régions du Niger des vues aériennes prises à une dizaine d'années d'intervalle mettent en évidence les changements du système socio-économique dans le sens de l'individualisation des champs. Cette tendance est si forte qu'elle s'étend à chacune des épouses de la famille polygame qui tient à cultiver et à produire pour son propre compte, au détriment de la production du ménage. Cette atomisation du terroir et de la production va à l'encontre des conceptions européennes de l'organisation du finage. La concentration des entreprises agricoles et le rassemblement en grandes pièces des parcelles naguère dispersées est la condition nécessaire de leur exploitation rationnelle.

Quelles sont les tendances actuelles du monde rural ? Dans quel sens évoluent ses structures socio-économiques ? En ce qui concerne l'Afrique, on peut confirmer le passage des sociétés qu'il a été commode d'appeler « tribale » parce que leur fonctionnement était dominé par les rapports de parenté et d'alliance au sein d'un groupe étendu, vers des types de sociétés paysannes. Sans que l'on puisse en déduire une similitude avec celle de la France, on peut constater que dans les deux cas, la propriété foncière individualisée devient en tant que structure une des préoccupations majeures de la société.

Déjà les paysans français disparaissent, non seulement numériquement, mais en tant que catégorie socioprofessionnelle(503(*)). Un monde rural sans paysans est une réalité dans plusieurs régions où la forme d'exploitation qu'ils avaient élaborée au long des siècles s'efface. Elle est remplacée par un système où, selon l'expression de H. Mendras, « des techniques agricoles et comptables tiennent lieu d'expérience et de savoir faire »(504(*)). La terre cesse d'être le secteur dominant des exploitations agricoles, au profit de l'équipement mécanique. L'ordre mécanique des champs a vécu ainsi que toute l'organisation familiale qui avait été élaborée pour en assurer la succession à travers les générations. Les prérogatives de l'entrepreneur, avec le pouvoir de décision qu'elles impliquent, sont battues en brèche par les lois du marché international. C'est là un des points communs aux sociétés qui ont fait l'objet de ce propos, et on peut se demander dans quelle mesure elles n'évolueront pas dans une direction commune.

Si cette hypothèse implique finalement une prédominance des rapports économiques, on peut tenir pour certain que, comme aujourd'hui encore en Europe, les formes évolutives de l'Afrique porteront pendant longtemps la traces directe des concepts et des valeurs issus de structures qui ont prévalu pendant des siècles.

Conclusion

Sous l'angle épistémologique historiciste la perspective ébauchée plus haut entraîne une restructuration méthodologique ; mais Mutuza voit bien ce que l'histoire peut avoir de choquant et il termine par une analyse des structures technico-sociales pour comprendre les populations hima-tutsies. Dans cette analyse certaines corrélations apparaissent clairement et nous en sommes arrivé à ouvrir le temps entropologique pour la meilleure compréhension de la problématique du mythe hima-tutsi. L'identité et l'appartenance imposent une certaine habitude qui se forme dans le temps historique que nous appelions çèïò. En arrivant à ce point de la formation d'une habitude dans le temps, les enjeux sociaux imposent leurs structures et deviennent des faits sociaux réels dont les techniques ne sauraient expliquer les diversités politiques. C'est cette dimension du temps entendu comme succession (áêïëïõèßá), et cette succession nous a permis d'analyser le problème de la différence chez J. Maquet, Th. Papadopoulos et R.E. Mutuza : correspondance et corrélation technico-structuro-économiques, caractères dominants des économies et éloignement des identités et la valeur de la hiérarchie des structures d'appartenance. Les unités familiales et l'unité d'exploitation pour une identité font directement appel au constructivisme social et à l'appartenance familiale. Il y a là l'appartenance, la hiérarchie des structures et les valeurs de l'identité. C'est une analyse sérieuse qui nous a orienté à comprendre l'évolution des systèmes qui a pour corolaire : l'appartenance au lignage et identité sociale des familles grand-lacustres, l'identité des structures socio-économiques et les techniques agraires chez les Hutu, les Structures socio-économiques et appartenance dans la mentalité des Communautés familiales et communautés villageoises.

L'analyse philosophique qui implique la corrélation et la correspondance entre techniques et structures sociopolitique. Elle nous a entraîné à restructurer la valeur de la technique. Après tout ce travail Mutuza pense que « ces tentatives font une part très large aux aspects les plus intellectuels d'une culture : la croissance démographique étant, même aux époques passées, un phénomène fluctuant, mais inéluctable, un peuple qui ne parvient qu'à conquérir partiellement un espace vital convoité sera affligé d'une double frustration, celle de n'être jamais équilibré avec son conditionnement géographique et celle d'être menacé indéfiniment par des voisins non neutralisés. Quant au peuple conquis, la réaction de défense pourra être canalisée par un ressentiment secondaire, c'est-à-dire conservée dans un désir latent de vengeance, stimulant suffisant pour tenter d'accéder au même niveau de civilisation que celui des nations supérieures et renforcé par une croissance démographique accrue et cela crée des frontières socialement difficiles d'être légitimes.

La frontière c'est la zone de critique au-delà de laquelle la sécurité n'est plus sûre, la délimitation entre le licite et l'illicite hasardeux. De nos jours encore, un touriste traversant les frontières congolo-ougando-ruando-burundaises, strictement dans un but de divertissement, ressent un petit sentiment d'inquiétude, une appréhension d'être soupçonné au moins d'indiscrétion chez ses hôtes. Chez les Tutsi, par exemple, un simple regard porté par un étranger vers l'intérieur d'une demeure, depuis la voie publique, est une offense aussi grande que le serait dans notre milieu démocratiste l'outrage provoqué par un inconnu coupable de grossière indiscrétion.

La notion de « citoyenneté transfrontalière », décrié par Mutuza(505(*)), implique une sorte de pudeur à l'échelle nationale, raison pour laquelle bien des Tutsi s'opposent à ce que des visiteurs puissent recueillir des documents sur la misère ou les défauts de leurs populations. Voilà qui entraine la mise en poèmes de pouvoir dynastique et les valeurs qu'ils défendent.

Chapitre sixième : IDENTITE ET APPARTENANCE SELON LES POEMES DYNASTIQUES DU RUANDA ET LES VALEURS QU'ILS DEFENDENT

Introduction

Dans ce chapitre, notre attention est tournée vers l'observation de première importance que nous devons noter au sein de certaines peuplades africaines. Plus les groupements se rapprochent de leur composante hamitique, plus augmente le nombre des individus évolués. Le type physique s'affine et peut devenir d'une grande beauté, le visage s'éveille, la démarche et le maintient s'anoblissent, la vie luxueuse est recherchée, l'art se perfectionne. On arrive à une élite que l'on n'ose plus qualifier de « Noirs hamitiques », mais plutôt de « Hamites noirs » car, pigmentation mise à part, les physionomies se rapprochent du type européen méditerranéen. « Nomades, les peuples pasteurs sont toujours minoritaires dans les pays qui les accueillent. Mais propriétaires du gros bétail qu'ils chérissent et dont ils se nourrissent rarement ou pas du tout, selon qu'ils les considèrent comme un bien de prestige ou un bien sacré, ils se trouvent entourés de prestiges auprès des peuples bantu agriculteurs. Prestige renforcé par l'exaltation des traits physiques qui les rapprochent de l'homme blanc, qui s'est présenté à l'homme noir comme le modèle et le prototype du beau, du bon et du vrai. Bien que cela ne soit pas vrai, l'imaginaire populaire continue à croire (ce) mythe(506(*)). Mais l'homme blanc a oublié ce qu'était les Grecs, maîtres et fondateurs de la civilisation occidentale.

Comparativement aux cultures protohistoriques des autres régions de l'Europe, la Grèce se peupla tardivement et ses habitants vécurent longtemps à l'état sauvage. C'est seulement à l'âge du cuivre, vers l'an 3000, que de vastes immigrations peuplèrent le Péloponnèse et les Cyclades qui étaient encore déserts. Vers 2000 ans avant J.-C., les Achéens, qui savaient fabriquer et travailler le fer, s'établirent en tant qu'ethnie bien définie dans le nord du Péloponnèse. Vers les XIe XIIIe siècles de l'ère archaïque, les Doriens refoulèrent leurs prédécesseurs Achéens, occupant le Péloponnèse (symbolisé par les Spartiates) et lançant dans la mer Egée, sur les côtes de l'Asie Mineure, de l'Afrique, de Sicile et en Italie.

Ce résumé migratoire démontre encore le phénomène psychosomatique résultant du contact de deux ethnies antagonistes d'abord, puis complémentaires, fusionnant leurs caractères physiques et psychiques et créant ainsi de nouvelles combinaisons mentales, sources de civilisations nouvelles.

Pour prendre le cas sous examen à propos des Tutsi, il est bien connu qu'ils sont venus de quelque part, et avec la haine pour outil, nerveux, et parfois sentimentaux, les Hutu leur donnèrent l'élément flegmatique, l'endurance et l'énergie, la discipline d'un champ de conscience concentrique et l'organisation d'un retentissement secondaire. Si l'accueil que les Hutu ont réservé aux Tutsi eut son retentissement en ayant un caractère constructif, alors que les razzias des Tutsi sont toujours destructives, cela a aussi permis à la colonisation de procéder, mal pourrait-on dire, à raison ou à tort, au découpage politique de territoires fondé presque exclusivement sur des conventions qui n'ont pas souvent tenu compte des similitudes ethniques ou linguistiques. Cependant ils ont malheureusement réuni, au contraire, des peuples différents ou encore séparé le même peuple.

Or, la division de l'Afrique en de très grands Etats est psychologiquement moins favorable. C'est pourquoi il est plausible de dire que ce ne sont pas ceux qui divisèrent l'Afrique qui contenaient en puissance les effets dévastateurs de la traite puis de la colonisation mais, qu'au contraire, c'est nous qui possédons «en puissance » toutes les physionomies de ces avatars aujourd'hui disparus. Mais les querelles restent entre Africains quand il s'agit des intérêts des « autres » : il y a conflit entre exportation et importation des valeurs des nos cultures.

Ainsi, allons-nous traiter du pouvoir avec l'ethnonyme et le glossonyme du peuple Hima-Tutsi. Cela a des applications avec le champ de conscience et le cloisonnement ethnique dont les valeurs morales, renfermées dans les poèmes dynastiques, est un matérialisme dialectique dont la vache achève de boucler la boucle. A ces poèmes s'ajoute l'exaltation de cinq tambours qui forment la pentatonique dont chacun des Ingoma représente un des sens d'un organisme analogique à des êtres vivants. La razzia ouvre la politique de l'appartenance dans l'ordre exponentiel. C'est ce qui nous permet de découvrir la durée diatonique des poèmes et la problématique de l'appartenance politique et juridique dont le mythe des ethnonymes (Hutu-Tutsi-Twa) très usuels ne correspondent non seulement pas, mais en rien avec le glossonyme kinyarwanda. Il est bien connu que l'adjectif Banyarwanda (usé en malignité comme ethnonyme) signifie ceux qui viennent de/ou vivent au Rwanda, qui qu'il soit : Hutu-Tutsi-Twa.

Section 1. Pouvoir, glossonyme et ethnonyme du mythe Hima-Tutsi

§1. Royaume et appartenance dans les poèmes dynastiques

Il n'est pas impossible que telle langue se révèle être l'outil particulier bien adapté à l'acquisition d'une certaine forme de culture, mais rien ne permet d'affirmer que la langue d'un peuple détermine le type de civilisation qu'il devra se forger. Le primat de l'objet (la langue) faisant place au primat de la fonction (la culture), l'on ne découvrirait la différence que quand il y a entropie.

Dans ces lignes nous traiterons du roi et de son appartenance sous les chaînes d'or cyclique de l'octave, de la pentatonique du poème et la politique de l'appartenance dans l'ordre exponentiel et, enfin, de la durée diatonique du poème et l'appartenance politique.

A. Kagame rapporte les poèmes dynastiques en kinyarwanda. Le poète exalte la royauté, en énumère huit attributs et y expose cinq tambours royaux. Au roi le Rwanda et les Banyarwanda en sorte que cette entité serait à la fois finie et infinie comme la ligne d'un cercle néant(507(*)). Alors que le néant ne possède aucune dimension euclidienne, ni aucun temps comme le royaume lui-même, le terme du royaume évoque pour nous une idée de grandeur, qui dépasse presque tout le reste de ce qui a du prestige aux yeux des hommes. C'est la raison pour laquelle toutes les poésies, voire même toutes les littératures se servent de cette expression pour désigner des biens éminents. S'il avait existé quelque chose de plus grand que le royaume, certainement que les littératures l'eussent utilisé pour éveiller dans le coeur de leurs lecteurs et auditeurs le désir de l'inexprimable beauté.

Il était impossible de désigner par leur terme propre les biens qui dépassent notre entendement et notre connaissance. Nous avons vu quelle était l'origine du mythe et de sa conception, et comment Mutuza répond au problème posé par les mots. C'est dans la poésie dynastique du Ruanda que ce problème est clairement mis en exposé par Kagame. La poésie dynastique du Rwanda a été créée en rapport avec l'institution royale et pastorale et, comme telle, elle porte le cachet de la civilisation chamitique pastorale à institutions patriarcales et hiérarchie politique concentrée. Elle sert à glorifier les rois sacrés, chefs du royaume, et immortaliser leurs gestes et les actes significatifs de leurs règnes. Elle est si étroitement liée à la personne du roi sacré et à l'institution royale qu'elle a fini elle-même par être une institution annexe, patriarcale pour ainsi dire. Elle a reçu le terme approprié de dynastique par distinction des deux autres genres poétiques qui ont fleuri au Ruanda, le pastoral et le guerrier.

L'itinéraire migratoire des Hima-Tutsi offre un spectacle qui nous permet de comprendre le système politique de ce pays et l'intégration astucieuse des immigrés. Les Hima-Tutsi sont venus trouver les Hutu dans leur Ruanda sous les baame aux pouvoir décentralisé. Arrivés, les Tutsi se sont rendus auprès des chefs et leur ont offert leurs femmes pour épouses et leur troupeau des boeufs. Les baame, ayant admiré les beautés de femmes des immigrés(508(*)) et la viande des boeufs, les ont adoptées. Malheureusement les femmes tutsies se sont arrangées pour n'avoir des enfants qu'avec leurs maris plutôt qu'avec les baame, leurs maîtres.

La société des Hutu est patriarcale. Les enfants nés des femmes tutsies, eux-mêmes des Tutsi purs parce qu'engendrés des Tutsi, maris coïtaux de leurs mères, devinrent des baame et par conséquent des chefs terriens. Cela n'était pas d'un seul instant. Ce fut un long processus. C'est ainsi qu'il y eut dans pratiquement toutes les chefferies des Tutsi qui régnèrent et leur prestige ne savait qu'augmenter. Et cela n'était pas non plus sans s'attirer la haine des enfants des femmes Bahutu.

Pour se protéger, ces baame tutsis durent faire des alliances entre eux(509(*)). Ces alliances leur permirent de former petit-à-petit une monarchie. Comment cela se fut réaliser ? A la mort d'un des baame l'un d'entre eux annexait les sujets du défunt sous sa juridiction. C'est ainsi que le pouvoir centralisé se constituait. Lorsqu'il ne resta qu'un seul mwami, la conscience d'absolutisme se réalisa. Et pour renforcer la monarchie, seul le lien biologique pouvait justifier la pureté de la lignée. Pour se rassurer de cette pureté il a fallu au mwami de prendre pour épouse sa soeur ou sa nièce, seul fait sûr de l'appartenance. C'est ainsi qu'on trouve l'exaltation de la lignée royale dans les poèmes dynastiques.

Kagame ne parle d'ailleurs pas de la poésie dynastique tutsie. Il parle plutôt de la poésie dynastique du Ruanda. Nous avons là l'idée d'une affirmation de l'appartenance aux terres ruandaises. Les immigrants Chamites orientaux se caractérisent par le fait d'avoir préservé leur civilisation pastorale presque à l'état pur, perpétuant d'une manière remarquable leur hiérarchie sociale traditionnelle et organisant les Etats fondés par eux sur le modèle absolutiste et théocratique des peuples pastoraux(510(*)).

Les Bantu les ont dominés dans le domaine linguistique dont l'influence reste encore jusqu'à nos jours et les ont aussi politiquement incorporés, selon la pertinente remarque de K. Oberg, dans African Political systems, en en adoptant la langue sous l'effet d'une écrasante supériorité numérique et en abandonnant complètement leurs propres idiomes chamitiques.

Notre thèse veut plus démontrer le sens de l'appartenance plutôt que l'appartenance elle-même, nous ne nous intéresserons pas des dates de début du règne du premier roi dynastique du Ruanda. Etant donné cependant que ces études dérivèrent artificiellement en supputant les règnes successifs à trente ans chacun, ce qui est plutôt exagéré, dit Mutuza à la suite de Papadopoulos. Une rectification raisonnable donnerait une période totale dynastique pour le Rwanda considérablement réduite(511(*)).

La confrontation comparative des monuments d'une civilisation historique relevant de la rencontre de deux civilisations participant à des degrés différents aux deux phases d'évolution, ethnologique et historique, ont aidé Mutuza à comprendre et illustrer les principes généraux qu'il avait exposés dans son ouvrage.

Le noyau central de la poésie dynastique est constitué par le thème de la royauté. Cette royauté est sacrée. Le thème royal n'est pas celui qui donne la grande idée du mythe. C'est le traitement interne du thème qui importe ainsi que celui de thèmes subsidiaires motivés par la royauté qui confère au poème une signification qualitative : le bovin. C'est emphatique.

Le sens de l'octave est celui de ce cycle infernal du thème central du poème : la royauté. Dans le poème dynastique le poète élargie ses horizons tout en posant affirmativement son thème central, y revient incessamment en décrivant des cercles concentriques autour de ce même thème. C'est l'annonce de ð (p) dont nous avons donné la valeur supra §3.

Nous avons parlé du cycle d'octave à cause qu'une civilisation pastorale, nomadique par ses origines, se fixant en une organisation politique à caractère théocratique qui ne saurait offrir qu'un champ d'action intellectuel très limité, un champ qui ne saurait être fertilisé que par un nombre très restreint de thèmes dérivés des modes très restreints d'existence sociale atteints par le système. Ces thèmes sont naturellement ceux de la royauté, de la vie pastorale et de la guerre, apanage constant de la vie migratoire des nomades. Le roi, les bovins et l'ennemi, « voilà, dit Papadopoulos, la synopse de la vie sociale et individuelle »(512(*)) d'un Tutsi.

Nous rencontrons à chaque enchaînement un retour aux mêmes thèmes. C'est ainsi que l'on peut s'écrier en disant : le même dans le même il demeure et en lui-même repose dans l'immuable ici. Les trois thèmes sont dans l'expression poétique unis et séparés. Quand Papadopoulos se voit acculé par la non liberté du poète des poèmes dynastiques, il ne manque pas de dire son indignation : « la royauté semble primer sur les autres, évidemment nulle part ailleurs il n'est si emphatique que dans le genre dynastique »(513(*)). Et Mutuza de renchérir : « Il ne faut pas chercher à expliquer cette connexion raciale de la royauté avec la divinité : elle reste un mystère »(514(*)).

C'est la vie quotidienne qui domine dans les poèmes. C'est la matérialité de la vie dont l'activité pastorale, le cycle bovidé et la lutte pour la « survivance de l'espèce qui domine dans le poème et dont la guerre est d'une tonalité excessive »(515(*)).

Le poète dynastique ne dispose d'aucune liberté d'action créatrice considérablement plus accusée que ne le disposerait un poète Muntu. L'élargissement de l'horizon intellectuel se reflète sur une plus grande variété de thèmes poétiques, et dans un développement plus étendu de ces thèmes. Cette perception a permis à Papadopoulos de rapprocher, culturellement, le Muntu de l'Hellène. « Dans cette poésie l'homme individuel joue un plus grand rôle que dans la poésie dynastique où il disparaît presque sous le poids dominant du thème exclusif de la royauté », le boeuf étant plus important que le peuple qui n'est déjà « plus une quantité négligeable qui existe grâce au roi et lui doit son existence totale »(516(*)).

Quand on analyse bien les poèmes, on s'aperçoit qu'il n'y a aucun sentiment nationaliste. Il y a, bien sûr le sentiment d'une conscience sociale chez les Tutsi. Le peuple ne compte pas comme une entité qui constitue l'essentielle dans le système tutsi, puisqu'il n'est pas capable d'initiatives et de jugements sociaux, et par conséquent il ne prend pas part à la conduite des affaires sociales et nationales. Aucune autonomie d'action. Aucune responsabilité. Cette inactivité n'implique pas l'élaboration des sentiments moraux dans un sens plus profond.

Par contre, chez le Hutu, avec leur collectivité d'action, le comportement de l'ancêtre durant son existence terrestre a valeur d'exemple pour ses descendants, qui ne se considèrent pas comme des individus isolés mais possèdent au contraire un très fort sentiment d'appartenance à une lignée et capables d'initiatives.

L'importance de la filiation s'illustre dans bien des sociétés traditionnelles par un système assurant des privilèges, accordant des responsabilités ou réservant la pratique de métiers particuliers à certaines familles, en raison des organisations préalablement établies par les ancêtres, et dont on ne saurait remettre en cause la raison d'être. Ainsi la valeur de la lignée, de même que son histoire, ont une importance de tout premier ordre dans la hiérarchie sociale. En Afrique, les griots qui entourent les chefs de clans ou de tribus ont la fonction de rappeler leur généalogie (senga(517(*)), comme les Aphende la nomment), car celle-ci signe leur légitimité.

Ce système d'organisation sociale va de pair avec le sens de la piété filiale, ainsi qu'avec un grand respect et une large place accordés aux personnes âgées dans la vie quotidienne. Les paroles et la volonté des anciens sont considérées comme des exemples de sagesse et ne peuvent pas être discutées par les plus jeunes.

Fiers de leurs origines et de leurs alliances princières, les Gombrowicz , par exemple, conservent avec piété les archives familiales rapatriées de Lituanie. Cette appartenance à une classe sociale à cheval entre la haute aristocratie et le milieu des petits hobereaux déclassés peut expliquer l'intérêt de Witold Gombrowicz pour les zones intermédiaires, l'entre-deux, le haut et le bas, la forme et l'antiforme, le fini et l'inachevé, ainsi que la spécificité de son théâtre peuplé de rois déchus, de princes déclassés, prisonniers d'un rituel vide et agonisant sur fond d'apocalypse dans un univers grotesque aux allures d'opérette.

Un tel peuple (Tutsi) ne peut être qu'instrument, chien de chasse, de son roi. Comme le cycle d'octave est une hypothèse cohérente de cette attitude, la pensée démocratique moderne ne peut que souffrir chez un tel peuple. Toute autorité tutsie, et surtout les chefs de l'Etat, baigne dans les chaînes d'or cyclique de l'octave dynastique. Cela ne peut que susciter, réveiller et éveiller la conscience démocratique des Bantu dont l'institution de mwami est le prototype.

Les Bantu s'éveillent, se réveillent et créent une révolution. Que s'était-il passé ? Après la mort du mwami Mutara, décédé sans héritier, son successeur, Kigeli V, illégitime aux yeux des Hutu et imposé par les conseillers du souverain défunt, applique une politique de fermeté dans la défense des privilèges de l'aristocratie tutsi. Les revendications socio-économiques ont pris, depuis la publication, en 1957, du Manifeste des Bahutu, une dimension politique, sous l'impulsion du Parme-hutu (parti du Mouvement de l'émancipation hutu), et dégénère en affrontements communautaires. L'Église prend alors fait et cause pour la majorité hutu et l'administration coloniale laisse se développer les révoltes qui éclatent en novembre 1959 et ensanglantent le pays après l'assassinat d'un responsable politique hutu.

En janvier 1961, la République est proclamée et un Référendum, organisé quelques mois plus tard, rejette la Monarchie par 80% des voix. Le Parme-hutu remporte les élections organisées au mois de septembre suivant, avec 78% des suffrages. Le 26 octobre 1961, son dirigeant, Grégoire Kayibanda, secrétaire de l'archevêque du Rwanda, est élu président de la République rwandaise. Ces événements historiques nous orientent vers la considération que les Tutsi se font du pouvoir et qu'ils expriment dans les poèmes dynastiques.

§ 2. Royauté et Kinyarwanda

Il est rare que l'on soit informé à la fois sur la représentation qu'un groupe donné se fait de son appartenance au peuple, et sur le choix politique que ce groupe a été amené à prendre face à l'occupation. C'est ainsi que parlant de La psychanalyse des peuples et de civilisations, G. Dingemans dit que « la mentalité de l'Hamite le porte instinctivement à la vie sédentaire, d'où le développement d'une civilisation fondée sur la richesse agricole et pastorale, origine de villes et de villages construits pour les générations à venir. La création de leur art complexe n'avait de raison d'être qu'au sein de royaumes ou des communautés stables (...) Les types sémitiques et aryens (...) sont par contre caractérisés par le goût de la vie nomade... »(518(*)) Ne voit-on pas que ces caractéristiques ne correspondent pas avec les Tutsi qui sont des hamites au Ruanda et qui sont des Üèåôïé ?

Les Rwandais (Hima-Tutsi), transplantés, immigrés ou infiltrés en RD Congo n'ont jamais renoncé à leur nationalité rwandaise. Ils se camouflent derrière la dénomination linguistique ethnicisante qu'ils appellent le Kinyarwanda. Sachant qu'au Nord-Kivu il y a les Bahutu qui parlent le « kinyarwanda », ils veulent se prendre au même pied d'égalité qu'eux. Ceux qui escaladent une échelle, quand ils ont franchi la première marche, prennent la deuxième, la seconde les mène à la troisième, puis la suivante, et ainsi de suite. Si bien qu'en montant progressivement, on s'élève de plus en plus et on fini par atteindre le sommet.

Où veut-on en venir par cette entrée en matière ? Pour les Tutsi la rwandophonie, qui est un produit de la faction tutsie en RD Congo, signifie d'abord l'ensemble de personnes qui partagent le Kinyarwanda comme langue maternelle. Ensuite la communauté de ces personnes devant s'unir pour défendre des intérêts présentés comme communs et menacés par d'autres groupes de personnes. Bref une stratégie pour le groupe minoritaire tutsi d'assurer ses intérêts en s'appuyant sur la majorité hutoue contre les autres groupes ethniques du Nord-Kivu.

Serufuri nous rapporte que « les promoteurs de la rwandophonie visent depuis les années 1960 à la colonisation tutsi et à « l'unité rwandaise » au Kivu. Dans leur plan de colonisation, ces promoteurs comptent se servir « de la crédulité des évolués Bahutu » (9epoint), de leurs « vendus Bahutu » (12e point) ou « des Bahutu naïfs » (18e point)  « pour soumettre les Bahutu du Congo et tous (sic) les autres ethnies qui les entourent » en procédant « méthodiquement et progressivement » (2e point)»(519(*)). De la rwandophonie nous avons la rwandomanie en sorte que l'Est de la RD Congo qui a les Hutu assimilés sans difficulté au Banyarwanda est devenu un centre d'expérience et d'expérimentation nostalgique du temps de baame dieu du Rwanda d'avant la colonisation. Cette nostalgique des conquêtes du roi se trouve dans un poème que Kagame rapporte :

« Il fut en butte à une opposition inouïe

Mais ses victoires furent sans nombre

Il fit trembler les adversaires

Et rassembla bien des pays en un seul,

Les fusionnant en son unique Ruanda »

(P. 171, p. 102)

Nous savons d'ailleurs que dans leur tradition celui qui est roi est Dieu, il cesse d'être homme, bien que de la race des Tutsi, eux-mêmes de la race de dieu. Une telle affirmation rend ipso facto le peuple irresponsable pour le choix de ses dirigeants. L'Homme-roi a une élévation au-dessus de la nature humaine, de façon que le Roi est supra-humain :

« Le Roi n'est pas homme,

Celui-là cesse d'être un homme qui devient Roi !»(520(*)).

De là, la nature humaine est niée à celui qui devient roi :

« Le Roi, c'est lui Dieu,

et il domine sur les humains ! »(521(*)).

Pour Mutuza, avec son ingénierie sociale, une telle attitude ne saurait être étudiée en surface, il pousse son raisonnement plus loin. En rester là serait demeurer en deçà de la philosophie qui doit penser en termes nécessaires ce que la coutume, le mythe ou la foi se contentent d'appeler grâce (Hegel)

Que le croyant « demeure » en ce « donné » ! Mais le penser se doit de passer outre à la limite que la foi prétend lui imposer de façon arbitraire.

Comment est-il arrivé à un poète humain de chanter les louanges dont les origines se ressentent de la nature divine du roi, alors que la royauté est l'apanage d'une seule lignée qui s'apparente à Dieu ? Cette attribution exclusive du privilège royal est un corolaire nécessaire de la nature divine qui ne saurait être accessible au commun des mortels :

« La Royauté est le privilège d'une seule Lignée,

Ô, Race de Dieu ! »

(P. 123, p. 78).

Ces louanges du poète n'ajoutent rien au roi qui dispose de son propre pouvoir. Il ne faut pas chercher à expliquer cette connexion raciale de la Royauté avec la divinité, elle reste un mystère qui ne peut être élucidé :

« Le mode dont Dieu prédestine les Rois

Est un mystère pour les autres,

ô le Cent-fois-puissant »

(P. 123, p. 78).

Mutuza, dans sa foi chrétienne, doute d'une telle conception de la royauté ; il a cherché dans le poème là où le poète reconnaît et justifie la nature humaine du Roi. « Pourtant le roi est un homme fait de chair et d'os, qui est assujetti à la nature humaine. Le poète doit traiter de cet aspect et doit le justifier par rapport à la figure supra-humaine qu'il a tracée de lui. Où trouvera-t-il la matière de sa composition sinon dans le champ qu'offre la vie d'un peuple, par tradition migratoire et pastorale, à savoir dans la guerre et la razzia ? C'est ici que les qualités héroïques du roi apparaissent et font de lui, en même temps qu'un guerrier invincible, le héros national exclusif »(522(*)).

L'étourderie du poète engendre des contradictions dans le poème, Mutuza nous dit que ce peuple forme une véritable société quand bien même son sentiment nationaliste n'ajoute rien à l'émergence de cette société parce que c'est un peuple cerf du roi.

Le malheureux Dieu, le Roi, devient homme. Comment la Royauté, tout en étant divine, maintient ses connexions avec le monde de son milieu mortel, est expliqué par le même poète, en enchaînant la royauté dans la séquence de la création :

« Le Dieu qui a multiplié les vaches

A commencer par créer les Rois ;

Après les avoir investis sous le signe des tambours »

(P. 123, p. 78)

Papadopoulos s'étonne de « cette espèce d'association, assez décousue d'ailleurs, de la création des rois avec les bovins et les tambours, que s'explique la connexion royale avec les affaires humaine »(523(*)). Mutuza avait déjà remarqué l'absence des humains à ne jouer aucun rôle actif dans cette institution centrale du pays. C'est au Roi, en effet, que le peuple doit son existence et les possibilités de sa subsistance sont entre ses mains. C'est le Roi qui « lui accorde de la protection contre l'ennemi extérieur, et c'est lui qui lui procure la pluie, indispensable condition de la subsistance des bovins et conséquemment de la sienne »(524(*)).

La valeur cyclique du poème est ici claire : les pouvoirs dont dispose le roi sont nécessairement d'un être surnaturel, et se manifestent par excellence dans sa capacité de procurer la pluie au pays :

« Tu as combattu la sécheresse,

Et elle vient de s'éteindre, ô Eteigneur-des-malheurs ».

(P. 138, p. 83)

Voici l'octave du poème et sa combinaison: Roi (1), Dieu (2), Race (3), Archer (4), Vaches (5), Guerre (6), Pluie (7) et (Roi 8).

Dans le poème on a des accords des mots comme suite :

1+3= 4

2+4= 6

3+5= 8

4+6= 10

5+7= 12

6+8= 14

7+9= 16

On remarque d'ailleurs la présence d'autres entiers qui ne font pas directement partie de la chaîne octave : Tambours 9, Sauveur 10, Deuilleur 12, Législateur 14, et Razziaire 16. Avec ces entiers nous voyons la fermeture et l'ouverture du cycle poétique. Il est vrai que l'objet de la poésie dynastique est bien déterminé, spécifiquement prescrit - la glorification de la royauté, mais cette circonstance n'empêcherait pas le poète, qui a le privilège d'un traitement « libre » de son thème, de baser sur celui-ci et d'en motiver des thèmes subsidiaires lui permettant un élargissement de l'horizon de ces idées et son monde esthétique et moral. Notre poète, à l'encontre de ces possibilités, tout en posant affirmativement son thème central (1), y revient incessamment en décrivant des cercles concentriques (2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 1O, 12, 14, 16,...). C'est une octave du Roi (1).

Toute cette octave montre bien que le roi n'est pas un intermédiaire entre Dieu et les hommes, mais dispose pour ainsi dire à volonté des forces de la nature en vertu de ses qualités sacrées et divines. Certains verraient un pharaonisme tutsi, mais il n'en est pas question. Le pharaon possède une double nature, dont les deux aspects sont inextricablement liés : il est à la fois dieu (en tant que fils du dieu-soleil Rê) et roi humain (considéré comme le successeur légitime d'Horus, premier souverain mythique d'Égypte).

Toutefois, si on lui reconnaît de son vivant des pouvoirs magiques, comme de gérer les crues et les décrues du Nil, le pharaon ne devient dieu qu'après sa mort (après un jugement divin favorable, lui permettant d'être assimilé à Osiris. Mais dans le poème dynastique, le Roi est Dieu disposant le menaçant spectre de la sécheresse qui pèse sur le pays ruandais, et seuls les pouvoirs magiques du roi peuvent l'éliminer de l'horizon :

« L'état du ciel était devenu un foyer brûlant,

Et lui, Bon-caractère, fils du Protecteur-habituel,

Nous montre à nouveau les nuages pluvieux !...

Qu'on rassemble les cadeaux de remerciements pour la pluie ».

(P. 138, p. 82)

Le Roi est sauveur du pays parce que ses interventions surnaturelles sont étonnantes :

« N'a-t-il pas été confié à un Roi qui le préserve des épidémies,

Le désaltéreur souche du Voyageur-Matineux

Qui a éteint la sécheresse

Et sauva le Rwanda d'un incendie incertain ?

(P. 138, p. 85)

Et la pluie (7) est le thème vital que le poète chante pour son Roi. Puisque l'existence du peuple est étroitement liée aux conditions naturelles du pays qu'il habite, il est nécessaire d'investir le roi du contrôle de ces conditions « afin de rendre le peuple absolument dépendant de la volonté royale. Sans un roi, l'existence du pays est problématique »(525(*)). Le poète peut ainsi lier 1 et 7 :

« Le Rwanda possédant son Roi (1),

Ne saurait manquer de pluie (7) »

(P. 138, p. 86)

Mutuza qui creuse le poème ne nous démontre qu'une appartenance de la population à la fonction royale où n (les activités de cette population) est le nombre d'événements pour lesquels la variable aléatoire X (le roi) adopte une des deux valeurs possibles, parmi le nombre total m (les thèmes concentriques du poème) d'événements étudiés, et k (le thème de la survivance) est compris entre 0 (le pouvoir magique du Roi) et n (les activités du peuple).

Nous avons donc un rapprochement avec la fonction de Laplace. Lors de ses études sur les erreurs de mesure des distributions symétriques, Laplace a, de plus, laissé son nom à une loi de probabilités continue, la loi de Laplace dont la forme possède une certaine analogie avec la loi normale ; la fonction de densité de Laplace est donnée par la relation:

Cette fonction est symétrique par rapport à son espérance mathématique u c'est-à-dire les relations avec les étrangers, correspondant également à la médiane de la distribution qui est le pouvoir du roi, et a une variance égale à ó2 qui sont les aspects frontaliers; la quantité Ö  qui est le temps entropique = ó (aspect frontalier) / (espérance de vie) est ce que nous trouvons dans le paramètre de dispersion de la fonction de densité de Laplace. Ce que Sir Karl Popper appelle le démon de Laplace. Mais la relation qui unit le peuple des poèmes dynastiques au Roi est asymétrique.

Le Roi est le centre comme le soleil l'est pour le système de Laplace. Inutiles seraient alors des prières que la population doive adresser au Dieu (Roi). Le roi dispose de son pouvoir bon gré malgré. C'est pourquoi « la razzia est tellement enracinée dans la tradition tribale qu'elle est presque une institution coutumière à laquelle la tribu ne saurait pleinement se soustraire, avec en tête, le roi »(526(*)).

Le poète chante l'inimitié du Roi aux peuples voisins. Fièrement, il psalmodie la mise à sac d'un pays voisin et la razzia dont il se fit champion:

«  C'est ainsi qu'il arriva dans le Buzi et le bouleversa.

Il n'y laissa pas même un bébé !

Il se réjouit du fait que le roitelet de cette région

Fut fait ornement du Grand Tambour, héritage de Ndahiro

Aucun pays étranger auquel il n'ait imposé le deuil !

On exalte comment il lutta pour le Karinga ;

Tous les pays lui ont témoigné le respect »

(P. 170, p. 94)

Après toutes ces expéditions, le poète jubile de la victoire remportée à la razzia au pays étranger :

« A toi les vaches ô exalté

Dont le pays ne dit que louanges !

Tu razzias les bovidés du Gishali

Et conquis la race de cette région :

Jamais de ton corps la peur ne s'approcha ;

Sans retard ton butin nous fut mené »

(P. 174, p. 121)

Papadopoulos dit que « d'ailleurs le peuple participe au butin de razzias couronnées de succès -

Il razzia pour nous les vaches au `Bwongéra

Ainsi que celles enlevées au `Bwilili

Ce Courroucé, souche du Sagitaire.

(...) Il nous enrichit de myriades de vaches

Enlevées au Bugahe du Ndorwa.

(P. 90, p. 73) »(527(*))

La conséquence en est que la personnalité du roi est jusqu'à présent intimement liée aux faits matériels, de l'existence d'une part, (la pluie 7), de la survivance d'autre part (guerre tribale 6, razzia 16) (528(*)).

De la royauté, nous arrivons à la place des valeurs matérielles dont la vache représente la richesse dans le poème.

§ 3. La vache et les Watutsi

Qui parmi nous se met à l'écoute des poèmes dynastiques pour s'élever au-dessus des pensées et des aspirations terrestres à ras du sol, jusqu'à la montagne Ruwenzori ou au mont Kilimandjaro pour la haute contemplation ? Ces montagnes émergent de toutes les ombres du vice qui les environnent, nous éclairent de toutes parts des rayons de la lumière véritable, qui nous permet de découvrir dans la clarté de la vérité tout ce qui échappe à ceux qui piétinent dans la plaine les bananerais. Les montagnes rendent ouvertes les réalités et les dimensions de ce qui se découvre de la hauteur par la vertu et s'expose au côté du royaume pour garantir aux sujet royaux des biens matériels.

Avec l'idée de ressemblance phénotypique du Hima-Tutsi et de l'homme blanc, l'idéologie de l'esclavagisme nait, et du coup « quant aux Noirs, écrit G. Dingemans, il semble que leur destin soit de servir éternellement d'esclave, affranchis ou non, à tous les autres groupes. Le nationalisme systématique qui a créé, et créera prochainement de nouveaux Etats africains indépendants, semble préparer la venue de nouveaux maîtres qui peuvent arriver de n'importe quel autre continent »(529(*)) avec leurs valeurs matérielles.

La valeur matérielle la plus significative, la plus précieuse et presque exclusive de la civilisation négro-chamitique est la vache et « généralement la race bovine »(530(*)). Mutuza qui se moque d'une telle considération de la vache a découvert en changeant la question du comment en pourquoi la vache occupe-t-elle une pareille place ? À cette question il répond que parce que « la vache est le seul moyen possible d'assurer la survie de leur existence (...). Elle est la valeur la plus déterminante qui conditionne les rapports entre les différents acteurs de la société que sont le Roi, le peuple et la vache (...). En droit coutumier ruandais, par exemple, un peu plus de tiers des règles coutumières se rapportent à la valeur sociale représentée par le bétail bovin, ce qui nous donne la mesure de l'importance que cette valeur revêt dans le système social ruandais »(531(*)).

A cette réponse de Mutuza nous ne sommes pas d'accord du fait que d'autres pasteurs d'Ethiopie sont malnutris alors que l'élevage constitue l'activité la plus importante, sinon exclusive. La réponse doit être cherchée ailleurs parce que dire que la vache est la valeur la plus déterminante qui conditionne les rapports entre les différents acteurs de la société implique que la vache est un moyen. Mais chose qui ne se vérifie pas car la vache est une fin pour les Tutsi.

Certes, la vache est la valeur matérielle quasi exclusivement dominante dans la civilisation ruandaise. Elle impose aux hommes une sujétion de haut degré. L'homme est conditionné à un haut degré par sa valeur matérielle la plus importante, le bétail bovin, et adapter sa vie aux nécessités imposées par la conservation et la perpétuation de cette acquisition et devenir lui-même presque un instrument au service de cette valeur. La philosophie des valeurs matérielles ne saurait se dégager parce que la vache constitue une force d'asservissement au même degré que de la vie, et limite le sens de l'activité humaine vers une voie unique qui ne lui permet aucune expansion dans ses divers sens.

Mais la vache ne sert pas l'homme plutôt qu'il est servi par elle. Elle est finale à un degré avancée au lieu de lui être instrumentale. La vache, dans le poème est plutôt finale qu'instrumentale.

Elle s'élève, à partir de son statut original de valeur de subsistance, valeur purement économique, au statut de valeur extra-substantielle, pour devenir une valeur sociale. Cette exaltation au-dessus du niveau de la subsistance va, « dans la civilisation ruandaise, jusqu'à l'institution d'une valeur matérielle comme valeur sociale, puisque le bovin, loin de servir exclusivement la satisfaction des besoins matériels, est aussi le terme commun de fonctionnement des institutions sociales ».(532(*))

Dans Les Récits Epiques des Lega du Zaïre, la philosophie des valeurs matérielles porte une libération relative de l'homme vis-à-vis d'elles, dans le sens que le degré de civilisation atteint permet la production, la circulation et l'utilisation d'un plus grand nombre et d'une plus grande variété d'objets culturels, mais aussi, l'intervention de valeurs morales et religieuses fait que la supériorité de l'homme par rapport aux valeurs est très accusée, ce qui confère à la civilisation des Bantu une note de spiritualité qui fait défaut même dans la civilisation des Hima-Tutsi et à la civilisation moderne occidentale, protectrice des Tutsi, sévèrement teintée de matérialisme.

Nous ne nions pas l'importance que revêt la valeur fondamentale de la civilisation ruandaise sous une forme légèrement variée dans la civilisation des Bantu où le bétail ou la volaille, gros et menu, sert non seulement comme valeur de subsistance, mais aussi comme valeur opérationnelle dans des fonctions sociales définies par la coutume traditionnelle. C'est le cas, par exemple, avec la conclusion des actes matrimoniaux où le bétail caprin ou la volaille gallinacée, entre d'autres animaux, rentre dans la composition de la dot cédée à la mère de la fille donnée en mariage. Lors de son mariage à une fille, un Muntu, le cas d'un jeune Lega qui est proche des Tutsi, « le mariage est conditionné par le paiement du gage matrimonial (igambya) par le futur époux (ou par un parent ou un proche parent du prétendant) à la famille de la future épouse. »(533(*))

C'est pourquoi chez les Lega, leurs voisins, bien que les animaux offerts soient en partie utilitaires, il faut remarquer qu'ils sont en grande partie des animaux d'agrément destinés à la chasse ; d'autre part « d'outils en métal, d'étoffes traditionnelles et surtout de monnaie traditionnelle »(534(*)) sont des articles à valeur plutôt artistique que d'actuelle utilisation, dépassant complètement le niveau de l'utilisation économique.

Il n'existe pas de terme spécifique désignant la notion de l'élevage chez les Bantu. Les Lega, par exemple, font une nette distinction entre une chèvre femelle (kibuti kya mpéné) et un bouc (kilimba kya mpéné); entre une chèvre grasse et stérile (kalanga ka mpéné) et une chèvre pleine (kikundu kya mpéné); une jeune chèvre (mulamba wa mpéné) opposée à une vieille. Les mêmes distinctions sont observées pour le mouton. L'élevage se caractérise par ses moindres proportions, par une organisation plus simple et par un intérêt social modéré535(*).

Chez les Hima-Tutsi, l'existence des hommes est inextricablement liée à celle des bovidés, et tout ce qui affecte la race bovine a une répercussion immédiate sur les hommes. L'amour des bovidés se réduit à un culte auquel sont associés le roi et son peuple. Le plus grand malheur qui pourrait survenir à la nation serait la destruction du bétail :

« Nous allions disparaître

Sans laisser souche de bovidés et d'hommes ! »

(P. 138, p. 82)

L'accroissement du troupeau bovin est le seul vrai enrichissement. La multiplication des bovidés est le signe du progrès et de la prospérité ; « aussi, appartient-il au roi de veiller à ce que cette multiplication ait lieu -

C'est pour les multiplier que les bovins t'ont été confiés,

Et tes recherches à ce sujet furent couronnées de succès.

(P. 138, p. 85)(536(*))

C'est la razzia qui est le moyen sûr de l'accroissement du troupeau :

« Il razzia les vaches au Kaziba, et celles du Bukunzi ;

Les mêlant avec celles du Gishali, il les mit dans le Rwanda »

(P. 170, p. 92)

Il est assez important de remarquer que la vache qui constitue la valeur matérielle, celle qui dépend du roi, pour la survie de la population, oriente toutes les valeurs intellectuelles et morales dans la poésie dynastique. Mais cette affirmation se bute à tant de difficultés que nous allons voir tout à l'heure.

Section 2. Champ de conscience et cloisonnement ethnique, valeurs matérielles et Valeurs morales

§1. Champ de conscience et cloisonnement ethnique

S. Freud écrivait : « toutes les fois que deux familles contractent une alliance par mariage chacune se considère comme supérieure à l'autre, comme plus distinguée qu'elle ; deux villes voisines se font l'une et l'autre une concurrence jalouse ; chaque petit canton est plein de mépris pour le canton voisin. Des groupes ethniques appartenant à la même souche se repoussent réciproquement : l'Allemand du Sud ne supporte pas l'Allemand du Nord. L'Anglais dit tout le mal possible de l'Ecossais, l'Espagnol méprise le Portugais. L'aversion devient d'autant plus profonde que les différences sont plus prononcées : c'est ce qui explique l'aversion des Gaulois pour les Germains, des Aryens pour les Sémites, des Blancs pour les hommes de couleurs »(537(*)).

L'asyntonie est une réaction de défense. Tous les humains sont à divers degrés sensibles à la recherche et à la délimitation d'un « anti-idéal du Moi ». Mais la forme de cette aversion, toujours virtuellement en puissance, dépend de l'ampleur du champ de la conscience.

Chez les Tutsi, le champ de la conscience est étroit, en sorte que les différences des personnalités sont considérées d'une manière beaucoup moins globale et ils sont moins aptes à s'assimiler à un ensemble d'ethnies hétérogènes (ce qui explique leur marginalisation du monde des Hutu après leur intégration). Ils ne matérialisent pas leur « anti-idéal du Moi » de façon également moins globale, en occurrence un vaste univers congolais au moins bien délimité, jugé « en province » et qualifié « des monts de la Lune »(538(*)). Depuis la guerre d'agression, cette région est presque sous contrôle de la République d'Ouganda.

Les citoyens congolais se distinguent en majorité (hormis leur aversion inter-linguistique) par une « syntonie » qui peut être le facteur qui les différencie le plus de la mentalité tutsie. La raison provient du fait que la majorité des citoyens congolais descend d'immigrants Bantu caractérisés surtout par un champ de conscience large (peu attachés aux petites conventions, indifférents aux souvenirs, disposés à tenter une aventure dans des conditions imprécises, etc.(539(*)).

Les Tutsi sont conventionnistes (analytiques) et introvertis, l'aversion se cache derrière une façade de fausse amitié chez les uns, ou d'une hypocrisie déférente chez les autres(540(*)).

Le cloisonnement psychosocial qui caractérise les Tutsi est une réaction propre à l'esprit des pasteurs, esprit analytique. C'est d'ailleurs la solitude qui fait d'un Tutsi un admirateur du roi le seul libre de vivant. C'est une valeur vivante mais difficile à y dégager des valeurs morales.

La tâche philosophique est celle de sortir d'une situation difficile. Elle l'est encore, quand il s'agit de dégager des valeurs morales d'un monument de civilisation aussi axé sur une valeur égocentrique, la royauté sacrée, que la poésie dynastique.

Les valeurs, si elles existent, doivent être formulées par référence à l'individualité royale, et ceci constitue un grand handicap à leur élaboration et développement, en raison du caractère anti-social de cette individualité affirmée dans des sens absolus. Une valeur morale est une valeur essentiellement sociale et par conséquent, s'il faut ériger en valeurs morales les diverses attributions de la royauté, il faut d'abord prouver le caractère social de l'institution royale visée par la poésie.

Le critère de cette preuve est facile à établir ; si l'institution royale constitue une étape nécessaire dans l'évolution d'une société humaine, si elle en assure la cohésion et la promotion pendant une période où cette société est incapable de se maintenir sans le secours de cette formule politique, il est évident que les principes qui donnent à l'institution royale sa physionomie sont des principes sociaux.

Mutuza, pour sa part, déclare que « les valeurs positives de la civilisation manquent presque totalement dans la fonction royale. Ce sont les valeurs qui dominent- lesquelles ?, et c'est sur ces valeurs que se construit l'existence et la survivance de la tribu »(541(*)). Il veut dire ceci dans cette phrase: l'institution émane des besoins sociaux et est appelée à servir le groupe social comme tel. Mais si l'institution perd ce caractère fonctionnel, si elle commence à exister en soi et pour soi, si elle est érigée en valeur centrale et exclusive par rapport à laquelle le groupe social assume le rôle d'un complément et d'un instrument, et par conséquent d'une catégorie inférieure, il est impossible de dire que les valeurs attachées à l'institution sont des valeurs sociales.

Les valeurs varient selon les personnes et les communautés humaines, et sont évolutives dans le temps : la notion de valeur est relative. Pour une personne ou pour une communauté, l'échelle des valeurs peut être rapportée à une échelle des « biens » : il y a pluralité des valeurs comme des Biens.

Il est certain que l'institution monarchique négro-chamitique a joué un rôle éminemment social dans le procès d'unification des nombreuses unités tribales quasi autonomes à l'origine et dont la survivance et la sécurité étaient problématiques dans un monde d'incompréhension et d'inimitié réciproques ; mais aussi, d'autre part, il n'est pas difficile de démontrer que cette institution a survécu son rôle social à plusieurs égards.

C'est là une constatation qui ressort de l'étude de la poésie dynastique, où le peuple, en tant que valeur sociale essentielle, est relégué à un plan tout à fait négligeable et secondaire. Nous nous souvenons à cet égard que plus d'importance est accordée au bétail bovin qu'au peuple même.

On comprend pourquoi les valeurs morales sont implicites dans l'organisation sociale coutumière du pays, organisation qui ne saurait subsister et survivre sans être étayée de valeurs morales. Et Papadopoulos pense que « nous n'obtenons que des lueurs sur les principes moraux à la base de l'organisation sociale ruandaise dans la poésie dynastique »(542(*)).

Voici l'innovation : l'étude de cette poésie, du point de vue philosophique, est d'ailleurs chose rare, souvent même inconcevable. La critique philologique et littéraire ayant accaparé pratiquement toute juridiction dans ce domaine, en affectant le poids du traitement aux aspects linguistique et esthétique, une recherche de ce genre parait suspecte pour les, homines unius libri les monodisciplinaristes.

Cette manière d'aborder l'étude des monuments littéraires peut porter préjudice à la valeur intrinsèque des uns par rapport aux autres, d'autant plus que la valeur anthropologico-philosophique d'un monument ne concorde pas nécessairement avec sa valeur littéraire ou esthétique.

§2. Valeurs morales et Kanyarwanda

Plus que d'autres chercheurs, Paul Serufuri Hakiza a démontré une incohérence dans la dénomination de Kihutu en Kinyarwanda. Professeur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, il a publié un article qui nous semble parleur.

La grande question qui se pose est celle de savoir  pourquoi « il y a une discordance entre leur ethnonyme et le glossonyme qu'on leur attribue. Nous constatons, en effet, que dans le monde entier il y a normalement concordance entre l'ethnonyme et le glossonyme »(543(*)). Il y a une triode d'ethnonyme : Bahutu-Banyarwanda-Banyabwishi. Mais les Bahutu du Nord-Kivu appelaient leur langue le kihutu ; cependant pour d'autres raisons le kihutu est appelé tantôt kinyarwanda, tantôt kinyabwisha. Les documents coloniaux rapportent que les Tutsi parlent la langue de Bantu. Or les Bantu dont il est question sont les Bahutu, donc le kihutu est cette langue dont se servent ceux qui habitent le Rwanda et qui sont mythiquement appelés Banyarwanda. Gaston Van Bulck, un des grands en linguistique africaine, identifie cette langue utilisée par les Bahutu sous l'appellation kihutu « et l'a classée en 1948 parmi les langues des « Bantous du Nord-Est » du Congo belge »(544(*)).

Dans leur mythe, les Tutsi ont mis en évidence Kanyarwanda, ancêtre fictif des Banyarwanda imaginaires. D'une société atomisée et triadique (Hutu, Tutsi, Twa), un royaume a été constitué. Ce royaume a imposé, dit Serufuri, un nom à l'ensemble des ethnies d'origine différente. Ce nom Banyarwanda était censé constituer une ethnie naturelle basée sur une filiation commune (descendants de Kanyarwanda, fils de Gihanga.), des liens du sol (le Rwanda) et du pouvoir (Tuli ab'umwami : nous sommes les sujets du mwami). La langue de Bahutu, qui selon de nombreux témoignages s'est imposée à tout le Rwanda, a également servi à renforcer cette idéologie en devenant tout naturellement le Kinyarwanda, un facteur d'homogénéisation linguistique. De la sorte, le tour était joué et ethnonyme et glossonyme correspondaient545(*).

Dans le cadre de la poésie dynastique, il s'agit de l'expérience de la communauté à l'intérieur du groupe. Tout groupe social est une communauté en puissance et dans sa réalité. C'est ce qu'on peut appeler esprit du groupe qui s'exprime dans ses proclamations, ses lois et ses institutions, dans ses symboles et ses mythes, dans ses formes éthiques et culturelles et finalement dans sa langue. Il est normalement représenté par les classes dirigeantes qui ne peuvent communiquer que par cette langue.

Ce fait est peut-être le fondement le plus solide de leur pouvoir. Chaque membre du groupe voit dans le roi l'incarnation des idéaux qu'il affirme, lorsqu'il affirme le groupe auquel il appartient. Il n'y a pas possibilité de créer une en conséquence les possibilités d'une liberté d'action. Le poème dynastique est un poème de passivité. La vie individuelle d'un simple sujet ruandais est inconcevable pour qu'elle fasse sujet du poème comme il est le cas dans les Récits Epiques des Lega du Zaïre(546(*)). Les lueurs des principes moraux à la base de l'organisation sociale ruandaise dans les poèmes dynastiques sont ceux que nous rencontrons dans le poème 90, intitulé « Se reproduire en ses enfants », où le principe social élémentaire est la conservation de la cellule familiale :

« Se reproduire en ses enfants réjouit les parents,

Ô vous qui acclamez l'allégresse ! »

(P. 90, p. 63)

La reproduction en tant que valeur sociale est réaffirmée avec emphase et démontre l'attention que l'on doit à la pureté de la race et à la robustesse de la lignée :

« Vous autres descendance de Gisanura,

Vos épouses n'enfantent jamais des dégénérés.

Vous avez fondé des familles et cela vous réussi !

Vous avez bourgeonné des bras qui vous ont rassasié de lait »

(P. 90, p. 64)

Mais des valeurs morales du poème sont vraiment exposées à un relativisme extrêmement étroit. A titre d'exemple, la vengeance constitue une valeur morale dont les membres de la tribu sont à tel point imprégnés, qu'elle contribue à développer la notion de devoir individuel et sociale :

« Tu étais au courant de ce crime-là !

Aussi tranchas-tu le procès,

En déclarant qu'il est d'usage de venger la mort des siens ! »

(P. 174, p. 124)

La religion ne joue aucun rôle marqué dans la conduite humaine. La morale du peuple relève directement de la constitution sociale de la tribu. Aucune trace d'influence des grandes religions historiques des peuples couverts par la poésie dynastique. L'hypothèse selon laquelle les Tutsi sont arrivés au Ruanda à partir du Xème siècle pose problème. Kagame qui nous rapporte le poème donne une introduction du christianisme dans le Ruanda et fait refléter sur la poésie dynastique de l'époque dont nous possédons des spécimens. Or, dans cette faible insinuation du christianisme dans le paganisme, ce n'est pas l'élément moral qui s'affirme, c'est un catéchisme missionnaire qui se greffe sur l'arbre coutumier :

« Heureux est le sein qui t'a allaité,

Ainsi que celui qui a allaité Jésus-Christ »(547(*)).

(P. 172, p. 109)

Et chez les Lega leurs voisins, on considère la fécondité comme une valeur divine. N'Sanda raconte : «Un bébé peut mourir, mais si le porte-bébé n'a pas brûlé, c'est que nous en aurons un autre. J'ai encore ma chère femme, ma Nyakubia, ma femme préférée, est encore en vie : j'aurai un autre enfant" » (Récits, tome 1, p. 73).

« Heureuse la jeunesse de ce règne,

Qui a grandi avec Dieu,

Recevant les Sacrements ! »

(P. 172, p. 109)

Cette influence faible et superficielle du christianisme n'empêche pas que la notion d'une vertu éminemment chrétienne comme celle de la miséricorde ne se trouve dans le monde moral du poète ruandais exempt de toute influence non-coutumière. Ainsi l'auteur du poème 90, écrit pendant le règne de Mutara II Rwogera (vers 1825), a une notion claire de cette vertu, bien qu'il attribue au roi, sans en définir la portée comme vertu humaine et sociale.

Connaissant le roi et son appartenance sous les chaînes d'or cyclique de l'octave, nous pouvons affirmer que la civilisation chamitique des Tutsi a une morale relative. Cette pénurie d'élaboration d'idées morales marche de paire avec une pénurie des valeurs intellectuelles. En réalité le même procès mental détermine les deux catégories de valeurs de sorte que le développement de l'une d'elles ne va pas sans celui de l'autre. La suite du poème montre une pentatonique dont les thèmes concentriques forment l'ordre exponentiel. Mais toute valeur morale doit être susceptible d'imitation. C'est pourquoi nous abordons le problème des lois de l'imitation.

§ 3. Lois de l'imitation et l'harmonie des cinq tambours comme valeur de l'identité de Banyarwanda

« Les termes Banyarwanda et Kinyarwanda sont devenus, particulièrement depuis 1962, des termes fourre-tout, des nids de confusion et des refuges commodes pour certaines personnes soucieuses de camoufler leur vraie identité en vue d'obtenir des facilités politiques en RDC »(548(*)).

Le « Banyarwanda » est un terme qui renferme l'idée d'une commutativité fonctionnelle des trois groupes ethniques vivant le Rwanda : Twa-Hutu-Tutsi qui, du reste, se sont livrés à des guerres sanglantes jusqu'à l'unification en un seul Rwanda.

Serufuri nous apprend que « pour réduire les distinctions ethniques considérées comme des facteurs de désintégration politique, la monarchie tutsie a trouvé dans le vocable Banyarwanda un facteur d'unité symbolique et d'intégration totale. La conceptualisation tutsi du peuple rwandais a conduit à une falsification répétitive qui consiste à faire croire que les Rwandais forment un tout homogène. Pour consolider cette polarisation, la monarchie tutsi est allée jusqu'à forger des légendes étiologique ou des mythes d'origine dont la première fonction était de montrer que les Bahutu, les Batutsi et, les Batwa forment une grande famille des frères qui auraient pour ancêtre éponyme un personnage nommé Kanyarwanda, dont le Rwanda et les Banyarwanda auraient hérité le nom »(549(*)).

Ce qui étonne Mutuza en se demandant pourquoi ce mythe est plein de contradictions quand bien même les Tutsi se considèrent comme Banyarwanda, ils ne manquent pas du tout de se dire une race différente que les autres sont sensés imiter parce qu'élus et race de dieu !

Dans un ouvrage très célèbre, Tarde a analysé les différentes formes de l'imitation « qui est le processus psychologique essentiel dont découle la répétition »(550(*)). Il distingue, par exemple, « l'imitation-tradition » (qui se transmet d'une génération à l'autre), puis « l'imitation-mode » et « l'imitation-coutume » (qui s'impose entre contemporains).

Pour qu'il y ait spécificité dans la propagation d'une attitude ou d'une opinion, « il faut naturellement que tous les imitateurs aient choisi le même point de repère, c'est-à-dire le même exemple à imiter qui leur servira de `dénominateur commun(551(*)). Si on observe bien ce concept d'une sociologie basée sur l'imitation, on resterait dans la spéculation, comme chez Mutuza, si on ne le complète pas par la fonction corrélative : la tendance à ressortir les innovations ou les inventions.

L'analyse des poèmes dynastiques le montre bien clairement qu'une société sans initiateurs reste à l'état statique, état incompatible avec les changements inévitables du milieu ambiant. Ce sont, les inventions qui les diffusent (que ce soit sur des faits ou des idées isolées, ou que ce soit sur des ensembles de manifestations diverses). Les poèmes dynastiques donnent une idée de croyance, et toute idée ou croyance nouvelle, donne naissance à une vague d'imitation, mais il faudrait ajouter, selon les auteurs organicistes (Spencer), que « l'homme fait spontanément ou consciemment un triage dans les faits qui lui semble bons ou mauvais à imiter ». L'imitation n'est point aveugle et l'innovateur ne sera sans doute entendu que si son invention répond en réalité à des besoins virtuellement présents dans le préconscient individuel. Il existe cinq tambours dans les poèmes qui, de ce fait, font qu'il existe un phénomène social incontestable : la force de l'imitation varie proportionnellement au pourcentage des sujets qui ont déjà adopté le genre à imiter. Cette diffusion s'opère donc en « progression géométrique ». Comme une goutte d'huile sur un buvard qui s'étend d'abord lentement à son point de chute puis envahit tout le papier avec une vitesse croissante d'étalement, le module imitable semble d'abord pénétrer prudemment au sein d'un noyau de premiers adeptes. Le premier tambour sonnant, puis le second, ensuite le troisième, puis encore le quatrième, et en fin le cinquième en vue de justifier la présence royale dans le kraal, l'unique Ruanda. Leurs sons font le stade critique d'abandon ou de survie, le plus vulnérable, où seul un contradicteur peut également, par le même processus de tendances imitatives, ramener les pionniers à ses vues. C'est le cas de la révolution ruandaise qualifiée de génocide.

Cette idée révolutionnaire sortait d'ailleurs du « petit groupe ». Et comme telle, elle s'est épanouie comme une véritable explosion. D'un départ basé sur la curiosité individuelle, puis à travers un processus de suggestion de proche en proche, le phénomène atteint toute son ampleur à partir du moment où l'imitation intéresse la « psychologie des foules », c'est-à-dire le stade où le mécanisme devient de plus en plus irréfléchi, inconscient, voire animal. Le mouvement n'est plus contrôlable. Seule la complexité de différentes vagues superposées d'intérêts imitables oblige les groupes à des compromis et des ajustements constants, déterminant un degré de relativité aux cohésions collectives.

Ces engouements foudroyants, ces modes qui révolutionnent en quelques jours la mentalité de tout un pays, que le dernier des réfractaires finira par adopter de crainte d'être lynché, nous en avons de multiples exemples dans toutes les manifestations mystiques, politiques, artistiques ou simplement de modes et de distractions qui forment la trame de l'histoire. Avec quelques années de recul, certains de ces engouements, usages et modes paraissent ridicules. L'histoire n'existerait pas, il n'y aurait aucune définition de société, sans l'acte imitatif indéfiniment répété. Ridicules sont aussi les cinq tambours royaux. Mais leur explication reste une suite imitative dont la politique des Tutsi se laisse guider par ordre identifié par les tambours dont les sons sont exponentiels aux attributs royaux.

Section 3. Pentatonique des poèmes et la politique de l'appartenance dans l'ordre exponentiel

§ 1. Ordre exponentiel des tambours royaux et caractère différentiel dans les poèmes dynastiques

On sait que le mythe kinyarwanda est exponentiel. Il est intéressant de constater que le pentatonique des poèmes révèle l'idée d'une identité des peuples atomisés sous les sons des tambours royaux. Cela ne nous étonne pas parce que la politique d'appartenance est une union forcée chez les Banyarwanda. Il n'y a rien de véritablement socialiste dans une telle organisation aux monades de natures et espèces différentes. Cependant les cinq tambours avec leurs battements actionnent l'expansion mythique du héros divin qu'est le roi.

Mais lorsqu'on étudie la structure de l'empire véritablement socialiste des Incas et le degré de complication et de raffinement auquel était parvenue cette société de quelque douze millions de « proto-mongols » Sud-américains, on réalise tout le sens et la force civilisatrice du phénomène « idéologie ». Mais en ce qui concerne cette société, « l'idéologue » qui en fut à l'origine reste inconnu. Ce qui n'est pas le cas chez les Hima-Tutsi dont le mythe n'est pas une idéologie au sens restreint du terme.

L'Ancien monde, au contraire, a conservé le souvenir de tous les idéologues qui furent, directement ou indirectement, à la source de civilisations. Une idéologie ne peut être une création inconsciente, basée sur le seul processus collectif de l' « instinct de sympathie », mais elle est généralement la création consciente d'un seul « maître » qui synthétise les besoins, souvent inconscients, de la collectivité. C'est là que vient l'ordre exponentiel que ce maître produit en traduisant ces besoins qu'il a assimilés afin de les induire, cette fois consciemment, au sein de cette société.

On entend alors par ordre exponentiel l'acte numérique qui possède un exposant variable ou inconnu et dont le phénomène est constant et rapide dans sa progression. Cela se passe dans l'esprit du maître et celui-ci cherche voies et moyens pour le rendre effectif et concret.

Par quelle transformation passe-t-on du tracé de la fonction logarithme à celui de la fonction exponentielle ? Cette question nous ouvre la voie du savoir entropologique. La progression dans l'acte communicatif de tambours vibre les oreilles de ceux qui appartiennent à une même communauté de discours. C'est d'ailleurs l'analyse fonctionnelle que l'on rencontre chez Mutuza. Il dit : « Il faut le redire, considérées dans leur ensemble, les dix leçons du Programme de l'idéologie politique de l'AFDL est un amalgame des concepts, des propositions et des jugements juxtaposés les uns à côté des autres, sans aucun raisonnement renforcé, par une argumentation solide ne vienne les coordonner logiquement, de manière à leur faire dégager un corps d'idées clairement structurées et définies, susceptible d'influencer la pensée et le comportement des membres de la communauté nationale, c'est-à-dire, une idéologie inspiratrice et justificatrice de l'agir social nouveau »(552(*)). Ce que la structure afdelienne est une fonction mal organisée et dont les relations sont asymétriques.

Ce n'est pas seulement là que Mutuza devait arriver. Il pense que les représentations graphiques des fonctions exponentielles et logarithme népérien sont, dans le repère orthonormé, symétriques par rapport à la droite d'équation y = x. En effet, tout point M(x ; lnx) de la courbe d'équation y = lnx a pour symétrique le point M' (lnx ; x). Comme elnx = x, M' est un point de la représentation graphique de la fonction exponentielle. C'est là l'AFDL de Mzee LD Kabila. Et Mutuza poursuit en disant que « cette analyse et reconstruction des idées qui ressemble à l'analyse chimique, qui va au-delà de ce qui apparaît, nous a révélé que l'AFDL véhicule une idéologie manichéiste, soutenue par une logique génocidaire, qui puise sa source dans le Mythe hima-tutsi. Un mythe raciste, hégémoniste et expansionniste, d'où se dégage une vision manichéiste de l'homme et de la société génocidaire »(553(*)). Et cette graphique peut être donnée pour illustrée la pensée de Mutuza à ce sujet.

