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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Antoine PETIT

Master Droit Privé Fondamental Année universitaire 2011/2012

Presse et responsabilité civile

Travail réalisé sous la direction de M. le professeur Jérôme JULIEN

Université Toulouse 1 Capitole 2, rue du Doyen Gabriel Marty

31 042 Toulouse cedex - 9 France

Antoine PETIT

Master Droit Privé Fondamental Année universitaire 2011/2012

Presse et responsabilité civile

Travail réalisé sous la direction de M. le professeur Jérôme JULIEN

1

Université Toulouse 1 Capitole 2, rue du Doyen Gabriel Marty

31 042 Toulouse cedex - 9 France

2

Je tiens à remercier tout particulièrement le professeur Jérôme JULIEN pour ses conseils et le temps qu'il m'a consacré.

Je remercie aussi sincèrement l'ensemble des professeurs du Master droit privé fondamental pour l'enseignement dispensé tout au long de l'année et pour leur disponibilité.

Enfin, je souhaite témoigner tous mes sentiments de reconnaissance et de gratitude envers mes parents, ma famille et mes amis, sans qui rien n'aurait été possible.

Liste des principales abréviations

AJ fam.

AJP

ALD

art.

Ass. Plén.

Bull. civ.

Bull. crim.

CA

CE

CEDH

ch.

chron.

Civ.

Com.

comm.

Comm. com. électr.

Cons. const.

Conv. EDH

Crim.

DDHC

D., DC, DP

doctr.

éd.

Fasc.

Gaz. Pal.

Ibid.

Infra

J-Cl.

JCP

JO

LCEN

LPA

not.

obs.

op. cit.

p.

préc.

Rapp.

Actualité juridique de droit de la famille

3

Actualité juridique de droit pénal

Actualité législative Dalloz

article

Assemblée plénière

Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de

cassation

Cour d'appel

Conseil d'État

Cour européenne des droits de l'Homme

chambre

chronique

Arrêt d'une chambre civile de la Cour de cassation (1e, 2e ou 3e

chambre)

Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation

commentaire

Communication-Commerce électronique

Conseil constitutionnel

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et

des libertés fondamentales

Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation

Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen

Recueil Dalloz, critique, périodique

doctrine

édition

Fascicule

Gazette du Palais

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droit pénal...)

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Loi pour la confiance dans l'économie numérique

Les Petites affiches

notamment

numéro

observations

ouvrage précité

page

précité

Rapport

Rev. crit. légis. jurisp.

Rev. Lamy dr. aff.

RTDciv.

somm.

ss. dir.

Supra

t.

T. civ.

T. com.

T. corr.

TGI

TI

V.

Revue critique de législation et de jurisprudence

4

Revue Lamy Droit des affaires

Revue trimestrielle de droit civil

sommaire

Sous la direction de

Ci-dessus

tome

Tribunal civil

Tribunal de commerce

Tribunal correctionnel

Tribunal de grande instance

Tribunal d'instance

Voir

Sommaire

(Les chiffres renvoient aux numéros de pages)

5

Introduction 7

Première partie

La suprématie controversée de la loi du 29 juillet 1881 en matière de presse

Titre 1 : Les règles de forme et de fond instaurées par le texte spécial 15

Chapitre 1 : Le particularisme procédural du contentieux de la presse 15

Chapitre 2 : Les règles de fond de mise en oeuvre de la responsabilité 28

Titre 2 : La perturbation des équilibres de la loi du 29 juillet 1881 engendrée par

l'omniprésence de la responsabilité civile de droit commun 40

Chapitre 1 : Le conflit opposant la loi sur la presse et l'article 1382 du Code civil 40

Chapitre 2 : La résolution du conflit par l'admission d'une fonction complétive de

l'article 1382 du Code civil 51

Deuxième partie

La place effective du droit commun de la responsabilité civile en matière de presse

Titre 1 : Un domaine résiduel face à l'hégémonie de la loi du 29 juillet 1881 et les autres

dispositions spéciales 66
Chapitre 1 : Les abus de la liberté d'expression entrant dans le champ de l'article 1382

du Code civil 66
Chapitre 2 : La protection civile autonome des « nouveaux droits de la personnalité »

80
Titre 2 : L'impuissance de la responsabilité civile face à la prééminence de la liberté

d'expression 95

Chapitre 1 : La multiplication des faits justificatifs spéciaux en matière de presse 95

Chapitre 2 : Le droit de réponse, ultime garantie face à la liberté d'expression 111

6

Conclusion Générale 123

Bibliographie 127

Index 137

Table des matières 140

7

Introduction

1. François Mitterrand a déclaré dans une lettre aux français : « Montesquieu pourra se réjouir, à distance, de ce qu'un quatrième pouvoir ait rejoint les trois autres et donné à sa théorie de la séparation des pouvoirs l'ultime hommage de notre siècle »1.

Par ce renvoi bien connu au concept de quatrième pouvoir2, il était bien entendu fait allusion au « pouvoir médiatique » venant agrémenter la liste des trois autres - exécutif, législatif et judiciaire - piliers de l'idéologie démocratique. C'est dire combien le pouvoir de la presse est à considérer.

Chaque jour, les médias s'érigent en peintres des rouages de notre monde, pour souvent venir nous frapper dès la première heure de la journée. Que ce soit au réveil en allumant le poste de radio, à la sortie du métro en saisissant un quotidien gratuit ou encore dans la rue, interpellé par l'un des innombrables titres accrocheurs gorgeant les panneaux publicitaires, la presse nous entoure, nous imprègne. Par son omniprésence, elle exerce inéluctablement une influence sur notre façon de voir les choses, d'appréhender l'information et de s'en faire un jugement. Elle peut ainsi se révéler être un redoutable instrument de contrôle de l'opinion publique.

Ce quatrième pouvoir, aux allures tentaculaires, est essentiellement légitimé par le fait que l'activité des médias repose sur la liberté d'expression, elle-même considérée comme l'une des pierres angulaires de la démocratie3. Il incombe dès lors de préciser que le pouvoir des médias est consubstantiel à celui accordé à la liberté d'expression. À l'instar de cette dernière, les médias sont confrontés à une limite primordiale : celle de ne pas empiéter sur les droits d'autrui4. Une telle limite doit inévitablement poser la question de leur responsabilité.

2. Depuis son apparition, la presse a beaucoup évolué. Cette évolution résulte de la conjonction d'une multitude de facteurs ayant contribué au façonnement de notre société. Parmi ceux-ci, figurent notamment les péripéties de l'actualité politique, économique, les

1 François Mitterrand, dans sa lettre adressée aux français lors de sa campagne présidentielle en avril 1988.

2 En 1787, environ quarante ans après De l'esprit des lois, de Montesquieu - posant le principe de la séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) - un homme politique irlandais nommé Edmund Burke désigne les journalistes comme étant détenteurs d'un « quatrième pouvoir ». Plus tard, Alexis de Tocqueville reprendra cette idée dans De la démocratie en Amérique. L'expression fait alors son entrée en France (D. Salles, « Médias, pouvoir et contre pouvoir », L'école des lettres 2010-2011 n°2-3, p. 103).

3 L. Josende, Liberté d'expression et démocratie, réflexion sur un paradoxe, Bruylant, 2010, p.12 et s.

4 Selon l'article 4 de la DDHC : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».

8

variations des moeurs, les innovations technologiques. Mais avant même de s'intéresser à l'histoire de la presse, à son contenu ou encore à ses supports, savons-nous seulement ce qu'implique le mot « presse » ?

Il semblerait que l'on tende systématiquement à associer à la presse les termes de média, journalisme, reportage. Il convient dès lors de dissiper ces associations hâtives. En réalité, le mot presse trouve son essence dans un procédé, une technique. Selon les termes utilisés par le dictionnaire Robert, la presse désigne le « dispositif destiné à exercer une pression sur un solide en vue d'y laisser une impression »5. L'histoire de la presse est donc avant tout celle d'un procédé6. Avant de désigner l'objet imprimé, la presse est d'abord le pressoir à encre, l'instrument permettant de reproduire indéfiniment un même texte sur du papier. De procédé technique, la presse renverra ensuite - bien plus tardivement - au produit de ce procédé, dont la matérialité sera pendant longtemps limitée au support papier7.

3. Très peu de temps après l'importation de la presse en France dans la seconde moitié du XVème siècle8, la puissance publique, face à la propagation des idées imprimées, prend les premières mesures de contrôle de son contenu. Sur toute l'étendue du Royaume, le roi s'impose alors en maître des publications de presse, s'attribuant ainsi le pouvoir d'autoriser les impressions et diffusions par voie de privilèges, après l'exercice d'une censure réalisée par les docteurs de l'université de Paris. Les « privilèges du roi » deviennent alors la première véritable forme de contrôle du contenu des publications de presse sans lesquels nul ne peut se lancer dans l'entreprise d'imprimerie ou de librairie. Ce système corporatiste des métiers - essentiellement destiné à filtrer les ouvrages considérés comme hérétiques - ne laisse guère de place à une responsabilité de l'auteur. Seuls les imprimeurs et libraires sont responsables des livres qu'ils publient9.

Durant toute la période de l'ancien régime, la presse est donc régie par un monolithique système de privilège de corporation règlementant minutieusement tous les métiers de l'imprimerie et de la librairie. Les multiples censures exercées par les censeurs

5 A. Rey et J. Rey Debove, Le Petit Robert, Le Robert, 2012, p. 2012.

6 Pour le détail du procédé d'impression et ses différentes techniques, V. Le grand Larousse Encyclopédie, Larousse vol. 1/A-Kingsley, 2007, p. 1244.

7 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 12.

8 C'est en 1470 que l'Humaniste et professeur de théologie Guillaume Fichet installera avec le prieur Jean Heynlin, la première imprimerie au collège de la Sorbonne, créant ainsi le premier atelier de ce genre en France (J. Philippe, Guillaume Fichet : sa vie, ses oeuvres, Dépollier, 1892, p. 175 et s.)

9 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 15.

9

du roi10 permettent ainsi au pouvoir royal d'exercer un véritable contrôle de la pensée en tournant les publications de presse à son profit11.

Il faudra fondamentalement attendre la révolution française de 1789 pour apporter la première pierre à l'édifice d'émancipation que constitue celui de l'histoire de la presse. Pour la première fois sont consacrés les grands principes de sa liberté, qui pendant toute la période du XIXème siècle, vont servir de référents aux revendications des journalistes du monde entier. Aujourd'hui encore, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 reste la consécration la plus illustre de cette liberté que constitue celle de la presse12. Aussi, dans le même temps, alors que la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 se met à proscrire toute forme de corporation, le décret d'Allarde du 17 mars lui, supprime les entraves au fonctionnement des entreprises et à l'exercice des professions parmi lesquelles figure celle de journaliste. Le quatrième pouvoir est en marche.

Au cours du XIXème siècle, la presse connait une incroyable expansion13. L'influence politique considérable exercée par celle-ci sur les citoyens conduit les gouvernements à chercher par tous moyens à freiner son développement, en vain. Comme portés par la frénésie de son essor, les journalistes, déterminés à contourner les obstacles légaux érigés contre elle, sont bel et bien résolus à réclamer encore davantage de liberté. C'est ainsi que le 29 juillet 1881, après un siècle de revendications, l'emblématique loi sur la liberté de la presse est adoptée par la chambre des députés à la quasi-unanimité. Cette loi, se réclamant « d'affranchissement et de liberté »14, s'ouvre par un premier article éminemment libéral : « L'imprimerie et la librairie sont libres ». Le ton est donné. L'ancien régime préventif reposant sur un système d'autorisation préalable laisse désormais place au seul régime répressif. Le juge n'intervient que postérieurement à la commission de l'une des infractions inscrite dans la loi de 1881.

10 Le travail de censure, originairement opéré par les membres de l'université de Paris, sera sous Louis XIII, par un édit du 15 janvier 1629, confié à des censeurs nommés par le chancelier. Ceux-ci ont pour rôle d'examiner les livres préalablement à leur parution, le privilège du roi n'étant délivré qu'après leur autorisation.

11 Cette dépendance de la presse vis-à-vis du pouvoir politique est parfaitement illustrée par la célèbre boutade de Beaumarchais : « Pourvu que je ne parle dans mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement sous l'inspection de deux ou trois censeurs » (Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte V, scène 3).

12 En effet, l'article 11 de la DDHC dispose que « la libre communication de la pensée et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

13 Entre 1800 et 1870, le nombre de tirages de presse quotidienne a été multiplié par trente (P. Albert, Histoire de la presse, PUF, Que sais-je ?, 11e éd., 2009, p. 38).

14 E. Lisbonne, in H. Celliez et C. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse, accompagnée des travaux de rédaction avec observations et tables alphabétiques, Paris, 1882, p.5.

10

4. La loi du 29 juillet 1881, nous le verrons, prévoit et réprime les abus de la liberté d'expression les plus graves commis par voie de presse. Cela justifie d'ailleurs en partie son caractère éminemment pénal. Celle-ci met en place un régime procédural exorbitant du droit commun dont le bien-fondé demeure l'objet d'inébranlables déchaînements doctrinaux. De par l'effet démultiplicateur qui s'attache aux publications de presse et la gravité des dommages pouvant être causés à l'ordre public, le législateur a jugé bon que les auteurs des abus les plus graves voient leur responsabilité pénale engagée sur ce fondement. Toutefois, en marge du texte spécial de 1881, ce dernier laisse libre cours aux actions en responsabilité civile engagées pour des propos simplement fautifs. Dès lors, chacun est libre d'invoquer l'article 1382 du Code civil dans les conditions du droit commun. La responsabilité civile - pouvant se définir comme l'obligation mise à la charge d'un responsable de réparer le dommage qu'il a causé à autrui15 - sous réserve de la démonstration d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité, permettra ainsi à toute personne s'estimant victime d'un abus de la liberté d'expression d'obtenir réparation de son préjudice16.

Il apparaît en effet tout à fait normal, que lorsqu'un abus est commis par voie de presse et « cause à autrui un dommage »17, la victime s'efforce - et parfois même se contente - par la voie judiciaire, non seulement d'obtenir la cessation de la faute, mais aussi, la réparation de son préjudice. Par le choix d'une telle action, fondée sur la responsabilité civile de droit commun de l'article 1382, les victimes furent d'ailleurs souvent tentées d'échapper aux obstacles de procédure de la loi du 29 juillet 188118.

Face à ces tentatives d'immixtions du droit commun dans le domaine de la presse - de plus en plus fréquentes vers la seconde moitié du XXème siècle - une réaction jurisprudentielle s'imposa. Nous l'étudierons avec attention dans notre développement

15 P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, Dalloz, 7e éd., 2007, p. 1.

16 Il incombe dès maintenant d'apporter une précision essentielle pour la suite de notre développement. Comme nous le savons, la responsabilité civile peut être délictuelle ou contractuelle. Elle est contractuelle si le dommage causé résulte de l'inexécution d'un contrat liant le responsable à la victime, et délictuelle dans les autres cas. Bien que les hypothèses de responsabilité contractuelle existent en matière de presse (par exemple, l'hypothèse où l'auteur des propos - journaliste-salarié d'une entreprise de presse comme c'est souvent le cas - se trouve avoir manqué à son devoir de probité envers son employeur par la rédaction d'un article calomnieux) celles-ci sont infimes au regard des innombrables perspectives de mise en oeuvre de la responsabilité civile délictuelle des organes de presse. En effet, dans la grande majorité des cas, l'auteur des propos « civilement fautifs » ne sera pas lié contractuellement à la victime de l'abus de la liberté d'expression. C'est la raison pour laquelle, nous nous contenterons, dans cette étude, de n'envisager la responsabilité civile que sous son angle délictuel.

17 L'article 1382 du Code civil dispose en effet que : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

18 E. Derieux, Droit de la communication, LGDJ, 4e éd., 2003, p. 557.

11

pour comprendre au mieux la relation qu'entretient l'article 1382 du Code civil avec le texte spécial du 29 juillet 188119. Car il convient de mesurer le caractère éminemment fondamental de ce débat. C'est tout l'équilibre du droit de la presse qui entre ici en jeu.

Il y a d'une part, la loi du 29 juillet 1881, qui réprimant les abus de la liberté d'expression les plus graves, offre un véritable terrain d'épanouissement à la liberté d'expression des journalistes. D'autre part, nous avons la responsabilité civile de droit commun, qui en raison de son universalisme et de son caractère d'ordre public20, permet que toute faute, aussi légère soit-elle, suffise à engager la responsabilité civile de son auteur, ce qui transposé à l'activité médiatique, comporte le fort risque d'entraver la liberté d'expression des médias21.

Dès lors, « la noblesse du texte spécial peut-elle tolérer la concurrence de ce droit trop commun » 22 et si oui - si tant est qu'en soit requises - sous quelles conditions ? Il s'agira là d'une des problématiques majeures à laquelle nous tenterons d'apporter une réponse.

19 Pour d'ores et déjà tenter de percevoir en quoi les rapports de la loi sur la presse avec l'article 1382 du Code civil sont encore plus étroits que pour d'autres régimes spéciaux, raisonnons par analogie. Un régime spécial est créé pour régler une « catégorie de litiges ». Par exemple, les articles 1386-1 et suivants règlent les litiges relatifs aux produits défectueux, la loi du 9 avril 1898 règlemente ceux qui ont trait aux accidents du travail. Ainsi, dès lors qu'une action correspond à l'une de ces deux catégories, celle-ci ne peut qu'être fondée sur la base de l'une ou l'autre de ces lois. La loi du 29 juillet 1881 elle, vise à sanctionner les abus de la liberté d'expression commis par voie de presse. Il s'agit donc de la « catégorie de litiges » dont elle assure la réglementation. Or, sa mise en oeuvre - nous le verrons - n'est pas subordonnée à la seule exigence d'un abus, car pour qu'elle soit applicable, il faut nécessairement que les faits poursuivis correspondent à l'une des incriminations prévues par le texte se contentant de réprimer les abus les plus graves. Autrement dit, il peut y avoir abus de la liberté d'expression commis par voie de presse, sans pour autant qu'il y ait délit de presse. On mesure alors tout le rôle perturbateur que joue l'article 1382.

20 Ces deux notions accompagnant le mécanisme de la responsabilité civile délictuelle sont capitales pour comprendre en quoi celle-ci est susceptible de constituer une menace pour la pérennité du principe de liberté d'expression. L'universalisme de la responsabilité civile tout d'abord, découle de la portée volontairement générale du principe mis en place par l'article 1382 du Code civil selon lequel nul ne peut nuire à autrui. Il s'agit là d'un principe transversal de notre droit reflétant les valeurs qui servent de fondement à notre société. Dès lors, tout dommage causé à la suite d'un comportement nuisible se doit de donner lieu à réparation ce qui nous amène au second grand principe encadrant le régime de la responsabilité civile délictuelle : l'ordre public. L'idée est ici de dire que la réparation du préjudice causé par le comportement fautif de son auteur - qui par ailleurs obéit au principe de réparation intégrale (tout chef de préjudice donne lieu à réparation et ce, dans son intégralité) - ne peut supporter aucune forme d'aménagement par les parties. Elle ne peut donc être minimisée ou au contraire, majorée (Ph. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 8e éd., 2010, p. 21 et s.).

21 Cela est d'autant plus vrai, que nous observerons qu'un certain nombre de facettes de la liberté d'expression comportent par nature une dimension nuisible consubstantielle à leur exercice, vision que semble corroborer la Cour européenne des droits de l'homme depuis une trentaine d'années déjà. En effet, dans les années soixante-dix, un arrêt retentissant de la Cour de Strasbourg, aujourd'hui multi-consacré, fit valoir que la liberté d'expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population » (CEDH, Handyside c/ Royaume Uni, n° 5493/72, 7 décembre 1976, GACEDH n° 7).

21 E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité civile en matière de presse », Dalloz, 2006, p. 1137.

5.

12

En sus du régime général de responsabilité découlant de l'article 1382 du Code civil, l'accent devra être mis sur le développement d'une « autre » responsabilité civile, à la portée moins transversale, et s'arrogeant le monopole de la défense d'un certain nombre de droits de la personnalité dont la consécration légale doit beaucoup à l'évolution de la presse et de son contenu.

On sait en effet que les articles 1382 et 1383 du Code civil ont été le « creuset » où furent crées un certain nombre de droits de la personnalité dont notamment, le droit au respect de la vie privée, de la présomption d'innocence ou encore le droit à l'image23. Depuis la fin des années soixante, les atteintes portées à ce type d'attributs de la personnalité constituent l'une des illustrations les plus récurrentes de la mise en oeuvre de la responsabilité civile des médias pour abus de la liberté d'expression. Cette explosion du contentieux des droits de la personnalité s'explique principalement par l'apparition d'une nouvelle forme de presse dite « à scandale », se complaisant à multiplier les intrusions fortuites dans la vie privée des gens, notamment par voie de photographies. Les tribunaux civils se retrouvèrent donc vite confrontés à une nouvelle vague d'actions en responsabilité, fondées sur les articles 9 et 9-1 du Code civil24, donnant à nouveau le sentiment d'une mise à l'écart de la voie pénale au profit de celle civile.

Là encore, comme pour l'article 1382 du Code civil, l'instrumentalisation des actions en responsabilité civile aux fins de contournement du texte spécial de la loi du 29 juillet 1881, devait inévitablement poser le problème de leur cantonnement vis-à-vis de la loi du 29 juillet 1881. Nous tenterons donc d'analyser les rapports entretenus par les « responsabilités civiles spéciales » des articles 9 et 9-1 du Code civil avec la loi sur la liberté de la presse, ainsi que les enjeux suscités par cette question.

6. Enfin, notons que la présente étude s'axera principalement autour du texte central que constitue la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Certes, bien qu'originairement prévue pour appréhender les seuls abus de la liberté d'expression commis par voie de « presse écrite », nous verrons que la plupart de ses dispositions25 ont été transposées aux lois réglementant les nouveaux supports de presse parmi lesquelles figurent

23 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 8.

24 Les articles 9 et 9-1 du Code civil sont les dispositions servant de base légale aux actions visant à obtenir la réparation d'atteintes portées à la vie privée, à l'image (art. 9) et à la présomption d'innocence (art. 9-1).

25 Notamment celles qui nous intéressent ayant trait à la mise en oeuvre de la responsabilité des médias.

13

principalement, la loi du 29 juillet 1982, relative à la communication audiovisuelle26, et la loi du 21 juin 2004, concernant les activités de communication en ligne27. En ce sens, le texte de 1881 - en dépit des nombreuses modifications règlementaires et législatives survenues depuis sa consécration - continue encore d'incarner le « noyau dur » de la législation applicable en matière de presse. Il sera pour cette raison au coeur de la réflexion portée sur ce sujet.

L'objet de notre développement consistera donc tout d'abord en une analyse globale de cette suprématie controversée que connait le texte spécial de la loi du 29 juillet 1881, face aux perturbations générées par une responsabilité civile de droit commun toujours en quête de nouveaux territoires. Il s'agira alors de dresser un éventail essentiellement théorique des aspects du conflit opposant ces textes, et de souligner leurs enjeux pour la liberté de la presse (Partie I). Il nous restera ensuite à explorer l'étendue de la place effectivement accordée par le juge à la responsabilité civile au sein du contentieux de la presse. Ce second volet de développement nous permettra ainsi de se faire une idée relativement précise du rôle tenu par la responsabilité pour faute, face à la liberté que constitue celle de s'exprimer (Partie II).

26 Loi n82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle règlementant les stations de radiodiffusion et de télévision.

27 Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ayant essentiellement trait à la presse en ligne diffusée via Internet.

14

Partie I : La suprématie controversée de la loi du 29 juillet 1881 en matière de presse

7. Il n'est pas étonnant que la loi du 29 juillet 1881 prime sur la responsabilité civile de droit commun reposant sur l'article 1382 du Code civil. Il ne s'agit en effet que d'une simple application de l'adage romain specialia generalibus derogant28 érigé en principe général de notre droit. Or, si pendant plus d'un siècle une cohabitation pacifique régnait entre les deux textes, le choc des législations ne tarda pas à se faire sentir pour laisser place aux tumultes que l'on connaît entre l'article 1382 du Code civil et le texte spécial29.