En particulier, le point (e ; 1) sur la courbe de la fonction logarithme a pour symétrique le point (1 ; e) sur la courbe de la fonction exponentielle. De cette symétrie découlent toutes les propriétés de la fonction exponentielle(554(*)). On retiendra deux valeurs remarquables : e0 = 1 et e1 = e.

Dans le fonctionnement de la société hima-tutsi on a a-logarithme et asymétrie.

La fonction ex est définie sur , strictement croissante et strictement positive (son tracé est toujours au-dessus de l'axe des abscisses). C'est la caractéristique des Hutu qui connaissent mieux leurs limites.

Quelles sont les limites à connaître dans le contexte géométrique et non analytique?

Au voisinage de -  : c'est le propre de nomades. Ils s'en vont sans jamais penser au retour. L'acte imitatif pose alors de problème du fait de la difficulté d'innovation(555(*)). L'axe des ordonnées est asymptote verticale pour la courbe de ln x au voisinage de 0. Par la symétrie axiale(556(*)), l'axe des abscisses devient une asymptote horizontale pour la courbe de ex au voisinage de - . Au voisinage de +  : S'ils pensent au retour, ils ne s'imaginent jamais de la stabilité des autres qui les remplacent de leurs lieux d'errance. Cette limite se déduit de par symétrie. Au voisinage de +  : nous voyons le dillemme du sédentarisme chez les nomades. Ils acquiernt d'autres techniques qui compliquent leur système politique et les conduisent fatalement à la barbarie.

On vérifie graphiquement que l'exponentielle s'élève vers l'infini, infiniment plus vite que la droite d'équation y = x. Quelles sont la dérivée et les primitives de la fonction exponentielle ?

On sait que y = ex équivaut à ln y = x. En dérivant y par rapport à x, on obtient : , soit : y' = y. Donc : (ex)' = ex. Plus généralement, si f est la composée d'une fonction u suivie de la fonction exponentielle, alors : f(x) = eu(x). De la formule de la dérivée d'une fonction composée, on déduit : f'(x) = eu(x) × u'(x) Soit (eu)' = eu × u'. Réciproquement, la fonction a pour famille des primitives. Une fonction de la forme a pour famille de primitives. Comment transformer l'écriture d'une exponentielle qu'on observe dans l'analyse des communautés du mythe hima-tutsi?

Pour deux exposants réels a et b, les propriétés sont les mêmes que pour l'élévation à une puissance entière. En particulier, l'exponentielle de la somme est égale au produit des exponentielles de ses termes : . De même, l'exponentielle de la différence est égale au quotient des exponentielles de ses termes : Pour élever une exponentielle à une puissance entière, on multiplie les exposants : . Pour passer de l'écriture exponentielle à l'écriture sous forme de quotient, on peut appliquer la relation :

 À retenir

Les représentations graphiques de la fonction exponentielle de base e et de la fonction logarithme népérien sont symétriques par rapport à la droite d'équation y = x. La fonction est strictement croissante et strictement positive sur .  ;  l'axe des abscisses est donc une asymptote horizontale pour la courbe d'équation . La fonction est égale à sa propre dérivée557(*).

L'exponentielle de la somme est égale au produit des exponentielles de ses termes. De même, l'exponentielle de la différence est égale au quotient des exponentielles de ses termes.

Les tambours royaux communiquent-ils la valeur morale de la vie ? C'est le sens de Ingoma des Bantu. Toutes les concentricités sont d'ordre secondaire et peuvent donner naissance à la confusion du manichéisme : « les bons et les méchants ne peuvent jamais cohabiter. Ils sont appelés inexorablement à s'affronter, à se détruire, à s'exterminer. Suivant cette conception le bien et le mal sont absolutisés, leur incarnation mêmement. L'autre est diabolisé, déshumanisé, animalisé, chosifié, instrumentalisé. Il est à éliminer sans scrupule s'il s'oppose à nos ambitions et prétentions politiques. Assassinats, empoisonnements, enlèvements, exterminations, génocides deviennent monnaie courante, simple fait de divers »(558(*)).

La communication prend son envol dans la multiplicité des intentions des interlocuteurs et la croissance d'une population peut être très rapide, par exemple lorsque l'on introduit quelques nouveaux dans un milieu favorable, doté en particulier de ressources abondantes. Telle fut la pensée de la croissance de la population hima-tutsie, d'autant plus qu'elle se croyait si eugénique qu'il n'y aurait pas d'espèces concurrentes dans le milieu. Le taux de croissance allait alors être constant. C'est la croissance dite « exponentielle », c'est-à-dire « nomades, les peuples pasteurs sont toujours minoritaires dans les pays qui les accueillent. Mais propriétaire du gros bétail qu'ils chérissent et dont il ne se nourrissent rarement ou presque pas du tout, selon qu'ils le considèrent comme un bien de prestige ou un bien sacré, ils se trouvent entourés de prestige auprès des peuples bantu agriculteurs. Prestige renforcé par l'exaltation des traits physiques qui les rapprochent de l'homme blanc, qui s'est présenté à l'homme noir comme modèle et prototype du beau, du bon et du vrai. Bien que cela ne soit pas vrai, l'imaginaire continue à croire au mythe » (559(*)).

Cependant, quand la limite des ressources disponibles est atteinte, l'effectif de la population s'effondre brusquement. Les animaux vont mourir de faim ou de maladies qui se propagent facilement à cause de la surpopulation.

La croissance exponentielle permet d'arriver très rapidement à des chiffres énormes. En fait, la croissance exponentielle est rare. La plupart du temps, le taux de croissance ne reste pas constant, mais, au contraire, diminue peu à peu lorsque la population augmente. Lorsque le taux de croissance est nul, ou très petit, l'effectif de la population devient stationnaire, ou bien ne subit plus que des variations très faibles.

Lorsqu'une population s'accroît d'abord rapidement, d'une façon à peu près exponentielle, puis de plus en plus lentement, jusqu'à ce que le taux de croissance se stabilise, on dit que la croissance (560(*)) est logistique. L'effectif limite atteint par la population devenue stationnaire correspond au nombre maximal d'individus d'une espèce que le milieu peut supporter sans être détruit. Cet effectif limite est la capacité limite du milieu, ou charge biotique maximale.

Le plus souvent, les populations subissent des variations d'abondance. L'amplitude de ces variations n'est pas constante, et leur cause est souvent mal connue. Les variations d'abondance peuvent être, par exemple, dues au climat.

Deux êtres vivants entrent en compétition lorsqu'ils se disputent une même ressource, qui par ailleurs se trouve en quantité insuffisante dans le milieu. La ressource qui est disputée peut être l'alimentation, un lieu de nidification, etc. Des oiseaux ou des rongeurs mangeurs de graines se disputent ces graines dans les régions où la production est faible. Les oiseaux qui font leur nid dans les arbres creux se disputent les cavités disponibles lorsque les arbres morts qui en sont pourvus sont rares.

La compétition peut se produire entre individus de la même espèce : c'est la compétition dite intra-spécifique. Elle peut aussi se produire entre individus d'espèces différentes : elle est dite interspécifique.

L'une des formes communes de compétition intra-spécifique est la défense d'un territoire, phénomène fréquent chez les oiseaux. L'oiseau qui s'est délimité un territoire dans lequel il construit son nid et se reproduit en chasse les autres individus de la même espèce et se réserve ainsi les ressources qui s'y trouvent. Le résultat en est une régulation du nombre d'oiseaux dans une région donnée, puisque beaucoup ne peuvent ni s'y installer, ni s'y reproduire.

Dans le cas de la compétition pour les ressources alimentaires, le manque de nourriture entraîne parfois la mort de certains individus. Le plus souvent cependant, il diminue la fécondité de ceux qui sont mal nourris. C'est un autre facteur de régulation des populations. Ainsi, on a montré que des oiseaux comme les mésanges pondent d'autant plus d'oeufs qu'il y a davantage d'insectes à consommer dans le bois où elles vivent.

La compétition peut également se manifester sous la forme d'agression directe entre individus de la même espèce ou d'espèces différentes. Ainsi, l'écureuil américain, qui a été introduit en Angleterre, en chasse progressivement l'écureuil indigène qu'il attaque directement.

Les premières études expérimentales de la compétition, qui ont été réalisées vers 1935, ont conduit à admettre que deux espèces ayant exactement les mêmes besoins ne pouvaient pas cohabiter. Si elles cohabitent, elles entrent en compétition pour les éléments indispensables à leur survie. L'espèce supérieure dans la compétition finit alors par éliminer l'espèce inférieure. Cette théorie, avancée à la suite des recherches du biologiste russe Gause, est appelée principe de Gause.

L'étude de la dynamique et de la génétique des populations permet de prédire l'évolution des populations, ou encore l'effet de la modification d'un élément sur la population dans son ensemble. Ces études sont en particulier nécessaires pour prévoir l'impact des interventions humaines (activités agricoles, lutte contre les prédateurs, etc.) sur l'environnement.

Les cinq tambours royaux tels que rapportés dans les poèmes dynastiques nous en donnent une idée claire. Mais avant d'aborder le problème du pentatonique, il est nécessaire de comprendre la position des philosophes de l'Antiquité sur la tendance de l'âme humaine qui détermine le mécanisme des désordres, des explosions et des conflits(561(*)).

§2. Pentatonique des poèmes dynastiques et mécanismes d'interaction du kihutu dénommé kinyarwanda

En analysant les tendances actives de l'âme humaine, Platon a trouvé trois facteurs fondamentaux de l'homme : le désir, le coeur et la raison. Platon ajoute que l'équilibre entre les tendances de ces trois vertus assure la stabilité, c'est-à-dire empêche le désordre, les explosions et les conflits(562(*)).

La société, poursuit Platon, prise comme une extension collective de l'âme humaine, devra être formée à son image, soit constituée par les trois castes superposées aux trois vertus : les artisans, les guerriers et les magistrats et les philosophes.

Là où notre Platon crée une difficulté s'annonce : une certaine proportion numérique entre ces castes devra toujours être strictement respectée, sinon des ruptures d'équilibres sociaux engendreront les perturbations. En insistant sur la « limitation quantitative de la population », Platon réalise l'importance des facteurs démographiques, une modification dans la densité et la masse de la population étant génératrice de positions et de structures nouvelles. Il étudia les mécanismes des cycles politiques successifs selon l'alternance d'un certain nombre de types psychologiques permanents qui rejoint presque la « théorie des tempéraments » d'Hippocrate. C'est juste ce qu'a fait Mutuza sans jamais se rendre compte en parlant de Ingoma sans y insister.

Nous retrouvons dans les poèmes l'idée rencontrée déjà plus haut et que nous avons à préciser maintenant : cette organisation des poèmes par le poète en vue de la restructuration de la royauté par le Ingoma, le tambour. Observons aussi que cette conception de la royauté s'éloigne de la conception originelle de mwami. Et les cinq tambours (la pentatonique) en sont une signification. En musique c'est la gamme qui est formé de cinq (ðåíôå) sons ou tons (ôïíéêüò) et l'on parle alors de l'échelle pentatonique.

Cela n'est pas innocent. Il y avait à la cour du Mwami (le ROI) toute une série de tambours royaux. Certains n'étaient jamais frappés : ils reposaient sur une litière et étaient portés en procession à l'occasion de cérémonies.

D'autres par contre étaient frappés à des occasions spéciales et pour des fins spécifiques, par exemple pour saluer le jour, annoncer un combat, notifier une victoire, marquer les saisons et leurs activités propres, communiquer les idées du roi et préparer la peau d'un roi vaincu pour la fabrication d'un nouveau tambour.

Dans les poèmes dynastique la pentatonique est l'ensemble de ces cinq tambours dont le Kiringa, l'Emblème, le Kiragutse, le Tambour Souverain et le Rukurura forment les cinq sons.

Les différentes gammes de ces cinq tambours présents ici se distinguent par l'agencement des tons et demi-tons qui remplissent une fonction et une signification rituelles, dont les secrets n'étaient connus que du roi et des ritualistes, les confidents du roi.

A en croire ce proverbe : « Akari mu nda y'ingoma Kamenywa n'umwiru na nyirayo », on peut dire que le fin fond de la personne n'est connu que d'elle-même et de son confident. La confidence est telle une gamme chromatique en musique.

La gamme chromatique est une succession de demi-tons, la gamme par tons, comme son nom l'indique, une succession de tons. La gamme mineure possède trois formes, reconnaissables par leurs trois derniers intervalles ; la gamme pentatonique résulte, quant à elle, de la réduction d'une succession de quintes (do, sol, ré, la, mi).

Puisque l'ethnomusicologie part du principe qu'un style musical est indissolublement lié à la société qui le produit, des tentatives ont été faites pour trouver, entre les deux, des parallèles clairs. Alan Lomax, un des premiers musicologues à avoir étudié et recueilli la musique de l'Amérique profonde et des Noirs, formula dans les années 1960 une théorie sur la corrélation entre les types sociaux et les types musicaux : la « cantométrique » (mesure du chant). L'étendue du champ d'application de cette théorie, la relative modestie de l'échantillonnage étudié et les nombreuses exceptions que lui opposèrent d'autres chercheurs lui ont valu de sévères critiques, mais cette démarche n'est pas sans valeur.

Comme beaucoup de sciences humaines, l'ethnomusicologie a toujours dû faire la part entre la nécessité d'étudier des traditions musicales particulières dans leur contexte culturel et la recherche d'universaux dans la musique.

D'une part, ce que l'ethnomusicologie considère comme de la musique est parfois considéré très différemment dans la culture concernée (ainsi, l'appel lancé par l'imam avant la prière des musulmans, dont la mélodie est riche, n'est pas considéré comme de la musique dans les pays musulmans) ; d'autre part, certains modes musicaux semblent universels : les structures tonales et rythmiques, le principe de répétition, la reconnaissance très répandue des octaves, et souvent de la quinte, comme intervalles fondamentaux et l'existence de gammes pentatoniques de l'Écosse à la Chine jusqu'aux Andes en sont quelques exemples.

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Schéma de K. R. Popper

La raison fondamentale du pentatonique tient lieu de la musicalité poétique dont l'absence de liberté individuelle du poète ouvre les lueurs d'une indépendance larvée. C'est ainsi que chaque vers constitue une note. Et ces vers ont la même hauteur de son musical correspondant à une équivalence de fréquence et à un intervalle nul. Les différents vers du poème sont dits à l'unisson :

« Il fut en butte à une opposition inouïe

Mais ses victoires furent sans nombre

Il fit trembler les adversaires

Et rassembla bien des pays en un seul,

Les fusionnant en son unique Ruanda »

(P. 171, p. 102)

Dans cette perspective ce n'est pas de l'harmonie que nait l'ordre, mais plutôt du désordre que nait l'harmonie. Ainsi le principe philosophique selon lequel à chaque plaisir s'accompagne des douleurs trouve son point d'appui dans les poèmes.

Ce saut parait quelque peu dangereux pour l'appréciation de cette poésie en tant que monument littéraire, nous n'insistons pas, c'est à la critique littéraire et esthétique qu'il faut s'en référer. Comme nous sommes dans le champ philosophique, nous nous bornons ici à l'examen mathématique possible dénoté dans les poèmes mêmes.

Or la seule valeur que nous puissions considérée comme telle une valeur symbolique inextricablement liée à l'institution royale dont elle est en même temps l'apanage et confirmation; ce sont les tambours sacrés, symbole et confirmation de la royauté, hérités de règne en règne et perpétuant la validité métaphysique et temporelle de l'institution royale. Mais quelle est la signification et la portée des tambours, sacrés au même titre que la royauté, les poèmes dynastiques nous en donnent une idée suffisante.

Papadopoulos rapporte la qualité du roi comme héritier du tambour qu'un des plus anciens des poèmes conservés donne (P. 42, p. 51) et dans un autre poème il est dit que les tambours lui sont consacrés (P. 65, p.53). Celui qui est destiné à la fonction royale est en même temps destiné aux Tambours (P. 90, p. 69). L'investissement de la fonction royale, sanctionnée dès la création par Dieu, se fait sous des tambours:

« Le Dieu qui a multiplié les vaches

A commencé par créer les Rois ;

Après les avoir investis sous le signe des Tambours,

Il leur prodigua les bénédictions »

(P. 123, pp. 78-79)

Ces mêmes tambours possèdent des propriétés métaphysiques puisqu'ils ont la vertu de pouvoir communiquer avec Dieu :

« Ne pourriez-vous pas me préserver de ce précipice,

Ô toi le Dieu qui te réveilles au son des tambours ? »

(P. 90, p. 76)

Le roi qui s'élève parmi les ovations des tambours doit des sacrifices car leur possession entraîne des obligations lourdes:

« Qu'il commence le Prévoyant, qui sacrifia sa personne ;

Vis-à-vis duquel les Tambours furent trop exigeants. »

(P. 90, p. 69)

Si l'on s'en tient à la division du travail chez les Tutsi, la danse est-elle possible ? Et connaissant que le roi est le seul à qui les sons des tambours sont dus, peut-on un seul instant penser au loisir ? Ce problème n'avait pas été posé par Mutuza. Or il est un point très important pour la connaissance de l'appartenance. Cela étant, la royauté, telle que l'auteur de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi nous la présente nous permet de comprendre la valeur de Ingoma.

La splendeur royale est identifiée à celle des tambours. Et le poète chante ses antonins :

« Pareil à la Splendeur des Tambours, fils du Bien-aimé »

(P. 170, p. 94)

Le peuple ne possédant rien, seul le roi est possesseur, les tambours qu'il possède possèdent une vraie personnalité mystique jouant un rôle significatif dans la carrière des rois:

« Ce Tambour du Héros foudroyant

T'a reçu comme héritier et t'a accepté irrévocablement »

(P. 170, p. 98)

C'est ainsi que ce peuple voué à la course de derrière la vache, ne peut trouver de temps pour se divertir. Dans ce contexte, il est très difficile de découvrir dans la notion intellectuelle formée par les tambours royaux une signification musicale sociale. Il faut maintenant que nous y voyons une consécration symbolique de l'institution royale. Cette dernière étant par position égocentrique, une valeur aussi étroitement liée à cette position cesse d'obtenir cours comme valeur sociale, du moins sa signification sociale n'est pas apparente à moins d'interprétation forcée.

En attendant, les tambours existent uniquement par rapport à la royauté, et la royauté est signifiée et soutenue par les tambours. La relation et l'action de part et d'autre sont réciproques :

« Le Karinga te félicitent ainsi qu'un autre Tambour-Emblèmes,

Et le kiragutse de Kigeli.

Avec l'autre Tambour Souverain de ta Maison ;

Les Tambours sont devenus l'apanage de ta famille.

Tu les as défendus, tandis qu'ils te choisissaient déjà:

Tu t'es comporté en leur souverain.

Tu fus également leur héros ; tu es irréprochable ;

Je jure qu'aucun étranger ne te surpassera. »

(P. 173, p. 117)

Nous avons ici les différents noms des tambours : le Kiringa, l'Emblème, le Kiragutse, et le Tambour Souverain. Dans le poème 71, nous avons le Rukurura, Tambour dynastique par lequel le roi est investi de ses fonctions. Dans les actes les plus délicats où la royauté est engagée les bovidés interviennent comme moyen d'exécution :

« Mais encore, puisque tu as déjà désespéré d'avoir un héritier,

Le mieux serait qu'en hommage tu livres tes bovidés,

Afin que Rukurura ne te soit arraché des mains ! »

(P. 71, p. 59)

Chacun des ces tambours jouent en l'honneur du roi et selon les circonstances. Là haut, sur des montagnes, comme un oiseau qui plane, les Tutsi prêtent oreilles aux différents sons de ces différents tambours pour savoir ce qui arrive au roi.

L'entropie arrive quand il y a invasion. Tous les tambours battent et le roi se doit de les protéger.

De cette pentatonique il est bien clair que le Tutsi qui ne se sert que rarement ou plutôt pas du tout de ses vaches comme nourriture ne peut que difficilement en utiliser la peau pour la fabrication des tambours. Dans le poème 170, la peau humaine, surtout celle des rois étrangers vaincus, sert à l'ornement des tambours et le Karinga pour lequel le roi lutta et imposa le deuil aux pays voisins est fait de cette peau:

« C'est ainsi qu'il arriva dans le Buzi et le bouleversa.

Il n'y laissa pas même un bébé !

Il se réjouit du fait que le roitelet de cette région

Fut fait ornement du grand Tambour, héritage de Ndahiro. »

(P. 170, p. 94)

Nous pouvons d'ailleurs noter que le tambour royal (ingoma) est au coeur de la musique traditionnelle de l'ethnie hutu. Symbole de puissance, le ingoma - qui signifie aussi royaume - était habituellement réservé à la cour du roi. La tradition de percussion est transmise de père en fils, et les joueurs de tambour sont profondément respectés. Dans un enregistrement, on peut entendre un grand ensemble de tambours dominés par le ingoma. Après une série d'appels du leader, le groupe joue jusqu'à ce que chaque instrument ait exécuté un solo. Les interjections vocales sont dirigées vers une personnalité de l'assistance.

Les musiciens professionnels, que l'on appelle des griots dans l'Afrique occidentale francophone, furent également les historiens des royaumes africains qui se développèrent entre le Xe et le XXe siècle. Ils rapsodient les généalogies.

Quand les troupes gouvernementales ougandaises envahirent le palais du kabaka (roi) des Bagandas, elles détruisirent en premier lieu les instruments de musique royaux. Dans ses mémoires, le Kabaka décrivit les tambours royaux comme le « coeur » de son royaume.

Et d'ailleurs, la composition du plus antique ouvrage en prose sur l'Univers et les origines de la vie, qui constitue la majeure contribution d'Anaximandre, lui vaut d'être parfois appelé le père de la cosmologie. Il conçoit l'Univers comme un système de cylindres concentriques dont le plus extérieur contient le Soleil, celui du centre la Lune et le plus intérieur les étoiles. En forme de tambour, la Terre flotte au centre de ces cylindres sans être soutenue. Selon Anaximandre, l'Univers tire son origine de la séparation des contraires de la matière primordiale. Ainsi, le chaud se déplace vers le haut, se séparant du froid, et ensuite le sec se sépare de l'humide. Il soutient également que toute chose qui meurt retourne à l'élément dont elle est issue. C'est l'ensemble de ces éléments qui forme la pentatonique. Les éléments cosmologiques reviennent au même. Et les mêmes dans le même ils demeurent et en lui-même reposent dans l'immuable ici, dit Parménide.

Cet examen de l'histoire de notre quinte des tambours démontre bien son importance anthropologique. Mais il se pose maintenant une question de méthode : comment le Karinga se distingue-t-il de ce qu'on appelle Rukurura ? Nous dirons que le Karinga est fondamentalement Razziaire en tant que tel. Le Rukurura est pour l'intronisation du roi, c'est-à-dire de ce qui est présent aux yeux du roi. On ne le bat pas souvent. Il est toujours descriptif, décrivant les structures qui doivent être présupposées dans toutes les rencontres avec la succession dynastique.

Or la royauté est étrangère au commun de mortel, le Tambour-Souverain porte la peau d'un roitelet pour justifier la suprématie de la lignée royale. C'est ainsi que l'Emblème abandonne les considérations de la razzia pour l'invocation de la pluie. Le Kiragutse ouvre la voie de la guerre tribale.

Il y a-t-il une méthode pour vérifier le jugement du roi ? Il n'y a certainement pas de méthode expérimentale, mais il y a une méthode d'expérience que le poète chante. C'est celle de la reconnaissance intelligente des structures sociales fondamentales, contenues dans la réalité que nous rencontrons y compris le processus de cette même rencontre.

La seule réponse d'ailleurs suffisante, que Mutuza a pu donner à cette question de la vérification, consiste dans un appel à une reconnaissance intelligente. C'est aussi ce que nous donnons pour la durée diatonique du poème et l'appartenance politique et juridique. Finalement, l'on ne peut pas répondre à la question de méthode avant d'avoir employé cette méthode avec succès ou non. La méthode et son contenu ne peuvent pas être séparés.

Les poèmes dynastiques ont deux temps. Et ces deux temps nourrissent le mécanisme de la communication, fruit d'appartenance politique. La durée est diatonique du fait que le kihutu est appelé kinyarwanda et Kanyarwanda devient Hermès, dieu des marchands et des voleurs immigrants tutsis.

Section 4. Durée diatonique des poèmes et appartenance politique et juridique

§1 Communication dans les poèmes dynastiques et le kihutu appelé kinyarwanda

En montrant et démontrant la faiblesse de la victoire de l'AFDL par l'image de Hannibal, Mutuza ouvre la voie d'une idée de concertation. Mais la concertation pour quoi faire ? La réponse est claire : pour la communication.

Nous entendons par communication le contact direct ou indirect entre membres d'une société, on peut aussi dire que c'est le passage obligé entre deux entités culturelles. Chez les Tutsi ce rôle est symbolisé par les tambours. Mutuza n'a pas tenu compte de l'importance des tambours dans la communication chez les Tutsi c'est pourquoi son analyse reste sans voix en face du monde philosophique bien marqué par l'esprit de la philosophie analytique. Si le pentatonique ressort très peu dans les études de la connaissance de tambours tutsis, elle joue par contre un rôle éminent dans la communication. Comme l'a bien remarqué C. M. Overdulve. Une dialectique communicative563(*) est représentée par la dualité et la duplicité dans le langage chez les Tutsi chez qui la méfiance et le mensonge sont la règle d'or. La caractéristique d'un mode de sept tons conjoints, compris dans l'octave, qui comporte deux demi-tons joignant des degrés déterminés constitue les gammes diatoniques issues des modes majeur et mineur.

Dans les poèmes dynastiques nous sommes en face du même phénomène. Les éléments constitutifs des poèmes coïncident avec les thèmes d'une vie nomade. Ainsi, Roi (1), Dieu (2), Race (3), Archer 4, Vaches (5), Guerre (6), Pluie (7) font sept tons compris dans l'octave, c'est-à-dire le poème dont le thème central de la royauté vient se fixer à la hauteur huitième après le thème concentrique de pluie. Dans cette perspective, la durée diatonique est ce saut des thèmes concentriques et dont les thèmes subsidiaires sont liés au mode de vie basé sur la razzia. Les poèmes dynastiques datent du XIIIème au XIVème siècle de notre ère. Il y a eu possibilité des influences de la musique occidentale dans leurs compositions.

Il faut noter que l'essentiel du langage des tambours, comme de tout langage, réside donc dans la relation, presque au sens ensembliste du terme. L'on peut même aller jusqu'à dire : le langage est (uniquement) une relation. L'intérêt de cette affirmation est analogue à celui qu'il y a, en logique, à ne plus parler du sujet `contenant' un prédicat mais de deux termes en relation. Si aRb, la relation n'est plus le propre de a que de b, elle n' « appartient » pas plus à l'un qu'à l'autre. De la même façon, le discours entre deux instances énonciatrices (ou, disons, deux individus) n'est pas plus le fait exclusif de l'une que celui de l'autre : il constitue une relation qui, comme l'indique son nom, lie deux acteurs, et que l'on appellera l'interlocution(564(*)).

Mais que voudrions-nous dire par là ? Que les mots ne sont jamais strictement les miens, ni ceux de l'autre. C'est un fait que l'on pense bien connaître ; soulignons-le tout de même. Il y va de la simple possibilité de compréhension. Comment nous comprendrions-nous si le langage n'avait pas pour nous cette égale extériorité, autrement dit si nous n'étions pas « égaux face au langage » ? Si la parole était vraiment mon fait, pourquoi éprouverais-je ces difficultés à bien exprimer une pensée complexe ? D'où viendraient ces impressions si fréquentes d'insuffisance et d'inexactitude ? Comment serait-il même concevable que j'aie parfois besoin de « chercher mes mots » ? que j'aie d'autres fois la désagréable sensation de ne pas en trouver de bon ? Il est, malgré ce que l'on pourrait croire, plus difficile d'exprimer ses sentiments que d'expliquer une théorie « objective ; c'est qu'il y a inévitablement une fracture entre des sensations qui sont bien « à moi » et les mots qui ne peuvent pas l'être au même titre, sous peine d'être autant incommunicables. L'isolement monadique et radical est aussi un fait ; mais l'on aurait tort de voir là un constat pessimiste ruinant l'idée de communication. S'il y a bien une communication qui s'avère impossible, c'est celle des consciences - qui a prétendu qu'elle était ne serait-ce qu'envisageable ? On peut éventuellement attribuer à l'héritage ethnologique et philosophique une part de responsabilité dans cette entreprise, notamment si l'on songe au schéma de lutte des consciences hégéliens, qui découle directement d'une tentative de penser la communication des consciences, ou à toute la pensée existentialiste de Sartre.

Hegel de qui Mutuza emprunte cette pensée reste aussi sans voix à la critique que lui lance l'auteur de La problématique du Mythe Hima-Tutsi : « Grâce, d'autre part, à l'avènement des relations politiques à leur avantage, les Tutsi ont pu développer des idées et des jugements qu'ils appliquèrent avec succès à promouvoir les effets. Le développement d'un système mental en rapport avec la réalité produite par contact et le conflit ethnique n'est pas à exclure. Il est bien au contraire admis, mais comme survivance a posteriori »(565(*)). C'est là le rejet, par Mutuza, d'une communication des consciences.

Mais il ne fait de mystère pour personne qu'une communication des consciences est un idéal désespéré qui sera toujours déçu. Et il n'est rien de pire que ce genre de déception consécutive à un idéal trop fort - elle transforme, par exemple, des platoniciens dépités en sceptiques malheureux ou agressifs ; de la même manière, de ceux qui (souvent inconsciemment) rêvent d'une compréhension absolue, elle fera des relativistes qui pourront aller, armés de thèses comme celle de l'incommensurabilité, jusqu'à nier toute communication possible.

N'ayant pas fait mention de ingoma, Mutuza a compris la théorie de l'incommensurabilité. Il a évité de traiter des tambours royaux dans son analyse du mythe Hima-Tutsi. La théorie de l'incommensurabilité nie toute possibilité de compréhension. Mutuza nous met en garde contre la tentative de sortir de soi. Il est d'ailleurs vrai que sortir de soi est radicalement impossible, que l'on ne peut être quelqu'un d'autre, c'est-à-dire le comprendre au sens où l'on « adhérerait » à lui comme on « adhère » à soi. Le proverbe « Akari mu nda y'ingoma Kamenywa n'umwiru na nyirayo » est révélateur. Si vous ne connaissez pas le kinyarwanda, vous pouvez bien prêter oreille, vous n'entendez jamais penser que vous ; il règne, si l'on y fait attention, un silence mortel qui peut effrayer. La communication des consciences n'existe pas. Si vous voulez savoir ce que pense quelqu'un, vous avez peut d'autres moyens que le langage, quoi qu'en disent les mystiques ou partisans d'une pseudo-communication/communion qui ne font que prendre leurs souhaits et rêves (parfois beaux) pour des réalités.

Pour y parvenir avec précision, nous allons considérer la durée diatonique des poèmes dynastiques et l'analyse de l'identité royale pour comprendre l'appartenance politique.

§2. Durée diatonique dans les poèmes et identité dans la communication

La position de Platon sur les vertus de l'âme, si savante soit-elle, est à la fois idéaliste et parfaitement réaliste du fait qu'elle établit la corrélation entre le caractère de l'Etat et celui des individus. La prédominance de l'un de ces caractères à une certaine époque détermine l'orientation politique. Les gouvernements varient comme varient les coeurs des hommes et il doit y avoir autant d'espèces des uns que des autres. On ne peut être plus proche des conceptions de l'inter caractérologie moderne. C'est dans la compréhension du « temps » que la durée diatonique peut être bien analysée.

Bergson a bien différencié le « temps » objectif et matériellement mesurable de la « durée », cet aspect subjectif de l'appréciation de l'écoulement du temps. Cette appréciation dépend, selon nous de la résultante de deux systèmes binaires :

1. L'un d'eux est conditionné par le rythme des échanges neuro-chimiques, par la quantité de pulsions neurotoniques disponibles en temps donné, pour un circuit cérébral donné.

Un tel processus est considérablement plus intense chez un jeune enfant que chez un vieillard, d'où l'impression relative de lenteur de l'écoulement du temps vécu par les jeunes, par rapport à la sensation de la fuite des années qui surprend le vieillard.

Ce rythme métabolique et fonctionnel peut être artificiellement modifié par des psycholeptiques. Des stimulants (caféine, faible quantité d'alcool, etc.), augmentant la pression neurotoniques, donnent au sujet l'impression que « le temps est bien rempli », alors que des calmants, des analgésiques, qui ralentissent le rythme des pensées, font dire aux patients que « la journée s'est écoulée sans qu'ils sachent comment » ! L'arrêt complet des échanges neurotoniques, tel que cela se produit dans le sommeil profond et sans rêve, correspond à un arrêt total de la durée.

2. Le second système est lié au couple « plaisir-douleur », qui est la source la plus fondamentale et primitive de la conscience animale.

Dans les poèmes dynastiques la souffrance, le malaise, l'attente, la crainte, etc. augmentent le sentiment de la durée, alors que le bien-être, le plaisir, l'euphorie, la distraction, la passion, etc. raccourcissent le temps. Combinée avec les deux facteurs binaires : rythme neurotoniques et plaisir-douleur, on doit utiliser la durée de sons pour comprendre les gammes typiques de la musique émise par tambour.

Depuis le Moyen Âge occidental(566(*)), les gammes typiques de la musique occidentale sont des gammes diatoniques, correspondant aux touches blanches du piano. Ces gammes se composent d'une séquence répétée de demi-tons (entre les notes blanches, mi-fa et si-do) et de tons (entre tous les autres tons adjacents) ; elles comptent sept notes par octave (la huitième note de cette série étant la répétition de la première note à l'octave supérieure).

Les gammes majeure et mineure, qui dominent la musique occidentale depuis 1650 environ, sont, à proprement parler, deux modes de la gamme diatonique fondamentale : le mode ionien -- do ré mi fa sol la si (do) --, devenu la gamme majeure ; et le mode éolien -- la si do ré mi fa sol (la) --, devenu la gamme mineure. Ces deux modes ont une sonorité différente parce que les intervalles d'un demi-ton occupent dans chacun des positions différentes.

Quand on observe bien les poèmes dynastiques, on se rend compte que le poète tutsi a expérimenté d'autres gammes, en particulier la gamme par tons entiers : do ré mi fa sol dièse la dièse (do), et les gammes micro-tonales (utilisant des intervalles inférieurs au demi-ton). Les gammes pentatoniques (de cinq notes), souvent utilisées dans la musique folklorique et dans les musiques non occidentales, associent généralement des intervalles de tierce mineure (ré-fa, mi-sol, la-do, etc.) et des tons entiers : do-ré- fa-sol la (do) ou do-ré-mi-sol-la (do).

Il existe de nombreuses autres gammes, en particulier des gammes heptatoniques (à sept notes) et pentatoniques s'appuyant sur le demi-ton. Toutefois, de nombreuses gammes non occidentales utilisent des systèmes de tonalité différents, dans lesquels les intervalles ne correspondent réellement à aucun intervalle des gammes occidentales. C'est notamment le cas de la musique indonésienne, qui utilise (parmi de nombreuses autres gammes) une gamme pentatonique appelée sléndro, dans laquelle les cinq notes sont espacées à intervalles presque réguliers à l'intérieur de l'octave.

Mais si on affirme que la poésie occidentale et la poésie des bantu précèdent chronologiquement la poésie tutsie, on se bute à la question suivant : comment dès lors expliquer cette inégalité des valeurs civilisatrices dans la contemporanéité du temps conventionnel, inégalité qui devient beaucoup plus aiguë dans le cas de la survivance de civilisations de l'âge de la pierre à côté de civilisations hautement évoluées ?

La théorie évolutionniste classique ne saurait donner une explication valable de ces inégalités se présentant dans la contemporanéité du temps chronologique conventionnel, ou à des distances irrégulières dans ce même temps, même si elle avait recours à l'argument de l'évolution indépendante des civilisations dans l'espace, car alors elle aurait à justifier deux phénomènes par excellence antiévolutionnistes, celui de la régression d'une part, celui de la stagnation de la civilisation d'autre part. La difficulté ainsi créée ne saurait être levée qu'en faisant abstraction du temps chronologique conventionnel, adapté aux données physiques, et en adoptant à sa place la notion du temps entropologique et/ou du temps anthropologique ou du temps culturel, sans toutefois démunir de toute signification anthropologique le premier(567(*)). Mais cette notion nouvelle du temps entropologique nous induit en une nouvelle problématique ; celle qui demande la détermination des critères d'après lesquels cette notion est s'établit. Ainsi le mode d'évaluation se détermine par la craniométrie et par l'entropie des sons et des mélodies ou bien encore par l'entropie craniométrique. Mais les chercheurs et universitaires africains spécialistes en sciences sociales se sont donné la peine du schéma néo-darwinien. Nous y reviendrons avec Mutuza dans son analyse de la diaspora, panafricanisme, citoyenneté transfrontalière, méritocratie, etc.

Les modes de la musique médiévale occidentale et de la musique folklorique des Bantu sont constitués de façon comparable, mais avec des points de départ différents (ré-ré, sol-sol, etc.). Le mode est, en quelque sorte, une gamme, bien que cette dernière corresponde à une notion moins complexe, ce qui est le cas chez les Tutsis. Le principe essentiel des gammes majeure et mineure et du mode est la séquence caractéristique des intervalles, reproduite indépendamment de la hauteur de son : par exemple, sol la si do ré mi fa dièse (sol). Pour obtenir cette séquence, il est nécessaire d'introduire des notes supplémentaires en plus des sept notes initiales (ici, fa dièse, soit une touche noire sur le clavier du piano).

Au cours du développement du système de tonalité majeure-mineure, la gamme mineure naturelle a subi deux modifications. La forte tendance à avoir un demi-ton au-dessus de la note fondamentale (par exemple, sol dièse par rapport au la) a abouti à la gamme mineure harmonique : la si do ré mi fa sol dièse (la). Toutefois, la nouvelle « note de base » (ici, sol dièse) a créé un intervalle (ici, entre fa et sol dièse) qui était mal venu dans les mélodies. La gamme mineure mélodique, dans sa forme ascendante -- la si do ré mi fa dièse sol dièse (la) -- a permis d'adoucir cet intervalle désagréable en rendant plus aiguë une deuxième note et, ne nécessitant pas de première note dans sa forme descendante, elle restait la gamme mineure naturelle descendante : la sol fa mi ré do si (la).

N'empêche que l'auteur de cette codification, Alexis KAGAME, l'éditeur des poèmes dynastiques, ait consigné sous forme d'articles de code les points essentiels des règles coutumières qui régissent les institutions sociales du royaume ruandais. Le ton de ce code nous permet d'aborder la durée diatonique. Nous sommes en philologie classique.

Dans cette perspective, l'intonation de la voix considérée comme critère de différenciation des mots par les variations de la hauteur et de l'intensité résultant de l'accentuation est ce que l'on appelle ton. Et chaque vers des poèmes dynastiques renferme une idée d'appartenance politique et juridique comme sentiment de la durée diatonique au sein des poèmes.

§3. Appartenance politique et juridique comme sentiment de la durée au sein des poèmes

L'importance du bétail bovin dans l'échelle des valeurs sociales de la civilisation tutsie peut être évaluée à partir de ce que A. Kagame nomme droit coutumier rwandais consigné dans l'ainsi nommé « Code des institutions politiques du Rwanda précolonial » (Inst. Roy. Col. Belge, Sect. Des Sc. Morales et polit., Coll. In 80, tome XXVI, 1, 1952). Les Tutsi n'ont pas de pensée sous forme géométrique telle que nous le rencontrons dans l'ainsi nommé « Code des institutions politiques du Ruanda précolonial »(568(*)). Cette codification vient très mal à propos comme formule d'exposition d'un droit coutumier parce qu'elle en dénature le caractère en le faisant apparaître sous une forme de pensée géométrique c'est-à-dire synthétique, tenu pour ordre juste et nécessaire, une fois pensée arrivée à la pleine possession d'elle-même qu'elle n'a pas(569(*)) comme chez les Bantu et Aristote.

A l'impossibilité de séparer l'homme « cet animal politique » de la vie de la société, Aristote ajoute l'influence du climat sur la psychologie sociale. Si Platon n'avait pas reconnu à la famille le rôle social élémentaire (y voyant un élément destructeur de la solidarité parfaite), Aristote, au contraire, la tient pour base de l'organisme social qu'il assimile à un véritable corps vivant.

Opposé à l'élaboration d'une constitution immuable, idéale, telle que la concevait Platon, Aristote affirme que les sociétés se diffèrent et doivent se transformer suivant le temps et le milieu et que la même constitution ne saurait convenir à tous les peuples. De même a-t-il parfaitement réalisé l'idée de la « complémentarité » des éléments hétérogènes des parties constituant la société qui implique, inévitablement, « une division du travail coordonné par le gouvernement et fonctionnant grâce à une hiérarchie ». Cette hiérarchie conditionne naturellement les rapports de subordination et d'autorité. La philosophie aristotélicienne rejoint, d'une manière frappante, le freudisme moderne du côté de Mutuza dans son entendement du moi idéal et le concept de la conscience collective de Gudijiga.

D'après Aristote, l'homme ne s'explique pas seul. Cet animal social est désemparé et en danger de mort s'il se trouve isolé. Il confie donc son moi à une « assemblée » qui doit être le reflet de sa propre image consciente, mais agrandie, perfectionnée. Cette assemblée peut être complètement soumise à un chef omnipotent reconnu qui enveloppe toutes les consciences individuelles en les assimilant au grand « Etre social » qui vit lui-même. Mais si, selon les usages démocratiques grecs, une multitude d'hommes délibèrent ensemble sur les affaires de leurs cités, la résultante de leurs décisions les fait agir comme s'ils étaient le corps d'une même conscience, d'une même raison. Et cela se traduit soit en chansons ou en récitations poétiques, soit en proverbes et dictons. Cela a valeur communicationnelle.

Les poèmes dynastiques expriment la conscience collective. Le sentiment de la durée est aussi intimement lié au facteur de retentissement ou « séjonctivité » qui forme l'une des composantes fondamentales des caractères.

La conscience collective d'une société peut être qualifiée comme possédant un caractère propre, celui d'une « mentalité collective » qui serait la résultante de l'interaction de tous les tempéraments individuels qui collaborent à la vie du groupement. Entre Hutu et Hima-Tutsi, il existe un retentissement primaire ou secondaire des événements historiques qui conditionnent la trame qui encadre cette collectivité. Ces événements historiques, selon leur importance, selon les répercussions affectives qu'ils déterminent au sein des populations, seront enregistrés avec des sentiments de durée extrêmement variables.

Ainsi une tragédie sensationnelle imprégnera longtemps les structures sociales et les sentiments populaires qui la renouvelleront indéfiniment dans la littérature et les cérémonies commémoratives ou les reconstitutions théâtrales à travers les générations. Les problèmes que connaît ces populations sont plus d'origine sociale et politique qu'ethnique, les Banyarwanda (« gens du Rwanda »), dominés par la même culture, vivant en complémentarité économique et sociale depuis des siècles, vivent, en ce qui concerne la communication, dans une asymétrie fondamentale. Cette asymétrie consiste en ce que les Tutsi arrivent facilement aux désaccords des contrats qu'ils concluent à cause des conflits pour la survie. Chaque Tutsi cherche à plaire au Roi et ne considère sa subsistance qu'à la seule condition de la destruction et disparition d'autres.

Une donnée sociologique constitue le fin fond de cette situation, dit C. M. Overdulve : « Akari mu nda y'ingoma Kamenywa n'umwiru na nyirayo », littéralement : ce qui est dans le ventre du tambour est connu du ritualiste et de son propriétaire, c'est-à-dire nul ne connaît le secret d'une personne si ce n'est elle-même et son confident(570(*)). La société ruandaise traditionnelle était extrêmement complexe. Mais le droit coutumier, tel que. A. Kagame nous le présente sous une forme moderne et géométrique ne coïncide pas avec la réalité. Dans cette codification l'auteur se représente la société comme un certain nombre de colonnes (au moins trois, à savoir une colonne politico-administrative, une colonne militaire et une colonne sociale), qui sont traversées par des couches hiérarchiques. A la base se trouve le peuple.

Cette présentation de la société n'est pas correcte. L'auteur des poèmes dynastiques oublie qu'entre le peuple et le Roi il n'y a pas d'intermédiaire, selon la poésie dynastique. Mais dans le droit coutumier qu'il codifie, il nous montre comme si dans chaque colonne il y avait progression ascendante de fonctionnaires, de sous-chefs et de chefs.

Au sommet se trouvant le Roi et sa cour. Chaque Ruandais trouvait sa propre place dans chacune des colonnes, différente dans chaque colonne. Dans chaque colonne, il y avait toujours un ou deux chefs au-dessus de lui, de sorte qu'il devait tenir compte d'au moins trois chefs. Afin de se maintenir et de survivre, il devait rester en bon terme avec chacun de ses chefs.

Cette vision de A. Kagame est fausse. La première raison est que dans les poèmes dynastiques le Roi est seul au-dessus de tout le peuple. La deuxième confirme la première en montrant que tout est au Roi et le peuple se doit au Roi et à lui seul. Et l'importance du bétail bovin dans l'échelle des valeurs sociales de la civilisation ruandaise peut être évaluée à partir des données du droit coutumier ruandais consignées en premier lieu dans l'ainsi nommé « Code des Institutions politiques du Ruanda Précolonial ».

Les matières du Code sont classées en trois rubriques que nous appelions colonnes. Ce que C. M. Overdulve considère comme hiérarchie n'est que l'ensemble de différentes activités supplémentaires de la population que le droit coutumier divise en droit militaire, droit pastorale, et le droit administratif qu'il serait plus approprié de qualifier de droit politique. Ce Code est de 381 articles dont 197 pour le code militaire, 133 pour le code pastorale, et 51 pour l'administration.

Un peu plus du tiers des règles coutumières se rapportent donc à la valeur sociale représentée par le bétail bovin, ce qui nous donne la mesure de l'importance que cette valeur revêt dans le système social ruandais. Pour mieux comprendre ce droit coutumier, deux autres études nous permettent de comprendre que souvent ici le bétail bovin intervient comme matière causale de la règle coutumière.

L'exposition du droit coutumier des bovidés doit être suppléée par les travaux portant sur l'ethnographie ruandaise, ainsi que par les travaux spéciaux traitant du droit coutumier ruandais. Le travail de J. VANHOVE(571(*)) traite la réalité coutumière à travers les notions juridiques modernes, mais il est assez intéressant de nous y référer parce que le bovidé y est traité en tant que droit de propriété et d'exploitation économique.

Nous ne sommes pas d'accord avec J. VANHOVE quand il parle de propriété. La raison en est que le Mwami est le seul propriétaire de tout le bétail ruandais. La détention du bétail par les sujets du royaume est réduite à un droit d'exploitation ou d'usufruit et non pas de propriété. Il s'ensuit aussi que le sujet ne peut disposer de son bétail, en le vendant par exemple, sans l'autorisation des chefs de « province ». Et quand on interroge le Père PAGES(572(*)), il nous donne une nomenclature des bovidés sans systématisation comme celle de J. VAN HOVE(573(*)).

R. BOURGEOIS(574(*)) expose aussi cette matière dans sa grande monographie des pays ruandais et urundais.

Quant à Mutuza, tout son système donne une idée claire de la politique ruandaise. Il affirme que, les chefs terriens, les Hutu, ont été réellement dominés par les Tutsi. Mais il se demande comment ce phénomène a-t-il pu avoir réussi. C'est à ce stade qu'il est arrivé à compliquer son système à cause de doute dans la correspondance des faits : sont-ce les Tutsi qui compliquèrent la communication d'avec les Hutu ou plutôt l'inverse qui fut possible ?

Les proverbes ruandais sont tous en Kinyarwanda ; on peut alors réduire que Aloys Rukebesha a eu raison dans son ouvrage paru en 1985 en l'intitulant Esotérisme et communication sociale(575(*)) illustrant que les traces de métallurgie du fer mises au jour dans la région permettent d'établir que les premiers agriculteurs bantous, en provenance du bassin du Congo, étaient installés dans la région, dont l'environnement était propice à l'établissement humain, au IIIe siècle de notre ère. Lorsque les Tutsi s'établirent à leur tour dans les collines de l'est du Rwanda, entre le Xe et le XVe siècle, les Hutu avaient déjà formé de petits royaumes.

L'image -- déformée -- habituellement donnée de la société qui s'élabora alors montre les Hutu placés dans une situation de dépendance et de soumission totale à l'égard des Tutsi, seuls détenteurs du pouvoir et de la richesse. Le système politico-religieux extrêmement hiérarchisé qui fondait le royaume tutsi au Rwanda était en fait moins rigide : parmi les chefs qui, sous l'autorité suprême du mwami (roi) tutsi, géraient les affaires, les chefs de sol étaient le plus souvent choisis parmi les Hutu de même que les chefs d'armée pouvaient également être hutu.

Et les mariages mixtes étaient relativement fréquents. Au Burundi, dans le royaume baganwa, la souplesse du système était plus grande encore. Si l'on considère la masse de la population, Tutsi et Hutu partageaient le même sort, vivant les uns et les autres de l'agriculture comme de l'élevage. Ils parlaient la même langue, Le Kinyarwanda ou le kirundi, et avaient la même religion, le roi étant l'image d'Imama, le dieu suprême.

La politique menée par les colonisateurs européens, allemands d'abord, puis belges après la Première Guerre mondiale, allait dresser la majorité hutu contre la minorité tutsi. L'administration coloniale, en effet, s'appuya, pour assurer son pouvoir, sur l'aristocratie tutsie et figea les rôles de chacun au nom d'analyses ethnologiques rapides. En 1926, les fonctions de chef devinrent ainsi héréditaires(576(*)). En 1934 et 1935, l'administration coloniale procéda à un recensement de la population du Ruanda-Urundi et délivra des livrets d'identité sur lesquels devait figurer obligatoirement l'appartenance « ethnique ».

Les clivages ainsi institutionnalisés se renforcèrent encore au Rwanda dans les années 1950. Après la mort mystérieuse, en 1959, du mwami Mutara, qui s'était fait le porte-parole des aspirations indépendantistes de son peuple, éclata le premier conflit meurtrier entre Hutu et Tutsi. L'Église catholique, puissance incontournable au « pays des mille collines », a joué un rôle imminent et la majorité des Hutu avait pris conscience. L'administration coloniale favorisa désormais défavorablement les Hutu.

Dans ces populations où le conteur se permet d'une grande liberté : «on pouvait retrancher ou ajouter, colorer et même inventer du tout au tout »(577(*)), l'information transmise de personne à personne était donc défigurée consciemment ou inconsciemment, de sorte que, pour finir, nul ne savait plus ce qui s'était réellement passé. Mais, puisqu'il s'agissait ici d'affaires de la vie quotidienne, nul ne s'en souciait.

Toutefois, la chose était différente dès qu'il s'agissait d'affaires plus importantes. On communiquait alors les informations avec grande circonspection : « ne raconter que ce qu'on pouvait répéter devant toute autorité était une règle d'or »(578(*)). Cette ruse est si claire que Mutuza du déclarer que c'est un peuple amoral et immoral(579(*)). La méfiance fait partie de la vie d'un ruandais. Pierre Crépeau a attesté la conclusion de Mutuza sur l'immoralité et l'amoralité des Ruandais : « La valeur morale de la parole ne dépend pas de sa correspondance à la réalité ou à l'idée qu'on s'en fait ; elle dépend avant tout de son utilité. La parole moralement bonne, c'est celle qui est profitable ; la parole moralement mauvaise, celle qui est nuisible. Vérité et mensonge n'ont donc pas la connotation morale que leur reconnaît la tradition judéo-chrétien »(580(*)).

Ce qui veut dire que le code de droit tel que A. Kagame nous l'a transcrit est entaché de beaucoup de corruptions puisque ce n'est pas du tout ce que le Mwami déclarait qui nous était parvenu. Car, si l'on veut comprendre ce qu'un Ruandais dit, on ne devra pas perdre de vue qu'il parle sur deux niveaux. Ce qui compte pour lui, ce n'est pas, en premier lieu, la concordance entre parole et réalité, ou encore ce qu'il dit et ce qu'il pense sur tel sujet. Mais ce qui compte avant tout, c'est la relation entre deux partenaires de l'entretien, qui doit être servi par la parole ; la réalité sociologique l'exige, comme nous l'avons dit.

Mutuza nous place  « devant deux conceptions du monde qui ne sont pas faites pour vivre harmonieusement ensemble. L'Occident impérialiste et hégémoniste l'a, non seulement compris, mais il l'a cultivé et entretenu et s'avise aujourd'hui de s'en servir pour assurer ses intérêts en Afrique centrale, en commençant par la région des Grands-lacs »(581(*)).

Cela nait de l'exigence de survie pour ce peuple pasteur que les troupeaux condamnent au nomadisme, en condition normale, et à l'expansionnisme en cas de sédentarisme. C'est là le mythe cultivé, encouragé et entretenu par le colonialisme, conformément à l'adage impérialiste bien connu « Divide ut imperas » et sont-ce ces populations sans patrie ni terre, du moins dans l'aspect ethnologique et anthropologique, que l'impérialisme a encore besoin pour assurer sa domination sur les peuples bantu de l'Afrique Centrale.

Conclusion

Selon les poèmes dynastiques du Rwanda, l'identité et l'appartenance se fondent sur le mythe de l'ethnonyme banyarwanda et s'engagent dans un rythme qui augure le mouvement de réunion et de séparation des fils de Kanyarwanda qui donne le glossonyme kinyarwanda.

Servie par des circonstances successorales particulières des Baame Hutu, la dénomination et la dénaturalisation glossonymique de l'identité de la langue kihutu est la mort des royautés des baame Hutu au Rwanda. Le poète n'ayant pas la grande liberté de sortir de l'exaltation de la royauté monarchique de l'absolutisme et divinatrice d'Imama, oeuvre pour la différenciation de la race de dieu et de la servitude des Hutu par la voie du mythe.

La question qu'on se posait dans ce chapitre est celle de savoir pourquoi les Tutsi sont-ils appelés banyarwanda alors que le kinyarwanda est bien connu comme la langue bantoue et que les Bantu du Rwanda sont les Hutu qui, comme nous le savons, s'expriment en leur langue qui est comme toutes les autres langues bantoues, correspondante de leur ethnonyme. Et l'on a, au cas sous examen, le kihutu comme langue bantoue qui est parlée au Rwanda, et que le mythe dissimile sous une appellation savante : kinyarwanda.

Nous avons vu qu'il n'y a aucun idiome qui vienne des Tutsi. De kihutu, les Watutsi ont bien voulu s'identifier et, avec la force de l'histoire, ils ont réussi à réunifier tous les petits royaumes des Hutu en un seul et unique Rwanda, comme le clame le poète. Le royaume des Banyarwanda renferme alors une chaine d'or cyclique de l'octave dans les poèmes dynastiques : Roi (1), Dieu (2), Race (3), Archer (4), Vaches (5), Guerre (6), Pluie (7) et (Roi 8). Cette force de l'identité du roi à son royaume identifie en même temps la royauté et le kinyarwanda parce que le mythe rapporte que Kanyarwanda est l'ancêtre de tous les Banyarwanda, Hutu, Twa et Tutsi.

L'analyse de Mutuza donne une nouvelle identité au Tutsi à cause de leur bovidé-latrie. Ce culte de la vache enclot le champ de conscience ethnique et les valeurs morales de Tutsi qui se consolent d'avoir un ancêtre mythique né d'une ethnie fictive et dont la réalité et la vérité les font dépendre de la langue de Hutu. C'est d'ailleurs la loi de l'imitation. L'esquisse géométrique de la pensée des Hutu a ouvert à Mutuza la voie du processus de leur connaissance des cinq sens qu'ils traduisent par les cinq tambours. C'est le caractère différentiel de l'appartenance des Tutsi dans l'ordre exponentiel qui les permet d'intégrer dans la communauté Hutu et ne les laisse identifiables que par le biologique. Une de grande question était celle de savoir comment le biologique peut-il être la base d'une identité alors que le social qui caractérise l'humanité fait que les Tutsi soient seulement un phénomène de différenciation phénotypique comme on a dans chaque groupe social des grands, des petits, des minces, etc.

Une chronique familiale kinyarwandophile qui néglige le nationalisme et insiste sur le glossonyme crée la confusion entre l'Etat et la langue officielle.

De là, il n'y a qu'un seul pas vers l'indifférence. Et nous l'avons bien vu, dans les poèmes dynastiques, comment l'appartenance est en conflit avec l'identité. La communication fait défaut et l'appartenance juridique et politique ne se limitent que sur le plan matériel. Et c'est grâce à cela que l'analyse de Mutuza sur les poèmes dynastiques est possible.

Il est pratique et normal que nous ayons recours à des distinctions classificatoires en vue de soumettre les différences culturelles au traitement scientifique. C'est à la justification de la distinction établie entre l'appartenance politique et l'appartenance juridique. Nous avons rectifié cette distinction terminologique en reformulant la distinction comme étant celle entre sociétés agricoles et sociétés pastorales.

Au guérisseur des âmes et des corps que les Hutu rêvent de rencontrer, réflexion philosophique, notamment dans le texte mis en abyme que sont les poèmes dynastiques du Rwanda, le roi est le  Grand Inquisiteur  qui fait trembler les Banyarwanda... Cette manière romanesque complexe, s'articulant sur des récits de nature différente, mêlant étroitement, plus encore que dans les récits épiques, une littérature et une philosophie de l'appartenance révélatrice de l'identité entre pouvoir, glossonyme, ethnonyme renfermés dans le mythe Hima-Tutsi et qui renforce la prise de conscience de l'appartenance aux sols rwandais.

Chapitre septième: LE MYTHE DE L'APPARTENANCE ET PRISE DE CONSCIENCE

Introduction

Une idéologie ne peut aller contre le sens commun. G. Bouthoul, grand sociologue français contemporain, écrit : « La vie sociale est une hallucination partagée. Nous ne percevons en réalité, dans le monde extérieur, que ce que nous connaissons. Dans la vie sociale ce ne sont pas les choses, ni les faits qui nous affectent mais l'opinion que nous en avons. » « Tôt au tard », ajoute Bouthoul, « l'idéologie dominante passe dans les institutions. Bien mieux elle y est toujours latente car, derrière la lettre des lois, il y a la réalité de la jurisprudence et des moeurs. D'ailleurs les hommes ne respectent que les lois auxquelles ils croient, les autres, celles qui choquent leur bon sens, leur paraissent, au contraire absurdes et insupportables. Ils finissent toujours primitivement ou activement, par s'insurger contre elles. »(582(*))

Aussi aborderons-nous, dans ce chapitre, les éléments déterminants du mythe Hima-Tutsi en rapport avec l'idéologie fixée dans le poèmes et dont le kinyarwanda serait l'outil, et les valeurs manifestes de l'appartenance des Tutsi. Nous avons vu, dans le chapitre précédant, l'identité et l'appartenance selon les poèmes dynastiques du Rwanda et les valeurs qu'ils défendent. Il est question maintenant de ressortir le mythe de l'appartenance et la prise de conscience des Banyarwanda.

On pourrait définir les comportements ressortissant à la religion comme des techniques rendant possible la communion de l'homme avec la vie ou les figures de celle-ci. On appelle rites les comportements verbaux ou gestuels qui traduisent le souci des hommes d'établir un lien entre eux-mêmes et les réalités que dénote la religion.

Dans ce chapitre, il convient d'abord d'établir une étroite relation du rite qui apparaît dès lors d'actualiser le mythe, c'est-à-dire de recréer les conditions mêmes du temps originel ou apocatastasique qui était celui du mythe. Ainsi, dans la société des Banyarwanda, le mythe qui fonde l'ordre social peut-il être par là même universel ou simplement raconté, comme on raconterait une histoire : il est joué ? Dans ces populations, les Tutsi ont-ils un rituel ; ce en quoi consiste ce rituel ! Les paroles mêmes du mythe sont-elles réservées scrupuleusement ? Quelquefois la langue du mythe diffère de la langue quotidienne ; c'est une forme de langage archaïque ; ou bien une langue étrangère à la communauté. Est-ce le cas du mythe Hima-Tutsi ? Selon le mythe d'appartenance que l'on retrouve dans les poèmes dynastiques, être Munyarwanda c'est d'abord et déjà parler le kinyarwanda, l'abbé est-il munyarwanda ?

Cette constatation nous amène à insister sur le caractère efficient de la parole et du groupe ethnique qui en use: redire les mots mêmes qui, dans le mythe, ont engendré le monde, c'est renouveler la création elle-même, lui redonner vie et lui assurer pérennité.

Aussi aborderons-nous ici le problème psychologique des minorités qui implique la question de l'historicisme comme prise de conscience exceptionnelle de valeurs démographiques chez Mutuza dans les poèmes dynastiques. On observera la prophétie sociale et les prédictions du mythe Hima-Tutsi en les critiquant avec l'ingénierie sociale de Mutuza ou avec sa théorie de la communication et de la compréhension.

Section 1. Psychologie des minorités

§1. Microcosmes et prise de conscience

Une société fermée, très petite, caractérisée par son langage, ses préoccupations et ses habitudes, telle est la communauté hima-tutsi. Ce microcosme est d'ailleurs différent à l'analogie philosophico-astrologique qui considère l'homme comme un reflet de l'univers. Cela implique l'organicisme fonctionnaliste anthropologique à la radcliff-brownienne selon lequel un individu souffrant d'une caractéristique exceptionnelle ou très rare, comme le nanisme, l'albinisme, un défaut corporel isolé, un exemplaire unique de sa race, comme un mulâtre seul de son espèce, né et vivant dans un village européen, ou encore une personne ne faisant partie que d'un groupe minuscule (comme des infirmes d'une certaine catégorie, réunis dans un institut ou un hospice spécialisé) n'a pas conscience d'être membre d'une minorité définie, car qui dit minorité dit un nombre statistiquement important. L'importance de l'enseignement du Civisme et Développement et de celui de l'Apport de la psychologie dans la formation du juriste nous le démontre le mieux.

Dans La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, Mutuza affirme que l'hospitalité dans des régions non encore gravement atteintes par les effets des conflits est visiblement la recherche de la connaissance sur ces êtres fabuleux et inaccessibles. Mais lorsque le nombre des nouveaux venus peut être assimilé à une minorité statistiquement classifiable en tant que « communauté », groupe ethnique ou social faisant « masse », c'est-à-dire éventuellement gênante, virtuellement envahissante, susceptible de « prendre le pain des autres », tous les mécanismes de refus, de rejets, d'hostilité inhumaine, peuvent naître spontanément et collectivement.

Mutuza tente d'expliquer la manière dont les Hima-Tutsi se sont insérés dans la société des Hutu jusqu'à la presque dominer. Mais si nous savons toutefois que, si au lieu d'appartenir à un groupement humain défavorisé, mal coordonné, ou en état d'infériorité sociale, une minorité peut au contraire s'affirmer par rapport à un territoire bien défini - tel n'est pas le cas des Hima-Tutsi - , une tradition remarquable comme une secte religieuse très exlusive-tels n'en ont pas non plus les Hima-Tutsi - , ou mieux, un Etat souverain, aussi petit soit-il, le complexe d'infériorité collectif, qui est propre aux minorités oppressées ou « insécurisées », fait place au complexe de supériorité collectif, même lorsque le niveau économoque de la petite nation est modeste. On trouve cet enseignement chez Mutuza dans ses cours de Civisme et Développement, Idéologies et philosophies politiques contemporaines.

L'importance que revêt la problématique de ces enseignements chez Mutuza a été mise en cause. La première contestation est ouverte par Ngoma Binda(583(*)), la seconde par Mbadu, tous les deux professeurs et esprits ramasseurs des concepts. Pour le premier, l'enseignement du Civisme et Développement doit être remplacé par celui de l'Education à la citoyenneté. Le second prenait les critiques de Mutuza comme les positions admises dans les oeuvres de Mutuza. Erreur ! Ils se réfèrent aux traités de l'Union européenne pour pouvoir penser et traiter de la question de minorité.

Mutuza nie qu'il y ait une minorité ethnique en RD Congo. Il ajoute que « la méritocratie de la minorité telle qu'elle est prônée par L'AFDL est une prostitution des mots. Et comme toute prostitution, elle est vilaine et avilissante. Nous devons la proscrire dans l'organisation du pouvoir dans les pays des Grands Lacs. Car elle vise à accréditer la thèse de l'hégémonie tutsie non seulement sur les Hutu, mais sur tous les Bantu des régions environnantes »(584(*)). Et cet enseignement est le plus caractéristique du concept d'appartenance dans l'oeuvre de l'auteur.

Ngoma Binda s'est basé sur le traité de l'Union européenne pour affirmer ses thèses d'une nationalité transfrontalière en opposition à la pensée de Mutuza. Il a oublié que le traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht, le 7 février 1992, a institué une citoyenneté de l'Union, accordée à toute personne ayant la nationalité d'un État membre. Le citoyen de l'Union a notamment le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ainsi que le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'État membre où il réside, de même que pour les élections au Parlement européen.

De même que la citoyenneté sert à fédérer une communauté, elle sert aussi à l'individualiser afin de différencier les membres de la cité de ceux qu'elle rejette. La citoyenneté antique est un jeu dialectique qui englobe autant qu'il exclut. Les premiers à faire l'objet d'un rejet du citoyen sont les femmes, les esclaves et les étrangers.

La citoyenneté conçue comme un idéal de vie en commun, où le plus humble des citoyens peut s'enorgueillir d'appartenir à une collectivité, n'a su résister aux faits et aux pratiques d'une vie publique qui, peu à peu, l'a vidée de sa substance. Certes, le citoyen ne disparaît pas avec l'émergence de l'Empire romain ; avec lui subsistent les « avantages » d'un statut protecteur de l'individu. Mais la citoyenneté a progressivement changé de nature. Cela a été particulièrement vrai à Rome, où entre la République et l'Empire, si le citoyen demeure, la vie civique, pour sa part, disparaît. La fonction élective, pierre angulaire de l'activité du citoyen, ne sert plus qu'à ratifier les décisions prises par une minorité dirigeante, ce qui sonne le glas de la citoyenneté démocratique dans l'Antiquité.

« Le citoyen est celui qui participe de son plein gré à la vie de la cité [...] Si tu ne votes pas, pour t'occuper seulement de tes petites affaires, tu laisseras les autres décider à ta place des grandes. Mais alors, tu ne pourras pas venir te plaindre si un jour, par malheur, le gouvernement sorti des urnes décide [...] d'interdire le rap sur les antennes [...]. Le citoyen a le pouvoir de faire la loi. Si tu fais la loi, il est normal que tu y obéisses. Ça s'appelle le civisme. Et si tout le monde s'arrangeait pour ne pas payer d'impôt, il n'y aurait plus de gendarmes, ni de lycées, ni d'hôpitaux, ni d'éboueurs, ni d'éclairage public, parce qu'il faut de l'argent à l'État ou à la ville pour entretenir ces services(585(*)), expliquait Regis Debray à sa fille dans une lettre.»

Il ressort clairement que la notion de citoyenneté est régie ici par une idéologie. Et quand les chercheurs et universitaires qui ont siégé au Cap (Afrique du Sud du 24 au 27 juin 1997) en ont fait l'objet de leur étude, ils étaient sur le schéma néo-darwinien de la sélection naturelle et voulaient ainsi faire l'expérience de l'Union Européenne. Ils ont oublié que la réalité en face d'eux était plus complexe que de simples désaccords et malentendus.

Les premiers habitants connus du Rwanda sont vraisemblablement des Pygmées, ancêtres des Twa actuels. Des fouilles archéologiques ont mis au jour une métallurgie du fer et des poteries -- apparentées à la culture bantoue -- que la datation au carbone 14 fait remonter au premier millénaire avant notre ère. On les attribue à une population qui serait originaire du bassin du Congo et dont l'arrivée dans la région remonterait à cette époque. Ce peuple d'agriculteurs aurait ensuite cohabité avec les Tutsi, des pasteurs venus du Nord, qui se seraient installés progressivement entre le Xe et le XVe siècle.

Ces trois communautés partagent la même langue, le kinyarwanda, et la même religion à l'arrivée du colonisateur. Le roi ou mwami est l'image d'Imana, le dieu suprême, et règne sur l'ensemble de ses sujets, les Banyarwanda. Sous son arbitrage, le pays est régi au plan administratif par les chefs de sol (généralement d'origine hutu), les chefs de pâturages (d'origine tutsi) et les chefs d'armées (recrutés chez les Tutsi). Le pouvoir est aux mains d'une aristocratie tutsie, mais les mariages entre familles de pasteurs et de cultivateurs ne sont pas rares, sauf dans l'aristocratie qui conserve ainsi le pouvoir. C'est à la question de l'historicisme que nous allons recourir pour comprendre le fonctionnalisme dans les poèmes dynastiques. C'est d'ailleurs la question liée au patriotisme des minorités.

§ 2. Patriotisme des minorités

En Afrique, le Ruanda, avec ses deux millions de citoyens Tutsis, exprime au maximum toutes les caractéristiques psychologiques d'une nation minoritaire, devenue farouche, intrépide, tenace dans sa vigilance révolutionnaire contre le monde des Hutu, à l'exception de ceux qu'ils appellent les Hutu modérés, protecteurs mais lointains, et cela en raison de son extrême vulnérabilité géographique et des grandes puissance auxquelles elle a du échappé : L'Allemagne, l'Angleterre...et finalement la Belgique. Mais le Ruanda n'est pas l'exemple le plus caractéristique auquel peut aboutir une minorité si souvent lion-nelle et caniche, dans l'hypertrophie d'un sentiment de « courage invincible », de « patriotisme absolu », de « camouflage inconditionnel » capable de faire front, avec complexe de supériorité devant l'allié, c'est-à-dire révisionnistes et déviationnistes de toutes nuances, « cliques des renégats » et « traitres opportunistes » des Hutu, se trouvent alliés aux USA, capitalistes, colonialistes, bourgeois, néo-fascistes, etc., voire pacifiste d'obédience religieuse sans religion, ce qui conduisit à la presque suppression totale des lieux de cultes chrétiens et musulmans, alors que ces minorités devenues très offensives se retrouvent tolérées en RD Congo.

Nous verrons plus loin comment ces mêmes mécanismes de défense minoritaire, transposés au gigantisme aussi bien au Ruanda qu'en RD Congo ou en Ouganda ou Burundi, conditionnent des réactions identiques, face aux « dangers potentiels » du reste du monde globalement considéré comme une menace virtuelle et toujours proportionnellement supérieures en nombre à toute nation, fût-elle la plus puissante.

Le sentiment de minorité n'est pas nécessairement fondé sur une statistique démographique en valeur absolue, mais plus souvent sur une prise de conscience de faiblesse relative par rapport à d'autres puissances extérieures. Ainsi, malgré une population augmentant de 30 à plus de 60 millions d'habitants, au cours de son histoire contemporaine, la RD Congo, par son extrême vulnérabilité géographique, conditionnait les mêmes mécanismes propres aux minorités ethniques en créant le type de citoyen le plus « patriote » de l'Afrique, et le plus disposé à combattre toute intrusion « jusqu'à la dernière goute de sang ». Le patriotisme passe avant l'amour, » disait LD Kabila, alors que, au sein de grandes nations puissantes et privilégiées, l'une comme l'autre de ces deux grandes passions humaines se désagrège bien facilement.

« S'il existe donc une psychologie des minorités, c'est bien dans le sens d'un sentiment de supériorité spécifique par rapport à la masse anonyme des autres citoyens ou des autres nations ! »(586(*)). Et Mutuza ajoute que « la question des minorité ethniques se pose lors que la nation n'est pas encore constituée en Etat indépendant, mais se trouve englobée dans un Etat étranger »(587(*)).

Ceci répond à une réaction dynamique de psychologie sociale fondamentale à la cohésion de toute la communauté humaine, ce que l'on pourrait appeler « instinct de chauvinisme », dérivé de l'instinct primitif de « conservation », c'est-à-dire d'une garantie absolue à l'amour de son groupe qui doit être d'autant plus uni que son existence est plus facilement menacée(588(*)). Nous pouvons donc parvenir à une définition positive des minorités.

§3. Définition démographique positive des minorités linguistiques et dichotomie de la trimonade (Hutu-Tutsi-Twa)

La démolinguistique est l'étude de la démographie appliquée au domaine de la langue. On sait que la démographie consiste en l'étude statistique et qualitative des populations humaines et leurs variations. Cela signifie que la démolinguistique s'intéresse non seulement au dénombrement ou au recensement des langues, mais aux implications sociales, culturelles, économiques et politiques qui découlent de l'étude des langues.

Ainsi, une étude démolinguistique peut s'intéresser à la répartition de la population selon la langue maternelle ou d'usage, aux phénomènes des transferts linguistiques (changement de langue comme le cas de Tutsi en face de kihutu dénommé kinyarwanda), à la langue de la population immigrée ou de toute autre langue recensée, au choix de la langue d'enseignement, à la répartition de la langue sur le marché de travail, etc.

On imagine sans peine tout le profit qu'ont retiré les colonisateurs du recensement linguistique ; d'un autre côté, le dénombrement linguistique a suscité des craintes. Le recensement linguistique des pays colonisés et/ou placés sous la préfecture a révélé un taux d'assimilation pour l'un ou l'autre groupe avec des effets politiquement désastreux.

Quoi qu'il en soit, la démolinguistique a largement été utilisée dans tous les projets ou toute fin de divide ut imperere. Et avant même d'élaborer un aménagement des langues, on procède à un recensement et à une répartition des langues dans un contexte socio-psychologique.

Dans le cadre de la socio-psychologie, nous pouvons admettre que le fait d'appartenir à un groupement minoritaire est une condition favorable ou même nécessaire :

1) Pour préciser et bien délimiter sa personnalité par rapport à une masse anonyme et éventuellement nuisible ;

2) Pour développer un complexe compensateur de supériorité ;

3) et, en conséquence, pour pouvoir dominer la masse majoritaire et réserver des privilèges particuliers.

L'équilibre et la satisfaction psychique de l'individu minoritaire seront conditionnés par la possibilité de contenter, ou non, ces trois tendances.

Pour satisfaire ces trois tendances, faut-il encore être capable de prendre conscience des possibilités de cohésion de groupement minoritaires par rapport à des groupements majoritaires psychiquement définissables ou délimitables.

Nous étudions les relations entre les phénomènes linguistiques et les phénomènes sociaux en vue d'établir, dans la mesure du possible, des liens de cause à effet, ce qui est contraire à l'aspect de Hume dont nous avons parlé. Ainsi, nous faisons des descriptions parallèles des structures linguistiques et des structures sociales. De cette façon, nous étudions la dépendance du linguiste par rapport au social.

Nous exposions la condition sociale des Tutsi (origine ethnique, activité sociale, division du travail, niveau de vie, etc.) et leur performance du kinyarwanda. N'ayant trouvé aucun vocable ni idiome de cette coloration sociale qui s'y rattachent, le kinyarwanda devient un instrument relié à la politique de la minorité, à son droit, à sa psychologie, à sa médecine, etc. ; ce qui nous a surpris du fait qu'il n'y a pas des traces du phénomène des langues en contact ; mais que le rapport de force, de l'expansion et de la régression des Tutsi est criant.

Les problèmes de standardisation du kihutu appelé kinyarwanda nous donne la norme et le dirigisme linguistique(589(*)), en ce sens que nous avions pu comprendre la problématique de l'aménagement des langues.

Cela n'est possible qu'en saisissant les questions qui déterminent l'orientation fondamentale de l'historicisme et de la valeur démographique chez Mutuza. Nous traiterons aussi de nombre d'or et de l'ingénierie sociale, et, enfin, la prédiction sera la voie de la méthode vers l'impossible comme base d'action en matière sociale. C'est ici que nous découvrons l'importance de la théorie de l'Américain Charles Sanders Peirce sur le pragmatisme et ce qu'en pense Mutuza. Nous achèverons ce point avec la théorie de la communication et de compréhension.

Section 2. Question de l'historicisme comme prise de conscience exceptionnelle de valeurs démographiques chez Mutuza dans les poèmes dynastiques

§1. Raison ambiante et milieu ambiant

Nous avions vu au deuxième chapitre, section 3, § 4 que s'il existe un lien entre la philosophie politique et du développement chez Mutuza et ses conceptions de la société et de la politique, c'est bien son rejet de l'historicisme. Il est alors claire de dire que Mutuza n'est pas un homme d'opinion mais un meneur d'opinion et un critique de l'influence diffusionniste et fonctionnaliste. Pour de nombreux auteurs, les éléments exogènes qui influent sur les comportements des individus ne seraient pas fondamentalement les conditions sociales, en tant que créations humaines mais ces conditions seraient surtout le résultat de l'influence du milieu géographique. La « terre » façonne les hommes, soit positivement par l'influence directe du milieu ambiant (selon la thèse du matérialisme dialectique), soit négativement par le triage de la sélection naturelle (thèse des néo-darwinistes).

En réalité, ces conceptions, qui sont certainement justes à l'échelle de la vie animale ou primitive, sont, en ce qui concerne le genre humain, fortement mises en cause par la fonction créatrice de la société(590(*)). L'action de la société sur le milieu dépasse souvent de beaucoup celle du milieu sur la société et constitue un facteur de civilisation qui, par rapport au règne animal, donne au biologique humain une autre dimension qui lui est exclusive.

Il est moins intéressant pour le généticien d'observer les personnes récemment parvenues dans leur nouvelle patrie d'adaptation et l'on sait que, de toute manière, un sujet aura d'autant plus de mal à s'assimiler à un milieu étranger qu'il est plus avancé en âge en raison de son histoire.

Cependant c'est connu que chez Mutuza l'histoire occupe une place de choix dans l'analyse de son La problématique du Mythe Hima-Tutsi. Il affirme que « Ce qui s'est passé au Ruanda en 1994 et qui s'y passe encore aujourd'hui, et qui finit par déborder au Congo trouve son sens et sa signification dans le mythe hima-tutsi. Celui-ci est en effet, un sentiment de complexe de supériorité qui anime le peuple pasteur tutsi habitant la région des Grands lacs. Il nait de l'exigence de la survie pour ce peuple pasteur que les troupeaux condamnent au nomadisme, en condition normale, et à l'expansionnisme »(591(*)).

La manière avec laquelle Mutuza aborde le problème donne la condition de possibilité de l'existence d'une fonction. C'est donc le domaine de définition qui s'explique par l'asymétrie des relations des groupes sociaux : le Roi et la population, dans le système Hima-Tutsi. On sait bien que la théorie des fonctionnalistes est fort combattue, mais elle nous laisse dans l'analogie dont se servent les politiciens pour maintenir la société. Ici, nous ne trouvons aucune trace d'organicisme. Mutuza cherche, nous donnant le domaine de définition, la condition de possibilité de la cohabitation des Tutsi d'avec les Hutu. En mathématiques, cette condition de possibilité de l'existence est la correspondance entre un ensemble A et un ensemble B, qui à tout élément de A associent au plus un élément de B.

Par exemple, la relation qui à tout entier associe son carré est une fonction de dans . Par extension, on peut également définir des fonctions de plusieurs variables, telles que la relation qui au triplet de réels (x, y, z) associe le produit xyz. Quant à ce qui nous concerne, on ne s'intéressera qu'aux fonctions structurelles de l'appartenance sociale.

Le terme de fonction est utilisé pour la première fois en 1637 par Descartes pour désigner une puissance xn d'une variable x. Puis, en 1694, Leibniz applique ce terme à différentes caractéristiques d'une courbe. Mais c'est Dirichlet qui a le premier énoncé le concept de fonction dans son sens moderne de correspondance. Il conçoit une fonction y comme une variable dépendante, dont les valeurs sont fixées ou définies par les valeurs assignées à la variable indépendante x ou à plusieurs variables indépendantes x1, x2, ..., xn. Enfin, au XIXe siècle, l'apparition de la théorie des ensembles élargit la notion de fonction et l'étend vers celle d'application.

L'étude des poèmes dynastiques nous a révélé, selon la recherche des conditions des possibilités données par Mutuza, l'existence d'un système social. Mais, malheureusement, Mutuza n'a pas su nous dire comment chez les Hima-Tutsi la fonction n'existe pas mais plutôt une application.

La notion de fonction est souvent confondue avec celle d'application et Mutuza s'y est bien appliqué en disant que : « Les valeurs positives de la civilisation manquent presque totalement dans la fonction royale. Ce sont les valeurs négatives qui dominent, et c'est sur ces valeurs que se construisent l'existence et la survie de la tribu. Si le roi assied sa réputation divine sur sa capacité de procurer de la pluie, c'est que l'existence physique des hommes est constamment handicapée par l'inclémence de la sécheresse impitoyable. Si la razzia est institutionnalisée comme valeur sociale, c'est que la survivance de tribale est subordonnée, en partie au moins, à la destruction d'autrui »(592(*)).

Nous sommes là en face d'une application plutôt que d'une fonction. Cependant, à la différence d'une application, tous les éléments de l'ensemble de départ d'une fonction n'ont pas forcément d'image dans l'ensemble d'arrivée. Par exemple, la correspondance qui associe à un nombre son carré est une application ; en revanche, celle qui associe à un nombre son inverse n'est pas une application car 0 n'a pas d'image.

Soit f une fonction d'un ensemble A vers un ensemble B. On note alors :

 

Il ne faut pas confondre la fonction f avec la valeur f(x) prise en x par la fonction f.

Le fonctionnalisme systémique tel qu'il est détaillé par Mutuza nous conduit vers un historicisme qui ouvre la problématique du mythe. Avant de comprendre l'historicisme de Mutuza nous sommes appelé à parler de l'historicisme tel que connu dans le monde scientifique afin de saisir par son entropologie la valeur évaluative du mythe dans la vie sociale.

L'Historicisme est le concept associé au développement, vers le milieu du XIXe siècle, en particulier en Allemagne, de la notion de « sens historique », qui admet que le passé est radicalement différent du présent et qu'il ne peut être appréhendé qu'en fonction de son contexte propre. Le terme a d'abord été largement utilisé dans les débats des économistes politiques germanophones : on reprocha à Gustav Schmoller et à son école de présenter une théorie économique trop dépendante de l'histoire économique, ce qui fut qualifié d'Historismus. Le terme « historicisme » prenait ici un sens péjoratif et s'appliquait aussi à la tentative d'introduire l'histoire dans des disciplines où elle n'avait pas sa place. Le philosophe Nietzsche considéra l'historicisme comme une approche désuète et non critique de l'histoire, la réduisant à une simple accumulation de données historiques.

Le philosophe allemand Ernst Troeltsch tenta le premier de qualifier l'historicisme de façon plus objective. Il le définit comme une tendance à considérer les connaissances et les expériences comme perméables au changement historique. Selon lui, l'historicisme était un courant dominant dans la pensée du XIXe siècle, qu'il opposa à l'étude généralisée et quantitative de la nature, ou Naturalismus. L'historicisme fut considéré comme Weltanschauung, une vision du monde fondamentalement différente de la perspective « naturaliste » ou « positiviste » fondée sur le concept de l'existence d'une loi universelle naturelle et constante. Une autre interprétation de l'historicisme mit l'accent sur l'importance qu'il accordait au concret, à l'unique et à l'individuel (Friedrich Meinecke).

Le terme d'historicisme connut un glissement de sens lorsqu'il passa en anglais vers la fin des années 1930. Il prit une acception méthodologique et fut associé aux principes d'explication et d'évaluation. L'historicisme attaqué par F.A. Hayek et surtout Karl Popper était la doctrine du XIXe siècle qui prônait l'existence de certaines lois de développement sur lesquelles on pouvait se fonder pour faire des prédictions scientifiques sur le futur. Cette définition reflétait une tentative de rendre l'histoire « scientifique », sur le modèle des sciences naturelles. Les dimensions idéologique et méthodologique du terme « historicisme » sont bien plus évidentes en allemand, qui distingue Historismus de Historizismus.

Depuis le début des années 1980, un « nouvel historicisme » est apparu en littérature sous la forme d'un genre nouveau de critique historique. L'oeuvre de Michel Foucault a été déterminante pour les nouveaux « historicistes » qui ont tenté d'éradiquer toute distinction entre littérature et histoire.

La pensée philosophique contemporaine assiste à une résurgence de l'historicisme sous forme d'une thèse sur les limites de la recherche fondée sur la compréhension de concepts scientifiques relatifs à une tradition donnée (Robert D'AMICO). C'est dans ce contexte que Mutuza continue à utiliser le paradigme historiciste. Son fonctionnalisme est homologique et non pas méthodologique. Car, pour lui, « une lecture attentive et critique du Programme de l'idéologie politique de l'FDL, amène tout lecteur lucide et sans parti pris à s'interroger sur le projet de société de l'AFDL, ainsi que sur l'intention réelle de ses animateurs»(593(*)). Par cette compréhension, est-il ou non un historiciste ?

§2. Historicisme chez Mutuza et définition démographique positive des minorités ethniques

« Ne voyez-vous pas, dit Cicéron, quelle belle tâche c'est pour l'orateur que d'écrire l'histoire ? Peut-être même n'y en a-t-il point d'autre qui demande plus d'abondance rapide et de variété dans le style. Et pourtant je ne trouve nulle part que les rhéteurs en aient fait l'objet de préceptes spéciaux. Ces préceptes, aussi bien, sont en évidence, sous nos yeux. Qui ne sait que la première loi du genre est de ne rien oser dire de faux ? la seconde, d'oser dire tout ce qui est vrai ? d'éviter, en écrivant, jusqu'au moindre soupçon de faveur ou de haine ? Oui, voilà les fondements de l'histoire, et il n'est personne qui les ignore. » (Cicéron, De oratores)

Dans le cadre de la sociopsychologie, pouvons-nous admettre que le fait d'appartenir à un groupement minoritaire est une condition favorable ou même nécessaire ? Nous avons vu à la première partie que s'il existe un lien entre la philosophie de l'histoire de Mutuza et ses conceptions de la société et de la politique, c'est bien son rejet de l'historicisme. Sans ce lien-là, ses remarques en passant sur le bon ou le mauvais gouvernement, la politique de ses moyens, l'égalité, la justice sociale, la liberté et sa protection, pourraient facilement être prises pour les opinions ad hoc de n'importe quel citoyen profane, bien intentionné et progressiste, dont les années de formation s'étendraient de la Grande dépression au premier Etat-providence et à l'économie mixte.

C'est dans son deuxième chapitre intitulé Idéologie Hima-Tutsi et la crise dans les pays des Grands Lacs que Mutuza ouvre la voie vers sa croyance en un historicisme estampillé. Il l'affirme sans réserve : « Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient, dit une sagesse de nos pères »(594(*)). Mutuza se réfère à Aristote : « c'est en considérant les choses dans leur origine qu'on en obtient l'intelligence »(595(*)).

Là se pose un problème d'interprétation. Mutuza fait un mauvais jeu dans son emprunt à Aristote. Celui-ci est dans l'ontologie, alors que lui, Mutuza, est dans la philosophie pratique, dans la « sociologie ». Il traite la question comme si un cumulatif d'information emmagasinée constitue le fondement de la résolution des conflits. Il est entrainé sur le terrain d'un pragmatisme dont le mythe Hima-Tutsi donne une prédication.

Le pragmatisme est une attitude (d'une personne) qui privilégie l'action pratique, l'adaptation au réel et la recherche de l'efficacité, plutôt que des considérations théoriques ou idéales et, c'est un réalisme. C'est la doctrine philosophique développée au XIXe siècle par les philosophes américains Charles Sanders Peirce, William James, puis John Dewey, George Mead et Clarence Lewis qui affirme que le critère de vérité d'une proposition est son utilité pratique, que le but de la pensée est de guider l'action et que la conséquence d'une idée est plus importante que son origine.

Le pragmatisme est la première philosophie américaine à avoir été développée de façon autonome. Il s'oppose à toute spéculation sur des questions qui n'ont pas d'application pratique et donc en particulier à la métaphysique. Il considère que la vérité est relative à une époque historique, au lieu et au but de la recherche, et que la valeur est aussi inhérente aux moyens qu'aux fins.

Ses ténors affirment que la solution aux véritables problèmes philosophiques viendra des méthodes empiriques issues des sciences, essentiellement de l'observation et de la déduction. Le critère de la vérité énoncé par Peirce fait intervenir celui de sa signification : « Comprendre un énoncé, c'est savoir ce qu'il en est, s'il est vrai. » Ces affirmations servirent de base au positivisme logique.

Le philosophe américain John Dewey fit évoluer le pragmatisme vers l'instrumentalisme, qui pousse le critère de la vérité jusqu'à être une « assertivité garantie », définie par James dans les termes suivants : « Le vrai consiste simplement dans ce qu'il est avantageux pour la pensée » (le Pragmatisme, 1907). Aujourd'hui, Hilary Putnam et Richard Rorty sont les principaux représentants américains du pragmatisme. Ce dernier, dans les Conséquences du pragmatisme (1982), oppose la voie philosophique ouverte par Platon et Kant à tous ceux, qui, comme Wittgenstein et Dewey, mais aussi comme Foucault et Derrida, nient la possibilité de dire quelque chose de recevable sur les concepts normatifs issus de la tradition philosophique, comme la vérité, la rationalité, la morale. Pour Rorty, il s'agit d'abandonner les vérités qui n'ont pas été « payantes ».

Le pragmatisme fut l'approche dominante de la philosophie aux États-Unis dès le début du XXe siècle et continue de régner de nos jours sur la pensée américaine. Charles Sanders Peirce formule une théorie pragmatique de la connaissance, pour laquelle le sens d'un concept réside dans les prédictions que rend possibles son usage et qui sont vérifiables par l'expérience future.

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'idéologie positiviste légaliste est sérieusement remise en cause par le jeu cumulé de plusieurs facteurs. Il apparaît ainsi que les premières codifications, loin de couvrir tous les problèmes susceptibles de survenir dans la vie sociale, doivent nécessairement être interprétées et adaptées assez largement par les juges saisis de litiges de nouveaux types, apparus, par exemple, avec l'industrialisation massive. Ce constat est dressé sans concession par François Gény qui prône la « libre recherche scientifique » du droit, et non plus l'application servile de textes législatifs créés en d'autres temps pour d'autres besoins.

En outre, le mythe du législateur omniscient et rationnel, qui sous-tendait l'idéologie des codifications napoléonienne et germanique, est contesté par ceux, de plus en plus nombreux, qui estiment que la société produit spontanément des normes juridiques qui n'attendent pas l'État pour exister, et qui vont même jusqu'à contredire le droit de l'État. Ce type de thèse est notamment défendu, en Allemagne, par les partisans de l'école du « libre droit » née sous l'impulsion de l'historien du droit Kantorowicz et surtout du sociologue du droit Ehrlich, qui est à l'origine directe de ce mouvement de pensée.

La réaction au positivisme légaliste n'est cependant pas antipositiviste en elle-même. Comme leurs prédécesseurs, les auteurs contestataires partagent, et même développent à l'extrême, la thèse de la relativité du droit et des valeurs, au point parfois d'aboutir à certains excès en légitimant ou en acceptant de façon assez cynique le pouvoir quasiment incontrôlé du juge. Aussi le positivisme sociologique ne devait-il finalement qu'être un moment réactif, destiné surtout à tempérer les excès du légalisme et à favoriser l'émergence de théories moins polémiques.

Kelsen s'est attaché, au milieu du XXe siècle, à faire de la théorie du droit une véritable science, dépourvue de toute-arrière-pensée idéologique. Ce faisant, il en est arrivé à décrire le système juridique comme une pyramide de normes au sommet de laquelle se trouve la norme fondamentale, justifiant toutes les autres. On a pu reprocher à Kelsen un normativisme froid. Dans la Théorie pure du droit, l'hypothèse du conflit de normes illustre son raisonnement.

Le milieu du XXe siècle est marqué par sa théorie confinée dans Théorie pure du droit, 1962. Dans la lignée des premiers courants positivistes, Kelsen entreprend de mener jusqu'à son ultime conséquence la caractérisation du droit par référence à ses seuls éléments formels, indépendamment de son contenu. C'est ainsi que Kelsen en vient à affirmer que tout système juridique peut être défini comme un ensemble hiérarchisé de normes ayant en propre d'attacher à un certain état de fait une conséquence donnée. Par exemple, est une norme juridique la norme qui attache une sanction particulière au fait de tuer un homme. De même, est juridique la norme qui impose à une cour d'appel d'annuler le jugement rendu par un tribunal inférieur en violation de la loi. Dans la perspective kelsénienne, le caractère juridique d'une norme ne peut donc être compris en observant le contenu de la norme en question ; il résulte, bien plutôt, de sa structure et du fait que son édiction a eu lieu conformément à la hiérarchie du système juridique dans son ensemble.

Le caractère très abstrait des théories kelséniennes a souvent été dénoncé. La faiblesse de la théorie réside, notamment, dans son incapacité à expliquer comment la norme juridique suprême (la Constitution, par exemple) en vient à posséder un caractère juridique, puisqu'il n'existe aucune norme juridique de niveau supérieur conformément à laquelle la Constitution a été posée. Aussi certains estiment-ils raisonnable de réintroduire, dans la description des systèmes juridiques, le constat de la fondation sociale de l'obligation juridique.

À cet égard, la tentative la plus stimulante est sans doute celle de Hart, auteur en 1961 d'un célèbre ouvrage intitulé The Concept of Law (le Concept de droit). L'auteur, s'appuyant sur la réflexion philosophique, mais aussi sur l'anthropologie et la sociologie, défend l'idée que tout système juridique peut être défini comme l'articulation de règles de nature différente : les règles « primaires », qui imposent aux sujets de droit certaines obligations (ne pas tuer, respecter les promesses que l'on a souscrites, etc.) et les règles « secondaires », qui permettent notamment de reconnaître et de changer les règles primaires. Dans la perspective de Hart, qui s'inscrit en faux contre Kelsen, la norme juridique de niveau suprême ne peut cependant être « reconnue » autrement que par l'observation, c'est-à-dire par le constat que les membres d'une société donnée se considèrent comme liés par cette norme ultime. Il y a là un pragmatisme qui est tout à l'honneur de l'auteur. Reste à savoir si le positivisme ne peut être contesté, précisément pour cette raison.

Le positivisme juridique a toujours été et sera vraisemblablement toujours critiqué par ceux qui, d'une façon ou d'une autre, récusent la possibilité de définir le droit sans faire référence à une justice absolue, à des valeurs transcendantes. Pour ceux-là, le positivisme est insupportable, car il donne un soubassement théorique à l'affirmation que les lois nazies étaient du droit, et légitime indirectement les actes accomplis par les subordonnés des autorités les plus infâmes. Il est d'ailleurs symptomatique de constater qu'au lendemain de la Seconde Guerre « mondiale », certains éminents positivistes ont opéré un complet revirement par rapport aux thèses qu'ils défendaient par le passé. Ainsi, le positivisme pose de façon ultime la question de l'intrusion des valeurs, non dans le contenu du droit, mais dans la définition même du droit. Et cette définition implique un domaine précis des différentes fonctions.

Ces différentes étapes qui président à l'étude d'une fonction sont l'établissement de son domaine de définition et de ses propriétés, le calcul des limites aux points remarquables, l'étude de sa continuité et de sa dérivabilité, la recherche d'asymptotes et sa représentation graphique. On se placera ici dans un repère cartésien (xOy). Mais Mutuza se situe dans l'aspect social. Descartes, lui, agit en solipsiste, niant l'existence du monde extérieur. Comment la fonction peut-elle être comprise sans le cogito ?

Contrairement à Descartes, Locke insiste sur la nécessité de se passer de considérations a priori : il n'y a pas de principes innés (contre Descartes et les métaphysiciens), et seule l'expérience empirique doit être prise en compte. Dans son quatrième livre où il traite de la vérité, John Locke dit qu'elle est seulement affaire de mots et de discours, et la réalité intéresse les sens. Pour pallier les insuffisances de nos possibilités de connaître la réalité, nous pouvons essayer d'employer dans nos discours la notion de choses « probables », faute de mieux.

C'est avec John Locke que l'étude sociale d'une fonction f d'un ensemble A vers un ensemble B peut être comprise. Pour aborder l'étude de cette fonction, il faut avant tout déterminer son ensemble de définition Df, sous-ensemble de A pour lequel la fonction est toujours définie. On peut alors dire que la fonction est une application de son ensemble de définition vers l'ensemble d'arrivée B. Le domaine de définition de f correspond aux valeurs de x pour lesquelles f(x) est défini. Par exemple, le domaine de définition de la fonction f, qui à tout réel x associe f(x) = 1/[x(x - 2)], est Df =   - {0 ; 2}, ensemble des nombres réels, différents de 0 et 2, valeurs pour lesquelles le dénominateur de la fraction s'annule. C'est donc dans le domaine social que le problème mathématique trouve son fondement.

Dans les Deux Traités du gouvernement (1690), Locke a attaqué la théorie du droit divin des rois, droit que l'on rencontre dans les poèmes dynastiques, et la conception de la nature de l'État propre à Thomas Hobbes. Locke soutient que la souveraineté ne réside pas dans l'État mais dans le peuple, et que l'État n'est suprême qu'à condition d'être tenu par le droit civil et par le droit « naturel ».

Pour Locke, les révolutions ne constituent pas seulement un droit, mais souvent une obligation. Il préconise un système tripartite d'équilibre des pouvoirs dans le gouvernement, le pouvoir législatif y étant plus puissant que les pouvoirs exécutif et judiciaire. Il défend également la liberté du culte et la séparation de l'Église et de l'État.

L'école fonctionnaliste naît dans le champ de l'anthropologie sociale sous l'impulsion de Bronislaw Malinowski (+1942), puis d'Alfred Radcliffe-Brown (+1955) nous apprend que les fonctionnalistes affirment qu'un phénomène x existe en raison de l'existence d'un phénomène y ou de la variation systématique d'une pluralité de phénomènes par rapport à lui. Ce sont des assertions très rigoureuses qui présupposent un système de facteurs en corrélation que l'on peut exprimer par des formules mathématiques plus ou moins complexes. Selon le fonctionnalisme, on ne trouve rien dans la société qui ne soit « fonctionnel », qui n'agisse sur d'autres aspects de la structure ou du fonctionnement de la société. Cette doctrine, dont le cadre théorique est resté vague, s'est développée à partir d'interprétations utilisées par les anthropologues qui étudiaient des peuples n'ayant aucune histoire écrite.

À l'inverse, on peut privilégier surtout les aspects pratiques ou politiques de la science. L'un des plus fervents partisans de cette attitude est le philosophe français Auguste Comte, inventeur du mot « sociologie » et d'un système philosophique censé permettre de réorganiser la société française bouleversée par la Révolution. L'une de ses plus fameuses devises était : « Science d'où prévoyance ; prévoyance d'où action ».

En affirmant que toutes les choses existent parce qu'elles remplissent une fonction dans la structure sociale globale, la théorie fonctionnaliste apparaît comme une défense systématique du statu quo. C'est la raison pour laquelle le fonctionnalisme fait l'objet de violentes critiques de la part des sociologues dans les années 1960. À la même époque, les sciences sociales sont largement dominées par le marxisme, notamment par l'école de Francfort, qui critique les institutions existantes et préconise leur refonte complète.

S'il connaît des limites évidentes, le fonctionnalisme demeure cependant une théorie majeure des sciences sociales, qui a notamment influencé les structuralistes. Développée par Malinowski, la méthode d'observation participante, qui implique une totale immersion du chercheur dans son terrain, est toujours utilisée dans les études sociologiques.

Un important courant philosophique apparu aux États-Unis à la fin du XIXe siècle insiste lui aussi sur le caractère pratique et collectif de l'activité scientifique : il s'agit du pragmatisme, mouvement dont les pères fondateurs sont Charles Sanders Peirce, William James et John Dewey. Plus que sur les notions de cause ou de loi, les pragmatistes insistent sur l'efficacité croissante de la science pour résoudre des problèmes relatifs à la nature et sur le consensus sur lequel devrait déboucher le développement des sciences.

Le pouvoir de prédiction des théories est un thème capital pour les philosophies privilégiant tout particulièrement l'action scientifique. Il soulève toutefois des problèmes dépassant le seul domaine des applications de la science. Ainsi, même quelqu'un estimant que la science vise seulement une description vraie du monde valorisera au plus haut point la justesse des prédictions. En effet, il y trouvera sans doute une confirmation indirecte de la justesse de la description conduisant à une telle prédiction.

Mais quel que soit l'intérêt que l'on accorde aux prédictions, elles ne seront sans doute prises au sérieux que s'il s'agit d'extrapolations à partir de faits établis. Ainsi, on attend d'une loi, ou d'une relation causale, qu'elle soit vraie dans d'autres situations ou qu'elle s'applique à d'autres expériences que celles qui ont permis de l'établir. Sous prétexte que l'on a fait bouillir de l'eau à 100 °C tous les dimanches de l'an 2000, on ne considère pas comme une loi l'énoncé suivant : « Tous les dimanches de l'an 2000, l'eau est entrée en ébullition à 100 °C ». Il serait plus fécond de dire : « Le dimanche, l'eau bout à 100 °C », ou encore mieux : « L'eau bout à 100 °C ». Cette dernière formulation est jugée plus féconde dans la mesure où sa généralité permet d'anticiper ou de prévoir ce qui va se passer lorsque la température de l'eau atteindra 100 °C. En un sens, en étendant le pouvoir de la connaissance le caractère prédictif l'enrichit et la complète.

Ainsi, les incertitudes de l'induction contaminent toute spéculation sur les causes ou sur les théories explicatives : ce n'est pas parce qu'une théorie ou une explication rend compte de façon satisfaisante d'un ensemble de données ou d'expériences, qu'elle va tout aussi bien rendre compte d'autres expériences ou de nouvelles données. Pour ceux qui pensent que la science a pour but de décrire le monde avec ses principes régulateurs, le problème de l'induction est un obstacle à résoudre ou à éliminer s'ils veulent rendre indiscutable la description proposée, c'est comme le ð dans la concentricité des thèmes des poèmes dynastiques du Ruanda.

Ð est le quotient constant de la circonférence du cercle par son diamètre, égal au nombre irrationnel 3,14159 + n, symbolisé par l'équivalent grec du "p" français. Remarque d'usage: au sens mathématique, le mot est souvent écrit avec une majuscule initiale.

Le nombre p résume une histoire des mathématiques vieille de 3 000 ans, recouvrant aussi bien la géométrie que l'analyse ou l'algèbre. Les mathématiciens s'y intéressent dès l'Antiquité, et en particulier les Grecs, dans des problèmes de géométrie. En considérant des polygones réguliers inscrits et circonscrits dans un cercle, Archimède en a déterminé une valeur assez précise, l'estimant compris entre 3 + 10/71 et 3 + 10/70. Il faut attendre la naissance du calcul infinitésimal, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, pour que le nombre p intervienne dans l'étude des séries. Ainsi, Leibniz découvre la formule :

 

Les peuples agriculteurs sont de grands géomètres. Géométrie venant du grec ãÞò (Géo) qui signifie terre, et ìôñßá signifiant mesure. Donc la géométrie dont l'analyse de pi constitue le travail des peuples agriculteurs pour le mesurage de leur circonscription est le propre des agriculteurs, et les nombres premiers, jumeaux, constituent les dividendes de cette mesure.

Tolérer que des prédictions soient à la fois scientifiques et incertaines et que le raisonnement inductif ait droit de cité dans les sciences revient à se contenter d'un registre probabiliste. Autrement dit, il faut admettre que les meilleures prédictions ne sont jamais que probables. Quand on songe au problème de l'induction, aux difficultés d'interprétation posées par la mécanique quantique, ou encore à l'importance pratique prise par les méthodes statistiques, on se doute de l'importance prise en philosophie des sciences par la réflexion sur les probabilités.

Une tentative célèbre d'élimination du problème de l'induction est associée au philosophe britannique d'origine autrichienne Karl Popper. Selon lui, la démarche proprement scientifique dans la recherche de théories explicatives est de type hypothético-déductif. Elle consiste à formuler des conjectures, des hypothèses, dont sont ensuite déduites des conséquences susceptibles d'être testées expérimentalement.

En cas de succès, la conjecture, l'hypothèse ou la théorie est corroborée ; sinon elle est falsifiée. L'une des plus célèbres objections faites à cette approche comme à toutes celles reposant sur le concept d'expérience cruciale -- l'objection dite holistique ou de Duhem-Quine (Quine, Willard) -- stipule qu'un test ne porte jamais sur une hypothèse isolée, mais sur tout un réseau d'hypothèses qu'il est toujours possible de rectifier en un point ou en un autre afin de le rendre compatible avec l'expérience.

Mais alors, pourquoi la prophétie historique sans fondement est-elle fausse, et la prédiction sociale et l'intervention qui se fonde sur elle, rationnelle et digne d'être encouragée ?

§3. Concentricité des thèmes et continuité de ð(596(*)) dans les poèmes dynastiques

Connaissant que ð est la périphérie ou le contour, la réponse polissonne semble être que tout processus de continuité de l'action d'un Tutsi est régi par le schéma général de la fonction inversée de Laplace, que l'on peut symboliser, comme le fait Mutuza, à la suit de Papadopoulos, de la manière suivante :

f est la fonction dont Mutuza cherche le domaine de définition ; le A est un élément de l'ensemble qui joue un rôle en vue de l'équilibre de l'ensemble, tandis que B est l'image de A et x le moyen par lequel f(x) permet d'ouvrir le chemin vers le domaine de définition. L'aspect « néo-malinowskien » de ce schéma est du à l'analogie claire que l'on peut effectuer entre l'idée qui affirme que les institutions humaines doivent être examinées dans le contexte global de leur culture et de leur formation de la culture humaine.

Parler de ð dans l'étude d'un poème est assez étrange pour un esprit qui sait écrouler les ponts d'interdisciplinarité. L'on sait, par malveillance, que les mathématiciens sont ceux qui sont considérés comme des hommes aux raisonnements tranchés. Mais si l'on s'en tient à l'archéologie du mot mathématique, on se rend compte qu'il vient du verbe grec : ìáèáßíù qui signifie apprendre ; et ìáèçôçò est celui qui apprend. Dans l'apprentis-sage il y a ìáèÞíá, la leçon, ìáèÞôçò le disciple (élève) et ìáèÞôçêïò le fait d'apprendre. Dans cette perspective, il est très difficile que l'esprit soit borné. C'est ainsi que l'étude mathématique nous a servi comme modèle pour découvrir les marges dont se servent les géomètres avec la valeur de ð dont la suite décimale ouvre des cercles concentriques des valeurs différents.

Le thème central des poèmes dynastiques est la royauté. C'est au tour de ce thème que nous avons divers thèmes concentriques qui composent l'octave de la chaine cyclique. Tous ces poèmes sont un chaînon qui forme le cercle dont les cinq tambours chantent les louanges du roi. C'est un passage laborieux qui recommande donc de ne se sentir éloigné du Ruanda, le grand kraal. Il convient, au contraire, de voler au-dessus de la prairie des sons des tambours, de cueillir en chacun un élément propre à l'acquisition de la sagesse bovine, de façonner en soi des cellules de fromage, en déposant dans son kraal, comme dans une cruche, cet amour du bovin. Il faut aussi créer dans sa mémoire des compartiments bien séparés pour les sons de Kiringa et de Kiragutse de Kigeli, comme des alvéoles dans du fromage, et, ainsi à l'imitation du roi dont la vie est dans l'aséité et la clémence et l'inclémence, poursuivre sans cesse ce commerce terrien dans la razzia.

L'on sait que ð est égal à 3, 14. Cela implique que l'exposition du droit coutumier des bovidés récapitulé supplée les travaux de l'ethnographie sur le Ruanda. Là vient se greffer la problématique de l'appartenance qui s'effondre. La découverte de notre humanité commune peut nous faire vivre une grande insécurité. Mais les actes des Tutsi nous conduisent à douter de leur humanité.

Section 3. Prédiction et critique du mythe Hima-Tutsi

§1. Acquisition de la notion de cohésion d'un groupe du point de vue pragmatiste

Pour avoir conscience de l'existence d'une communauté, qu'elle soit minoritaire ou majoritaire par rapport à un autre groupe, concurrent ou non, il faut que chaque membre ait non seulement une impression d'union, de cohésion de ce groupe, mais que ce groupe ait également des représentants, des chefs ou un chef suprême qui peut être un dieu. Avec la question de la prédiction, l'opposition entre réalistes et antiréalistes déborde du domaine de l'abstraction et de la spéculation pour s'étendre à des préoccupations méthodologiques. Le pouvoir de prédiction des théories est un thème capital pour les philosophies privilégiant tout particulièrement l'action scientifique. Il soulève toutefois des problèmes dépassant le seul domaine des applications de la science. Ainsi, même quelqu'un estimant que la science vise seulement une description vraie du monde valorisera au plus haut point la justesse des prédictions. En effet, il y trouvera sans doute une confirmation indirecte de la justesse de la description conduisant à une telle prédiction.

Mais quel que soit l'intérêt que l'on accorde aux prédictions, elles ne seront sans doute prises au sérieux que s'il s'agit d'extrapolations à partir de faits établis. Ainsi, on attend d'une loi, ou d'une relation causale, qu'elle soit vraie dans d'autres situations ou qu'elle s'applique à d'autres expériences que celles qui ont permis de l'établir. Sous prétexte que l'on a fait bouillir de l'eau à 100 °C tous les dimanches de l'an 2000, on ne considère pas comme une loi l'énoncé suivant : « Tous les dimanches de l'an 2000, l'eau est entrée en ébullition à 100 °C ». Il serait plus fécond de dire : « Le dimanche, l'eau bout à 100 °C », ou encore mieux : « L'eau bout à 100 °C ». Cette dernière formulation est jugée plus féconde dans la mesure où sa généralité permet d'anticiper ou de prévoir ce qui va se passer lorsque la température de l'eau atteindra 100 °C. En un sens, en étendant le pouvoir de la connaissance le caractère prédictif l'enrichit et la complète.

La philosophie des sciences ne se limite pas à des thèmes aussi généraux et abstraits que les précédents. L'importance des facteurs humains transparaît surtout dans des philosophies croisant l'histoire ou la sociologie. La situation en France en donne un bon exemple pour deux raisons : d'une part, la tradition philosophique française des deux derniers siècles est fortement encline à l'histoire des idées ou au commentaire ; d'autre part, l'épistémologie française a longtemps été peu perméable au positivisme logique que l'on sait souvent radicalement anhistorique. Quelques noms prestigieux -- Pierre Duhem, Gaston Bachelard, Georges Canguilhem, Alexandre Koyré -- peuvent illustrer l'association étroite existant entre une certaine épistémologie à la française et l'histoire des sciences. Dans cette tradition, l'histoire est fréquemment au moins un accessoire méthodologique. Ainsi, la thèse la plus fameuse de Bachelard consiste à dire que ce qu'il appelle « l'esprit scientifique » progresse de manière dialectique, en s'opposant parfois à lui-même et en opérant des ruptures épistémologiques par rapport à des connaissances périmées ou mal placées. Par exemple, il serait urgent de rompre radicalement avec avis et jugements relevant de ce que Bachelard appelle « opinion » ou « sens commun ». Or, c'est en puisant largement dans l'histoire scientifique des derniers siècles qu'il entreprend d'étayer cette thèse.

Un regain d'intérêt pour la dimension humaine ou sociale des sciences s'est manifesté également dans la philosophie anglo-saxonne à partir des années 1960 avec le véritable best-seller qu'est encore aujourd'hui la Structure des révolutions scientifiques (1962) de Thomas Kuhn. Les thèses de Kuhn portent surtout sur la dynamique interne de la science. En particulier, elles prétendent que les scientifiques sont engoncés dans de véritables carcans intellectuels -- les fameux « paradigmes » --, à tel point qu'en période de crise ou de polémique, leurs prises de décisions théoriques ne relèvent guère de choix rationnels mais s'apparentent plutôt à de véritables conversions. Cet ouvrage iconoclaste a stimulé une profusion de travaux.

Que ce soit dans le sillage de Kuhn, dans celui de l'histoire des idées, ou en réponse aux critiques souvent corrosives d'une sociologie des sciences particulièrement prolifique dans le dernier quart du XXe siècle, de nombreux travaux philosophiques contemporains accordent une place de premier plan à la dimension humaine des sciences, qu'elle soit d'ordre politique, social ou même cognitif. Et en effet, l'essor des sciences cognitives et le regain d'intérêt pour la philosophie de l'esprit ramènent certains courants de la philosophie des sciences vers la théorie générale de la connaissance.

En somme, la philosophie des sciences d'aujourd'hui ne se réduit pas à un seul courant dominant mais présente, au contraire, de multiples facettes témoignant de sa vitalité.

Cela nous permet de procéder à une critique, si critique, du grec êñéíù (Krinô), dont le spectre sémantique est distinguer, juger, passer au crible, choisir et trancher, etc. Son substantif est êñéóéò (Krisis), d'après lequel toute critique est comparative et judicative.

Si le terme n'apparaît qu'au XVIIe siècle, la dialectique platonicienne à l'oeuvre dans le Sophiste notamment, ainsi que la condamnation pour parricide de Zoïle sous Ptolémée Philadelphe, premier critique connu d'Homère, attestent d'emblée que tout discours -- à plus forte raison en philosophie -- comporte de facto une dimension critique issue, notamment, de la tradition judiciaire et rhétorique grecque.

C'est en philologie cependant que la critique entendue comme telle acquiert ses premières lettres de noblesse. À la Renaissance notamment, l'édition des auteurs anciens ainsi que l'établissement du texte biblique selon des critères historiographiques rigoureux concourent à asseoir sa spécificité.

Est-il bien prudent de parler de connaissance à la fois plus vaste et plus assurée sous prétexte que certaines prédictions sont confirmées ? Disposant d'un ensemble de données présentant telle ou telle caractéristique, qu'est-ce qui garantit la justesse de l'extrapolation que l'on va en faire à des situations jugées comparables ? Rien. C'est du moins la réponse apportée --notamment par Hume -- au problème posé par le raisonnement inductif (ou induction), opérant par extrapolation, que ce soit en étendant un résultat à un autre cas particulier, en procédant à une généralisation ou encore à une anticipation sur l'avenir.

« Qu'est-ce qui me garantit que le Soleil va se lever demain ? », demande Hume. Rien, si ce n'est -- encore une fois -- l'habitude. Un raisonnement déductif, par exemple de type logico-mathématique, est mal placé pour venir compenser directement les défaillances de l'induction car, à strictement parler, il opère sur des symboles. L'application du calcul à des situations expérimentales demande des règles pratiques -- et non pas logiques ou mathématiques -- dont la détermination des conditions de validité réintroduit, de façon plus ou moins visible, des problèmes de type inductif. C'est le pragmatisme logique.

Le texte de Kelsen illustre bien la situation du pragmatisme juridique. Il note que « parce qu'elle est le fondement de validité de toutes les normes qui appartiennent à un seul et même ordre juridique, la norme fondamentale assure l'unité de ces normes dans leur pluralité. Cette unité s'exprime aussi dans le fait qu'un ordre juridique peut être décrit en propositions de droit qui ne se contredisent pas. Naturellement, on ne peut pas nier qu'il est possible qu'en fait des organes juridiques posent des normes entre lesquelles il y ait conflit -- en d'autres termes : qu'il est possible qu'ils posent divers actes dont le sens subjectif est un Sollen et que, si l'on admet que ces actes ont la même signification objectivement aussi, si on les considère également comme des normes, il y ait conflit entre ces normes. Un tel conflit de normes existe lorsqu'une de ces normes dispose qu'une certaine conduite doit avoir lieu, alors que l'autre dispose que doit avoir lieu une conduite inconciliable avec la première. Si, par exemple, la première de ces normes disposait que l'adultère doit être puni, et la seconde, que l'adultère ne doit pas être puni ; ou si la première disposait que le vol doit être puni de mort, la seconde que le vol doit être puni de prison(597(*)) ».

Comme on l'a précédemment exposé [...] ce conflit ne consiste pas en une contradiction logique au sens strict du terme, bien que l'on ait accoutumé de dire que les deux normes « se contredisent ». Car les principes logiques, et en particulier le principe de non-contradiction, sont applicables à des assertions, lesquelles peuvent être ou vraies ou fausses ; et une contradiction logique entre deux assertions consiste en ce qu'une seule d'entre elles peut être vraie, ou la première ou la seconde ; et si l'une d'entre elles est vraie, l'autre doit nécessairement être fausse. Mais une norme n'est ni vraie ni fausse, une norme est valable ou non valable.

« Par contre, ce qui peut être vrai ou faux, ce sont les assertions qui décrivent un ordre normatif et qui disent qu'une norme déterminée est valable selon cet ordre, et en particulier les propositions de droit qui décrivent un ordre juridique et qui énoncent que, selon cet ordre juridique, telles et telles conditions étant données, un acte de contrainte déterminé doit être fait ou ne doit pas être fait. C'est par ce biais que les principes logiques en général, et par suite le principe de non-contradiction en particulier, peuvent être appliqués -- directement -- aux propositions de droit qui décrivent des normes juridiques, et en conséquence -- indirectement -- aux normes juridiques elles-mêmes (598(*))».

Par suite, ce n'est pas tellement une déviation que de déclarer que deux normes juridiques « se contredisent » l'une l'autre. Et, en conséquence, on ne peut considérer comme objectivement valable qu'une seule d'entre elles. Il y a dans l'idée que A doit être et en même temps ne doit pas être, autant d'absurdité que dans l'idée que A est et en même temps n'est pas. Tout de même qu'une contradiction logique, un conflit de normes représente une absurdité.

« Mais la connaissance du droit cherche -- comme toute connaissance -- à concevoir son objet comme un tout pleinement intelligible, et à le décrire en propositions non contradictoires ; par suite, elle part de l'idée que les conflits de normes peuvent être et doivent nécessairement être résolus dans le cadre des matériaux normatifs qui lui sont donnés -- ou plus exactement imposés --, cela par la voie de l'interprétation »(599(*)).

La différence ici, c'est que le pouvoir mythique du roi est une oeuvre des hommes, qui ainsi, d'une part, est impuissante à les sauver entièrement - et, d'autre part, n'est accessible qu'à quelques hommes. Au contraire - et nous arrivons ici à l'argument fondamental de Mutuza, l'histoire est animée d'une vertu salvatrice : « En effet, s'il existe chez tous les peuples des individus qui peuvent servir de modèle à l'humanité, il n'y a pas, sur la terre des hommes, un seul peuple, une seule race ou une seule nation qui puisse servir de modèle irrécusable aux autres. Mais les mythes ont une vie longue, d'autant plus longue qu'ils répondent aux intérêts de la domination.

L'histoire de l'évolution de mythe hima-tutsi est simple et cohérente. Elle obéit à la logique de la domination. C'est ce que nous apprend Bernard LUGAN pour la région de Grands Lacs, dans son ouvrage polémique et fasciste »(600(*)) S'il faut parler clair, le mythe Hima-Tutsi, très utilitariste, élaboré de la science coloniale et de ceux qui lui ressemblent a été utile à peu, si même elle leur a été utile, tandis que la manière de ceux qui, comme Mutuza, ont écrit de façon à la fois plus simple et pratique (ðñáãìáôéêþò) et capable de persuader la masse, a été utile à bien plus. La science colonial, on peut le voir, n'est dans les mains que de ceux qui paraissent philologues.

Nous ne disons pas cela pour condamner la science coloniale, car elle a apporté beaucoup de belles choses aux hommes, mais pour montrer le dessein de ceux qui disent que « leur parole n'est pas dans la persuasion des paroles de mythes, mais dans la manifestation de l'histoire ». Nous voulons bien accorder que certaines valeurs sont bien communes à l'humanité, mais on n'y trouve pas la même explication pour soumettre les faibles.

Nous sommes ici au fond de la question. L'histoire pour Mutuza est moins une doctrine qu'une force des doctrines qui change le cours des événements des hommes. Il est remarquable qu'en cette recherche qui oppose Mutuza à Musey, les vrais arguments de part et d'autre, ne soient pas philosophiques. Ou plutôt, cela n'est pas étonnant, car, en tant que philosophes, ils sont près d'être d'accord, mais le débat porte sur les faits. Il s'agit de savoir où l'on reconnaitra la vraie réalisation des principes sur lesquels ils sont d'accord. Musey pense que c'est dans l'archéologie, c'est-à-dire dans l'écriture que la prédiction des faits est cohérente et conteste l'historicisme qui est un mode fondamentaliste de la science. Il est donc permis à l'archéologie de faire surgir, d'après tout son mécanisme connu ou supposé, cette grande famille de faits (car c'est ainsi qu'on devrait se la représenter si cette parenté dite universelle doit avoir un fondement- au sens kantien) des traces, qui subsistent des plus anciennes révolutions des faits.

Au contraire, l'argument essentiel de Mutuza, c'est l'efficacité de l'histoire pour la prise de conscience de l'homme. « L'argent de corruption perd, chez les Bantu, sa puissance magique là où le sang a été abondamment versé. Notre responsabilité est grave et nous sommes irrévocablement compromis devant la génération de demain si nous ne parvenons pas à régler aujourd'hui la guerre qui continue à sévir à l'Est de notre pays »(601(*)).

Le Mythe Hima-Tutsi nous pousse encore loin dans l'analyse. A l'intérieur d'une même problématique qui est la vision du monde comme vie de l'homme, la réponse de Mutuza est différente de celle de Musey. Musey dit, avec Platon : la prédiction est possible, mais la croyance en une technologie sociale est incontestablement une croyance en une forme d'historicisme. Cependant, comme les termes que Mutuza utilise pour caractériser l'historicisme d'une part, la technologie sociale de l'autre sont quelque peu réversibles (pile la prophétie déterministe, face à un ensemble d'hypothèses prédictives accessibles au test), on peut avoir l'impression qu'ils sont à des années-lumières l'un de l'autre. Mais ce n'est le cas que parce que la même opération linguistique est décrite par Mutuza comme de la métaphysique ou comme une méthode subjective, suivant ce qu'elle prédit, ou pourquoi, ou dans combien de temps.

A l'évidence, il y a des types de prophétie qui sont essentiellement impossibles à tester. « Le Royaume de Dieu viendra » ou « l'exploitation de l'homme par l'homme prendra fin » n'ont aucun contenu d'information observable. Je peux toujours prétendre que ce type de prophétie a en fait été réalisée, et personne ne peut me traiter de menteur. Citoyen Mutuza ravale ce genre de prétention au domaine de la fantaisie apocalyptique. De même, l'affirmation « la mondialisation sera finalement réalisée » ne risque jamais d'être réfutée, à la fois parce que nous ne nous sentirons peut-être jamais forcés de nous mettre d'accord sur ce qu'est la mondialisation, et ce que signifierait sa réalisation, et parce que même si nous étions d'accord, « confiture demain » demeurerait à jamais compatible avec « jamais avoir confiture aujourd'hui ». Ce truc est vieux comme Hérode, et si l'historicisme n'était jamais rien d'autre que de la prophétie irréfutable, nous pourrions aller vaquer. Mais lorsqu'une prédiction n'est plus métaphysique mais « observationnelle », s'agit-il de l'abracadabra de la prophétie historiciste ou de la prédiction scientifique de la technologie sociale ?

Mutuza implique que c'est le tour de passe-passe lorsqu'elle est à grande échelle, et la science politique, lorsqu'elle porte le détail. Mais le mot-clé du « détail », dans ce contexte, n'est rien d'autre qu'un procédé-clé pour se dispenser de répondre à la question. C'est dans le même cas que nous trouvons les mots diaspora, citoyenneté transfrontalière, minorité, etc.

Autant que nous ayons pu nous en assurer, Citoyen Mutuza ne définit nulle part ce que c'est qu'un « détail » ou une minorité; nous avions dit que lire le mot comme s'il se rapportait à la taille ou à l'ampleur des chantiers de réforme serait évidemment erroné ; pas à pas ou petit à petit, tout cela est bien trop subjectif et réversible pour nous laisser dire d'une mesure sociale si c'est ou non une mesure de détail.

C'est donc avec les premiers Blancs qui furent venus chez nous que l'on rencontre la nuance de minorité. Mutuza et Musey le disent õðñ ôïà öÌ Þóõ÷ßáò ìÞ ðåñéóðþìåíïí (avec plus de tranquillité et moins de distraction), car, ayant vécu ce qu'il racontent, une ðß÷áñé (grâce particulière) juche sur la vie de peuple bantu avec une äõíÜìéò (vertu) de la culture de « cette région...érigée en royaumes et que ces royaumes étaient dominés par la minorité hema-tutsi. Hantés par les préjugés de l'homme blanc, créateur des civilisations et, retrouvant chez les Tutsi les « faciès » ressemblant aux leurs, ils en conclurent que cette minorité, comme eux, était faite pour dominer la majorité bantou »(602(*)).

En fait, Mutuza emploie le mot minorité comme un synonyme pour négligeable. Un acte minoritaire d'ingénierie est un acte dont nous pouvons discerner et juger les effets dans un avenir fini, de préférence avant que nous ne soyons tous morts. On peut aussi le supposer qu'il est économique : « Ceci dit, nous croyons plus que quiconque à la méritocratie, mais à une méritocratie sans qualification prédéterminée, comme l'idéologie la plus appropriée pour l'établissement de la démocratie au Congo et dans les pays des Grands Lacs »(603(*))

Toutefois, Mutuza apporte ici, comme partout, sa marque personnelle. Tout le travail que nous essaierons d'accomplir sera précisément de nous efforcer de discerner dans sa croyance en l'ingénierie sociale ce qui est l'écho de la tradition politique des Tutsi et ce qui est l'influence du dehors. Nous aurons ainsi à le situer dans le courant de la vie de la communauté universitaire et dans la culture de son temps. C'est seulement ainsi que nous pourrons avoir de lui une vue exacte. Or trop souvent on a confondu les deux choses et identifié chez les Bantu discrétion et lâcheté. Nous voudrions ici, comme pour les autres questions, montrer chez Mutuza ce double aspect.

C'est d'ailleurs ce que nous avons dit de Mutuza : sa croyance en l'ingénierie sociale se trouve exposée dans tous ses ouvrages sans aucune exception, puisqu'ils sont tous fondés sur l'emploi de la méthode subjective, y compris l'Apport de la Psychologie dans la formation du juriste. Toutefois, nous avons la chance de posséder un exposé systématique de la méthode subjective par Mutuza lui-même : le quatrième chapitre de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi est, en effet, consacré à la nationalité anthropologique et à son interprétation. Il y a là dedans le panafricanisme, la citoyenneté transfrontalière, la diaspora, la méritocratie des minorités, la xénophobie des Congolais, la politique de ses moyens et beaucoup d'autres thèmes dignes de prédiction sociale : la fin de l'existence des Bantu dans les pays des Grand Lacs.

Il est désormais question de comprendre que les poèmes dynastiques, pour nous en tenir à l'acte héroïque fondé sur la force physique, nous permet vite de constater une similitude frappante avec les thèmes des spécialistes en Sciences Sociales entre les deux conceptions et traitements poétiques. Nous nous contenterons de citer deux extraits décrivant le même exploit, la lutte du corps à corps avec le lion :

« Pareil à l'Archer qui brandit un bâton de pasteur

Dont d'un coup il asséna un Lion,

Qui, pour enlever les génisses, était aux aguets.

Il le frappa, telle la foudre des airs,

Il le fendit, une bonne fois, comme d'une hache le bois

Et répandit à terre les perles de son collier.

Il était bien trempé le bâton de cet Archer !

Il l'en broya comme le marteau fait le minerai,

Et le Porte-crinière fut chassé par le Victorieux ! »

(P. 170, p. 92)

On voit bien là une hypothèse faite sur les conséquences probables d'une mesure politique publique appartenant à la technologie sociale lorsqu'elle est exposée au test du succès ou de l'échec, au tour de passe-passe lorsqu'elle ne l'est pas. Mais les deux sont historicistes en ce qu'elles présupposent une science de la société, la possibilité de savoir ce qui lui fait faire tic-tac comme ceci, aussi bien comme cela. C'est un néo-darwinisme qui se dessine.

Dans ce contexte la position de Mutuza est très forte, car, comme il le remarque, c'est aux occidentaux, alliés de l'AFDL que les Bantu s'attaquent en même temps qu'aux Tutsi qui sont leurs chiens de chasse: « Considérées en elles-mêmes, les dix leçons du Programme de l'idéologie politique de l'AFDL, nous l'avons dit, est un amalgame des concepts, des propositions et des jugements juxtaposés les uns à côté des autres sans aucun raisonnement renforcé par une argumentation solide ne vienne les coordonner logiquement et systématiquement, de manière à leur faire dégager un corps d'idées clairement structurées et définies, susceptibles d'influencer la pensée et le comportement des membres de la communauté nationale c'est-à-dire, une théorie inspiratrice et justificatrice de l'agir social nouveau »(604(*)).

C'est dans le cadre du consensus que Mutuza donne un tableau des moyens culturels, qu'il tire de Papadopoulos, prouvant la dépendance des Hutu et la domination (apparente) des Tutsi sur l'organisation politique, tout en donnant une valeur numérique absolument conventionnelle et illustrative. Là Mutuza montre sa position personnelle vis-à-vis de la communauté du discours.

Tout conspire à faire de Mutuza un ingénieur social incontesté. Sa croyance en l'historicisme ouvre la voie à une critique du néo-darwinisme qui s'attaque au mythisme.

§2. Michel de Foucault et l'archéologie structuraliste d'appartenance

Philosophe, et aussi historien de fait et de goût, Michel Foucault fut, à partir des années soixante, l'une des figures les plus influentes du paysage culturel français. Après avoir enseigné aux universités de Clermont-Ferrand, puis de Tunis, et enfin de Paris-VIII (Vincennes), il a été élu en 1970 au Collège de France, où il occupait la chaire d'histoire des systèmes de pensée.

Ce qui nous intéresse chez Foucault c'est sa manière de replacer événements et savoirs dans des perspectives inédites, et dans lesquels la documentation érudite, l'interprétation originale et la description talentueuse sont subtilement indissociables, lui ont gagné la faveur d'un large public volontiers séduit et fasciné. Aussi les controverses de ses thèses philosophiques nous paraissent les jalons d'une pensée continuatrice du structuralisme. La discontinuité anonyme du savoir est un des thèmes qui donne place à cet auteur dans la recherche de l'identité et d'appartenance. Comme il ne veut pas être philosophe dans son acception habituelle : la recherche des « conditions de possibilité » du savoir qui n'a, chez lui, qu'un rapport d'homonymie avec l'entreprise kantienne.

« Le savoir, écrit-il, comme champ d'historicité où apparaissent les sciences, est libre de toute activité constituante, affranchi de toute référence à une origine ou à une téléologie historico-transcendantale, détaché de tout appui sur une subjectivité fondatrice »(605(*)).

Sa parenté avec Mutuza est Marx. Et d'ailleurs les seuls maîtres dont Foucault se réclame sont Marx et Nietzsche, et G. Bachelard (les seuils épistémologiques), G. Canguilhem (les « déplacements et transformations des concepts), on rencontre encore Mutuza et Musey en cette matière de réévaluation des concepts ; il y a aussi M. Gueroult (« l'unité architectonique des systèmes philosophiques »), pour les contemporains. La dénomination qu'il accepte est celle que nous rencontrons chez Musey : un archéologue, d'un archéologue voué à la reconstitution de ce qui en profondeur rend compte d'une culture : archéologie du « silence imposé au fou », archéologie du regard médical, des sciences humaines, du savoir en général, de la société disciplinaire.

L'attitude de domination dans laquelle se placent les Tutsi dans leur triode mythique de kinyarwanda nous permet de comprendre que, à la lumière de Foucault, « la grande confrontation de la raison et de la déraison a cessé de se faire dans la dimension de la liberté, et où la raison a cessé d'être pour l'homme une éthique pour devenir une nature ». C'est d'une dimension de liberté que témoignent encore ces penseurs dont le génie voisine avec la folie : Nerval, Nietzsche, Artaud.

Son étude sur le langage serait, pour nous, le premier inventaire, en forme de littérature, des pouvoirs dédoublants du langage, et dont la déraison communique sans doute avec la raison de notre monde.

Quand Mutuza laisse le vide entre le visible et l'invisible, notre kénôme se trouve remplit par la présence dont il est arrivé alors, en effet, à tenir sur l'individu un discours à structure scientifique, une fois que se sont modifiés le partage de ce qui s'énonce et de ce qui est tu, comme le kihutu, glossonyme des Bahutu. La figure de l'homme est l'un de thème qui fait la nouveauté de Foucault, c'est-à-dire, en rigueur de terme, « la finitude sans infini »(606(*)). C'est la métaphysique de l'infini qui ouvre la voie radicale du structuralisme comme base d'analyse prédictive de l'identité.

§3. Musey face au Structuralisme comme base d'analyse prédictive de l'identité

Dans son livre intitulé Claude Lévi-Strauss : Anthropologie et Communication, Musey pense que si « l'homme » est réellement ce produit, en somme monstrueux, obtenu par la mutilation de l'infini en lui, il faut plutôt se réjouir de sa disparition, comme on peut s'affliger de son surgissement(607(*)). Claude Lévi-Strauss, nous le voyons, ne s'y est pas trompé. Michel Foucault, pas davantage. Puisque c'est dans l'événement que l'homme invente et la structure lui sert de base conceptuelle. Ainsi seule la structure existe, l'événement est construction humaine.

Le structuralisme, issu des travaux de Ferdinand de Saussure (Cours de linguistique générale, 1922), domine les sciences humaines pendant les années 1960 grâce aux travaux de Claude Lévi-Strauss (la Pensée sauvage, 1962) et de Michel Foucault (Les Mots et les Choses, 1966). En outre, la pensée de Heidegger laisse de profondes traces en France, comme en témoignent les ouvrages de Jacques Derrida (la Voix et le Phénomène, 1967), qui entreprend une « déconstruction » de la métaphysique occidentale.

Les deux philosophes qui influencent le plus la pensée de Foucault sont Friedrich Nietzsche et Martin Heidegger. Le premier soutient que la conduite humaine est motivée par une volonté de puissance et que les valeurs traditionnelles ont perdu leur emprise sur la société. Martin Heidegger critique pour sa part ce qu'il appelle « notre compréhension technologique commune de l'être ».

La réflexion sur l'apport de Nietzsche et de Freud, et sur le symbolisme renouvelé par Ernst Cassirer (Philosophie des formes symboliques, 1923-1929), donne l'occasion à Paul Ricoeur de traiter des grands thèmes de la philosophie morale et de la métaphysique (Finitude et culpabilité, 1960).

Michel Foucault explore à son tour la mutation des structures du pouvoir au sein de la société et les multiples mécanismes par lesquels le pouvoir se rattache au moi. Il étudie les règles fluctuantes qui sont susceptibles d'entrer en jeu dans les discours politiques des différentes périodes de l'histoire. Il analyse également la façon dont les pratiques quotidiennes permettent aux individus de définir leur identité et de systématiser leur connaissance. Il se présente lui-même comme un archéologue dont l'objet de recherche réside dans la constitution des clivages qui marquent la culture occidentale.

Musey, à sa suite, vient d'affirmer le courant structuraliste, courant de pensée issu de la linguistique, qui marqua la psychanalyse, la philosophie et l'anthropologie françaises des années 1960-1970, et se caractérisait par l'affirmation du primat de la structure sur l'événement ou le phénomène.