8. Tant sur la forme que sur le fond, le texte de 1881 instaure un régime exorbitant du droit commun souvent jugé comme excessivement protecteur des organes de presse. L'accent doit particulièrement être mis sur la rigueur exacerbée des exigences procédurales du texte spécial faisant l'objet de critiques à répétition de la part de nombreux auteurs30 (Titre 1). Sa recherche d'un équilibre, entre d'une part la liberté d'expression et d'autre part le droit des personnes, s'est vu perturbée par de nombreuses tentatives d'immixtion du droit commun en la matière poussant ainsi la jurisprudence à devoir se prononcer sur les frontières respectives des deux textes (Titre 2).

28 Ce qui est spécial déroge à ce qui est général : H. Roland, Lexique juridique, expressions latines, LexisNexis, 5e éd., 2010, p. 337.

29 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 732.

30 V. E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de 1881 ? », Légipresse n°154-II, sept. 1998, p. 93.

15

Titre 1 : Les règles de forme et de fond instaurées par le texte spécial

9. La loi du 29 juillet 1881 est un texte de droit pénal et de procédure pénale. Ses règles processuelles sont l'une des caractéristiques prépondérante de son authenticité. C'est d'ailleurs depuis seulement une vingtaine d'années que celles-ci se sont imposées devant le prétoire civil, ce qui nous le verrons divise largement la doctrine (Chapitre 1). Le coup de grâce a pourtant été porté par une importante jurisprudence de 200031 favorable à une identité de la faute pénale et civile en matière de presse et harmonisant ainsi les règles de fond de mise en oeuvre de la responsabilité (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Le particularisme procédural du contentieux de la presse

10. Le contentieux de la presse est redouté des praticiens du droit pour sa singulière technicité32 de sorte que de nombreux avocats et juges en ont fait leur spécialité. Les auteurs s'intéressant à la matière n'ont d'ailleurs pas manqué d'imagination tant les formules illustrant la complexité de la procédure telle qu'imposée par le texte spécial sont nombreuses33.

11. Nous observerons que la loi sur la liberté de la presse apparaît comme étant l'expression d'un droit subtil (Section 1) dont l'extension des règles de procédure devant le juge civil s'est progressivement opérée pour atteindre son paroxysme au deuxième millénaire. Il conviendra d'en examiner les conséquences eu égard à l'action civile en réparation du dommage causé par voie de presse, désormais soumise aux dispositions pénales instaurées par le texte (Section 2).

31 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull. civ. n8 ; Comm. com. électr. 2000, n108, obs. A. Lepage ; LPA, 14 août 2000, note E. Derieux ; Gaz. Pal. 2001, somm. p. 979, note P. Guerder ; JCP G 2000. I. 280, n2, obs. G. Viney ; RTDciv. 2000, p. 845, obs. P. Jourdain ; D. 2000, somm. p. 463, obs. P. Jourdain.

32 V. E. Derieux, « pièges procéduraux de la loi du 29 juillet 1881», note sous TGI Belfort, 5 janvier 1996, JCP 1996. II. 22695.

33 Commet éluder la formule utilisée par Marc Domingo : « la loi du 29 juillet 1881 est peuplée, sur son versant procédural de monstres fantastiques et d'avortons étranges qui composent une galerie de tératologie juridique rarement imitée dans d'autres secteurs du droit. » (« Atteintes à la réputation : la protection judiciaire pénale », Gaz. Pal. 1994, 2, doctr. p. 999)

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Section 1 : Les subtilités processuelles de la loi de 1881

12. Pendant longtemps, seules les dispositions de l'article 65 du texte de 1881 relatives à la prescription étaient opposées aux actions civiles en réparation trop tardives. Pour le reste, le « formalisme tatillon »34 mis en place par la loi sur la liberté de la presse trouvait uniquement à s'appliquer devant le juge répressif (Paragraphe1). Il faudra finalement attendre la fin du XXème siècle pour assister à l'unification des procédures pénale et civile de presse (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Une procédure au formalisme méticuleux

13. Le formalisme pointilleux auquel doivent faire face les demandeurs au procès de presse se manifeste dès l'introduction de l'instance par le biais d'un certain nombre de dispositions essentielles pour la suite de la procédure (A). Ceux-ci devront en outre veiller avec attention à ne pas se voir opposer le court délai de prescription de trois mois, caractéristique du droit de la presse (B).

A. Les exigences fondamentales des articles 50 et 53 du texte spécial

14. Le particularisme procédural du procès de presse se reflète dès l'acte introductif d'instance dont le formalisme - imposé par les articles 50 et 53 de la loi de 1881 - paraît d'emblée vouloir endurcir l'aboutissement des actions en responsabilité. Il convient dès lors de s'attarder en quelques mots sur le contenu de ces dispositions clés de la loi sur la liberté de la presse.

L'article 50 tout d'abord, exige à peine de nullité que le réquisitoire introductif du ministère public articule et qualifie « les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l'application est demandée. »35. Cette triple exigence de qualification et précision des faits litigieux d'une part, et d'indication des textes applicables d'autre part, se retrouve au sein de l'article 53 de la même loi concernant la citation directe devant le tribunal correctionnel. En outre, pour les citations délivrées à la requête du plaignant, ce dernier impose une élection de

34 N. Mallet-Poujol, « Abus de droit et liberté de la presse », Légipresse 1997, n143-II, p. 84.

35 Art. 50 du Code de la communication ; La jurisprudence a désormais étendu ce formalisme à la plainte avec constitution de partie civile.

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domicile dans la ville où siège la juridiction saisie ainsi que l'obligation de signifier la citation au ministère public en plus du prévenu36.

15. Alors que la loi dispose que l'ensemble de ces formalités doivent être respectées à peine de nullité, une jurisprudence constante affirme que les choix réalisés en vue de satisfaire à ces exigences de forme sont définitifs. En effet, « ils fixent irrévocablement les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre (É) et délimitent définitivement la poursuite »37. Il faut donc bien comprendre que le choix des éléments de fait et droit concomitant aux exigences d'articulation et de qualification des propos - s'opérant à la base de la poursuite - est primordial.

16. Ce développement purement descriptif appelle à réaliser deux types d'observations. Difficile d'éluder d'une part, le caractère éminemment pénal des dispositions procédurales évoquées. Les termes « réquisitoire », « ministère public », « citation », ne trompent pas sur le dessein du législateur de 1881 de vouloir semble t-il, appliquer ces dispositions procédurales devant le juge répressif uniquement. Les articles 50 et 53 ne font d'ailleurs aucune allusion à une quelconque action civile séparée38. D'autre part, il apparaît clairement que ce formalisme exigeant déroge aux règles classiques de procédure pénale en un sens favorable à la partie défenderesse39. Les rédacteurs de la loi sur la liberté de la presse ne s'en cachaient d'ailleurs pas. Il s'agit en réalité de créer des obstacles de procédure en vue de mieux protéger les organes de presse et ainsi « modérer les ardeurs de la vindicte publique »40.

C'est sans compter le « brévissime »41 délai de prescription consacré par l'article 65 de la loi de 1881 constituant l'un des principaux trait caractéristiques de la procédure de presse.

B. La « cruciale » prescription trimestrielle

17. La Cour européenne a eu l'occasion de définir la prescription comme étant le « droit accordé par la loi à l'auteur d'une infraction de ne plus être poursuivi ni jugé après

36 Art. 53 du Code de la communication.

37 Crim. 24 nov. 1992 : Bull. crim. n°386 ; V. aussi : Crim. 14 mai 1979 : JCP 1979. IV. 237 ; Crim. 22 mai 1984 : Bull. crim. n°188.

38 E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de 1881 ?», Légipresse Spécial 30 ans, oct. 2009, p.137.

39 V. à titre de comparaison : B. Bouloc, Procédure pénale, Précis Dalloz, 23ème éd., 2012, p.165 et s.

40 Rapport général, § XXXVI, in H. Celliez et Ch. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse accompagnée des travaux de rédaction, Libr. A. Marescq Ainé, Paris, 1882, p.594.

41 B. Beignier, L'Honneur et le droit, LGDJ, 1995, p.180.

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l'écoulement d'un certain délai depuis la réalisation des faits »42. Il semble réellement que ce droit se métamorphose en privilège en matière de presse.

18. En effet, selon l'article 65 al 1er de la loi du 29 juillet 1881 : « L'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions (É) se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait »43. Il en résulte donc qu'en matière de presse, action publique comme civile se prescrivent par un délai de trois mois, que celles-ci soient engagées ensemble ou séparément44. En effet, cette unité des prescriptions mise en place par le législateur de 1881 a résisté à la loi du 23 décembre 1980 ayant mis un terme au principe de solidarité des prescriptions entre l'action publique et civile. Une jurisprudence constante en atteste45. Ce « délai couperet », caractéristique du contentieux de la presse déroge donc clairement aux délais de prescription de droit commun tant en matière pénale que civile46. Mais comment en justifier ?

19. Il semblerait que ce court délai de prescription puise sa raison d'être dans une primordiale nécessité de protection de la liberté d'expression47. La liberté l'emporterait-elle sur la responsabilité ? On peut en être inquiété. Pourtant la Haute juridiction, ayant eu à se prononcer sur la validité normative d'un tel délai eu égard aux garanties offertes aux droits de la défense par la Convention européenne des droits de l'homme, estime qu'un tel régime n'entrave aucunement l'article 6§1 de cette dernière. En effet selon elle, c'est à la la victime de faire preuve de « diligence »48.

20. Diligence, prudence. Quel euphémisme ! Cette même prescription trimestrielle oblige aussi le plaignant à interrompre ce délai au maximum tous les trois mois afin d'informer le défendeur de sa volonté de continuer les poursuites. Ce dernier se verra ainsi devoir réitérer les actes de procédure afin de ne pas se voir opposer le « couperet des trois

42 CEDH, 22 juin 2000, Coëme c/ Belgique, n° 32492/96, § 26.

43 E. Derieux, A.Granchet, Droit de la communication lois et règlements, Recueil Légipresse, Victoires-éditions, 2010, p. 318.

44 Une loi du 9 mars 2004 porte néanmoins ce délai à un 1 an pour certaines infractions à caractère raciste (V. Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité)

45 Crim. 11 déc. 1984 : Bull. crim. n°398 ; Civ. 2e, 20 avr. 1983 : Bull. civ.II, n°283 ; Civ. 2e, 17 févr. 1993 : Bull. civ.II, n°66 ;

46 En effet, en matière pénale, la prescription des infractions varie selon la gravité du comportement réprimé de sorte que le délai de droit commun varie de dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits et 1 an pour les contraventions. (B. Bouloc, Procédure pénale, Précis Dalloz, 23ème éd., 2012, p. 182.) ; en matière civile, V. Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

47 La Cour de cassation l'énonçait de manière limpide dans un arrêt de sa deuxième Chambre civile : « la courte prescription édictée par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a pour objet de garantir la liberté d'expression » (Civ. 2e, 14 déc. 2000 : Bull. civ.II, n°19).

48 Crim., 2 oct. 2001 : Comm. com. électr. 2002, comm. 66, obs. A. Lepage.

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mois ». En plus, tous les actes ne sont pas nécessairement interruptifs de prescription49. La moindre négligence de la part de la victime peut donc s'avérer fatale. D'ailleurs en matière civile comme pénale, la jurisprudence a désormais admis le principe selon lequel « la fin de non-recevoir tirée de la prescription prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, d'ordre public, doit être relevée d'office »50. Le couperet, on peut le dire, semble donc bien aiguisé.

Seul l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit expressément que l'action publique comme civile devra respecter le délai de trois mois de prescription exorbitant du droit commun. Devait-on alors considérer a contrario que les autres règles spéciales de procédure prévues par le texte, ne faisant aucune référence à l'action civile, étaient circonscrites dans leur application au procès pénal ? Il semble que les juges n'aient pas adopté un tel raisonnement.

Paragraphe 2 : Le mouvement jurisprudentiel d'harmonisation

21. La perspective d'une unification des procès civil et pénal de presse est pendant longtemps restée à l'écart des décisions de justice (A). Ce n'est en effet que depuis une vingtaine d'années que s'est construit un véritable alignement procédural aboutissant aujourd'hui à une quasi-parfaite synchronisation des deux contentieux (B).

A. Une longue période de résistance

22. En prohibant pour une unique infraction - celle de diffamation envers une administration publique ou un fonctionnaire public au sein des articles 30 et 31 - que l'action civile puisse être exercée séparément de l'action publique, la loi du 29 juillet 1881 offre implicitement la possibilité pour les victimes de pouvoir agir devant le juge de l'indemnisation afin d'obtenir la réparation d'un préjudice concomitant à une infraction de presse qu'elle définit. Or, le texte spécial de 1881, de nature pénale, ne prévoit aucune règle encadrant la mise en oeuvre d'une telle action devant le juge civil de sorte que

49 La jurisprudence joue un rôle essentiel d'interprétation de l'article 65 al. 1er in fine du texte spécial prévoyant implicitement la possible interruption du délai de prescription « à compter du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ». Ainsi a t-elle pu juger par exemple qu'ont un effet interruptif, la citation directe, le réquisitoire introductif, la plainte avec constitution de partie civile. En revanche, il est courant que la jurisprudence rappelle à la victime que tel ou tel acte n'est pas interruptif là où celle-ci se croyait en sécurité. À titre d'exemple, n'est pas considéré comme acte interruptif de la prescription devant les juridictions civiles, une constitution d'avocat ou la signification par le défendeur lui même de ses conclusions. (V. pour une information détaillée : E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011).

50 Civ. 2e, 29 nov. 2001 : Bull. civ. II, n°180.

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pendant plus d'un siècle, la jurisprudence se prononça en faveur d'une distinction des deux contentieux51. Cette longue tradition jurisprudentielle, favorable à une séparation des procès civil et pénal de presse, semblait donc en parfait accord avec cette fameuse phrase de Barbier qui sur un fond d'évidence disait : « l'action civile devant les tribunaux civils ne peut être évidemment régie que par les règles du Code de procédure civile »52.

Pourtant, sans qu'aucune modification législative ne puisse réellement en justifier, la jurisprudence, à la fin du XXème siècle, s'aventura dans l'entreprise de longue haleine que devait constituer l'unification du procès pénal et civil de presse tentant ainsi d'instituer un véritable « parallélisme des formes » qui nous le verrons, ne semble pas faire l'unanimité53.

B. La contamination du procès civil de presse

23. La doctrine s'accorde à dire que c'est un arrêt de la Cour de cassation du 5 février 199254 qui posa la première pierre de l'édifice jurisprudentiel que constitue l'extension des règles de procédure pénale du texte spécial au procès civil de presse. En effet, il semblerait que ce soit en matière de référé - diffamation que la Haute juridiction a imposé pour la première fois le respect de l'authentique article 55 du texte de 1881 - consacrant l'obligation d'accorder un délai de dix jours d'offre de preuve de la vérité diffamatoire pour le défendeur au procès - devant le juge civil. Cette jurisprudence a été confirmée de façon plus générale pour l'ensemble des actions portées devant les tribunaux civils le 22 juin 1994, au motif qu'aucune disposition législative n'évince l' « application dudit article 55 dans le cas d'une action exercée séparément de l'action publique devant une juridiction civile »55.

Quelques années plus tard, c'est le formalisme de l'article 53 de la loi de 1881 qui a fini par contaminer l'acte introductif d'instance56. L'assignation du dès lors préciser et

51 Par exemple, Cass. req. 30 mai 1911 : DP 1912, 1, p. 295, estimant qu' « en droit, il n'y a pas lieu d'emprunter à la loi du 29 juillet 1881 sur la presse les dispositions spéciales prescrites par les articles 50 et 60, qui règlent la forme des citations devant les tribunaux de répression, pour les appliquer aux instances introduites devant la juridiction civile, quand ces instances sont nées d'un délit prévu par ladite loi ; Que le texte aussi bien que l'esprit de la loi de 1881 ne permettent pas cette extension ».

52 G. Barbier, Code expliqué de la presse, Marchal et Godde, 2e éd., 1911, p. 394, n°870 ; en effet, il a toujours été admis que l'action civile en réparation du dommage subi, lorsqu'elle est jointe à l'action pénale, obéit aux règles de procédure pénale - et en l'espèce a fortiori à celles prévues par le texte spécial de 1881 - et dans le cas inverse, l'action civile autonome obéira aux règles de procédure civile.

53 E. Dreyer, « L'accès au juge civil en matière de presse », Légipresse n°291, Fév. 2012, p. 84.

54 Civ. 2e, 5 février 1992 : Bull. civ.II, n°44.

55 Civ. 2e, 22 juin 1994 : Bull. civ.II, n°164.

56 Civ. 2e, 19 fév. 1997 : Bull. civ.II, n°44.

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qualifier le fait invoqué, mais aussi indiquer le texte de loi applicable aux prétentions. Concernant l'indication du texte applicable, la Cour de cassation est d'ailleurs venue préciser un point important. En effet, par un arrêt du 26 octobre 2000, celle-ci a fait valoir que même devant le juge civil, « le texte de loi applicable à la demande est celui qui édicte la peine applicable aux faits entrant dans la définition d'une infraction de presse, tels qu'ils sont qualifiés È57. En outre, la Cour de cassation a imposé au demandeur d'élire expressément domicile dans la ville où siège la juridiction saisie, et ce conformément aux exigences de l'article 53 alinéa 2 du texte de 188158.

24. C'est donc un véritable processus d'unification du procès civil et pénal de presse qui s'est développé depuis le début des années 1990. Dès lors que les faits dont la victime demande réparation sont susceptibles d'être identifiés à une infraction de presse prévue et réprimée par le texte de 1881, les poursuites, que celles-ci soient déclenchées devant le juge répressif ou civil, se verront appliquer les mêmes règles en matière de prescription de l'action, d'offre de preuve ou encore, de formalisme relatif à l'acte introductif d'instance.

On l'aura compris, cette « synchronisation procédurale », souhaitée par certains, décriée par d'autres, menace bien des actions civiles en responsabilité. Mais quel est le véritable impact des exigences procédurales de la loi de 1881 sur les actions portées devant les tribunaux civils ? Quelles sont les difficultés rencontrées par le juge de l'indemnisation face à cette transposition de règles de nature pénale dans le procès civil de presse ?

Section 2 : Les conséquences tenant à l'action civile en réparation

25. Le processus d'extension jurisprudentiel des règles de procédure pénale particulières de la loi de 1881 aux actions civiles en réparation paraît incontestablement constituer un obstacle à leur aboutissement (Paragraphe 1). Par ailleurs, ce mouvement s'avère révélateur de défaillances dont il conviendra d'examiner les causes et manifestations. Toutefois, il semblerait que la Haute juridiction prenne conscience des difficultés engendrées par la voie d'une identité des procès civil et pénal de presse. En effet, sans pour autant procéder à une totale remise en question de l'édifice, celle-ci paraît depuis peu vouloir atténuer sa jurisprudence sur un certain nombre d'exigences qui semblaient jusqu'alors être acquises (Paragraphe 2).

57 Civ. 2e, 26 oct. 2000 : Bull. civ.II, n°147.

58 Civ. 2e, 12 mai 1999 : Bull. civ.II, n°90.

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Paragraphe 1 : Un alignement procédural malvenu pour les victimes

26. La transposition du carcan procédural instauré par la loi du 29 juillet 1881 au procès civil de presse devait inévitablement causer des difficultés supplémentaires pour le bon acheminement des actions civiles en responsabilité (A). À ce titre, les conceptions doctrinales eu égard au bien fondé de ce mouvement d'unification sont tout à fait divergentes (B).

A. L'issue périlleuse des actions en responsabilité

27. L'époque où les victimes d'infractions de presse avaient la possibilité d'exercer leur action devant la juridiction civile en vue de se soustraire aux contraintes procédurales de la loi du 29 juillet 1881 est révolue.

Les dispositions plus libérales régissant classiquement le procès civil - et tout particulièrement celles des articles 56-2 du Code de procédure civile exigeant de manière floue, un exposé « en fait et en droit », avec un pouvoir pour le juge de requalification des faits prévu par l'article 12 de ce même code - ont désormais laissé la place à la rigueur du formalisme imposé par le texte spécial59.

En effet, parmi les points les plus importants, notons que l'assignation doit qualifier avec précision le fait incriminé, mais aussi faire explicitement référence au texte de la loi de 1881 dont l'application est requise60. La jurisprudence constante en déduit qu'il est dès lors impossible de procéder à des qualifications alternatives, cumulatives ou encore subsidiaires. L'assujettissement au formalisme de l'article 53 du texte spécial a donc pour effet de contraindre le juge à respecter les qualifications opérées - à tort ou à raison - par le demandeur. Une erreur de qualification s'avèrerait ainsi fatale pour ce dernier. À titre d'exemple, a été approuvé - et le cas est d'école ! - l'arrêt rendu par une Cour d'appel dont l'attendu précisait que « l'assignation ayant fixée définitivement la nature et l'étendue de la poursuite quant aux faits et à leur qualification d'injures publiques au sens des articles 29 alinéa 2, et 33 de la loi du 29 juillet 1881 (É) la juridiction de jugement ne pouvant prononcer aucun changement de qualification par rapport à la loi sur la presse, l'action de l'association est prescrite »61. Le « couperet » de la prescription trimestrielle,

59 C. Bigot, « Les spécificités de la loi de 1881 concernant tant le régime de responsabilité en cascade que celui des règle dérogatoires de procédure et de prescription », Légicom n35, 2006, p. 22.

60 V. Supra n23.

61 Civ. 2e, 15 avr. 1999 : Bull. civ. II, n73.

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dont l'application devant le prétoire civil n'a fondamentalement jamais été remise en cause, retrouve alors toute sa vigueur en cas de qualification erronée.

28. Néanmoins, si un certain nombre d'auteurs ne cessent de dénoncer le régime procédural spécial mis en place par la loi sur la liberté de la presse - « aboutissant bien souvent à empêcher la poursuite et la sanction des infractions de presse»62 - d'autres, à l'instar du magistrat Nicolas Bonnal, persistent à croire en la justesse des équilibres instaurés par la loi du 29 juillet 1881.

Celui-ci fait tout d'abord valoir que si le texte spécial met effectivement en place un certains nombre de règles de procédure particulièrement exigeantes pour la partie demanderesse, la loi sur la liberté de la presse compense sa situation en instituant un mécanisme de responsabilité automatique du directeur de publication ou encore un système de renversement de la charge de la preuve en matière de diffamation. Cela participe selon lui à la création d'un ensemble globalement équilibré.

Ensuite concernant le respect des exigences découlant des articles 50 et 53 du texte spécial - là aussi constamment décriées comme abusivement complexes pour qui veut intenter une action contre un organe de presse - ce dernier ne manque pas de rappeler la chose suivante : « trois règles à respecter, avec pour l'essentiel une exigence de clarté et de précision dans la rédaction, est-ce vraiment si périlleux que cela ? »63. Une telle remarque a le mérite de retenir notre attention. Il n'apparaît en effet pas si laborieux que de satisfaire à ces quelques exigences dont la noble finalité consiste de surcroît - et il n'est pas vain de le rappeler - à mettre aussitôt le prévenu « en mesure de préparer tous les éléments de sa défense »64 .

Enfin - et c'est là probablement le point le plus convaincant de son analyse car s'appuyant sur la base de données chiffrées - l'auteur démontre la chose suivante : sur les 237 décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Paris durant l'année 2010 en matière de presse, un quart des débats ayant précédé celles-ci portaient sur des questions de procédure et non de fond (type exception d'incompétence, nullité de forme de l'assignation, prescription des faits et autres). On ne peut donc négliger que le débat de procédure est relativement bien présent dans le contentieux de la presse. Mais - et c'est là tout l'intérêt de l'étude statistique entreprise par l'auteur - sur ce quart de débats durant

62 E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de 1881 ? », Légipresse n°154-II, sept. 1998, p. 93.

63 N. Bonnal, « Les chausses trappes procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ? Essai d'étude statistique », Légipresse n°289, Déc. 2011, p. 670.