Le mouvement apparut dans les années 1950 à la suite de la thèse fondatrice de Lévi-Strauss, les Structures élémentaires de la parenté, et connut son apogée dans les années 1960, pour décliner à la fin des années 1970. Ce courant, dont l'unité est toujours restée problématique, est principalement marqué par les noms de Lévi-Strauss, d'Althusser, de Lacan, de Foucault et de Derrida.

Malgré l'extrême diversité des pensées auxquelles renvoient ces noms, on peut tenter de définir ce qui fait leur commune appartenance au structuralisme : l'affirmation du primat de la structure sur l'événement ou le phénomène. Les processus sociaux se déploient dans le cadre de structures fondamentales qui restent le plus souvent inconscientes. Il existe un décalage entre ce que les hommes vivent et ce qu'ils ont conscience de vivre, et c'est ce décalage, qui rend les discours, que les hommes tiennent sur leur conduite, impropres à rendre compte de façon adéquate des processus sociaux effectifs. De même que c'est la langue qui produit du sens par son jeu de différences, de même c'est l'organisation sociale qui génère certaines pratiques et certaines croyances propres aux individus qui en dépendent.

Orientation récente de la critique littéraire, le structuralisme met l'accent sur une approche du texte dans sa forme finale achevée et se détourne donc de son histoire. Il explore également les correspondances avec la littérature des autres cultures qui transparaît dans les structures communes que révèlent des histoires semblables racontées de manière similaire. Son intérêt pour l'interprétation est important. Il tente de parvenir à une psychologie humaine universelle et suggère donc qu'un texte peut avoir une signification qui dépasse la compréhension de son auteur.

Section 4. Ingénierie sociale chez Mutuza : théorie de la communication et de la compréhension du mythe Hima-Tutsi

§ 1. Relativité du sentiment de minoritaire dans la communication

Le sentiment d'appartenir à une puissance majoritaire peut être transféré à l'importance de la superficie d'un territoire national. Ainsi les nomades Tutsi qui ne sont que quelques centaines de sujets plus au moins dispersés dans le Ruanda, Burundi et qui se forcent à nous persuader de leur nationalité congolaise sous la robe de kinyarwanda, sachant que les Hutu de la RD. Congo parlent avec eux la même langue, sont aussi persuadés qu'ils sont incontestablement supérieurs aux Hutu, gens compressés dans des villages parce qu'ils se sentent maîtres de pays immenses, capables éventuellement d'imposer leurs lois aux sédentaires.

Inversement, des masses d'indigènes, plus au moins intégrées dans des cités se comportent exactement selon les règles psychologiques que l'on serait tenté d'attribuer volontiers à des véritables minorités ethniques.

Il existe donc un mécanisme de prise de conscience d'appartenance à un groupe « infériorisé » plus qu'à une minorité; mais les réactions collectives ou individuelles auront des conséquences diverses (même si ces réactions sont identiques), si cet état d'infériorité intéresse une classe sociale réellement minoritaire, ou cette même classe si elle est franchement majoritaire, auquel cas vient s'ajouter une nouvelle dimension de la psychologie dynamique qui est celle des foules en créant directement des conflits.

Les conflits de valeurs apparaissent fort divers : valeurs personnelles contre celles d'une autre personne, valeurs personnelles contre valeurs communautaires, valeurs communautaires contre valeurs d'autres communautés, valeurs d'une minorité contre celles d'une majorité, sans oublier les valeurs internes de la personne en conflit avec elle-même, souvent à l'origine des autres conflits (Bernard Williams).

Les valeurs varient selon les personnes et les communautés humaines, et sont évolutives dans le temps : la notion de valeur est relative. Pour une personne ou pour une communauté, l'échelle des valeurs peut être rapportée à une échelle des « biens » : il y a pluralité des valeurs comme des Biens.

Il est très passionné de voir Mutuza élaborer la déontologie de l'Etat. Il tire des principes premiers ce qu'il doit, ce qu'il peut et ce qu'il ne doit pas faire, au lieu d'énumérer les nombreux effets désirables que nous en attendons. Quand est-il juste -si ça l'est jamais- que certaines personnes, qu'ils soient dictateurs ou majorités démocratiques, emploient la force pour obliger les autres à se soumettre à leurs choix ? Qu'est-ce qui rend la violence légitime ? Quand est-ce notre devoir que d'obéir à l'autorité politique, et quand est-il fondé à s'en servir pour distribuer des avantages aux dépens de nos concitoyens ?

Voilà, nous semble-t-il, les questions de la philosophie politique. Même le conséquencialiste, s'il veut de la cohérence dans ses objectifs, doit y répondre, au moins implicitement. Les réponses explicites valent encore mieux, car elles sont ouvertes à l'examen et à la critique. Mutuza n'est pas libéral, au sens européen du terme.

C'est un démocrate-social, même si on n'est pas tout à fait sûr de savoir pourquoi. Il n'a aucune obligation intellectuelle de fournir une déontologie de l'action politique, et s'il en produisait une, nous serions le dernier à tenter de prédire à quoi elle ressemblerait. Mais comme nous souhaiterions que, libéral ou pas, il trouve le loisir et l'intérêt de nous laisser quelques pistes pour le deviner. Ainsi, nous avons choisi la voie de l'arithmétique pour entrer en contact avec ce que la statistique, telle que prédite par les Viennois, secourt la science philosophique. Mutuza s'y prend facilement. C'est un esprit métaphysique et un pythagoricien sans Pythagore.

Nous avons dit pourquoi la théorie pythagoricienne des nombres nous intéresse. Avec les mathématisables, les quantifiables, ces éléments constituant une forme de connaissance et de savoir, l'esprit s'épanouit en toute béatitude par la purification (êáôáñóçò). Cette purification implique la purification de chaînes de la dictature qui s'était presque assis sur la même chaise de la démocratie : la chaise conséquencialiste.

La chaise conséquencialiste implique le dialogue et le débat comme l'emplacement de la commutativité et de l'associativité de l'addition et de la multiplication en mathématique. La communication doit donc s'enraciner dans cette perspective pour nous donner la valeur réelle du dialogue qui ne peut avoir lieu que dans une fonction ayant un domaine de définition bien déterminé. C'est là la seule condition de possibilité de l'existence d'une fonction.

On prend alors l'addition qui est une opération commutative et associative, et l'on aura dès lors pour tous nombres x (une femme tutsie), y (un homme tutsi) et z (les enfants tutsis), il existe les égalités suivantes : x + y = y + x, relation qui traduit la commutativité de l'addition. Et (x + y) + z = x + (y + z), relation qui traduit l'associativité de l'addition. L'addition possède ainsi un élément neutre, le zéro. En effet, pour tout nombre x, on a x + 0 = x. ce qui a permis à certains de croire que le croisement entre Hutu et Tutsi ne produisait pas de progénitures hybrides car, tout compte fait, la femme tutsie cherchera à s'accoupler à un tutsi pour donner le génome tutsi. C'est vraiment l'aspect le plus animal de l'union de semblable avec le semblable. Mais une fois éloignée, elle s'accouplera à un Hutu et donnera des hybrides qu'elle n'aimera jamais.

Si l'on ajoute quatre Tutsi en RD Congo qui en contient déjà cinq, on peut calculer le nombre total de Tutsi en RD Congo en les comptant un par un : on obtient alors neuf Tutsi; neuf est la somme de quatre et de cinq. Cependant, il est bien plus simple d'utiliser l'addition, qui permet de calculer la somme beaucoup plus facilement : 4 + 5 = 9. Dans ce but, il convient de mémoriser les opérations de base résultant des combinaisons les plus simples, celles des chiffres. La table suivante indique les sommes de deux chiffres quelconques de 0 à 9 :

 

Avec les naissances, nous allons plus loin. C'est déjà la multiplication qui est aussi une opération commutative et associative. Pour tous nombres x, y et z, on a, en effet, les égalités suivantes : x × y = y × x, relation qui traduit la commutativité de la multiplication ; (x × y) × z = x × (y × z), relation qui traduit l'associativité de la multiplication. Par ailleurs, la multiplication est distributive par rapport à l'addition. En effet, pour tous nombres x, y et z, on a : x × (y + z) =(x × y) + (x × z) 1 est appelé élément neutre de la multiplication, puisque, pour tout nombre y,y × 1 = y ;
0 est appelé élément absorbant de la multiplication, puisque, pour tout nombre y, y × 0 = 0.

On peut assimiler la multiplication d'entiers naturels, appelés aussi nombres entiers, à une addition répétée. Par exemple, l'expression 3 × 4 correspond à l'addition de 3 termes égaux à 4 (4 + 4 + 4), ce qui, puisque la multiplication est commutative, est équivalent à l'addition de 4 termes égaux à 3 (3 + 3 + 3 + 3).

Cependant, pour de grands nombres, Comme il est le cas avec les Banyamulenge, une telle démarche s'avérant fastidieuse, on applique les règles de la multiplication qui supposent d'avoir mémoriser les résultats des combinaisons les plus simples, c'est-à-dire les multiples de base des entiers compris entre 0 et 9, illustrés par la table de multiplication suivante :

 

Nous constatons que la multiplication est une opération dont les Tutsi se sont servie pour s'installer dans des villages des Hutu.

Nous avions signalé que la razzia était une institution, la soustraction est - pas des semblables - à cet effet - mais des simulables -, une opération capable d'infliger les deuils. L'assimilation semble une bonne méthode dans cette communication. Nous en arrivons aux intimidations des pouvoirs politiques.

L'AFDL ne s'y était pas retrancher, elle avait apporté l'idée d'une démocratie sociale. Idée qui était difficile à identifier à cause de la présence des étrangers en son sein. Nous avions dit que Mutuza ne définit pas la démocratie. Mais on se demande quand est-ce que les institutions démocrates-sociales ne sont-elles ni « trop à gauche » ni « trop à droite » mais pile dans le centre ? La réponse de Mutuza est qu'il est « nécessaire de les structurer conformément à l'exigence de la cohérence logique, au souci pédagogique de la communication et de la compréhension, et à la valeur de leur contenu, en les situant dans le contexte socio-culturel, pour dégager la doctrine qui inspire, en réalité, le Gouvernement AFDL »(608(*)).

La démocratie de l'AFDL est démythifiée. Celle que prône Mutuza, demande aux institutions d'avoir un sens précis de réponse à la demande d'équité et de protection pour les faibles. A un endroit, avons-nous dit au premier chapitre, Mutuza demande une assurance obligatoire pour l'invalidité, le chômage et la vieillesse, et pour des moyens d'existence statutairement garantis pour quiconque est disposé à travailler. Une « réversibilité » évidente caractérise même des détails terre-à-terre de ce genre : quel est le niveau de prestations qui constitue une assurance « suffisante » contre les risques en question ? -et que signifie Diaspora disposé à travailler ? Pour quel travail ? - et qu'est-ce qui passe pour des moyens d'existence ? Certes, toutes les normes de ce qu'un Etat devrait faire ne sont pas facilement quantifiables.

Tous ne peuvent pas être traduits en engagements précis. Il n'y a que les engagements précis dont on puisse dire que les hommes de l'Etat les ont respectés, ou ne l'ont pas fait, ou qu'ils ont outrepassé leurs pouvoirs, car sinon, ces affirmations ne seraient que vague rhétorique de simples assertions « irréfutables ». Par conséquent, même en condescendant (êáôÜâáóáíôé) à sortir des nobles généralités, à passer de planifier, étape par étape, des institutions qui préserveront la liberté, particulièrement la protection contre l'exploitation... au niveau plutôt ennuyeux des institutions concrètes que nous devons construire pour y parvenir, on ne préserve pas le discours mutuziste du danger de se faire retourner pour justifier quasiment n'importe quelle position, et s'y faire mettre n'importe quel contenu empirique, même si l'intention de départ était manifestement d'y fourrer de la démocratie sociale modérée.

Il reste à noter que dans le monde entier tout esprit penseur se rend compte qu'il est de plus en plus difficile de comprendre la situation actuelle des Tutsi. Si nous voulons saisir les rapports des choses et la dépendance mutuelle des Hutu et des Tutsi, il faut que nous révisions notre façon de penser. Car se qui se passe actuellement concerne chacun d'entre nous. Ce n'est qu'ensemble que nous pourrons accomplir les tâches et explorer les possibilités qui s'offrent à nous. Au colonialisme et à l'injustice postcoloniale a succédé une époque de trêve sans paix véritable. Et il n'est pas sans peine d'observer la phénoménologie biologique avec laquelle les Européens traitent la question Hima-Tutsi.

« Quand les premiers Européens pénétrèrent au Ruanda, à partir de 1896, ils observèrent la coexistence de plusieurs races dans ce royaume dominé par celle qui avait la stature la plus élevée et les appartements somaliens ou gala les plus visibles. Une taille élevée, un port altier et même arrogant, tels apparurent les Tutsi aux premiers voyageurs européens »(609(*)).

Dans cette perspective, les forces de dissuasion mutuelle, un potentiel d'armement qui permettrait de détruire plusieurs fois l'Est de la RD Congo, le déséquilibre croissant de l'économie mondiale, la menace pesant sur le système monétaire et la confrontation d'idéologie hostiles, tout cela fait que réviser notre manière de penser est devenu une question importante.

Avec cette découverte, nous avons certainement atteint le noeud de l'affaire. Mutuza, comme nous l'avons vu, a pris coutume d'énoncer des jugements normatifs en termes des conséquences qu'il désire obtenir. La démocratie doit permettre aux gouvernés de remplacer les dirigeants et de brider le pouvoir économique. Nos institutions doivent empêcher l'exploitation des moins doués, des moins impitoyables, ou des moins chanceux, doivent empêcher même de mauvais dirigeants de faire trop de dégâts. La vie politique doit être expurgée du « crime de l'anti-égalitarisme » qui donnerait à certains hommes le « droit de se servir des autres comme d'un instrument ».

§ 2. Ingénierie sociale et sentiment de minorité et de majorité

Si le sentiment national, suscité par les rois de France, fait son apparition lors de la guerre de Cent Ans, la définition actuelle du mot « nation » est le fruit d'une longue évolution qui n'aboutit qu'au XIXe siècle, bien que le terme ait existé antérieurement : ainsi, au XVIIe siècle, le dictionnaire de Furetière en donne la définition suivante : « Un grand peuple habitant une même étendue de terre renfermée en certaines limites ou même sous une certaine domination », mais le terme n'a pas encore sa connotation idéologique d'attachement à un ensemble géographique, d'enracinement dans un terroir. L'Encyclopédie (1765) n'est pas plus précise et s'attache au constat : « Une quantité considérable de peuples qui habite une certaine étendue de pays, renfermée dans de certaines limites, qui obéit au même gouvernement. »

De ces définitions, seule l'ingénierie sociale a le pouvoir d'améliorer notre vie et rendre nos institutions économiques et sociales plus efficaces. Certes, « les bruits courent, la rumeur, les on dits rapportent que deux grands dignitaires du groupe  « zaïrois d'expression rwandaise » viennent d'accéder à la haute direction de deux sociétés d'une importance capitale et vitale dans leur lutte pour la conquête de nationalité, qui passe par l'acquisition du pouvoir politique. Il s'agit de Ngirabatware CI. et de Ngezao K. Le premier serait devenu Président du Conseil d'Administration de l'Hôtel intercontinental et le second, Président du Conseil SOMINKI-Maniema. Deux postes hautement stratégiques. Le premier place son chef à la source des informations et de communications avec l'étranger et exclut les ressortissants du Kivu de cet Hôtel pour des raisons que tout le monde peut deviner. Le deuxième assure l'implantation du groupe « zaïrois d'expression rwandaise » au Maniema introduit ainsi un nouveau foyer de conflit ethnique à Kalima, Kamituga et Lulingu »(610(*)).

Les peuples du Kivu-Maniema ne pouvant supporter des tels injustices, font comprendre que nous vivons, avec les Tutsi, dans différentes sociétés, dans des systèmes juridiques différents et sous différentes formes de gouvernement, et nos propres traditions ont une influence déterminante sur l'habitat, les arts, la division du travail et l'attitude face à la prière et à la méditation. Ces formes d'existence étrangères les unes aux autres, avec tout ce qui fait la culture -l'éducation, l'assistance aux malades, l'architecture et la planification urbaine, les ordres sociaux et politiques - se heurtent entre elles dans la civilisation technique qui embrasse le monde entier, sans que nous puissions nous comprendre. Jusqu'à présent nos regards ne se sont pas encore croisés, nous avons à peine pris conscience les uns des autres.

Au regard de l'appartenance, Mutuza, en face des prétendus Zaïrois d'expression ruandaise souligne que : « A quelque chose malheur est bon. La guerre zaïro-rwandaise aura au moins eu le mérite de nous révéler une vérité. A savoir que les Rwandais immigrés ou réfugiés n'ont jamais renoncé à leur nationalité. Ils sont bel et bien Tutsi-Rwandais du Congo-Zaïre et non « Zaïrois d'expression rwandaise », expression qui prête à confusion. Ils sont peut-être au Congo depuis des années ! Ce qui reste à montrer. Mais ce n'est pas parce qu'un tronc d'arbre est resté longtemps dans le fleuve, dit la sagesse populaire, qu'il devient crocodile. Les Portugais dont l'arrivée au Congo, en 1489, est attestée historiquement, sont-ils devenus pour autant Congolais ? Et tous ces centaines des milliers d'Angolais habitant au Congo depuis les temps immémoriaux, pourquoi ne prétendent-ils pas à devenir Congolais ? »(611(*)).

Ce faisant, ils n'abdiquent pas leurs traditions mais, au contraire, ils en prennent plus pleinement conscience et les rendent ainsi vivantes et les préservent. Les rencontres, les discussions et la coopération à des tâches concrètes n'ont pas permis au Tutsi à mieux comprendre les autres et à mieux se comprendre. C'est pourquoi Mutuza ouvre la fenêtre du côté fermé de la porte en se référant aux travaux des séminaires et colloques internationaux sur les problèmes relatifs aux Pays des Grands-Lacs.

«  Les chercheurs ont tenté, dit Mutuza, d'apporter une réponse à la question de savoir quel est le diagnostic du mal qui ronge la société africaine des Grands Lacs et quels sont les spécificités régionales propres à tous ces conflits, les auteur ont souligné plusieurs éléments communs : le racismes ethnique, le problème de nationalité des ethnies à cheval sur deux ou plusieurs pays, la gestion entre majorités et minorités ethniques, etc. Ils ont estimé que le principe de base de remèdes à apporter à ces problèmes est l'intégration régionale et la citoyenneté transfrontalière, qui consistent à construire une union économique de l'Afrique orientale et australe au sein de laquelle la citoyenneté transfrontalière se substituerait à l'ethnicité »(612(*)).

Restons silencieux sur la manière dont Mutuza conçoit les institutions qui combleront nos voeux les plus chers. Nous trouvons là une autre conjecture : qu'en fait, il n'y a pas grand-chose à dire, qu'obtenir ce que nous souhaitons n'est principalement affaire de conception des institutions et que, si cela l'était, nous ne saurions comment le faire.

C'est un doute tout à fait essentiel qui inspire cette interprétation. S'il s'avérait qu'il n'existe pas de fondement épistémologiques sur quoi bâtir une technologie sociale, qu'en réalité « y `en a pas » il n'y aurait rien non plus de raisonnable à dire sur la manière à suivre pour produire les résultats sociaux auxquels Mutuza nous recommande d'aspirer. Tout ce que nous pourrions dire à l'ingénieur social est que nous souhaitons que le moteur tourne sans un pet, comme une horloge, mais nous ne pourrions lui proposer aucune solution pour trouver comment y parvenir. Il se pourrait bien qu'un bidouillage au hasard, dont les effets supposés (« L'illusion de la fraternité noire ou africaine a aveuglé les Zaïrois trop hospitaliers au point qu'ils ont oublié que les Tutsi se considèrent avant tout non pas comme une ethnie à part, mais comme une race à part. Cette idée qu'ils ont d'eux-mêmes constitue une menace et un danger pour le voisins(613(*)) ») ne pourraient pas être reconnus par les gens différents, ou que pour qu'autres raisons on ne pourrait pas tester, ne donne jamais naissance à une technologie ; il a toutes les chances de casser le moteur avant(614(*)).

C'est pourquoi les Tutsi doivent se présenter tels qu'ils sont et tels qu'ils se comprennent eux-mêmes, autrement aucune coopération n'est pensable. De façon effective ceci est possible si une rencontre a lieu entre des Hutu et des Tutsi qui sont versés dans leur propre culture, et qui peuvent donc être considérés comme « représentatifs ». De l'extérieur, vu avec les yeux d'experts étrangers, il n'est pratiquement pas possible de reconnaître ces hommes - ni dans la religion, ni dans les modes de penser particuliers aux cultures, ni dans les sciences et les arts, non plus dans la vie politique officielle. Tous les détenteurs du pouvoir et tous les fonctionnaires ne sont représentatifs, et les véritables représentants n'occupent souvent pas de poste officiel. C'est là le plus grand problème.

§ 3. Mécanisme de prise de conscience communicationnel

La conscience collective est un  concept majeur de la sociologie d'Émile Durkheim désignant « l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d'une même société ». La notion de conscience collective, qui renvoie à la conception d'une société comparable à un « être psychique » existant en dehors des individus et doté de sa propre conscience, s'inscrit dans les préoccupations du sociologue Émile Durkheim face aux transformations du lien social. Dans De la division du travail social, Durkheim observe que la conscience collective est une des caractéristiques des sociétés traditionnelles, où la solidarité est de type « mécanique », c'est-à-dire que les pratiques, les valeurs et les croyances y sont très peu différenciées. La pression du groupe sur l'individu est très forte et le droit principalement répressif. Les sanctions pénales, en ressoudant le groupe autour de ses valeurs communes, contribuent à maintenir la cohésion sociale.

C'est donc à ceux qui sont reconnus dans leurs propres cultures qu'il incombe de choisir des hommes et des femmes compétents qu'ils considèrent comme représentatifs. Ils devront se rencontrer par delà les frontières. En tant que « natifs » d'une certaine culture et d'une certaine histoire, il faut que nous ayons la possibilité de rencontrer les « natifs » d'autres cultures, dans une atmosphère de saine curiosité exempte de préjugés, et que nous puissions travailler avec eux. Sur le plan interdisciplinaire et interculturel ce n'est qu'ainsi que seront libérés des forces visant à une communauté d'efforts et à la paix. La compréhension et la confiance mutuelle ne se développent pas de façon abstraite, mais sur la base d'expériences concrètes.

Dans ce but, et en vue de notre quatrième chapitre les Tutsi et l'appartenance, nous comprendrons plusieurs thèses de Francis Jacques afin, entre autres, d'établir que la tradition critique, c'est-à-dire rationnelle, ne dépend pas que de certaines conditions sociales et institutionnelles mais également de choix individuels (certes subordonnés à des considérations objectives). La raison en est que le medium principal de la critique est le dialogue.

Il n'est pas seul ; l'écrit, notamment la diffusion et la lecture des livres et articles, en est l'autre voie majeure, avec ses avantages que n'a pas le dialogue (organisation claire, construite et suivie de la pensée, support stable, accessible à un grand nombre et conservable longtemps) mais également ses inconvénients- comme le notait déjà Platon : «  l'on ne peut poser de question à un livre » ; c'est ce qui fait du support écrit un medium éventuellement plus opaque car il ne peut compenser par lui-même, à tout le moins pas directement, les défauts de compréhension du lecteur. C'est comme le note aussi Popper en disant avec assez d'humour qu'  « un homme qui lit un livre en le comprenant est une créature rare »(615(*)). Nous ne dénions pas à l'écrit sa participation à la critique, qui est au moins aussi importante que celle du dialogue, voire plus.

Nous traitons donc du dialogue actuel exclusivement, avec beaucoup de difficultés car l'interlocuteur peut facilement changer sa position pour se protéger et la compréhension est bloquée, mais en ne perdant pas de vue que ces considérations sont dans d'autres mesures valables pour ce dialogue fragmenté qui peut avoir lieu lorsque l'on produit la critique d'un livre, comme celui-ci qui fait objet de noter thèse, ou d'une idée qu'on nous a transmise, c'est-à-dire en l'absence d'interlocuteur direct. On rejoint Musey dans la difficulté qu'il a trouvée dans le dialogue qui ne pourrait être compris par tous(616(*)).

Toujours est-il que le dialogue met en jeu - jusqu'à dernier ordre ! - des individus ; or, aucun individu n'est constitutivement capable d'avoir de certitude sur ce qui est objectif. Lorsque l'on développe une théorie ou une idée, on est à la merci d'une erreur de raisonnement ou de présupposés plus au moins inconscients dont on ne tient pas compte et desquels on infère, sans le réaliser forcément, des énoncés qui peuvent être incohérents ou surmotivés. C'est pourquoi l'on dépend du contrôle intersubjectif ; c'est pourquoi la critique dépend de l'argumentation qui elle-même a nécessairement lieu au sein d'un dialogue (fut-il fictif, ou à des siècles d'intervalle...) C'est également pourquoi une pragmatique critique, régissant le dialogue pour en exclure l'obscurantisme ou les malhonnêtetés, peut être très utile.

« Trop d'espace nous étouffe autant que s'il n'y en avait pas assez, écrivait J. Supervielle à une enfant », et l'on a l'habitude d'appeler dialogue toute situation d'échange linguistique à plusieurs locuteurs, généralement au nombre de deux (mais éventuellement plus -songeons aux dialogues d'un film) ; on l'oppose en cela au monologue, qui n'est sensé mettre en jeu qu'un unique individu. Dans notre tentative de concilier la théorie fonctionnaliste, nous avons bien distingué une fonction d'une application.

Dans le cas d'espèce sous examen, il faut qu'il ait interaction stabilisée de la condition de possibilité de l'existence de cette fonction. Ce que nous avions appelé domaine de définition. Et il n'est d'aucun intérêt de constater ces appellations génériques. Toutefois il peut être utile de distinguer le dialogue authentique de certaines formes différentes d'échange linguistique, comme la conversation, la négociation ou la controverse. C'est pour cette raison que nous parlons de dialogisme, c'est-à-dire de ce qui renvoie au caractère conférant à une situation le statut de réel dialogue. Mais il n'y a là que question des mots. Tentons de dire en quoi réside la différence.

Nous avons vu que la population tutsie était de 10% de la totalité des populations rwandaise. Elle emprunte le Kinyarwanda des Hutu autochtones. Donc les nombres exercent une influence dans le dialogue qui peut avoir lieu. Nous partons aussi de l'idée, simple mais qui mérite d'être réaffirmée, que le langage ne m'appartient pas, comme il n'appartient à personne. Aussi constatons-nous avec F. Jacques que « le langage n'est d'abord ni de plusieurs ni d'un ni de tous : il est entre »(617(*)). C'est bien pourquoi il ne faut pas perdre de vue que si nous voulons appartenir, dans une bonne communication et interaction, nous parlons avant tout ensemble. C'est là le sens de Ingoma, les tambours des poèmes dynastiques. C'est l'interlocution qui est le seul et l'unique motif de la communication. Nous sommes dans la commutativité.

C'est le lieu de la communication qui nous intéresse. Il y a la communicabilité du discours quand bien même on a l'impression de s'isoler avec sa parole et sa pensée ; son activité est une réflexion, c'est-à-dire une sorte de simulation d'une situation de communication. Elle n'a de sens que si on peut également la mener avec quelqu'un d'autre. Et il est clair qu'elle dépend de l'existence de cette possibilité ; en d'autre termes, si en effet, comme l'écrit Mutuza, « Et si notre vie n'a été qu'une suite de conflits et des luttes où nous avons dû nous défendre ou attaquer pour avoir une place, le but de notre vie ne peut être autre chose que gagner, réussir, et exercer l'autorité avec assurance »(618(*)). Ce constat mutuziste est pour nous un fait (au sens où pour Kant la science en est un). Comme il est difficile, voire impossible de ne pas être en situation de communication, c'est que même quand les Tutsi s'opposent aux Hutu en se dressant contre eux comme une épée à deux tranchants qui tire vengeance des nations hospitalières, ils ne s'isolent pas, car il n'est pas à leur pouvoir de cesser d'être en relation.

Le mythe des Hima-Tutsi nous pousse à nous moquer de leur animosité. Ils nient leur dépendance aux Hutu du même coup, ils l'affirment encore plus par le mensonge pour manipuler les media. Ils sont alors dans une situation auto-réfutatoire dont le domaine de définition est découvert par Mutuza. Il s'agit d'une position anti-relationnelle que vraiment a-relationnelle.

C'est avec le langage et sa critique que nous signalons que Mutuza ne néglige pas la question du langage, il lui consacre une place fondamentale dans son argumentation. Il considère, en effet, qu'il constitue l'origine de l'apparition de la connaissance objective (telle qu'entendue par Popper- qui ne prétend pas avec cette idée être original). C'est le langage qui différencie l'homme de la bête.

L'argumentation est une prédiction de la persuasion dans le débat. Cette fonction argumentative du langage humain et hautement humaine. C'est avec elle que l'appartenance est possible. Elle illustre la commutativité et l'associativité. Dans cette perspective, Mutuza s'étonne du silence des intellectuels tutsis, car pour lui, pour qu'une réelle discussion s'engage, il faut la découverte de la possibilité de critiquer des raisonnements ou des descriptions en déclarant certains rapports faux ou incohérents. Ce que nous appelions canon de la pensée.

Seule l'apparition de la logique formelle, autrement dit du moyen de déterminer si une inférence est valide, permet l'essor de la fonction argumentative qui, au sein d'une tradition précise (la tradition critique, née avec l'humanité communicative), s'efforce de démêler la confusion et l'ambivalence des descriptions au nom de plusieurs régulatrices. Et la norme est celle de vérité (qui correspond à une représentation correcte de la réalité) ; et l'argumentation qui, régie par la validité, l'emporte sur la vérité dans le pragmatisme.

Dans ce contexte, tout processus de compréhension est régi par le schéma général de résolution des problèmes par conjectures et réfutations, que l'on peut symboliser, comme le fit Popper, et que nous avons déduit par l'étude attentive de la manière suivante : PS1 est le problème d'où l'on part; les TSi sont l'ensemble des Tentatives de Solution (dans notre cas des essais d'interprétation) qui mènent chacune par différent biais, et au moyen de leur critique, l'Elimination des Erreurs qui s'y peuvent trouver, après quoi la situation de problème telle qu'elle se présente est susceptible d'être différente et de donner lieu à un nouveau problème P2 (ou plusieurs P2i)(619(*)).

TS1

TS2

P1 TS3 EE P2

TS4

I

TSn

Nous avons là l'aspect néo-darwinien de ce schéma, aspect dû à l'analogie claire que l'on peut effectuer entre l'idée de sélection naturelle et celle de progression par élimination de l'erreur ; Mutuza lui-même décrie cette construction des chercheurs et universitaires sur la région des Grands Lacs et rapporte : « le principe de base de remède à apporter à ces problèmes est l'intégration régionale et la citoyenneté transfrontalière, qui consistent à construire une union économique de l'Afrique orientale et australe au sein de laquelle la citoyenneté transfrontalière se substituerai à l'ethnicité »(620(*)).

Après l'ère newtonienne, la découverte scientifique qui marqua le plus l'éthique fut la théorie de l'évolution élaborée par Charles Darwin. Les découvertes de Darwin fournirent un appui au système nommé parfois éthique évolutionniste que défendait le philosophe britannique Herbert Spencer. Pour celui-ci, la morale n'est rien d'autre que le résultat de certaines habitudes acquises par l'humanité au cours de l'évolution(621(*)). On doit à Friedrich Nietzsche une interprétation surprenante mais logique de la thèse darwinienne selon laquelle la survie des plus forts est la loi fondamentale de la nature. Le philosophe allemand affirmait que ce que l'on appelle la conduite morale n'est nécessaire qu'aux faibles. La conduite morale -- en particulier celle que préconise l'éthique judéo-chrétienne qui, pour Nietzsche, est une morale d'esclave -- tend à autoriser le faible à empêcher le fort de se réaliser. Pour Nietzsche, chaque action devrait être orientée vers le développement de l'individu supérieur, l'Übermensch (« surhomme ») qu'il appelle de ses voeux et qu'il décrit comme le seul type d'Homme capable de réaliser dans l'avenir les plus nobles possibilités de la vie. Nietzsche trouvait les meilleurs exemples de cet individu idéal dans chacun des philosophes grecs antérieurs à Socrate ainsi que dans les dictateurs militaires tels que Jules César et Napoléon.

Opposé à la thèse qui fait de la lutte impitoyable et incessante la loi de la nature, le prince Peter Kropotkine, avec l'idée de Faust(622(*)), invente la théorie anarchiste et réforma en Russie, tout en présentant, entre autres, des études sur le comportement des animaux vivant en liberté qui révèlent le rôle de l'entraide dans la nature. Kropotkine soutenait que l'entraide favorise la survie de l'espèce et que les êtres humains ont acquis leur supériorité sur les animaux au cours de l'évolution grâce à leur capacité de coopération. Kropotkine exposa ses idées dans de nombreux ouvrages, parmi lesquels une place singulière revient à l'Entraide (1892) et à une oeuvre inachevée, l'Éthique. Persuadé que les gouvernements sont fondés sur la violence et que leur élimination permettrait aux hommes de donner libre cours à leurs instincts de coopération et d'instaurer un ordre coopératif, Kropotkine défendait l'anarchisme. Les anthropologues ont appliqué les principes évolutionnistes à l'étude des sociétés et des cultures humaines. Entreprenant des analyses comparatives portant sur les concepts du vrai et du faux, du juste et de l'injuste dans les différentes sociétés, ils contribuèrent à diffuser l'idée que la plupart de ces concepts avaient une valeur relative et non universelle. Parmi les concepts éthiques fondés sur une approche anthropologique(623(*)), il faut retenir ceux de l'anthropologue finlandais Edvard A. Westermarck, auteur de la Relativité éthique. Le darwinisme social est une doctrine formulée à la fin du XIXe siècle, selon laquelle l'évolution des individus et des sociétés procède de la sélection naturelle, principe décrit par Charles Darwin dans sa théorie de l'évolution biologique. Les tenants du darwinisme social considèrent qu'à l'instar des animaux et des plantes, les hommes sont fondamentalement inégaux, physiquement et intellectuellement, et que leurs aptitudes sont strictement héréditaires. Ils sont donc destinés à la lutte pour leur survie et à la recherche de la réussite personnelle dans la société. Les individus qui deviennent riches et puissants sont les plus « aptes », alors que les membres des classes socioéconomiques les plus défavorisées sont les moins « adaptés ».

C'est pour cette raison que le darwinisme social en est ainsi venu à considérer que le progrès de l'humanité repose sur la rivalité. Cette doctrine servit de base philosophique aux idéologies de l'impérialisme, du racisme et de l'eugénisme. Au XXe siècle, elle tomba en discrédit lorsque de nouvelles découvertes scientifiques relativisèrent le rôle de la sélection naturelle dans l'étude de la société humaine, où les facteurs économiques et culturels ont éclipsé les facteurs physiologiques comme moteurs de l'évolution sociale. Herbert Spencer fut le principal représentant du darwinisme social. Il est donc étonnant de voir les chercheurs et universitaires qui ont siégé sur la région des Grands Lacs, spécialistes en sciences sociales par surcroit, tomber dans l'anachronisme scientifique privilégiant ainsi les intérêts des impérialistes. Et c'est une utopie pire et simple que de croire encore à ce mythe de la déesse AèÞíá(624(*)).

Quant audit schéma, bien que son champ d'application soit très vaste et qu'il opère sur des conjectures et des arguments, nous avons à nous réjouir objectivement de notre appartenance.

Conclusion

Nous venons de voir le mythe de l'appartenance et la prise de conscience. C'est un bien fondé dont nous n'avons pas nié la pertinence du fait que chaque groupe social a sa psychologie. Et la psychologie des minorités est une psychologie qui fait appel à un macrocosmisme de prise de conscience, à un patriotisme de ces mêmes minorités et, qui finalement, aboutit à une définition démographique positive des minorités linguistiques et engendre la dichotomie de la trimonade (Hutu-Tutsi-Twa).

Cela ne s'est pas arrêté gratuitement, chez Mutuza, sans soulever la question de l'historicisme comme prise de conscience exceptionnelle de valeurs démographique dans la poésie dynastique du Ruanda. L'on a facilement compris l'idée de la raison ambiante et le milieu ambiant comme processus de séparation et de réunion entre le système politique des agriculteurs et celui des pasteurs. Ce qui nous a permis de bien définir, avec le rejet de l'historicisme cohérent chez Mutuza, la démographie positive de minorités ethniques. Poussant loin notre réflexion, nous avons découvert dans les poèmes dynastiques une concentricité des thèmes et la continuité de la périphérie, ð (pi), dans ces poèmes.

Tout cet exercice est une grande ingénierie sociale, elle oriente tout chercheur à la prise de conscience de la prédiction pour la meilleure critique du mythe Hima-Tutsi. Pour y parvenir il a fallu saisir la base de l'acquisition de la notion de cohésion d'un groupe du point de vue des pragmatistes. S'il existe donc une minorité, Michel de Foucault et son archéologie structuraliste donne d'une part la valeur d'une appartenance psychologique sans, bien sûr, laisser de côté la base biologique. Musey de sa part aussi ouvre la voie de l'analyse structuraliste comme base de l'identité prédictive.

Cette attitude est appelée ingénierie sociale chez Mutuza. Nous avons là une théorie de la communication et de la compréhension du Mythe Hima-Tutsi dont la relativité du sentiment de minoritaire dans la communication guide l'ingénieur social et distingue le double mouvement du sentiment de minorité et de majorité et, en fin prépare le mécanisme de prise de conscience communicationnel pour une correspondance entre un groupe et l'idée qu'il se fait de son appartenance.

Chapitre huitième: LES TUTSI ET L'APPARTENANCE

Introduction

Nous avons déjà signalé que le point de vue historique moderne risque de nous induire à l'erreur de confondre les diverses formes de royautés au cours de l'histoire du contour de Ruwenzori, et surtout à l'Est de la RD Congo et au Rwanda, antécédemment à l'avènement des idées constitutionnelles que nous rapporte A. Kagame dans son Le droit coutumier rwandais et les idéologies démocratiques, en un seul type de régime politique, celui de l'absolutisme à pouvoir concentré dans les mains d'une seule personne qui en use à volonté et à discrétion.

Or l'étude des diverses formes de régimes absolutistes au cours des siècles relève des différences profondes entre les divers types de concentration du pouvoir politique, dues à une évolution longue et lente qui a produit des modification essentielles dans la nature et le contenu du pouvoir politique concentré, et qui a abouti aux formes constitutionnelles des temps modernes.

Nous nous sommes déjà référé aux différences qui séparent les baame Bahutu au mwami tutsi qui les remplaça, après la réunification de tous les royaumes en un seul et unique Rwanda, différences qui ne peuvent être réduites à des simples variations mais à des degrés d'une évolution profonde à la signification sociale portant sur une longue période anthropologique et entropologique.

Dans ce chapitre qui traite des Tutsi et l'appartenance, nous allons démontrer l'importance de l'acquisition de la cohésion du groupe Hima-Tutsi que la royauté a apporté. L'existence de cette communauté hima-tutsi tient au statut qu'elle accorde au roi assimilé à Dieu, il est en conséquence lui-même la source du pouvoir politique et n'admet aucune limitation dans l'exercice de ce pouvoir. On ne doit pas confondre la fonction du mwami tutsi à celle d'un pharaon. Celui-ci est fils de dieu, il reçoit les honneur et les hommages du au dieu son père et ne devient dieu qu'après sa mort. Mais le mwami est dieu, comme le clame le poète des poèmes dynastiques.

Nous remarquons d'ailleurs que la problématique d'une succession héréditaire, surtout à caractère biologique est étrangère au maintient du pouvoir des baame des Bahutu. Le principe d'hérédité successoral chez les Tutsi, montre à suffisance la difficulté qu'ils ont à se construire comme peuple.

Section 1. Acquisition de la cohésion d'un groupe

§ 1. Existence d'une communauté

Nous avons dit que pour les Tutsi la race bovine occupe la place de choix. Puisque la vache est considérée comme une fin en soi (principalia = Þãïõìíùò), l'homme devient relatif (consequentia = áêïëïýèùò), moyen dont le roi se servirait pour la reproduction de ses richesses par des guerres sanglantes.

Mutuza qui a horreur de la guerre, et surtout celle qui sévisse à l'Est de la RD Congo, note par ailleurs que les habitants de la région du Kivu-Maniema vivent dans un cosmos tributaire de la cosmologie lega. Cosmologie selon laquelle si une grande diversité des choses et une variété des conditions humaines, où la liberté a une grande part parce que n'ayant pas choisi sa condition pour elles-mêmes, où dans quel pays, dans quelle condition naître, il n'y a pas de hasard. On voit dès lors comment Mutuza va retrouver sa théorie de la réévaluation des concepts.

Il écrit : « Un faisceau des concepts centrés sur la xénophobie et la nationalité congolaise visent à inspirer le complexe de culpabilité aux Congolais-Zaïrois en les accusant de haine contre les étrangers, en vue de les préparer, par voie de la culpabilisation, d'accorder la nationalité collective aux « Zaïrois d'expression rwandaise », aux Banyamulenge et autres immigrés tutsi chassés au Rwanda par la guerre d'indépendance et réfugiés au Congo, vers les années 6O. La culpabilisation et la ruse viennent ainsi suppléer l'échec de la conquête de la nationalité par la guerre »(625(*)).

Toutes les guerres sont odieuses, mais plus particulièrement celles qui se font sans que les belligérants soient auparavant ennemis. Aux intérêts en cause, elles ajoutent l'implacable dimension d'une animosité. On se bat sur ordre et pour le plus grand bénéfice des peuples des horizons lointains. Dès lors, aucun compromis n'est possible, l'ennemi doit capituler sans condition ou disparaître. Que faire ! L'homme de tous les siècles, de toutes les races, de toutes les cultures a souvent choisi pour plus haut idéal celui de la paix, se sachant irrésistiblement fauteur de guerre. Donnez-lui n'importe quel drapeau et il s'en servira aussitôt comme d'une épée, c'est notre conviction.

§2. Relativité du sentiment de minorité et de majorité

L'histoire des peuples de la région des Grands Lacs africains est là pour attester cette cruelle et sanglante vérité, même pour les missions occidentalalisantes d'essence pacificatrice comme les sont la MONUC et l'EUFOR forgée pour la pacification des élections de 2006. « Paix, paix ! Mais il n'est pas de paix », disait le prophète Jérémie (6, 14 ; 8, 11). Amani, amani, et c'est ce que toutes les liturgies chantent, et que la conférence de Goma a adopté. Les hommes, particulièrement les swahilophones et les bahutuphones (banyarwandophones), à l'instar des Sémites, se saluent au nom de la paix mais sont aussi des fauteurs de guerres, et les plus cruelles des ces guerres sont celles qui sévissent l'Est de la RD Congo.

La guerre la plus constante et la plus paradoxale, fascinante par certains de ses aspects, est celle qui oppose, depuis l'arrivée de l'homme blanc, les Tutsi aux Hutu, les Hema aux Lendu, d'où Mutuza tire et dévoile le mythe Hima-Tutsi. Nous voulons démêler l'imbroglio qui oppose en une guerre à peu près ininterrompue les Hima-Tutsi aux Hutu de qui ils ont l'accès à la communication par le kihutu (kinyarwanda), au point de paralyser le fonctionnement des institutions des pays des Grands Lacs africains.

C'est le problème d'appartenance qui fait appel à l'intégration. Tout le contenu de l'appartenance s'inspire de la notion de paix. L'appartenance est finalement une opération de paix et de réconciliation entre le peuple et leur société. D'ailleurs, toutes les conférences sur les pays des Grands Lacs ont aussi ce double caractère. Conférences comme lieu dialogique par excellence, cherchent à supprimer le malentendu destructeur qui fait irruption dans la communication entre différentes entités. Cette paix, nous la recherchons par notre identité, et nous la sollicitons par négociation.

Mais pourrait-on accepter qu'une communication de masse puisse nous conduire à la vérité de cette guerre ? Il est un schéma qui domine plus ou moins consciemment les conceptions modernes du phénomène de communication, héritière en cela des théories de l'information apparues à la moitié du siècle (que l'on retrouve chez Shannon ou Jakobson, par exemple) et qui identifie communication et transmission de message. Ce schéma bien connu peut être représenté comme suit :

Schéma de Jakobson 1.

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Schéma de Jakobson 2.

F. Jacques le nomme très justement schéma d'Hermès- Hermès, jadis dieu des voleurs et des marchands, aujourd'hui honnête émissaire des postes et télécommunications, en raison de son évidente analogie avec le transport d'un contenu d'un point à l'autre. On réalise l'emprise d'Hermès quand on compte le nombre d'expression de la vie courante qui filent cette métaphore d'un contenu/objet dont l'on remplirait des expressions linguistiques transmissibles. Il a été dénombré, par exemple une centaine de locutions de ce type couvrant 70% de la langue anglaise et qui ont pour la plupart des équivalents français. Le propre d'une métaphore étant d'être un trope d'analogie à foyer unique, elle a pour effet, d'orienter l'attention vers un aspect précis du concept. Nous avons dans le cas d'Hermès une métaphore du conduit (pour reprendre l'expression de Lakoff et Johnson) qui amène à assimiler sans plus de distinction information et communication, dans un modèle qui convient autant aux hommes qu'aux machines (il n'est, du reste, pas sans lien avec l'essor de la cybernétique dans les années 1940), et dont il n'est pas sans intérêt de noter qu'il influença des penseurs comme Morris, Fodor, et surtout Bühler (certes après que Popper fut son élève). Ce schéma couvre l'idéal de paix. Paix que l'on cherche par les dialogues, les négociations, les conversations, les discours, les publications, les analyses politiques...Mais toutefois, jamais des chercheurs autoproclamés des négociateurs ne se sont départis de l'idée que le coeur de leur étude était le message ; ils ne sont ainsi pas écartés du schéma général d'Hermès.

L'on peut tout de même s'attarder quelques instants sur un travail précis qui ne manque pas d'intérêt, spécialement grâce au recul qu'il prend à l'égard de la linéarité toujours présupposée par le modèle classiques (qui est linéarité, fût-elle réversible, du conduit ou canal. Il est dû au sociologue George Gerbner qui propose d'articuler la schématisation selon deux niveaux, ou plutôt deux dimensions, l'une consistant en la perception ou réception d'un événement du monde réel (car George Gerbner tient à lier le message à la réalité, ce qui est une option relativement originale), et l'autre - qui ressort plus particulièrement du domaine de la communication - étant nommée dimension de contrôle ; elle induit une interaction entre percepteur (qui peut être un individu ou une machine) et les éventuels contenus de signification des messages ou événements perçus on obtient alors une figure communicationnelle pour que l'on s'en tienne à la paix.

Malgré cela, la paix entre Hima-Tutsi et les Hutu établit certains présupposés : « ...quel que soit le défi qu'on nous lance ou le piège qu'on nous tend, nous ne pouvons, pour rien au monde, renoncer à nos devoirs des nationalistes, dont le premier est celui de rétablir l'intégrité de notre territoire et de faire respecter les droits séculaires, sinon millénaires, des populations zaïroises les plus directement concernées qui s'appellent, du Sud au Nord Kivu-Maniema, Babemba, Bavira, Bafuliro, Bashi, Bahunde, Banyanga, Batembo, Banande, Balega. De ce respect seul dépendra la solidarité de toute solution qui visera à la cohabitation pacifique des peuples frontaliers. Mais d'ores et déjà, précisions que ce respect est incompatible avec l'idéologie raciste et hégémoniste qui caractérise les Tutsi et leur histoire, et qu'eux-mêmes, hélas, entretiennent sans vergogne, mais avec tant de malices ! »(626(*)).

Nicolas Cabasilas précise qu'  « en disant paix, il n'entend pas seulement la paix les uns avec les autres, lorsqu'on ne veut de mal à personne, mais aussi la paix avec nous-mêmes, lorsque notre coeur ne nous contente point. Grande est l'utilité de la paix ; ou plutôt, cette vertu nous est d'une absolue nécessité. Car l'esprit agité ne saurait en aucune façon s'unir (...), en raison même d'abord de la nature de son agitation. De même que la paix veut dire l'unité dans la multitude, de même l'agitation fait de l'individu une multitude »(627(*)). Il nous faut donc justifier cette quête de paix par la recherche du savoir correct de l'élément culturel de l'identité des Hima-Tutsi. Nous devons avoir une connaissance de l'identité de cet élément culturel. Ce n'est qu'en découvrant cet élément chez les Hima-Tutsi que nous trouverons le moyen de la reprise de la critique de la raison ambiante qui s'articule autour de l'intégration et de l'identification de l'élément culturel du mythe Hima-Tutsi.

§3. La psychologie des minorités juvéniles en temps de paix et en temps de guerre et la politique d'expansionnisme

En RD Congo, il y a dans le Nord- Kivu les Tutsis venus du Rwanda, qui se sont installés dans la région du Masisi, à l'ouest de Goma, au milieu du XIXe siècle, qui ont, évidemment trouvé des agriculteurs Bahutu pour travailler dans les plantations de thé et de café développées à l'époque coloniale. Le développement des cultures vivrières et industrielles destinées à l'alimentation de Kinshasa et à l'exportation, avive les tensions entre les Banyarwanda (« habitants du Rwanda ») et les agriculteurs Bahutu indigènes, appelés Banyarwanda à cause du kihutu dénommé kinyarwanda par ceux du Rwanda. La querelle a pris l'amplification jusqu'à l'attaque des Bahunde parce que ceux-ci sont aussi Bantu comme les Bahutu locaux.

Ce qui est aberrant est que des pasteurs, les Tutsi se réclament agriculteur parce que Kivu offre des avantages et des avantages. Les Tutsi perdent déjà une des leurs caractéristiques. En plus de cette richesse du sol, qui fait du Kivu le « jardin potager de Kinshasa », la région est riche en diamants, en or, en étain, et en méthane liquéfié dans les profondeurs du lac homonyme. Cible de l'expansion rwandaise à la fin du XIXe siècle en raison de l'étendue de ses pâturages, le Kivu est également convoité par les Anglais, les Allemands et les Belges lors de la conquête coloniale. En 1910, des rectifications de frontières au profit de la colonie belge du Congo amputent le Rwanda de l'île d'Ijwi au centre du lac Kivu, attribuant la majeure partie du lac à la Belgique. Ces problèmes territoriaux resurgissent depuis peu à travers les conflits qui ensanglantent la région et qui ont leur origine dans l'histoire et dans l'explosion démographique des anciens royaumes interlacustres (Ouganda, Rwanda, Burundi).

Nous avons étudié l'évolution psychologique de ces trois monades Hutu, Tutsi et Twa. Nous avons vu qu'après la longue évolution égocentrique et assimilatrice extravertie de la rencontre, et la courte période d'adaptation généralement introspective et introvertie qui précédait la prise de conscience d'une supériorité et les nouvelles dimensions psychiques qui a conduit à l'émancipation du milieu ambiant, syntone et hiérarchisé, cette « explosion des Tutsi dans la société des Banyarwanda » n'apparaît que vers la fin du XIXe et au début du XXIe siècles.

Avec l'arrivée de l'AFDL, une sorte de coagulation des expériences vécues, une certaine décantation des pulsions agressives aussi bien constructives, a conduit à la maturité les Hutu, comme les Congolais dans leur ensemble, devenus de nouveau plus égocentriques et routiniers dans leurs responsabilités familiales et professionnelles. Les Tutsi disposent donc de très peu d'années en RD Congo, par rapport à une stabilisation territoriale depuis le partage de l'Afrique à la Conférence de Berlin, pour, après avoir renié leur langue, qui n'a d'ailleurs peut-être jamais existé, du fait non seulement de manque mais aussi et surtout du vide argotique et idiomatique d'une telle existence.

Etant donné leur inexpérience, le risque a été grand de se tromper, au point de sacrifier leur propre langue pour une cause idéale finalement inaccessible. Mais, pendant des années où la majorité des Hutu devait mourir jeune ou dans la force de l'âge, et où le rythme des générations était très rapide, cette crise psychosociologique de la jeunesse était le seul moyen, pour la nature, de faire évoluer, ou émigrer les Tutsi. Comme nous le savons, chez les pasteurs les jeunes occupent une place de choix dans la division du travail. Les jeunes étaient démographiquement majoritaires. La minorité tutsie s'est ainsi dissoute dans la majorité des jeunes que le mythe a identifiée aux fils de Kanyarwanda. Fils de Kanyarwanda en trois monades dont la monade Tutsi est de la race divine. La jeunesse devient le seul moyen d'indentification du peuple rwandais. Rwandais ici veut dire tous ceux qui parlent kinyarwanda. Et par conséquent, tous les Bahutu sont ainsi banyarwanda dans la mémoire des Tutsi. Le kihutu aliène les Bahutu. Ayant perdu le glossonyme, leur ethnonyme devient une aliénation, si l'on ne peut pas dire leur perte d'identité. Les Tutsi ont perdu leur langue et leur glossonyme, ils ont en même temps perdu leur véritable ethnonyme. Et par ruse, ils ont entraîné les Hutu dans cette même perte, cette fois-ci dans la falsification de l'histoire par le mythe.

En 2006, la population du Rwanda était estimée à 8,65 millions(628(*)) d'habitants contre près de 8 millions lors du recensement de 1991. Entre 1993 et 1994, la guerre civile a fait environ huit cent mille morts et jeté hors des frontières deux millions de réfugiés (principalement au Congo et en Tanzanie). On décompte également trois millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays.

Avant les massacres, la densité de la population du Rwanda était l'une des plus fortes d'Afrique : 301 habitants au km2 en 1991, et près d'un tiers en plus dans les régions de culture. La plupart des Rwandais vivaient en zone rurale dans des fermes individuelles dispersées dans les collines ; le taux d'urbanisation était l'un des plus faibles du monde (5%). Aujourd'hui, les campagnes sont désertées et la capitale, Kigali, est passée de 130 000 à 250 000 habitants.

La composition de la population rwandaise est semblable à celle du Burundi, « frère jumeau » du Rwanda : cultivateurs hutu (environ 85 % de la population avant la guerre civile), éleveurs tutsi et Twa, des Pygmées considérés comme les premiers habitants de la région. Le pays, ayant subi de grands mouvements de population depuis l'indépendance (réfugiés tutsi d'abord, puis hutu depuis 1994 avec le retour des Tutsi), l'image de la société rwandaise en a été profondément modifiée. Par voie de conséquence, les statistiques sont à considérer avec prudence

En 1998, le Rwanda déploie des troupes dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) afin d'assurer sa « sécurité » face aux extrémistes hutu qui s'y réfugient. Aux côtés du Rwanda, l'Ouganda et le Burundi soutiennent la rébellion du RCD/Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie) contre le régime de Laurent-Désiré Kabila. Toutefois, l'Ouganda prend rapidement ses distances vis-à-vis de son allié rwandais et des affrontements sanglants opposent sporadiquement à Kisangani les corps expéditionnaires des deux pays, entraînant même des tensions sur leurs frontières communes (1999-2000). Les autorités ougandaises négocient directement avec le président congolais Kabila un retrait qui se fait attendre, laissant le Rwanda, et en partie le Burundi, supporter seuls l'impopularité de l'occupation de cette région.

La mort de Laurent-Désiré Kabila en 2001, auquel succède son fils, Joseph Kabila, ainsi que l'arrivée au pouvoir de l'administration Bush aux États-Unis, plus critique que l'équipe Clinton à l'égard de Kigali, entraînent une évolution de la situation dans la région. Après la signature d'un accord de paix avec l'Ouganda en novembre 2001, le Rwanda signe un accord historique avec la RDC en juillet 2002 : les forces congolaises s'engagent à procéder au regroupement et au désarmement des miliciens extrémistes hutu, tandis que le Rwanda s'engage à retirer ses troupes. Au mois d'octobre suivant, le Rwanda affirme avoir rapatrié la totalité de son contingent.

Tout est régi autour de l'élément culturel de l'identité des populations Hima-Tutsi. Il faut de la terre pour le pâturage, malheureusement on ne rencontre aucune industrie laitière de ce pénible travail de l'élevage.

Section 2. Elément culturel de l'identité des Hima-Tutsi

§1. Vache : vide social ou désemparement des guerres ?

Au sein du monde tutsi où un sécularisme artificiel de sécurité sociale, assurances, aides techniques occidentales, a été conçu théoriquement pour faciliter l'accès en RD Congo qui représente le bonheur des Tutsi, où la paix a régné depuis une génération, où l'expérience de la guerre, chez les voisins Rwandais, n'a pas directement touché des Congolais des provinces de l'Ouest, du Centre et du Sud du pays, comme au Grand-Kivu, surtout à Goma.

Fasciné ou écrasé par les risques du mythe de kinyarwanda devenu réalité, de l'atome kihutu au cosmos kinyarwanda, la conscience réagit comme s'il eût eu un envahissement qui d'abord s'amuse pour entropier le système sociale, puis le réduit aux cendres de la haine.

Il nous est déjà paru que toute société doit être considérée comme un système dont les diverses parties sont liées entre elles par des liens fonctionnels. L'organisation sociale exprime à travers les groupements d'individus, l'agencement de ces groupements et les manifestations auxquelles ces groupements et leur agencement donnent lieu, cette solidarité de la société. La diversité des types d'organisation sociale rend compte de la diversité des rapports qui unissent les hommes entre eux avec leur milieu.

Une vache et un espace géographique (le champ agricole), tels sont les éléments qui différencient deux populations. La vache peut détruire le champ, mais c'est dans le champ que la vache trouve sa survie. Il y a séparation, du moins apparente, entre le monde animal et le monde végétal. Nous avons dit que le monde animal a été divinisé et élevé au-dessus de la valeur humaine. Tel est la conception tutsie de l'animal. Et le champ, terre des ancêtres, a valeur instrumentale pour le Muntu. Deux réalités existent alors comme en Ôñéáò (trias) et au ÐáíãÞò (Pangée)(629(*)). Nous pouvons les chiasmer comme suit :

Vache champ

Muntu Tutsi

Nous avons sans beaucoup de peine à comprendre que le Muntu a l'homme pour la fin et la terre et la vache comme moyen ; tandis que le Tutsi a pour la fin la vache et le champ et l'homme pour moyen. La dépendance de la tribu du gros bétail est tellement grande, que la tribu entière s'adapte à une vie nomadique nécessitée par les mouvements saisonniers vers les régions fournissant des possibilités de subsistance au bétail. Notre chiasme signale de suite que cette dépendance de la tribu n'est pas, pour ainsi dire, directe, puisque le bétail n'est pratiquement jamais sacrifié aux besoins de subsistance de la tribu, malgré le lait constaté par les ethnographes que les tribus pastorales souffrent d'un certain degré de sous-alimentation chronique. Ce n'est que les animaux malades qui sont abattus, ou ceux servant à l'accomplissement de rites cérémoniaux et religieux. La tribu elle-même tire sa subsistance du lit de vache et de ses dérivés, de quelques produits agricoles de base, et, s'il y a lieu, de pêche et de chasse.

Nous avons vu que le thème du bétail était le second après celui du roi dans la poésie dynastique. Cette circonstance nous révèle que l'existence des hommes est extricablement liée à celle des bovidés, et tout ce qui affecte la race bovine a une répercussion immédiate sur les hommes. L'amour de bovidés se réduit à un culte auquel sont associés le roi et son peuple. Le plus grand malheur qui pourrait survenir à la nation serait la destruction du bétail :

« Nous allions disparaître

Sans laisser souche de bovidés et d'hommes ! »

(P. 138, p. 82)

La prospérité du peuple est, bien sûre, liée à celle des bovidés. Accroître le troupeau, c'est là la vraie richesse :

« Alors aux fidèles sujets prédestinés à la richesse,

Yuhi ajoute les vache aux anciennement octroyées.

(P. 123, p. 81)

On ne peut aspirer à la prospérité plus idéale que celle que l'acquisition de bétail confère :

« Eh bien, Source du pays, j'ai fait un rêve !

J'ai vu en songe des myriades de bovidés razziés dans Gihunya »

(P. 71, p. 62)

Parler de la vache comme élément culturel de l'identité des Hima-Tutsi ouvre la voie de la connaissance de la valeur matérielle de cet élément. Mutuza(630(*)) se réfère à Papadopoulos. Celui-ci s'étant permis de formuler quelques considérations sur le problème Watutsi-Bahutu par référence au travail de l'ethnologue Belge J. Maquet qui, pour tant que Papadopoulos sache, fut le premier à abordé l'interprétation du problème de l'inégalité sociale inhérente au système ruandais sur une base pour ainsi dire philosophique dans son ouvrage sur l'organisation sociale ruandaise(631(*)).

Mutuza nous donne le Problème de l'inégalité raciale et sociale au Ruanda comme titre de ses réflexions à la page 19 de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi. Il est d'accord avec ce que Papadopoulos argumente contre Maquet.

§2. Différenciation de groupements et d'activités face aux fonctions du désir et de la foi dans leur priorité sur le réalisme

Certes, il est vrai que l'analyse de Maquet sur le problème de l'inégalité est très subjective. Cela étant dû à la complexité du problème de cette inégalité (apparente), Mutuza doit justifier sa position. La phénoménologie peut l'aider. Mais la situation politique actuelle en rapport avec la réduction phénoménologique dégage l'essentiel de l'accidentel et du factice. J. Maquet se laissait renvoyer au sujet transcendantal ; c'est-à-dire avec un regard pur d'une intuition apodictique ; le Ruanda apparaissait alors comme un phénomène. Mais déjà demain il fallait que notre Maquet choisisse.

La référence à l'origine de l'inégalité dénote une multiplicité et la séparation de deux systèmes sociaux historiquement attestés. Mais cette recherche des origines n'est pas l'un, l'unique source de connaissance de ce problème. C'est le niveau ontologico-biologique qui doit encore faire objet de cette recherche parce que les Tutsi se considèrent non pas comme une ethnie mais comme une race à part entière et bien différente des Bantu. Cela est très important pour en arriver à l'élément culturel de l'identité des Hima-Tutsi.

Mutuza, en acceptant la position de Papadopoulos, s'est rendu coupable du fait que Papadopoulos pense en termes de cogito cartésien. Or le cogito n'est point la dernière réalité, il n'est pas l'absolu, il n'est qu'une sécularisation. Toutes les autres sécularisations (Marx, Feuerbach, Hegel,...) en sont aussi une réponse insuffisante. Une dernière et ultime réduction était possible pour Mutuza si réduire pouvait signifie pour lui saisir comme relatif et que tout relatif ne puisse se penser qu'en relation avec l'absolu.

Mais malheureusement, que ce soit chez Maquet ou chez Papadopoulos, Mutuza ne comprenait pas leur champ épistémologique fondé sur la certitude phénoménologique. C'est pourquoi en revenant à Mutuza deux grandes réalités existent : le pasteur et l'agriculteur. Avec le pasteur nous avons la vache et avec l'agriculteur c'est le terrain, l'espace géographique.

La valeur matérielle la plus significative, la plus précieuse et presque exclusive dans la civilisation négro-chamitique est la vache, avons-nous dit, et généralement la race bovine. Le négro-Chamites orientaux, au même titre que les peuples nilotiques, Shilluk, Nuer et Dinka, sont des peuples éminemment pastoraux, éleveurs de gros bétail, toute autre occupation économique étant complémentaire et pour ainsi dire secondaire.

La vache conduisant le Tutsi, celui-ci est psychologiquement et logiquement assujetti aux caprices animaux. Nous sommes en présence d'une psychosociologie dont la fonctionnalité est à rechercher dans le langage. C'est d'ailleurs là l'importance de la théorie de communication où les Tutsi semblent se complaire en se ventant de la tuerie. Il se peut qu'ils aient tué les Congolais sous le poids de ce qu'ils en ont fait ; mais ils ne pensent pas qu'ils feront de tout ce qu'ils disent un Tutsi qui vivra. Notre élément culturel des Hima-Tutsi a permis une communication entre Hutu et Tutsi dans le droit coutumier. Et le dialogue consensuel des différentes révolutions ruandaises démontre l'ignorance qu'on avait de la psychologie sociale dans le Ruanda sous examen.

Les psychosociologues ont mis en évidence le rôle central du langage et de la communication dans l'organisation et le fonctionnement de la vie sociale. Il existe une grande tradition de recherche sur la communication non verbale qui montre qu'une communication inconsciente complexe utilisant le langage du corps est nécessaire au bon fonctionnement de l'interaction sociale. C'est de cette façon que l'individu communique sa sympathie et laisse percevoir ses tendances affectives.

Kurt Lewin, durant la Seconde guerre mondiale, a montré que l'adoption d'un comportement (consommer des abats) était favorisée par des discussions collectives (sur l'économie de guerre ou les bienfaits de ces aliments), bien plus qu'avec une conférence incitative. La forme de la communication influence donc l'efficacité du message. La psychologie sociale manifeste actuellement un intérêt croissant pour l'analyse du discours. Le rôle du langage dans la construction du monde social est appréhendé par des méthodes inspirées de la linguistique, en particulier de la pragmatique.

L'étude comparative de l'élément culturel de l'identité que Mutuza, Maquet et Papadopoulos ont brièvement analysé est l'étude philosophique de l'histoire. Une confrontation de deux civilisations sur le plan anthropologique entraine inévitablement des jugements de valeur, car la notion même de l'élément culturel est une de valeurs entendues tant objectivement que subjectivement. Cette constatation éveille immédiatement chez l'observateur la problématique non pas de l'étude comparative des civilisations, mais aussi de celle des civilisations étudiées en elles-mêmes et par rapport à leur évolution historique. C'est faute d'une problématique de valeurs qui déborde le domaine strict de la science positive et contraint à la spéculation philosophique.

Attachons-nous toutefois aux données des deux civilisations telles que les éléments de l'identité culturelle nous les présentent. Dans l'examen, les Tutsi placent leur vie quasi exclusive sur le bétail bovin, bétail qui occupe dans l'échelle des valeurs matérielles la mesure de la limitation du monde par rapport à la gamme considérablement plus étendue que nous rencontrons dans la civilisation des Bahutu.

Cette inégalité considérée par les occidentaux soulève des sérieuses difficultés surtout par rapport à la théorie classique de l'évolution des civilisations dans le temps, le néo-darwinisme. C'est nécessaire de penser à cela ; mais cette introduction d'une notion nouvelle de l'intégration nous induit en une nouvelle problématique ; celle qui demande la détermination des critères d'après lesquels cette nouvelle notion s'établit.

Ici le choix est forcément limité par la nature même de et le sens du progrès culturel indissociablement lié au développement des sociétés humaines. Et c'est le développement qui servira de base à la détermination des critères d'évaluation des moyens culturels qui y contribuent. Laissez-nous donc adorer notre vache, diraient les Hima-Tutsi et venez, mangeons-en la viande diront les Bantu.

§3. Réflexe réactionnaire et fonction de mortalité collective

Ce qui vient d'être dit montre la spontanéité des mécanismes psychiques qui tendent à délimiter et réunir un groupement d'hommes particuliers dans une sorte de « classe minoritaire ». Leur conscience est dite spontanée ou directe si elle est intentionnelle, c'est-à-dire portée vers l'objet auquel on fait attention à un moment particulier. Elle est réfléchie au sens où elle donne à l'homme la capacité de revenir sur ce qu'il pense, ce qu'il vit, sent ou fait ; l'individu porte alors attention à l'état de conscience lui-même. Enfin, elle est dite psychique lorsqu'elle rend le sujet capable de percevoir sa propre activité psychique et d'en revenir comme saisi de lui-même. Avant René Descartes, le terme de conscience était généralement lié à l'action et entendu dans le sens de conscience morale désignant ce retour sur soi par lequel nous savons que nous agissons, en même temps que nous portons un jugement sur nos actions.

Cette levée de bouclier humain d'une minorité dite de réactionnaires se retrouve toujours statistiquement confirmée devant tout événement social, découverte scientifique et philosophique de l'entropologie comme base de la connaissance de l'homme plutôt que de l'anthropologie comme base biologico-culturelle de l'homme. Ainsi, Galilée a-t-il été condamné, les premières machines détruites par les ouvriers, les grandes découvertes médicales combattues par des académiciens mêmes, des vaccinations, encore aujourd'hui comme celles contre la poliomyélite, refusées dans certains milieux. Des prouesses chirurgicales ont été violemment critiquées, de nombreux progrès techniques souvent mal interprétés, jusqu'à ce que l'habitude de leurs présences en vienne à estomper la méfiance, à en endiguer les rivières de problèmes ethniques.

L'exemple le plus frappant est celui de l'intervention, en 1990, de la Belgique, de la France et de plusieurs pays d'Afrique centrale qui envoyèrent des troupes au Rwanda pour contrer un coup d'État préparé par des exilés Tutsi à partir de l'Ouganda. Réunis au sein du Front patriotique rwandais (FPR), ceux-ci sont soutenus par des Hutu modérés, opposants au régime et vivant à l'intérieur du pays. Pressé par son opposition et par la vague de démocratisation qui traverse le continent, le président Habyarimana accepte de mettre en place une nouvelle Constitution en 1991 qui donne naissance à une démocratie pluraliste. Le Conseil national de développement est remplacé par une Assemblée nationale de transition et un poste de Premier ministre est créé.

De plus en plus contesté au sujet de sa volonté d'agir en faveur de la réconciliation et du partage démocratique du pouvoir, le régime s'attaque à la fraction des Hutu modérés qui lui ont servi de caution lors de sa prise du pouvoir en 1994. Ceux qui détenaient des postes de responsabilité démissionnent ; certains sont mystérieusement assassinés. En juin 1999, le gouvernement décide de prolonger de quatre ans la période transitoire pour permettre l'élaboration d'une Constitution devant remplacer la Loi fondamentale élaborée en 1994.

C'est avec la conscience de l'élément culturel qu'est la vache que l'on rencontre toutes les grandes difficultés de ces populations Hima-Tutsies. La conscience morale implique donc la reconnaissance de certaines valeurs et la libre adhésion à ses valeurs. Or, la valeur la plus éminente, la plus importante, sinon la seule valeur est la vache. En ce sens, on dit qu'elle est normative. Y aurait-il donc plusieurs consciences en l'homme sans liens les unes avec les autres ?

Section 3. Identité de l'élément culturel chez les Hima-Tutsi

§1. Formation spontanée des groupes minoritaires de contrôle

Ayant donné l'élément culturel chez les Hima-Tutsi, il est question de savoir quelle est l'identité de cet élément. Chez Mutuza, tout comme chez Papadopoulos, chez Van Hove, avec la considération de Pagès et l'argument de Overdulve, l'identité de cet élément est la domination. La domination est l'exercice d'une autorité souveraine, elle peut être aussi une supériorité intellectuelle, morale ou sportive. Cela implique une classification ou une typologie des valeurs sur lesquelles on se fonde pour décrire cette domination.

Dans le cas sous examen, les matières du code du droit ruandais sont classées sous trois rubriques principales qui constituent les trois divisions générales du droit coutumier ruandais, à savoir, le droit militaire, le droit pastoral et le droit administratif qu'il serait plus approprié de qualifier de droit politique. Avec le droit pastoral on est aux cimes de la hiérarchie matérielle. Alexis Kagame qui a rédigé ce code en a subdivisé en trois rubriques. Ces trois rubriques sont subdivisées en chapitres et ceux-ci en articles à la manière des codifications historiques. Epargnons-nous des détails pour aller droit au but. Il y a plus de la moitié des matières de ce droit qui est consacrée au droit des bovidés. Ce qui est étonnant c'est qu'il y a des articles réservés au culte dû aux reines des troupeaux et aux taureaux.

Nous nous sommes servi des travaux sur l'ethnographie ruandaise, ainsi que ceux de J. VAN HOVE, pour suppléer à notre traitement de l'identité de l'élément culturel chez les Hima-Tutsi. Comme d'ailleurs chez Mutuza, J. VANHOVE atteste qu'en principe le Mwami est le propriétaire de tout le bétail ruandais. Les grands chefs, c'est-à-dire les propriétaires terriens (les Hutu), veillent pour son compte à la conservation du troupeau national. Il en résulte que la détention du bétail par les sujets du royaume est réduite à un droit d'exploitation ou d'usufruit et non pas de propriété. Il s'en suit aussi que le sujet ne peut disposer de son bétail, en le vendant par exemple, sans autorisation des chefs des provinces ; exception consentie pour les vaches stériles ou les taureaux.

C'est ici que notre hypothèse de la considération de la vache comme viande par les Hutu s'affirme. Les chefs terriens sont généralement les Hutu. L'accroissement des troupeaux n'est pas prestige comme il en est le cas chez les Tutsi ; c'est une viande. C'est pour cette raison qu'un sujet du pays en quittant une province pour se rendre dans une autre ne saurait emmener son bétail sans l'autorisation du chef, « et plutôt il l'abandonne pour en recevoir un troupeau de même importance dans la province de son nouveau domicile (632(*)).» Pour l'acquisition de ce nouveau troupeau on tient compte de la couleur, de l'âge, des cornes et d'après ce que la coutume prévoit. C'est ce qui justifie la mécompréhension de VAN-HOVE devant les transactions intimement liées aux institutions sociales du pays pour parler de «  la domination des Tutsi sur les Hutu(633(*))

Tout tourne autour de la vache : transactions sociales, acquisitions, dons, dots, dotations, bêtes de sacrifice, hommages au roi, impôts etc. La vache est une valeur matérielle, comme nous l'avions dit, et son importance est quasi exclusive dans la civilisation. Et les Hutu sont aussi contaminés de cette valeur sans pour autant négliger l'espace géographique, espace que leurs ancêtres leur ont légué.

Le père PAGES(634(*)) fait une nomenclature très systématique des bovidés. Ces travaux sont l'exposition la plus complète que nous possédons du droit coutumier ruandais, et c'est d'ailleurs ce qui nous permet de bien parler de l'identité de l'élément culturel des Hima-Tutsi. Ici, Mutuza ne s'était pas beaucoup intéressé à la question de classification des bovidés. Il jugeait inutile de traiter d'un tel problème tant qu'il était évident pour lui que la vache est la seule valeur matérielle pour les Tutsi. Mais une telle considération ne nous a pas permis de trouver la mécompréhension de la notion de domination.

Le § 164 du droit coutumier, tel que A. Kagame nous le rapporte montre déjà l'influence de culte des morts des Hutu sur les Tutsi. La problématique des la succession fondée sur l'idée que le Mwami exerce le droit au nom de ses ancêtres qui sont sensés être les véritables propriétaires est claire. C'est ce que nos différents auteurs n'ont pas vu. Et la notion de domination s'éclaircie grâce à cette étude de l'élément culturel et de son mode de gestion.

Papadopoulos nous suggère encore une réponse à la question de la domination : « Le contrat de servage pastoral a généralement lieu entre Batutsi, propriétaires de bétail, et Bahutu. Bien que pour les derniers (Bahutu) ce contrat représente une amélioration de leurs existence économique et sociale, pour les premiers (Batutsi) c'est un moyen de domination des populations non Batutsi, domination qui s'entend tant dans un sens social qu'économique(635(*)). »

La valorisation systématique de l'idée de domination d'une « race supérieure » constituait la base idéologique de l'Holocauste, qui engendra des phénomènes de rejet (ségrégation, formation de ghettos), d'asservissement (travail forcé), d'expulsion (déplacements de populations) et finalement le génocide.

En règle générale, le sentiment de supériorité s'accompagne de la conviction que les autres races constituent un danger, ou sont génératrices de désordre social. Ce préjugé repose sur le mécanisme bien connu de la recherche du bouc émissaire, qui rend responsable un groupe social de la crise économique et politique, en l'accusant d'être un élément naturellement perturbateur.

En effet, les inégalités sociales qui frappent souvent des groupes sociaux distincts entraînent une assimilation entre ces groupes et des phénomènes tels que la délinquance ou la pauvreté. Cependant, de nombreuses formes de racisme perdurent dans les sociétés contemporaines, en dépit des injonctions du droit international, et notamment des conventions sur les droits des minorités et de la personne humaine. Il est encore enrichi avec la naissance de la science politique sous sa version actuelle.

L'autonomisation de la science politique s'est ainsi accompagnée, selon Marcel Prélot, d'une triple approche des phénomènes politiques. Une première approche prend pour objet un certain type de relations humaines parmi l'ensemble des rapports sociaux, qu'il s'agisse de relations de conciliation, de subordination, de domination ou d'antagonisme, comme c'est le cas chez Carl Schmitt. Toutefois, cette approche n'est pas parvenue à identifier un type de relation suffisamment cohérent pour fournir la matière propre à une science autonome.

Dans une seconde approche, classique et prolifique, la notion centrale est le pouvoir, faisant de la science politique la science du pouvoir. On rattache à ce courant un grand nombre de chercheurs américains, les plus nombreux et les plus actifs dans ce domaine, mais aussi des auteurs plus classiques comme Platon et Machiavel (le Prince, 1515) ou le sociologue Max Weber. L'un de ses prolongements contemporains est le béhaviorisme, très en vogue aux États-Unis, qui applique l'analyse objective et le calcul à toutes les manifestations observables du comportement humain. Cependant, étendu à toutes les formes de puissance, d'influence ou de force, l'objet de cette approche se dilue et dépasse de loin les phénomènes proprement politiques, tant le pouvoir non spécifiquement politique se niche partout dans les groupes humains.

Enfin, issue d'une tradition millénaire, la conception institutionnelle de la politique se concentre sur l'État, défini comme une collectivité à base territoriale, organisée et représentée par des organes détenteurs légitimes de l'usage de la contrainte, intérieure et extérieure. Historiquement situé, l'État, institution suprême et englobante, se distingue de tous les autres groupements, tant quantitativement que qualitativement. L'État intègre, par conséquent, dans un objet homogène, l'ensemble des phénomènes politiques. C'est là que nait l'idée de domination sous sa forme actuelle et dans le cas sous examen. Et on a dû penser de la domination tutsie, en insistant sur la soumission des Hutu.

§2. Domination et temps anthropologique face à la notion universelle de l'infini

L'étude comparative des monuments littéraires brièvement analysés est l'étude comparative des civilisations que ces monuments représentent ou, plutôt, dont ils font parti. Une confrontation de deux civilisation sur le plan anthropologique entraîne inévitablement des jugements de valeur, car la notion même de civilisation est une de valeurs entendues tant objectivement que subjectivement. Cette constatation éveille immédiatement chez l'observateur la problématique non seulement de l'étude comparative des civilisations, mais aussi celle des civilisations étudiées en elles-mêmes et par rapport à leur évolution historique. C'est toute une problématique de valeurs qui déborde le domaine strict de la science positive, l'avions-nous déjà dit plus haut, et qui contraint à la spéculation philosophique.

Dans l'examen comparatif des valeurs rencontrées dans les poèmes dynastiques nous avons constaté des inégalités lesquelles, pour éviter de se laisser entraîner dans le domaine des jugements de valeur, nous situons provisoirement dans la catégorie quantitative. Et c'est notamment dans le domaine des valeurs matérielles, morales et intellectuelles que nous avons constaté l'inégalité. La place quasi exclusive que le bétail bovin occupe dans l'échelle des valeurs matérielles(636(*)) donne la mesure de la limitation du monde de ces valeurs par rapport à la gamme considérablement plus étendue que nous rencontrons dans la civilisation des Hutu. Cette inégalité considérée dans le temps chronologique conventionnel soulève des difficultés graves surtout par rapport à la théorie classique de l'évolution des civilisations dans le temps.

Si le sociologue français G. Gurvitch a analysé les différentes formes de « temps sociaux » exprimés au sein des groupements particuliers comme dans celui des types de sociétés globales, nous croyons que les individus prennent conscience des événements ou des avènements personnels ou collectifs en vivant de temps différents (le psychologue parlera plutôt de durées polydimensionnelles) selon la structure des collectivités. Celles-ci sont déterminées par le milieu géographique ambiant (exemple des saisons, des moissons, etc.), ou par le caractère des civilisations proprement dites ou selon les groupements particuliers dont les activités se superposent ou se combinent avec la société globale.

En analysant les éléments psychodynamiques de chaque société ou de chaque groupement nous trouvons une identité qui se dessine par une entropie sociale. C'est une affliction, et la vraie dimension du temps devient la désintégration. Ce qui nous rassure d'introduire une dimension nouvelle du temps que nous appelons temps entropologique.

Peut-on définir ce qu'est le temps ? Il est impossible de définir le temps dans ses trois dimensions (passé, présent et avenir) ; définir le temps, ce serait dire : « le temps, c'est... ». Or, on ne peut demander ce qu'est le passé (qui n'est plus) ou l'avenir (qui n'est pas encore) : seul le présent est, mais le présent n'est pas la totalité du temps.

Plus qu'une chose à définir, le temps est la dimension de ma conscience, qui se reporte à partir de son présent vers l'avenir dans l'attente, vers le passé dans le souvenir et vers le présent dans l'attention (Saint Augustin).

En quoi la conscience est-elle temporelle(637(*)) ? Edmund Husserl montre comment la conscience est toujours conscience intime du temps. Si je regarde à l'intérieur de moi, je n'y trouve pas une identité fixe et fixée d'avance, mais une suite de perceptions sans rapport entre elles (le chaud puis le froid, le dur puis le lisse par exemple). C'est alors la conscience du temps qui me permet de poser mon identité : la conscience du temps me permet de comprendre que dans cette suite de perceptions, ce n'est pas moi qui change, mais c'est le temps qui s'écoule. Mon identité est donc de part en part temporelle.

Surtout, la perception suppose que ma conscience fasse la synthèse des différents moments perceptifs : j'identifie la table comme table en faisant la synthèse des différentes perceptions que j'en ai (vue de devant, de derrière, etc.). Or, cette synthèse est temporelle : c'est dans le temps que la conscience se rapporte à elle-même ou à autre chose qu'elle.

Si le temps n'est pas une chose, qu'est-il ? Selon Emmanuel Kant, le temps n'est ni une intuition (une perception), ni un concept, mais plutôt la forme même de toutes nos intuitions : cela seul explique que le temps soit partout (tout ce que nous percevons est dans le temps) et cependant nulle part (nous ne percevons jamais le temps comme tel)(638(*)).

Nous ne pouvons percevoir les choses que sous forme de temps et d'espace ; et ces formes ne sont pas déduites de la perception, parce que toute perception les suppose. La seule solution consiste donc, pour Kant, à faire du temps et de l'espace les formes pures ou a priori de toutes nos intuitions sensibles : le temps n'est pas dans les choses, il est la forme sous laquelle notre esprit perçoit nécessairement les choses.

Quelle est la solution proposée par Bergson ? Ni le passé, ni l'avenir ne sont : seul l'instant présent existe réellement, et le temps n'est que la succession de ces instants ponctuels de l'avenir vers le passé. Quand nous essayons de comprendre le temps, nous le détruisons en en faisant une pure ponctualité privée d'être.

Henri Bergson montre ainsi que notre intelligence comprend le temps à partir de l'instant ponctuel : elle le spatialise, puisque la ponctualité n'est pas une détermination temporelle, mais spatiale. Le temps serait alors la succession des instants, comme la ligne est une succession de points. Notre intelligence comprend donc le temps à partir de l'espace : comprendre le temps, c'est le détruire comme temps. À ce temps spatialisé, homogène et mesurable, il faut donc opposer notre vécu interne du temps ou « durée ».

À ce temps spatialisé, homogène et mesurable, il faut donc opposer notre vécu interne du temps, ou « durée » : la durée, c'est le temps tel que nous le ressentons quand nous ne cherchons pas à le comprendre. Elle n'a pas la ponctualité abstraite du temps : dans la durée telle que nous la vivons, notre passé immédiat, notre présent et notre futur immédiat sont confondus.

Tout geste qui s'esquisse est empreint d'un passé et d'un avenir : se lever, aller vers la porte et l'ouvrir, ce n'est pas pour notre vécu une succession d'instants, mais un seul et même mouvement qui mêle le passé, le présent et l'avenir. La durée n'est pas ponctuelle, elle est continue, parce que notre conscience dans son présent se rapporte toujours à son passé et se tourne déjà vers son avenir. La durée non mesurable, hétérogène et continue est donc le vrai visage du temps avant que notre intelligence ne le décompose en instants distincts.

Sous quel signe le temps place-t-il notre existence ? Non seulement le temps place notre existence sous le signe de l'irréversible, mais il éveille en nous la possibilité d'une conscience morale : je me reproche mon passé parce que je ne peux rien faire pour annuler les erreurs que j'ai commises.

Parce que le temps est irréversible, je crains mon avenir et je porte le poids de mon passé ; parce que mon présent sera bientôt un passé sur lequel je n'aurai aucune prise, je suis amené à me soucier de ma vie.

Selon Martin Heidegger, c'est même parce qu'il est de part en part un être temporel que l'homme existe. Les choses sont, mais seul l'homme existe (au sens étymologique) : l'homme est jeté hors de lui-même par le temps. Être temporel, ce n'est donc pas simplement être soumis au temps : c'est être projeté vers un avenir, vers du possible, avoir en permanence à choisir et à répondre de ses choix (ce que Heidegger nomme le souci).

Le temps fait-il de la mort notre horizon ? Si je ne savais pas d'avance que je vais mourir un jour, si je n'étais pas certain de ne pas avoir tout le temps, je ne me soucierais pas de ma vie. Ce n'est donc pas la mort qui nous vient du temps, mais le temps qui nous vient de la mort (Heidegger). Je ne meurs pas parce que je suis un être temporel et soumis aux lois du temps, au contraire : le temps n'existe pour moi que parce que la perspective certaine de ma mort m'invite à m'en soucier. Et comme personne ne pourra jamais mourir à ma place, personne ne pourra non plus vivre ma vie pour moi : c'est la perspective de la mort qui rend chacune de nos vies uniques et insubstituables.

Pour bien comprendre cette vocation, les ouvrages marxistes se devaient de montrer le monde capitaliste sous le jour le plus haïssable, technique impérieuse pour préparer la force psychologique de combat de la masse prolétarienne. Il était cependant inopportun de prétendre que tous les patrons ou propriétaires d'entreprises, ou de toute organisation commerciales « à but lucratif » ne pouvaient qu'abuser des salariés dans un but exclusif de lucre au mépris de tout humanisme. C'est le problème réel de la domination que l'on rencontre dans les études de Mutuza. Ses affirmations nous poussent à la recherche du contenu du concept domination.

La domination des Tutsi sur les Hutu qu'on nous présente ressemble à une mécompréhension des termes. Puisque les mauvais trafiquants entreprennent de rendre le phénomène social de mauvais aloi, en obscurcissant la clarté du concept par un mélange avec des pensées hérétiques et fausses, par ignorance de la culture ainsi observée, soit parce qu'ils les reçoivent - et c'est mal - comme bon leur semble, ils le tirent dans le sens qui vient au secours de leur propre méchanceté, et disent, pour détruire le Ingoma des Hutu, que la vache comme valeur matérielle s'accorde à leur pensée : la soumission de Hutu, puisqu'une telle compréhension de la soumission manifeste une certaine idée de consensus des deux communautés. C'est pourquoi il a paru nécessaire d'examiner avec soin une telle idée de domination qui touche à ce sujet, afin de montrer que la culture des Hutu est véritablement pure de toutes souillures, exempte de toutes les considérations occidentales de la soumission ou de la domination, sans mélange avec elles.

· Que signifie dominer dans le cadre où le maître n'est pas le modèle?

Nous savons donc que, selon l'usage des textes anthropologiques, un tel mot a une pluralité de sens et ne s'adapte pas toujours aux mêmes idées, mais tantôt signifie ceci, tantôt renvoie à cela. On dit par exemple que le commerce triangulaire a renforcé l'esclavagisme et que les esclaves furent soumis à leurs propres maîtres. Et, à propos de la nature irrationnelle, que les Lega pratiquent l'élevage pour soumettre les chèvres et la forêt. A propos de ceux qui sont vaincus à la guerre, ils disent que « les Lega viennent d'ailleurs ; les territoires qu'ils occupent actuellement aurait appartenu à d'autres ethnies qu'ils auraient assimilées après de nombreuses guerres, ou auxquelles ils se seraient eux-mêmes assimilés(639(*)). » Mais faisant mémoire de ceux qui sont sauvés grâce à la connaissance, les textes mettent en « contraste les Lega et les Blancs(640(*)) », comme si les Lega étaient les seuls Noirs face aux Blancs. Et il semble que ce que nous trouvons chez Van Hove est proche de cela, quand il dit : « Pour les premiers [les Batutsi], le contrat de servage est un moyen de domination(641(*)) ». Et par-dessus tout, l'expression que l'impérialisme nous objecte, dans les relations Hutu- Hima-Tutsi : « les Tutsi invincibles ».

Mais puisque le sens de ce mot conduit à beaucoup d'idées, il serait bon de prendre séparément chacune de ces acceptions en soi et reconnaître à quel sens du mot domination s'apparente la parole des textes anthropologiques. Nous disons donc, à propos de ceux qui sont vaincus à la guerre par la puissance de ceux qui les dominent, que le sens du mot domination désigne le fait de se courber malgré soi et par nécessité devant les vainqueurs. Car si quelque pouvoir échoit ensuite aux prisonniers, qui leur suggère l'espoir de s'élever au-dessus de ceux qui les dominent, alors ils se dressent en face de ceux qui les ont dominés, estimant que le fait d'avoir été soumis à leurs ennemis est une injustice et un affront.

Dans un autre sens, les choses irrationnelles sont soumises aux rationnelles parce que leur nature manque de ce qui est le plus grand des biens, c'est-à-dire la raison, car il est nécessaire, selon la bonne répartition naturelle, que ce qui manque soit soumis à ce qui possède davantage. Mais ceux qui sont dominés et sous le joug de la servitude à cause de la conséquence d'une loi, bien que, selon la nature, ils soient égaux, reçoivent le rang de dominés parce qu'ils sont conduits à la soumission par l'inflexibilité de la nécessité. Enfin, le but de la soumission des Tutsi à la vache c'est le salut, comme nous l'apprenons de la poésie dynastique qui nous dit :

« Nous allions disparaître

Sans lisser souche de bovidés et d'hommes »

(P. 138, p. 82)

· La soumission aux Hutu ou la force de l'ouvrier sur son maître

Donc lorsque les occidentaux nous objectent les textes ethnographiques qui disent que les Hutu se furent soumis aux Tutsi, il serait logique, étant donné la diversité de sens du mot, de leur demander quel sens du mot domination ils ont en vue pour penser qu'il faut l'appliquer aux Hutu. Mais il est évident qu'ils diront qu'il ne faut penser la domination des Hutu en aucun des sens que nous avons dits. Car ce n'est pas étant ennemis qu'ils auraient été soumis par la guerre, de telle sorte qu'ils mettent en retour leurs efforts et leurs espoirs dans un soulèvement contre les Tutsi qui les dominent. Ce n'est pas non plus comme des vaches, créatures irrationnelles, que les Hutu subiraient comme une nécessité naturelle la soumission parce que le bien leur ferait défaut, telle la soumission du petit bétail, des troupeaux ou des boeufs à l'égard de l'homme. Ce n'est pas non plus à la ressemblance des esclaves achetés à prix d'argent ou nés de la maison qu'ils attendent, asservis qu'ils seraient par la loi, d'être libérés de leur servitude par bonté ou grâce. Mais, pourrait-on objecter, ce n'est pas non plus en conformité avec le but et la ressemblance des belligérants.

Quel sens du mot domination peuvent-ils raisonnablement leur appliquer de manière propre ? Car on a trouvé que tous les sens découverts sont très loin de pouvoir être pensés ou dits de manière propre aux Hutu. Mais s'il faut ajouter aussi cette forme de domination dont parlent les textes ethnographiques, il ne convient pas non plus que cela soit dit du maître du terrain par rapport aux « transplantées, immigrées, réfugiées ou clandestines, les populations Hima-Tutsi qui ont trouvé asile sur le sol hospitalier de la République Démocratique du Congo, se sont comportées et ont vécus en conquérantes »(642(*)).

§3. Adaptation et temps entropologique face à l'expérience biologique et philosophique de la mort et de l'éternité

Le manque de culte des morts chez les Tutsi est une preuve frappante de leur vie sans espérance. C'est d'ailleurs la caractéristique de tous les Üèåôïé parce qu'ils manquent le temps historique. Nous avons vu qu'il y a une différence entre le temps chronologique, historique et le temps anthropologique ou ethnologique. C'est en effet, grâce à la civilisation des royaumes négro-chamitique de l'Est africain que nous avons la connaissance des mouvements migratoires des tribus chamites ou nilo-chamites aux environs du X e siècle, et qui n'a pris sa forme définitive qu'après le XIII e siècle. Cette civilisation est tout au plus contemporaine de la dernière période de la civilisation lega, laquelle avait en attendant depuis longtemps atteint ses formes définitives. Comment dès lors expliquer cette inégalité des valeurs civilisatrices dans la contemporanéité du temps conventionnel, inégalité qui devient beaucoup plus aiguë dans le cas de la survivance de civilisations hautement évoluées ? La théorie évolutionniste classique ne saurait donner une explication valable de ces inégalités se présentant dans la contemporanéité du temps chronologique conventionnel, ou à des distances irrégulières dans ce même temps, même si elle avait recours à l'argument de l'évolution indépendante des civilisations dans l'espace, car alors elle aurait à justifier deux phénomènes par excellence antiévolutionnistes, celui de la régression d'une part, celui de la stagnation de la civilisation d'autre part. La difficulté ainsi créée ne saurait être levée qu'en faisant abstraction du temps chronologique conventionnel, adapté aux données physique, et en adoptant à sa place la notion du temps anthropologique qui, lui-même, sans toutefois démunir de toute signification anthropologique le premier, prend l'envol entropique. C'est là la nécessité du temps entropologique. Et cette dissociation des deux temps s'avère nécessaire en matière de traitement anthropologique, où la classification des civilisations dans leurs rapports essentiels et organique impose le temps culturel en tant que postulat méthodologique.

Mais cette introduction d'une notion nouvelle de temps entropologique nous induit en une nouvelle problématique ; celle qui demande la détermination des critères d'après lesquels cette notion s'établit. Ici le choix est forcément limité par la nature même et le sens du progrès culturel indissolublement lié au développement qui servira de base à la détermination des critères d'évaluation des moyens culturels qui y contribuent. Tout moyen culturel sert à l'affirmation et la promotion du phénomène social, et par conséquent le critère de son évaluation anthropologique repose sur le degré de sa contribution à cette affirmation et promotion. Il s'ensuit que nous jugerons la valeur anthropologique et sociale des moyens culturels par leur degré respectif d'universalité relative, c'est-à-dire le degré de leur portée effective ou potentielle sur le phénomène social. Nous avons là une base sûre d'adaptation et de gradation des valeurs culturelles, savoirs sociales, sur une échelle axiologique conçue en conformité avec l'idée générale du progrès social et de la mort par l'inventaire darwinien.

L'adaptation, en biologie,  est un ensemble des caractéristiques (et de leurs modifications) qui permettent à une espèce de se maintenir dans un milieu donné, et, lors de changements de cet environnement, de survivre et de continuer à se reproduire. Ces caractéristiques peuvent être anatomiques, physiologiques ou comportementales. Le phénomène d'adaptation est lié au processus d'évolution par sélection naturelle.

Elle est la possibilité pour une espèce de développer de nouvelles armes pour survivre dans un environnement inhabituel. Chaque espèce possède en effet un certain nombre de caractères dits adaptatifs, qui maintiennent l'adéquation entre l'espèce et son milieu, autorisant sa survie et sa reproduction. Les caractères adaptatifs sont l'utilisation optimale des conditions et des ressources de l'environnement, la défense adéquate contre les prédateurs et la protection contre toute autre condition défavorable à la survie de l'espèce.

Les exemples remarquables d'adaptation ne manquent pas. Les bandes que présentent les coquilles des escargots, certaines de couleur sombre, d'autres de couleur claire, en sont un. Les coquilles à dominante sombre absorbent en effet plus d'énergie solaire que les claires : ces escargots, qui semblent pourtant vivre dans le même milieu que ceux à coquille claire, sont avantagés dans les microclimats frais et ombreux (en revanche, ils risquent la mort par choc thermique dans les endroits chauds et ensoleillés). Les divers types d'escargots se cantonnent donc aux endroits dont les conditions climatiques leur conviennent.

La recherche moderne vise à évaluer le plus précisément possible les filiations entre les espèces, à comprendre les mécanismes des phénomènes adaptatifs et, enfin, à décrypter les différentes étapes de ce long et lent travail évolutif.

Par un travail d'observation sur le terrain, et en laboratoire, l'éthologie et les sciences cognitives visent à déterminer si l'acquisition de tel caractère adaptatif est innée ou acquise. La méthode de l'ingénierie inverse, quant à elle, part du résultat de l'adaptation, à savoir les caractéristiques anatomiques ou physiologiques d'une espèce. Elle explique, par exemple, pourquoi l'aile de tel oiseau présente telle forme. Ainsi l'analyse aérodynamique des ailes des aigles montre que leur conformation est idéale pour la pratique du vol plané (qui fait partie intégrante de la technique de chasse de ces rapaces).

Les méthodes de l'ingénierie inverse ont ouvert la voie à un certain nombre de découvertes. On connaissait, par exemple, l'existence dans le cerveau humain de récepteurs spécifiques de la morphine, une substance calmant la douleur extraite de l'opium. On supposa dès lors qu'il devait exister une substance naturelle, produite par l'organisme, qui se fixerait sur ces récepteurs. C'est ainsi que furent découvertes les endorphines, neurotransmetteurs de structure similaire à la morphine.

La reconstitution environnementale essaie d'évaluer l'importance relative des paramètres du milieu qui ont participé à la création de nouvelles espèces par le biais des processus évolutifs. Il faut considérer les organismes comme des produits des environnements dans lesquels ont vécu leurs ancêtres successifs. Étudier les caractères adaptatifs permet donc de reconstruire les conditions dans lesquelles évoluaient ces ancêtres. Ces recherches mettent en valeur les caractéristiques stables et persistantes des environnements passés, dans leurs aspects à la fois physiques, chimiques, écologiques et sociaux.

Cela dit, toutes les caractéristiques des organismes ne sont pas pour autant des adaptations aux environnements actuels. Il se produit, en effet, des décalages dans le temps : les organismes montrent des adaptations qui ne sont pas conditionnées par leur propre environnement mais par celui des générations précédentes. On observe, par exemple, chez certaines espèces animales, des vestiges d'organes dont la fonction a disparu depuis longtemps. L'appendice vermiforme de l'Homme est l'exemple classique d'organe atrophié hérité des générations antérieures.

Ainsi l'expérience biologique et la philosophie de la mort et de l'éternité nous fait comprendre ce que, pour les finalistes idéalistes, l'expérience médicale avancée par les matérialistes positivistes du malade réanimé après avoir été légalement déclaré incontestablement mort et qui ne se rappelle plus rien lors de sa réanimation - expérience présentée comme une preuve irréfutable et définitive de la non-existence de l'âme - apparait comme relevant d'une conclusion bien empirique pour appuyer un humanisme moral sur lequel une éthique matérialiste peut se fonder pour régir les relations de l'homme et de l'humanité. La « prothèse » biologique étant autoréglée par l'interprétation électronique synchronique de l'électro-encéphalogramme, il est absurde de voir un peuple qui manque de rituel pour les morts. Or, c'est parce que l'homme change des positions après sa mort que les archéologues et biochimistes sont intrigués et voient en la nature l'élément important qui, posant sa résistance à l'homme, le permet cependant de découvrir sa vraie nature.

Cet état de chose est intriguant et laisse beaucoup de consciences troublées à la pensée de savoir que les Tutsi, bien qu'au milieu des Hutu, ne savent pas où va l'âme et se demande ce que devient l'âme chez un « mort-vivant » ou chez un sujet devenu profondément psychopathique, incapable de réflexion, ou pratiquement inconscient. C'est avec cette idée que l'on peut comprendre la manière de dominer que les Tutsi on eu sur les Hutu. L'existence de l'âme implique l'espérance. Or le problème de l'âme est presque évacué, l'espérance l'est de même. L'homme devient une matière si pas inférieure à la vache, du moins il en est le serf.

C'est parce qu'il y a éloignement de tels présupposés aux considérations métaphysiques, nous sommes en difficulté de trancher le problème. Mais l'influence considérable des facteurs métaphysiques et de toutes les préoccupations privées qui les accompagnent dans le conditionnement de l'équilibre psychique de la personnalité individuelle, comme de la mentalité collective, peuvent être prioritaires sur toutes les autres fonctions psychosomatiques. Ne s'agit-il pas d'intégration, une intégration au sens mathématique de la théorie des ensembles ?

Section 4. Intégration et identification de l'élément culturel du mythe Hima-Tutsi

§1. Fin ou début d'une époque : le problème métaphysique et la relativité d'Einstein et d'Augustin

Dans toutes les sociétés bantoues, le terme personne doit garder le sens qui lui confère ses origines dramatiques. On comprend alors pourquoi à toutes les étapes de sa vie l'individu est pris en charge et magnifié par son groupe, qui progressivement étoffe le personnage. C'est le sens de ces cérémonies d'initiation (bwame, mukanda, etc.), d'investiture, qui ponctuent ces moments essentiels de la vie que sont la naissance, la puberté et la mort, accidents dans la vie du groupe que la société doit harmoniser dans l'intérêt de chacun.

Ainsi donc, au sein de sa communauté et grâce à celle-ci, l'individu se construit et vit pleinement une existence limitée, certes, aux contours de son groupe, mais riche cependant de toutes les valeurs traditionnelles de celui-ci. L'individu devient pour ainsi dire un miracle et un mystère.

Dans sa correspondance avec Solovine, Einstein dénonce « le point faible des positivistes et athées professionnels qui se sentent heureux parce qu'ils ont la conscience non seulement d'avoir, avec un plein succès, privé le monde des dieux, mais aussi de l'avoir dépouillé des miracles »(643(*)). Lui-même avait pris soin de définir plus haut ce qu'était, à ses yeux, le miracle. « vous trouverez curieux, dit-il à son ami, grand mathématicien, que je considère la compréhensibilité du monde (dans la mesure où nous sommes autorisés à parler d'une telle compréhensibilité) comme un miracle ou comme un éternel mystère »(644(*)). Mais il s'en explique aussitôt. Alors que' « a priori, dit-il, on devrait s'attendre à un monde chaotique » où la pensée n'ait pas de prise, il se trouve que ce monde est saisissable par « notre intelligence ordonnatrice ». Le cas de la théorie de Newton en est un signe indiscutable. « Même si les axiomes de la théorie de la gravitation universelle, poursuit, Einstein, sont posés par l'homme, le succès d'une telle entreprise suppose un ordre d'un haut degré du monde objectif, qu'on était a priori nullement autorisé à atteindre ». Et Einstein d'ajouter : « C'est cela le miracle, qui se fortifie de plus en plus avec le développement de nos connaissances »(645(*)).

Einstein retrouve ainsi, à son insu, une pensée familière d'Augustin. « Tout ce qui s'accomplie de merveilleux en ce monde, disait l'évêque d'Hippone dans un contexte tout à fait différent puisqu'il s'agissait alors du feu de l'enfer, l'est certainement moins que ce monde dans son ensemble, c'et-à-dire le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment...Peut-être le miracle des natures visibles a-t-il perdu de sa vertu à force d'être vu : il n'en est pas moins, à le considérer sagement, supérieur aux miracles les plus extraordinaires et les plus rares »(646(*)). Pour prouver la grandeur d'un tel sage ordonnateur, Augustin ajoute, cette fois ci à propos de la multiplication des pains : « C'est un plus grand miracle de gouverner l'univers que de rassasier cinq mille hommes avec cinq pains, et cependant, personne ne s'émerveille ». Il en tirait une remarque qui vaut encore de nos jours : « les hommes admirent le rare beaucoup plus que le grand »(647(*)).

L'organisateur de l'univers nous apprend que le curieux, c'est que nous devons nous contenter de connaître l' « organisation » sans qu'il y ait une voie légitime pour aller au-delà. Est-ce si sûr. L'intégration implique la cession des certaines matières à une instance supérieure. Celle-ci est définie par la conscience qu'on a de ne pouvoir jamais échapper au pouvoir de la mort. On peut alors dire négativement qu'elle .n'est pas le fait du hasard ni une simple déclaration. S'il est difficile pour l'homme d'échapper au concept d'un futur illimité dans le temps, il lui est, par contre, beaucoup plus difficile de concevoir un passé qui n'a jamais commencé. Il lui est malaisé de prendre conscience d'un univers qui aurait évolué éternellement (refaisant éventuellement indéfiniment les mêmes cycles) sans aucune intervention « surnaturelle » pour changer le cours de cette effrayante monotonie. Il était plus facile pour l'esprit humain d'attribuer ce mystère incompréhensible d'un « monde qui n'a jamais commencé » à un être immatériel, à un absolu d'essence infinie. La relativité d'Einstein conduit des philosophes modernes à élucider un « espace-temps » courbe, susceptible de se replier sur lui-même, en sorte que cette entité serait à la fois finie et infinie comme la ligne d'un cercle, alors que le néant ne possède aucune dimension euclidienne, ni aucun temps.

De même qu'un événement qui a existé sera toujours un fait qui a existé, que ce qui a été dans le passé ne peut plus « ne pas avoir été », de même, un événement futur, qui n'est qu'une virtualité tant qu'il n'est effectivement pas apparu, n'en reste pas moins une « puissance concrète », un événement dans une dimension hors de laquelle l'action présente en cours ne peut s'échapper. Et comme les philosophies matérialistes ne pouvaient admettre la coprésence d'un volonté indépendante, c'est de l'intégration de l'élément identitaire dont il sera question.

Si l'intégration des Tutsi est en réalité l'intégration de la vache, cette intégration est saisie ici par les chercheurs et universitaires spécialistes en sciences sociales dans son échec comme un résultat de l'histoire. Comment alors donner pour naturel l'anti-nature que représente ainsi le congé arbitraire donné par les belligérants à la guerre ? En revanche, si une telle aberration est l'oeuvre de la liberté au sein de la culture, elle peut être à son tour révoquée.

Ayant perdu conscience de son rapport au Hutu ou l'ayant refusé, le Tutsi n'a pas pu détruire en lui la capacité linguistique qu'il en a, capacité dont témoignent les anthropologues, les ethnologues, les ethnographes, les historiens, les archéologues, les missionnaires, etc., avec la tradition tout entière ; le Tutsi en a seulement perverti ou déplacé l'objet. Pas plus qu'on ne saurait nier l'existence du désir refoulé qui travaille en nos rêves, comme l'a montré Freud, on ne peut supprimer l'existence de celui en qui s'origine la guerre à l'Est de la RD Congo où les populations sont devenues pauperissimes.

L'émergence de la pauvreté et le développement de l'individualisme(648(*)) dans la société contemporaine conduisent à s'interroger sur la nature du lien social qui unit les citoyens. Les instances traditionnelles d'intégration que sont la famille ou l'école, sont-elles dépassées ? Comment se met en place le sentiment d'appartenance ? Le lien social est-il menacé ? L'intégration permet au lien social de se renforcer. Elle désigne le processus qui lie l'individu à des groupes sociaux et à la société, qui lui permet de se socialiser, de s'intégrer à la société et d'en tirer les éléments de son identité. L'intégration est ce qui donne une existence au groupe, au-delà de la simple juxtaposition d'individus isolés.

L'intégration passe par la socialisation : par ce mécanisme, les individus intériorisent les rapports sociaux, assimilent les valeurs, les normes et les croyances de la société. Cet apprentissage se déroule tout au long de la vie par l'intermédiaire de différents agents de socialisation (la famille, l'école, les groupes d'âge ou les relations professionnelles). Par exemple, le rôle de l'école excède largement la transmission de connaissances et l'apprentissage du savoir : l'enfant, puis l'adolescent, apprend des règles de conduite dans un groupe social élargi et prend conscience de la réalité complexe d'une collectivité. On distingue les agents primaires de socialisation (famille, école) des agents secondaires (entreprise, syndicat, association).

La distinction classique en sociologie entre communauté et société consiste à opposer deux formes de lien social. Elle a été établie à partir du constat des transformations économiques et sociales de la fin du XIXe siècle qui ont abouti aux sociétés industrielles. La communauté désigne les sociétés anciennes ou traditionnelles. Elle est le résultat d'un agencement naturel des rapports sociaux. Les regroupements sont basés sur les liens de sang (la famille), la proximité (le voisinage) et l'appartenance religieuse. Les relations sociales sont définies par leur caractère affectif et spirituel, appuyées sur la grande proximité spatiale et sociale des individus.

L'intérêt collectif prime sur l'intérêt individuel. Le rôle et le statut sont prescrits dès la naissance. Le sentiment d'appartenance dépasse le sentiment de différence. A contrario, la société est une organisation sociale réfléchie fondée sur des principes abstraits et a priori universels, que ce soit l'adhésion à un ensemble de valeurs formant un projet politique ou un calcul rationnel visant à satisfaire les intérêts particuliers. Les relations de type sociétaire induisent souvent des comportements individualistes et utilitaires, tempérés toutefois par le civisme (et le respect des lois égales pour tous) qui se distingue radicalement du sentiment d'appartenance et de l'empathie communautaire.

Le sociologue Émile Durkheim a approfondi cette différence en distinguant les sociétés à solidarité mécanique des sociétés à solidarité organique. La solidarité mécanique est une forme de lien social dans laquelle l'intégration des individus repose sur leur similitude, alors que la solidarité organique est une forme de lien social dans laquelle l'intégration des individus et la cohésion sociale reposent sur la complémentarité entre individus. Alors que les individus sont de plus en plus différents et s'émancipent de plus en plus, la division du travail permet de les rendre complémentaires, interdépendants, tous indispensables au fonctionnement de la société, ce qui consolide la cohésion sociale.

L'affaiblissement des instances traditionnelles d'intégration a des conséquences néfastes sur la cohésion sociale. Ainsi, depuis quelques décennies, les fondements du lien social sont mis à mal, laissant apparaître de multiples phénomènes d'exclusion sociale (mise à l'écart, marginalisation des individus qui ne sont plus reconnus dans un groupe donné). Le sociologue français Robert Castel parle de « désaffiliation » pour désigner la double rupture d'intégration dont un individu peut être victime : celle relative à la perte d'emploi et celle relative à l'appauvrissement de la sociabilité socio-familiale.

De son côté, le sociologue Serge Paugam parle de disqualification sociale pour rendre compte du processus d'entrée dans une situation de pauvreté. Celui-ci comporte trois phases : la première est une phase de fragilisation, la deuxième correspond à une dépendance vis-à-vis des travailleurs sociaux, la troisième à la rupture des liens sociaux. L'exclusion sociale apparaît donc comme un processus ayant plusieurs causes, qui cumulent leurs effets.

Le délitement du lien social se manifeste par l'émergence de divers dysfonctionnements. Outre l'accroissement de la pauvreté, certains phénomènes de délinquance (crimes, vols, violences urbaines) sont en constante augmentation depuis les années 1960, le taux de suicide des jeunes a doublé depuis 1975, le nombre de toxicomanes est en croissance régulière. Ainsi, de manière globale, les signes d'anomie (absence de « freins moraux », non respect des règles sociales) semblent progresser. C'est là qu'intervient le consensus et la dérivation ; il y a aussi l'ordre exponentiel qui caractérise la fonctionnalité de ces intégrations.

Du consensus, on arrive à l'intégration. Le consensus étant, en sociologie, une notion désignant l'accord explicite ou tacite établi par les membres d'un groupe ou d'une société relativement à certaines normes ou institutions, et qui offre à ces ensembles sociaux la cohésion qui leur est nécessaire, l'intégration devient alors la valeur inhérente.

La notion de consensus occupe une place importante chez les fondateurs de la sociologie, qui ont insisté sur la nature de la société comme une entité supérieure à la simple addition des parties qui la composent. Ainsi, pour Auguste Comte, le consensus est une condition indispensable à la cohésion sociale. Chez Émile Durkheim, il s'exprime à travers la conscience collective, résultat de l'agrégation des consciences individuelles.

Le consensus n'est pas tant le résultat de l'adhésion totale et entière des acteurs à des valeurs communes que le produit d'un compromis autour d'une solution moyenne (« consensus de compromis »). Dans le cas plus rare où les acteurs s'accordent non pas sur un point moyen mais sur une des positions extrêmes du débat, on parle de « consensus de polarisation ». Albert Hirschman rappelle par ailleurs que le consensus n'exclut pas le désaccord : il peut être renforcé voire établi par le départ (volontaire ou imposé) ou par la prise de parole des membres dissidents.

Le consensus présente tendanciellement un certain nombre de dangers : d'une part, une possible uniformisation de la pensée, et son corollaire, un affaiblissement de l'esprit critique ; d'autre part, la propension à tenir pour vraies des propositions qui ont pour principal mérite de limiter les dissensions. C'est dans ce contexte que la pensée mathématique nous a semblée utile pour des raisons de conservation, comme nous l'avons dit à propos du fonctionnalisme.

Comme le problème d'appartenance est un problème d'intégration, il est aussi important d'analyser l'intégration dans son domaine, mathématique voulons-nous dire, afin que le puzzle de la politique ambiante ne gangrène l'essentiel.

§2. Règles d'intégration et la recherche d'une minorité souffrante face à la théologie de Durkheim

Un groupement est humain quand il est à la recherche d'une délimitation de son idéal commun, et de son « antagonisme de précision» : l'anti-idéal, a besoin de trouver une - minorité souffrante - pour matérialiser la conscience dans un état affectif stimulateur.

Il existe deux sortes de minorités souffrantes. Les anciens Hébreux se débarrassaient de tous leurs péchés en les transmettant symboliquement à un bouc qui était ensuite chassé dans le désert. Le terme de « bouc émissaire » désigne le substitut innocent du vrai responsable de nos ennuis ou de nos colères. Ainsi tout au long des siècles, d'innombrables collectivités humaines ont été choisies pour servir de bouc émissaire aux soucis des autres, communautés inférieures ou privilégiées. On regrette aujourd'hui que le Tutsi - vainqueur - ne soit plus victime écrasée, crucifiée. Mais on peut dire que les Euro-Américains en complot avec les Tutsi ont transformé les pays des Grands Lacs africains en un véritable troupeau de boucs. Si paradoxale soit la vérité énoncée en raison du caractère sacré du troupeau chez les Hima-Tutsi dont la xénophobie instinctive offre une prise facile à ce besoin « d'agressivité défensive», préventive la présent-on.

Nous ne pensons pas comme Claude Lévi-Strauss qui fait appel à la notion d'ethnocentrisme, que nous avons tous, instinctivement, un préjugé envers les gens qui sont différents de nous, selon une théorie qui a été également appelée celle de « l'horreur des différences ».

Notre besoin de comprendre et d'appartenir clame l'anomalie de n'avoir plus de sens, c'est-à-dire, en ce cas, de ne plus savoir rencontrer au plus profond de nous l'autre qui fonde ce désir.

Pour Durkheim, Dieu n'est qu'une auto vision de la société dans le cadre d'une « conscience collective ». « Il n'est pas douteux qu'une société a tout ce qu'il faut pour éveiller dans les esprits par la seule action qu'elle exerce sur ceux la sensation du divin car elle est à ses membres ce qu'un Dieu est à ses fidèles ». G. Gurvitch commente ainsi la pensée de Durkheim : « Dieu est considéré, d'une part, comme un produit ou une projection de la conscience collective comme sa sublimation, sinon comme son imagination, mais, d'autre part, la conscience collective, déjà placée à la hauteur du Logos et du Bien suprême, est élevé plus haut encore, elle remplace Dieu en se confondant avec lui. La conscience collective se voit attribuer une suprématie absolue, un tel ascendant, une telle richesse, qu'elle se substitue affectivement à Dieu, qu'elle remplit ses fonctions en incarnant la totalité des qualités positives du monde et leur harmonie en servant de fondement au sacré et en unifiant tous les aspects de la spiritualité »(649(*)).

Pour Durkheim, il faut choisir entre Dieu et la société, car il est impossible, dans un système monothéiste, de servir deux dieux à la fois. Pour échapper au dilemme de la « fonction divinisante » de l'individu par rapport à la discipline d'une conscience collective, Dieu a parfois été transposé dans les termes ambigus de culte de « l'Etre suprême » de la Révolution française, le « Grand Etre de l'humanité », d'Auguste Comte, « l'Esprit absolu » ou « l'Esprit objectif » de Hegel, la « Grande conscience universelle » des commentateurs modernes, voire le « Point Oméga » de Teilhard de Chardin.

Pour Mutuza il n'y a pas de choix entre deux valeurs connaturelles, consubstantielles. Il y a primitivité de sens que d'affect. C'est avec le calcul des primitives, fonction de la variable(650(*)) réelle, dont la dérivée est une fonction donnée, appelé intégration(651(*)), sensiblement gouverné par les mêmes règles que celles régissant la dérivation(652(*)) que la théorie de l'appartenance de Mutuza se greffe. Il est d'ailleurs à noter que Mutuza est indifférent, pour ne pas dire ignorant de ces applications mathématiques savantes. Par exemple, il prend la primitive(653(*)) d'une somme ou d'une différence de fonctions qui est la somme ou la différence de leurs primitives et la conduit indubitablement à une intégration. Toutefois, l'intégration dont il s'agit chez lui s'avère généralement plus complexe que la dérivation. On dispose, pour certains cas, d'une règle nommée intégration par parties :

Si et g sont deux fonctions dérivables sur un intervalle I, et si les fonctions dérivées f' et g' sont continues sur I, alors on peut écrire, pour tous réels a et b de I :

 

Calcul d'une aire

L'une des applications classiques de l'intégration(654(*)) est le calcul d'aires. Soit A l'aire de la région délimitée par la représentation graphique de la fonction f, l'axe des x, la droite x = a et la droite x = b. Pour simplifier, supposons que f(x) = 0 entre a et b. Pour tout x = a, soit L(x) l'aire de la région comprise entre a et x. Pour déterminer la valeur de A, il suffit donc de calculer L(x) et de l'appliquer à x = b. Si h est une petite variation de x, le domaine délimité par la représentation graphique de f et l'axe des abscisses compris entre x et x + h s'apparente approximativement à un rectangle de hauteur f(x) et de largeur h. Par conséquent, l'aire de ce domaine, par ailleurs égale à L(x + h) - L(x), est sensiblement égale à f(x).h. Lorsque h ? 0, ces approximations deviennent plus fondées donc k / h ? f(x). On en déduit que L(x) = f(x) : L est une primitive de f. Donc, si nous connaissons une primitive F de f,L = F + c,c est une constante. Mais comme L(a) = 0, c = -F(a). Par conséquent, A = L(b) = F(b) - F(a)655(*).

Il nous faut une exégèse pour ce genre de recherche. Mais comment comprendre que l'exégèse qui cherche à fixer le sens d'un texte du point de vue de son auteur et en fonction du temps et du milieu où il fut composé, secourt l'herméneutique ?

Le schéma d'Hermès nous a déjà mis à l'abri du danger du conduit. L'herméneutique entend nous introduire au sens qu'il [le texte] peut encore pour nous. C'est sur cette discipline que se fonde notre recours aux mathématiques. Pareille discipline ne date pas d'hier ; elle a même probablement précédé l'exégèse, dans la mesure où des textes, par ailleurs bien connus ou dûment travaillés, « Homère » durant l'Antiquité, « Tempels » par exemple durant la querelle existentiale de la philosophie africaine vers les années 1945, suscitaient cependant des problèmes de signification, comme le furent de leurs jours, dans leur patrie respective, Ronsard (+1585), Goethe ou Shakespeare. Ainsi comprise, l'herméneutique est donc dans ce sens relative à la diversité des générations qui lisent un même texte, elle est également inséparable des attentes de sens dont parle Gadamer.

Ces attentes de sens deviennent aussi bien des refus, si les textes étudiés se voient d'avance discrédités par celui qui les lit et qui les interprète. Telle est la situation où se trouve bien souvent l'étude de relation Hutu- Hima-Tutsi et dont Mutuza a publié son La Problématique du Mythe Hima-Tutsi aux Editions Noraf, de peu d'importance, peut-on croire. L'étude de tels oeuvres semble suspecte aux yeux des extéristes.

Il y a des exigences pour une interprétation de l'intégration. La première et peut-être la plus importante de ces exigences est celle d'un entendre qui se doit être imperturbable pour parler ici comme Gadamer(656(*)). Un tel entendre exige évidemment un travail, adapté à chacun, et qui suppose qu'on accepte d'être négatif envers soi-même. En effet quelconque cherche à comprendre un texte doit aussi écarter quelque chose - à savoir tout ce qui, sur la base des préjugés du lecteur, se propose comme attente de sens - dès lors que le sens du texte lui-même le refuse.

C'est alors que le calcul d'aires constitue l'une des applications classiques de l'intégration. Soit donc une fonction continue et positive sur un intervalle [a ; b]. Par conséquent, f(x) = 0 pour tout x compris entre a et b. Soit C la représentation graphique de la fonction f, et A l'aire du domaine délimité par C, l'axe des x, et les droites d

 

L'Equation x = a et x = b. Alors on a : où F est une primitive de f. Ce résultat permet de comprendre pourquoi le symbole ? (correspondant à la lettre S utilisée au XVIIe siècle) évoque une somme d'aires égales à f(x)dx, correspondant à une infinité de rectangles de hauteur f(x) et de largeur infinitésimale dx.

Le calcul infinitésimal est issu de la géométrie grecque de l'Antiquité. Au Ve siècle av. J.-C., Démocrite calcule ainsi les volumes des pyramides et des cônes en considérant ces solides composés d'un nombre infini de coupes transversales d'épaisseur infinitésimale (infiniment petite). De même, Eudoxe de Cnide et Archimède emploient la méthode d'exhaustion pour déterminer l'aire d'un disque, en l'approchant par des polygones inscrits et circonscrits(657(*)). Toutefois, les Grecs ne font qu'effleurer la théorie du calcul infinitésimal, freinés par les paradoxes de Zénon d'Élée et les problèmes que posent les nombres irrationnels.

Ces recherches ne sont reprises qu'au début du XVIIe siècle, tout d'abord par le jésuite et mathématicien italien Cavalieri. Ce dernier étend l'usage des quantités infinitésimales en élaborant sa théorie des indivisibles, qui considère une surface comme constituée d'un nombre infini de lignes parallèles à une direction, appelées indivisibles de la surface. Mesurer l'aire de cette surface consiste donc à effectuer la somme de ces indivisibles. En France, Fermat puis Descartes ont recours à la géométrie analytique pour déterminer des aires et des tangentes à une courbe. Fermat invente notamment une méthode pour déterminer les maxima et minima de certaines fonctions : sans le savoir, il manipule ainsi le concept de limite qui ne sera défini qu'au XIXe siècle. De son côté, le mathématicien et théologien anglais Barrow établit le lien entre le problème des tangentes et le problème inverse du calcul des aires, montrant que ces deux procédés sont intimement liés.

Les fonctions dérivables sont continues, la réciproque se révèle fausse. Au XXe siècle, les progrès de l'analyse légitiment complètement les quantités infinitésimales.

Supposons que deux inconnues x et y soient liées par l'équation y = f(x),f est une fonction continue qui associe la valeur y à la valeur x. Par exemple, x peut symboliser un temps et y la distance parcourue par un corps en mouvement à l'instant x. Considérons alors le point (x0 ; y0) appartenant à la représentation graphique C de la fonction f. Cette représentation C correspond donc à une courbe dans le plan xOy.

Si l'on prend en compte une variation infinitésimale h de x0 (h étant un réel positif ou négatif proche de 0), x passe donc de la valeur x0 à la valeur x0 + h, provoquant un changement k de y, qui passe de la valeur y0 = f(x0) à la valeur y0 + k = f(x0 + h). Le quotient k / h est appelé le taux moyen de variation de y quand x augmente ou diminue de h, avec k = f(x0 + h) - f(x0). Il correspond à la pente de la droite (AB), où A(x0 ; y0) et B(x0 + h ; y0 + k) sont deux points de la courbe C.

Nombre dérivé

Lorsque h tend vers 0, k / h tend vers le taux instantané de variation de y en x0. D'un point de vue géométrique, le point B se rapproche alors du point A le long de la courbe y = f(x). La droite (AB) se rapprochant de la tangente (AT) à la courbe C en A, k / h tend par conséquent vers la pente de la tangente en x0. On définit alors la dérivée f'(x0) de la fonction f en x0 comme la limite -- lorsqu'elle existe -- du quotient k / h quand h tend vers 0, ce qui s'écrit :

 

Cette valeur représente à la fois le taux instantané de variation de y en x0 et la pente de la courbe C en A. Si x correspond à un temps et y à la distance parcourue à l'instant x par un corps en mouvement, la dérivée de y par rapport à x représente alors la vitesse instantanée du corps. Une valeur positive, négative ou nulle de f'(x0) indique respectivement que f(x) augmente, décroît ou est stationnaire au voisinage de x0.

Lorsque ce nombre dérivé existe en tout point x0 de l'ensemble de définition D de f, on peut alors définir la fonction dérivée de f, notée f', telle que pour tout x0 appartenant à D,

 

On note également f' = dy / dx, et on dit que la fonction f est dérivable.

Soit une fonction f définie par f(x) = x2 pour tout x réel. La représentation graphique de f est alors une parabole. On peut alors calculer le taux instantané de variation de f en un point x0.

 

Donc k / h = 2x0 + h, qui tend vers 2x0 lorsque h ? 0. Par conséquent f'(x) = 2x. Plus généralement, on montre que toute fonction f définie par f(x) = xm, avec m réel fixé, a pour dérivée la fonction f', définie par f'(x) = mxm-1.

Toutes les fonctions continues ne sont pas dérivables, le rapport k/h n'ayant pas toujours une limite finie quand h ? 0. Par exemple, la fonction valeur absolue qui à x associe |x| n'a pas de dérivée en x0 = 0, car k/h est égal à 1 ou - 1 selon que h > 0 ou h < 0. D'un point de vue géométrique, la courbe représentative de cette fonction présente un angle en A (0 ; 0), et ne possède donc pas de tangente.

v Dérivation et intégration de fonctions usuelles

Ce tableau regroupe une sélection de dérivées et de primitives de fonctions usuelles. Le calcul différentiel permet notamment de déterminer les variations et les extrema locaux éventuels d'une fonction. Le calcul intégral intervient quant à lui dans un grand nombre de problèmes, en particulier les calculs d'aires et de volumes.

Le calcul des dérivées, appelé dérivation, est régi par différentes règles qui en simplifient l'utilisation.

Soient deux fonctions u et v définies et dérivables sur un intervalle I. On peut alors énoncer les résultats suivants :

-- Les fonctions constantes ont des dérivées nulles.

-- La somme u + v est dérivable sur I, et a pour dérivée (u + v)' = u' + v'.

Si ë est un réel, alors ëu est dérivable sur I, et a pour dérivée (ëu)' = ëu'.

Le produit u.v est dérivable sur I, et a pour dérivée (u.v)' = u'.v + u.v'.

Si v est non nul sur I, alors le quotient u / v est dérivable sur I, et a pour dérivée (u / v)' = (u'.v - u.v')/v2.

Si u est dérivable sur l'intervalle v(I) (image de l'intervalle I par v), alors u o v est dérivable sur I, et a pour dérivée (u o v)' = u'(v).v'.

D'après ces règles, on en déduit par exemple que toute fonction polynôme f, telle que f(x) = a0 +a1x + ... + anxn pour tout x réel, est dérivable sur l'ensemble des réels, et a pour dérivée f', telle que f'(x) = a1 + 2a2x + ... + nanxn-1  pour tout x réel.

On montre que la fonction la plus générale vérifiant cette condition est la fonction exponentielle définie par y = f(x) = ceax, avec e = 2,718... et c constante réelle. Puisque e0 = 1, y = c pour x = 0, ce qui signifie que la valeur c est la quantité initiale de matière radioactive. Puisque a < 0, on remarque que, quand x augmente, eax ? 0 donc y ? 0, ce qui confirme que la quantité de matière radioactive diminue progressivement au cours du temps(658(*)). Cette étude illustre un exemple de décroissance exponentielle (voir figure 1 ci-dessous). En revanche, si a est une constante positive, y augmente cette fois rapidement lorsque x croît. On dit alors que la quantité de matière radioactive augmente en fonction du temps suivant une progression exponentielle (voir figure 2 ci-dessous). Cette croissance de matière radioactive se rencontre lors d'explosions nucléaires.

 
 

Calcul Intégral

v Primitive d'une fonction en rapport avec l'organisation sociale

Soit une fonction f définie sur un intervalle I. Si f est continue sur I, alors il existe une infinité de fonctions F qui admettent f pour dérivée. Ces fonctions F sont appelées primitives de f sur I, et notées de manière générale ?f(x)dx. Elles sont définies à une constante près, puisque l'on a vu ci-dessus que les fonctions constantes ont des dérivées nulles. Si F est une primitive quelconque de f, la primitive la plus générale de f est donc notée F + c, avec c constante arbitraire réelle, appelée constante d'intégration. Considérons par exemple la fonction f définie par f(x) = x2 pour tout x réel. Alors la fonction F définie, pour tout x réel, par F(x) = x3/3, constitue une primitive de f.

v Définition d'une intégrale face à la problématique de la cohabitation

 

Considérons une fonction f définie et continue sur un intervalle [a ; b]. Cette fonction admet donc une primitive F sur cet intervalle, définie à une constante près. On appelle alors intégrale de a à b de la fonction f le réel :

On peut remarquer que cette intégrale ne dépend pas de la constante d'intégration c. En effet, si G est une autre primitive de f, telle que G(x) = F(x) + c pour tout réel x, alors G(b) - G(a) = F(b) - F(a).

La variable x introduite dans l'écriture de l'intégrale est totalement arbitraire, et peut être remplacée par la lettre u, t, etc.

§ 3. Corrélation et correspondance entre l'identité et l'appartenance face aux propriétés d'une intégrale et stratégies de cohabitation

De l'Être-Identité au Temps-Appartenance, on ne peut que prendre le chemin de marche d'une échelle vers une montée dont l'escalade est embrumé et embrouillé des concepts tels que Élément, Etant, Individu, Devenir, Pouvoir, Espace, Développement, Langage, Culture, Contrat, Société, Condition, Histoire, Croyance, Tradition, Ethique, Coutume, Norme, Structure, Politique, Etat, Besoin, Economie, Egalité, Liberté, Choix, Démocratie, Intégration... qui constituent une fonction continue. Soit f une fonction continue sur un intervalle I. Pour tous réels a, b et c de I, on a :

 
 

Cette relation est appelée relation de Chasles. Soient f et g deux fonctions continues sur un intervalle I. Pour tous réels a et b de I, et pour tous réels quelconques á et â, on a :

Cette relation traduit la linéarité de l'intégration. Et, c'est grâce à elle que nous avons maintes fois expliqué ce qu'il faut entendre par la raison ambiante. Et nous nous sommes longuement appesanti, dans la présente partie, sur la fonction que les poèmes dynastiques avaient assignée à la royauté, à la vache et aux tambours(659(*)). Ce fut une question des valeurs morales que la poésie dynastique du Ruanda défend. La pentatonique des poèmes et l'appartenance dans l'ordre exponentiel, la durée diatonique des poèmes et l'appartenance politique et juridique de tout genre paraissaient très complexe si on les prenait un à un. Mais l'ensemble en est fort simple.

Le mythe d'appartenance est le seul moyen dont l'action soit mal assuré, qui hésite et tâtonne, qui forme des projets avec espoir de réussir et la crainte d'échouer. C'est le seul aussi qui démontre l'animosité de la force des armes. Le reste de la pensée sonne le glas de l'appartenance forcée. Il y a alors question de l'historicisme chez Mutuza, il y a aussi la question de la concentricité des thèmes des poèmes et continuité de ð dans les poèmes dynastiques. Cela nous a directement conduit à la prédiction et à la critique du Mythe Hima-Tutsi. Pour y arriver il nous fallait passer par l'ingénierie sociale chez Mutuza. Celle-ci a favorisé l'éclosion de la théorie de la communication et de la compréhension du Mythe Hima-Tutsi. Sans jamais nous lasser, nous avons dû nous déployer pour structurer les discours de Mutuza aux Tutsi. Ce qui manque jusqu'à ces jours dans les textes philosophiques. Il était question des Tutsi et l'appartenance. Dans ce contexte il était nécessaire de trouver l'élément culturel de l'identité des Hima-Tutsi. La vache qui constitue cet élément culturel de l'identité devrait elle aussi avoir son identité.

Quelle est alors l'identité de la vache comme élément culturel de l'identité des Hima-Tutsi ? C'était très facile de le comprendre. C'est la domination qui en est l'identité. L'aspect essentialiste de la description de la domination et de la soumission imposait un autre problème : celui de l'intégration. De là il fallait des règles d'intégration, le calcul de l'intégral s'imposait parce qu'il était nécessaire de trouver la primitive d'une fonction, trouver la définition de l'intégral et ouvrir aux propriétés d'une intégrale afin de pouvoir reconnaître la raison ambiante. Nous n'avons qu'à nous résumer pour définir cette raison ambiante et sa critique en termes précis. C'est une réaction défensive des deux sociétés contre ce qu'elles pourraient y avoir de déprimant pour les individus, et de dissolvant pour la société, dans l'exercice de l'intelligence.

Terminons par ces remarques, pour prévenir des malentendus. Quand nous disons qu'une des fonctions des poèmes, telle qu'elle a été voulue par le poète, est de maintenir les chaînes cycliques de l'octave de la vie sociale, nous n'entendions pas par là qu'il ait solidarité entre cette poésie et la morale tutsie. L'histoire témoigne du contraire. L'avoir a été toujours le propre du Mwami. Roi 1, Dieu 2, Race 3, Archer 4, Vaches 5, Guerre 6, Pluie 7, (Roi 8) forment cette chaîne cyclique. Ces éléments nous ont permis de mener une étude sérieuse dans le cadre de la géométrie philosophique. L'appartenance étant une étude de théories des ensembles, une mathématisation de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi était donc obligatoire.

Mais l'exégèse contemporaine et politicienne (de 1+4, transition de la RD Congo) et du courant congolopessimiste et opportuniste ont donné à Mutuza un vêtement qui le dessert. En réalité, Mutuza n'avait pas à ce point formalisé son épistémologie et, si on la reprend de cette dernière décennie, on lui trouve au moins la possibilité d'une autre direction, d'une autre in-tentio. Une théorie de la connaissance ne pouvait en ce temps là être développée, et l'esquisse implicite qu'en donne Mutuza est évidemment insuffisante par rapport aux outils que depuis lors on a raffinés. Mais si l'on se place du côté de celui-ci, à l'intérieur d'une anthropologie existentielle, ses arguments prennent une autre coloration, qui ne sont ni univoques, ni philanthropiques, ni idéels.

Comme dans la théorie des ensembles, une preuve a priori par les effets exclus, ils se présentent à la manière d'une recherche d'antinomies dans le concept, d'antinomies qui les rendraient impossibles au réel. Ils deviennent alors sinon valables, du moins légitimes. Raisonnement non positif, dogmatique, intuitionniste, qui cherche à exclure seulement l'exclusion, et qui y parvient, les arguments célèbres sont destinés, dans leur consistance concrète de 2004 (date du La Problématique du Mythe Hima-Tutsi) à montrer la force des armes comme étant un orgueil insensé et à détecter la spécificité logique d'une appartenance. L'interprétation ambitieuse des antagonistes politiques sont donc, pour l'historien, une simple erreur sur Mutuza.