64 Circulaire du 9 novembre 1881 aux procureurs généraux : D. 1881, III, 106, n°58.

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lesquels des moyens de procédure ont été soulevés, il apparaît que seulement 8% d'entre eux aient permis de faire échec aux poursuites entreprises par les victimes. Ce chiffre est donc très révélateur. Selon ce dernier, il « prive de réelle substance la dénonciation des chausses trappes procédurales de la loi »65.

Ce développement appelle inéluctablement à s'interroger quant au réalisme ou à la supercherie de ces fameuses « chausses trappes » procédurales si souvent dénoncées par les spécialistes du contentieux de la presse. Si certains auteurs semblent en effet convaincus par l'effet ravageur du respect de telles exigences sur l'aboutissement des actions en responsabilité, d'autres, paraissent soutenir la thèse du fantasme. La question tenant à la légitimité de la transposition de ces exigences aux actions civiles en réparation ne fait d'ailleurs qu'accroître les ardeurs contradictoires de ces derniers.

B. Une uniformisation divisant la doctrine

29. L'édifice jurisprudentiel ayant permis en une dizaine d'années seulement, de transposer l'ensemble des règles de procédure pénale instaurées par le texte de 1881 dans le cadre du procès civil de presse, continue aujourd'hui à faire l'objet de vifs débats doctrinaux. En effet, deux types de conceptions s'opposent. D'un coté, nous trouvons les partisans d'une conception unitaire du procès de presse. De l'autre, les adhérents d'une conception plus dualiste66.

30. L'argument unitaire tout d'abord, trouve son essence dans le principe même de liberté de la presse consacré au sein de l'article 1 de la loi du 29 juillet 188167. En effet, les tenants de l'unité du procès de presse partent du postulat selon lequel à partir du moment où les dispositions procédurales du texte de 1881 jouent un rôle prépondérant dans la protection de la liberté de la presse, celles-ci doivent nécessairement trouver à s'appliquer, que l'action soit portée devant les juridictions pénales comme civiles. La liberté d'information doit ainsi pouvoir jouir des mêmes garanties procédurales, dans l'un comme dans l'autre des contentieux.

31. L'argument dualiste en revanche, puise principalement sa force dans l'incompatibilité du mouvement d'harmonisation avec les finalités respectives du procès civil et pénal de presse. L'un de ses principaux défenseurs, Emmanuel Dreyer, considère en effet que la

65 N. Bonnal, « Les chausses trappes procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ? Essai d'étude statistique », Légipresse n289, Déc. 2011, p. 667.

66 A. Lepage, « Vers une remise en cause de l'unicité du procès de presse », Légicom n46, 2011, p. 11.

67 Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n 637 p. 125.

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mise en oeuvre de ces garanties devant le juge de l'indemnisation constitue une « hérésie »68 en matière civile, car contribuant à éluder les fonctions propres de chacun des contentieux, l'un ayant pour but de punir l'auteur de l'infraction, l'autre ayant pour unique finalité d'indemniser la victime. Ce dernier va même jusqu'à dénoncer l'incompatibilité en matière civile, des règles de procédure instaurées par le texte de 1881 avec les exigences de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme69. L'autre argument avancé par les défenseurs de la thèse dualiste tient compte du contexte historique dans lequel est intervenue l'élaboration de la loi du 29 juillet 1881. L'idée avancée est que les menaces pesant sur la liberté d'expression, qui étaient bien réelles à la fin du XIXème siècle et justifiaient donc pleinement l'extrême complexité des règles de procédure pénale pour affermir cette fragile liberté, ne sont plus les mêmes que celles d'aujourd'hui. Ils avancent donc que les règles ne sont plus appropriées au procès pénal de presse et le sont d'autant moins devant le juge civil70.

Toujours est-il que l'harmonisation jurisprudentielle du procès de presse semble avoir eu raison de la thèse de la dualité. Nous allons voir que la pratique ainsi que les arrêts les plus récents attestent cependant de l'ambition quelque peu chimérique d'un tel mouvement.

Paragraphe 2 : Les vicissitudes de l'alignement procédural, source d'incertitudes

32. Les partisans de la conception dualiste du procès de presse semblent avoir raison sur un point : compte tenu des spécificités respectives des contentieux pénal et civil, la transposition de règles de procédure pénale devant le prétoire civil ne peut s'opérer sans rencontrer un certain nombre d'hostilités (A). La jurisprudence semble en tirer un certain nombre de conséquences, sans pour autant modifier radicalement ses positions (B).

A. Les problèmes d'incompatibilité

33. Beaucoup d'auteurs ont dénoncé une application « contre-nature » des règles de procédure pénale spéciale du texte de 1881 devant le juge civil. Parmi ces derniers, Emmanuel Dreyer, farouche opposant à cette extension, n'hésite pas à qualifier cet

68 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 24.

69 V. E. Dreyer, « L'accès au juge civil en matière de presse », Légipresse n291, Fév. 2012, p. 83.

70 E. Derieux et A. Granchet, Droit des médias, LGDJ, 2010, n1453.

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alignement procédural d'« illusoire »71 car impossible à mettre complètement en oeuvre. Nous procèderons donc à une brève énumération de ces hiatus procéduraux sans pour autant rentrer dans ce qui relève de la pure technique processuelle.

Parmi quelques exemples attestant du fait qu'il ne peut y avoir une complète identité de régime entre les procès civil et pénal de presse, on notera tout d'abord les dispositions de l'article 53, dont l'application a été étendue à l'assignation, et ne précisant pas la nature de la nullité sanctionnant le non-respect de ses exigences de forme. Pourtant, la nullité s'apprécie différemment selon que l'on se situe en matière pénale ou civile72. Dès lors, comment affirmer que l'objectif d'uniformisation des règles dictant le procès de presse a pour objet de permettre aux parties de bénéficier de garanties identiques selon que l'on se trouve devant le juge civil ou pénal alors même que les critères d'appréciation de validité de l'acte introduisant l'instance ne sont pas les mêmes ? Aussi, autre exemple attestant des difficultés sous-jacentes de l'uniformisation, concernant cette fois-ci l'obligation d'élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie (art. 53 al. 2). Une telle exigence devait inévitablement être perturbée en matière civile dans le cas d'instances introduites devant les tribunaux de grande instance dits périphériques, sujets à la multipostulation73. Enfin, il est certain que le processus d'uniformisation impliquant d'adapter à une procédure écrite des règles initialement prévues pour une procédure orale devait là encore, bouleverser un certain nombre de facultés ordinairement reconnues au juge civil74.

Les exemples ne manquent donc pas75. Divers auteurs en conviennent, sans nécessairement réprouver la jurisprudence d'unification du procès de presse. Pourtant, de récentes décisions semblent explorer le chemin d'une voie intermédiaire. En effet, sans pour autant aboutir à une totale remise en cause de l'édifice jurisprudentiel, elles participent incontestablement d'une « désynchronisation » des procès civil et pénal de presse. Il convient de s'attarder un peu sur leur teneur.

71 E. Dreyer, « L'accès au juge civil en matière de presse », Légipresse n°291, Fév. 2012, p. 84.

72 E. Dreyer, « Qu'est devenue la responsabilité civile en matière de presse ? », D. 2004, p. 590.

73 B. Landry, « L'application des règles de procédure de la loi du 29 juillet 1881 devant la juridiction civile : point de vue d'un avocat » in « Liberté de la presse et droits de la personne », Dalloz, 1997, p.60.

74 Par exemple, le juge civil ne saurait se soustraire à l'obligation d'entendre les témoins cités aux offres de preuve et de preuve contraire (art. 55 et 56 du texte de 1881) et ne peut donc user de son pouvoir d'appréciation pour appréhender l'opportunité d'une audition des témoins que lui reconnaît le code de procédure civile dans le cadre de l'enquête civile (art. 204 et s.). En effet, il y a là une incompatibilité avec le caractère accusatoire du procès de presse. Ces témoins seront donc nécessairement entendus, sans que ce dernier ne puisse interférer.

75 V. E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 10.

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B. Les récents assouplissements de la jurisprudence

34. En vue de désigner le récent mouvement jurisprudentiel de déconstruction entrepris par la Cour de cassation, certains parlent de « reflux »76 ou d'« infléchissement È77. Nous en mettrons certains points significatifs en relief.

Tout d'abord, l'évolution jurisprudentielle concerne le premier alinéa de l'article 53 qui rappelons le, contient l'une des dispositions les plus allégorique de la procédure de presse : « La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite »78. Le mouvement a été initié par deux arrêts de la première chambre civile du 24 septembre 200979 et du 8 avril 201080. À travers ceux-ci, la Haute juridiction marquait alors un premier pas vers un assouplissement de l'interprétation des exigences imposées par l'article.

Toutefois, cet élan de laxisme vis à vis du formalisme de l'acte introductif d'instance ne devait pas durer. En effet, par un premier arrêt rendu le 3 février 2011, suivi d'un autre du 6 octobre, la même première chambre civile entreprit un retour fracassant à des exigences plus strictes et davantage conforme à la lettre de l'article 5381. Mais il est un point sur lequel il faut insister. Par ces deux décisions de 2011 la Haute juridiction - bien qu'intransigeante sur les exigences de qualification et d'articulation - a désormais admis la validité du visa subsidiaire de l'article 1382 du Code civil dans une procédure engagée à titre principal sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881. Pourtant, rappelons que jusqu'à récemment encore, l'interprétation de l'article 53 allait systématiquement dans le sens d'une prohibition des visas cumulatifs ou alternatifs. La pratique du visa subsidiaire de l'article 1382 fut donc toujours considérée comme de nature à introduire une incertitude

76 E. Dreyer, « Où va la Cour de cassation en matière de presse ?», JCP G, 2010, p. 1546.

77 A. Lepage, « Vers une remise en cause de l'unicité du procès de presse », Légicom n°46, 2011, p. 9.

78 Ibid.

79 Civ. 1ère, 24 sept. 2009, Bull. civ. I, n° 180 : « la seule omission dans l'assignation de la mention de la sanction pénale que la juridiction civile ne peut jamais prononcer n'est pas de nature a affecter la validité de la citation ».

80 Civ. 1ère, 8 avr. 2010, D. 2010. 1022, estimant que satisfait aux exigences de l'article 53, la citation indiquant précisément les faits et infractions qui lui sont reprochés, sans qu'il soit nécessaire que celle-ci « précise ceux des faits qui constitueront des injures, et ceux qui constitueraient des diffamations ».

81 Civ. 1ère, 3 févr. 2011, D. 2011. 520 et Civ. 1ère, 6 oct. 2011, D. 2011. 702 : dans ces deux décisions, la Cour affirme qu'un même fait ne pouvant être poursuivi cumulativement ou alternativement sous la double qualification d'injure et de diffamation, « la citation doit préciser en conséquence, ceux des faits qui constitueraient des injures, et ceux qui constitueraient une diffamation ».

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néfaste dans l'esprit du prévenu pour l'exercice des droits de la défense82. Il semblerait que cela ne soit désormais plus le cas.

Aussi, autre preuve de l'assouplissement du formalisme applicable en matière de presse devant le juge civil cette fois-ci relative à l'alinéa 2 de l'article 53. La Cour estime désormais qu'est valablement domicilié dans la ville où siège la juridiction saisie, le justiciable qui serait domicilié dans une ville limitrophe, dès lors que son avocat est en mesure d'y plaider83. La rigueur de cet article, qui jusqu'alors imposait à peine de nullité une élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie, semble donc aujourd'hui désapprouvée devant les juridictions civiles.

L'harmonisation des règles de forme de mise en oeuvre de la responsabilité civile et pénale suit donc son cours. La jurisprudence, si elle ne semble clairement pas chercher à sortir de l'unité du procès de presse qu'elle a façonné, montre en revanche sa volonté d'explorer de nouvelles voies pour on dirait, tenter de sauvegarder un semblant d'autonomie vis à vis du procès pénal de presse. Cette fragile symbiose procédurale n'était pourtant qu'un premier pas dans le sens de l'harmonisation du procès de presse. Une réaction ne tarda pas à se manifester sur le fond du droit.

Chapitre 2 : Les règles de fond de mise en oeuvre de la responsabilité

35. La loi du 29 juillet 1881 met en place toute une série de comportements susceptibles d'engager la responsabilité de leur auteur. En effet, les délits de presse figurant au sein du Chapitre 4 du texte spécial - intitulé « Des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication »84 - ont vocation à appréhender les abus de la liberté d'expression les plus graves commis par les médias. Dès lors, à partir du moment où les faits litigieux sont constitutifs d'une infraction de presse au sens du texte de 1881, il devient possible d'engager la responsabilité pénale des organes de presse (Section 1).

82 Allant dans ce sens : Civ. 2ème, 14 mars 2002 (3 arrêts), n° 00-13.917, 00-13. 918 et n° 00-13. 919, D. 2002. 1180 ; Civ. 2ème, 25 nov. 2004, n° 02-12. 829, D. 2005. 113.

83 Civ. 1ère, 22 sept. 2011, n° 10-15. 445, D. 2011. 2339.

84 E. Derieux, A.Granchet, Droit de la communication lois et règlements, Recueil Légipresse, Victoires-éditions, 2010, p. 312 et s.

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Reste alors à savoir qui sera tenu au civil de réparer le préjudice causé à la victime de l'infraction (Section 2).

Section 1 : La nécessaire qualification pénale de la faute commise

36. « Dans l'orbite de la loi du 29 juillet 1881, le jeu de la responsabilité civile de droit commun de l'article 1382 du Code civil est paralysé »85. Il en résulte que lorsqu'il s'agit de statuer au fond, conformément au texte spécial, le juge répressif comme celui de l'indemnisation statuent sur les mêmes fautes (Paragraphe 1). Leur qualification pénale est d'ailleurs nécessaire au déclenchement du système de responsabilité dit « en cascade » (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'identité des fautes civile et pénale de presse

37. Dans le but d'empêcher les actions en responsabilité civile fondées sur l'article 1382 aux fins de contournement du texte spécial de 1881, la Cour de cassation s'est très vite prononcée en faveur d'une identité des fautes civile et pénale de presse (A). Dès lors, que l'action soit portée devant les tribunaux civils comme répressifs, les juges - pour déterminer s'il y a lieu à engager la responsabilité de l'organe de presse - auront à statuer au regard des seuls abus prévus et réprimés par le texte spécial (B).

A. Une finalité prophylactique

38. Les délits de presse instaurés par le texte de 1881 ont été conçus comme incarnant la contrepartie de la liberté d'expression affirmée dans le domaine de la presse par le législateur de 1881. La faute civile n'était pas pour autant exclue du domaine de cette liberté, au contraire86, mais elle a été jugée insuffisante pour appréhender les excès de la presse87.

39. Pourtant, pendant plus d'un siècle, la jurisprudence civile joua sur deux terrains. Aux actions civiles exercées sur le fondement d'une faute pénale constitutive d'un des délits réprimandés par la loi spéciale, celle-ci statuait sur le fondement de cette dernière, s'assurant du fait que les éléments constitutifs de l'infraction étaient bien réunis et

85 C. Bigot, « La procédure en matière de presse en proie aux contradictions », Recueil Dalloz, 2 juin 2011, n° 21.

86 V. J. Traullé, L'éviction de l'article 1382 du Code civil en matière extracontractuelle, LGDJ, 2007, p. 384 et s

87 N. Mallet- Poujol, « Abus de droit et liberté de la presse », Légipresse 1997, n° 143-II, p. 81 et s.

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n'omettant pas de vérifier si les faits n'étaient pas prescrits. En revanche, lorsque les propos litigieux n'intégraient pas le champ d'incrimination de la loi spéciale, était appliqué le seul droit civil, ce qui avait pour conséquence de permettre aux victimes d'échapper au carcan procédural instauré par le texte de 1881. Ainsi, il arrivait fréquemment que les tribunaux requalifient des demandes d'indemnisation fondées sur des fautes simples - soit disant distinctes d'une infraction de presse - en injure ou diffamation publique de manière à leur appliquer la courte prescription de l'article 65 à laquelle les victimes avaient l'espoir d'échapper. Mais bien souvent, les immixtions du droit commun aboutissaient, et les tribunaux civils parvenaient à dégager leur propre vision de l'injure et de la diffamation civiles au visa de l'article 1382 du Code civil88.

Las d'un tel constat, la Cour de cassation décide en 2000 d'empêcher de tels contournements de la loi de 1881 en décidant par un emblématique « attendu » de principe que « les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil »89. La revendication est bien entendu procédurale. L'affirmation jurisprudentielle d'une identité de la faute civile et pénale de presse a en effet une finalité purement prophylactique : éradiquer toute forme d'incursion de la responsabilité civile de droit commun et consécutivement des règles de procédure civile, dans l'orbite du texte spécial.

Il convient donc désormais de s'intéresser à la faute - civile ou pénale - susceptible de constituer un abus de la liberté d'expression au sens de la loi de 1881.

B. Les abus prévus et réprimés par le texte spécial

40. Les abus réprimés par la loi du 29 juillet 1881 sont nombreux et divers, chacun ayant une matérialité bien spécifique. Or, ces délits ont un élément fondamental en commun sur lequel il convient de s'attarder quelques instants car il constitue une condition préalable à leur existence : la publication90.

Le professeur Barbier disait très justement au début du XXème siècle que « la publication fait le délit »91. En effet, le législateur de 1881 a voulu sanctionner tous les

88 En voici quelques exemples : Civ, 13 juin 1939, DH 1939, p. 386 ; TGI Paris, 3 mai 1983 : D. 1984, jurisp. p. 14 ; Cass. req.16 fév. 1937, DH 1937, p. 186.

89 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull. civ. n°8 préc.

90 En effet, il convient de préciser que sans cet élément de publicité, la diffamation et l'injure par exemple, telles que sanctionnées en tant que délits de presse au sens du texte de 1881, deviendront des contraventions de diffamation ou d'injure non publiques relevant du Code pénal.

91 Barbier, Code expliqué de la Presse, 2e éd., 1911, t. 1, n° 243.

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délits commis par l'un des multiples moyens de communication qu'il énumère au sein de l'article 23 du texte spécial92. Pour autant, le texte de la loi de 1881 ne comporte aucune définition de cette notion de « publication ». Il faudra attendre une loi du 1er août 198693 pour en obtenir une définition. Selon cette loi, l'expression publication désigne « tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers » 94 . L'inconvénient était bien entendu que cette définition ne concernait que les modes écrits de publication. Le critère de publication s'est donc épuré au gré d'un constant travail de la jurisprudence s'accordant aujourd'hui à dégager deux critères généraux conditionnant toute publication, et ce quel qu'en soit le support. Tout d'abord, la publicité de l'infraction suppose la diffusion volontaire des propos litigieux dans un espace public. Puis, ces propos doivent nécessairement être proférés à l'attention d'un public, ou tout au moins, un groupe de personnes non liées par une communauté d'intérêts95.

41. L'ensemble des délits prévus et réprimés au sein de la loi du 29 juillet 1881 s'imposent comme limite à la liberté d'expression pour l'ensemble des médias. En effet, les diverses dispositions des chapitres IV et V du texte de 1881 - relatives aux crimes et délits commis par voie de presse et aux modalités de leur poursuite - sont applicables tant aux supports écrits, qu'à la communication audiovisuelle ou encore internet 96.

Ainsi, parmi les divers abus de la liberté d'expression réprimés, peut-on citer tout d'abord - parmi les plus rencontrés - la diffamation et l'injure publique qui nourrissent à elles seules la majorité du contentieux de la presse. Ces infractions varient selon qu'elles affectent les particuliers ou les personnes publiques et peuvent revêtir les formes les plus diverses. Aussi, les provocations directes comme indirectes ayant pour finalité d'inciter le public à la haine, la violence, le xénophobisme, occupent une large place dans le contentieux de la presse. Tout comme l'apologie, le révisionnisme ou encore le délit de fausses nouvelles97.

92 V. pour une énumération complète : art 23 modifié par la Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 - art. 2 JO 22 juin 2004.

93 Loi n° 86-897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

94 Ibid art. 1.

95 V. N. Mallet-Poujol, « La notion de publication sur internet et son incidence concernant la prescription des délits en ligne », Légicom n° 35, 2006, p. 54 et s.

96 En effet, la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique en prévoit expressément l'application aux services de communication au public en ligne au sein de l'article 6. V.

97 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 460 et s.

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Bien entendu, cette liste d'infraction de presse n'est pas exhaustive, et nous nous éloignerions trop de notre sujet en sombrant dans une description détaillée des éléments constitutifs de chacune d'entre elles. Il convient dès lors de concentrer notre attention sur la question tenant à la détermination des personnes susceptibles d'être poursuivies en tant qu'auteurs de ces infractions.

Paragraphe 2 : Le système de responsabilité pénale en cascade

42. Le système de responsabilité pénale mis en place par l'article 42 du texte de 1881 constitue l'une des singularités majeure du droit de la presse (A). À la différence des autres médias, son adaptation à la presse en ligne n'est pas sans causer des difficultés (B).

A. Le mécanisme prévu par l'article 42 de la loi de 1881

43. Si le droit pénal commun dispose que « Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait »98, les dispositions de la loi sur la liberté de la presse elles, instaurent un régime proche de la responsabilité pénale automatique pouvant s'analyser - concernant le directeur de publication - comme une responsabilité du fait d'autrui.

44. La « cascade » illustre une énumération hiérarchique et successive d'individus susceptibles d'être poursuivis en tant qu'auteurs principaux des crimes ou délits de presse répertoriés au sein du texte spécial. Ce régime constitue incontestablement une garantie facilitant la poursuite des auteurs d'infractions de presse pour les victimes99. En effet, l'article 42 du texte spécial dispose que l'auteur principal sera le directeur de publication ou l'éditeur ; à son défaut, ce sera l'auteur des propos qui endossera une telle responsabilité ; et si celui-ci fait aussi défaut, seront tenus pour responsables les imprimeurs, les vendeurs ou encore les distributeurs et afficheurs100. En outre, il convient de préciser que l'article 43 de cette même loi prévoit que les auteurs seront poursuivis comme complices lorsque le directeur de publication sera en cause.

45. Cette surprenante responsabilité pénale du directeur de publication - car n'ayant pas matériellement commis l'infraction - s'explique comme étant la contrepartie de son devoir de contrôle du contenu de la publication. Cela vient d'être à nouveau rappelé dans une

98 Art. 121-1 du Code pénal.

99 P. Bilger, Le droit de la presse, PUF, 4e éd., 2003, p. 52.

100 Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125.

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décision récente101. C'est d'ailleurs un système semblable qui a été instauré en matière de presse audiovisuelle avec pour différence essentielle qu'est pris en compte le critère dit de la « fixation préalable »102. En effet, la loi du 29 juillet 1982 prévoit que le directeur de publication ne pourra endosser la qualité de responsable lorsque les faits litigieux auront été proférés lors d'une émission en direct car ce dernier n'aura en ce cas pas été préalablement en mesure de connaître et donc d'assurer la maîtrise du contenu de la publication. La condition de « fixation préalable » faisant ici défaut, seul l'auteur des propos sera retenu comme civilement ou pénalement responsable.

Ce système de responsabilité en cascade, instauré par la loi du 29 juillet 1881 (art. 42) et transposé en matière de communication audiovisuelle (art. 93-3)103, a été étendu par le législateur à la presse en ligne au sein de l'article 6.V de la LCEN104. Nous allons voir que c'est avec peine que s'opère cette dernière conquête.

B. Les difficultés d'adaptation en matière de presse en ligne

46. La pratique semble avoir mis en exergue les vicissitudes de la transposition du système de la « cascade » en matière de presse en ligne. L'extrême diversité des intermédiaires techniques, les difficultés d'identification des internautes, le fait que tous ne figurent pas dans la « cascade » des responsables potentiels, constituent les causes majeures des maux que suscite l'adaptation d'un tel système de responsabilité envisagé par l'article 6.V de la LCEN. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la doctrine et la jurisprudence se montrent relativement hostiles à une telle transposition.

47. Toujours est-il que d'une manière générale, le critère de distinction essentiel à retenir en matière de presse en ligne - à l'instar de la communication audiovisuelle - est celui de la maîtrise ou non du contenu éditorial105 dont découle la condition de « fixation préalable ». En effet, par principe le directeur de publication demeure responsable à titre principal en cas de fixation préalable du propos répréhensible106, et donc dans la seule hypothèse où est admis qu'il maitrisait le contenu éditorial. En revanche, pour les sites du Web 2.0 - types forums de discussions, blogs ou encore réseaux sociaux - ce dernier

101 TGI Paris, 20 mars 2012 : Légipresse n°294, mai 2012, p. 281.

102 V. art. 93-3 Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.

103 Il convient de préciser que la « cascade » prévue par l'article 93-3 retient comme responsable - en cas de fixation préalable - le directeur de publication ; à défaut l'auteur ; à défaut le producteur.

104 V. art 6.V Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

105 V. C. Castets-Renard, « Éditeur de contenus ou éditeur de services ? », Légicom n°46, 2011, p.45.

106Il incombe en effet aux éditeurs de services de communication au public en ligne - selon les articles 6-III-1 et 2 de la loi LCEN - de préciser le nom du directeur de la publication.

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n'ayant a priori pas la maîtrise du contenu éditorial ne pourra voir sa responsabilité engagée107. Dès lors, seul l'auteur des propos litigieux sera ici pénalement ou civilement condamnable. Il s'agit pour ce genre de sites de l'issue la plus fréquente dans la mesure où il est pratiquement impossible pour le directeur de publication d'avoir une quelconque emprise sur le contenu qu'il diffuse. Le système de responsabilité en cascade devient alors dans ce type d'espèce, inapplicable.

Malgré ces quelques difficultés d'adaptation, il semblerait que la loi du 29 juillet 1881 mette donc en place un régime de responsabilité pénale dont les spécificités paraissent incontestablement oeuvrer en faveur des victimes d'infractions de presse. Cette désignation d'un pénalement responsable est d'ailleurs essentielle. Elle est le préalable nécessaire à la détermination du débiteur de la réparation au civil.

Section 2 : La détermination du civilement responsable

48. Si le Code pénal demeure silencieux quant à la détermination du civilement responsable à la suite de la commission d'une infraction, la loi du 29 juillet 1881 ne manque pas d'y consacrer un article dont la rédaction peut d'ailleurs sembler quelque peu ambig·e (Paragraphe 1). Le préjudice causé à la victime - essentiellement moral en matière de presse - pourra ainsi être réparé. Pour autant, il semblerait que la fonction indemnitaire de la réparation ne remplisse pas toujours ses objectifs. Nous tenterons d'en comprendre les causes avant d'en envisager les solutions (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le contenu de l'article 44 du texte spécial

49. À première vue, trois types d'acteurs seraient susceptibles d'être désignés en tant que débiteur de la dette de réparation qu'implique le jeu de la responsabilité civile. Le journaliste auteur des propos litigieux d'une part, sur le fondement de la responsabilité du fait personnel de l'article 1382 du Code civil ; le directeur de publication d'autre part, sur le même fondement, et cela à raison d'un manquement aux devoirs de contrôle et de

107 La locution « a priori » visant à souligner le fait que dans l'hypothèse contraire - celle où le directeur de publication aurait eu connaissance du caractère illicite des propos tenus sans avoir agi, ce qui supposerait donc une fixation préalable ! (art. 6-I-2 LCEN) - ce dernier serait retenu en tant qu'auteur principal.

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surveillance qui lui sont impartis108 ; l'entreprise de presse enfin, sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil en sa qualité de commettant109.

50. La loi du 29 juillet 1881 semble pourtant avoir voulu limiter le nombre de responsables potentiels. En effet, selon les termes de l'article 44 de la loi sur la liberté de la presse, seront civilement responsables, « les propriétaires des journaux ou écrits périodiques » au titre « des condamnations pécuniaires prononcées au profit des tiers contre les personnes désignées aux deux articles précédents » en tant que pénalement responsables, et ce, « conformément aux dispositions des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil »110. Le civilement responsable ainsi institué est généralement une personne morale à savoir, la société éditrice.

51. On observe ainsi que, si le statut particulier « d'organe de presse » permet aux personnes morales qui en revêtent la qualité de pouvoir échapper à la responsabilité pénale qui leur incombe en vertu du droit commun au sens de l'article 121-2 du Code pénal111, celles-ci sont en revanche la cible en matière de responsabilité civile.

52. On peut néanmoins s'étonner de la référence faite aux articles 1382 et 1383 du Code civil étant donné que c'est quasiment systématiquement l'unique responsabilité du fait d'autrui de l'article 1384 fondant la responsabilité civile de la personne morale qui jouera112. En effet, conformément à l'alinéa 5 de cet article, les maîtres et les commettants sont responsables des dommages causés par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils sont employés.

Dès lors, selon que le responsable devant les tribunaux répressifs se trouve être - comme c'est le cas dans la majorité des espèces - le directeur de la publication, ou encore, le journaliste auteur des propos, ce sera bel et bien la société éditrice de la publication qui les emploie, qui sera tenue de la réparation du dommage causé à la victime.

108 Crim., 14 juin 2000 : Bull. crim. n°223.

109 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 743.

110 Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125.

111 Le principe de la responsabilité pénale des personnes morales est posé par l'article 121-2 du code pénal issu de la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992. Il dispose que « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

112 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 649.

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Paragraphe 2 : La réparation du préjudice causé

53. L'action civile en réparation du préjudice causé par l'infraction de presse - qu'elle soit jointe ou séparée de l'action publique - est le moyen pour la victime de demander des dommages et intérêts. Il s'agira traditionnellement de dommages et intérêts compensatoires (A) bien que l'on puisse se demander s'il ne serait pas plus opportun de consacrer en la matière un système de dommages et intérêts punitifs (B).

A. L'allocation classique de dommages et intérêts compensatoires

54. La finalité indemnitaire des dommages et intérêts compensatoires a pour objet de réparer en valeur le préjudice causé à la victime113. Dans un arrêt de 1963, la Cour de cassation avait d'ailleurs clairement associé cette finalité au principe de réparation intégrale en affirmant que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit »114.

Bien entendu, cela implique au préalable que le préjudice subi puisse être financièrement évaluable. Or, concernant les atteintes à l'honneur, à la considération ou encore à la dignité des personnes - celles-ci appartenant à la catégorie du préjudice moral et regroupant l'essentiel des dommages susceptibles d'être causés par les infractions de presse de la loi de 1881 - cela ne va pas de soi. Il appartiendra donc au juge de se montrer le plus juste possible dans cet exercice d'évaluation pour ne pas que ces dommages et intérêts soient trop excessifs ou insuffisamment dissuasifs.

55. Certes, quelques décisions attestent de la pratique de l'injonction de publication de jugement obligeant les organes de presse à faire preuve d'une certaine transparence à l'égard de leurs lecteurs, de leurs auditeurs115. Mais la réparation du dommage subi consiste principalement en l'allocation de dommages et intérêts compensatoires. Cela nous amène donc à nous poser la question suivante : la condamnation pécuniaire prononcée contre un organe de presse à titre de compensation du préjudice subi - résultant de l'allocation de dommages et intérêts compensatoires - permet-elle réellement à la

113 G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, p.77 et s.

114 Civ. 2e, 1er avr. 1963, JCP 1963. II. 13408, note Esmein.

115 E. Derieux, Droit de la communication, 4e éd., LGDJ, 2003, p. 562.

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responsabilité civile de remplir son rôle normatif, mais aussi préventif, en ce domaine que constitue celui de la liberté d'information ?

56. À la vue des innombrables condamnations de certains organes de presse semblant se complaire dans leur rôle de défendeur au procès - tant les actions en justice affluent sur la base de fondements juridiques identiques et récurrents - la question apparaît légitime. En effet, est principalement concernée cette presse dite « people » ou « presse à sensation », dont l'activité principale consiste à violer l'intimité de la vie privée des personnes publiques. C'est d'ailleurs grâce à elle qu'un véritable « marché de l'indiscrétion » se développe chaque jour pour regrouper quotidiennement environ 5 millions de lecteurs116. Ainsi, peut on s'indigner du fait des insuffisances de la responsabilité civile face à ce type d'excès de la liberté d'expression. En effet, le bénéfice que le fautif peut retirer de sa faute apparaît comme un anesthésiant redoutable des fonctions de la responsabilité civile ce qui explique les comportements récidivistes des organes de « presse people ». Il s'agit donc en fait d'un véritable calcul de rentabilité. Ce calcul permet aux entreprises de presse d'accomplir ce que la doctrine qualifie de « fautes lucratives »117 et dont les conséquences, profitables pour leur auteur, ne sont pas neutralisées par le jugement de condamnation à des dommages et intérêts.

Mais alors, comment cela peut-il s'expliquer ? Le fait est, que le principe en France est celui de la fonction réparatrice et non punitive de la responsabilité civile. Cela a encore été rappelé dans un arrêt relativement récent de la Haute juridiction118. Pourtant, l'instauration d'un système de dommages et intérêts punitifs paralysant les fautes lucratives permettrait très probablement de réaffirmer le rôle normatif de la responsabilité civile en matière de presse. On peut donc réellement se demander si la solution ne consisterait-elle pas en l'instauration d'un tel mécanisme pour sanctionner la presse en France.

B. Quid de l'instauration d'un système de dommages et intérêts punitifs

57. Nombreux sont les auteurs avançant que les condamnations en matière de presse révèlent l'existence implicite de dommages et intérêts punitifs. Ils jugent en effet les

116 P. Santi, « La presse "people" séduit de plus en plus les jeunes lecteurs », Le Monde, 9 juil. 2005.

117 V. D. Fasquelle, « L'existence de fautes lucratives en droit français », in Faut-il moraliser le droit français de la réparation des dommages ?, LPA, 20 nov. 2002.

118 Civ. 2e, 23 janv. 2003 : Bull. civ.II, n° 20 : « les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ».

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dommages et intérêts traditionnellement alloués comme excessifs et contribuant ainsi à l'enrichissement des victimes. Les frères Mazeaud avaient déjà en leur temps observé cette tendance des juges à se laisser « impressionner par la gravité de la faute lorsqu'ils fixent le chiffre des dommages et intérêts »119. Mythe ou réalité ? Toujours est-il que l'adoption officielle dans notre droit positif français de dommages et intérêts punitifs en vue de paralyser les fautes lucratives se révèlerait probablement être un formidable outil de dissuasion face à cette presse racoleuse et chroniquement attentatoire aux droits de la personne120.

58. Divers auteurs semblent partisans d'une instauration de cette nouvelle catégorie de dommages et intérêts dans des domaines où la faute lucrative est récurrente. Parmi ceux-ci sont généralement évoqués celui de la presse, de l'environnement ou encore celui de la concurrence déloyale121. Ne serait-il pas en effet possible pour le législateur ou la jurisprudence de définir un certain nombre de critères - comme a pu le faire la Cour Suprême américaine pour l'encadrement de ses « punitive damages »122 - en tenant compte par exemple de la nature de l'atteinte, de l'identité de la personne mise en cause, du nombre de tirages publiés ou encore du bénéfice réalisé par leur diffusion ? On peut se le demander.

59. Même si notre droit positif ne semble toujours pas vouloir franchir un tel pas il convient toutefois de noter que l'important projet de réforme du droit des obligations et de la prescription propose en son article 1371 d'offrir au juge la faculté de sanctionner les fautes lucratives en lui permettant de prononcer des dommages et intérêts punitifs123. Les prémices d'une telle évolution se font donc ressentir, sans pour autant réellement parvenir à se concrétiser124.

119 L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t.2, Montchrestien, 1956, 3e éd., n°623, p. 570.

120 V. S. Piédelièvre, « Les dommages et intérêts punitifs : une solution d'avenir », in La responsabilité civile à l'aube du XXème siècle, juin 2001, Hors-série p. 68 et s.

121 V. Rapport d'information n° 558 (2008-2009) de MM. A. Anziani et L. Béteille, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 juillet 2009 sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/rap/r08-558/r08-558.html; V. aussi, G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, p. 27 et s.

122 Dans l'affaire BMW of North America v. Gore, la Cour Suprême des Etats-Unis a mis en place une liste de trois critères cumulatifs permettant de fixer raisonnablement le montant des dommages et intérêts punitifs. Ceux-ci doivent être fonction de la gravité du comportement fautif, des dommages et intérêts compensatoires accordés, et semblables à ceux alloués dans des litiges comparables jugés par d'autres juridictions. (CSEU, 20 mai 1996, BMW of North America v. Gore).

123 P. Catala, Rapport sur l'avant projet de réforme du droit des obligations (art.1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (art. 2234 à 2281 du Code civil), La Documentation française, sept. 2005, art. 1371.

124 V. J-L. Baudouin, « Les dommages et intérêts punitifs : un exemple d'emprunt réussi à la Common law », Mél. Ph. Malinvaud, Litec, 2006.

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Tant du point de vue pénal que civil, le texte spécial du 29 juillet 1881 s'impose donc clairement comme exorbitant du droit commun. Son formalisme exacerbé, souvent vécu et dénoncé comme étant abusivement protecteur des organes de presse, apparait toutefois comme contrebalancé par un certain nombre de dispositions peu favorables au prévenu125 ainsi que par les récents infléchissements de la jurisprudence126. Les dispositions de fond et de forme de la loi sur la liberté de la presse nous semblent donc former un tout indissociable et relativement équilibré.

Il n'en demeure pas moins que la responsabilité civile de droit commun, de par sa propension à l'hégémonie et son étonnante faculté d'adaptation127, semble se complaire dans un rôle de trublion des équilibres instaurés par le régime spécial. Entre légitimité et opportunité, le tumulte entre la loi de 1881 et la clausula generalis128 continue aujourd'hui de nourrir une passionnante discorde aussi bien doctrinale que jurisprudentielle qu'il convient désormais d'examiner.

125 N. Bonnal, « Les chausses trappes procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ? Essai d'étude statistique », Légipresse n°289, Déc. 2011, p.675.

126 V. Supra n°34 et s.

127V. P. Esmein, « La faute et sa place dans la responsabilité civile », RTDciv., 1949.

128 Les termes clausula generalis signifiant « disposition générale », seront employés à la désignation de la très générale responsabilité pour faute de droit commun reposant sur l'article 1382 du Code civil (H. Roland, Lexique juridique, expressions latines, LexisNexis, 5e éd., 2010, p. 46).

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Titre 2 : La perturbation des équilibres de la loi du 29 juillet 1881 engendrée par l'omniprésence de la responsabilité civile de droit commun

60. Nombreux sont les discours élogieux ayant mis en avant la « formidable » capacité d'adaptation de la responsabilité pour faute129. En effet, la souplesse du concept de faute a toujours permis au droit de s'adapter aux situations nouvelles, aux évolutions socio-économiques. Toutefois, cette qualité semble, au contact de la liberté d'expression, se transformer en handicap. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence parait vouloir limiter sa portée en matière de presse.

61. La consécration d'un principe général de responsabilité pour faute130, de par son universalisme, devait inévitablement poser le problème de son cantonnement face au texte spécial (Chapitre 1). Il appartenait donc au juge de trancher ce conflit de compétence source d'insécurité juridique pour les parties au procès de presse (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Le conflit opposant la loi sur la presse et l'article 1382 du Code civil

62. La détermination des modalités de mise en oeuvre de l'article 1382 du code civil en matière de presse est une question récurrente que les tribunaux français peinent à solutionner. On en vient même à se demander s'il s'agit vraiment d'une question soluble. Pourtant celle-ci est tout à fait fondamentale. C'est tout l'équilibre du droit de la presse qui est en cause.

63. La loi du 29 juillet 1881 vise à sanctionner les abus de la liberté d'expression les plus graves ce qui facilite l'immixtion du droit commun de la responsabilité civile dans les interstices des incriminations pénales. Ce rôle de « responsabilité relais » vis à vis des incriminations spéciales se justifie par le fait que comme la loi sur la liberté de la presse, la finalité de la clausula generalis est de sanctionner les comportements fautifs dommageables résultant de l'usage abusif du droit d'expression (Section 1). Cette communauté de finalité - allant naturellement dans le sens d'une cohabitation entre les

129 V. Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la responsabilité civile », RTDciv., 1988.

130 G. Viney, « Pour ou contre un principe général de responsabilité pour faute ? », Mél. P. Catala, Litec, 2001.

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deux textes - en raison des risques qu'elle présente pour l'économie de la loi du 29 juillet 1881 et concomitamment, pour la liberté d'expression, divise largement la jurisprudence qui demeure encore aujourd'hui relativement brumeuse quand à la définition des frontières respectives de ces deux textes (Section 2).

Section 1 : Une communauté de finalité : la sanction des abus de la liberté d'expression

64. L'article 1382 du Code civil est pourvu d'une portée universelle131. Aucun pan de notre droit n'en est a priori exclu de sorte que « lorsqu'aucune voie juridique n'existe, la responsabilité pour faute est là, prête à l'emploi »132.

65. En l'absence de concours possible avec un texte spécial133, la réunion des trois éléments de la responsabilité de droit commun devrait naturellement justifier le recours à l'article 1382 du Code civil pour appréhender les abus de la liberté d'expression (Paragraphe 1). Toutefois, compte tenu de la dimension fondamentale de cette liberté que constitue celle de s'exprimer, la conformité de la « très générale responsabilité pour faute » vis à vis des textes à valeur supra-législative apparaît tout à fait discutable. C'est en effet toute la question tenant à la validité normative de l'article 1382 du Code civil qu'il conviendra ici d'analyser (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La justification du recours à la responsabilité pour faute

66. Dans la typologie des comportements fautifs susceptibles d'engager la responsabilité civile, l'usage excessif par un organe de presse de sa liberté d'informer peut assez simplement être rattaché à l'abus de droit (A). Ce n'est pourtant pas sans tourments que s'opère la confrontation d'une telle faute avec le principe de liberté d'expression (B).

131 G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, p. 21.

132 Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la responsabilité civile », RTDciv., 1987, p 507.

133 Par exemple, la loi du 29 juillet 1881, l'article 9 ou encore 9-1 du Code civil qui, conformément à l'adage romain specialia generalibus derogant, s'appliquent au détriment du droit commun dans l'hypothèse de litiges entrant dans leur champ d'application.

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A. La théorie de l'abus de droit comme fondement de la responsabilité

67. L'abus de droit se défini classiquement comme la faute commise dans l'exercice d'un droit134. À ce titre, il convient de préciser que l'abus en question vise indistinctement toute prérogative juridique dont l'usage serait fautif dans la mesure où cette qualification peut concerner aussi bien une liberté qu'un droit135. La Cour de cassation l'a d'ailleurs clairement affirmé dans un arrêt du 5 juillet 1994 de sorte qu'il est désormais acquis que l'usage excessif d'une liberté est constitutif d'un abus de droit136.

68. Le moins que l'on puisse dire est que la controverse doctrinale autour de la notion d'abus de droit constitue « un classique » pour qui s'intéresse aux débats juridiques ayant façonné l'histoire de notre droit positif. Deux grandes théories doctrinales s'affrontent.

D'une part, la théorie du Doyen Josserand pour qui l'abus de droit consiste en un détournement du droit de sa fonction sociale. En effet, selon ce dernier, chaque droit participe d'un esprit. L'acte abusif consiste alors à agir contrairement à l'esprit de ce droit137. Cette théorie, pour pouvoir être mise en oeuvre, implique nécessairement d'identifier la finalité du droit ou de la liberté en cause, ce qui ne va pas toujours de soi lorsque l'abus a trait à une liberté, « prérogative indéfinie »138. Il faut en réalité apprécier si le comportement du titulaire de la prérogative juridique est motivé par une finalité conforme à celle de cette dernière.

D'autre part, nous retrouvons une approche plus restrictive de l'abus de droit qui est celle du Doyen Ripert et reposant sur le critère de l'intention de nuire. Ici, c'est le comportement malicieux dont fait preuve le titulaire du droit qui permet de caractériser l'abus139. C'est donc l'intention malveillante dans l'exercice du droit qui est prise en compte.

134 M. Bacache-Gibeili, Les obligations : la responsabilité civile extracontractuelle, Economica, 2e éd., 2012, p. 165.

135 En effet, à tort, de nombreux auteurs restreignaient l'application de la théorie de l'abus de droit aux droit subjectifs (V. par exemple : G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 4e éd., 1949, p. 168 et s. ; J. Karila De Van, « Le droit de nuire », RTDciv., 1995, p. 533 et s.) en rejetant la perspective de son application au cadre des libertés.

136 Com., 5 juil. 1994 : Bull. civ.IV, n°258.

137 L. Josserand, De l'esprit des droits et de leur relativité, Théorie dite de l'abus des droits, Paris, Dalloz, 2e éd., 1939.

138 Par opposition à l'abus ayant trait à un droit subjectif, « prérogative définie » : N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 53.

139 G. Ripert, « Abus de droit ou relativité des droits », Rev. crit. législ. et jurisp., 1929.

69.

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Quel que soit le critère retenu, l'abus, dès lors que celui-ci engendre un dommage, engage la responsabilité civile délictuelle de son auteur. En effet la jurisprudence montre que le choix pour l'un ou l'autre des critères ci-dessus exposés varie d'un litige à l'autre au grès des circonstances de l'espèce et des juridictions saisies140. Mais la doctrine moderne admet d'une manière générale que le critère permettant de qualifier l'acte d'abus de droit réside essentiellement dans la faute telle qu'envisagée au sein des articles 1382 et 1383 du Code civil141. Dès lors, le fondement de l'abus de droit pourra a priori résulter d'une simple imprudence comme d'un acte purement dolosif142.

Il en résulte que la faute constitutive d'un abus de la liberté d'expression sera logiquement appréhendée au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil fondant la théorie générale de la responsabilité pour faute. Nous allons voir que cela n'est pas sans présenter des menaces pour la liberté d'expression.

B. La délicate conciliation du concept d'abus avec la liberté d'expression

70. Avant toute chose, il convient de mettre en relief un point important tenant à la distinction selon que l'abus a trait à un droit ou à une liberté. La théorie de l'abus de droit s'applique classiquement aux droits dits « subjectifs ». Leurs frontières sont souvent bien moins poreuses que celles des libertés. En effet, les libertés sont des prérogatives généralement floues « dont les frontières sont mal définies et donc, imprécises »143. Dès lors, l'application de la théorie de l'abus de droit à la liberté d'expression doit nous semble t-il, suivre un régime particulier144.

Nombreuses sont les raisons justifiant la réticence de certains auteurs à voir s'appliquer tel quel l'article 1382 dans le domaine de la liberté d'expression. L'instrumentalisation de la responsabilité pour faute - dans son application pleine et entière - aux fins d'appréhension d'une telle liberté risquerait très probablement d'aboutir à son amputation. Il n'y aurait alors guère plus de place que pour une presse consensuelle et muselée par peur de la vindicte judiciaire. En effet, la responsabilité subjective fait

140 G. Courtieu, « Droit à réparation », J-Cl. Civil, Fasc. n131-10, 2005, n2.

141 V. not. en ce sens, F. Terré, Y. Simler et P. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 7e éd., 2006, p. 53, selon qui la théorie de l'abus de droit fait « partie intégrante du droit de la responsabilité civile » et est « axée principalement sur la recherche d'une faute ».

142 N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 39.

143 N. Droin, op. cit. p. 53.

144 Indéniablement, la difficile détermination des frontières d'une liberté a pour effet de solliciter davantage l'arbitraire du juge. Raison pour laquelle un encadrement particulier paraît souhaitable.