Celui-ci ne prétend d'ailleurs pas que tout Hutu soit Congolais ni que tout Tutsi ambitionne devenir Congolais par la force des armes, il refuse seulement l'argument de l'ancienneté résidentielle au Congo- Kinshasa.

Nous trouvons alors plus d'ouverture sur plusieurs significations selon des alternatives formellement vraies. On voit là le comportement d'un nouvel Anselme de Cantorbéry qui, priant déclare : Si on pouvait penser meilleur que Toi, ça serait la créature qui jugerait le Créateur, et ce blasphème est un illogisme. En fait, Mutuza ferme implicitement les colonialismes antérieurs et n'ouvre pas le schéma néo-darwinien des spécialistes chercheurs et intellectuels qui ont siégé au Cap malgré la réputation de leurs concepts de citoyenneté transfrontalière, de la diaspora, de la méritocratie, etc.

Le texte de Mutuza ressemble à la prière de Anselme, il a la structure d'une parole aux Tutsi et non d'une parole sur les Tutsi. Il désigne ces derniers comme ceux qui ne se suffisent pas et c'est le détourner que de le lire comme une proposition séparée.

Si Musey a promu la pensée sauvage qui n'est pas la pensée des sauvages sans être sauvage, c'est fut un débat qui se déroulait à l'intérieur du champ de la science coloniale et auquel il serait an-épistémologique de mêler Mutuza. Musey traite les faits dans l'archéologie du savoir et Mutuza dans l'histoire du savoir. Lorsque Ngoma Binda, en son article (La formation civique et politique comme préalable de la démocratie, Réflexion à partir du cours de `Civisme et Développement' dans l'Enseignement Supérieur et Universitaire du Zaïre) souligne l'impossibilité d'une philosophie du Civisme et Développement dans les textes de Mutuza, cela est inexact car il est bien évident qu'il se meut dans le quid sit et non dans l'an sit.

La Problématique du Mythe Hima-Tutsi est un discours esquissant une philosophie : l'appartenance s'enquiert de l'origine d'un peuple et remonte sans peine à l'Etat Nation, société globale actuelle dont toute société découle par causalité comme par hiérarchie.

On voit chez Mutuza que l'étude de la structure intégratrice de l'identité correspond à la théorie de système de l'appartenance dont le schéma est:

ETRE = IDENTITE

Élément

Etant = Individu

Devenir = Pouvoir

Espace = Développement

Langage = Culture

Contrat = Société

Condition = Histoire

Croyance = Tradition

Ethique = Coutume

Norme = Structure

Politique = Etat

Besoin = Economie

Egalité = Liberté

Choix = Démocratie

Intégration

TEMPS = APPARTENANCE

CONCLUSION GENERALE

Nous arrêtons ici notre thèse. Un des résultats de notre analyse a été de joindre le concept de l'identité (être) à celui de l'appartenance (temps) tel que nous les rencontrons dans la philosophie sociale et politique de Mutuza. Pour y parvenir nous avons eu à distinguer, dans le domaine social, la séparation et la réunion de deux groupes sociaux qui se distinguent par leurs ethnonymes (Hutu -Tutsi) auxquels on les identifie, dont l'appartenance au glossonyme kinyarwanda est problématique et dont la vie sur le toponyme RD Congo crée le flou constitutionnel de la nationalité.

De la recherche philosophique du temps entropologique au rétablissement éthique du temps anthropologique chez Mutuza, on ne passera que par la brisure des murs d'hostilité qui nous séparent des autres et par l'aide de chacun à sortir de l'angoisse provoquée par l'insécurité, l'isolement, la peur et le chaos, pour entrer dans la communion et l'unité.

Mutuza Kabe a constaté de bonne heure que l'éloignement d'ethnoglossonyme favorise des préconceptions. Il s'est proposé de créer une solution féconde, qui l'a poussé à devoir réhabiliter l'image dénaturée des institutions bantoues dont l'authentique valeur est la communion qui nait de la confiance, de l'acceptation mutuelle et de la liberté pour chacun d'être pleinement lui-même, dans sa beauté et son unicité, afin d'exercer ses dons et de donner sens à la vie.

Nous appartenons à un groupe lorsque nous marchons ensemble - ne voyant pas nécessairement les mêmes choses, moins encore de la même manière, mais les voyant concurremment et concomitamment - et que nous avons conscience de notre besoin les uns des autres, que nous soyons faibles ou forts, compétents ou non. Si nous cheminons vers la liberté, cette appartenance n'inspirera pas de sentiment de supériorité. Elle ne cherchera pas à exclure le faible, le démuni ou l'étranger qui se reconnaît comme tel, mais les inclura.

Ainsi, ce que nous disons à propos de l'identité et de l'appartenance, du temps entropologique et des enjeux éthiques chez Mutuza prolonge les réflexions de sa philosophie sociale et politique en fonction de l'optique de notre contexte qui exige une réévaluation des concepts, fruit d'une rupture épistémologique que créent les rencontres de différentes visions du monde. Le droit de nommer les choses explique les pouvoir existentiel de deux civilisations en exemple chez Mutuza : la civilisation pastorale et la civilisation agricole.

L'erreur serait seulement qu'on ait cru que, pour autant, nous ne sommes qu'un de ces philosophes égaré dans l'anthropologie, imprégné d'analyse mathématique, dominé par la passion de la musique, attaché aux exigences de la biologie, obnubilé par la méditation théologique et emballé par les considérations métaphysiques.

Si l'on contestait une seule de nos assertions relativement aux problèmes des éléments culturels à la correspondance et corrélation dans les civilisations pastorale et agricole en face de la philosophie de Mutuza, nous sommes en mesure de la prouver à l'aide des documents officiels émanant de la poésie dynastique du Ruanda et du Droit Coutumier relatif à l'élevage, des interventions radiodiffusées de certains Tutsi, ou des rapports des Nations Unies généralement approuvés par le Ruanda et que Mutuza analyse avec grand soin.

Le plan que nous avons adopté pour exposer la philosophie de Mutuza nous a permis de suivre, pour la première partie intitulée vision philosophique de Mutuza, les différents concepts philosophiques familiers à notre auteur, en accompagnant chaque étape de sa vie d'un commentaire aussi bref que possible. Ce qui nous a permis de découvrir le temps entropologique. Après, nous avons tenté de rétablir le temps anthropologique et les enjeux éthiques dans La problématique du Mythe Hima-Tutsi en y joignant les implications d'ordres divers, musicologiques, mathématiques, physiques...

Nous n'avons certes pas la prétention d'avoir fait un travail irréprochable ; encore moins nous flattons-nous d'avoir présenté cette philosophie de Mutuza dans sa majesté. Nous sommes dans l'intention de compléter notre recherche et de la corriger, conformément aux observations que voudront bien nous faire nos Pères et Frères dans ce savoir royal (qui est) de tous et universelle (êáôà ðàíôùí, ôü êáèüëïõ), qu'est la philosophie.

Nous avons travaillé avec autant de soin et d'exactitude qu'il nous a été possible ; mais qui peut se flatter d'être infaillible et embrasser, d'une manière complète et dans leur ensemble, toutes les questions de la philosophie sociale et politique de Mutuza ?

Une analyse du temps entropologique et des considérations des enjeux éthiques nous a permis de découvrir que la vraie philosophie de Mutuza est intersectionniste et intersessionniste, suivant la pensée géométrique. Sa philosophie sociale emprunte chez Descartes la géométrie et chez Locke la théorie politique.

Elle s'explique par l'usage qu'il fait de la position d'un élément culturel de la société qui peut être déterminé ou repéré par rapport à deux institutions orthogonales orientées, appelées groupes sociaux, au moyen des distances qui considèrent la nature des grandeurs selon leur nature et non selon leur valeur.

Sur la figure suivante, le point A est situé à 1 unité de l'axe vertical, ou axe des y, et à 4 unités de l'axe horizontal, ou axe des x. Les coordonnées du point A sont donc 1 et 4, ce que l'on note comme suit : A (1 ; 4). Cela signifie que, dans le repère (xOy), O étant le point d'intersection des deux axes, ou origine du repère, le point A a 1 comme abscisse (x) et 4 comme ordonnée (y).

Les valeurs positives de x correspondent aux points situés à droite de l'axe des y, et les valeurs négatives correspondent aux points placés à gauche. De même, les valeurs positives de y correspondent aux points situés au-dessus de l'axe des x et les valeurs négatives de y correspondent aux points placés en dessous. Ainsi, le point B de la figure 1 a pour coordonnées : x = 5, y = 0. De la même façon, on peut déterminer la position de points dans l'espace par rapport à trois droites concourantes perpendiculaires et orientées (les axes), les deux premiers axes étant ceux du plan et le troisième axe, vertical, étant généralement appelé axe des z.

Cette intersection ouvre la perspective entre l'identité et appartenance. La question de l'intégration et de cohabitation, les valeurs matérielles et morales, les analogies et homologies avec les principes mathématiques ont fait que nous soyons obligé à quelques répétitions.

Mais nous avons préféré revenir plusieurs fois sur les mêmes sujets que d'avoir recours à des renvois toujours désagréables pour les lecteurs. Par exemple, en commentant l'élément culturel de l'identité et l'identité de cet élément culturel, en exposant les civilisations pastorale et agricole, nous avons dû parler, non seulement de deux visions du monde, mais des rapports qu'elles ont entre elles pour qu'enfin le temps entropologique joue un rôle déterminant pour la connaissance et la reconnaissance de l'identité et de l'appartenance des peuples sous examen chez Mutuza; nous sommes revenu sur ces rapports, plusieurs fois, lorsque le sujet le demandait.

On remarque que nous ne parlons pas des conflits entre d'autres communautés au monde. C'est parce que la méthode comparative est dangereuse et conduit assez facilement aux conclusions hâtives et mène aux jugements des valeurs non philosophiques. Mais notre jugement des valeurs consistait à nous porter sur les normes reçues et sur les institutions en vigueur au nom des valeurs que nous avions adoptées et que nous rencontrons dans le courant de la réévaluation des concepts. C'est pourquoi nous avions cherché l'axe véritable de cette philosophie dans les institutions fondamentales des Hima-Tutsi, autrement dit dans leurs racines métaphysiques. Nous avons aussi dû souligner que le mutuzisme, tellement dominé par le refus de définitions en vue du rétablissement de la notion d'équilibre social, n'arrive pas à intégrer la genèse et l'histoire.

Nous ne disons pas que le mutuzisme nie la genèse et l'histoire, mais nous soulignons que leurs réalisations concrètes n'en tiennent pas, ou très peu, compte. C'est parce qu'aussi les mêmes conflits et problèmes qui se posent ici et là ne partent pas de mêmes contextes. Assurément, ces conflits ont une base toute différente de l'analyse des éminents auteurs dont nous avons parlé tout au long de cette thèse. La difficulté du mutuzisme apparaissait alors très clairement : le refus de définitions écroule l'édifice épistémologique bâti à grand-peine du fait que le développement radical semble nous donner comme outil de base la théorie de communication. Nous avons déduit que le meilleur outil est la théorie générale des relations à n termes, dont on a trouvé un modèle dans la théorie des ensembles. C'est pourquoi, nous nous sommes placé au juste milieu du courant de la réévaluation des concepts - dans la via antiqua de la haute scolastique - , plus prête à renoncer à une vision d'ensemble du monde, au cosmos harmonieux - héritage de type platonicien conservé par les antiquités ; puisque, pour cette voie, la vérité est une et cohérente, l'erreur doit être multiple et de ce fait, pleine de contradictions, pour bien expliquer la philosophie de Mutuza telle qu'exposée dans La problématique du Mythe Hima-Tutsi.

On sait que les Tutsi se font dire être d'une race différente de Hutu, tandis qu'ils manquent non seulement la langue, mais aussi et surtout de l'espace. C'est pourquoi Mutuza les appelle Üèåôïé. Quant à nous, nous n'entendons par Tutsi que l'ensemble des populations pastorales sédentarisées qui se déclare minoritaire et au Ruanda et en R.D. Congo ; qui n'ont pas des terres en propre, mais seulement vivent parmi les Bantu et partagent avec eux le glossonyme kinyarwanda qui n'est autre que le kihutu, mais qui, malheureusement, revendique leur identité (ethnonyme Tutsi) par les liens biologiques phénotypiquement extrabantumorphes.

Notre but étant d'aplanir, autant que possible, dans cette thèse, les obstacles qui s'opposent à la stabilité de la situation sociopolitique des pays des Grands Lacs, nous avons adopté le sens le plus philosophique que présente la problématique du Mythe Hima-Tutsi ; nous avons aussi profité de bien distinguer entre l'idéologie de l'Education à la citoyenneté (citoyenneté transfrontalière) et la philosophie du Civisme et Développement.

Nous n'avons pas voulu, dans ce travail, faire étalage d'érudition. Ce n'est pas une dissertation savante, dans l'acception vulgaire de ce mot, que nous avons entrepris, mais c'est une recherche que nous avons voulue claire, exacte, lucide, qui puisse être lue par des gens du sens commun aussi bien que par d'autres scientifiques ; qui puisse être comprise par les personnes les moins instruites.

Avons-nous réussi ? Il ne nous appartient pas de le dire. Si notre travail n'acquiert pas l'assentiment de tous, nous espérons qu'on l'acceptera avec autant plus de bienveillance que nous n'avons eu pour but que d'être utile, et que nous sommes dans la disposition de profiter de toutes les observations justes qu'on voudra bien nous faire pour améliorer nos recherches.

Nous tenons à déclarer que nous ne suspectons pas les intentions des Tutsi. C'est l'analyse du temps entropologique dans les écrits de Mutuza qui nous a obligé de louvoyer par là. Nous regardons comme des erreurs toutes les idéologies qui ne sont pas en complète conformité avec la philosophie sociale et politique de Mutuza, surtout dans son humanisme. Mais nous ne voulons pas croire que tous ceux qui se trompent sont des entropoethnophages de parti pris. D'abord, pour qu'une erreur devienne une entropoéthnie, il faut que la société, gardienne du Civisme et Développement, ait déclaré cette erreur contraire à son Civisme et Développement. Pour être entropoethnophage, il faut soutenir, malgré la vie de la société globale, une opinion opposée à son temps anthropologique. Un homme ou un groupe d'hommes qui se trompe peut être de bonne foi et excusable; l'entropoethnophage est un orgueilleux et un révolté qui mérite jugement et condamnation.

Nous voulons croire que pour les pays de Grands Lacs, il y a plus d'hommes qui se trompent de bonne foi que des entropoethnophages obstinés. C'est pourquoi nous leur offrons notre travail avec tous les sentiments d'un amour vraiment fraternel, si l'amour est séparation et réunion. Nous les prions de le lire avec autant de bonne foi qu'il a été composé ; et que nous voulons espérer que si la voix de la vérité se fait entendre, ils n'endurciront pas leur coeur et ne repousseront pas la lumière qui viendra....éclore leur appartenance à la culture de leur devenir et réinventer leur identité.

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-« Rapport 379 par Stamene, Commandant Supérieur, sur la reconnaissance en territoire contesté du 28 juin au 13 juillet 1906 », in VANDEWOUDE E.J., Documents relatifs à l'ancien District du Kivu (1900-1922). Archives du Congo belge, n° 3, Section Documentation, Document n° 15, Léopoldville, 1959, p. 151. O. Stamane fut Commandant Supérieur du Territoire de la Ruzizi-Kivu (devenu District du Kivu le 13 novembre 1913) de 1905 à 1906.

TABLE DES MATIERES

Dédicace.....................................................................................................I

Remerciement...............................................................................................II

Epigraphe..................................................................................................IV

0. INTRODUCTION GENERALE 1

0.1. Etat de la question : Identité et Appartenance: génétique de la recherche philosophique du temps entropologique 1

0. 2. Objectifs : temps entropologique et éthique anthropologique face à l'espace géométrique computationnel 10

0. 3. Problématique : séparation et réunion computiques 14

0. 4. Hypothèse : réunion anthropologique computative 20

0. 5. Méthodes : réévaluation entropologique computationnelle 21

0. 6. Limites, difficultés et plan 26

Première partie : Vision philosophique de Mutuza 28

Chapitre premier : LA QUESTION DU LANGAGE 29

Introduction 29

Section 1. Critique de l'essentialisme 30

§1. Les questions des mots 30

§2. Genèse des mots 32

Section 2. Critique 33

§1. Conflits langagiers 33

§2. Critique d'usage des mots 35

Section 3. Réévaluation des concepts et saisie de l'identité et de l'appartenance 41

§1Catégorie conceptuelle 41

Section 4. Les concepts à problème 44

§1. Etat 44

§2. Pouvoir 45

§3. Progrès 45

§4. Société, esclavage et colonisation 46

§5. Sous-développement 47

Conclusion 50

Chapitre deuxième : ITINERAIRE DE MUTUZA 51

Section 1. Contexte historique 51

§1. L'homme 51

§2. Conscience et science philosophique 56

v Un jour sa vie bascula. 59

v Début du combat 61

§3. Privilège de la culture et son identité 63

v Les concepts anthropologiques 64

v Réévaluation des concepts anthropologiques 67

Section 2. De la politique au politique 69

§1. L'homme d'Etat 69

v Xénologie 77

§ 2. Essence de la pensée de Mutuza 80

§3. Ethique et politique 86

Section 3. Espace philosophiques 91

§1. Milieu philosophique 91

§2. De la démocratie 95

§ 3. De l'appartenance et de l'identité() 100

§ 4.La problématique de l'identité et de l'appartenance dans la perspective d'une minorité 107

Section 4. Philosophie de l'Etat 122

§1. Pouvoir politique 122

§2. Exigences politiques et les crédos mutuzistes 126

§ 3 Tâche philosophique et rationalisme 135

Conclusion 142

Chapitre troisième: HUMANISME DE MUTUZA 144

Introduction 144

Section 1. Lutte politique 146

§1. Rencontre 146

v A la découverte des pays des grands lacs 147

v Education pour tous 147

v La présence étrangère au Congo 148

v Catégorie philanthropique 149

v Réversibilité des faits historiques 150

v Métaphysique de la rencontre 152

v Ontologie de la rencontre 152

§2. Marxisme, socialisme ou isolement politique : question des mots ? 154

v La politique et le langage 157

§3. Ordre et désordre dans la lutte politique 161

Section 2. Affront comme réponse au nominalisme 165

§ 1. Nominalisme méthodologique 165

§2. De la déconstruction du langage philosophique 168

§3. Terre ou géométrie ? 173

§4. Société pluraliste et diapasonnée() 178

v Imitation des nombres par des choses sensibles ou entités culturelles 179

· Présentation graphiste des ensembles() 179

· De l'ensemble de nombres 179

v Entiers naturels 180

v Des entiers relatifs 181

v Nombres décimaux 181

v Nombres rationnels 182

v Nombres réels 182

· Possibilité de sensibilité 182

· La sensibilité arithmétique 183

v Monadisme () 183

· Limites de la Décade 184

· Vers conté 186

· Octave : la puissance dynastique du do ut des 188

· Courbe de la variable des valeurs culturelles 190

v Nombre Ð 191

· D'où vient le nom pi ? 191

· Combien vaut pi ? 191

· Comment obtenir une valeur approchée de pi ? 192

· Ou la formule de Leibniz pour une compréhension métaphysique du phénomène social 193

· A quoi sert le nombre pi dans la géographie humaine? 193

v Nombre d'or et géométrie sociale 194

· Qu'est-ce que le nombre d'or ? 194

v Combien vaut le nombre d'or ? 194

· A quoi sert le nombre d'or dans une étude philosophique ? 195

Quelles sont les propriétés du nombre d'or ? 196

· Où trouver le nombre d'or dans l'interprétation du conflit chez Mutuza ? 196

· Tablette de calcul babylonienne 197

Section 3. Résistance 198

§1. Paradoxe de la communauté et instrumentalisation du langage communautaire 198

§2. La place des faibles et l'idée de succession 201

v Parole du Verbe 205

v Sens de la mort 206

v Questions des mots 208

Conclusion 210

Chapitre quatrième: CONJURATION ET ENTROPOLOGIE TUTSIES 212

Introduction 212

Section 1. Conjuration insurrectionnelle 214

§ 1. Entropologie 214

v Insurrection 216

v Théanthropologie 217

§ 2. Analytique fonctionnelle et chronologique de l'entropologie 219

v Regard mutuziste et ses emprunts chez les anthropologues 219

v Entropie et migration conjurée 221

v Préjugé de la dépendance des Hutu aux Tutsis 222

§ 3. Théocratie et patrimoine 226

Section 2. Mythe 230

§1. Histoire et Ethnologie 230

§2. Sens et interprétation du mythe 233

v Mythe, histoire et raison 233

· Mythique et réalité 233

v Typologie des mythes 234

· Mythes cosmogoniques 234

· Mythes eschatologiques 235

· Mythes de la naissance et de la renaissance 236

· Mythes du héros culturel 236

· Mythes de fondation 236

v Etudes du mythe 236

· Mythe et connaissance 237

· Mythe et société 238

§3. Mythe et psychanalyse dans la pensée analytique 240

v Applicabilité des mythes 241

v Décentrement de la réalité vers le mythe 241

§ 4. Poésie dynastique et Récits épiques dans l'interprétation des fonctions du pouvoir 243

v Parenté clanique 244

v Regroupement social 246

v Pouvoir exponentiel et entropologie 249

v Fonction exponentielle pour l'interaction des éléments d'un système social 252

v La base flouée et propriétés de l'application du réel E dans la connaissance de l'interprétation du pouvoir 253

Section 3. Le concept « indépendance » et l'équivoque mutuziste 255

§1. Indépendance du premier genre ou affirmation de l'autonomie de l'Homme Noir 255

§2. Indépendance du second genre ou réduction culturelle du contenu colonialiste et impérialiste 257

v Lessing 258

v Hegel 259

§3. Indépendance du troisième genre ou abolition désirée de la civilisation 261

Conclusion 265

v Refus de la définition 266

v Nominalisme méthodologique 267

Deuxième partie : Rétablissement du comput éthique du temps anthropologique 269

INTRODUCTION 270

Chapitre cinquième : TECHNIQUES ET STRUCTURES SOCIO-ECONOMIQUES ET LE MYTHE DU KANYARWANDA L'ANCETRE DES BANYARWANDA 274

Introduction 274

Section 1. De la différence chez J. Maquet, Th. Papadopoulos et R.E. Mutuza () Face au Kinyarwanda comme mythe unificateur d'une société atomisée 275

§ 1. Correspondance et corrélation technico-structuro-économiques 275

§2. Caractères dominants des économies et éloignement des identités Hutu-Tutsi-Twa 289

§ 3. Hiérarchie des structures d'appartenance et des valeurs de Gihanga 293

Section 2. Identité familiale et unité d'exploitation 298

§1. Le constructivisme social et appartenance familiale 298

v Tribu et tribalisme 300

v Corporation du pouvoir 301

§ 2. Appartenance, hiérarchie des structures et valeurs de l'identité des Banyarwanda 302

Section 3. Evolution des systèmes 305

§1. Appartenance au lignage et identité sociale des familles grand-lacustres 305

§ 2. Identité des structures socio-économiques et les techniques agraires chez les Hutu 311

§3. Race et économie : structures socio-économiques et appartenance raciale 313

§ 4. Communautés familiales et communautés villageoises 318

Conclusion 323

Chapitre sixième : IDENTITE ET APPARTENANCE SELON LES POEMES DYNASTIQUES DU RUANDA ET LES VALEURS QU'ILS DEFENDENT 325

Introduction 325

Section 1. Pouvoir, glossonyme et ethnonyme du mythe Hima-Tutsi 327

§1. Royaume et appartenance dans les poèmes dynastiques 327

§ 2. Royauté et Kinyarwanda 333

§ 3. La vache et les Watutsi 341

Section 2. Champ de conscience et cloisonnement ethnique, valeurs matérielles et Valeurs morales 344

§1. Champ de conscience et cloisonnement ethnique 344

§2. Valeurs morales et Kanyarwanda 348

§ 3. Lois de l'imitation et l'harmonie des cinq tambours comme valeur de l'identité de Banyarwanda 351

Section 3. Pentatonique des poèmes et la politique de l'appartenance dans l'ordre exponentiel 354

§ 1. Ordre exponentiel des tambours royaux et caractère différentiel dans les poèmes dynastiques 354

§2. Pentatonique des poèmes dynastiques et mécanismes d'interaction du kihutu dénommé kinyarwanda 361

Section 4. Durée diatonique des poèmes et appartenance politique et juridique 369

§1 Communication dans les poèmes dynastiques et le kihutu appelé kinyarwanda 369

§2. Durée diatonique dans les poèmes et identité dans la communication 372

§3. Appartenance politique et juridique comme sentiment de la durée au sein des poèmes 376

Conclusion 384

Chapitre septième: LE MYTHE DE L'APPARTENANCE ET PRISE DE CONSCIENCE 386

Introduction 386

Section 1. Psychologie des minorités 387

§1. Microcosmes et prise de conscience 387

§ 2. Patriotisme des minorités 391

§3. Définition démographique positive des minorités linguistiques et dichotomie de la trimonade (Hutu-Tutsi-Twa) 392

Section 2. Question de l'historicisme comme prise de conscience exceptionnelle de valeurs démographiques chez Mutuza dans les poèmes dynastiques 395

§1. Raison ambiante et milieu ambiant 395

§2. Historicisme chez Mutuza et définition démographique positive des minorités ethniques 399

§3. Concentricité des thèmes et continuité de ð() dans les poèmes dynastiques 409

Section 3. Prédiction et critique du mythe Hima-Tutsi 410

§1. Acquisition de la notion de cohésion d'un groupe du point de vue pragmatiste 410

§2. Michel de Foucault et l'archéologie structuraliste d'appartenance 420

§3. Musey face au Structuralisme comme base d'analyse prédictive de l'identité 422

Section 4. Ingénierie sociale chez Mutuza : théorie de la communication et de la compréhension du mythe Hima-Tutsi 424

§ 1. Relativité du sentiment de minoritaire dans la communication 424

§ 2. Ingénierie sociale et sentiment de minorité et de majorité 430

§ 3. Mécanisme de prise de conscience communicationnel 433

Conclusion 442

Chapitre huitième: LES TUTSI ET L'APPARTENANCE 443

Introduction 443

Section 1. Acquisition de la cohésion d'un groupe 444

§ 1. Existence d'une communauté 444

§2. Relativité du sentiment de minorité et de majorité 445

§3. La psychologie des minorités juvéniles en temps de paix et en temps de guerre et la politique d'expansionnisme 448

Section 2. Elément culturel de l'identité des Hima-Tutsi 451

§1. Vache : vide social ou désemparement des guerres ? 451

§2. Différenciation de groupements et d'activités face aux fonctions du désir et de la foi dans leur priorité sur le réalisme 454

§3. Réflexe réactionnaire et fonction de mortalité collective 457

Section 3. Identité de l'élément culturel chez les Hima-Tutsi 458

§1. Formation spontanée des groupes minoritaires de contrôle 458

§2. Domination et temps anthropologique face à la notion universelle de l'infini 462

· Que signifie dominer dans le cadre où le maître n'est pas le modèle? 467

· La soumission aux Hutu ou la force de l'ouvrier sur son maître 468

§3. Adaptation et temps entropologique face à l'expérience biologique et philosophique de la mort et de l'éternité 469

Section 4. Intégration et identification de l'élément culturel du mythe Hima-Tutsi 473

§1. Fin ou début d'une époque : le problème métaphysique et la relativité d'Einstein et d'Augustin 473

§2. Règles d'intégration et la recherche d'une minorité souffrante face à la théologie de Durkheim 479

v Dérivation et intégration de fonctions usuelles 486

Calcul Intégral 487

v Primitive d'une fonction en rapport avec l'organisation sociale 487

v Définition d'une intégrale face à la problématique de la cohabitation 487

§ 3. Corrélation et correspondance entre l'identité et l'appartenance face aux propriétés d'une intégrale et stratégies de cohabitation 488

CONCLUSION GENERALE 493

BIBLIOGRAPHIE 499

TABLE DES MATIERES 518

* 1 Nous voulons la restauration de la science politique (åðéóôåìÞ des anciens Grecs) opposée aux opinions (äïîáé). La science politique est la science de l'existence humaine dans la société et dans l'histoire, et des principes de l'ordre. Par « ordre », il faut entendre la structure de la réalité telle que nous en faisons l'expérience, soit l'ordre cosmique. Pour rendre compte du « désordre », les stoïciens inventèrent le concept d'aliénation (áëëïôñéïóçò), un état de retrait par rapport au moi, constitué par la tension vers le fondement divin de l'existence. Ces catégories stoïciennes seraient applicables aux phénomènes idéologiques modernes qui falsifient la réalité, c'est-à-dire la nation et l'Etat.

* 2 Nous avons emprunté ce terme chez Claude Lévi-Strauss. Celui-ci dans Tristes tropiques, Plon, p. 477-478 ; La Pensée sauvage, Plon, p. 26 ; les Mythologiques, IV. L'Homme nu, Plon, p. 620-621, décrit la situation de l'homme sous le vocabulaire de « dissolution » et de « caducité » pour parler du résultat final de la culture et de l'humain.

* 3 Chaque peuple a son comput. Le comput est le système de mesure du temps pour le besoin de la vie quotidienne.  Un calendrier luni-solaire à 354 jours (apparaissent au comput) était utilisé dans la Grèce antique; les Grecs furent les premiers à intercaler les mois supplémentaires selon des principes scientifiques, au bout d'un cycle particulier. C'est ainsi que nous avons de différences calendaires. Et la computation devient le paradigme de toute reconnaissance des formes culturelles.

* 4 Masques. Chez Aphende (les Pende), les masques sont des symboles de la vie sociale. On peut traduire masque par personnage. Le miroir de ces images héroïques est donc d'un enjeu considérable pour l'époque zaïroise de l'authenticité, ne serait-ce que parce qu'à travers l'échange informationnelle, c'est une identité nationale qui s'élabore et se réfléchit dans le kilega (sa langue), dans le bwame (sa culture), dans le kimbilikiti (ses valeurs) ; parce que la conversation est encore le code en gestation de la critique philosophique (chez Mudiji a Malamba).

* 5 Les ngoma sont des tam-tams ou tambours qui symbolisent les pouvoir royal. Détruire les ngoma est signe de la destruction de la royauté.

* 6 Ndombolo est l'ensemble des chants et des danses congolais modernisés. Il fait figure de la musique congolaise moderne.

* 7 D'après LEROI-GOURHAN (+ 1986), dans Evolution et Techniques, les traces de métallurgie du fer mises au jour dans la région des grands lacs ont permis d'établir que les premiers agriculteurs bantous, en provenance du bassin du Congo, se sont installés dans la région au IIIe siècle de notre ère. Lorsque les Tutsi s'établissent à leur tour dans les collines de l'est du Rwanda, entre le Xe et le XVe siècle, les Hutu ont déjà formé de petits royaumes. Vers le XVIIe siècle, un royaume gouverné par les Tutsi se développe sur la plus grande partie du territoire de l'actuel Rwanda (à l'exception du sud-ouest).

* 8 Par exemple, les éditions commentées de la Bibliothèque augustinienne (Dictionnaires : nous pensons à ceux de LAMPE et de BLAISE, ceux de A. LALANDE, il y en a beaucoup)

* 9 Par exemple pour Tertullien : Gästa CLAESSON : Index Tertullianus, 3 tt. Paris, 1974-1975

* 10 MUTUZA, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, p. 257-259.

* 11 Nous disons probablement par Pythagore parce qu'on rencontre, avant lui, certaines affirmations telles que celles de Héraclite d'Ephèse dans ce passage chez Hérodote où Crésus dit à Solon : « j'ai appris que tu as sillonné bien des pays en `philosophant' (öéëïóïöåïí = en cherchant la culture, en étudiant à fond, en méditant) pour l'amour de la `èåþñéá = contemplation, connaissance pure, spéculation, savoir théorique ».

* 12 SMET, A. J., Bibliographie de la Philosophie africaine, tome I et II, 2004.

* 13 NGOMA BINDA, La philosophie africaine contemporaine : pensée et pouvoir, thèse de doctorat en Philosophie, inédit, FCK, pp. 343,1985.

* 14 La technique n'est donc pas un instrument neutre qu'on peut bien ou mal utiliser, mais un mode de pensée. L'homme ne pense plus qu'à gérer, à calculer (computer) et à prévoir : c'est la différence que fait Martin Heidegger entre la pensée méditante et désintéressée, et la pensée computante (calculante) qui veut par la technique dominer la nature et l'asservir aux besoins de l'homme. De l'approche cognitiviste nous proposons l'approche computationnelle pour comprendre la génétique de la recherche philosophique du temps entropologique. Car le problème de la connaissance se trouve au coeur du problème de la vie. Cette idée ne relève nullement d'une conception « bio-logistique » qui s'opposerait à la conception philosophique de la connaissance. En fait, le problème de l'enracinement vital de la connaissance se pose au coeur de la philosophie. Dilthey disait que les processus fondamentaux de la connaissance sont dans la vie, et que la pensée ne peut aller au-delà. Interrogeant Piaget, nous avons le sentiment profond qu'il a découvert les conditions de la connaissance, y compris les données a priori et les catégories qui auraient pour source les principes fondamentaux de l'organisation vivante. Il en vient à concevoir « l'isomorphisme structurel entre les organisations biologiques et cognitives » (1967). Mais tôt venue, la réflexion de Piaget s'est trop tôt cristallisée, avant qu'on ait pu concevoir que l'activité computante de l'être cellulaire constituait la source de la connaissance ou de l'identité.

* 15 Chez Epicure, il faut reconnaître au êåíüò - vide ou silence - le rôle qu'il a de nous révéler l'un (intégralité, objectivité et Essence) et le tout (intégrité, objectité et être). Émouvant certes des choses, les vides n'en acquièrent pas moins les apparences au cours de leur trajet jusqu'à nos sens, c'est leur indépendance : on ne saurait les identifier unilatéralement, ni avec l'objet dont elles émanent, ni avec une simple représentation du sujet qu'elles affectent. Elles opèrent donc une disjonction inclusive entre les termes de l'alternative qui oppose la surface à la profondeur.

* 16 La mythologie valentienne expliquait que le Père ineffable émet d'abord l'abîme et le silence (Âõèïò êáé ÓéãÞ), d'où procèdent l'esprit et la vérité (íïýò êáé áëÞèåéá), d'où naissent enfin le Verbe et la Vie (ëüãïò êáé æùÞ), et on remarque aussi d'ailleurs que dans cette théogonie, ce n'est pas du Silence que sort le ëüãïò, mais bien du íïýò. Le verbe sorti du silence (ëüãïò Üðü óéãÞ ðñïåëèùí) est différent du le verbe éternel non sorti du silence (ëüãïò Üßäéïò ïýê Üðü óéãÞ ðñïåëèùí). Tel quel cependant, le sens christologique veut que le Verbe Christ est sorti du silence du Père, sorti du silence où il était près de lui comme enfant (Ðáßò). Mais il faudrait savoir que le mot Ðáßò accolé au Christ ne signifie pas fils (õïò) mais serviteur, mais pas tout de même esclave. Il est fils (õïò) bien-aimé qui est aussi Vie (æùÞ). C'est le problème de la situation temporelle de Jésus Christ. Nous reviendrons plus sur Hegel de qui Mutuza soutire certains commentaires pour ses homélies à Saint Joseph des Epinette à Paris. Nous allons exposer Mutuza avant d'établir l'orthodoxie de sa pensée.

* 17 On peut bien comprendre l'alternance par le schéma cyclique de fougère (schéma de la botanique universelle) qui se présente comme suit :

F1

* 18 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, Noraf, Kinshasa, 2004.

* 19 Si par peuple on entend un ensemble de personnes constituant une nation ou un ensemble de personnes soumises au même système politique et au même gouvernement, ou encore un ensemble de gens partageant la même culture ou la même religion et qui est une nation en puissance (au sens aristotélicien du terme).

* 20 Selon leur mythe, Kanyarwanda est le fils de Gihanga, le père de Banyarwanda à qui le kinyarwanda est donné comme symbole d'unité et d'unification.

* 21 La grande autorité en linguistique africaine, VAN BULCK, n'a jamais mentionné, dans sa classification des langues bantoues le glossonyme kinyarwanda. Jusqu'à présent, les autorités en linguistique africaine ne désignent pas le kinyarwanda dans leur nomenclature. Nous pensons que le kinyarwanda est une dénomination toponymique et glossonymique. Par ailleurs, le toponyme est difficile à prendre à la lettre du fait que la division et la dénomination de l'espace géographique ne venait pas souvent de la population mais du colonisateur qui se donnait le droit de nommer (les choses).

* 22 L'individu est pensé à la fois par rapport à lui-même -- en tant qu'indivisible -- et à un tout dont il est une partie. L'individualité, ce qui distingue un être de tous les autres, est définie par le principe d'individuation, à savoir par la disposition de la matière dans le temps et dans l'espace, selon Thomas d'Aquin, ou par l'unité de la matière et de la forme, selon saint Augustin. La distinction individu-tout conduit à l'opposition singulier-universel. Guillaume d'Occam développa sa théorie nominaliste à partir de la singularité absolue de l'individu.

Pour Guillaume, n'est réel que l'universel, qui est une substance essentielle, la même dans tout individu : l'Homme est identique dans Pierre et dans Paul. Les individus ne sont que des accidents : l'individuation ne dépend que des accidents, elle n'est pas essentielle. Guillaume soutenait que les idées universelles ne sont « pas après, mais avant les choses ». Abélard, quant à lui, tout en s'appuyant sur le nominalisme de Roscelin, affirmait que ce n'est pas l'universel que partagent Pierre et Paul mais la condition (status) d'Homme. L'ambition de connaître l'individu atomique et unique participe de la volonté de saisir des réalités ultimes en biologie, en chimie, en logique, en philosophie ou dans les sciences humaines. Se posent alors, explicitement ou implicitement, les problèmes ontologiques fondamentaux : les réalités élémentaires et originaires qui composent le réel sont-elles individuelles, comme chez Guillaume d'Occam, en interdépendance, comme les monades de Leibniz, ou bien en relation avec des réalités transcendantes, comme chez Platon ? De plus, cette connaissance de l'individu est-elle possible ? Leibniz rédigea sa Thèse sur le principe d'individuation (1663). Carl Gustave JUNG, dans Dialectique du Moi et de l'inconscient, son ouvrage le plus complet (publié en 1933), expose les liens entre le conscient (le moi) et l'inconscient (qui possède une dimension dynamique de croissance, alors que Freud le considère comme une instance de refoulement). Le dialogue entre conscient et inconscient doit permettre le processus d'individuation, c'est-à-dire l'évolution de l'individu vers sa personnalité globale. La qualité de ce dialogue dépend notamment d'un autre dialogue, celui entre la « persona » et l'« ombre », la persona correspondant à l'image personnelle et sociale, et l'ombre à la partie inconsciente de la personnalité.

* 23 MUTUZA, Quelles Institutions pour un Congo démocratiques : le droit de nommer les choses, p. 25. Et chez Aphende (Pende, population bantoue qui s'étend du territoire de Gungu, d'Idiofa, de Tshikapa et Kahemba), la chenille porte le nom de la plante d'où elle vit. Les fruits portent la dénomination du même radical de leur plante...Et Aphende disent : « ngongo iji », la chenille c'est la feuille (de l'arbre d'où elle vit, ou bien la vie de la chenille dépend des feuilles).

* 24 DINGEMANS, G., Psychanalyse des peuples et des civilisations. Tragédie du passé angoisse du présent et espoir d'avenir, p. 97.

* 25 L'archontat vient du grec (arkhôn), « celui qui commande »), viagère, puis décennale, la charge devient annuelle à partir de 683 av. J.-C. À l'origine détenu par un seul homme, l'archontat est partagé, à cette même date, entre trois aristocrates élus annuellement : l'« archonte roi », ou « basileus », reprend les prérogatives religieuses des anciens rois et juge les crimes d'impiété et les homicides. À l'époque romaine, il est utilisé pour désigner l'empereur dans les territoires de l'Empire de langue grecque, dans un processus politique et idéologique qui conduit à l'évolution de la figure du monarque tendant vers la théocratie et l'absolutisme et s'achève par la forme du pouvoir instaurée à l'époque byzantine, quand le titre de basileus désigne officiellement l'empereur.

* 26 LEROI-GOURHAN, l'évolution humaine, Fascicule 4505, in « L'homme, races et moeurs », p. 13.

* 27 DANIELOU, J., Origène, p.5.

* 28 BREHIER, E.,  Thèmes actuels de la philosophie, p. 23.

* 29 DANIELOU, J., Ibidem, p.209. Voir aussi la mythologie de Valentin et de Marcion les gnostiques.

* 30 ARISTOTE, Métaphysique, II, 5ac.

* 31 Entretien familial par lequel le père révèle à ses enfants que nous, hommes, rêvons la paix, mais nous sommes affligés par les guerres. Attachés à la loi et à l'ordre, mais nous ne parvenons pas à endiguer le flot croissant des massacres, viols, vols, meurtres...Malgré les annonces d'espérances, notre société se désagrège comme jamais auparavant. On pourrait d'ailleurs formuler cette remarque que certes, la guerre froide est terminée, mais force est de constater que le monde est devenu plus propice à la vengeance et à la sauvagerie que déclenchent des facteurs ethniques, tribaux, et nationaux... nous avons baissé le niveau de nos principes et notre morale est profondément perturbée. Nous récoltons les fruits de notre négligence... et de la violence présente à chaque coin de la rue. C'est comme si notre maison avait résisté au grand tremblement de terre que nous appelons guerre froide pour finalement se faire manger par des termites. Les Hema et le Lendu se massacrent, les Tutsi pourchassent les Hutu...

* 32 Les hommes contre l'humain : une illustration et une défense de l'idéal humaniste ne cesse de rencontrer de multiples obstacles.

* 33 Peut-être pourrait-on aujourd'hui traduire le mot anthropos « Üíèñùðïò » par « humain » plutôt que par « homme ». Si on se réfère à Wittgenstein dans  « Remarque sur le Rameau d'or de Frazer », in Actes de la recherche en science sociale, 16, septembre 1977, p. 35-42. Ce même concept avait été définit par Turing, 1938, en rapport avec la computation qu'il prend comme traitement de symboles et pour lui le calcul numérique était un aspect inessentiel de la computation. Dans ce sens, et alors qu'ils étaient considérés comme des outils de calcul numérique, Simon, en 1952, concevait les computeurs comme des systèmes de manipulation de « symboles physiques ». Mutuza qui se réfère à Russel pour définir la philosophie, sait qu'avec Frege et Whitehead, dans leurs travaux, ils avaient montré que la logique était un système symbolique obéissant à des règles de « calcul », notion dont le sens linguistique et logique (calcul des propositions) signifie très exactement computation. Áíèñùðïò et Computeur sont ici interchangeables.

* 34 L'on peut bien se demander d'où vient le changement de l'intitulé du cours de civisme et Développement !

* 35 Poésie dynastique du Ruanda et l'Epopée Akritique, Paris, Belles Lettres, 1963, Préface.

* 36 GREGOIRE DE NYSSE, Sur l'Ecclésiaste, Hom. 13, PG 44, 628 AB.

* 37 MARGUERITE, A. P., La nouvelle éthique de la mondialisation : défi pour l'Eglise, p 2.

* 38 TILLICH, P., Amour, Pouvoir et Justice, traduit de l'anglais par Theo Junker, Paris, PUF, 1964, p. 63.

* 39 La mystique est une des doctrines philosophiques qui se fonde sur la croyance en une réalité essentielle pour la compréhension de l'univers qui dépasse l'entendement humain. Ici, on prend ce qui est rare chez les Occidentaux comme le normal chez les Bantu. Ainsi Jakob Böhme (1575-1624), mystique allemand, surnommé « le philosophe allemand », a exercé sur la pensée allemande une grande influence, notamment sur Hegel, dont Mutuza a lu l'oeuvre, et Schelling. Il commente la Bible dans son Mysterium Magnum en 1623 et les travaux de Paracelse sa vision de la réalité. Pour Lui, toute chose advient à l'existence dans le conflit des contraires, de même que ce conflit enrichit la perception et l'intelligence. Ainsi, le mal est un élément nécessaire du bien, car, sans le mal, la volonté deviendrait inerte et le progrès impossible. Dieu lui-même, selon Böhme, possède des attributs conflictuels. La vie mystique est caractérisée par une vitalité, une productivité, une sérénité et une joie accrues, car les aspects intérieurs et extérieurs s'harmonisent avec le Divin. On a développé de nombreuses théories philosophiques complexes pour tenter d'expliquer le phénomène mystique.

* 40 La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, Kinshasa, Noraf, 2004, Introduction.

* 41 Philosophe africain et congolais (Mulega).

* 42 MUTUZA, Une remise en question des travaux de la Conférence Internationale sur les pays de grands lacs, p 22. Mais l'auteur n'a pas distingué que ce qui est perçu peut être un objet matériel, une action ou un discours. Ce qui est perçu peut aussi l'être fantasmatiquement : c'est le cas de ce projet sur la paix que l'on simule et dont on évalue les résultats en imagination. Dans tous les cas, la prise en compte de ce qui est perçu passe par la construction d'une représentation de l'objet, sous forme, par exemple, d'images ou de propositions discursives. Le jugement de valeur porte sur la représentation de l'objet, sa description interne en connexion avec d'autres : de l'objet, nous n'avons jamais qu'une apparence de sa réalité. De fait, le jugement s'élabore également à partir d'informations déjà présentes dans la mémoire : croyances, désirs, influences sociales, autres valeurs, etc.

* 43 Réseaux neuronaux. Microsoft ® Encarta ® 2007. (c) 1993-2006 Microsoft Corporation. En haut est schématisé un réseau neuronal humain, composé de cellules nerveuses appelées neurones. Chaque neurone peut émettre des signaux vers ses voisins, par l'intermédiaire de prolongements nommés dendrites ; il peut également en recevoir, véhiculés par des fibres appelées axones. En bas est représenté un réseau neuronal artificiel. Entre les noeuds d'entrée et de sortie figurent de nombreux autres noeuds, appelés pour cette raison noeuds cachés. Un réseau neuronal artificiel peut comprendre plusieurs niveaux de noeuds cachés.

* 44 Même si l'objet perçu est différencié de son contexte, le jugement de valeur lui est relatif. L'évaluation d'un objet est éminemment subjective si une nécessité vitale ne dicte pas sa loi. Voir aussi Okolo Okonda, Tradition et modernité en Afrique aujourd'hui, le point de la question, in « Recherches philosophiques africaines » n° 29, Philosophie africaine : bilan et perspectives, p.14

* 45 Nous sommes dans la morale de Socrate. Pour celui-ci l'homme fait le mal par ignorance. Nul ne peut mal agir s'il est cultivé. La conscience humaine devient l'absolu. C'est un problème épistémologique de la philosophie morale qui se transmet dans l'histoire de la philosophie.

* 46Cf. Michel HENRY dont l'oeuvre philosophique s'inscrit, non sans difficulté, dans le courant de la phénoménologie. Avec l'Essence de la manifestation (1963), cette inscription et cette distance sont posées, ainsi que le fondement de l'oeuvre à venir. Dans un contexte marqué en France par le structuralisme, le marxisme et la psychanalyse, Michel HENRY reprend le fil de la phénoménologie tout en en récusant le fondement, qui est aussi celui de toute la philosophie occidentale -- et non pas seulement d'Edmund Husserl ou de Martin Heidegger --, celui qu'il qualifie de « monisme ontologique », autrement dit l'assimilation de l'essence à l'idée : « philosophie qui pose que rien ne peut nous être donné qu'à l'intérieur et par la médiation de l'horizon transcendantal de l'être en général » (Philosophie et phénoménologie du corps, écrit en 1950 et publié en 1965). Cette tradition retire toujours ce qu'elle donne dans le phénomène et subordonne le donné à l'ordre de la transcendance et de l'extériorité. Philosophie et phénoménologie du corps élabore en outre une philosophie du corps subjectif -- du sujet corporel et incarné -- préexistant à toute expérience et à tout discours à partir d'une étude approfondie sur Maine de Biran. Cfr aussi Mutuza dans Apport de la psychologie dans la formation du juriste, Deuxième partie, chap.I, où il est question d'analyse des différentes phases du comportement, p.90-109.

* 47 La composition du plus antique ouvrage en prose sur l'Univers et les origines de la vie, qui constitue la majeure contribution d'Anaximandre, lui vaut d'être parfois appelé le père de la cosmologie. Il conçoit l'Univers comme un système de cylindres concentriques dont le plus extérieur contient le Soleil, celui du centre la Lune et le plus intérieur les étoiles. En forme de tambour, la Terre flotte au centre de ces cylindres sans être soutenue. Selon Anaximandre, l'Univers tire son origine de la séparation des contraires de la matière primordiale. Ainsi, le chaud se déplace vers le haut, se séparant du froid, et ensuite le sec se sépare de l'humide. Il soutient également que toute chose qui meurt retourne à l'élément dont elle est issue.

* 48 Cfr. LAROUSSE, R., Introduction à la philosophie politique, p. 9.

* 49 Pour l'enquête, nous nous référons à John Dewey qui a profondément marqué l'histoire de la pensée américaine pendant la première moitié du XXe siècle, non seulement dans le domaine de la pédagogie mais aussi dans les questions politiques et économiques. Après la Seconde Guerre mondiale, son influence diminue cependant, et sa philosophie est éclipsée par les débuts de la philosophie analytique. Elle connaît cependant un regain d'intérêt à partir de la fin des années 1970, en particulier auprès des philosophes américains Richard Rorty et Hilary Putnam.

* 50 En métaphysique l'analyse comme la synthèse ont une double acception : la synthèse est, soit qualitative, elle est alors progrès dans la série des subordonnés de condition à conditionné, ou bien quantitative, elle est alors, comme dit Kant, un progrès dans la série des coordonnés, de la partie donnée, par ses compléments, au tout. Symétriquement, l'analyse, au premier sens, est une régression du conditionné à la condition, au second, du tout à ses parties possibles ou médiates, c'est-à-dire aux parties de ses parties ; et elle n'est pas division, mais la subdivision du composé. Et c'est au second sens seulement que nous prenons l'analyse.

* 51 Cfr. MUSEY, N.M., Claude Lévi-Strauss, Anthropologie et communication, Introduction.

* 52 Idem.

* 53 Contrairement à ce qui est habituel quant à ce qui concerne les notes, nous avons dû dans cette thèse, vu la complexité des sujets traités et de notre totale dépendance de multiples disciplines et leurs sources, faire appel à des notes nombreuses et quelquefois obèses. Nous demandons au lecteur de bien vouloir nous passer condamnation sur ce point. D'ailleurs, il peut, sans devoir aller constamment de l'étage au sous-sol, se faire une juste idée de l'ensemble des choses.

* 54 MUTUZA, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, p. 136

* 55 Ibidem, p. 241.

* 56Histoire de l'humanité, cité par Mutuza dans Des Nations sans Etat, Avant-propos VII.

* 57 Cette incapacité de « s'ouvrir à d'autres horizons » a caractérisé la politique coloniale en matière du droit foncier et en matière domaniale où le législateur, enfermé dans la même alternative, soutenait tour à tour la négation de la propriété de certaines terres et l'assimilation de la propriété immobilière par une procédure de constatation des droits.

* 58 L'illusion ethnocentrique qui masquait la discontinuité de nos gammes conceptuelles et la prétention réformiste du législateur colonial qui méconnaissait le principe exprimé par l'auteur de « l'Esprit des Lois » selon lequel celles-ci doivent être relatives au principe du pays, au genre de vie du peuple, expliquent les nombreux échecs des réformes foncières entreprises.

* 59 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 7.

* 60 On se rappellera que la plupart des Tutsis font les études de Droit.

* 61 MUTUZA, Op. Cit. p. 17.

* 62 VERDIER, R., La civilisation agraire et droits fonciers négro-africains, pp. 24-34. La problématique que pose l'auteur ainsi que l'explication qu'il présente s'applique mutatis mutandis aux conceptions que beaucoup d'auteurs occidentaux se font de réalités africaines.

* 63 VERDIER, R., op. cit. p. 12.

* 64 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 46. Voir aussi Quelles Institutions pour un Congo démocratique, p. 22.

* 65VERDIER, R., op. cit. p. 16.

* 66 Des Nations sans Etat, p. 11.

* 67 Encyclopédie française, t. XX, Section A 20-20-9 20-20-12, GASTON BERGER.

* 68 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 108.

* 69 Des Nations sans Etat, p. 12.

* 70 LALANDE, Vocabulaire de la Philosophie, P.U.F., 1962, 714. « Connaissance de ce que sont les choses en elles-mêmes - leur contenu réel - par opposition à l'étude de leur apparence ou de leurs attributs formels. »

* 71 MUTUZA, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, p. 20.

* 72 Philosophie analytique c'est la philosophie de l'analyse du langage et les concepts qu'elle exprime. Pour ces philosophes l'activité propre à la philosophie est la clarification du langage ou encore celle des concepts pour trancher les débats et de résoudre les problèmes qui surgissent en philosophie de la confusion linguistique.

* 73 Ibidem, p. 68-69.

* 74 Ibidem, p. 67.

* 75 Ibidem, p. 70. Voir aussi Ethique et Développement, p. 17.

* 76 Ibidem, p. 74.

* 77 MZEE MUNZIHIRWA MWENE NGABO, La dynamique apostolique du diocèse de Kasongo (1093-1995), p. 2.

* 78 MUTUZA, Des Nations Sans Etat, p. 27.

* 79 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hi-ma-Tutsi, p. 32.

* 80 MUTUZA, Des Nations sans Etat, Avant-propos.

* 81 Cette conception prend sa source dans une tradition philosophique nettement caractérisée qui remonte à Hegel. En revanche, parce que la loi est l'expression de la volonté générale, elle est supérieure aux règlements qui émanent de l'exécutif et de l'ensemble des pouvoirs publics. Pour la même raison, les juridictions judiciaires et administratives n'ont pas le droit de se prononcer sur la validité d'une loi après sa promulgation, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas le droit de la censurer implicitement en prenant un jugement qui lui serait contraire. Seul le Parlement peut remettre en cause la validité d'une loi. Il faut cependant apporter une nuance à cette règle : le juge peut être saisi pour constater une incompatibilité entre une loi et une norme de droit international ou de droit communautaire, (c'est-à-dire pour constater s'il y a des dispositions dans la loi qui seraient contraires au droit international ou communautaire). Si l'incompatibilité est effectivement constatée, la loi ne peut être appliquée, et c'est la norme communautaire ou internationale qui prévaut. Mais, ce faisant, le juge n'annule pas la loi ; c'est en effet au Parlement qu'il revient de tirer les conséquences de cette incompatibilité.

* 82 BALANDIER, G., Anthropologie politique, P.U.F., 1969, p.29.

* 83 LOMBARD (J), « Pensée politique et démocratie dans l'Afrique noire traditionnelle », in Présence africaine, n°63, 1967, p.10. « A propos de diversité de formes d'organisations sociales et politiques J. Lombard affirme « A la fin du XIXème siècle, l'Afrique Noire présentait le plus riche champ d'expériences qui puisse se trouver en matière d'organisation politique. Jamais sans doute, sur un même continent et à une même époque, n'ait pu coexister une telle diversité dans les formes de gouvernement des hommes ». « C'est seulement maintenant qu'on découvre, par le truchement des traditions orales et des mémoires humaines cette diversité des institutions et des formes d'organisation politique, alors sans doute aussi nombreuses et aussi variées que le sont de nos jours les langues africaines ».

* 84 BALANDIER, G., « Réflexion sur le fait politique : le cas des Sociétés africaines », in Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. XXXVII, 1964.

* 85 LOMBARD, J., op. cit., pp.10-11

* 86 Idem.

* 87 MUTUZA, Des Nations sans Etat, p.

* 88 Idem.

* 89 Idem.

* 90 Anthropologie, art. Politique.

* 91 LALANDE, op. cit. p.838.

* 92 MUTUZA, Des Nations sans Etat, p. 30.

* 93 Ibidem.

* 94 Le XVIIIème siècle, nous affirment les auteurs de l'Histoire de l'humanité, a admis que l'Afrique était d'autant plus attirante qu'elle représente une sorte de degré 0 de la civilisation. Le XIXème siècle, moins optimiste, a considéré ce continent muet sur son propre passé, comme inférieur à tout jamais à tout autre, dans la perspective de l'histoire. Beaucoup de techniciens de l'histoire aujourd'hui encore, s'aventurent à écrire que l'Afrique n'a pas et n'aura jamais d'histoire puisqu'elle ne possède pas de documents écrits qui ont servi dans le monde blanc à élaborer la discipline du passé, op. cit., pp.727-728.

* 95 SACHS cité par Mutuza dans Des Nations sans Etat, p.

* 96 MUTUZA, Op. Cit. p. 19.

* 97 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 23 ; voir aussi Des Nations sans Etat, p.

* 98 GENDARME, R., p. 33.

* 99 De la Philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, p. 235.

* 100 Ibidem, p. 236-237.

* 101 De la philosophie occidentale à la philosophie africaine, p. 235.

* 102 Ibidem, p. 235.

* 103 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 16.

* 104 Mutuza a vu soumettre son ouvrage intitulé Ethique et Développement  à la censure de la Commission Doctrine et Idéologie Institut Makanda Kabobi du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR). Ce livre fut connu sous le titre de Mal Zaïrois, mais il n'était pas encore publié quand Mutuza se heurta à Kangafu et Gambembo.

* 105 C'est à ce moment qu'il pensait à la publication de son Les fondements culturels du fédéralisme, qui n'a vu le jour qu'en 1991 aux Editions NORAF à Kinshasa.

* 106 Article paru dans Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, pp 49-58.

* 107 MUSEY, N. -E.., M., Claude Lévi-Strauss, Anthropologie et communication, p. 3.

* 108 L'article a paru dans « Présence Africaine », N° 10, Juillet 1962, pp. 6-15.

* 109 Cet article se trouve dans Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, pp 9-16.

* 110 Nous sommes aux lendemains du discours du Maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendo Waza Banga, Président fondateur du MPR, Chef de l'Etat et Président de la République du Zaïre. Mutuza occupe la chaire de philosophie politique où il parle entre autre des paradigmes démocratie.

* 111 Il s'agit de MUSEME, Ethique et Développement : critique et reprise à Mutuza Kabe, Mémoire de Licence en Philosophie FCK, 1991. Cfr. aussi, NGONGO, Mutuza et le développement de l'Afrique, TFC Saint Augustin, site de Kintambo, 2001. Voir encore MBUYI, Tribalisme et nationalisme chez Mutuza, Mémoire de Licence en Philosophie, ISPL, 2003.

* 112 Pour les étudiants MUTUZA KABE a précédé l'histoire, la Revu NUMERACA reproduira dans une des ses A la Une marque la calvitie de Mutuza en caricature.

* 113 Il y a certes beaucoup d'autres Congolais qui ont traité de ce problème mais ils partaient des postulats occidentalistes et occidentaux, postulats qui sont taillés en vue de renforcer une idéologie, celle de convaincre les populations que sans la collaboration et l'intervention des occidentaux, il n'y aurait ni démocratie, ni liberté, ni paix, etc. dans les pays des Grands Lacs.

* 114 Ici Mutuza pense en terme des substantifs au génitif dans une proposition : il parle du respect des occidentaux. Cela peut-être compris soit du respect dont les occidentaux inspirent aux Noirs, soit du respect dont les Noirs inspirent aux occidentaux ; tout compte fait, c'est le respect de l'homme qui l'intéresse.

* 115 NGOMA BINDA admirait beaucoup Mutuza qui était d'ailleurs son professeur. Nous avons rencontré dans les tiroirs de Mutuza certains travaux pratiques de Ngoma Binda. En ce temps là, déjà, Mutuza mettait en garde son étudiant d'avoir copié un texte et de le lui avoir remis comme travail pratique. La même remarque va revenir dans l'appréciation de la thèse que Ngoma Binda a soutenue aux Facultés Catholiques de Kinshasa. Mutuza a reproché à son étudiant d'être éclectique. Cela n'a pas enchanté Ngoma Binda.

* 116 ELONGO, Pratiques journalistiques en situation de crise, thèse de doctorat en Information et Communication, Bruxelles, 2009-2010.

* 117 NTUMBWA, Le paradoxe de la liberté par la chosification dans la conception welienne de l'Etat, thèse de doctorat en Philosophie, Mexico, 2006.

* 118 MILALA, La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines, thèse de doctorat en Philosophie, 2008-2009.

* 119 Mutuza a un texte très précieux du cours de Civisme et Développement. Il est d'ailleurs sous presse. Mais tout ce que Ngoma Binda rapporte dans son article est bel et bien son intention à lui, cela n'a rien avoir avec le texte de Mutuza. Et le Mutuza que Ngoma Binda nous présente n'est surement pas le nôtre.

* 120 NGOMA BINDA, Formation civique et politique comme préalable à la démocratie. Réflexion à partir du cours de « Civisme et Développement » dans l'Enseignement Supérieur et Universitaire du Zaïre, in « La démocratie en Afrique, Colloque de A.P.P.M./ Zaïre- Académie des Professeurs pour la Pais Mondiale, 14-16 décembre 1990, Kinshasa-Zaïre, p. 105-127.

* 121 MUTUZA, Le Bwami, la superstructure de la société Lega frein ou moteur au développement, thèse (inédite) de doctorat en philosophie, Paris, 1971.

* 122 MILALA, B., Op. Cit. 58.

* 123 La science coloniale a du se défendre en argumentant en faveur de l'antériorité des Tutsi sur les territoires rwandais. J. Maquet est de ceux qui ont affirmé cette hypothèse. Mais l'on se demande pourquoi chercher à confirmer une hypothèse historique si l'arrivée est un fait ? Baumann et Westermann ont eu le privilège d'avoir travaillé sur les civilisations africaines. Ils se sont trompés quant ils affirmèrent que l'homme blanc était venu civiliser le nègre. Comment une civilisation peut-elle civiliser une autre ? Ca serait une jungle. Or, la jungle est la civilisation qui cherche à s'imposer. Donc la civilisation occidentale est une civilisation de la jungle. Ayant vu la jungle chez les Tutsi, les occidentaux ne purent que la prendre comme une civilisation soeur, celle des barbares entre eux.

* 124 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 23.

* 125 De gauche à droite la version et la traduction de Kamugulampungu. En italiques le kilega, en gras le français.

* 126. Kamugulampungu est une comptine, comme d'ailleurs toutes les comptines qui sont des formulettes, poèmes simples, récités ou chantés, souvent accompagnés d'une mélodie afin d'amuser et d'éduquer les petits enfants. Se distingue des comptines occidentales qui, on le sait se distinguent généralement en plusieurs types: les comptines numériques (Un Deux Trois / Nous irons au bois /Quatre Cinq Six / Cueillir des cerises / Sept Huit Neuf / Dans un panier neuf / Dix Onze Douze / Elles sont rouges), celles qui se terminent par un ordre va t'en ou sors, celles encore qui sont chargées de jeux phonétiques, avec des allitérations et parfois incompréhensibles (Am stram gram / Pique et pique et colégram / Bourre et bourre et ratatam / Am stram gram pique dame), et enfin des comptines narratives au sein desquelles se déroule une histoire cocasse ou pourvue d'un élément permettant de les dater. La plupart des comptines est transmise d'une génération à l'autre, par voie orale. Souvent, elles ouvrent et inaugurent un jeu. Dans ce cadre, elles désignent l'enfant à qui incombe une certaine tâche : un cercle d'enfants est formé et l'un d'eux doit compter ses camarades, les désignant successivement du doigt, syllabe après syllabe, d'une façon très rythmée, jusqu'à la fin de la comptine. Le dernier désigné est, selon le jeu, éliminé ou heureux élu. Universelles, les comptines sont bien souvent anonymes. Celles qui sont racontées au coucher des enfants ou qui leur apprennent les chiffres où l'alphabet figurent parmi les plus anciennes. On relève autant de variantes dans les comptines qu'il y a de régions. Parfois, poétiques et absurdes, elles mettent en scène des animaux, ceux qui notamment contiennent une connotation particulière, comique, drôle ou terrifiante : le cochon, l'éléphant, le lapin ou l'araignée. Kamugula mpungu est l'une des plus célèbres comptine qui demeure comme celle d'Une souris verte / Qui courait dans l'herbe / Je l'attrape par la queue / Je la montre à ces messieurs / Ces messieurs me disent / Trempez-la dans l'eau / Trempez-la dans l'huile / Ça fera un escargot tout chaud !. L'introduction de l'animal dans ce genre est l'occasion aussi de faire entrer un monde fantastique et magique dans lequel tout arrive et où tout est possible. La comptine se présente comme un univers merveilleux, irrationnel, qui plaît aux enfants. Cependant, les origines de nombreuses comptines, comme Coccinelle, Coccinelle, Envole-toi, sont l'objet de conjectures ; certains théoriciens pensent que diverses comptines en apparence naïves expriment en réalité des opinions sur la politique ou sur d'autres sujets d'actualité. Aussi est-il courant de trouver à l'intérieur d'une comptine un nom propre, un surnom, une allusion ou un événement précis qui sont autant de clins d'oeil de l'auteur destinés au lecteur, au réciteur ou au joueur. À l'instar des chansons populaires ou des ballades, certaines comptines doivent leur attrait à leur mélodie autant qu'à leurs mots.

* 127 MTUZA, Des nations sans Etat, p. 154-155. Il est à noter que l'accession aux charge de Baame n'est pas héréditaire et encore moins le privilège d'une caste. Le Bwami, disons-nous en paraphrasant Biebuyck, représente dans la pensée lega l'essence et le but final de la vie. Le Bwami imprègne toute la vie du Lega. Il est quelque chose qui marque, qui laisse des traces- KYANDANDA- il sert à renforcer les relations sociales et humaines.«Bwami, précise Biebuyck, has no theory about the universe, its origins and organisation or about the place of divinities, animals, and men in the universe. Bwami has no myths. It does not practise a specialized cult. Its ideology is essentially oriented toward men, toward the moral improvement of individual and toward harmonious relationships between men. Bwami is a search for the mastery of the good and for moral and spiritual excellence. The intent is both théorical and piratical. The Lega are convinced that moral improvement, moral and spiritual excellence, and absolute good can be achieved only trough initiation into and memberships in Bwami. J. VANSINA, qui a fait la synthèse de D. Biebuych sur le Bwami, nous présente sur la nature et le mode d'accession à cette institution des éléments précis: le Bwami lega, dit-il, était une superstructure qui affermissait les relations à l'intérieur des lignages et des clans tout en fournissant des grades et des titres plein de prestige et symboles et formait des systèmes de valeurs et d'idéologies très riches. Le Bwami était l'institution de tous les Lega, non seulement parce que 80% des hommes y participaient, mais aussi parce que les parties importantes du rituel étaient publiques. Le Bwami reliait donc différents clans en un seul faisceau et renforçait les liens à l'intérieur d'un clan et de ses lignages. Mais c'est à Biebuych qu'il faut faire appel pour dégager les conditions d'accès au Bwami. En principe, dit-il, cette Institution est accessible à tout homme pourvu qu'il soit circoncis. Les initiations au Bwami ne sont pas exclusivement réservées aux aînés des lignages et des familles étendues, aux riches, aux devins sorciers ou aux possédés. On peut dire avec certitude que 80% de Balega mouraient comme initiés à l'un ou l'autre grade de l'Institution. A l'intérieur des familles étendues, des lignages, des sous-clans et des clans, d'après l'importance hiérarchique du grade, les initiations se font suivant un système de rotation et de substitution. Un agnat accédant à un grade supérieur doit être remplacé dans son grade précédant par un agnat : s'il expire pendant les initiations on lui substitue immédiatement un agnat. Les femmes, en tant qu'épouses d'initiées, ont accès au Bwami. Il existe pour elles une série des grades qui sont homologues à ceux des hommes. Les initiations pour homme et pour femme sont inséparables : les femmes participent à celles des hommes et vice-versa, sauf quelques rites secrets réservés à l'un ou l'autre sexe. Un homme initié a donc toujours au moins une de ses femmes initiées au grade complémentaire. S'il monte en grade, sa femme doit également accéder à un grade supérieur. Il existe à l'intérieur de l'institution une hiérarchie de grades dont la nomenclature et le nombre ne sont pas les mêmes pour tous les Lega. Cette stratification, en commençant par le bas, se présente comme suit :

 

Homme

Femme

1. BWAMI

-LUKEKO

-KONGABULUMBU

-KANSILEMBO

KEGOGO

2. NGANDU

-MUSAGE WA NGANDU

-LUTUMBO LWA NGANDU

BOMBOA

3. YANANIO

-MUSAGE WA YANANIO

-LUTUMBO LWA YANANIO

BULONDA

4. KINDI

-KYIGO KYA KINDI

-MUSAGE WA KINDI

-LUTUMBO LWA KINDI

BUNYAMWA

* 128 A l'école Mutuza gravait ses côtes du jour à ses Joux ; d'un père illettré, il savait lui expliquer ce qu'il apprenait avec zèle.