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peser sur tout un chacun une obligation générale de ne pas nuire à autrui. Or, l'exercice d'un certain nombre de droits procède dans son essence même d'un relatif droit de nuire. C'est par exemple le cas du droit de concurrence, du droit de grève, du droit de rupture du contrat à durée indéterminée ou encore, du droit de rompre les pourparlers. À leur égard, une application stricte de la responsabilité pour faute - dont la fonction sociale est donc de garantir « le droit de chacun à ce qu'on ne lui nuise pas » 145 - conduirait à leur anéantissement.

Mais alors comment concilier ces droits particuliers avec la « philosophie pacifiste » de la clausula generalis ? En réalité, l'étude des jurisprudences rendues en la matière révèle la chose suivante : le fait d'exercer purement et simplement ces droits n'est pas en soi condamnable. Ce qui est susceptible de l'être en revanche, c'est les circonstances dans lesquelles il en est fait usage. Ainsi, on retrouve ici la théorie du doyen Josserand. Il faut apprécier si le titulaire du droit a agi dans l'esprit de ce droit.

71. Il apparaît que comme les droits précédemment énumérés, la liberté d'expression - qui nous le verrons connait de multiples facettes - comprend pour certaines d'entre elles un relatif pouvoir de nuire consubstantiel à son épanouissement146. En effet, il semblerait que la liberté d'expression soit divisible en deux grands ensembles : la liberté d'information d'une part, et la liberté d'opinion d'autre part147. Si la liberté d'information peut aisément se complaire dans l'objectivité, il semble en revanche que la liberté d'opinion soit nécessairement emprunte de subjectivité. On a en effet une distinction claire entre celui qui rapporte l'information en s'attachant aux faits et celui qui prend parti en exprimant une idée personnelle, un schéma de pensée, un jugement ou une critique. C'est dans ce second cas que le journaliste est sujet à la « censure de l'article 1382 du Code civil »148. Mais alors, quels sont les remèdes envisageables pour arbitrer le plus justement les intérêts en présence que constituent d'une part, la liberté d'expression et d'autre, les droits de la personne ?

72. Nous pensons que le raisonnement qui suit est une potentielle solution. L'idée serait d'établir une scission dans les modalités d'appréhension du caractère fautif du propos litigieux selon que l'on se situe sur le terrain de « l'expression-information » ou celui de

145 J. Karila De Van, « Le droit de nuire », RTDciv., 1995, p. 533.

146 Comment le critique littéraire, gastronomique, cinématographique ou encore l'humoriste politisé, pourrait-il exercer pleinement son art sans pouvoir heurter, choquer ou blesser l'amour propre de son sujet ?

147 B. de Lamy, « Les tribulations de l'article 1382 du Code civil au pays de la liberté d'expression », Mél. le Tourneau, Dalloz, 2007, p. 294.

148 Ibid, p. 295.

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« l'expression-opinion ». Lorsque l'on se trouve dans le domaine de « l'expression-information », nous pensons que les juges devraient retenir une application pleine et entière de l'article 1382 du Code civil. Cela impliquerait alors pour le journaliste l'obligation de contrôler la vérité des informations relatées et de faire preuve d'honnêteté dans leur présentation. Les devoirs « d'objectivité, de véracité ou de prudence »149 dicteraient alors la conduite de ce dernier de sorte que l'inobservation de l'un d'entre eux - indépendamment du critère de la bonne foi - entraînerait réparation150. En revanche, concernant le domaine de « l'expression-opinion », il semblerait que la solution doive passer par un recul du seuil de la faute. Il paraitrait en effet plus opportun ici de limiter la portée de l'article 1382 du Code civil aux seuls cas d'abus de la liberté d'expression particulièrement graves sans quoi il n'y aurait guère plus de place que pour les « louanges et les propos lénifiants »151. On pourrait même n'admettre la faute que lorsque celle-ci révèle une intention de nuire, à l'instar de la théorie du Doyen Ripert. Mais alors l'universalisme de la responsabilité civile s'en trouverait affecté. Nous verrons que cela ne semble pas plaire à la Haute juridiction152.

Outre les questions tenant aux modalités de mise en oeuvre de la responsabilité pour faute dans le domaine délicat que constitue celui de la liberté d'expression, la conformité de ce dernier aux normes à valeur supra-législatives est elle aussi, sujette à discussion.

Paragraphe 2 : La validité normative de l'article 1382 du Code civil

73. L'un des grands arguments avancés par les défenseurs d'une application exclusive de la loi de 1881 pour appréhender les abus de la liberté d'expression consiste à dénoncer la non-conformité de l'article 1382 du Code civil aux exigences de précision et de prévisibilité respectivement posées par les articles 11 de la DDHC, et 10 de la Conv.

EDH153.

74. L'article 11 de la DDHC tout d'abord, consacre le principe de la liberté d'expression en affirmant que tout citoyen est libre de parler, écrire et imprimer. Il précise que le principe vaut - et c'est là un point important qu'il nous faut souligner - « sauf à répondre

149 Civ. 27 fév. 1951 : Bull. civ.n°77 ; (V. Ch. Debbasch, Droit des Médias, Dalloz, 2e éd., 1999, p. 981.)

150 N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 74.

151 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 697.

152 V. Infra n°93 et s.

153 Voir les articles dans : J-J. Gandini, Les droits de l'Homme, Anthologie, Librio, 1998 respectivement p.22 et p.118.

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de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Il est dès lors discutable que le « fait quelconque » de l'article 1382, de par sa généralité, réponde à cette exigence154. En effet, l'article 1382 se contente d'ériger une norme de comportement : celle de ne pas nuire à autrui. Même si cet article vise à sanctionner les comportements dommageables fautifs, il n'apporte néanmoins aucune précision supplémentaire sur leur nature155.

Aussi, il semblerait que l'article 11 de la DDHC, en renvoyant expressément aux « cas déterminés par la loi », accorde au législateur - et non au juge - le pouvoir de préciser dans quelles hypothèses la liberté d'expression est susceptible de faire l'objet d'un usage abusif 156. On comprend donc que l'article 1382, ne contenant aucun indicateur eu égard aux circonstances de nature à caractériser la faute, laisse une totale liberté aux juges dans le travail d'appréhension des cas d'abus de la liberté d'expression ce qui semble aller à l'encontre des exigences du législateur de 1789. À ce titre, certains auteurs ne manquent pas de souligner que le recours à une telle disposition comporte un trop large risque d'arbitraire enclin à l'instauration d'un « contrôle judiciaire de la pensée »157.

On peut donc d'ores et déjà dire à la lumière de ces premières observations, que la conformité de la clausula generalis à la lettre de l'article 11 de la DDHC semble quelque peu compromise.

75. Plus récent, l'article 10 de la Conv. EDH consacre en son premier alinéa le principe de la liberté d'expression tout en érigeant dans son second, une série de trois conditions de limitation de cette dernière parmi lesquelles figure celle qui retiendra notre attention : toute potentielle restriction à la liberté d'expression doit être « prévue par la loi ».

Mais cette exigence de prévisibilité de l'article 10 est-elle là encore remplie par l'article 1382 ? La dimension fort accueillante de la faute, son extrême malléabilité, ainsi que l'utilisation extensive qu'en fait la jurisprudence - qui s'adapte au gré des espèces - peut légitimement nous en faire douter. D'ailleurs, l'imprécision de la lettre de l'article 1382 évoquée précédemment semble consubstantielle à ce manque de prévisibilité.

154 « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » (Art. 1382 du Code civil).

155 On notera en revanche, que la loi du 29 juillet 1881 elle, prévoit effectivement les cas précis dans lesquels l'auteur d'un abus de la liberté d'expression devra en répondre (la diffamation, l'injure, la provocation etc.). Elle paraît en ce sens davantage conforme à la lettre de l'article 11 de la DDHC.

156 C. Bigot, « Le champ d'application de l'article 1382 du Code civil en matière de presse », in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997, p. 65.

157 T. Massis, « Le juge des référés et la liberté d'expression », D. 1994, somm. 194.

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Toutefois, la décision rendue par la CEDH dans l'affaire Sunday Times158 nous conduit à rejeter la thèse de l'inconventionalité de l'article 1382159. Selon elle, l'exigence de prévisibilité de l'article 10 implique deux conditions sous-jacentes. D'une part, que la loi soit suffisamment accessible aux justiciables. Ensuite, que celle-ci puisse être interprétable en s'entourant au besoin de conseils éclairés 160 , ce que seule une jurisprudence constante est en mesure de fournir. En effet, selon la Haute Cour, l'article 1382 est suffisamment prévisible pour le journaliste dés lors que la jurisprudence interne adopte une trajectoire constante dans la définition des abus de la liberté d'expression passibles d'engager la responsabilité pour faute de leur auteur.

Ces deux conditions sous-jacentes attestent donc clairement du fait que l'exigence de prévisibilité de l'article 10 doit être appréciée de façon souple. Elle dépend largement du travail jurisprudentiel de définition des abus de la liberté d'expression qui se doit d'être continu et fidèle. Il reviendra dès lors aux seuls juges français d'adopter une certaine cohérence jurisprudentielle pour permettre à l'article 1382 d'assurer un semblant de prévisibilité aux médias.

En dépit de ce mouvement « positiviste Kelsénien »161 de contestation - visant à neutraliser l'application de l'article 1382 dans le domaine de la liberté d'expression - il apparaît finalement que la Cour de Strasbourg cherche véritablement à délivrer un « certificat de conventionalité » au principe de responsabilité pour faute162.

En définitive, il semblerait que cette relation tumultueuse existant entre la loi du 29 juillet 1881 et l'article 1382 du Code civil soit consubstantielle au caractère fondamental de la liberté en cause, ce qui divise encore plus les spécialistes de la matière163. C'est donc un véritable sentiment d'insolubilité qui anime la délicate problématique des rapports entre la clausula generalis et le texte de 1881. Nous allons voir que celui-ci ne semble d'ailleurs que s'affermir à la vue des jurisprudences dégagées par nos juridictions internes en la matière.

158 CEDH, 26 avr. 1979, Sunday Times, n° 6538/74, §49.

159 Tout au moins, pour ce qui est de sa conformité à l'article 10 de la Conv. EDH.

160 V. F. Sudre, J.P. Marguénaud, J. Andriantsimbasovina, A. Gouttenoire, M. Levinet, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 2005, n°5.

161 Car reprenant l'idée selon laquelle une norme tire sa légitimité de sa conformité à celle qui lui est supérieure.

162 D'autres jurisprudences en témoignent : V. à titre d'exemple : CEDH, 24 avr. 1997, De Haes et Gijsels c/ Belgique, n° 19983/92, §33 ; CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, n° 38432/97, §53.

163 « plus » car nous avons vu déjà que la question de l'harmonisation du procès de presse en vue d'empêcher le recours à l'article 1382 comme fondement alternatif de responsabilité pour bénéficier des règles du code de procédure civile plus favorables oppose déjà largement la doctrine.

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Section 2 : Une cohabitation délicate et houleuse entretenue par la jurisprudence

76. Comme nous l'avons déjà brièvement observé, compte tenu des intérêts en présence et du caractère fondamental de la liberté d'expression, la cohabitation entre les deux textes que constituent l'article 1382 et la loi du 29 juillet 1881 s'avère extrêmement délicate. Elle l'est d'autant plus que la clausula generalis, il est utile de le rappeler, comporte une dimension constitutionnelle depuis une décision rendue par le Conseil constitutionnel du 22 octobre 1982164. Bien qu'ambiguë dans sa formulation, celle-ci consacre selon de nombreux auteurs, le droit constitutionnel de tout individu à la réparation du dommage qu'il subi165. Par conséquent, au même titre que la liberté d'expression, il semblerait que l'article 1382, aussi, revêt un caractère fondamental.

77. Si depuis longtemps déjà, les juges se sont accordés pour éradiquer toute fonction substitutive à la responsabilité pour faute166, ceux-ci se montrent bien plus disparates pour ce qui est de lui accorder une fonction complétive. En effet, nous avons pu observer précédemment que les avantages que procure la loi sur la liberté de la presse sont essentiellement de nature procéduraux, tant le formalisme rigoureux et la prescription très courte imposés par le texte spécial contribuent à décourager les poursuivants victimes d'abus de la liberté d'expression. Permettre au demandeur de pouvoir bénéficier de l'article 1382 pour poursuivre une faute présentant les aspects d'un délit de la loi sur la presse aurait alors vidé cette dernière de toute sa substance. C'est la raison pour laquelle l'éviction de l'article 1382 comme fondement subsidiaire de l'action en réparation s'est très tôt imposé en jurisprudence167.

78. La fonction complétive de l'article 1382 semblait alors logiquement être la voie à adopter. Elle paraît tout à fait en conformité avec les principes généraux dictant notre droit et parmi lesquels figure la maxime « specialia generalibus derogant », impliquant que les dispositions spéciales doivent s'appliquer en préférence à celles générales168. Mais, comme le souligne l'auteur Geneviève Viney, l'universalisme de la responsabilité civile

164 Cons. const. 22 oct. 1982 : Gaz. Pal. 1983, 1, 60, obs. F. Chabas.

165 V. L. Favoreu, « La protection constitutionnelle de la liberté de la presse », in Liberté de la presse et droit pénal, PUAM, 1994, p. 235 ; F. Terré, Y. Simler et P. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 7e éd., 2006, n°664.

166 Civ. 1e, 23 mars 1982 : D. 1982, 374 ; TGI Paris, 24 nov. 1993, Légipresse n°112-1, p. 72 ; Civ. 2e, 6 janv. 1993 : Bull. civ.II, n°1 ; Civ. 2e, 19 juin 1996 : JCP 1996. IV, n°1873.

167 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 700.

168 V. C. Larroumet, Introduction à l `étude du droit privé, Economica, 2e éd., 1995, n°153 et 235 ; F. Terré, Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 3e éd., 1996, n°469.

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veut que « dès lors que l'on se trouve hors du domaine d'application du régime spécial, le régime général retrouve sa vocation naturelle à s'appliquer »169.

79. Selon une approche restrictive de la loi sur la presse, le dessein du législateur de 1881 aurait été de vouloir arbitrer définitivement le conflit opposant la liberté d'expression et la responsabilité civile en « enlevant du même coup à l'article 1382 une portion de sa compétence diffuse »170. Cette thèse, dite du « système juridique clos »171, a pour effet de neutraliser l'application de l'article 1382 du Code civil dans le contentieux de presse en consacrant l'exclusivisme du texte spécial en la matière. Or, au vu des travaux ayant précédé l'élaboration du texte de 1881, la thèse de l'exclusivisme semble procéder d'un contresens historique. En effet, il est connu des spécialistes que lors des travaux préparatoires de la loi spéciale, il fût envisagé de soumettre la presse au seul droit commun172 en vue d'empêcher la consécration d'un système juridique privilégié au bénéfice de la liberté d'expression. Si certains auteurs estiment que l'échec d'un tel projet s'explique par le fait que le législateur de 1881 ait pris conscience des dangers que représenterait l'article 1382 du Code civil pour la liberté d'expression, d'autres, à l'instar de Julie Traullé, ont pu démontrer que les véritables raisons d'un tel échec étaient tout autres173. Les rédacteurs du texte spécial ont même pu ouvertement renvoyer à la responsabilité civile de droit commun pour assurer un relais des infractions de presse comme ce fût notamment le cas lors de la décision d'abrogation d'une infraction d'atteinte à la vie privée où le rapporteur Eugène Lisbonne prit le soin de préciser qu'une telle atteinte se résoudrait désormais devant le prétoire civil174. Les débats ayant précédés l'élaboration du texte de 1881 invitent donc clairement à ne pas y voir le « système juridique clos » évoqué par le Doyen Carbonnier.

80. Le 27 septembre 2005 pourtant, par un arrêt défrayant la chronique, la Cour de cassation consacrait pour la première fois en jurisprudence la thèse de ce dernier en

169 G. Viney, « Les rapports entre le droit commun de la responsabilité civile et les régimes spéciaux de responsabilité ou de réparation », JCP 1998, I, 185, chron. resp. civ.

170 J. Carbonnier, « Le silence et la gloire », D. 1951, chron. p. 119, note sous Civ. 27 fév. 1951 : Bull. civ.n°77.

171 Ibid, p. 119, où le Doyen Carbonnier s'interroge sur le fait de savoir si le législateur n'a pas entendu « instituer pour toutes les manifestations de la pensée, un système juridique clos, se suffisant à lui même, arbitrant une fois pour toutes tous les intérêts en présence ».

172 H. Celliez et C. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse, accompagnée des travaux de rédaction avec observations et tables alphabétiques, 1882, p. 24 et s.

173 J. Traullé, L'éviction de l'article 1382 du Code civil en matière extracontractuelle, LGDJ, 2007, p. 385 et s.: celle-ci évoque notamment le risque d'insolvabilité chronique de l'auteur des propos ou encore le fait que, l'exercice abusif de la liberté d'expression amenant souvent à léser des intérêts publics en plus de ceux privés, l'article 1382 n'aurait pas été satisfaisant , ayant pour seul but, la défense d'intérêts privés.

174 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 702 ; V. aussi : J.O, 22 juillet 1881, Débats parlementaires, Chambre des députés, p. 1720, Eugène Lisbonne.

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affirmant purement et simplement que « les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil »175. Le dessein de la Cour de cassation devint alors limpide : l'article 1382 du Code civil ne doit plus pouvoir être invoqué pour quelque abus que ce soit, dès lors que l'intérêt lésé est de nature extrapatrimonial.

On peut alors s'interroger sur la conformité d'une telle décision avec notre droit positif. En effet, la Haute juridiction, par une telle formule, semble omettre un trait essentiel participant de l'essence même de la responsabilité civile : son universalisme176. Tout chef de préjudice doit pouvoir être réparé, et ce dans son intégralité. Or, si l'on suit le raisonnement de la Cour, le requérant qui ne pourra qualifier les propos litigieux selon l'une des incriminations de la loi du 29 juillet 1881, justifier d'une atteinte à sa vie privée (art. 9 du Code civil) ou encore, à sa présomption d'innocence (art. 9-1 du Code civil)177, sera dans l'impossibilité d'obtenir une quelconque réparation de son préjudice, aussi grand soit-il. N'est-ce pas là une atteinte au caractère d'ordre public de la responsabilité civile délictuelle ?

On pourrait légitimement penser, comme le Doyen Carbonnier, que la loi de 1881 a vocation à instituer un « système juridique clos », de sorte que si les faits poursuivis ne relèvent pas de son champ d'application, il apparaît incongru de se prévaloir d'un quelconque abus de liberté d'expression. Mais il faudra alors admettre que de nombreux écarts d'expression ne pouvant être sanctionnés dans les conditions de la loi sur la presse resteront impunis, ce qui frôle l'hérésie au vu de la fonction classiquement échue à la justice : suum cuique tribuere 178. De la même façon, le principe de la réparation intégrale du préjudice - d'ordre public en matière extracontractuelle ! - s'en trouverait totalement bafoué.

En tout état de cause, le poids de l'indignation semble avoir eu raison de cette jurisprudence qui parait aujourd'hui ne constituer qu'un mauvais souvenir pour de

175 Civ. 1e, 27 sept. 2005 : Bull. civ.I, n°348.

176 E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité civile en matière de presse », D. 2006, p. 1137 et s.

177 Il s'agit là en effet des principaux textes spéciaux sanctionnant les abus de la liberté d'expression envers les personnes.

178 La justice a pour objectif de rendre à chacun ce qui lui est dû ; V. E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité civile en matière de presse », D. 2006, p.1137 et s.

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nombreux auteurs. En effet, même si un récent arrêt pourrait permettre d'en douter179, il apparait clairement que la jurisprudence constante ne semble pas vouloir donner raison au Doyen Carbonnier. C'est la raison pour laquelle nombreuses sont les décisions optant pour une solution davantage respectueuse des grands principes gouvernant notre droit positif ci-dessus évoqués180 et consistant à attribuer une fonction complétive à la responsabilité civile de droit commun.

Chapitre 2 : La résolution du conflit par l'admission d'une fonction complétive de l'article 1382 du Code civil

81. Depuis les arrêts de l'assemblée plénière du 12 juillet 2000 - à l'exception de la décision controversée du 27 septembre 2005 étudiée précédemment - la Haute juridiction autorise l'application de l'article 1382 du Code civil en présence de faits distinct d'une infraction de presse. Dès lors que les propos litigieux sont matériellement distincts d'un délit de presse tel que prévu par la loi du 29 juillet 1881, le juge peut alors appréhender si oui ou non, au regard de l'article 1382 du Code civil, ceux-ci sont susceptibles de donner lieu à réparation.

82. Cette solution jurisprudentielle, se prononçant en faveur d'une approche complétive de la responsabilité pour faute, assure donc la primauté du texte spécial sur le droit commun en la seule présence de faits identifiables à une infraction de presse (Section 1). Or, il semblerait que cela ne soit en réalité que la « face visible de l'iceberg ». En effet, l'exclusion du droit commun va en réalité au-delà des frontières du texte spécial de sorte que l'on peut noter un certain magnétisme exercé par la loi du 29 juillet 1881 sur l'article 1382 du Code civil. Si pour certains, cet effet apparaît comme une nécessité pour la sauvegarde de l'économie de la loi sur la liberté de la presse, d'autres le dénonce avec ferveur (Section 2).

179 En effet, un récent arrêt vient d'affirmer que « les abus de la liberté d'expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881 » (Civ.1e, 6 oct. 2011, Légipresse n°290, 2012, p. 31). Or, comme E. Dreyer, nous pensons au vu de la maladresse de sa rédaction, et des récentes décisions l'entourant (notamment : Civ. 1e, 11 fév. 2010, CCE 2010, n°38, obs. A. Lepage ; Civ. 1e, 28 sept. 2011, AJ fam. 2011. 546, obs. L. Briand) que celui-ci ne constitue pas un revirement de jurisprudence (V. obs. E. Dreyer, JCP E, 2011, p. 1227).

180 Principalement : l'universalisme de la responsabilité civile ; le caractère d'ordre public de la réparation ; le principe de réparation intégrale du préjudice subi.

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Section 1 : L'exigence de « faits distincts » d'une infraction pénale de presse

83. Une cohabitation claire et sereine paraît avoir été forgée depuis les retentissants arrêts de l'assemblée plénière du 12 juillet 2000 consacrant la complémentarité de la responsabilité civile de droit commun vis à vis du texte spécial (Paragraphe 1). Or, une fois la question tenant à la légitimité de voir s'appliquer l'article 1382 dans le domaine que constitue celui de la liberté d'expression résolue, il eut été justifié de se demander si la faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur - compte tenu du relatif droit de nuire dont dispose le journaliste - ne devait pas être appréciée de façon plus restrictive (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les arrêts du 12 juillet 2000 : détail d'une jurisprudence clé

84. À la lecture des jurisprudences de 2000, la solution apportée au conflit opposant la loi sur la liberté de la presse à la clausula generalis semble tout à fait simple et logique. La loi du 29 juillet 1881 - faisant figure de droit spécial au regard de l'article 1382 du Code civil - prime naturellement sur ce dernier en présence de faits constitutifs d'une infraction qu'elle réprime (A). En revanche, si les faits en question s'avèrent être distincts de cette infraction, la responsabilité civile de droit commun reprend toute sa vigueur (B).

A. Primauté du texte spécial en présence de faits pénalement qualifiables

85. Le 21 octobre 1999, la deuxième chambre civile ordonnait le renvoi devant l'assemblée plénière des pourvois respectifs formés par les consorts Érulin et les époux Collard, contre les arrêts rendus par les Cour d'appel de Paris et de Versailles181. Dans ces deux affaires, il était question de publications mettant en cause l'honneur et la considération de personnes défuntes. Pour débouter les demandeurs en leurs appels respectifs - ces derniers faisant valoir l'existence d'une faute et d'un préjudice en se fondant sur l'article 1382 du Code civil - les juges du fond ont estimé que les propos étant constitutifs d'une diffamation envers la mémoire des morts au sens de l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881, l'article 1382 ne peut servir de fondement à l'action en réparation182. Cette analyse sera ensuite approuvée par l'assemblée plénière dont l'attendu de principe

181 CA Paris, 17 sept. 1997 : D. 1998. 432, note N. Mallet-Poujol ; CA Versailles, 16 oct. 1997 : Bull. civ.2000. n°8, rapports de M. Durieux.

182 S. Martin- Valente, « La place de l'article 1382 du Code civil en matière de presse depuis les arrêts de l'assemblée plénière du 12 juillet 2000, approche critique », Légipresse n°202, 2003, p. 73.

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est clair : « les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil »183. Cette formule, aujourd'hui « classique » en droit de la presse, est martelée depuis 2000 dans de nombreuses décisions184.

86. Par conséquent, dés lors que les faits poursuivis entrent dans le champ des incriminations de la loi du 29 juillet 1881, celle-ci a vocation à s'appliquer sans détournement possible avec la responsabilité pour faute. Cette primauté du texte spécial en présence de faits pénalement qualifiables a pour finalité essentielle d'empêcher toute tentative de contournement des dispositions rigoureuses du texte spécial et principalement le délai de prescription de trois mois. En effet, il n'est pas vain de rappeler que le juge qui se voit confronté à une demande de réparation fondée sur l'article 1382 du Code civil, celui-ci n'étant pas lié par la qualification donnée aux faits par les parties, a la faculté de requalifier l'action au bénéfice de l'application de la loi sur la liberté de la presse lorsqu'il constate que les éléments du délit de presse sont réunis185.

87. Aussi, comme le souligne à juste titre Emmanuel Dreyer, la revendication de cette jurisprudence est en réalité essentiellement procédurale. Il importe peu en effet - la responsabilité civile conservant une fonction complétive - de savoir si au fond, les juges accorderont la réparation en application du texte spécial, ou en application du droit commun de la responsabilité civile186.

Pour reprendre l'esprit de la formule employée par l'assemblée plénière, ce n'est donc a priori qu'en présence d'abus de la liberté d'expression non prévus et non réprimés par la loi du 29 juillet 1881 que l'article 1382 du Code civil trouvera à s'appliquer. Nous allons voir que les choses ne sont pas aussi simples.

183 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull. civ.n°8 préc.

184 À titre d'exemples : Civ. 1e, 7 fév. 2006 : JCP 2006. IV. 1461 ; Civ. 1e, 29 nov. 2005 : JCP 2005. IV. 3785 ; Civ. 1e, 21 fév. 2006 : JCP 2006. IV. 1580 ; Civ. 1e, 11 fév. 2010 : CCE 2010, n°38 ; Civ. 1e, 28 sept. 2011, AJ fam. 2011. 546).

185 V. art. 12 NCPC et en ce sens, Civ. 2e, 6 mai 1999 : Bull. civ.n°79.

186 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p.10.

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B. Complémentarité de l'article 1382 en présence de faits distincts d'un délit de presse

88. L'article 1382 a vocation à s'appliquer en complément du texte spécial si deux conditions cumulatives sont réunies187.

D'une part, les propos poursuivis doivent nécessairement être distincts d'une infraction de presse. Cette exigence de « faits distincts »188est absolument essentielle et conditionne l'admissibilité des actions introduites sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Elle dévoile en réalité la « face cachée de l'iceberg » que constitue la formule employée par la jurisprudence de 2000 car en réalité, plus que le respect des frontières propres à la loi de 1881, « c'est une distance de respect que l'article 1382 se voit assigner »189. En effet, l'article 1382 du Code civil sera non seulement exclu dans l'hypothèse où les faits poursuivis seront pénalement qualifiables de délit de presse selon la loi spéciale, mais aussi, dans le cas où ces faits entreront dans l'esprit de ce délit sans même que celui-ci soit répréhensible. L'exclusivité de la loi spéciale au détriment du droit commun dépend donc en réalité de la seule matérialité des propos incriminés et non de l'intention de leur auteur. Par conséquent, dés lors que les faits poursuivis correspondront à l'élément matériel de l'une des infractions de presse recensée par la loi de 1881, mais que l'intention coupable de l'auteur n'est pas caractérisée, non seulement il sera impossible pour la victime d'agir sur le fondement de la loi de 1881 faute d'élément moral, mais en plus, celle-ci se verra dans l'impossibilité d'invoquer l'article 1382 du Code civil. La règle est donc stricte : quand bien même une infraction de presse ne serait pas constituée, la Cour admet que la responsabilité civile pour faute puisse être évincée si les propos en question entrent dans « l'univers intellectuel du délit »190.

D'autre part, concernant la seconde condition, une fois l'action en réparation fondée sur l'article 1382 admise dans son principe - les propos étant distincts d'une infraction de presse - il faudra bien évidemment démontrer que les trois conditions cumulatives de la responsabilité civile pour faute sont réunies. Il en résulte que la réparation ne sera allouée

187 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article

1382 du Code civil », Légipresse n234, 2006, p.97.

188 Ibid

189 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009,

p.699.

190 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article 1382 du Code civil », Légipresse n234, 2006, p. 94.

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à la prétendue victime qu'en présence de la démonstration du caractère fautif des propos, d'un préjudice, et d'un lien de causalité entre la faute et ce préjudice.

Inutile de préciser que le plus difficile pour la victime, comme à l'accoutumée, sera de prouver le caractère fautif des propos poursuivis. En effet, il convient de s'interroger sur la nature de la faute susceptible de donner lieu à réparation et donc, d'engager la responsabilité civile de son débiteur.

Paragraphe 2 : La nature de la faute engageant la responsabilité civile de son auteur

89. L'idée est d'évaluer si dans les interstices existant entre les divers textes spéciaux limitant la liberté de la presse, il serait opportun de borner la portée de l'article 1382 du Code civil. Compte tenu du caractère fondamental de la liberté d'expression, de sa nécessité dans une société démocratique191 et du relatif droit de nuire dont bénéficie le journaliste dans l'exercice de certaines de ses activités, une telle question apparaît tout à fait légitime tant la responsabilité pour faute, en raison de son extrême souplesse, pourrait potentiellement se transformer en instrument de censure.

90. Depuis la rédaction du Code civil de 1804, il est admis que toute faute, aussi légère soit-elle, quand bien même celle-ci résulterait d'une simple imprudence, suffit à engager la responsabilité civile de son auteur. Le principe est donc celui de l'unité de la faute civile génératrice de responsabilité civile. La gravité de la faute est sans incidence quelconque sur l'existence de la responsabilité192.

91. Pourtant, certains juges du fond ont jugé nécessaire, pour ce qui est du contentieux de la presse, de limiter la portée de l'article 1382 au nom de la liberté d'expression. En effet, à plusieurs reprises, la Cour d'appel de Paris a jugé dans les années quatre-vingt-dix que le principe de la liberté d'expression de l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme impose que l'application en matière de presse des dispositions de l'article 1382 soit limitée aux hypothèses où l'abus en question constitue soit, une « atteinte aux droits fondamentaux de la personne », soit « une dénaturation ou une déformation des faits traduisant une intention malveillante ou une négligence manifeste dans la

191 V. Art. 10 Conv. EDH.

192 M. Bacache-Gibeili, Les obligations, la responsabilité civile extracontractuelle, 2ème éd., Economica, 2012, n°163.

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vérification de l'information »193. Dès lors, la mise en oeuvre de la responsabilité civile de l'auteur de l'abus sera conditionnée selon les juges du fond, par la gravité du dommage subi si l'on se trouve dans le premier cas, ou par la gravité de la faute dans le second. L'objectif de la Cour d'appel de Paris est donc simple : circonscrire l'application de l'article 1382 aux cas les plus graves où il peut être constaté soit une faute qualifiée, soit un préjudice conséquent.

92. Toutefois, malgré les efforts déployés par cette dernière, la Cour de cassation ne fut pas de cet avis. En effet, celle-ci effectua une multitude de cassations en refusant cette logique d'amputation de la responsabilité pour faute. Elle estima que les juges du fond - en limitant de la sorte la portée générale de l'article 1382 du Code civil en matière de presse - violaient le texte en question194. Alors qu'en penser ? La réaction de la Haute juridiction est-elle justifiée et si oui, est-elle pour autant souhaitable ?

D'un point de vue purement rationnel, l'argument paraît imparable. L'article 1382 a été volontairement pourvu d'une portée générale. Subordonner sa mise en oeuvre à l'existence d'un certain seuil de gravité contribue à lui rajouter des conditions qu'il ne comporte pas. Or, comme l'affirme le professeur Charles Debbasch, « là ou la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer »195.

Cependant, une telle solution conduit tout de même à un résultat quelque peu paradoxal que l'on ne peut se permettre d'éluder. En effet, il convient de le rappeler, le dessein du législateur de 1881 était semble t-il de promouvoir la liberté de la presse tout en la limitant dans les cas où il était estimé que son usage était abusif196. Dès lors, le fait qu'en dehors de la loi spéciale, le journaliste soit en réalité beaucoup plus exposé à un risque de condamnation - dans la mesure où l'application pleine et entière de la clausula generalis veut que toute faute, aussi légère soit-elle, soit sanctionnée - ne faisait donc surement pas parti de ses prévisions. Si les travaux préparatoires de la loi de 1881 montrent que le maintien de l'application de l'article 1382 en complément du texte spécial fut admis par ses rédacteurs, on peut néanmoins douter que ces derniers, au risque de

193 Parmi les diverses décisions en ce sens : CA Paris, 19 nov. 1990, Légipresse 1990, n°79-III, p. 19 ; CA Paris, 1er nov. 1991, D. 1991, IR p. 70 ; CA Paris, 6 mars 1992, Légipresse 1992, n°95-1, p. 117 ; CA Paris, 27 avril 1993, Légipresse 1993, n°106-1, p. 136.

194 Civ. 2e, 5 mai 1993 : Bull. civ.II, n°167 ; Civ. 2e, 24 janv. 1996 : Bull. civ.n°14.

195 Ch. Debbasch, Droit des médias, Dalloz, 2e éd., 1999, p. 1046.

196 Rappelons qu'au cours des débats ayant précédés son adoption, le texte de 1881 fût présenté comme une « loi d'affranchissement et de liberté » : E. Lisbonne, in H. Celliez et C. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse, accompagnée des travaux de rédaction avec observations et tables alphabétiques, Libr. A. Marescq Ainé, Paris, 1882, p.5.

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rétablir le délit d'opinion, aient souhaité qu'une simple imprudence ou maladresse commise par un journaliste, même de bonne foi, soit de nature à engager sa responsabilité197. Cette solution apparaît de surcroît incompatible avec certaines facettes de la liberté d'expression qui comme nous l'avons vu précédemment, comportent - dans une certaine mesure - une dimension nuisible nécessaire à leur épanouissement.

Ces diverses observations peuvent donc légitimement nous faire douter de la pertinence de la position adoptée par la Cour de cassation pour désapprouver les juges du fond. Il n'en demeure pas moins que si la question tenant à la nature de la faute susceptible d'engager la responsabilité civile de droit commun du journaliste ne manque pas d'intérêt théorique, une réalité doit être soulignée : la loi sur la liberté de la presse absorbe en pratique la majeure partie du contentieux de la presse, de sorte que l'utilisation de l'article 1382 en vue de définir de nouveaux abus ne concerne en réalité qu'un nombre très résiduel d'affaires198.

Nous allons d'ailleurs voir que ce nombre tend à s'amenuiser, tant le magnétisme du texte de 1881 vis à vis de la clausula generalis se fait sentir dans certains domaines.

Section 2 : L'attraction exercée par le texte spécial sur l'article 1382 du Code civil

93. Attraction, absorption, magnétisme ! Autant de qualificatifs évoquant ce phénomène qui tend à consacrer l'exclusivisme du régime spécial au détriment de la responsabilité civile de droit commun. Alors bien évidemment, on peut se demander pourquoi s'indigner d'un tel constat dès lors que le texte de 1881 offre la possibilité - tout autant que l'article 1382 - d'obtenir la réparation au civil du dommage subi par la victime. Les choses ne sont pourtant pas aussi simples. Car dans bien des cas, le fait d'écarter l'application de la responsabilité pour faute à raison du fait que les propos litigieux relèvent du domaine d'application de la loi de 1881 ne permettra pas pour autant à la victime d'obtenir gain de cause.

94. Cet étrange paradoxe, qu'il convient d'examiner à partir de l'exemple frappant fourni par l'infraction de diffamation envers la mémoire des morts (Paragraphe 1), s'observe

197 N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 80.

198 L'importance de la problématique - en terme d'actions en justice - est donc à relativiser : B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 707.

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aussi à d'autres niveaux que nous ne pouvons nous permettre d'escamoter tant les enjeux sont capitaux (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le cas particulier de l'atteinte envers la mémoire des morts

95. Tout a commencé lors des célèbres affaires Érulin et Collard évoquées précédemment, dans lesquelles étaient en question des publications mettant en cause l'honneur et la considération de personnes défuntes. La Cour de cassation, rejetant les pourvois formés par les familles sur le fondement de la responsabilité pour faute estima en effet « qu'ayant retenu que la publication des propos litigieux relevait des dispositions de l'article 34 al.1 » de la loi du 29 juillet 1881, « la cour d'appel a décidé à bon droit que les consorts X ne pouvaient être admis à se prévaloir de l'article 1382 dudit Code »199.

Pour autant - et c'est ce qui nous intéresse ici - bien que relevant des dispositions de l'article 34 al 1er relatif au délit de diffamation envers la mémoire des morts, les propos litigieux ne pouvaient donner lieu à réparation200. En effet, le délit de diffamation envers la mémoire des morts requiert, pour qu'il puisse être sanctionné, que soient caractérisés non seulement un dol général - que constitue la diffamation envers le défunt - mais aussi, un dol spécial, caractérisé par l'intention de nuire aux héritiers201. Comme le souligne le professeur Nathalie Mallet-Poujol, ce dol spécial est une condition de la « sanction » du délit et non de sa « constitution »202. Il peut donc y avoir exclusion du droit commun de la responsabilité civile - au profit de la loi de 1881 - car le délit spécial est constitué, sans pour autant que celui-ci ne donne lieu à réparation203. L'absence de dol spécial conduit alors à priver les héritiers de toute action en justice.

96. Ce phénomène d'absorption, indéniablement, s'opère au détriment du droit à réparation des victimes qui rappelons le, revête une dimension constitutionnelle204. Mais est-il justifié ? Il peut paraître paradoxal - au regard des principes dictant le responsabilité civile extracontractuelle205 - que le dommage moral concomitant à une diffamation du mort ne puisse être réparé sous aucun fondement pour les héritiers. Tout préjudice ne

199 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull. civ.n°8 préc.

200 Ce qui fût confirmé par un arrêt de 2006 : Civ. 1e, 12 déc. 2006 : Bull. civ.I, n°551.

201 V. Art. 34 al 1er : Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125.

202 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article 1382 du Code civil », Légipresse 2006, n°234, p. 95.

203 V. pour plus d'explications Supra n°89 et s.

204 Cons. const., n°2005-522 DC, 22 juillet 2005, Loi de sauvegarde des entreprises, JO, 27 juillet 2005, p. 1225.

205 Notamment, ceux précédemment évoqués dans notre développement : l'universalisme de la responsabilité civile ; le caractère d'ordre public de la réparation ; le principe de réparation intégrale du préjudice subi.

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mérite t-il pas réparation ? L'auteur de propos déshonorant n'est-il pas concerné par la fonction préventive de la responsabilité civile ? D'ailleurs, on peut se poser la question de savoir s'il ne s'agit pas là d'une atteinte au droit à un recours effectif du justiciable garanti par la Conv. EDH et ayant lui aussi une valeur constitutionnelle206. Il semblerait que non. La Cour de cassation a estimé récemment que l'application exclusive de l'article 34 al. 1er de la loi spéciale au détriment de l'article 1382 du Code civil était conforme au droit à un procès équitable consacré au sein de l'article 6-1 de la Conv. EDH207. L'argument de l'atteinte aux « droits fondamentaux du justiciable » ne semble donc pas convaincre.

97. L'argument historique en revanche, peut nous permettre d'affirmer une chose : les rédacteurs de la loi de 1881 n'ont jamais entendu priver les héritiers, en l'absence de dol spécial, d'une action à titre subsidiaire fondée sur l'article 1382 contre le diffamateur dès lors que l'atteinte envers la mémoire du défunt était avérée208. D'ailleurs, la Cour de cassation a toujours admis, antérieurement aux arrêts du 12 juillet 2000, qu'à défaut de pouvoir réunir les éléments constitutifs du délit de l'article 34 al 1er, l'article 1382 puisse être appliqué à titre subsidiaire, conformément à la volonté du législateur de 1881209.

Même si un mouvement postérieur aux jurisprudences de 2000 semblait vouloir faciliter l'établissement de la diffamation envers la mémoire des morts en appréciant plus souplement la condition tenant au dol spécial210 - pour permettre une indemnisation plus fréquente des demandeurs - il apparaît donc clairement que la liberté d'expression tend à primer sur le droit à réparation des victimes. Une jurisprudence récente en atteste et n'hésite pas à restreindre encore d'avantage les conditions d'indemnisation en la matière211. Le « système juridique clos » du Doyen Carbonnier semble donc - pour ce qui est de l'atteinte envers la mémoire des morts - avoir eu raison de la jurisprudence212 : une

206 C. const., n° 96-373 DC, 9 avr. 1996, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, JO, 13 avr. 1996, p. 5724.

207 Civ. 1e, 12 déc. 2006 : Bull. civ.I. n°551, p.491.

208 V. notamment la déclaration d'Eugène Lisbonne, Séance du 21 juil. 1881, D. 1881, 4e partie, Lois, décrets et actes législatifs, p. 80 : « dans le cas où le diffamateur n'a pas eu l'intention d'attaquer les héritiers vivants, la disposition nouvelle laisse dans le droit commun l'action civile, de la part de ces derniers, en dommages et intérêts ».

209 V. à titre d'exemple : Civ. 2e, 22 juin 1994 : Bull. civ.II, n°165.

210 V. notamment : un arrêt rendu par la deuxième chambre civile ayant déduit l'intention de nuire du diffamateur de la seule constatation de l'élément matériel de l'infraction (Civ. 2e, 22 janv. 2004 : Bull. civ.II, n°19) ; aussi sur ce point, voir la note de M. Guerder exprimant sa volonté que la jurisprudence assouplisse la condition tenant à la constatation de l'élément intentionnel (P. Guerder, note sous Civ. 2e, 10 oct. 2002, Gaz. Pal. 2003. Jurisp. 3837).

211 Crim., 10 mai 2011 : Dr. Pénal 2011. 102, obs. M. Véron : la Haute juridiction a estimé que les dispositions de l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881 « impliquent que soit établie la qualité d'héritier ayant accepté la succession ».

212 TGI Paris, 10 nov. 2011 : Légipresse n°291, fév. 2012, p. 77.

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portion de la « compétence diffuse » de l'article 1382213 paraît bel et bien avoir été absorbée par le régime spécial. Le phénomène semble d'ailleurs se perpétuer au détriment d'autres droits à valeur constitutionnelle.

Paragraphe 2 : La mise à l'écart consécutive de droits fondamentaux

98. Le phénomène d'attraction du texte spécial - ci-dessus décrit en matière de diffamation envers la mémoire des morts - semble se développer dangereusement pour venir s'en prendre aux droits fondamentaux que constituent le droit au respect de la dignité humaine et le droit au respect des croyances. Encore une fois, l'exclusivisme de la loi spéciale au détriment des droits de la victime parait s'imposer au nom de cette liberté que constitue celle de s'exprimer. En effet, le professeur Thierry Massis dénonce cette tendance fâcheuse qu'a le juge à « conforter les espèces qui lui sont soumises aux incriminations de la loi de 1881 » alors même que « certaines atteintes ne peuvent répondre aux qualifications étroites des délits réprimés par cette loi »214. La preuve en est par exemple, cet arrêt rendu par la Haute juridiction du 8 mars 2001 dans lequel celle-ci - ayant relevé que des dessins tournant en dérision le catholicisme, les rites religieux, et donc les croyances, ne constituaient pas le délit de presse incriminé au sein de l'article 24 al. 6 de la loi de 1881 - a jugé qu'aucun comportement fautif ne pouvait être décelé au sens de l'article 1382 du Code civil215. On constate donc, qu'à l'instar des jurisprudences du 12 juillet 2000, les juges semblent vouloir consacrer la thèse du « système juridique clos » pour ce qui est des atteintes aux sentiments religieux et ce, au prix d'une mise à l'écart du droit constitutionnel que constitue le droit au respect des croyances216. D'autres décisions en attestent217. Pourtant n'était-il pas possible, au regard de ces quelques exemples jurisprudentiels, de déceler une faute civile distincte caractérisée par une offense délibérée aux sentiments religieux218 ? On peut se le demander.

99. Dans le même sens, on peut observer que si le recours au concept de dignité humaine pouvait d'antan permettre au juge de caractériser plus facilement une faute au

213 J. Carbonnier, « Le silence et la gloire », D. 1951, chron. p. 119.

214 T. Massis, « Respect des croyances, dignité et loi du 29 juillet 1881 », Légipresse n°197. II, p. 172.

215 Civ. 2e, 8 mars 2001 : Bull. civ.n°47 : estimant que les dessins n'ont « pas eu pour finalité de susciter un état d'esprit de nature à provoquer à la discrimination, la haine, ou la violence, et ne caractérisent pas l'infraction prévue par l'article 24 alinéa. 6 de la loi du 29 juillet 1881 » de sorte qu' « aucune faute ne pouvait être retenue sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ».

216 L'article 2 al. 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « La France respecte toutes les croyances ».

217 En ce sens notamment : TGI Paris, 6 oct. 1999, inédit ; TGI Paris, 21 fév. 2002, Légipresse n°192-III, p. 105.

218 T. Massis, « Respect des croyances, dignité et loi du 29 juillet 1881 », Légipresse n°197. II, p. 173.

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sens de l'article 1382 en marge du texte de 1881 - pour sanctionner des propos dénigrants envers la personne humaine - il apparaît que la Cour de cassation ne soit plus séduite par cette combinaison des articles 16 et 1382 du Code civil pour caractériser les abus de la liberté d'expression219. Là encore, la dignité de la personne humaine, érigée au rang de principe à valeur constitutionnel220, semble être marginalisée au détriment des victimes pour laisser libre cours à la liberté d'expression.

100. Si cette mise à l'écart de droits fondamentaux au nom de la liberté d'expression est déplorée par certains, d'autres y voient une juste adéquation avec le principe même de liberté d'expression qui rappelons-le, « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population »221. De plus, comme le souligne Guillaume Lécuyer, avocat au barreau de Paris, on peut observer depuis un certain nombre d'années une recrudescence des abus de la liberté d'expression concomitant au relâchement des conditions de recevabilité des actions associatives222. Il est donc probable que la tendance jurisprudentielle ci-dessus décrite - favorable à une application exclusive du texte spécial dans les domaines mettant en cause l'honneur, la dignité et les croyances des personnes - soit une manière de mettre un frein à cette inflation des actions en responsabilité pour abus de la liberté d'expression menées par les associations pour la défense de leur prétendue « Grande Cause »223.

101. En réalité, la véritable question est de savoir si la loi de 1881 constitue une base légale suffisante pour arbitrer les intérêts en présence auquel cas dans l'affirmative, l'application exclusive du texte spécial au détriment de la responsabilité pour faute serait justifiée. Il nous semble, concernant les espèces présentées ci-dessus, que cela soit discutable.

En effet il est des atteintes aux croyances et à la dignité qui ne peuvent entrer dans le champ d'application de l'injure ou de la diffamation telles que prévues au sein du texte de 1881 et qui, constituant une faute civile distincte, mériteraient probablement que l'on

219 Civ. 1e, 12 déc. 2006 : Bull. civ.I. n°551.

220 Cons. Const. 27 juil. 1994, D. 1994. 237.

221 CEDH, Handyside c/ Royaume Uni, n° 5493/72, 7 décembre 1976, GACEDH n° 7.

222 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p.

708.