* 129 Leur professeur de latin traduisait les textes en swahili.

* 130 Cette entrée est une preuve d'une rupture avec la tradition. Il fait en cela l'imitation de Jésus en se rappelant de ce que celui dont il fait la sequella a dit : « je ne suis pas venu abolir la loi mais la parfaire. Il honore ainsi la tradition lega évitant de l'enclore monadologiquement.

* 131 L'idée de l'identité et d'appartenance devient aussi claire. Mutuza veut être lui-même, son recteur lui a demandé d'avoir l'autorisation de son évêque pour apprendre l'anglais.

* 132 DADA MUTUZA, Les éléments d'une biographie de Mutuza, p. 19.

* 133 La maison des Pères Blancs a refusé de prendre en charge l'abbé Mutuza.

* 134 Ces homélies furent prononcées en 1965-1966, dans l'Eglise Saint Joseph des Epinettes, située dans le XVII ème arrondissement. C'était à l'époque où le Zaïre traversait une crise sociale, politique et économique aiguë. Même dans ses sermons, Mutuza trouve l'occasion de dire ce qu'il pensait de sa patrie.

* 135 La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 37 où Mutuza se dit que « En vue de me permettre d'examiner avec un maximum d'objectivité une question où je me sens juge et partie et en vertu du principe selon lequel ce qui différencie l'animal de l'homme... » ; et cfr. De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine où notre auteur renchérit, à la page 145 que «  A ce propos, je montre d'abord que la question an sit est non seulement une question mal posée, mais que c'est aussi un faux problème. L'existence ne se prouve ni ne se démontre : elle se montre, se constate et s'affirme. Ensuite, que la question quid sit est une vraie question, mais qu'elle a souvent été mal posée, parce que les auteurs l'ont souvent confondue avec la question quo modo sit. Je présente enfin es oeuvres des philosophes congolais qui ont contribué, au cours de cette dernière décennie, à la clarification de la problématique de la philosophie africaine et qui, par leurs travaux, ont engagé la philosophie africaine sur la voie de la créativité.

* 136 Cfr. MUTUZA, La mise en question du concept de l'Etat.

* 137 La Religion dans les limites de la raison, p. 67.

* 138 MUTUZA, Des Nations sans Etat, p. 23.

* 139 WITTGENSTEIN, L., dans  « Remarque sur le Rameau d'or de Frazer », in Actes de la recherche en science sociale, 16, septembre 1977, p. 32.

* 140 C'est le principe de correspondance qui énonce que toute nouvelle théorie doit expliquer tous les phénomènes que l'ancienne théorie, dépassée, expliquait déjà

* 141 Cfr. MUTUZA, Le Bwame, la superstructure de la société lega, frein ou moteur au développement ? thèse inédite, Faculté de Philosophie, Institut Catholique de Paris, 1972. Voir aussi le même auteur : le préjugé sous-jacent aux concepts de progrès et de développement, in La place de la Philosophie, Lubumbashi, 1976, 215-230.

* 142 MUTUZA a traité de cette question avec beaucoup de délicatesses au chapitre troisième pp.82-100. C'est là que se dévoile la métaphysique mutuziste. C'est un véritable traité de métaphysique qui confirme la philosophicité de son analyse de la société.

* 143 Mutuza explique bien cette idée dans Sermons d'un prêtre défroqué. Il pense au Verbe de Dieu fait chair et qui a habité parmi nous. Doctrine chrétienne.

* 144 MUTUZA, Sermons d'un prêtre défroqué, p. 15.

* 145MUTUZA, Mon expérience d'homme politique congolais, p. 15.

* 146 Qui se soumet aux règles de l'art. Avec la naissance des académies d'art, une critique conformiste s'impose, jugeant la peinture d'après les critères de l'Antiquité et se basant principalement sur les chefs-d'oeuvre de Raphaël, des peintres de la famille Carrache ou de Nicolas Poussin. Cependant, bientôt émerge une critique s'opposant à la critique officielle : des écrivains tels que Marco Boschini et Roger de Piles se font les avocats de l'anti-académisme, attirant l'attention sur d'autres critères propres à la peinture, comme par exemple -- outre le dessin et l'idée, traditionnellement reconnus -- la couleur, l'expression et la composition.

* 147 Ingénierie sociale est le nom que Comte a donné à la Sociologie. Il le fait en rapport avec le génie civil qui est un domaine d'activité dont le but est la construction d'ouvrages d'art au bénéfice de la collectivité. Il concerne la création, l'amélioration, et la protection des structures et des constructions utiles pour l'environnement de la collectivité : équipements pour l'habitat, l'industrie et les transports

* 148 Prédiction c'est le pouvoir d'anticipation des théories qui est un thème capital pour les philosophies privilégiant tout particulièrement l'action scientifique. Il soulève toutefois des problèmes dépassant le seul domaine des applications de la science. Ainsi, même quelqu'un estimant que la science vise seulement une description vraie du monde valorisera au plus haut point la justesse des prédictions. En effet, il y trouvera sans doute une confirmation indirecte de la justesse de la description conduisant à une telle prédiction.

Mais quel que soit l'intérêt que l'on accorde aux prédictions, elles ne seront sans doute prises au sérieux que s'il s'agit d'extrapolations à partir de faits établis. Ainsi, on attend d'une loi, ou d'une relation causale, qu'elle soit vraie dans d'autres situations ou qu'elle s'applique à d'autres expériences que celles qui ont permis de l'établir. La philosophie des sciences ne se limite pas à des thèmes aussi généraux et abstraits que les précédents. L'importance des facteurs humains transparaît surtout dans des philosophies croisant l'histoire ou la sociologie. La situation en France en donne un bon exemple pour deux raisons : d'une part, la tradition philosophique française des deux derniers siècles est fortement encline à l'histoire des idées ou au commentaire ; d'autre part, l'épistémologie française a longtemps été peu perméable au positivisme logique que l'on sait souvent radicalement anhistorique.

* 149 MUTUZA, Op. Cit. p. 16.

* 150 Idem.

* 151 MUTUZA, Mon expérience d'homme politique congolais, p. 34.

* 152 Ibidem, p 36.

* 153 KIPLING, R., le Livre de la jungle, trad. par Louis Fabulet et Robert d'Humières, Paris, Gallimard, Folio, 1972.

* 154 MUTUZA, Op. Cit. p. 36.

* 155 MUTUZA, apport de la psychologie dans la formation du juriste, cours qu'il publia en 2006.

* 156 MUTUZA, Ethique et Développement : le cas du Zaïre, p. 44. L'auteur rapporte la fiche d'appréciation en y accompagnant de sa réaction sous formes d'indignation. C'est ici qu'on voit chez Mutuza l'analyse du langage. C'est la philosophie du langage ordinaire et analytique à la manière de Carnap et de ses amis du Cercle de Vienne. On se bat là sur le sens des mots comme si une définition pouvait à elle seule dire ce que sont les choses.

* 157 Idem.

* 158 Ibidem, p. 49.

* 159 Ibidem, p. 54.

* 160 Ibidem, p. 55.

* 161 Ibidem, p. 56.

* 162 C'est une conception anarchiste de la démocratie. La dictature ayant matraqué les esprits, il était donc difficile de concevoir la démocratie sur sa bonne chaise.

* 163 GREGOIRE DE NAZIANZE, Sur la divinité du Fils, PG, XLVI, 557-B.

* 164 MUTUZA, Mon expérience d'homme politique congolais, p. 25.

* 165 Ibidem, p. 147.

* 166 Ibidem, p. 48.

* 167 Ibidem, p. 48-49.

* 168 Idem.

* 169 CAMUS, A., l'Étranger, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1971.

* 170 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 51. Hannibal (247-182 av. J.-C.), général carthaginois, fils d'Hamilcar Barca, dont la marche sur Rome au départ de l'Espagne entre 218 et 217 av. J.-C. reste un des plus hauts faits de l'histoire militaire. Élevé dans la haine de Rome, Hannibal, à l'âge de neuf ans, accompagna son père dans l'expédition carthaginoise visant à conquérir l'Espagne. Entre sa 18e et 25e année, il fut responsable de la réalisation des plans de son beau-frère Hasdrubal visant à étendre et à consolider la mainmise carthaginoise sur la péninsule Ibérique. Hasdrubal ayant été assassiné en 221 av. J.-C., l'armée choisit comme commandant Hannibal qui, en l'espace de deux ans, soumit l'Espagne entre le Tage et l'Èbre, à l'exception de la colonie romaine de Sagonte, prise après un siège de huit mois. Les Romains virent dans cette attaque une violation du traité existant entre Rome et Carthage et demandèrent que Carthage leur remette Hannibal. Le refus des Carthaginois précipita la deuxième (218-201 av. J.-C.) des guerres puniques. En 202 av. J.-C., Hannibal fut rappelé en Afrique pour diriger la défense de son pays contre une invasion romaine dirigée par Scipion l'Africain. Lorsqu'il affronta Scipion à Zama, en Afrique du Nord, ses recrues inexpérimentées désertèrent en masse et se rallièrent aux Romains, et ses vétérans furent anéantis. Carthage se rendit à Rome et la seconde guerre punique s'acheva. Après la conclusion d'un traité de paix avec Rome en 201 av. J.-C., Hannibal prépara aussitôt une reprise des hostilités. Il modifia la constitution carthaginoise, réduisit la corruption au sein du gouvernement et assainit les finances de la cité. Accusé par les Romains de vouloir rompre la paix, il fut obligé de quitter Carthage et se réfugia à la cour du roi de Syrie Antiochos III. À ses côtés, il combattit contre les Romains, mais lorsque le monarque syrien fut battu à Magnésie (Manisa) en 190 av. J.-C. et signa un traité avec Rome prévoyant de livrer Hannibal, ce dernier se réfugia dans le nord de l'Asie Mineure auprès du roi de Bithynie, Prusias II (de 192 à 148 av. J.-C.). Lorsque Rome demanda à nouveau qu'on lui livre Hannibal, celui-ci s'empoisonna.

* 171 MUTUZA, Des Nations sans Etat, troisième partie.

* 172MUSEY, Claude Lévi-Strauss, Anthropologie et communication, Introduction.

* 173 MUTUZA. K., La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 4.

* 174 MUTUZA, Apport des philosophes zaïrois à la philosophie africaine,

* 175 MUTUZA, Dialogue Intercongolais, prolégomènes à une culture démocratique, Editions Universitaires du Kasaï, Kananga, 2002.

* 176 VANIER, J., Accueillir notre humanité, p. 25.

* 177 Ici la tradition signifie ensemble de savoir ou de croyance remontant à un certain passé.

* 178 MUTUZA, Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, p. 11.

* 179 Idem.

* 180 Le Centurion, le Cerf, 1971. Quelle surprise ? Le cerf et l'abeille, cela invite à la méditation. En ces temps-là - pour dire comme une histoire - les éditions du cerf sont venues remplacer l'abeille, la maison d'édition dirigée par les Dominicains à Paris. Cerf et Abeille à Lyon ! Mais l'Abeille est les ruines des cerfs.

* 181 Voir deuxième partie, Chap II, Sect. 3. §2.

* 182 MUTUZA, K., La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 57-58.

* 183 Nous avons lu publiquement ce texte à l'occasion d'une rencontre au CSN, où Citoyen Mutuza trône à la place d'honneur. Mutuza ayant compris la teneur de cette analyse, a quitté la séance choqué et furieux à la fois de tant d'impertinence...et de pertinence dans la critique.

* 184 Ìáíôñáñßäç, ×ñéóôéáíêÞ ÇèéêÞ, Èåóóáëïíßêç, (4ème édition) 1995, p. 17.

* 185 Eth. Nik. B, 1, 1103a, 17-18. Voir aussi . `I. Ìáíôñáñßäç, ×ñéóôéáíêÞ ÇèéêÞ, op. cit. Idem.

* 186DIELS, H., Die Fragmente der Vorsokratiker, Zürich, Berlin 1964, 1, 177, p. 119, et 1, 168, p. 78. . `I. Ìáíôñáñßäç

* 187 Baame est le pluriel de Mwami.

* 188 C'était un lieu de rassemblement et de rencontre, un lieu de palabre et de prise de décisions, un lieu d'accueil et de réconciliation, un lieu d'hospitalité, une oasis de sérénité où se construisaient la paix et la sécurité. On n'idéalise rien. On décris les faits et les bénéficiaires de ces faits en témoignent. Les passants et les visiteurs y étaient accueillis, admis à partager les repas et échanger avec les résidents. « Il était vraiment bon et agréable, comme dit le psalmiste, de se retrouver avec ses frères dans ce lieu.

* 189 MUTUZA, Mon expérience d'homme politique congolais, p. 17.

* 190 Après l'ère newtonienne, la découverte scientifique qui marqua le plus l'éthique fut la théorie de l'évolution élaborée par Charles Darwin. Les découvertes de Darwin fournirent un appui au système nommé parfois éthique évolutionniste que défendait le philosophe britannique Herbert Spencer. Pour celui-ci, la morale n'est rien d'autre que le résultat de certaines habitudes acquises par l'humanité au cours de l'évolution. On doit à Friedrich Nietzsche une interprétation surprenante mais logique de la thèse darwinienne selon laquelle la survie des plus forts est la loi fondamentale de la nature. Le philosophe allemand affirmait que ce que l'on appelle la conduite morale n'est nécessaire qu'aux faibles. La conduite morale -- en particulier celle que préconise l'éthique judéo-chrétienne qui, pour Nietzsche, est une morale d'esclave -- tend à autoriser le faible à empêcher le fort de se réaliser. Pour Nietzsche, chaque action devrait être orientée vers le développement de l'individu supérieur, l'Übermensch (« surhomme ») qu'il appelle de ses voeux et qu'il décrit comme le seul type d'Homme capable de réaliser dans l'avenir les plus nobles possibilités de la vie. Nietzsche trouvait les meilleurs exemples de cet individu idéal dans chacun des philosophes grecs antérieurs à Socrate ainsi que dans les dictateurs militaires tels que Jules César et Napoléon. Opposé à la thèse qui fait de la lutte impitoyable et incessante la loi de la nature, le prince Petr Kropotkine, théoricien anarchiste et réformateur russe, présenta, entre autres, des études sur le comportement des animaux vivant en liberté qui révèlent le rôle de l'entraide dans la nature. Kropotkine soutenait que l'entraide favorise la survie de l'espèce et que les êtres humains ont acquis leur supériorité sur les animaux au cours de l'évolution grâce à leur capacité de coopération. Kropotkine exposa ses idées dans de nombreux ouvrages, parmi lesquels une place singulière revient à l'Entraide (1892) et à une oeuvre inachevée, l'Éthique. Persuadé que les gouvernements sont fondés sur la violence et que leur élimination permettrait aux hommes de donner libre cours à leurs instincts de coopération et d'instaurer un ordre coopératif, Kropotkine défendait l'anarchisme.

* 191 LADRIERE, J., Cité par Mutuza, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, p. 143. Mutuza a écrit : « expression culturelle donné à sa propre.. » ; mais Jean Ladrière a écrit donnée culturelle.

* 192 Quand nous disons que c'est une philosophie qu'il n'a pas compris, il faut entendre par là que Mutuza est indigné de la manière avec laquelle les philosophes des sciences coloniales expliquent les faits sociaux et la pensée des Noirs.

* 193Il suffit d'ailleurs de lire l'introduction de ce livre pour constater le nombre d'allusion à Marx ou plus précisément au marxisme que nous trouvons dans ce seul ouvrage.

* 194 Cfr. Les fondement culturels du fédéralisme, p. 24-31. Voir aussi La problématique du mythe hima-tutsi, p 57-83.

* 195 Europe (mythologie), dans la mythologie grecque puis romaine, belle jeune fille phénicienne, l'une des nombreuses aventures mortelles de Zeus (Jupiter chez les Romains), et dont le nom, qui signifie « au large visage » ou « aux grands yeux », a été donné au continent européen par les Anciens et, à une époque beaucoup plus récente, à l'un des satellites de la planète Jupiter. Europe est fille d'Agénor, roi phénicien de Tyr, et de Théléphassa. Un matin, Zeus l'aperçoit alors qu'elle cueille des fleurs avec des amies au bord de la mer. Il tombe amoureux d'elle et, désireux de se cacher de sa femme Héra dont la jalousie est terrible, prend l'aspect d'un magnifique taureau blanc.

Zeus prend tout d'abord pour épouse l'Océanide Métis, personnification de la Raison et de la Sagesse. Mais, à la suite d'un oracle, il met fin à cette union en avalant la déesse. Il prend ensuite pour épouse la Titanide Thémis, qui incarne la Justice et la Loi divine puis, après quelques autres amours divines (Déméter, Mnémosyne et Léto), il choisit comme reine des dieux Héra, protectrice des femmes mariées. Mais la légende de Zeus est aussi marquée par ses nombreuses aventures amoureuses. Époux volage de la jalouse Héra, il séduit des déesses (telles Éris, déesse de la Discorde et Séléné, la Lune), des nymphes et de nombreuses mortelles. Pour approcher ces dernières, le dieu se métamorphose souvent : en pluie d'or pour s'unir à Danaé, en cygne pour conquérir Léda, en magnifique taureau blanc pour enlever Europe... Il prend aussi l'apparence d'Artémis pour approcher Callisto, l'une des compagnes de cette dernière. Cette fille assise sur le taureau blanc est le symbole qui représente le parlement de l'Union Européenne.

* 196 MUTUZA, K., La problématique du mythe Hima-Tutsi, p. 7.

* 197 TYLOR, E. B, Études sur l'histoire ancienne de l'humanité », p. 40. Voir aussi la Civilisation primitive, p. 13 ; et Anthropology, p. 53.

* 198 MUTUZA, K., La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 8-9.

* 199 Cfr. Sommet du G8 de 2008. Emission télévisée, Euro News.

* 200 La thèse selon laquelle les objets ont des essences peut être fondée comme suit. On est en droit de supposer qu'un objet pourrait ne pas avoir certaines des propriétés qu'il a de fait. Par exemple, Socrate pourrait ne pas avoir été exécuté par les Athéniens en 399 av. J.-C. et mourir paisiblement dans son sommeil quelques années plus tard. Néanmoins, pour pouvoir encore parler de Socrate, on ne peut pas à loisir multiplier les propriétés qui pourraient lui avoir fait défaut. Supposons que quelqu'un suggère que Socrate aurait pu être une girafe et non un être humain. Personne ne contestera que nous aurions alors tout simplement cessé de parler d'une possibilité réelle concernant le Socrate historique. Le Socrate historique -- cet individu en particulier -- ne saurait avoir été autre chose qu'un être humain. C'est pourquoi le fait d'avoir été un être humain appartient à l'essence de Socrate, contrairement au fait d'avoir été exécuté en 399 av. J.-C. D'autres penseurs affirment que chaque objet a une essence individuelle unique. Un cas d'essence individuelle spéciale, mais controversée, appelé « singularité », est la propriété qu'a un objet d'être précisément cet objet. Manifestement, s'il existe des singularités, c'est qu'il y a des propriétés qui ne pourraient faire défaut à un objet.

* 201 Cf. MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 40-42.

* 202 SAINT THOMAS MORE, l'Utopie, trad. par Marie Delcourt, Paris, Garnier-Flammarion, 1987.

* 203 SAINT THOMAS MORE, Ibidem, idem.

* 204 Formation civique et politique comme préalable à la démocratie. Réflexion à partir du cours de « Civisme et Développement » dans l'Enseignement Supérieur et Universitaire du Zaïre, in « La démocratie en Afrique, Colloque de A.P.P.M./ Zaïre- Académie des Professeurs pour la Pais Mondiale, 14-16 décembre 1990, Kinshasa-Zaïre, p. 118.

* 205 Idem.

* 206 TYLOR, E. B., Op. Cit. p. 22.

* 207 MUTUZA, K., Op. Cit. p. 17-18.

* 208 L'idée est que le falsificationnisme de K. Popper pourrait être appliquée ici pour rendre justifiable la scientificité de la réévaluation des concepts telle qu'elle prônée par Mutuza. Pour y parvenir, elle ne fait que fondre les idées de Mutuza une fois celles-ci posée dans l'acide de la méthode de Musey.

* 209 NGOMA BINDA, La philosophie a africaine contemporaine, analyse historico-critique p. 29.

* 210 Le flambeau de l'historicisme était passé de Hegel à Marx ; mais quoique Popper tienne Marx pour un bien meilleur intellect, il ne le considère pas comme un philosophe (pas plus que la grande majorité des historiens ne le considèrent comme historien, ni celle des économistes comme économiste).

* 211 « Il s'agit au-delà de ce qui apparaît ; c'est-à-dire au-delà des phénomènes examiner le noumène, comme disent les philosophes, à la suite de E. Kant » cité par Mutuza à la page 3 de son La problématique du Mythe Hima-Tutsi.

* 212 Mutuza ne sait pas que les sciences sociales sont inductivistes, sa méthode de réévaluation des concepts ne lui permet pas de faire cette quête. Dans leurs méthodes quantitatives, les sciences sociales aboutissent à beaucoup d'erreurs que nous verrons plus tard.

* 213 MUTUZA, K., Op. Cit. p. 17.

* 214 MUTUZA, K., Le dialogue inter-congolais Prolégomènes à une culture démocratique, p. 9.

* 215 David Hume poussait l'empirisme jusqu'à douter de l'identité, de la causalité et de la régularité, qu'il est nécessaire de postuler a priori pour pratiquer la méthode expérimentale. L'historicisme moins radical, permet l'approche expérimentale et non l'empirisme consiste essentiellement à appliquer celle-ci à la théorie sociale. Or, c'est exactement ce que fait Mutuza, malgré sa fameuse évaluation des concepts qui fait la réfutation de la régularité dans les sciences de l'action humaine : il montre que, dans la mesure où l'action des hommes à venir dépend d'une information qui apparaîtra dans l'intervalle, aucune prédiction de l'Histoire à venir n'est logiquement possible. Mais il n'avait pas compris que cette absence de régularité invalide aussi tout « évaluation empirique de la causalité sociale, et que la méthode expérimentale, celle des ingénieurs, est donc inacceptable aux sciences sociale.

* 216 Musey et Mutuza sont tous deux de la méthode de la réévaluation des concepts. Il y a pour Musey deux types de prophétie qui sont essentiellement impossibles à tester. « Le Royaume de Dieu viendra » ou « l'exploitation de l'homme par l'homme prendra fin » n'ont aucun contenu d'information observable. Je peux toujours prétendre que ce type de prophétie a en fait été réalisée, et personne ne peut me traiter de menteur. Citoyen ravale ce genre de prétention au domaine de la fantaisie apocalyptique. De même, l'affirmation « le panafricanisme sera finalement réalisé » ne risque jamais d'être réfutée, à la manière poppérienne, à la fois parce que nous ne nous sentirons peut-être jamais forcés de nous mettre d'accord sur ce qu'est le panafricanisme, et ce que signifie sa réalisation, et parce que même si nous étions d'accord, « confiture demain » demeurerait à jamais compatible avec « jamais avoir confiture aujourd'hui ». Ce truc-là est vieux comme Hérode, et si l'historicisme n'était jamais rien d'autre que la de la prophétie irréfutable, nous pourrions aller vaquer. Mais lorsqu'une prédiction n'est plus métaphysique mais « observationnelle », s'agit-il de l'abracadabra de la prophétie historiciste ou de la prédiction scientifique de la technologie sociale ?

* 217 MUTUZA, K., La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 63.

* 218 L'anthropologue et ethnologue américain d'origine allemande Franz Boas développe dans l'Esprit de l'homme primitif (1911) une critique radicale du concept de « race pure », et de l'opposition traditionnelle du primitif et du civilisé. Les travaux anthropologiques de Boas sont devenus des classiques du genre. Il insistait sur la nécessité de recherches empiriques et descriptives, se méfiant des systématisations et des classifications arbitraires. Par ses contributions extrêmement diverses, il a également démontré la nécessité d'étudier une culture sous tous ses aspects, au nombre desquels il faut compter la religion, l'art, l'histoire, la langue, les caractéristiques physiques du peuple, mais également le poids des expériences individuelles. En montrant que les prétendus « types raciaux » ne sont pas des caractéristiques stables, il aboutit à une critique radicale du concept de « race pure », et de l'opposition traditionnelle du primitif et du civilisé. Il est l'auteur de la Croissance des enfants (1896), l'Esprit de l'homme primitif (1911), Anthropologie et Vie moderne (1928) et Race, langage et culture (1940.

* 1. En médecine, c'est la méthode qui appréhende l'individu comme un tout et traite le corps comme une entité unique et non par organes distincts, en privilégiant les interactions qui unissent le physique et le spirituel. Ainsi la médecine holistique est la plus utilisée en Afrique, chez les Bantu. Actuellement elle est une méthode de santé qui permet de soigner les hommes comme tous étant « normaux ».

* 219 POPPER, K., Misère de l'historicisme, Chapitre 14.

* 220 FOUCAULT, M., les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, 1966.

* 221 La génétique définit l'anomalie comme la modification d'un ou de plusieurs gènes, dans tout ou partie des cellules de l'organisme, responsable d'un trouble, d'une malformation ou d'une maladie. Une maladie congénitale (présente à la naissance) peut être génétique mais non héréditaire (apparue à un certain moment du développement embryonnaire), ou génétique et héréditaire (provenant d'un parent ou des deux), ou encore non génétique (due, par exemple, à une infection de la mère, pendant la grossesse). Certaines anomalies congénitales sont constatées dès la naissance, parce qu'elles sont sévères ou facilement décelables (malformation, par exemple). D'autres existent, fondamentalement, dès la naissance, mais ne se manifestent que pendant l'enfance, voire à l'âge adulte. Les anomalies génétiques peuvent se limiter au niveau d'un gène, infime partie d'un chromosome qui est héritée des parents et qui commande une fonction élémentaire (par exemple, la synthèse d'une des protéines du sang). Elles peuvent aussi toucher la totalité d'un chromosome, qui peut manquer, se trouver en excès, ou présenter une structure anormale : ce sont les aberrations chromosomiques. Elles peuvent être héréditaires ou non.

* 222 Pour Musey, Lévi-Strauss a bien vu la pertinence de l'interdisciplinarité. Et le terme de normal est cher aux anthropologues de la science coloniale, c'est en médecine que ce terme est le plus utilisée. L'organicisme de fonctionnalistes a fait que l'on croit devoir identifier les hommes, isolément pris, comme des membres au même pied d'égalité que les pieds ou les bras, voire les mains dont la séparation d'avec le corps s'avère fatale ; mais un homme se séparant de sa communauté, sa séparation bien que malheureuse, n'est jamais fatale.

* 223 GUDIJIGA, Sociétés et cultures africaines, cours (inédit) UNIKIN, Faculté des Sciences Sociales, Administratives et Politique, p. 13, 2004-2005.

* 224 Le métissage est un concept raciste. Pour ceux dont le français est la première langue, ils y voient la méfiance, c'est-à-dire « vous n'êtes pas moi, pas non plus lui ». Récemment Hillarie Clinton voulait s'y hasarder dans son attaque contre Obama, mais l'opinion américaine s'y était refusée.

* 225 En ce temps là (ôï êáéñï êåéíï), comme on le dit dans la divine liturgie quand on commence chaque lecture de la péricope évangélique. Ce groupe adverbial indique la continuité du temps où l'on se trouve. C'est pour dire qu'il y a une présence évoquée. Cette idée se retrouve chez H. Balthasar dans ses célèbres ouvrages Présence et Pensée ; L'enfer, une question. Le cardinal allemand est sûr d'une présence : celle dont il a pleine conscience.

* 226 Aussi paradoxale que peut paraître l'analogie, il est intéressant de savoir que octoèque vient du grec : ï ê ô ï (okto) : huit et Þêïò (hêkos) : ton, mode ou choeur, c'est-à-dire huit tons de la musique byzantine. Et Paraclitique vient de Ðáñáêëçôïò (Paraclitos) qui signifie consolateur. D'où l'office de consolation selon les huit tons ou modes de la musique byzantine. C'est un paradoxe de croire que La problématique du mythe hima-tutsi fût une consolation pour les Tutsi. Il est vrai que l'analogie est dans l'usage qu'en font les Tutsi comme les fidèles moines de Chévetogne font de l'octoèque.

* 227 Journal Numerica, en sa rubrique Les Documents, supplément des éditions 173 du 31 mai 1999, 174 du 04 juin 1999, p. 1.

* 228 Du jeudi 25 septembre au mercredi 01 octobre 2008, p. .

* 229 MUTUZA, K., Le dialogue inter-congolais Prolégomènes à une culture démocratique, p. 19-20.

* 230 Ibidem, p. 9.

* 231 MUTUZA, K., Ethique et développement, p. 45.

* 232 Mutuza s'interroge souvent du rôle de la Communauté internationale, plus particulièrement de la MONUC dans la résolution de conflits armés. Cette indignation fait que, pour lui, un élément de l'ingénierie sociale peut non seulement redresser les torts et apaiser la souffrance mais contribuer au bonheur de certains. Il pose la question de savoir pourquoi ne doit-on pas aller de l'avant ?

* 233 Un trait majeur de Mutuza est en effet qu'ayant toute sa vie côtoyé de grands anthropologues, au point d'exercer sur certains d'entre eux une influence notoire (Gudijiga, hélas ! et Wingenga,, inévitablement), il n'a jamais appris assez de théorie anthropologique pour éviter que ses écrits politiques ne fourmillent d'erreurs de ce genre qui, même si on admettait sa méthodologie et ses moyens de preuves, ôtent toute pertinence et même toute apparence de sérieux à ses conclusions politiques. Conséquence de son historicisme, ou paresse pure et simple ?

* 234 Mill le libéral, qui ne voulait admettre l'emploi de la force que pour empêcher les gens de porter atteinte aux intérêts les uns des autres, était lui-même en danger de tomber dans un problème compatible avec Mill le socialiste, qui prétendait réorganiser la distribution du produit social, après qu'il avait été attribuer à l'issue d'un processus où des acheteurs et des vendeurs consentants avaient exercé des droits de propriété légitimes.

* 235 MUTUZA, K., Dialogue inter-congolais, Prolégomènes à une culture démocratique, p. 20.

* 236 GUDIJIGA, Sociétés et cultures africaines, p. 50. Cours inédit 2007.

* 237 Dans ces pages du Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, il argumente avec éloquence contre les tentatives pour faire le bonheur des gens : l'homme politique doit se limiter à lutter contre les maux et ne jamais se battre pour des valeurs « positives » ou « supérieurs », telles que le bonheur...

* 238 Si le principe du « dommage », quand même plus rigoureux, de John Stuart Mill, a pu être retourné au point de signifier un appel à l'Etat providence, (car ne pas venir en aide aux gens est leur faire du tort), que n'est-il pas possible de lire dans le « Lutter Contre la Souffrance et Non Pour le Bonheur » de Mutuza ?

* 239 Non seulement la liste de telles exigences demeure ouverte, mais chacune de ces exigences, prise isolément, est susceptible de servir de prétexte à une action coercitive de l'Etat, qui n'aurait d'autre limite que le risque de l'épuisement ou de la révolte des contribuables.

* 240 KIPAMBALA, M.-JFP., Temps et Apocatastase chez Grégoire de Nysse, p. 91.

* 241 MUTUZA, K., La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 85.

* 242 BARAHINYURA, Sh. J., Rwanda, Trente deux ans après la Révolution sociale de 1959, Ed. Izuba Frankfurt am Main, 1992, p. 126.

* 243 Ibidem, p. 130.

* 244 Nous signalons ici que Mutuza n'utilise pas le terme pragmatique dans le sens de la vérité comme utilité. Ce qu'il faut bien voir, c'est que derrière les théories pragmatistes en général, de manière vague et très large, reposant sur une certaine idée d'utilité ou de succès, Mutuza chasse le relativisme et tous ses avatars.

* 245 MUTUZA, K., Le dialogue inter-congolais prolégomènes à une culture démocratique, p, 38.

* 246 Les peuples et les civilisations de l'Afrique, p. 7.

* 247 Idem.

* 248 CRAHAY, F, La diversité des sciences dans l'unité du savoir, p. 5.

* 249 MUTUZA, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, p. 108.

* 250 MUTUZA, Op. Cit, p. 247.

* 251 Etudes zaïroises, p. 14.

* 252 Ethique et Développement, p. 27.

* 253 Ibidem, p. 49.

* 254 POPPER, K., Connaissance objective II, 33- p. 172.

* 255 MUTUZA, K., La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 24.

* 256 Cfr. K. R. POPPER dans La Logique de la découverte scientifique où il s'opposa à l'idée que l'induction soit la méthode qui préside à la constitution de la science. Selon lui, l'induction ne permet ni la découverte ni la confirmation des hypothèses scientifiques. Il soutient que ces dernières ne sont pas formées inductivement, c'est-à-dire à partir de l'observation de régularités, mais sont le fruit de l'imagination créatrice du scientifique. De plus, l'accumulation d'énoncés d'observations particuliers ne suffit jamais à justifier un énoncé général, et les hypothèses scientifiques sont des énoncés généraux.

* 257 MUTUZA, K., Mon expérience d'homme politique congolais, p. 109.

* 258 L'humanité a été humiliée trois fois : avec Copernic Nicolas, on est parti du géocentrisme à l'héliocentrisme, l'homme n'est plus au centre de l'univers; plus tard, Darwin arrive dans le jeu et révèle que l'homme est un des fruits de l'évolution dont l'ancêtre proche est le singe ; récemment, S. Freud a rappelé que l'homme n'est pas le maître de tous ses actes, il y a une part de l'inconscient.

* 259 L'humanisme s'oppose aussi bien au fanatisme religieux qu'à l'étatisme politique, qui voudrait sacrifier l'individu à la raison de l'Etat.

* 260 On peut penser à la faim, au froid et aux maladies.

* 261 Certains philosophes pensent qu'il y aurait une société sans lutte, sans classe, et cependant organisée.

* 262 Atalante, dans la mythologie grecque, fille de Schoenée de Béotie ou de Iasos d'Arcadie. Déçu qu'elle ne soit pas un garçon, son père l'abandonna sur une montagne peu après sa naissance. Elle fut secourue et nourrie par une ourse, puis élevée par des chasseurs. Devenue grande, c'était elle-même une chasseresse habile. L'exploit qui la rendit célèbre fut sa participation à la chasse au sanglier de Calydon, une ville d'Étolie dans le centre de la Grèce. Selon une autre légende, Atalante était une athlète au pied léger qui accepta de se marier avec celui qui la battrait à la course à pied. Ceux qui perdaient étaient tués. Le jeune Hippomène (ou Mélanion) gagna avec l'aide d'Aphrodite, déesse de l'Amour, qui lui donna trois pommes d'or des Hespérides, et, en s'arrêtant pour les ramasser, Atalante perdit la course. Ils furent plus tard tous deux changés en lions en châtiment d'un affront fait aux dieux. Parthénopée, leur fils, se joignit à l'expédition des Sept contre Thèbes.

* 263 MUTUZA, Fondement culturels du fédéralisme au Zaïre, p. 43.

* 264 Cette conception mutuziste de la rencontre est, dans l'original du texte, un pot pourri de latin, de grec et d'hébreu.

* 265 Mutuza se réfère à la lettre que Graeber a reçue en 1841. Dans cette lettre, c'est l'éminence de la rencontre qui y est chantée.

* 266 MUTUZA, Op. Cit., p. 21.

* 267 MUTUZA, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, 84.

* 268 PAPADOPOULOS, T., Op. Cit., p. 22. Voir aussi PAGES, Op. Cit, 54.

* 269 DESROCHE, H., Socialismes et Sociologie religieuse, p. 193, Lettre à F. Graeber, Brême, le 22 février 1841, une adresse grandiloquente où le jeu de mots sont intraduisible (N.D.T.)

* 270 Idem. On nourrit l'entropologie. On la confirme par le mélange hétérogène. Finalement, ces éléments hétérogènes se seront ramenés à leur identité originelle.

* 271 TILLICH, P., Amour, pouvoir et justice, p. 66.

* 272 MUTUZA, Sermons d'un prêtre défroqué, p. 22.

* 273 Ce n'est pas nous qui faisons cette distinction. Ce sont les Blancs et les Tutsi eux-mêmes qui se considèrent comme une race, pas une tribu, à part entière.

* 274 KIPAMBALA, M. J.-F.-Ph., Lumière et vie, p 15.

* 275 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 1.

* 276 Idem.

* 277 CAMUS, A, l'Homme révolté, Paris, Gallimard, 1951.

* 278 Idem.

* 279 Idem.

* 280 MUTUZA, De la problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 39.

* 281 Ibidem, p. 39-40.

* 282 Ibidem., p. 39.

* 283 MUTUZA, K., Mon expérience d'homme politique congolais, p. 48.

* 284 Ibidem, p. 46.

* 285 POPPER, K., Post-scriptum I, préface de 1956, p. 27.

* 286 Le citoyen Kangafu Gundumagana fut Directeur de l'Institut Makanda Kabobi. En juillet 1985, il réagit, en tant censeur à l'idéologie du Parti Etat, à l'ouvrage de citoyen Mutuza. Cet ouvrage était attendu à l'imprimerie. Avec un ton ferme, Kangafu règle ses comptes à Mutuza. Celui-ci de son côté réagit dans une polémique tel un Moore en face de Martin Luther le réformateur allemand.

* 287 MUTUZA, K., Le dialogue inter-congolais prolégomènes à une culture démocratique, p, 38.

* 288 Mutuza ne connaît certes pas bien le terme pragmatique. Nous avions souligné ci-haut que les mots ne l'importent peu. Il est à l'aise à cause de son état d'esprit ouvert à la critique. Il est en effet fort difficile de soumettre à la critique des idées présentées de façons obscure et floue.

* 289 MUTUZA, K., Mon expérience d'homme politique congolais, p. 51.

* 290 Ibidem, p. 49.

* 291 Physique et philosophie, p. 57. Voir aussi Les principes physiques de la théorie quantique, p. 26.

* 292 Complémentarité, p. 31.

* 293 Comment je vois le monde, 27.

* 294 CAMUS, A., l'Homme révolté, Paris, Gallimard, 1951

* 295 Idem.

* 296 EULER, L., Introduction à l'analyse des infiniment petits, p. 148. L'auteur traite de manière analytique et complète l'algèbre, la théorie des équations, la trigonométrie et la géométrie analytique. La faible dispersion spatiale des rayons laser et leur grande précision temporelle permettent de les utiliser pour mesurer des distances, à la manière des ondes radar : les rayons sont envoyés sur des miroirs positionnés sur les sites à cadastrer, par exemple le long d'une faille ou sur les rives opposées d'un océan en expansion. Le temps du trajet aller-retour du rayon laser permet de mesurer les distances au centimètre près. Les satellites utilisent également des altimètres laser pour déterminer l'altitude du relief survolé ou la hauteur des vagues sur la mer. Des miroirs laser ont même été déposés sur la Lune par certains astronautes, et ont renvoyé des rayons laser émis depuis la Terre, permettant de mesurer la distance Terre-Lune avec une précision inégalée : de telles mesures ont mis en évidence la lente dérive de la Lune qui s'écarte de notre planète au rythme de quelques millimètres par an.

* 297 Idem.

* 298 Idem.

* 299 Ce que le Moyen Âge établit, c'est ainsi l'évidence commune à tous les sens. Dans la mesure où sentir, c'est proprement être illuminé, et que cette illumination a pour source une unique lumière, il est possible de parler d'une lumière du goût ou du tact, qui participent d'une même évidence lumineuse que la vue. On peut difficilement comprendre Descartes, chez qui le concept d'évidence est essentiel mais qui ne l'étend pas à un autre sens que la vue, sans ce contexte scolastique dont il est l'héritier beaucoup plus qu'il ne l'affirme. Ainsi, l'évidence est lumineuse et non -- seulement -- visuelle. En accord avec l'optique du XIIIe siècle (Robert Grosseteste, Roger Bacon), on ne parlerait pas ici d'un « tact de la vision » (Descartes, Diderot) mais plutôt d'un « toucher lumineux ». Il y a une sensation de l'évidence ; il y a aussi une évidence de la sensation. Chez Descartes, ce n'est pas l'oeil qui voit, mais l'âme. Ainsi, chez lui, les animaux ne voient pas, à proprement parler. Pour Descartes, sentir, c'est se sentir. Et c'est ce qu'il nomme penser : « il me semble que je vois (videre videor), que j'entends, que je m'échauffe, et c'est proprement ce qui en moi s'appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n'est rien autre chose que penser » (Méditations métaphysiques, II). « Je pense donc je suis » peut ainsi se traduire par « je sens que je pense, donc je suis ». En écho négatif à l'évidence de la sensation, l'erreur ou l'illusion lui seront souvent attribuées.

* 300 À partir de Descartes, le XVIIe siècle développe le problème central de l'erreur, puis le XVIIIe siècle celui de l'illusion. On parle du témoignage des sens. Mais, à côté du lieu commun d'une induction dans l'erreur par le témoignage des sens, on a très tôt souligné que l'erreur n'est pas une catégorie de l'ordre de la sensation. Malebranche rappelle que l'erreur est dans le jugement.

Remarquons toutefois que supposer un faux témoignage des sens repose sur une conception de la sensation comme donné brut, qui se constitue en perception par l'apport du jugement.

Aux XIXe et XXe siècles, dans une démarche analogue à celle de l'humanisme renaissant qui chercha l'essence de l'humain dans ses limites ou au-delà (fous, « sauvages », etc.), on peut noter l'extrême attention de la psychologie et de la physiologie pour toutes les anomalies de la sensation, « erreurs perceptives », déformations, pathologies sensorielles, etc. Dans le même ordre, mais dans une tout autre visée, il faut mentionner les expériences provoquées d'une transformation de la sensation par les drogues (Baudelaire, Rimbaud, Michaux...).

* 301 KIPAMBALA, J. F.-Ph., Temps et Apocatastase chez Grégoire de Nysse, p. 91.

* 302 C'est pourtant sur ce type d'approche que s'appuient des travaux tels que ceux d'Ernst Mach dans l'Analyse des sensations (1886) pour développer un sensationnalisme intégral : « le monde est uniquement constitué par nos sensations ». L'influence de ces thèses est importante, tant en physique (Einstein, Boltzmann, Planck) qu'en philosophie (Russel, William James), en psychologie (Gestalt Theorie) ou encore en littérature (Musil, Hofmannsthal).

* 303 Les techniques modernes d'analyse moléculaire de l'ADN, de l'ARN et des protéines permettent de détecter les mutations et constituent les outils indispensables d'une meilleure approche des pathologies génétiques, mais aussi des autres maladies dans lesquelles des remaniements du génome sont impliqués (comme les cancers). La recherche des mutations, lorsque ces dernières sont répertoriées pour un gène donné, facilite le dépistage d'une maladie héréditaire, permet souvent un diagnostic de certitude et facilite le conseil génétique.

* 304 Action de déconstruire qu'on rencontre chez Aristote dans sa forme active ïßêïäüìçóéò, dans son livre de métaphysique. La notion même de « déconstruction » de l'oeuvre repose sur le postulat que le texte ne possède pas une signification fixe et prédéterminée que l'interprétation pourrait retrouver ; la stratégie déconstructiviste se fonde en outre sur le principe d'une « autocontradiction » inhérente au texte, qui empêche l'émergence d'un sens définitif et cohérent. Né sans doute du décalage entre l'intention de l'auteur et la signification effective du texte, cette « autocontradiction » du texte littéraire est le point de départ de la critique déconstructiviste. Notons que le terme de « déconstruction » renvoie aussi à la pratique critique elle-même, parce qu'elle utilise des concepts inaptes à rendre vraiment compte de la complexité et de l'instabilité du texte littéraire du point de vue du sens.

* 305 Langage, vérité et logique, p. 50

* 306 A la différence de Austin, Mutuza ne veut pas que l'on s'attarde à des définitions. Il pense que le vrai problème philosophique est la pratique de la vertu dans la vie. La vertu s'impose à tous comme la loi morale.

* 307 Nous évitons souvent d'utiliser le mot race qui est biologique à cause des confusions qu'il entraîne en sciences sociales. Cfr. J. Maquet, Op ; Cit., pp 23-27.

* 308 MUTUZA, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, p. 1.

* 309 MUTUZA, La problématique du mythe Hima-Tutsi, p.23.

* 310 SMET retrace l'itinéraire de la pensée africaine dans sa Bibliographie de la pensée africaine, Cahiers Philosophiques Africains, Lubumbashi, pp 39-96, 1972. Cfr. Crahay, Le décollage conceptuel : conditions d'une philosophie bantoue, in Diogène, n° 52, 61-84.

* 311 MUTUZA, Ibidem, p.66.

* 312 Ibidem, p. 67 où Mutuza exagère un peu...

* 313 Nous avons dit que la pensée de Hutu est une pensée géométrique, ce qui nous conduit à Pythagore dont nous connaissons le théorème de géométrie plane, selon lequel, dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés. En d'autres termes, si le triangle ABC est rectangle en A, alors BC2 = AB2 + AC2.Ce théorème tire son nom du mathématicien et philosophe grec Pythagore, qui l'aurait démontré au Ve siècle av. J.-C. Mais cette formule était déjà connue des Babyloniens. Nous avons aussi donné une tablette de calcul babylonien pour rendre témoignage de la mathématicité des peuples sédentaires. Il existe de très nombreuses démonstrations de cette géométrie. Nous en donnons ci-dessous une simple, faisant appel à des décompositions ou découpages dudit théorème.

Considérons un triangle rectangle d'hypoténuse C et de côtés adjacents A et B. La figure 1 indique qu'un carré de côté A + B peut être décomposé en quatre triangles rectangles, un carré de côté A, et un carré de côté B. D'après la figure 2, un carré de côté A + B peut également correspondre à quatre triangles rectangles plus un carré de côté C. Comme les deux carrés de côté A + B ont la même aire, les figures obtenues après avoir enlevé les quatre triangles doivent donc avoir aussi la même aire. L'aire totale des carrés de la figure 1 est égale à A2 + B2, celle du carré de la figure 2 est C2. Par conséquent, A2 + B2 = C2.

* 314 Selon la théorie du big bang, les protons et les antiprotons sont apparus simultanément lors de la création de l'Univers. Pour des raisons non entièrement élucidées, seuls les protons ont survécu aux annihilations protons-antiprotons (il en est de même pour les autres antiparticules constituant l'antimatière). Ces annihilations produisent des particules plus légères, qui sont majoritairement des mésons p. Ainsi, pour observer les antiprotons et les antiparticules en général, il faut les créer artificiellement dans les accélérateurs de particules.

L'existence de cette particule élémentaire a été envisagée dès les années trente. Toutefois, l'antiproton n'est observé pour la première fois qu'en 1955, par les physiciens O. Chamberlain, E. G. Segré, E. C. Wiegand et T. Ypsilantis, dans l'accélérateur de particules de Berkeley, au cours de collisions à haute énergie entre deux nucléons : un nucléon cible et un nucléon accéléré. Ce type de collision ne produit pas uniquement des antiprotons (en vertu de la loi de conservation du nombre baryonique dans les interactions), mais s'accompagne simultanément de la production d'un nucléon (un proton ou un neutron).

* 315 Le diapason est utilisé par les musiciens pour accorder leur instrument : frappé sur une surface dure, il produit une vibration sonore qui leur donne une note de référence, le la, qu'il leur faut reproduire pour jouer avec la plus grande justesse possible. Auparavant, les musiciens s'accordaient les uns par rapport aux autres en se « passant le la » ; mais des variations infinitésimales s'accumulaient qui, au bout du compte, rendaient l'ensemble assez dissonant. Lassé de ce phénomène, le luthiste anglais John Shore met au point le premier diapason en 1711, permettant enfin aux instrumentistes de se référer tous à la même fréquence.

* 316 Au sens hégélien du terme.

* 317 VANIER, J., Accueillir notre humanité, p. 27.

* 318 On arrive ainsi à un foisonnement de nouveaux ensembles et on dit que toute sélection d'un sous-ensemble de cet ensemble final est une structure. Le problème philosophique est alors de justifier la notion d'ensemble, la notion d'élément (notion fort « choisistes ») et d'expliquer la prédominance de certains moyens de construction. La notion de sélection quelconque dans l'ensemble infini résultant est délicate (est-ce que l'ensemble des structures définies ainsi existe, sans provoquer de paradoxe ?). Mais on prend alors ses précautions. Enfin, la troisième époque vient, qui selon nous, est philosophiquement du plus grand intérêt : le primat de l'objet fait place au primat de la fonction. La théorie des catégories, développée par Samuel Eilenberg pour commencer et puis par toutes les mathématiques modernes définissent essentiellement les entités par leurs morphismes, leurs représentations sur d'autres entités. Le structuralisme en mathématiques n'est pas plus qu'ailleurs une doctrine mais un état d'esprit : C'est essentiellement le remplacement de la notion d'ensemble, par la catégorie comme notion fondamentale. Cfr. Leo APOSTEL, Structuralisme et théorie des systèmes, in « Annales de l'Institut de Philosophie », 1970, éditions de l'Institut de Sociologie, Bruxelles, p.163-174.

* 319 Quantité évaluée en unité.

* 320 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 74.

* 321 Pendant la guerre d'agression, certains Congolais se demandaient si Ruberwa ! la raison est simple : il y a-t-il un glossonyme kitutsi auquel Ruberwa appartiendrait ? Pour un Congolais nationaliste et patriote un Tutsi ne peut prétendre être un Congolais d'origine. Alors qu'on ne voit aucun document de naturalisation de Ruberwa, il est fort bien que c'est un étranger. Il est un entier relatif appartenant à un ensemble flou. Et la Constitution de la RDC interdit tout flottement de ses éléments (citoyens)...

* 322 MUTUZA , Ibidem, p. 63.

* 323 Ibidem, p. 66.

* 324 Ibidem, p. 43.

* 325 EULER, L., Introduction à l'algèbre, p. 32. L'ensemble des nombres rationnels forme un corps, appelé corps des fractions rationnelles. En effet, l'ensemble  Q est muni de deux lois de composition interne : la loi additive notée Å et la loi multiplicative notée Ä ; chacune possède un élément neutre (respectivement 0 et 1) et pour chacune d'entre elles, il est possible de définir des éléments inverses : - (p/q) = - p/q est l'opposé de p/q pour la loi additive et q/p est l'inverse de p/q pour la loi multiplicative. L'ensemble Q muni de la loi additive (Q, Å) est un groupe commutatif tel que : p/q Å p'/q' = p'/q' Å p/q

* 326 La puissance est ce qu'on appelle Exposant. Et Mutuza se demande qui a créé Bizima, Bugera et autre James ? Qu'étaient-ils ? D'où viennent-ils ?

* 327 MUTUZA, ibidem, p.29.

* 328 EULER, L., Traité du calcul différentiel, p. 27. Avec le développement de la géométrie est apparu le besoin de créer de nouveaux nombres. Ainsi, la longueur de la diagonale d'un carré dont le côté mesure une unité ne peut s'exprimer à l'aide d'une fraction. Cette longueur est égale à la racine carrée de 2, de symbole . Multipliée par elle-même, cette valeur vaut 2. De même, le quotient de la circonférence d'un cercle par son diamètre n'est pas un nombre rationnel, mais vaut p = 3,1415... Ces nombres sont dits irrationnels. La vie d'une communauté forestière est troublée par les pratiques sataniques qui ont lieu dans la sinistre vallée des grands lacs africains. C'est le romantisme qui a élevé l'horreur au rang de catégorie artistique.

* 329 Cfr. Sermons d'un prêtre défroqué, sur l'Incarnation de Verbe. Ici on voit que Mutuza a l'influence de la théologie trinitaire, c'est pourquoi il désigne l'amour du Fils Monogène et consubstantiel au Père et à l'Esprit par le terme de Transcendant.

* 330 Chez Aristote on découvre le principe monadique appelé centsðüöáíóéò du ìïíáäéêü?, Métaphysique, I,10a.

* 331 La grande majorité des publications de Liouville concerne l'arithmétique. Le monde mathématique retiendra surtout sa démonstration du théorème suivant qui porte son nom : si l'irrationnel x est racine d'une équation algébrique de degrés n, il existe une constante A(x) telle que pour tout rationnel p / q. Ce théorème, bien que non définitif, permit d'obtenir des nombres transcendants qui furent appelés nombres de Liouville, de la forme où les an sont des entiers naturels quelconques inférieurs à 9. Liouville travailla également sur les fonctions d'un entier n liées aux diviseurs de n, sur les décompositions de n en somme de carrés, ou encore sur les nombres premiers congruents (voir Nombres, théorie des).

* 332 C'est à Abel, que l'on doit la notion de nombres algébriques, qui sont des solutions d'équations polynomiales à coefficients entiers (? est algébrique puisqu'il est solution de x2 - 2 = 0, alors que le mathématicien français Charles Hermite (1822-1901) a démontré que le nombre réel e n'était pas algébrique).

* 333 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 23.

* 334 Ibidem, p. 22.

* 335 Ibidem., p. 23.

* 336 Idem.

* 337 Paraclitique vient du grec ðáñáêëéôïò, consolateur. Le livre de Mutuza devient de ce fait un office de consolation des peuples affligé parce qu'il leur permet de comprendre leur situation à cause de ceux qui les menacent, malheureusement ils se réclament les leurs sans êtres des leurs.

* 338 MUTUZA, Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, p.11. L'auteur nous fait pensée au cri des Nègres.

* 339 Nous nous inspirons ici de la méthode de l'archimandrite ANTONIO, R., Le lucernaire, p. 10.

* 340 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 43.

* 341 CORNELIUS LONGUS, Anthologie grecque, Paris, Garnier, I, p. 131.

* 342 Cet aspect est bien développé à la deuxième partie de ce travail, au chapitre deuxième, section 1,  §2.

* 343 Dans les conceptions de la biologie aristotélicienne la valeur de l'ascension qui est chose rare ressemble à l montée platonicienne que Grégoire de Nysse appelle Épectase et que lui-même Aristote nomme áêñßâåéá êáé äýíáìéò dans Métaphysique II, 7ac.

* 344 Musey situe cette conception de l'octave dans la symphonie.

* 345 N'SANDA WAMENKA, Op. Cit. pp. 37.

* 346 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 23.

* 347 Ibidem, pp. 23-24.

* 348 FRALUCA PACIOLI, De divina proportione, p. 48. Voir aussi LEONARD de Pise (Fibonacci), Liber Abbaci, p. 19.

* 349 EULER, L., Introduction à l'analyse des infiniment petits, p. 87. Cet Euler est le premier à traiter de manière analytique et complète l'algèbre, la théorie des équations, la trigonométrie et la géométrie analytique. Dans ce travail, il traite du développement en séries des fonctions et formule la règle selon laquelle seules les séries infinies convergentes peuvent être correctement évaluées. Il discute aussi des surfaces à trois dimensions et prouve que les sections coniques sont représentées par l'équation générale du second degré à deux variables. D'autres travaux traitent du calcul infinitésimal, dont le calcul des variations, de la théorie des nombres, des nombres imaginaires et de l'algèbre déterminée et indéterminée. Euler donne aussi des contributions dans les domaines de l'astronomie, de la mécanique, de l'optique et de l'acoustique.

* 350 Ce processus itératif qui définit la notion de successeur est le schématisme transcendantal sous-jacent rituel.

* 351 Idem.

* 352 LEONARD de Pise (Fibonacci), Liber Abbaci, p. 19. La multiplicité est engendrée par répétition comme le divers prolifère et est maintenu par la répétition rituelle du mythe.

* 353 FRA LUCA PACIOLI, De divina proportione, p. 77. Ce schéma de construction témoigne des recherches entreprises par le Léonard de Vinci sur les règles mathématiques régissant l'harmonie des proportions et notamment de son intérêt pour les travaux du mathématicien Luca Pacioli.

* 354 STRADIVARI, A., la lingua franca, p. 12.

* 355 Tablette babylonienne. Argile. Musée de Bagdad (Irak).

* 356 Mutuza, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 25.

* 357 N'SANDA WAMENKA, Récits épiques des Lega du Zaïre, Tome 1, p. 9.

* 358 POPPER, K., Quête inachevée, VII, p. 28.

* 359 Idem.

* 360 MUTUZA, K., La problématique du mythe Hima-Tutsi, p. 16.

* 361 Cfr. Supra.

* 362 Ibidem, p. 26.

* 363 Dans la division du travail des Tutsi, les veilles personnes n'ont pas assez d'importance. Elles ne sont pas des bibliothèques comme chez les Hutu (Bantu) dont la pensée géométrique permet de considérer ceux qui la détiennent comme des bibliothèques vivantes et dont la mort causerait beaucoup de dommages à la communauté qui a encore besoin de maitriser les cartographies terriennes.

* 364 NIETZSCHE, F., Gai Savoir, 66. La libre maîtrise de soi doit aller de pair avec un certain laisser-aller : « Car il faut savoir se perdre de vue pour longtemps, si l'on veut apprendre quelque chose des réalités que nous ne sommes pas nous-mêmes ». Mais les « grands messages » demeurent « dans la douleur de l'humanité ».

* 365 Gambembo est professeur de Métaphysique à l'UNIKIN, il est un très éminent et fut un haut dignitaire à l'Institut Makandakabobi sous le Marechal Mobutu. Nzege est, lui aussi professeur de l'histoire de la philosophie moderne à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de L'université de Kinshasa, il est actuellement sénateur du groupe parlementaire de l'AMP.

* 366 Cfr. NGOMA-BINDA, Philosophie africaine contemporaine, pensée et pouvoir, Thèse de doctorat en philosophie, juillet 1985, p. 4, Inédit.

* 367 MUSEY nous le dit d'une manière inconsidérée. Il ne prend pas soin de décrire tous les éléments d'une succession et toutes les caractéristiques successorales. Mais OPPENHEIMER J. R. dans la Science et le Bon Sens, trad. par Albert Colnat, Paris, Gallimard, 1955, nous raconte « qu'à mesure que de nouveaux engins de destruction, de terreur collective, viennent accroître la férocité de la guerre totale, nous comprenons que l'un des buts et des problèmes spéciaux à notre temps est d'accorder l'éternelle préoccupation d'améliorer le sort de l'homme, de soulager la faim, la pauvreté et la misère à la nécessité impérieuse de limiter et d'éliminer le plus possible le recours à la violence organisée entre les nations. La destruction toujours plus experte de l'esprit humain par la puissance de la police, plus perverse, sinon plus affreuse que les ravages dus à la nature elle-même, est un autre de ces pouvoirs qu'il vaudrait mieux n'avoir jamais à utiliser ». Il met l'accent sur l'homme et lui seul.

* 368 MUTUZA, K., Le dialogue inter-congolais, prolégomènes à une culture démocratique, p. 48.

* 369 Idem.

* 370 PAPADOPOULOS, Th., Poésie dynastique du Ruanda et Epopée Akritique, p. 2.

* 371 JAVIERRE, El tema literario de la sucesion, Prolegomena para el estudio de la sucesion apostolica, Zurich, Pas Verlag, 1963, p. 111-162.

* 372 Platon restant celui qui a le plus clairement exprimé ce désir dans l'Antiquité, Le Banquet, p. 206-208. Voir dans JAVIERRE, El tema...p. 150-157, la résonance antique d'un tel point de vue.

* 373 MUTUZA, Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, p. 23.

* 374 Ibidem, pp. 23-24.

* 375 MUTUZA, La problématique du mythe Hima-Tutsi, p. 29. Voir le même auteur, Le dialogue intercongolais, prolégomènes à une culture démocratique, p. 10.

* 376 Nous avions vu que Mutuza a lu Hegel et Marx, c'est ainsi que beaucoup de leurs critiques se trouvent être pris en compte par lui.

* 377 Heine, Heinrich (1797-1856), poète et critique allemand, auteur du Livre des chants (1827), dont l'oeuvre, polémique à l'égard des institutions politiques et religieuses de son pays, a redéfini la notion même de romantisme.

* 378 Mutuza a encadré Elongo Vicky qui vient d'obtenir un doctorat en Journalisme.

* 379 MUTUZA, Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 22.

* 380 LEVI-STRAUSS, CL., Tristes tropiques, Plon 1955, p. 477-478. Voir aussi du même, La Pensée sauvage, Plon 1962, 26 et les Mythologiques, IV. L'Homme nu, Plon 1971, 620-621, où l'on trouve le vocabulaire de « dissolution » et de « caducité » pour parler du résultat final de la culture et de l'humain.

* 381 Populations du District de la Tshangu dans la capitale congolaise. Cette population habite au-delà de la rivière Nd'jili sur la route qui mène à l'aéroport du même nom. Cette brave population a montré à celui que les Congolais appellent M'zee Laurent Désiré Kabila une sympathie et un soutien extraordinaire et inouï en attaquant les insurrection-aires de la coalition rwandaise

* 382 MUTUZA, K., Op.cit., p. 42-43.

* 383 Ibidem, p. 85.

* 384 Une guerre s'est abattue sur la ville de Kinshasa. J'ai perdu tous mes biens. Quelque jours après ces émeutes l'on entendait Ruberwa répéter son refrain : Minembwe doit devenir un territoire. Pourquoi Minembwe doit devenir un territoire ? Pauvre Minembwe qui héberge des malheureux ...qui attendent la bonne foi...pour l'asile ! Quel dommage Ruberwa cause à ce pauvres ?

* 385 MUTUZA, La problématique du mythe Hima-Tutsi, p. 4.

* 386 Selon laquelle la nature humaine est identique en tous lieux et en tous temps.

* 387 LEVI-STRAUSS, Cl., Mythologiques IV, 621.

* 388 MARX, K., Manuscrit de 1844, Economie politique et philosophie, traduction Botticelli, Editions Sociales, Paris 1962, 87-89.

* 389 MUTUZA, Apport de la psychologie dans la formation du juriste, Edition 2010, p. 102. Voir aussi Sigmund FREUD, Malaise dans la civilisation (1929) PUF 1971, 76-78.

* 390 DELEUZ, G., Nietzsche et la philosophie, PUF 1970, 213-223 et Henri de LUBAC, L'affrontement mystique, Paris 1949, 158-167.

* 391 Ancienne mesure de longueur d'à peu près 50 centimètres, dont la base était la distance comprise entre la pointe du coude et celle du majeur (vieilli)

* 392 Poésie dynastique du Ruanda et l'Epopée Akritique, p. 5.

* 393 Idem.

* 394 Dans le cas sous examen le souverain est dieu lui-même. Il n'y a pas de ministres intermédiaires. Le Roi est dieu, celui-ci est dieu s'il est Roi.

* 395 LEVI-STRAUSS, C., Les structures de la parenté, p. 43.

* 396 Les peuples et les civilisations de l'Afrique, p. 27.

* 397 KIPAMBALA, J.F.-Ph, Technique du corps : tête, membres et gestes sexuels, Travail de fin de cycle en anthropologie 2004-2005, UNIKIN, p. 2

* 398 Idem.

* 399 PAPADOPOULOS, Th., Poésie dynastique du Ruanda et Epopée akritique, p. 5.

* 400 MUTUZA, K., op. cit., p. 3.

* 401 BAUMANN, H. et WEASTERMANN, D., Les peuples et les civilisations de l'Afrique, p. 48.

* 402 TILLICH, P., Amour, pouvoir et justice, p. 11, avec des analyses ontologiques et applications éthiques

* 403 KANT, E., Projet de paix perpétuelle, Ier Supplément, VIII, 363, 3°.

* 404 HADDAD, A., Pistes de réflexions sur : IV L'agression hamito-nilotique, p. 77 où l'auteur dit que certains peuples commandent aisément à leur bras qu'à leur coeur : arme et Dieu.

* 405 Ces considérations ont été à la base des postulats selon lesquels c'est la minorité qui dirige et c'est elle qui développe l'instinct polémogène. Et comme lesTutsi comptaient un grand nombre de militaires et dont la lignée royale avait l'imperium sur le reste des populations parce que minoritaires. Erreur !

* 406 Ce que l'on ne rencontre pas chez les Tutsi.

* 407 EULER, L., Introduction à l'analyse des infiniment petits, p. 235.

* 408 La fonction exponentielle intervient dans la résolution de nombreux problèmes, en particulier dans les phénomènes physiques dépendant de deux variables x et y, caractérisées par un taux de variation Äy / Äx proportionnel à y.

* 409 EULER, L., Introduction à la théorie de la nature, p.18.

* 410 Asymptote, droite associée à une courbe, telle que la distance d'un point de la courbe à cette droite tend vers zéro lorsque le point s'éloigne à l'infini de la courbe. D'après la définition de l'asymptote, la courbe et la droite ne peuvent donc se croiser à partir d'une certaine distance mesurée sur l'asymptote. Sur la figure 1, les droites d'équations x = 0 et y = x sont respectivement des asymptotes verticale et oblique du graphe d'équation y = x + 1/x. L'axe des x et l'axe des y sont respectivement des asymptotes horizontale et verticale du graphe de l'hyperbole y = 1/x. On trouve parfois des asymptotes horizontales sur les graphes représentant la croissance d'une population lorsqu'un facteur, tel qu'une quantité restreinte de nourriture, inhibe cette croissance (voir figure 2). On représente souvent ce type de croissance par la fonction :

* 411 EULER, L., Ibidem, 19.

* 412 Centré se réfère à la prise de décisions. Même dans les grandes démocraties, le chef a aussi une responsabilité, celle d'être le vrai guide.

* 413 MUTUZA, Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, §3, p. 51-53.

* 414 Ces propos sont ceux que l'on entend dans le film : Lumumba, épisode de la Table ronde.

* 415 Dans cette épisode du film Lumumba, on comprend facilement ce que pensaient les Belges des Congolais.

* 416 Traduction Grapin, Aubier 1946, §3.

* 417 MUTUZA, Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, p. 9 ; Fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, p. 51.

* 418 MUTUZA, Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, Idem.

* 419 La Phénoménologie de l'esprit, trad. Hyppolite, Aubier 1941, Préface, p. 29.

* 420 MUTUZA, Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, p. 48.

* 421 Imperturbable cependant, notre pratique démocratique des communautés pose donc en termes subversifs par rapport à la nature hiérarchique du pouvoir dans les colonies le problème délicat et irritant des nos chefs coutumiers. La subversion existe à deux « niveaux » : le premier niveau est que tout membre de la communauté pouvant être mené à exercer un pouvoir en son sein, il va de soi que toute règle excluant un(e) particulier(e) de tel ou tel fonction ou degré apparaît en contradiction avec l'égalité démocratique... Et le second « niveau », où apparaît la pratique démocratique des communautés n'est pas moins subverti. Mutuza parle de la communauté s'auto-gérant, l'idée même d'un chef qui leur serait envoyé de l'extérieur, par une autorité supérieure, apparaît complètement invraisemblable. D'où le schéma institutionnel de Bwami.

* 422 MUTUZA, Sermons d'un prêtre défroqué, p. 25. Voir du même, Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, p. 15.

* 423 MUTUZA, Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, p. 49.