223 Ibid

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puisse appliquer l'article 1382 du Code civil224. La liberté d'expression ne doit pas permettre de justifier l'indécence, la balourdise, l'obscénité. Les juges devraient donc sûrement davantage se poser la question de savoir si dans telle ou telle espèce, le message présente réellement un intérêt pour la collectivité.

Aussi, rappelons que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen parle de « libre communication des pensées et des opinions »225 pour définir le contenu de la liberté d'expression et non de libre communication de ragots, images ou propos avilissants souvent protégés au nom de cette « sacro-sainte » liberté d'expression. Exclure l'article 1382 du Code civil contribue donc à renoncer à sanctionner des atteintes à des droits de la personnalité insuffisamment pris en compte par la loi du 29 juillet 1881226. Peut-être serait-il opportun alors, de compléter la liste des incriminations prévues par le texte spécial ? On sait que le professeur Geneviève Viney le propose pour ce qui concerne les atteintes relatives à l'honneur et à la considération des personnes227.

Enfin, si l'on s'en tient aux arguments traditionnellement avancés par la doctrine, il ressort que l'exclusivisme de tout texte spécial devrait pouvoir légitimement s'imposer à partir du moment où la disposition spéciale en question a pour unique but d'améliorer la situation de la victime au regard de ce que prévoit l'article 1382 du Code civil228. Difficile pourtant de contester que le texte spécial de 1881 s'avère bien plus protecteur vis à vis des organes de presse que ne l'est l'article 1382 du Code civil. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nombreuses sont les tentatives de contournement de la loi sur la liberté de la presse fondées sur la clausula generalis tenues en échec par la jurisprudence. Sur ce point là encore, le choix d'une application exclusive de la loi du 29 juillet 1881 au détriment de l'article 1382 apparaît tout à fait discutable.

Toujours est-il que la Cour de cassation semble depuis 2000 estimer, eu égard aux domaines précédemment évoqués (atteinte à la considération des morts, à la dignité, aux

224 Comme cela a pu être le cas dans l'affaire Ave Maria au sujet d'affiches lésant les sentiments religieux (TGI Paris, 23 oct. 1984, Gaz. Pal. 1984, p. 727 et s.) ou encore dans l'affaire du VIH, la Cour d'appel ayant reconnu un droit à la dignité aux personnes atteintes du sida bafoué par des affiches publicitaires dégradantes (CA Paris, 28 mai 1996, D. jurisp. p. 617 note B. Edelman).

225 J-J. Gandini, Les droits de l'Homme, Anthologie, Librio, 1998, p. 22.

226 P. Jourdain, « L'éviction totale de l'article 1382 en cas d'abus de la liberté d'expression envers les personnes », RTDciv. 2006, p. 127.

227 G. Viney, « Le conflit entre le droit de la presse et l'article 1382 », JCP. G, 1998. I. 185.

228 J. Traullé, L'éviction de l'article 1382 du Code civil en matière extracontractuelle, LGDJ, 2007, p.329.

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croyances), que le texte de 1881 se suffit à lui-même pour arbitrer les intérêts en présence suivant en cela la thèse du « système juridique clos » soutenue par le Doyen Carbonnier. Bien entendu, les possibilités d'application de l'article 1382 en marge du texte spécial n'en sont pas pour autant épurées. C'est ce que nous nous efforcerons de démontrer dans la seconde partie de notre développement consacrée à la place effective qu'occupe le droit commun de la responsabilité civile dans le contentieux de la presse.

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Conclusion de la Partie I

Au fil de ce premier volet de développement, nous avons pu observer combien les possibilités de voir s'appliquer l'article 1382 du Code civil dans le domaine de la liberté d'expression semblent s'amenuiser face à une loi du 29 juillet 1881 prépondérante.

À la vue de la concurrence générée par le droit commun - dont l'adaptation à la liberté d'expression s'avère particulièrement complexe - le dessein de la Haute juridiction paraît clairement vouloir promouvoir la suprématie du texte spécial. Il revient par conséquent aux victimes d'abus de la liberté d'expression de redoubler de vigilance quant aux règles de procédure pointilleuses mises en place par le texte de 1881 mais aussi, de faire preuve de réactivité pour ne pas tomber sous le « couperet » de la courte prescription trimestrielle.

Nous avons aussi pu constater que les difficultés qu'implique la conciliation du droit commun avec la liberté d'expression s'expliquent principalement par la dimension trop accueillante de la responsabilité pour faute. Cette dernière, au contact de la liberté d'expression, peut en effet se transformer en menace pour la liberté de la presse.

Pourtant, certains juges et auteurs, bien conscients des risques d'une application pleine et entière de la responsabilité pour faute au principe de la liberté d'expression proposent de la limiter, en l'admettant dans les seuls cas les plus graves, ce que refuse la Cour de cassation. Cela nous semble regrettable. Il apparaît en effet absolument nécessaire et logique de devoir restreindre l'application de l'article 1382 du Code civil dans les domaines où les nuisances se trouvent être consubstantielles à l'épanouissement d'une liberté.

Nous allons voir dans notre seconde partie que même si les perspectives d'un recours à la responsabilité pour faute ressortent amoindries de leur confrontation à la loi sur la liberté de la presse, celles-ci ne sont pour autant pas totalement exclues.

Il convient donc désormais de s'intéresser à l'usage effectif qui est fait par le juge de la responsabilité civile de droit commun dans ce domaine sensible que constitue celui de la presse.

65

Partie II : La place effective du droit commun de la responsabilité civile en matière de presse

102. C'est avec difficulté que la responsabilité pour faute peine à exister dans le domaine de la liberté d'expression. Nous avons vu dans la première partie de notre développement combien la jurisprudence a d'ailleurs été hésitante sur la problématique tenant à son cantonnement vis à vis du texte spécial de 1881. Aussi, y ont été explorés les aspects théoriques de l'opportunité de la voir s'appliquer pour règlementer l'activité journalistique. Une chose est sûre, la clausula generalis paraît définitivement être circonscrite aux faits insusceptibles d'être qualifiés pénalement au sens de la loi de 1881.

Mais il convient désormais de s'intéresser, outre la loi du 29 juillet 1881, aux autres textes spéciaux apportant largement leur contribution dans leur rôle de repoussoir du droit commun de la responsabilité civile en matière d'abus de la liberté d'expression. Ceux-ci - par un phénomène d'absorption - participent à ce mouvement de dilution du domaine de compétence de la responsabilité pour faute, pour semble t-il le réduire à une « peau de chagrin »229.

Nous observerons dans cette seconde partie que la responsabilité civile de droit commun semble affaiblie face à l'emprise des textes spéciaux pour ne se voir conférer en pratique qu'un domaine résiduel d'application. Il conviendra dès lors de s'interroger sur les raisons de ce phénomène ainsi que sur leur bien fondé (Titre 1). Nous nous attarderons ensuite sur l'interprétation extensive des frontières que la jurisprudence et la loi confèrent à cette liberté d'expression aux multiples facettes et ne semblant qu'accroître ce sentiment d'impuissance que connaît la responsabilité civile en matière de presse. En effet, le foisonnement de faits justificatifs spéciaux en ce domaine témoigne de toute la vigueur de la liberté d'expression face à une responsabilité civile diminuée (Titre 2).

229 V. F. Chabas, « L'article 1382 du Code civil : peau de vair ou peau de chagrin ? », Mél. J. Dupichot, Liber amicorum, 2004.

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Titre 1 : Un domaine résiduel face à l'hégémonie de la loi du 29 juillet 1881 et les autres dispositions spéciales

103. Au début du XXème siècle, Henri Mazeaud diagnostiquait une tendance « dangereuse » et chronique d'absorption des régimes spéciaux par le principe général de responsabilité pour faute230. Il semble que la jurisprudence, las d'un tel constat en matière de presse, ait voulu couper court à ce phénomène pour mettre fin aux tentatives de contournement des équilibres instaurés par le texte de 1881. Mais le tracé des frontières entre son domaine propre et celui du régime spécial s'est opéré avec difficultés et continue d'être incertain aujourd'hui.

La pratique nous enseigne que les abus pénétrant le domaine de compétence de l'article 1382 du Code civil sont peu nombreux face à l'empirisme de la loi de 1881 (Chapitre 1). D'ailleurs, l'apparition de textes spéciaux durant la seconde moitié du XXème siècle en matière de responsabilité civile, ne semble qu'amoindrir les perspectives de recours à la responsabilité pour faute des victimes d'abus de la liberté d'expression (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Les abus de la liberté d'expression entrant dans le champ de l'article 1382 du Code civil

104. Nous l'avons vu, une jurisprudence constante s'accorde à dire que « les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil »231. L'ensemble des abus de la liberté d'expression prévus par le texte de 1881 ayant essentiellement vocation à prévenir et sanctionner des atteintes envers les personnes, on peut déduire de cette formule que l'article 1382 du Code civil conserve toute sa verdeur pour ce qui est des atteintes envers les produits et services.

230 H. Mazeaud, « L'absorption des règles juridiques par le principe de responsabilité civile », D.H, 1935, chron. p.6.

231 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull. civ.n°8 ; Comm. com. électr. 2000, n°108, obs. A. Lepage ; LPA, 14 août 2000, note E. Derieux ; Gaz. Pal. 2001, somm. p. 979, note P. Guerder ; JCP G 2000. I. 280, n°2, obs. G. Viney ; RTDciv. 2000, p. 845, obs. P. Jourdain ; D. 2000, somm. p. 463, obs. P. Jourdain.

105.

67

Il nous faudra donc distinguer - pour déterminer en substance quels sont les abus entrant dans le champ de la responsabilité civile de droit commun - selon que l'intérêt lésé est de nature patrimonial (Section 1), ou extrapatrimonial (Section 2).

Section 1 : Les abus mettant en cause un intérêt patrimonial

106. L'intérêt patrimonial caractérise le fait de ce qui est appréciable en argent, de ce qui renvoie au patrimoine de l'individu et est donc susceptible d'être transmis232. L'intérêt lésé est donc de nature économique et cela, par opposition aux intérêts moraux - dits aussi extrapatrimoniaux - dont la loi sur la liberté de la presse, nous le verrons, s'arroge en grande partie la défense.

107. Bien entendu, la lésion de l'intérêt patrimonial ne justifie pas à elle seule le droit à réparation de la victime. Celle-ci devra nécessairement prouver le caractère fautif des propos tenus par le prétendu responsable (Paragraphe 1). Et, si les conditions de mise en oeuvre de l'article 1382 du Code civil sont réunies, encore faut-il que l'abus en question ne pénètre pas, dans sa matérialité, le domaine d'application de l'une des infractions de la loi du 29 juillet 1881. Nous verrons que cela n'est pas sans difficultés d'appréciation, tant la critique d'un produit peut aisément verser dans celle de son producteur pour finalement se fondre en une diffamation (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pour faute

108. Avant de s'attarder sur le détail des fautes susceptibles d'engager la responsabilité civile des organes de presse (B), il convient d'évoquer plus généralement les deux principales hypothèses dans lesquelles la responsabilité pour faute pourra potentiellement jouer (A).

A. Deux principaux cas de figure

109. La responsabilité pour faute de l'organe de presse est susceptible de se présenter en pratique dans deux cas de figures. Il faut en effet distinguer selon que la victime de l'abus

232 R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques 2010, Dalloz, 17e éd., 2010, p. 524.

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de la liberté d'expression se trouve ou non avoir la qualité de concurrent - au sens économique du terme - vis à vis de l'auteur des propos233.

Dans le cas où le lésé est en situation concurrentielle avec l'auteur des faits litigieux, ce sera toujours l'article 1382 qui aura vocation à s'appliquer234. En effet, en situation de concurrence déloyale, le dénigrement envers un concurrent, intentionnel ou non, tombera toujours sous le joug de la responsabilité pour faute et ce, que l'atteinte soit portée à la personne du concurrent comme aux produits qu'il fabrique. On observe donc que la qualité de concurrent prime sur l'intérêt lésé - et donc l'article 1382 sur la loi de 1881 ! - en ce sens que même si les propos sont constitutifs d'une diffamation au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, le seul fait que celui dont l'honneur est lésé revêt la qualité de concurrent, fait primer l'application de l'article 1382 du Code civil dans sa fonction de prévention des actes de concurrence déloyale235.

En revanche, dans le cas où la victime n'est pas un concurrent de l'auteur des propos, deux hypothèses se présentent. Soit l'intérêt lésé est de nature extrapatrimonial, auquel cas nous verrons que la propension à l'exclusivisme du texte spécial de 1881 ne laisse que très peu de place à la fonction complétive de l'article 1382 du Code civil236. Soit l'intérêt lésé est de nature patrimonial et alors, dans ce cas seulement, l'article 1382 se verra conférer une exclusivité d'application.

Il convient dès lors de s'interroger, dans cette dernière hypothèse, sur le fait de savoir quels seront les abus de la liberté d'expression susceptibles de porter atteinte à des intérêts économiques et donc passibles d'une condamnation au titre de l'article 1382.

B. Typologie des fautes retenues par la jurisprudence

110. Incontestablement, la faute la plus rencontrée en ce domaine que constitue celui des atteintes mettant en cause des intérêts patrimoniaux est celle que l'on qualifie de « dénigrement ».

Selon le dictionnaire Robert, « dénigrer » est l'acte par lequel une personne s'efforce de « faire mépriser quelque chose ou quelqu'un »237. Dans son essence, le dénigrement

233 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 725.

234 Com., 21 mai 1996 : D. 1997, somm. p. 85.

235 En ce sens, V. Civ. 1e, 5 déc. 2006 : Bull. civ.I. n°532.

236 V. Supra section 2.

237 J. Rey-Debove et A. Rey, Le Petit Robert, Le Robert, 2012, p. 677.

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procède donc de la critique. Mais la critique est-elle en elle même constitutive d'une faute ? Il résulte d'une jurisprudence constante, que « les appréciations même excessives touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale, sont libres »238. On en déduit donc que la critique de produit en droit français repose sur un principe de liberté. Aucune faute ne semble donc a priori décelable.

Toutefois - et c'est ce qui nous intéresse ici - motivée par une intention de nuire, la jurisprudence admet que la critique sera considérée comme abusive, caractérisant en cela un dénigrement fautif au sens de l'article 1382 du Code civil. Il semblerait donc que les juges retiennent ici la théorie du Doyen Ripert. En effet, le fait de critiquer - faisant partie intégrante de la liberté d'expression - ne constituera pas en tant que tel un abus de cette liberté sauf, lorsque le titulaire du droit l'exercera dans l'intention de nuire à son sujet. Ce sera par exemple le cas lorsque la critique s'accompagnera de moqueries excessives239, lorsque celle-ci sera répétée240, ou encore, manifestement adressée dans l'intention de discréditer241.

111. Alors bien entendu, le sujet de la critique peut varier. Les propos sanctionnés au titre de l'article 1382 viseront parfois des produits242, des services243, des marques244, ou encore des oeuvres.

Toutefois, eu égard à cette dernière catégorie que constitue celle des oeuvres - qu'il s'agisse d'une oeuvre littéraire, cinématographique, picturale, gastronomique ou autre - force est de constater que le seuil de la faute est rehaussé par les juges. En effet, ceux-ci laissent généralement une plus grande liberté de critique aux journalistes. Le dénigrement sera donc d'autant plus difficile à caractériser245. En témoigne par exemple, cet arrêt rendu par la deuxième chambre civile à propos des colonnes de Buren parsemant la cour du Palais Royal. Dans cette affaire la Cour légitima l'expression d'un journaliste s'écriant « comment s'en débarrasser ?» en faisant valoir qu'il n'y avait pas là de dénigrement

238 Civ. 2e, 24 avr. 2003 : Bull. civ.II. n°112 ; Civ. 2e, 23 janv. 2003 : Bull. civ.II. n°15.

239 CA Paris, 15 oct. 1980 : D. 1981, inf. rap. p. 56.

240 TGI Paris, 20 nov. 1985 : D. 1986, somm. p.448.

241 Civ. 1e, 28 janv. 1982 : D. 1984, somm. p. 165.

242 Qualifier des vins de « picrate à peine buvable » constitue un dénigrement fautif (Civ. 1e, 5 juil. 2006 : Bull. civ.I. n°356). Or, on remarque à la lecture de l'arrêt que la Cour, pour retenir l'abus, se fonde moins sur le critère de l'intention de nuire qui est en réalité présumé - car le dénigrement implique l'intention malveillante - que sur celui du manque d'arguments et justificatifs permettant de publier un tel propos.

243 Civ. 2e, 5 avr. 2002 : Bull. civ.II, n°112.

244 Civ. 1e, 8 avr. 2008, Aréva c/ Greenpeace : Bull. civ.I. n°104.

245 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 2009, p. 731.

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autre que « celui qu'autorise l'exercice du libre droit de critique »246. Aussi, dans le même sens, peut-on relever cet arrêt de la Cour ayant refusé la qualification de dénigrement aux propos abjects propagés par un critique à l'égard d'un spectacle de music-hall. Selon elle, « étant donné les outrances de vocabulaire en usage dans la présentation des spectacles de music-hall », le fait d'avoir traité les paroliers « d'opportunistes » ayant « massacrés les chansons de Bob Dylan » était loin « d'excéder les limites d'une critique mesurée et raisonnable »247.

112. Ensuite, parmi les autres types de fautes à même d'engager la responsabilité civile délictuelle de leur auteur, on retrouve la « fausse information » eu égard aux produits ou services d'une entreprise. Or ici, aucune intention de nuire n'est requise. En effet, indépendamment de la bonne foi de l'auteur des propos, le simple fait de délivrer une information erronée - dès lors qu'il en résulte un préjudice de nature économique pour la victime - suffit à engager la responsabilité civile délictuelle de ce dernier248.

113. Aussi, le fait de divulguer une information au contenu confidentiel a pu permettre aux juges de faire droit à des actions fondées sur la clausula generalis dès lors qu'était avérée la lésion de nature économique en découlant249.

114. Enfin, comme cela fut le cas dans la jurisprudence Branly de 1951250 - où était en cause une atteinte à un intérêt extrapatrimonial - on peut légitimement penser que l'abstention fautive, dès lors que celle-ci génèrera un dommage de nature patrimonial, sera toujours susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur, et à plus forte raison, si son comportement procède d'une intention malveillante. C'est en tout cas ce qui a été jugé dans une affaire récente251.

115. On observe donc que divers types de fautes - parfois intentionnelles, parfois légères, de commission ou encore d'abstention - sont retenues au titre de la responsabilité civile délictuelle en vue de sanctionner l'auteur de propos abusifs ayant porté atteinte à des intérêts de nature économique. Or, comme le veut la maxime « specialia generalibus derogant », quand bien même seraient réunis les trois éléments conditionnant la mise en

246 Civ. 2e, 30 nov. 1988 : Bull. civ.II. n°237.

247 Civ. 2e, 3 avr. 1979 : Bull. civ.II, n°113.

248 V. en ce sens : CA Dijon, 28 mai 1986 : Gaz. Pal. 1987. I, somm. p. 35 ; Civ. 2e, 13 mai 1998 : Bull. civ.II. n° 151.

249 Ainsi, d'une divulgation publique d'une note de service d'un établissement bancaire (Civ. 1e, 3 nov. 2004 : Bull. civ.I. n°238).

250 Civ. 27 fév. 1951 : Bull. civ. n°77.

251 V. Civ. 1e, 13 mars 2008 : Bull. civ.I. n°73.

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oeuvre de la responsabilité civile de droit commun252, encore faut-il que les faits poursuivis soient distincts d'une infraction pénale de presse au sens de la loi du 29 juillet 1881.

Sur ce point, il semblerait qu'une frontière quelque peu précaire existant entre le délit civil que constitue le dénigrement envers les produits et pénal que constitue la diffamation envers les particuliers, puisse s'avérer être une source de conflit de compétence entre le texte spécial de 1881 et le droit commun qu'incarne l'article 1382 du Code civil.

Paragraphe 2 : Dénigrement et diffamation : une frontière précaire

116. La frontière séparant le délit pénal de diffamation envers les particuliers - réprimé par l'article 29 de la loi sur la liberté de la presse - du délit civil de dénigrement envers les produits et services - sanctionné par l'article 1382 du Code civil - semble particulièrement poreuse. Par un phénomène de « transcendance », il est aisément envisageable que la critique abusive d'un produit puisse traverser ce dernier pour finalement attenter à l'honneur ou à la considération de son producteur.

117. Pourtant, en vue de limiter tout conflit de compétence entre droit spécial et droit commun, une jurisprudence constante admet que « les appréciations, même excessives touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale, n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physique ou morale »253. La formule - claire et logique - implique donc qu'aussi excessive ou mensongère soit la critique, dès lors qu'aucune personne morale ou physique n'est mise en cause, l'article 29 de la loi de 1881 ne peut avoir vocation à s'appliquer, la condition tenant à ce que soit mise en cause une personne déterminée faisant défaut254.

252 À savoir donc, la faute, le préjudice et le lien de causalité.

253 Civ. 2e, 16 juin 2005 : Bull. civ.II. n°156 ; Civ. 2e, 7 oct. 2004 : Bull. civ.II. n°445 ; Civ. 2e, 8 avr. 2004 : Bull. civ.II. n°182 ; Civ. 2e, 24 avr. 2003 : Bull. civ.II. n°112 ; Civ. 2e, 23 janv. 2003 : Bull. civ.II. n°15.

254 En effet, pour que le délit de diffamation de l'article 29 de la loi sur la liberté de la presse puisse être réprimé, trois conditions cumulatives sont exigées : une imputation ou allégation d'un fait précis ; une mise en cause d'une personne physique ou morale déterminée ; une atteinte à l'honneur ou à la considération de cette personne (V. M-L. Rassat, Droit pénal spécial, Précis Dalloz, 6e éd., 2011, p. 579 et s.). Ainsi, pour constituer une diffamation, la critique d'un produit, même excessive doit - quand bien même attenterait-elle à l'honneur ou à la considération du producteur - mettre en cause ce dernier.

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118. Or, difficile d'admettre dans certains cas qu'une critique, bien que ne mettant pas en cause explicitement le producteur ou le prestataire de service, n'ait eu pour dessein d'attenter à l'honneur de ce dernier.

En effet, notons cet arrêt controversé rendu par la première chambre civile le 27 septembre 2005255 dans lequel il fut jugé que l'émission de télévision « Combien ça coûte » portant sur les « arnaques des régimes alimentaires » avait, par l'illustration répétée d'une photographie publicitaire d'un produit, le Cegisil, rendu identifiable son fabriquant, le laboratoire Cegipharma, de sorte que les allégations réalisées par le reportage étaient constitutives du délit de diffamation de l'article 29 de la loi spéciale. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a donc reproché à l'émission que la critique faite à l'égard des produits vendus sur le marché, et notamment le Cegisil, ait « par voie d'insinuation »256, visé son fabricant, le laboratoire Cegifarma. Ainsi, la Haute juridiction a pu estimer - les imputations étant selon elle suffisamment précises, la personne mise en cause identifiable et le préjudice d'atteinte à l'honneur avéré - que les conditions de mise en oeuvre de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 relatives à la diffamation envers les particuliers étaient réunies, le texte spécial devant ainsi primer sur le texte général que constitue l'article 1382 du Code civil.

Il incombe de mesurer l'impact d'une telle décision pour la victime. En effet, la qualification de « diffamation » au détriment de celle de « dénigrement » a pour conséquence majeure de faire primer l'application du régime procédural très particulier de la loi sur la presse avec les conséquences néfastes que l'on connaît pour l'aboutissement de l'action civile en réparation menée par les victimes257. En outre, il ressort de cet arrêt que la Cour semble davantage vouloir asseoir l'exclusivisme du texte de 1881 que respecter le principe d'interprétation stricte de la loi pénale qu'impose l'article 111-4 du Code Pénal258. Cela est tout a fait regrettable. Lorsque l'on connaît les difficultés que peuvent poser les dispositions procédurales de la loi sur la presse aux victimes - à la grande joie des responsables ! - ne devrait-on pas tout simplement considérer que l'évocation explicite d'un produit prime sur celle implicite de son producteur, de sorte que l'article 1382 du Code civil doit trouver à s'appliquer ? Cela aurait en tout cas le mérite de couper court à toute forme d'ambigüité.