* 424 La bataille entre les Centaures et les Lapithes a fourni à la sculpture grecque classique un très beau sujet, figurant la lutte entre la sauvagerie et la civilisation. Les Centaures sont ainsi les héros du bas-relief de Michel-Ange, Combat des Centaures (1492). On les retrouve également dans de nombreuses oeuvres picturales : Déjanire enlevée par le Centaure Nessus (1620-1621) de Guido Reni, Combat des Lapithes et des Centaures (XVIIe siècle) de Rubens, l'Éducation d'Achille par le Centaure Chiron (1783) de Jean-Baptiste Regnault, etc. Le thème a également inspiré des sculpteurs, tel Antoine Bourdelle (Centaure mourant, 1914).

* 425 JASPERS, K., Nietzsche et le christianisme (trad. Jeanne Hersch) Minuit 1949, 55-99 ; 1026103, H. de LUBAC, Nietzsche le mystique, dans Affrontements mystiques, Edition du Témoignage chrétien, Paris, 1976, 171-173.

* 426 NIETZSCHE, F., Ainsi parlait Zarathoustra, p. 54.

* 427 MUTUZA, La problématique du mythe Hima-Tutsi, Epigraphe (Voisin) !

* 428 OVERDULVE, C-M., Fonction de la langue et la communication au Ruanda. L'auteur est né en 1929 ; pasteur des Eglises Réformées aux Pays-Bas depuis 1957, et pasteur-missionnaire de l'Eglise Presbytérienne au Ruanda de 1961 à 1971 et de 1982 à 1988, de 1987 à 1994, professeur de théologie pratique à la Faculté de Théologie Protestante de Butare au Rwanda.

* 429 Albert Chapelle a rappelé ce point dans Pour la vie du monde, pp. 262-270.

* 430 Cfr. VALADIER, P., Nietzsche et la critique du christianisme, pp. 290-291.

* 431 Cfr. Nietzsche qui nous donne la triade évolutive sur le plan individuel : âne, lion et super-homme.

* 432 N'SANDA WAMENKA, Récits épiques des Lega du Zaïre, p. 34.

* 433 Cette présentation est clairement exposée à la préface de Des Nations sans Etat à l'Etat sans Nation. Mais Quand on s'attèle à la vision de Ngoma Binda sur l'oeuvre de Mutuza on s'aperçoit que l'on est déjà dans une réduction opératoire : « De même le professeur Mutuza Kabe a rassemblé une demie douzaine d'articles publiés, ça et là, sur l'histoire des peuples des Grands Lacs et sur les concepts de développement, de sous développement, de civilisation, etc. ». (in La formation civique et politique...p. 118. Jugement malhonnête et maladroit. Une chose est de dire que Mutuza a réfléchi sur les Pays des Grands Lacs, une autre est d'affirmer ce que Ngoma Binda fait péremptoirement et présomptueusement.

* 434 NGOMA BINDA, La formation civique et politique comme préalable de la démocratie, p. 118. Ses positions si importantes soient-elles ne sont qu'historicistes et renferment de bonnes intentions d'un citoyen de bonne formation mais ne se situent pas dans une théorisation bien encragée pour que ses intentions ne fourmillent des énoncés ad hoc.

* 435Nous prenons la race comme une notion en raison de sa corrélation avec l'idée abstraite de différenciation des hommes qui semble être fruit d'une construction intellectuelle. Nous pourrions même dire que le substantif race est un concept. Mais n'ayant pas pour seule caractéristique de principe général ou d'idée directrice (de quelque chose), ou encore d'idée (de produit ou de service) développée par un entrepreneur ou comme représentation mentale (de quelque chose) réduite à l'essentiel, nous tenons pour notion l'idée de race.

* 436 Que l'on ne nous tienne pas rigueur à cause de l'usage du mot primitif dont les plaies ne sont pas encore bien cicatrisées depuis les blessures par l'anthropologie traditionnelle et coloniale. Primitif est ici utilisé dans le sens d'authentique tel que Bergson l'utilise dans Les deux sources de la morale et de la religion, p. 133 Où il est dit que «  sous l'influence de circonstances accidentelles, tandis que le progrès de la technique, des connaissances, de la civilisation enfin, se fait pendant des périodes assez longues dans un seul et même sens, en hauteur, par des variations qui se superposent ou s'anastomosent, aboutissant ainsi à des transformations profondes et non plus seulement à des complications superficielles. Dès lors on voit dans quelle mesure nous pouvons tenir pour primitive, absolument, la notion du tabou que nous trouvons chez les « primitifs » d'aujourd'hui ». Autres références chez CAZENEUVE, in Traité de Sociologie (sous la direction de G. Gurvitch), t. II, 1960, p. 426, n. 1. Mais seulement quand Bergson parle de la présence primitive sous la surface de la société civilisée, revêt ce terme d'un sens moral péjoratif inacceptable en science anthropologique.

* 437 Dans cette étude, nous sommes en face de deux civilisations : pastorale et agricole. Le danger est d'autant plus grand pour la pastorale que pour l'agricole. Nous le verrons dans la suite.

* 438 Nous avons dit que Mutuza a lu Hegel, Marx, Lessing, Kipling... le marxisme reviendra de temps en temps dans cette problématique de la différence. Et comme historien, Mutuza se révèle autrement sur l'analyse de la différence que Maquet et Papadopoulos. S'il est avec Marx c'est pour démontrer les faits sociaux et les phénomènes qu'ils renferment. Il est rarement d'accord avec Hegel, mais la méthode de l'auteur de La phénoménologie de l'esprit est déterminante.

* 439 áñéèìüò, nombre dans le sens où l'on peut dire de Áñéèìçôéêüò pour désigner le nombre arithmétique, c'est d'ailleurs, dans le pythagorisme, synonyme de ìáèçìáôéêüò áñéèìïò, nombre mathématique ou ìïíáäéêïò nombre formé d'unités, mais s'oppose à åßäçôéêïò, nombre idéal ; áßóèçôïò, nombre sensible qui s'oppose à íïçôïò áñéèìüò, nombre intelligible ; áñéèìüò ôëåéïò, nombre parfait (c'est-à-dire ì÷ñé äåêÜäïò, dans les limites de la Décade) ; áñéèìüò ðñùôïò...

* 440 Selon Voltaire, « jamais il ne fut peut être un esprit plus sage, plus méthodique, un logicien plus exact que Locke ; cependant, il n'était pas un grand mathématicien ». L'allusion est lourde de sens. Descartes est un grand mathématicien et son oeuvre est également un événement décisif dans l'histoire des idées. Il y a une différence fondamentale de « tempérament philosophique » entre Descartes et Locke. On souligne le caractère essentiellement politique du second. Celui-ci veut être utile à l'existence sociale des hommes. Descartes, lui, cherchait la vérité pour son propre compte et en solitaire. S'il expose sa méthode dans le Discours de la méthode « en espérant qu'elle sera utile à quelques uns », il lui suffit, en réalité de savoir « qu'elle ne sera nuisible à personne ». Même les préoccupations les plus concrètes et presque médicales de Descartes sur l'homme incarné ne débouchent jamais sur l'existence sociale, problématique de la philosophie. Mais, ici, c'est sa méthode nous intéresse, bien au contraire.

* 441 Infinitésimal, calcul, branche des mathématiques recouvrant le calcul différentiel et le calcul intégral. Le calcul différentiel étudie les propriétés locales des fonctions pour des variations infiniment petites des variables, tandis que le calcul intégral s'intéresse au calcul des primitives et intégrales, ainsi qu'à la résolution d'équations différentielles. Le calcul infinitésimal est d'une importance fondamentale dans la plupart des domaines de la science. Le calcul infinitésimal est issu de la géométrie grecque de l'Antiquité. Au Ve siècle av. J.-C., Démocrite calcule ainsi les volumes des pyramides et des cônes en considérant ces solides composés d'un nombre infini de coupes transversales d'épaisseur infinitésimale (infiniment petite). De même, Eudoxe de Cnide et Archimède emploient la méthode d'exhaustion pour déterminer l'aire d'un disque, en l'approchant par des polygones inscrits et circonscrits. Toutefois, les Grecs ne font qu'effleurer la théorie du calcul infinitésimal, freinés par les paradoxes de Zénon d'Élée et les problèmes que posent les nombres irrationnels. Ces recherches ne sont reprises qu'au début du XVIIe siècle, tout d'abord par le jésuite et mathématicien italien Cavalieri. Ce dernier étend l'usage des quantités infinitésimales en élaborant sa théorie des indivisibles, qui considère une surface comme constituée d'un nombre infini de lignes parallèles à une direction, appelées indivisibles de la surface. Mesurer l'aire de cette surface consiste donc à effectuer la somme de ces indivisibles. En France, Fermat puis Descartes ont recours à la géométrie analytique pour déterminer des aires et des tangentes à une courbe. Fermat invente notamment une méthode pour déterminer les maxima et minima de certaines fonctions : sans le savoir, il manipule ainsi le concept de limite qui ne sera défini qu'au XIXe siècle. De son côté, le mathématicien et théologien anglais Barrow établit le lien entre le problème des tangentes et le problème inverse du calcul des aires, montrant que ces deux procédés sont intimement liés. Mais les véritables fondateurs du calcul infinitésimal moderne demeurent Newton et Leibniz, qui, dans les années 1660 et 1670, démontrent notamment le théorème fondamental stipulant qu'intégration et dérivation sont des opérations inverses. Le développement des techniques de calcul par Newton, inspirées par ses travaux en physique, précède en fait les résultats de Leibniz, mais Newton tarde à publier ses conclusions. Finalement, ce sont les notations de Leibniz qui sont adoptées, comme les symboles ? pour les intégrales et df/dx pour les dérivées. Le XVIIIe siècle voit s'élargir le champ d'application du calcul différentiel et intégral. Cependant, en raison d'une utilisation imprécise des quantités infinies et infinitésimales, et du recours à l'intuition en géométrie, confusion et polémiques règnent encore au sujet des fondements de ce calcul. Ce n'est qu'au XIXe siècle que les analystes remplacent ces vagues concepts par des notions solides et rigoureuses, fondées sur des quantités finies. Bolzano et Cauchy définissent ainsi avec précision les limites et les intégrales ; Riemann développe ensuite une théorie de l'intégration plus générale que celle de Cauchy. En 1874, Weierstrass construit à partir de séries particulières une fonction continue mais dérivable en aucun point, prouvant ainsi que si les fonctions dérivables sont continues, la réciproque se révèle fausse. Au XXe siècle, les progrès de l'analyse légitiment complètement les quantités infinitésimales.

* 442 Les applications sont des  opérations mathématiques qui mettent en correspondance deux ensembles d'éléments, telle qu'à tout élément de l'ensemble de départ soit associé un et un seul élément de l'ensemble d'arrivée.

* 443 EULER, L., Introduction à l'analyse des infiniment petits, p. 78.

* 444 Les peuples et les civilisations de l'Afrique, p. 215.

* 445 Ibidem.

* 446 BAUMANN, H. et WESTERMANN, D., Les peuples et les civilisations de l'Afrique, pp. 215 sqq.

* 447 PAPADOPOULOS, Th., Poésie dynastique du Ruanda et Epopée Akritique, p. 8. L'auteur épouse les vue de K. OBERG, dans African Political systems, p. 122.

* 448 PAPADOPOULOS, Th., Op. Cit., pp. 9-10. Voir aussi M. C. FALLER, The Eastern Lacustrine Bantu, pp. 14-16.L'absence des preuves linguistiques invoquée par l'auteur ne constitue pas un critère décisif en face des preuves intrinsèques fournies par les données culturelles et sociales qui opposent les systèmes sociaux des Chamite et Bantu. Le processus culturel peut, au contraire, expliquer l'assimilation linguistique des éléments raciaux chamites, entraînant naturellement l'absence de données linguistiques chamites chez les royaumes en question. L'importance panafricaine de la pénétration chamite a été indiquée par G. SPANNAUS, dans In Memoriam Karl Weule, 1929, pp. 181- 195. Voir aussi Père PAGES, Un royaume hamite au centre de l'Afrique, pp. 72-93 où il expose les origines en rapport uniquement avec les traditions orales mais n'éclaire pas suffisamment les origines chamitiques du royaume.

* 449 Il faut distinguer le processus de la pensée et l'objet de la pensée.

* 450 Cité par M. GODELIER : « Notion du mode de production asiatique ». Cahiers du CERM.

* 451 Cfr. MUTUZA, Le Bwame, la superstructure de la société lega, frein ou moteur au développement, p. 18. Voir aussi le même auteur, Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, p. 10.

* 452 Il s'agit de ce que DURKHEIM a appelé la division du travail social qu'il ne faut pas confondre avec la

division technique du travail ou spécialisation.

* 453 Un des points les plus difficiles sur lequel Mutuza se base est la considération biologique de la race. L'on se demande jusqu'où l'on va en acceptant de confondre ethnie et race. Si tous les Banyarwanda sont d'une même ethnie, leur différenciation raciale devient très problématique du fait que l'hybridation est très en vogue à cause de leur métissage des mariages.

* 454 Nous avons vu dans la première partie, §2., note 2. Comment on accédait aux charges du mwami.

* 455 LEROI-GOURHAN, A., dans Évolution et Techniques, pense que si le nom des Songhaï apparaît pour la première fois à la fin du XVe siècle dans un texte d'al-Magili, l'existence de proto-Songhaï, évoquée dans les traditions orales, remonterait au VIIe siècle avec la première dynastie des Dia. Les Songhaï se seraient constitués dans le Dendi (région de Niamey) en amalgamant des éléments mandé, « voltaïques » (Kurumba et Gourmantché), des pêcheurs Do puis Sorko, des chasseurs Gaw, et, plus tard, des éléments sahariens (Touareg et Maures). Tout d'abord petite communauté de la région de Gao (Mali) au XIe siècle, vassale de l'empire du Mali, les Songhaï ont profité de la pression des Touareg sur les territoires maliens du Sahara pour agrandir leur empire. La création de l'Empire songhaï est l'oeuvre de Sonni Ali Ber dont le royaume de Gao a pris les dimensions d'un empire qui a dominé le Soudan sous la dynastie des Askia, celle-ci ayant pris fin en 1591. Ils doivent leur essor à la mise en place d'une administration centralisée et à la maîtrise des voies de communications entre la forêt, la savane et le Sahara (commerce avec le monde arabe), grâce à la constitution d'une cavalerie utilisable en saison sèche et à une flotte de grosses pirogues capables d'évoluer dans la plaine d'inondation pendant la saison des pluies.

* 456 MUTUZA, Les fondements culturels du fédéralisme au Zaïre, p. 37.

* 457 LEROI-GOURHAN, A., L'homme et la matière, p. 534.

* 458 LEROI-GOURHAN, Evolution technique, p. 23.

* 459 Il est aussi à dire que la garde des troupeaux est réservée aux adolescents à cause de leur habileté et vigueur.

* 460 Il est à noter que du fait de l'absence de leur langue, les Tutsi ne se reconnaissent que par les liens biologiques qui, d'autre part sont difficiles à établir à cause des métissage et hybridations fréquents entre Hutu et Tutsi.

* 461 Il y a des contrats très significatifs dans le Droit Coutumier.

* 462 Selon la théorie de Lévi-Strauss à propos de la prohibition de l'inceste.

* 463 MAUSS, M., Essai sur le don, p. 67. Il met ainsi en évidence le rôle central d'une forme de don (le potlatch) chez certaines populations nord-américaines. Étendant son hypothèse aux sociétés antiques (Une forme ancienne du contrat chez les Thraces, 1921), il formule l'idée selon laquelle le potlatch serait la forme fondamentale de l'échange, qui se serait progressivement dégradée dans les sociétés modernes ; c'est l'Essai sur le don, forme archaïque de l'échange (1923-1924), ouvrage qui rassemble une somme considérable de données ethnographiques et historiques, et qui vaut à Marcel Mauss la célébrité.

* 464 Chez les Tutsi nous avons le poète des poèmes royaux, de la poésie dynastique.

* 465 « Voilà le problème auquel nous nous attachons plus spécialement tout en indiquant les autres. Nous espérons donner par un assez grand nombre de faits, une réponse à cette question précise et montrer dans quelle direction on peut engager toute une étude des questions connexes. On verra aussi à quels problèmes nouveaux nous sommes amenés : les uns concernant une forme permanente de la morale contractuelle, à savoir : la façon dont le droit réel reste encore de nos jours attaché au droit personnel ; les autres concernant les formes et les idées qui ont toujours présidé, au moins en partie, à l'échange et qui, encore maintenant, suppléent en partie la notion d'intérêt individuel. »

* 466 Cette définition est « révélée », elle ne se présente pas comme notre vue personnelle.

* 467 L'équivoque de la « hiérarchie » telle qu'elle est ici entendue est que cette « valeur » est à la fois une réalité « naturelle » et cependant un mérite qui s'acquiert par un effort de « tension vers le haut». Elle est un des généreux, mais qui ne se transmet que « par degré ».

* 468 C'est avec cette idée que Mutuza cherche le domaine de définition d'une fonction. Cette idée est la recherche de conditions de possibilité de l'existence d'une fonction.

* 469 GODELIER, M., rationalité et irrationalité en économie, Maspero, 1966, p. 90-91.

* 470 MARX, K., L'Idéologie allemande, p. 25. « La dissolution de la communauté naturelle engendre le droit privé ainsi que la propriété privée, qui se développent simultanément. Chez les Romains, le développement de la propriété privée et du droit privé n'eut aucune autre conséquence industrielle ou commerciale parce que tout leur mode de production restait le même. Chez les peuples modernes où l'industrie et le commerce amenèrent la dissolution de la communauté féodale, la naissance de la propriété privée et du droit privé marqua le début d'une phase nouvelle susceptible d'un développement ultérieur. Amalfi, première ville du Moyen Âge qui eut un commerce maritime étendu, fut aussi la première à élaborer le droit maritime. »

* 471 KANT, E., Critique de la faculté de juger, §67.

* 472 ARISTOTE, Métaphysique, A, 4, 985b 4 Sqq.

* 473 ARISTOTE, De caelo, , 403a 5.

* 474 ARISTOTE, Physique,I, 3, 187 a 1 ; Gen. Et Corr., I, 2, 316 a 10-317 a 2.

* 475 Cfr. MUSEY, M., Claude Lévi-Strauss, Anthropologie et communication, p. 7.

* 476 Voir aussi La famille traditionnelle à la croisée des chemins ; voir encore Quand les guerres tribales battent leur plein ; on peut lire aussi L'Afrique écartelée où l'auteur expose mieux sa réévaluation des concepts. Le sentiment d'appartenance est vraiment humain et le racisme se voit être combattu par l'analyse pertinente de l'unicité de l'espèce humaine.

* 477 L'exemple le plus frappant est celui que l'on a rencontré au Rwanda où tout intellectuel devait être automatiquement assimilé au Tutsi. Alors le terme tutsi ne désignait plus une population mais une classe sociale.

* 478 Nous avons mangé la Foret, Mercure de France 1957.

* 479 Cette réalité est tout autre chez les Tutsi. Seul le roi chez eux a pouvoir sur la pluie ou la fécondité. Les éléments des poèmes dynastiques nous le montreront sans jambage. C'est le roi qui est Dieu et le Dieu est roi. Il ne faut pas confondre la pensée des Tutsi de la pensée juive. Pour ceux-ci il y a Dieu qui est roi de sa manière et, par délégation, il y a un homme qui lui est un représentant. Et donc ce représentant peut être déchu de ses fonctions royales s'il ne les exerce pas comme l'entend le véritable roi.

* 480 Etroitement à la même croyance d'origine : «  le bouquet de maison » que l'on rentre à la femme en est exemple. Ce n'est que l'avènement des moissonneuses batteuses qui le fait définitivement disparaître, symbole du passage d'une acticité de type paysan à une activité industrielle où les liens de l'homme ......

* 481 VANIER, J., Accueillir notre humanité, p. 26-27.

* 482 LEROI-GOURHAN, A., Op. Cit., Idem.

* 483 Les baame dans le cadre des peuples de la Problématique du Mythe Hima Tutsi.

* 484 Les pays occidentaux appelés aujourd'hui Grandes puissances ont eu le mérite d'imposer leurs visions culturelles de la famille. Mais qui ignore la tribu chez le Bela de la Hongrie?

* 485 Sur ãíïò, voir WAITZ, I, 278. Cela prouve que ãáìïò, le mariage, est de la même racine que ãíåóéò (la génération, le devenir), on peut dire comme Aristote que ce qui devient se réalise et est produit.

* 486 La coutume du mariage varie considérablement d'une culture à l'autre, mais l'importance de l'institution est universellement reconnue. Dans certaines sociétés, l'intérêt communautaire pour les enfants, pour les liens entre familles et pour les droits de propriété créés par le mariage sont tels qu'ils ont donné naissance à des dispositifs et à des coutumes destinés à préserver ces valeurs. Les fiançailles ou le mariage entre mineurs, répandus dans des régions comme la Mélanésie, sont une conséquence directe de l'importance accordée à la famille, à la caste et aux alliances de propriété. Le lévirat, coutume en usage principalement chez les Hébreux, qui obligeait un homme à épouser la femme de son frère défunt, était destinée à perpétuer un lignage déjà établi. Institué pour la même raison, le sororat est une coutume encore usitée dans certaines parties du monde, qui permet à un homme d'épouser une ou plusieurs des soeurs de sa femme, généralement en cas du décès ou de stérilité de celle-ci. La monogamie, union d'un homme et d'une femme, est considérée aujourd'hui comme le prototype du mariage et sa forme la plus largement acceptée, au point qu'elle est dominante même dans les sociétés qui tolèrent d'autres formes de mariage. Celles-ci relèvent de la polygamie, qui comprend à la fois la polygynie, union matrimoniale d'un homme avec plusieurs femmes, et la polyandrie, union d'une femme avec plusieurs maris.

* 487 Nous empruntons la pensée du professeur Leroi-Gourhan dans L'homme et la matière.

* 488 Cfr. Une étude de F. Engels sur les coopératives communautaires au XIXeme siècle écrit par Engels pendant l »hiver 1844-1845, publiée sous l'anonymat en 1845 dans le recueil Deutsches Bürgerbuchfür 1845 édité par H. Püttmann à Darmstadt et reproduite dans l'édition critique des oeuvres de Marx-Engels.

* 489 Le Mwami ne cultive pas la terre. Il a de quoi se nourrir. Il doit, lui, réfléchir pour l'avènement d'une vie heureuse de sa population.

* 490 LE PLAY, F., Les ouvriers européens,

* 491 LEROI-GOURRHA, L., L'évolution des cultures africaines, p. 19.

* 492 Il ne faut pas entendre cette production dans le sens du capitalisme qui est un système tout autant économique que politique et social dans lequel des agents économiques (les entrepreneurs), détenteurs des moyens de production permettent que cette production soit échangée sur un marché, où les transactions sont de nature monétaire. En tant qu'organisation productive, le capitalisme serait, par nature, évolutif. Il n'existe en effet plus rien de commun entre la manière actuelle de produire et celle qui avait cours il y a deux siècles. Pourtant, les pays qui ont été les acteurs de la révolution industrielle de 1850 méritent, dans leur ensemble, tout autant que les pays industrialisés d'aujourd'hui, le qualificatif de nations capitalistes. Cela sous-entendrait qu'il existe une permanence des éléments qui caractérisent le capitalisme dont il faut expliquer la nature. Le terme « capitalisme » est aujourd'hui associé à un système d'organisation des sociétés qui dépasse la simple description des structures et des logiques qui déterminent la production. Ce terme revêt une signification politique et sociale forte qui excède la seule sphère économique. Cette généralisation, qui paraît abusive aux yeux de certains, associe le capitalisme aux conditions politiques qui ont permis son développement. Capitalisme et libéralisme constitueraient les deux versants d'une seule et même réalité. L'histoire montre, cependant, que l'utilisation courante du mot « capitalisme » dans le sens de libéralisme est récente, et donc qu'il faut interpréter à rebours la notion de capitalisme. Il apparaît que ce n'est pas tant le capitalisme qui a une histoire, mais bien l'histoire qui explique le sens de la notion.

* 493 La justice est un concept et un principe désignant le respect du droit et de l'équité ; en morale, la justice désigne le respect et l'équité à l'égard d'autrui. Le terme « justice » possède trois significations distinctes mais corollaires : il désigne un idéal -- que ce soit pour une personne ou pour un groupe social --, une norme positive pour une société et une institution. La réflexion philosophique sur ce concept, qui tient compte de ces distinctions et articulations, implique trois questions majeures : La justice existe-t-elle réellement ? Pourquoi faut-il la suivre ? Et quelle est sa nature ?

* 494 Les Tutsi qui sont, selon les analyses de J. Maquet, de Baumann et Westermann, de Papadopoulos, de Mutuza, etc. de grands pasteurs n'ont malheureusement pas d'industrie de charcuterie ni une laitière.

* 495 MARTIAL, R., La Race française, p. 317.

* 496 Le Wolof est un peuple du centre-ouest du Sénégal, qui fut à l'origine du royaume de Dyolof au XVe siècle dont la langue est aujourd'hui parlée par les trois quarts des Sénégalais. Ils furent décrits pour la première fois comme un groupe distinct par des explorateurs portugais, qui entrèrent en contact, au XVe siècle, avec le royaume du Dyolof. Partiellement islamisé, celui-ci avait unifié les petites principautés établies au sud du fleuve Sénégal. La société wolof ainsi constituée était organisée selon un système de castes, hiérarchisées selon la naissance (hommes libres ou esclaves) et selon la profession. Après l'arrivée des Européens, le royaume du Dyolof se scinda en plusieurs petits États wolof qui se maintinrent jusqu'à la colonisation française, entreprise à la fin du XIXe siècle.

* 497 Ahmadou Bamba Mbacké, son fondateur (+1927), est un Toucouleur qui a reçu l'initiation (wird) de Cheikh Sidiyya. Il fonde sa confrérie, en 1886, près de son village d'origine, MBacké, à 60 km à l'est de Diourbel (Sénégal), à la limite de la région aride du Ferlo. Prêchant sa doctrine chez les Wolof du Sénégal, il donne au travail manuel un statut équivalent à la prière, permettant ainsi au disciple d'accéder au salut éternel par une action qu'il est en mesure d'accomplir. Le mouridisme s'est développé dans la zone de plantation d'arachides du Sénégal, où il a fini par s'approprier au profit de la confrérie qui la commercialise cette culture d'exportation, génératrice de devises.

* 498 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 53.

* 499 Le mouridisme a valorisé le travail de la terre, freiné l'exode rural et adapté la population à l'évolution économique. Aujourd'hui, les Mourides ne pratiquent pas seulement la culture de l'arachide, certains émigrent à l'étranger, comme marchands, utilisant les moyens de communication les plus modernes (Internet, etc.). Le siège général de la confrérie est la ville de Touba. Son chef, le Khalife général (depuis 1990, Serigne Saliou Mbacké), règne sur une organisation très structurée.

* 500 FREUD, S., Introduction à la psychanalyse, p. 27. Il écrit : « Pourquoi l'homme à ce point contrarié réussit-il si rarement, malgré le désir qu'il en a, à diriger son attention sur le mot qu'il a, ainsi qu'il le dit lui-même, « sur le bout de la langue » et qu'il reconnaît dès qu'on le prononce devant lui ? Ou, encore, il y a des cas où les actes manqués se multiplient, s'enchaînent entre eux, se remplacent réciproquement. Une première fois, on oublie un rendez-vous ; la fois suivante, on est bien décidé à ne pas l'oublier, mais il se trouve qu'on a noté par erreur une autre heure. Pendant qu'on cherche par toutes sortes de détours à se rappeler un mot oublié, on laisse échapper de sa mémoire un deuxième mot qui aurait pu aider à retrouver le premier ; et pendant qu'on se met à la recherche de ce deuxième mot, on en oublie un troisième, et ainsi de suite. [...] »

* 501 Dans La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, Mutuza décrie cette dernière marque du darwinisme social, doctrine formulée à la fin du XIXe siècle, selon laquelle l'évolution des individus et des sociétés procède de la sélection naturelle, principe décrit par Charles Darwin dans sa théorie de l'évolution biologique. Les tenants du darwinisme social considèrent qu'à l'instar des animaux et des plantes, les hommes sont fondamentalement inégaux, physiquement et intellectuellement, et que leurs aptitudes sont strictement héréditaires. Ils sont donc destinés à la lutte pour leur survie et à la recherche de la réussite personnelle dans la société. Les individus qui deviennent riches et puissants sont les plus « aptes », alors que les membres des classes socioéconomiques les plus défavorisées sont les moins « adaptés ». Le darwinisme social en est ainsi venu à considérer que le progrès de l'humanité repose sur la rivalité. Cette doctrine servit de base philosophique aux idéologies de l'impérialisme, du racisme et de l'eugénisme. Au XXe siècle, elle tomba en discrédit lorsque de nouvelles découvertes scientifiques relativisèrent le rôle de la sélection naturelle dans l'étude de la société humaine, où les facteurs économiques et culturels ont éclipsé les facteurs physiologiques comme moteurs de l'évolution sociale. Herbert Spencer fut le principal représentant du darwinisme social. Pour la sociologie au XVIIIe siècle, David Hume, dans ses Essais moraux et politiques (1741-1742) et Adam Smith, qui fut par ailleurs le défenseur de la théorie économique du « laisser-faire », dans sa Théorie des sentiments moraux (1759), ont élaboré des systèmes de morale subjective similaires. Ils assimilaient tous deux le bien à tout ce qui suscitait des sentiments de satisfaction et le mal à tout ce qui suscitait des sentiments douloureux. Pour Hume et pour Smith, les idées relatives à la morale et à l'intérêt public proviennent des sentiments de sympathie que les hommes se portent mutuellement même en dehors de liens de parenté ou d'autres liens directs. En France, Jean-Jacques Rousseau adhéra, dans son oeuvre majeure intitulée Du contrat social (1762), à la théorie hobbienne. Cependant, dans Émile (1762) et dans d'autres ouvrages, il attribue le mal aux anomalies inhérentes à toute organisation sociale et juge les hommes bons par nature. L'anarchiste, philosophe, romancier et économiste politique britannique William Godwin a poussé cette idée à l'extrême dans son Enquête sur la justice politique (1793), où il rejette toutes les institutions sociales, y compris celle de l'État, considérant que par leur existence même, elles constituent une source du mal. Opérant une « révolution copernicienne » en philosophie, Emmanuel Kant apporta une contribution majeure à l'éthique avec le Fondement de la métaphysique des moeurs (1785). Pour Kant, aussi judicieusement que l'on agisse, les résultats des actions humaines sont exposés aux accidents et aux aléas. Par conséquent, il ne faut pas juger la moralité d'un acte par ses conséquences mais seulement par la motivation qui y a présidé. Seule est bonne l'intention parce qu'elle conduit l'Homme à agir non par inclination mais par devoir, lequel repose sur un principe général qui est juste en soi. Quant au principe moral de base, Kant reprend la règle d'or sous une forme logique : « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en règle universelle. » Cette règle est appelée impératif catégorique, parce qu'elle est inconditionnelle et qu'elle a la forme d'un commandement. Aussi, Kant insiste-t-il sur le fait que l'on doit traiter autrui « en toute circonstance comme une fin et jamais seulement comme un moyen ».

* 502 Les affaires proprement villageoises sont cependant du ressort d'un conseil formé par le chef de famille. Chaque village africain a son lieu de réunion.

* 503 MENDRAS, H., Sociétés paysannes, p. 83. Élargissant son champ d'étude à la société française puis aux sociétés européennes, Henri Mendras analyse leurs mutations, dans une approche comparative, à partir de travaux de terrain.

* 504 MENDRAS, H., La fin des paysans, p. 23.

* 505 La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 72.

* 506 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 45.

* 507 Nourris de Freud, les auteurs dramatiques créèrent des personnages marqués par le traumatisme de la guerre chez qui la vie psychique a pris le pas sur la réalité et qui dominent mal leurs fantasmes et leurs névroses. À la suite de l'expérience historique des camps de concentration et d'Hiroshima, la conviction selon laquelle le monde a un sens fut ébranlée : on prit conscience de l'abîme entre les actes humains et les principes nobles. Les pièces obéissent à une logique interne, fondée sur le caractère et le statut des personnages, sur l'intrigue (souvent circulaire, sans but, ne tendant jamais vers un dénouement esthétique), sur les objets (pouvant proliférer au point d'effacer les caractères, comme chez Ionesco, ou bien réduits au strict minimum, comme chez Beckett, mettant en exergue les thèmes récurrents du vide et du néant) et sur l'espace, identifié au personnage ; ainsi dans Oh les beaux jours (1963) de Beckett, Winnie s'enlise dans le sable et le monologue.

* 508 La sagesse bantoue dit que la femme du voisin est la plus belle femme. Les coutumes des Inuit sont remarquablement uniformes malgré la large diffusion de ce peuple. La famille -- qui comprend le noyau familial, les parents proches et les parents par alliance -- est l'unité sociale la plus importante. Dans la culture traditionnelle, les mariages, bien que parfois arrangés, sont généralement ouverts au choix individuel. La monogamie est d'usage mais la polygynie et la polyandrie existent aussi. Le mariage, qui est une quasi-nécessité pour la survie physique, est fondé sur une division stricte du travail. Chacun des époux conserve ses propres outils, ses biens ménagers et d'autres possessions personnelles.

* 509 C'est nous qui insistons, et c'est une des nos hypothèses.

* 510 MUTUZA, à la suite de Papadopoulos traite avec clarté cet aspect. Les Tutsi, sous Paul Kagame, ont l'utopique idée de pouvoir se faire accepter par les Juifs comme une des tribus de Jacob.

* 511 A. Kagame, dans son Une histoire du Ruanda, Leverville, 1959, a repris la matière de la généalogie royale ruandaise dans un nouveau mémoire, La notion de génération appliquée à la généalogie dynastique et à l'histoire du Ruanda de Xe - XIe siècles à nos jours (Acad. Roy. des Sc. Colon., Cl. Des Sc. Morales et polit. Nouvelle série in -8°, tome IX, fasc. . 5), 1959. L'auteur retrace une nouvelle généalogie à base de la moyenne tout à fait arbitraire de 33 ns de règne par roi et fait reculer ainsi les origines dynastiques au siècle, dit Papadopoulos. La nouvelle source mise à contribution à cet effet, le Poème généalogique de la Dynastie (pp. 14-18), ne donne qu'une liste de noms mais point d'indications chronologiques. Ces essais manquent d'esprit critique. Dans tout le récent travail de J. VANSINA, L'évolution du royaume ruanda des origines à 1900 (dans la même collection, tome XXVI, fasc. 2), 1962, nous avons enfin la première tentative de traitement critique de l'histoire du royaume ruandais. Il y est notamment entrepris (pp. 17-41) une vraie critique des « sources » de cette histoire qui est sociale et politique en même temps. L'ancienneté des origines du royaume ruandais ne peut en effet être beaucoup plus antérieure à celle du royaume bagandais, estimée aussi d'après les généalogies comme remontant au XVe siècle. Cette indication nous vient de Papadopoulos (Poésie dynastique du Ruanda et Epopée Akritique, note 5, pp. 8-9) qui cite lui aussi J. CZEKANOWSKI que nous avons lu nous même. Nous renvoyons aux études de K.W, Abakama ba bunyoro-Kitara, dans Uganda journal, III, 1935, pp. 149-160, VI, 1936, pp. 65-83, V, 1937, pp. 53-84, ainsi que celle de Sir Apolo Kagwa que nous rapporte Papadopoulos. Mutuza se refusait de pousser plus loin ici ces considérations générales qui lui ont servi d'introduction à la compréhension de la civilisation dont La problématique du Mythe Hima-Tutsi en fit l'examen.

* 512 PAPADOPOULOS, Th., op. cit., p. 18.

* 513 Idem.

* 514 MUTUZA KABE, La problématique du Mythe Hima-Tutsi p. 30.

* 515 PAPADOPOULOS, Th., op. cit., p. 19.

* 516 Idem.

* 517 Senga est la généalogie en kipende. Les Aphende (Bapende) sont un peuple de la RD Congo recouvrant certaines parties des régions du Kasaï (territoire de Tshikapa) et du Bandundu (territoire d'Idiofa, de Gungu, de Kahemba).

* 518 DINGEMANS, G., La psychanalyse des peuples et de civilisations, pp. 452-453.

* 519 SERUFURI HAKIZA, P., Ethnonyme et glossonyme les Bahutu du Nord-Kivu et le kihutu. Contribution à un débat, p. 215. Voir aussi RUKEBESHA, Op. Cit. Nous avons-nous-même lu ce plan de la colonisation Tutsi au Kivu, plan découvert lors des troubles du 15/9/1962 à Matanda- Nyamitaba- Karuba- Kibabi, et libellé en 18 points sur deux pages dactylographiées.

* 520 KAGAME, A., La poésie dynastique au Ruanda, Poème 65 p. 53. Les références pour les extraits cités par la suite sont au numéro du poème et la page du recueil.

* 521 Idem.

* 522 MUTUZA, Op. Cit. pp. 32-33.

* 523 PAPADOPOULOS, Th., Op. Cit. p. 22.

* 524 Idem.

* 525 PAPADOPOULOS, Th., Op. Cit., p. 23.

* 526 MUTUZA KABE, Op. Cit., p. 33.

* 527 PAPADOPOULOS, Th., Op. Cit., p. 25.

* 528 Idem. Le 6 et 16 se réfèrent à la chaîne cyclique de l'octave. C'est nous qui l'ajoutons dans le texte de Papadopoulos pour garder la valeur de l'octave parce que les qualités du roi, si sublimes qu'elles puissent paraître, présentent un contenu purement matériel, puisque la qualité héroïque se réfère, ainsi que le pense Papadopoulos, à la guerre tribale et à la razzia, la qualité du législateur à la soumission totale du peuple ; qualités c. à d., ajoute Papadopoulos, suscitées par la rudesse de l'existence et de la lutte pour la survivance. Les valeurs positives de la civilisation manquent presque totalement dans la fonction royale. L'inclémence ou la clémence dépendent du roi et la survivance tribale, dans une telle société, est subordonnée, en partie au moins, à la destruction d'autrui. Le roi sacré est égocentrique, toutes choses convergent vers lui, tout servant à sa sublimation. Puisque le peuple doit son existence au roi, le roi ne se doit pas à son peuple, le peuple est simplement débiteur au roi. Le peuple ne doit aucun rôle actif dans les exploits tribaux, pour n'en donner que tout le mérite au roi.

* 529 DINGEMANS, G., Op. Cit. p. 453.

* 530 PAPADOPOULOS, Th. Op. Cit., p. 34.

* 531 MUTUZA KABE, OP. Cit., p.p. 5-7.

* 532 PAPADOPOULOS, Th., Op. Cit., pp. 41-42.

* 533 N'SANDA WAMEKA, Récits Epiques des Lega du Zaïre, T. 1, p. 26.

* 534 Idem.

* 535 Cfr. DELHAISE, Les Warega, Collection Monographie ethnographique, Institut International, p. 129.

* 536 PAPADOPOULOS, Op. Cit., p. 35.

* 537 FREUD, S., Psychologie collective et analyse du moi, p. 32.

* 538Plusieurs pics du Ruwenzori avoisinent les 5 000 m d'altitude, le plus élevé étant le pic Marguerite (5 109 m). Le géographe grec Ptolémée est le premier à mentionner le massif du Ruwenzori (les « monts de la Lune »). Le massif est exploré pour la première fois en 1889 au cours d'une expédition menée par l'explorateur britannique Henry Stanley ; les principaux pics sont atteints en 1906 au cours de l'expédition de l'Italien Luigi Amedeo, duc des Abruzzes.

* 539Cfr. L'intégration tutsie chez BAUMANN, H. et WEASTERMANN, D., dans Les peuples et les civilisations de l'Afrique, p. et PAPADOPOULOS, Th., Poésie dynastique du Ruanda et Epopée Akritique. Essai de l'établissement d'une notion de temps anthropologique

* 540 OVERDULVE, Fonction de la langue et communication au Ruanda, p. 59.

* 541 MUTUZA, Op. Cit. p . 35.

* 542 PAPADOPOULOS, Th., Op. Cit., p. 47.

* 543 SERUFURI HAKIZA, P., Ethnonyme et glossonyme les Bahutu du Nord-Kivu et le kihutu. Contribution à un débat, p. 199.

* 544 Ibidem, p. 207.

* 545 SERUFURI HAKIZA, P., op. cit, p. 212.

* 546 N'SANDA WAMENKA, Op. Cit. p. 5 où il est question de données physiques.

* 547 Au cours du ministère de Jésus, la voix d'une femme s'est un jour élevée du tumulte de la foule et s'est écriée : « heureuse est la matrice qui t'a porté, et les seins que tu as tétés ! ». Si Jésus avait voulu que sa mère soit révérée, il avait là une occasion en or d'encourager cette forme de dévotion. Et Jésus de prendre sa mère pour celle qui a entendu la Parole de Dieu et qui La garde replique :  « Heureux ceux qui endendent la Parole de Dieu et La garde ». Marie n'est-elle pas de ceux-là et leur modèle ? (Luc 11 : 27, 28). Nous avons ici une interprétation de type presbytérale qui représente d'ailleurs sans doute le sens littéral de la métaphore. Dans des très curieux passages, Alexi Kagame nous montre dans ces poèmes, cinq tambours, les cinq étapes de la vie communicative, correspondant à la hiérarchie des sens spirituels lega  et les cinq sens:  (Kiringa P. 42 correspond à la vue, p. 51 ; Emblème P. 65 correspond à l'ouie, p. 53 ; Kigutse P. 125 correspond à l'odorat, p. 78 ; Tambour Souverain P. 173 correspond au goût, p. 117 et Rukurura P. 71, correspond au toucher p. 59). Il a en vue le pentateuque mosaïque.

* 548 SERUFURI HAKIZA, P., Op. Cit. p. 210.

* 549 Ibidem, p. 211.

* 550 TARDE, G. (de) , Les lois de l'imitation

* 551 DIGEMANS, G., Psychanalyse des peuples et des civilisations, p. 160.

* 552 La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 23 où l'auteur s'inspire de la théorie mathématique de la communication qui est le modèle sous-jacent de certains structuralistes est un formalisme trop particulier pour pouvoir offrir une description valable de tous ou d'une grande partie des secteurs culturels humains. En effet, l'ensemble des messages y est supposé être soumis à une distribution stationnaire de probabilité, et ce même ensemble, pourvu d'une mesure probabiliste classique est en fait une algèbre Booléenne avec mesure (Óéãìá algèbre Booléen). Cette remarque peut presque se généraliser pour tous les modèles que les structuralistes ont, à partir de la linguistique synchronique, voulu développer pour les autres secteurs de la culture. Mais nous croyons qu'elle ne doit pas nous mener à un rejet du structuralisme mais à un approfondissement : « l'épistémé » de la Renaissance qui selon Foucault est la « ressemblance » (une relation forte ou faible d'équivalence) est à première vue en effet (c'est une des trois structures-mères des Bourbaki) trop faible pour caractériser le style des sciences de cette époque. D'où la critique et le rejet Piagétien. Mais n'y aurait-il pas moyen de creuser plus à fond dans les données appropriées par Foucault pour cette période et d'arriver à une caractérisation mathématique plus riche et plus spécifique qui serait en effet le paradigme commun (nous ne résistons pas au plaisir d'indiquer combien « l'épistémé » de Foucault et le « paradigme » de Kuhn, dans sa « Theory of Scienctific Revolution » sont analogues de cette époque ? et Mutuza dans La problématique du Mythe Hima-Tutsi, pp. 40-41 est-il loin ? C'est l'attitude que nous prendrions personnellement..

* 553 Idem.

* 554 EULER, L., Etablissement du calcul intégral, p. 32.

* 555 Cela nous amène à notre seconde remarque : il y aurait une histoire à écrire du développement de la définition de la structure de l'identité et de l'appartenance dans le groupe Bourbaki (dont on connaît l'immense influence) de 1940 à 1970. Dès le début leur notion de structure est plus générale que celle de Levi Strauss ou de Foucault plus tard que Musey reprend dans sa théorie de communication. Quant à nous, nous distinguons, grâce aux mathématisables, grâce aux comptables, dans cette histoire (il y en a sans doute plus) : on pose trois structures-mères (la structure d'équivalence, la structure ordre, et la structure topologique des voisinages) et on reconstruit les mathématiques à partir des combinaisons complexes de ces trois-là. Le problème philosophique fondamental est alors : comment justifier la plus privilégiée de ces structures-mères ? Puis on arrive à une définition générale de structure identité et appartenance, qui est essentiellement ensembliste : on pose un ensemble de base ; on donne un certain nombre de procédés de construction de nouveaux ensembles à partir de l'ensemble de base (pr exemple l'ensemble de sous-ensembles, l'ensemble des ensembles biunivoquement représentables sur un sous ensemble, etc.)

* 556 C'est avec Euler qu'en géométrie on définit la symétrie comme une propriété de certaines figures planes ou à trois dimensions qui restent globalement invariantes par certaines transformations, appelées elles aussi symétries. Ces transformations mathématiques permettent d'obtenir une figure identique à la figure originelle ou une image miroir de la figure initiale. Les différents types de symétries sont définis par rapport à un point donné (centre de symétrie), par rapport à une droite (axe de symétrie) ou par rapport à un plan (plan de symétrie). Ces symétries sont respectivement appelées symétrie centrale, symétrie axiale et symétrie plane.

* 557 EULER, L., Idem.

* 558 MUTUZA, Op. Cit. p. 42.

* 559 Ibidem, p. 43.

* 560 Pendant sa période de croissance, un organisme doit donc bénéficier d'un apport nutritionnel adéquat : énergie sous forme de molécules organiques pour les animaux et de lumière pour les végétaux, eau, sels minéraux, vitamines... Faute d'une alimentation adaptée, des troubles de la croissance sont à redouter. Des pathologies de ce type peuvent également être liées à une anomalie de la synthèse ou de la sécrétion des hormones, elles aussi indispensables à la croissance.

* 561 En se référant au Gorgias de Platon, beaucoup estiment que « la philosophie est bonne à connaître dans la mesure où elle sert à l'éducation et il n'y a pas de honte, quand on est jeune, à philosopher. Mais l'homme mûr qui continue à philosopher fait chose ridicule »  ou même répréhensive: mépris de la philosophie tel qu'exprimé par Calliclès dans le Gorgias n'est pas le privilège de ce disciple supposé des sophistes.

* 562 KIPAMBALA ? J-F-Ph., Temps et Apocatastasa chez Grégoire de Nysse, p. 57.

* 563 OVERDULVE, C.-M., Fonction de la langue et la communication au Ruanda, p. 267.

* 564 C'est de Francis JAQUES que nous avons cette idée de communication.

* 565 MUTUZA , La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 29.

* 566 Cette comparaison entraîne des jugements de valeurs entendues tant objectivement que subjectivement. Cette constatation éveille immédiatement chez l'observateur la problématique non seulement de l'étude comparative des civilisations, mais aussi celle de civilisations étudiées en elles-mêmes et par rapport à leur évolution historique. C'est toute une problématique de valeurs qui déborde le domaine strict de la science positive et contraint à la spéculation philosophique. Attachons-nous toutefois aux données des civilisations tutsie et bantu, les deux, en rapport avec la civilisation occidentale qui les colonisa. Tels que les poèmes se présentent en face des récits épiques des Lega, il y a inégalité lesquels, pour éviter de se laisser entraîner dans le domaine de jugement des valeurs, nous situons provisoirement dans la catégorie matérielle. Et c'est dans le domaine des valeurs matérielles, morales et intellectuelles que nous constatons cette inégalité. Et la migration justifie la consolidation au XIIIe siècle de cette civilisation Chamite.

* 567 Avec MUTUZA et MUSEY cette dissociation des deux temps s'avère nécessaire en matière de traitement anthropologique, où la classification des civilisations dans leurs rapports essentiels et organiques impose le temps culturel en tant que postulat méthodologique. C'est l'ingénierie sociale dont Musey nie les pertinences et que Mutuza accueille avec foi à cause de sa croyance en la prédiction.

* 568 Inst. Roy. Col. Belge, Sect. Des Sc. Morales et polit., Coll. In-8°, tome XXVI, 1, 1952.

* 569 Cfr. La Préface composée par Louis Meyer de Principes de la philosophie de Descartes, vol. I, p. 230.

* 570 L'auteur est né en 1929 ; pasteur des Eglises Réformées aux Pays-Bas depuis 1957, et pasteur-missionnaire de l'Eglise Presbytérienne au Ruanda de 1961 à 1971 et de 1982 à 1988, de 1987 à 1994 professeur de théologie pratique à la Faculté de Théologie Protestante de Butare au Rwanda.

* 571 Essai de droit coutumier du Ruanda, Institut Roy . Col. Belge, tome X, 1, 1941.

* 572 Un royaume hamite au centre de l'Afrique, 1933, pp. 55-509.

* 573 VANHOVE, J., Op. Cit, pp. 48-59.

* 574 Banyarwanda et Barundi, Institut Roy . Col. Belge, Section des sciences morales et politiques. Tome I, Ethnographie, 1957. Tome II, La coutume, 1954. Tome III, Religion et Magie, 1954. Voir tome II, pp. 266-335.

* 575 RUKEBESHA, A., Esotérisme et communication, sociale, Kigali, 1985. L'auteur commence son livre en citant le proverbe que nous venons de rapporter ci-haut :: « Akari mu nda y'ingoma Kamenywa n'umwiru na nyirayo », littéralement : ce qui est dans le ventre du tambour est connu du ritualiste et de son propriétaire, c'est-à-dire nul ne connaît le secret d'une personne si ce n'est elle-même et son confident. Il s'agit là d'un tambour royal, dont le roi était le propriétaire, qui symbolisait son autorité et dont les secrets rituels n'étaient connus que du roi lui-même et du ritualiste-gardien des rites roayaux.

* 576 Cfr. 1ère note du §2 de la sect.1 du premier chapitre de la première partie.

* 577 RUKEBESHA, A., Op. Cit., p. 167.

* 578 Ibidem, p. 168. L'on peut dire que cela valait à plus forte raison dans le contexte politico-administratif. Le roi et les chefs disposaient de sujets, qui étaient chargés de l'information de tout ce qui se passait dans le pays et dans la société, en vue du maintien de leur pouvoir. Lors de ce genre de communication, la position de l'informateur était directement mis en cause. La nature et le contenu de l'information étaient directement définis par la relation de l'informateur avec le destinataire de l'information et étaient donc une fonction de stratégie de survie.

* 579 L'on peut affirmer que le jeune ruandais était éduqué dans une ambiance de méfiance et d'extrême prudence. Quand une information était sollicitée, on la donnait avec beaucoup de réserve et on essayait, autant que possible, d'éviter des réponses pertinentes, du moins tant qu'on ne savait pas quelles pourraient en être les conséquences.

* 580 CREPEAU, P., Bizimana, p. 224.

* 581 MUTUZA KABE, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 43.

* 582 BOUTHOUL, G., Traité de Sociologie, p515.

* 583 La formation civique et politique comme préalable de la démocratie. Réflexions à partir du Cours de `Civisme et Développement ` dans l'Enseignement Supérieur et Universitaire au Zaïre, in « La Démocratie en Afrique », 14-16 décembre 1990, Kinshasa-Zaïre, Presses Africaines pour la Paix- Kinshasa, Zaïre, pp. 105- 127. L'auteur ne cite aucun texte de Mutuza. Il l'accuse gratuitement. Et ce qui est étonnant c'est que nous revoyons les phrases de Mutuza dans ses remarques contre Ngoma Binda dans sa thèse où il dit : « ta thèse est bonne mais elle ressemble à un ramassis d'articles publiés ça et là sur l'histoire de la philosophie africaine, il n'y a pas de cohérence d'idée. » et à la page 3 de la Thèse de Ngoma Binda Mutuza écrit comme remarque : quel lien entre la nature du pouvoir et le problème to be or not to be ? », à la page 4 Mutuza fait encore cette remarque : « il n'y a rien qui vous permet de tirer cette conclusion : philosophia ancila politicae». En  lisant les remarques que Mutuza fait à Ngoma Binda qui, du reste, sont fondées, nous avons l'impression que Ngoma Binda ne les a pas acceptées avec scientificité. C'est pourquoi, malheureusement, il ment dans son article sur Mutuza. Il le calomnie tranquillement. Il affirme ce que Mutuza a dû penser de lui.

* 584 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 80.

* 585 REGIS DEBRAY, la République expliquée à ma fille, Le Seuil, 1998.

* 586 DINGEMANS, G., Psychanalyse des peuples et des civilisations, p. 507.

* 587 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 62.

* 588 MUSEY, Claude Lévi-Strauss, anthropologie et communication, p.80.

* 589 DINGEMANS, G., Psychanalyse des peuples et des civilisations, p. 507.

* 590 Ce qui sépare l'envie et l'admiration c'est notre attitude à la créativité, notre reconnaissance du Bien et du Beau.

* 591 MUTUZA, Op. Cit. p. 44.

* 592Ibidem, p. 35.

* 593 Ibidem, p. 38.

* 594 Idem, p. 37.

* 595 Idem.

* 596 Par ð, nous n'entendons rien d'autre que cette continuité vague des thèmes concentriques que soulève le poète dans ces antonins. Cela nous revoie aussi à la continuité des décimaux qui suivent la virgule de 3,14 dans un cercle.

* 597 KELSEN, H., Théorie pure du droit, trad. Cité par Eisenmann Charles, Paris, Dalloz, 1962. Obèse est cette note, nous ne le regrettons pas parce qu'elle nous a permis de comprendre le pragmatisme juridique et vu la complexité des sujets traités et notre totale dépendance de multiples sources, faire appel à des notes nombreuse et quelque fois obèses. Nous demandons au lecteur de bien vouloir nous passer condamnation sur ce poin. D'ailleurs, il peut, sans devoir aller de l'étage au sous-sol, se faire une juste idée de l'ensemble des choses, comme le dit Gustave Martelet.

* 598 Idem.

* 599 Idem.

* 600 MUTUZA, Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 44-45.

* 601 Ibidem, p. 86.

* 602 MUTUZA, Ibidem, p. 78.

* 603 Idem.

* 604 Ibidem, p. 49.

* 605 KANT, E., Critique de la raison pure, p. 23.

* 606 FOUCAULT, M., Les mots et les choses, Une archéologie du savoir, p. 384.

* 607 Cfr. Claude Lévi-Strauss : Anthropologie et communication, p. 32-38.

* 608 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p49.

* 609 Ibidem, p. 46.

* 610 Ibidem, p. 84. On comprend là combien nous heurtons le temps entropologique. Le mode de penser, la langue, les moeurs, les lois et les rites, ainsi que le comportement quotidien de chacun de nous, portent l'empreinte de différentes histoires et prouvent à suffisance que nous sommes tous différents.

* 611 Idem. Nous pensons aussi que les individus, comme les sociétés ne se définissent pas uniquement par rapport à leur nationalité : leur culture a une impotence essentielle et leur permet de trouver leur identité. C'est là la vraie appartenance. Et ce n'est qu'ainsi, dans la conscience profonde de leur propre culture, que les hommes et les peuples peuvent se comprendre les uns les autres et communiquer entre eux. Nous nous heurtons ici de la position des Tutsi. Ils sont Banyarwandas de langue. Mais se considèrent une race différente de Hutu desquels ils dépendent de l'élément linguistique.

* 612 Ibidem, p. 72-73.

* 613 Idem.

* 614 Il n'est pas idiot de critiquer les propositions qui prétendent nous dire quelque chose sur l'existence. Aussi bien, elles pourraient être fausses. Il n'est pas non plus idiot de mettre en cause une hiérarchie de préférences ou prétendue telle : elle pourrait souffrir d'incohérence interne et n'être pas un véritable système. Il serait en revanche complètement idiot de rejeter la pensée politique de citoyen Mutuza, puisque ce n'est ni une hiérarchie cohérente de normes ni un guide de l'ingénierie pour améliorer la société. Il est trop évident qu'il n'entendait rédiger ni un credo ni un tropaire, moins encore un para-clitique ou un manuel liturgique.

* 615 POPPER, K., La connaissance objective, III, 2- p. 193. Nous nous occupons du dialogue pour la simple raison qu'il nous semble être la forme originelle de la pensée. En conséquence, le discours manuscrit peut être vu comme une modalité très spéciale du dialogue en général, qui se développe en solitaire et se f ixe (c'est son avantage) ; elle reste au fond, pensons-nous, dialogique, car son intérêt primordial est que l'on peut lui « répondre », y trouver des éléments de réflexion, des idées, comme lorsque l'on parle avec quelqu'un. Avec cet intérêt supplémentaire que l'on peut grâce à elle « parler » avec des individus absents (ou plutôt apprendre d'eux), soit qu'ils résident loin, soit qu'ils ne soient plus de ce monde.

* 616 MUSEY, Op. Cit., p.22.

* 617 JACQUES, F., L'espace logique de l'interlocution, avertissement -p. 18. Quand on lit ce passage de Jacques, on se rapporte au siècle de Cyprien de Carthage, on dirait qu'on lisait Cyprien contre Donatien : « L'Eglise n'est ni d'Etienne ni de Firmilien ni de personne d'entre les évêques, elle est entre » C'est là sa catholicité.

* 618 MUTUZA, De la Philosophie occidentale à la Philosophie négro-africaine. Apport des philosophes zaïro-congolais, p. 98. On peut encore dire que penser c'est se parler à soi. Parler c'est toujours et déjà parler à quelqu'un.

* 619 POPPER, La connaissance objective, p. 173.

* 620 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 73.

* 621 Cette interprétation se trouve déjà chez Aristote, Eth. Nik. B, 1 , 1103, 17-18. Voir aussi T. I. Celui-ci considère l'éthique comme le pendant de l vertu, après la raison (äéáíïçêÞ). Voir aussi J.F. Ph..KIPAMBALA Mvudi en donne des amples explications dans temps et Apocatastase chez Grégoire de Nysse, dissertation de D.E.S. en Philosophie , UNIKIN, 2007, p. 82.

* 622 Selon la légende, ce Johann Faust gagne sa vie comme enseignant, mais aussi comme illusionniste et diseur de bonne aventure, ce qui lui vaut d'être accusé de sorcellerie et chassé de ville en ville. Sa mort mystérieuse, après qu'il s'est vanté d'avoir vendu son âme au diable, consolide sa notoriété. Martin Luther, par exemple, est persuadé que Faust était possédé par les puissances diaboliques ; beaucoup plus réservés, d'autres le considèrent simplement comme un charlatan et un débauché. D'autres encore assurent qu'il a obtenu la protection de l'archevêque de Cologne à partir de 1532, et qu'il est mort respectable.

* 623 MUTUZA, Apport de la Psychologie dans la formation du juriste, p. 72 ;L'éthique moderne est profondément influencée par la psychanalyse de Sigmund Freud et de ses disciples, ainsi que par les doctrines béhavioristes inspirées des découvertes du physiologiste russe Ivan Pavlov. Freud attribuait le problème du bien et du mal en chaque individu au conflit entre la pulsion du moi instinctuel visant à satisfaire tous ses désirs et le besoin du moi social qui consiste à contrôler ou réprimer la plupart de ces impulsions afin de permettre à l'individu de fonctionner en société.

* 624 AèÞíá (Athéna), dans la mythologie grecque, déesse de la Guerre et de la Sagesse, dont les qualités morales symbolisent la grandeur de la civilisation grecque, assimilée par les Romains à Minerve. Athéna est la fille de Zeus. Celui-ci craint le pouvoir de l'enfant que porte sa première épouse, Métis, et, pour s'en protéger, avale sa femme. Souffrant par la suite d'insupportables maux de tête, le dieu intime l'ordre à Héphaïstos, dieu du Feu et des Forgerons, de lui fendre le crâne. Athéna sort alors de la tête de son père, déjà adulte et en armes, en poussant un terrible cri de guerre. Déesse guerrière, Athéna est cependant reconnue comme l'incarnation de la Raison, de l'Équité et de la Sagesse. Elle s'oppose par son sens de la mesure au dieu de la Guerre, Arès. Athéna règne sur l'Attique et devient la protectrice de la ville d'Athènes, après avoir remporté un défi l'opposant à Poséidon, dieu de la Mer (celui-ci ayant reçu l'Atlantide). Elle est, de plus, la déesse des Arts, de la Littérature, de l'Industrie et de l'Artisanat féminin. Bienveillante, elle préside aux arts agricoles, fait don aux hommes de la charrue et leur apprend la manière de dompter les animaux sauvages. La légende d'Athéna est marquée par le rôle prépondérant qu'elle joue dans la lutte contre les Géants. Elle est aussi célèbre pour avoir pris une part active dans la Guerre de Troie. Lésée par le jugement de Pâris, elle se range en effet aux côtés des Grecs, devenant leur principal soutien. Elle veille également sur l'expédition de Jason et des Argonautes et apporte son aide à Héraclès dans l'accomplissement de ses travaux.

* 625 MUTUZA, Op. Cit., p. 71.

* 626 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 91-92.

* 627 CABASILAS, N., Explication de la divine liturgie, 26, PG 140, 452, Cf. I Co 11, 28.

* 628 "Rwanda." Microsoft® Encarta® 2009 [DVD]. Microsoft Corporation, 2008.

* 629 Nous avions dit que les petits royaumes étaient unis en seul et unique Rwanda et les rois monades (Hutu-Tutsi-Twa) et la considération que les Tutsi ont des terres rwandaises comme toute la terre, leur terre.

* 630 Problématique du Mythe Hima-Tutsi, pp. 19-24. Ici, Mutuza admire l'analyse de Papadopoulos. Nous sommes étonné de voir que Mutuza ne se soit pas rendu compte du cartésianisme papadopoulosien. Aux pages 87-98 de l'ouvrage de Papadopoulos, Mutuza est un admirateur de ce cartésianisme.

* 631 J. MAQUET a intitulé son ouvrage Le système des relations sociales dans le Ruanda ancien. Annales du Musée royal du Congo Belge, Science de l'Homme, Ethnologie, No° 1, 1954. Une traduction anglaise de cet ouvrage a paru sous le titre The Premise of Inequality in Ruanda, 1961.

* 632 VAN HOVE, J., Essai de droit coutumier du Ruanda. Institut Roy. Col. Belge, tome X, 1, 1944, cité par Papadopoulos, Poésie dynastique du Ruanda et Epopée Akritique, p. 83. VAN HOVE traite de ces questions aux pages 45-60 en tant que droit de propriété et d'exploitation économique.

* 633 VAN HOVE, J., Essai de droit coutumier du Ruanda, p. 48.

* 634 Un royaume hamite au centre de l'Afrique, p. 55-509. Nous avons trouvé une étude importante pour ce genre de travail. Mais l'auteur vante les Tutsi sans avoir bien pénétré l'histoire de ces deux peuples aux relations dialectiques. Cette vision fut reprise par R. BOURGEOIS dans la grande monographie des pays ruandais et urundais (Banyarwanda et Barundi, Inst. Roy. Col. Belge, Section des Sciences morales et politiques. Tome I, Ethnographie, 1957. Tome II, La Coutume, 1954. Tome III, Religion et Magie, 1954. Voir tome II, pp. 266-335.

* 635 PAPADOPOULOS, Th., Op. Cit. , p. 84.

* 636 POPPER, K., La Connaissance objective, p. 336.

* 637 Kant, écrit Popper, a fait une « distinction tranchée (...) entre l'intuition et la pensée discursive n'est pas soutenable. L'intuition, quoi qu'on désigne sous ce nom, est en grande partie le produit de notre développement culturel de notre pratique de la pensée discursive. Il est difficile d'accepter l'idée kantienne d'un modèle unique d'intuition pure qui nous serait commun à tous ... » (La Connaissance objective, p. 218).

* 638 Kant a profondément souffert d'un cauchemar et il échoué dans sa tentative d'y échapper ; voir l'excellente présentation que fait Compton de « l'échappatoire kantien » dans The Freedom of Man, pp. 67sq. Qu'on nous permette de préciser ici que Popper n'approuve pas tout ce que Compton a à dire dans le domaine de la philosophie des sciences. Voici quelques exemples de conceptions qu'il ne partage pas : l'approbation par Compton du positivisme ou du phénoménalisme de'Heisenberg (The Freedom of Man, p. 31) ; et certaines remarques reprises à Carl Eckart : bien que Newton n'ait pas été lui-même, semble-t-il, un déterministe.

* 639 N'SANDA WAMENKA, Récits épiques des Lega du Zaïre, tome 1, p. 8.

* 640 Idem.

* 641 PAPADOPOULOS, Op. cit., p. 84.

* 642 MUTUZA, La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 1.

* 643 Lettre du 30 mars 1952 dans Lettres à Maurice Solovine,, 115.

* 644 Idem.

* 645 Idem.

* 646 Cité de Dieu, X, XII.

* 647 Traité sur l'Evangile de Jean, XXIV, 2.

* 648 La conséquence sociale de la conception de l'homme comme un composé d'une âme immortelle et d'un corps périssable par la philosophie classique crée un individualisme.

* 649 GURVITCH, G., La Vocation actuelle de la Sociologie, tome II, p. 53.

* 650 Une variable est, en mathématique, une grandeur ou valeur susceptible de se modifier ou d'être modifiée.

* 651 L'intégration est une opération consistant à calculer des intégrales.

* 652 La dérivation est un calcul d'une dérivée et la dérivée est une limite vers laquelle tend le rapport de l'accroissement que prend une fonction à l'accroissement attribué à la variable, lorsque ce dernier tend vers zéro.

* 653 La fonction de la variable réelle dont la dérivée est une fonction donnée.

* 654 Les troncations, très fréquentes dans la langue parlée, appartiennent généralement au registre familier (une manif, un instit, le petit-déj, etc.). Cependant, certaines sont consacrées par l'usage et ne sont plus ressenties comme étant familières. Si quelques-unes s'emploient aux côtés de la forme longue (photo / photographie, kilo / kilogramme, etc.), d'autres se sont plus ou moins totalement substituées au mot souche (stylo / stylographe, métro / métropolitain, etc.).

* 655 EULER, L., Etablissement du calcul intégral, p. 15.

* 656 Vérité et Méthode, p. 53. Parallèlement à l'examen de l'expérience de vérité hors de la science, Hans-Georg Gadamer fonde celle-ci sur une « conscience de la détermination historique », dont il développe l'idée dans cette oeuvre majeure,

* 657 LEIBNIZ, G.W., De Arte Combinatoria , p. 20. Il avait établi que l'usage du nombre supposait une pensée capable de faire abstraction des qualités propres aux unités qui le composaient, pour en former de nouvelles, qui pouvaient à leur tour se combiner. Fondée sur le « principe de continuité » qui garantit que l'on peut toujours trouver, entre deux états, une série d'intermédiaires pour rendre compte du passage de l'un à l'autre, la pensée de Leibniz se donna pour objectif de trouver un langage qui, sur le modèle des mathématiques, est capable de formaliser l'infinité des données. Il nomma ce langage « caractéristique universelle », censé retrouver l'unité mythique de la langue d'avant Babel et parvenir, par la définition de règles de transformations, à ramener toutes les formes de réflexion à des calculs vérifiables par tous.

* 658 EULER, L., Introduction à la théorie de la Nature, p. 76.

* 659 Nous prenons la linéarisation dans son sens informatique dont la graphique constitue la méthode de lutte contre l'aspect en marches d'escalier, ou crénelage, d'éléments graphiques tels que les diagonales, les courbes et les cercles. Le crénelage se produit lorsque la résolution du milieu de sortie est trop grossière pour que l'image qui s'y projette apparaisse sous forme de lignes douces et continues. La méthode la plus simple pour lutter contre ce phénomène consiste à augmenter la définition du milieu de sortie. Une autre approche consiste à utiliser des routines de linéarisation qui estompent l'aspect dentelé en ombrant ou en colorant les pixels voisins, de façon à atténuer la transition entre noir et blanc (ou entre deux couleurs) et à la rendre moins visible.






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