255 Civ. 1e, 27 sept. 2005 : Bull. civ.I. n°346.

256 Civ. 1e, 27 sept. 2005 préc.

257 Prescription trimestrielle, formalisme de la citation et offre de preuve contraire du diffamateur notamment.

258 C. Rojinsky et L. Boubekeur, « Critiquer un produit peut relever de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse », Légipresse n°229-III, Mars 2006, p. 42 ; V. art. 111-4 du Code pénal.

119.

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Néanmoins, il convient de le noter, quand bien même le tracé de la frontière séparant le dénigrement de la diffamation peut donner lieu à interprétation, cette jurisprudence du 27 septembre 2005 ne semble finalement constituer qu'un avatar jurisprudentiel. En effet, il apparaît classiquement qu'aussitôt qu'un produit où service est visé par des propos litigieux, la qualification opérée par les juges va au dénigrement. En témoignent, un certain nombre de décisions, à l'instar notamment de celle rendue par la deuxième chambre civile en date du 16 juin 2005 dans l'affaire illustre dite du Beaujolais. Dans cette affaire, étaient en cause des propos dont le caractère diffamatoire aurait très certainement à nouveau été retenu par la première chambre civile si elle avait eu à statuer sur ce cas le jour de sa décision du 27 septembre 2005259. Pourtant, la deuxième chambre civile, alors compétente pour statuer, considéra qu'en l'espèce « seul le vin produit était mis en cause » et ce, malgré de multiples allégations paraissant paradoxalement - à notre sens - nettement remettre en cause les compétences des viticulteurs.

120. Cette décision, ainsi que d'autres rendues dans le même sens260, semble en réalité vouloir redorer le blason de l'article 1382 du Code civil pour consolider l'idée selon laquelle tout propos abusif mettant en cause un produit ou un service doit être qualifié de dénigrement, dès lors qu'aucune personne physique ou morale n'est explicitement mise en cause. L'impérialisme du texte spécial, pour ce qui est des atteintes mettant en cause un intérêt patrimonial, semble ainsi retrouver ses limites. Mais qu'en est-il lorsque l'atteinte suscite la mise en cause d'un intérêt de nature extrapatrimonial ? C'est ce qu'il convient désormais d'examiner.

Section 2 : Les abus mettant en cause un intérêt extrapatrimonial

121. Les intérêts extrapatrimoniaux renvoient aux attributs inhérents à la personne en tant que sujet de droit. Parmi ces attributs, incessibles, intransmissibles, figurent notamment le droit à l'honneur, à la dignité, ou encore, le droit au respect de la vie privée261 souvent nommés « droits de la personnalité ». Leur atteinte ne génère pas un préjudice d'ordre

259 En effet, parmi les propos poursuivis, figuraient notamment : « les viticulteurs négligent la qualité de leur vin en augmentant leur productivité » ; « font pisser la vigne pour produire un maximum de vin » ; ou encore « vendent des produits de mauvaise qualité ».

260 V. notamment : Civ. 2e, 8 avr. 2004 : Bull. civ.II. n°182 ; Civ. 1e, 5 juil. 2006 : Bull. civ.I. n°356.

261 R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19e éd., 2012, p. 391.

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économique, mais d'ordre moral262. Ce sont donc les intérêts moraux de la personne qui sont ici en cause.

122. La protection des intérêts moraux de la personne est principalement assurée par la loi du 29 juillet 1881 qui conserve un véritable monopole de compétence en la matière. Les infractions de diffamation et injure, dont la répression permet de sanctionner des atteintes à l'honneur ou à la considération de la victime, nourrissent à ce titre la grande majorité du contentieux de la presse. « De tous les biens, le plus précieux à soigner est, sans contredit, celui d'une bonne réputation »263 disait Dareau. Mais quelle est la place occupée par l'article 1382 du Code civil en ce domaine ?

123. Si la jurisprudence du 27 septembre 2005264 semblait vouloir mettre un terme définitif à la fonction complétive de l'article 1382 pour consacrer au texte de 1881 le monopole de l'arbitrage des intérêts moraux des victimes, cette ambition fut rapidement détractée par ses commentateurs. Et cela, tant sur le plan théorique que pratique (Paragraphe 1). Depuis cet arrêt, la faute regagne donc sa place et continue, au gré des espèces qui lui sont confiées, de « définir la protection minimale mise à la disposition de toutes les victimes qui ne disposent pas d'un instrument plus efficace » 265 (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : les enseignements de la jurisprudence du 27 septembre 2005

124. Après s'être penché dans la première partie266 sur la question de la légitimité théorique de cette jurisprudence de 2005 au regard des grands principes gouvernant notre droit, et fondamentalement ceux encadrant la responsabilité civile extracontractuelle267, il convient de s'intéresser maintenant à la portée pratique de cette jurisprudence. En effet, en théorie nous l'avons vu, les arguments penchent de façon nettement favorable pour une application complétive de l'article 1382 du Code civil vis à vis du texte spécial. Or, la pratique nous permet-elle de tirer des conclusions semblables ? La vocation subsidiaire de

262 Il convient toutefois de préciser que la lésion d'un intérêt moral n'exclu pas pour autant celle concomitante d'un intérêt économique. Il ne faut donc pas cloisonner ces intérêts en ce sens que les frontières les séparant sont souvent bien maigres. Nul doute que la révélation au grand public d'une information à caractère diffamatoire et au contenu dégradant relative à un entrepreneur puisse être largement nuisible pour l'image de son entreprise et donc pour la prospérité économique de cette dernière.

263 F. Dareau, Traité des injures dans l'ordre judiciaire, 1777, Discours préliminaire, p. vij.

264 Attention, nous parlons ici de la jurisprudence du 27 septembre 2005 étudiée dans la Partie I (Supra n°80) et non de celle rendue en matière de diffamation et dénigrement étudiée dans la Partie II (Supra n°118).

265 G. Viney, « Pour ou contre un principe général de responsabilité pour faute?», Mél. P. Catala, Litec 2001, p. 557.

266 V. Supra n°81 et s.

267 V. sur ce point : P. Jourdain, Les principes de la responsabilité civile, Dalloz, 7e éd., 2007.

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la responsabilité pour faute ne constitue t-elle pas une menace au contact de la liberté d'expression ?

125. Rappelons-le, mardi 27 septembre 2005, la première chambre civile de la Cour de cassation déclara que « les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil »268 : la formule retentit alors comme un coup de tonnerre. Aucun abus de la liberté d'expression dont la portée attente à la personne - à ses intérêts extrapatrimoniaux - ne peut désormais fonder une action au regard de la responsabilité civile de droit commun. Il importe donc peu que l'intérêt lésé soit ou non pris en considération par la loi sur la liberté de la presse, aucune allusion n'étant faite à celle-ci par la première chambre.

126. Sauf à considérer que la loi du 29 juillet 1881 se suffit à elle-même pour assurer l'équilibre entre la liberté d'expression d'une part et le droit des personnes de l'autre269, il semblerait qu'il puisse y avoir des abus de la liberté d'expression dont les conséquences dommageables ne justifieront aucune réparation. Pourtant, si une approche théorique permettait déjà aisément de s'incommoder d'un tel constat270, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que la pratique paraît corroborer ce sentiment d'indignation. En effet, comment avec une telle jurisprudence, les victimes de propos ne se confondant ni avec la diffamation ni avec l'injure publique, mais dont le caractère dénigreur est incontestable, trouveront réparation271 ? Comment espérer que soient sanctionnés les propos heurtant de façon délibérée les convictions religieuses, tout en sachant que les articles de la loi sur la presse censés les protéger 272 , sont inaptes à remplir cette tâche de manière satisfaisante273? Comment aussi sanctionner le directeur de publication n'assurant pas son rôle de contrôle et de surveillance des annonces qu'il diffuse274 ? Comment rappeler à

268 Civ. 1e, 27 sept. 2005 préc.

269 Conformément au Doyen Carbonnier : V. J. Carbonnier, « Le silence et la gloire », D. 1951, chron. p. 119.

270 V. Supra n°96 et s.

271 Pour des exemples de dénigrement de la personne retenus en jurisprudence : Civ. 2e, 15 avr. 1999 : Comm. com. électr. 1999, comm. 14 ; Civ. 2e, 5 juillet 2001 : LPA 24 sept. 2001, p.7 ; Civ. 2e, 13 fév. 1991 : Bull. civ.II. n°51.

272 La protection des convictions religieuses est assurée par les délits de provocation à la haine religieuse (Art. 24 al. 6) et d'injure et diffamation à caractère discriminatoire (art. 32 et 33) de la loi du 29 juillet 1881.

273 V. en ce sens : Ph. Malaurie, Les personnes, Les incapacités, Défrénois, 3e éd., 2007, n°328 ; E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité civile en matière de presse », D. 2006, p. 1140 ; G. Lécuyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 720.

274 V. Civ. 2e, 10 juin 2004 : RTDciv. 2004, p. 728, appliquant l'article 1382 contre un directeur de publication publiant des petites annonces mensongères.

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l'ordre le journaliste méconnaissant son obligation de vérification de l'exactitude des informations qu'il diffuse275 ou manipulant l'histoire pour accréditer ses thèses276?

127. Alors bien évidemment, ces espèces sont relativement rares et ne recouvrent qu'une proportion infime du contentieux de la presse. Mais ne suffisent-elles pas à discréditer les tenants de la thèse du « système juridique clos » partisans d'une éradication complète de la responsabilité civile de droit commun dans le domaine de la liberté d'expression ? On peut se le demander. Bien entendu, face au phénomène d'objectivation que connaît la responsabilité civile se traduisant en partie par la multiplication des régimes spéciaux277, la subsidiarité semble être devenue l'essence même de l'article 1382 du Code civil278. Mais ce constat est, et doit demeurer, un signe de perfection de notre droit. Cela permet en effet d'éviter l'inconfortable situation à laquelle certaines victimes sont parfois injustement confrontées : le vide juridique279.

Heureusement, un certain nombre d'arrêts rendus postérieurement à cette décision attestent du prosélytisme inépuisable dont fait preuve la responsabilité civile de droit commun. Comme le souligne le professeur Philippe Brun, « deux siècles plus tard, le totem est encore debout »280. Le paysage jurisprudentiel en atteste, et semble finalement avoir transformé l'arrêt du 27 septembre 2005 en une brèche sans conséquences.

Paragraphe 2 : La résurrection de la responsabilité pour faute

128. « Chassez la faute, elle revient au galop » disait Philippe le Tourneau281. L'auteur avait vu juste. C'est du moins ce que nous montrent les évolutions récentes de la jurisprudence semblant vouloir ranimer la subsidiarité de la responsabilité civile de droit commun (A). Plus surprenant en revanche, c'est un retour à sa fonction substitutive que certains juges paraissent tenter de lui assigner (B).

275 V. T. civ. Seine, 19 juin. 1963 : JCP 1963-II, n°13379, appliquant l'article 1382 du Code civil contre un journaliste pour inexactitude des informations fournies.

276 V. T. civ. Seine, 3 janv. 1934 : Gaz. Pal. 1934, 1, p.541.

277 V. sur ce point : G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, p. 35 et s.

278 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, Lexisnexis, 3e éd. 2011, p. 18.

279 V. A-M. Ho Dinh, « Le « vide juridique » et le « besoin de loi ». Pour un recours à l'hypothèse du non-droit », PUF, l'année sociologique, 2007/2 vol. 57, p. 419 et s.

280 Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2e éd., 2009, p. 173, n°337.

281 Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la responsabilité civile », RTDciv. 1988, p. 512.

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A. Le phénomène de « démagnétisation » de la loi de 1881

129. Nombreuses sont les espèces, qui postérieurement au 27 septembre 2005, ont témoigné d'une volonté de « revitaliser » la fonction complétive du droit commun telle que l'avait envisagé l'assemblée plénière le 12 juillet 2000. L'un des premiers arrêts ayant marqué cette tendance fut celui rendu le 30 octobre 2008 par la première chambre civile de la Cour de cassation282.

Dans cette affaire, une association avait attribué la paternité d'un article de presse au contenu déplaisant à une personne qui n'en était pas l'auteur. L'intéressé agit en responsabilité civile estimant qu'une faute avait été commise au sens de l'article 1382 du Code civil. Les juges du fond décidèrent alors de le débouter en sa demande d'indemnisation estimant que l'écrit ayant un caractère diffamatoire au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, l'assignation aurait dû respecter le formalisme imposé par l'article 53 de cette même loi de sorte que celle-ci est nulle pour vice de forme. L'arrêt est cassé pour fausse application des articles 29 et 53 du texte spécial, et pour refus d'application de l'article 1382 du Code civil.

À n'en pas douter, l'objectif fut ici de restaurer la fonction complétive de la clausula generalis en présence de faits distincts d'une infraction de presse, quand bien même l'intérêt lésé était de nature extrapatrimonial. Aussi, la Haute juridiction a semblé vouloir porter un coup à l'interprétation extensive faite par la jurisprudence des infractions de diffamation et d'injure pour là encore, mieux laisser la faute civile s'exprimer en marge du texte spécial283. Cela est d'ailleurs tout à fait louable, au regard des grands principes gouvernant notre droit positif et notamment, celui d'interprétation stricte de la loi pénale284.

130. Par la suite, d'autres arrêts poursuivirent ce pas. Pour ne citer que quelques décisions, on notera cet arrêt de la Cour d'appel d'Orléans rendu le 22 mars 2010285 dans lequel les juges du fond ont décelé une faute civile distincte d'une diffamation pour un bloggeur ayant par l'allégation de propos désobligeants, discrédité un maire auprès de ses électeurs, sans pour autant lui imputer de faits suffisamment précis. On relèvera aussi cet

282 Civ. 1e, 30 oct. 2008 : Bull. civ.I. n244.

283 P. Jourdain, « Le discret retour de l'article 1382 en matière de presse », RTDciv. 2009, p. 332.

284 V. Sur ce point : F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, n220 et s. ; Aussi, pour une interprétation de ce principe : V. CEDH, Achour c/ France, 29 mars 2006, n°67335/01 pour qui un tel principe « commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, par exemple, par analogie ».

285 CA Orléans, 22 mars 2010, CCE 2010, n91, obs. A. Lepage.

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arrêt de la deuxième chambre civile du 20 mai 2010286, ayant admis que la campagne de discrédit menée par une association à l'encontre d'un établissement bancaire était constitutive d'un dénigrement fautif au sens de l'article 1382 du Code civil. Dans le même sens, ce jugement du Tribunal de grande instance de Paris rendu en 2010287, ayant admis qu'un Ordre puisse agir sur le fondement de la responsabilité pour faute pour sanctionner des propos offensants envers la profession qu'il représente, caractérisant un cas de dénigrement civil distinct de la diffamation. Enfin, dernière décision révélatrice de cette volonté de réfréner l'emprise du texte spécial, cet arrêt de la chambre criminelle du 19 janvier 2010288, se refusant à admettre que le dénigrement d'un produit puisse rejaillir sur son producteur pour se fondre en diffamation.

Philippe Le Tourneau l'avait donc justement prédit. Le « chasseur » du 27 septembre 2005 n'avait qu'à bien se tenir. C'est bien au « galop » que la faute comptait assurer son retour dans le domaine de la presse pour raviver son rôle complétif. Et bien plus encore.

B. Le singulier retour de la fonction substitutive de l'article 1382

131. Étonnamment, on remarque que certaines décisions semblent vouloir aller encore plus loin dans la perspective de résurrection de la responsabilité civile de droit commun. En effet, comme si la fonction complétive de l'article 1382 du Code civil ne suffisait pas, c'est une fonction substitutive que certains juges semblent vouloir lui conférer. Comme d'antan, la victime aurait la possibilité de se prévaloir de l'article 1382 du Code civil, quand bien même l'on serait en présence de faits correspondant à l'élément matériel d'une infraction de presse.

132. Pour exemples, deux jurisprudences récentes289 ont été mises en avant par le spécialiste du droit de la presse Emmanuel Dreyer, attestant du fait que le recours au droit commun pour sanctionner des propos litigieux avait été opéré au détriment de l'application de l'article 29 de la loi spéciale de 1881. Pourtant, selon ce dernier, les propos étaient constitutifs du délit pénal de diffamation, et non du délit civil de dénigrement290.

286 Civ. 2e, 20 mai 2010 n°09-14.111, inédit.

287 TGI Paris, 19 mai 2010 : Légipresse 2010. 290, note F. Masure.

288 Crim. 19 janv. 2010 : CCE 2010, n°39, obs. A. Lepage.

289 Com., 18 oct. 2011, n°10-24.808, non publié au bulletin et Civ. 1e, 22 sept. 2011, n°05-10.156, inédit.

290 E. Dreyer, « Panorama droit de la presse et droit de la personnalité », Recueil Dalloz, 22 mars 2012, n°15.

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Sans se pencher sur la véracité de son analyse, il convient toutefois de relativiser ces jurisprudences qui nous semblent avant tout être révélatrices des difficultés que peuvent susciter les espèces en terme de qualification. En effet, nous ne pensons pas que par ces arrêts, la Cour ait eu pour dessein de revenir au temps où l'article 1382 du Code civil pouvait servir de fondement alternatif au texte spécial sans provoquer quelconque émulation.

D'ailleurs, n'en déplaise au professeur Dreyer, nous estimons qu'il serait parfaitement malvenu de revenir à une telle pratique291. Non seulement d'un point de vue juridique, car cela reviendrait à coup sûr à priver le texte de 1881 de toute sa substance et constituerait une violation totale de la maxime specialia generalibus derogant, mais aussi, d'un point de vue pratique. En effet, les incriminations spéciales ont pour avantage non négligeable d'assurer une certaine prévisibilité au journaliste pour évaluer si tel ou tel propos est ou non abusif au sens de la loi. De plus, la généralité de la lettre de l'article 1382 risquerait très probablement de conduire le juge à devoir s'en référer à un stéréotype du « bon professionnel prudent et diligent » agissant en « bon père de famille ». S'agit-il franchement des qualités requises pour être un bon journaliste ? On peut en douter. Nous ne voulons pas d'une presse consensuelle se fondant dans la complaisance en vue de satisfaire aux critères changeants façonnés par les juges.

133. Alors bien entendu, comme le proposent de nombreux auteurs292et comme l'eurent tenté certains juges293, on pourrait ne retenir comme fautifs que les propos révélateurs d'une faute qualifiée. Mais n'y a t'il pas là encore un fort risque d'arbitraire ? C'est la raison pour laquelle, la précision des délits de presse tels qu'envisagés par le législateur de 1881 semble en tout état de cause, incarner un vrai gage de sécurité pour les organes de presse mais aussi, pour la sauvegarde de la liberté d'expression.

Il résulte de ce chapitre que le domaine de compétence de l'article 1382 du Code civil, bien que résiduel, demeure, et ce malgré le pouvoir d'attraction exercé par la loi de

291 Pour son plaidoyer en faveur d'une restauration de la responsabilité civile de droit commun en matière de presse :V. E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, n°25, p. 22.

292 V. par exemple en ce sens : G. Viney, note sous Civ. 2e, 24 janv. 1996, JCP G, 1996. I. 3985 ; N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 74 ; E. Dreyer, op. cit. p. 23.

293 V Supra n°92 et s.

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1881. Selon la nature de l'intérêt lésé, la marge d'expression de la responsabilité pour faute varie, au grès des espèces, sans certitudes, sans véritables repères.

Mais une chose est sûre : son domaine d'intervention ne peut pas - en principe - empiéter sur celui de la loi sur la liberté de la presse. La même observation peut d'ailleurs être faite pour ce qui est des atteintes à certains droits subjectifs apparus plus récemment et spécialement protégés par la loi. Il s'agit en effet de ces « nouveaux droits de la personnalité » que constituent essentiellement, le droit au respect de la vie privée, de la présomption d'innocence et de l'image et qui contribuent largement à ce phénomène de rejet de l'article 1382 du domaine de la presse.

Chapitre 2 : La protection civile autonome des « nouveaux droits de la personnalité » 294

134. Depuis peu, le droit à l'information295 prend de plus en plus d'importance dans nos systèmes juridiques. Descendant de droits fondamentaux tels que la liberté d'expression ou son corollaire, la liberté de la presse, un tel droit ne peut prospérer sans connaître quelques limites296. Parmi celles-ci, figurent celles que constituent les nouveaux droits de la personnalité297 occupant une place prépondérante dans le contentieux de la presse.

135. La diversification des supports de presse, l'avènement de l'image comme outil d'information, l'évolution des moeurs, ont permis à certains journaux d'utiliser la liberté d'expression comme moyen de repousser les limites de l'indiscrétion. Les détails croustillants rythmant la vie des stars, le triste sort que risque de connaître l'accusé non encore jugé ou le passé parfois sulfureux de nos dirigeants politiques sont autant de sujets

294 « Nouveaux », par opposition à ce que nous pourrions nommer les « anciens droits de la personnalité ». Nous avons en effet pu observer qu'un certain nombre d'anciens droits de la personnalité - le droit à l'honneur, à la considération, au respect des croyance, à la dignité - étaient déjà pris en compte par la loi sur la liberté de la presse de 1881. Or, depuis, de nouveaux droits entrant dans cette catégorie sont apparus. Récemment consacrés dans notre Code civil, ils nourrissent aujourd'hui une part très importante du contentieux de la presse. Il s'agit en effet principalement du droit au respect de la vie privée, de la présomption d'innocence, de l'image, de la voix et du nom.

295 Le droit à l'information est considéré comme le prolongement de la liberté d'expression. Il s'agit d'une notion polysémique. On s'accorde à dire que le droit à l'information implique deux prérogatives juridiques indissociables : le droit d'informer et le droit d'être informé dont disposent respectivement les organes de presse et le public.

296 Ch. Debbasch, Droit des médias, Dalloz, 2e éd., 2002, p. 979.

297 Les droits de la personnalité illustrent un ensemble de prérogatives innées dont la fonction est de protéger l'intégrité physique ou morale dans les rapports entre particuliers : V. Ph. Malaurie et L. Aynès, Les personnes, la protection des mineurs et des majeurs, Défrénois, 4e éd., 2009, n°280 et s.

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auxquels nous nous sommes accoutumés en vue de satisfaire nos curiosités plus ou moins malsaines.

136. Le droit devait donc s'adapter à cette nouvelle demande. Il appartenait au législateur d'assurer d'une part, le droit à l'information, et d'autre part, les « droits au respect » que constituent les droits de la personnalité. Parmi ceux-ci, il apparaît clairement que les droits au respect de la vie privée et à la présomption d'innocence remplissent un rôle essentiel dans la protection des personnes faisant l'objet d'articles de presse (Section 1). Pourtant, au-delà de ces deux droits fondamentaux multi-consacrés, d'autres attributs de la personne humaine, aux bases légales indéfinies, font l'objet d'une protection jurisprudentielle essentielle (Section 2). Aussi, les modalités tenant à la réparation de ces divers droits devront, de part leurs spécificités, faire l'objet de quelques éclaircissements (Section 3).

Section 1 : Presse, droit au respect de la vie privée et présomption d'innocence

137. En vue d'assurer la protection civile de droits inhérents à la personne, un « droit spécial de la responsabilité civile »298 est apparu au cours du XXème siècle299. Le législateur a en effet mis en place les dispositions spécifiques que constituent les articles 9 et 9-1 du Code civil protégeant respectivement la vie privée et la présomption d'innocence dont dispose tout titulaire de la personnalité juridique. Après s'être penché sur leur régime juridique (Paragraphe 1), il sera intéressant d'examiner quelles sont les relations entretenues par ces dispositions avec celles que constituent l'article 1382 du Code civil et la loi sur la liberté de la presse (Section 2).

Paragraphe 1 : Une protection assurée par les articles 9 et 9-1 du Code civil

138. Les protections civiles spéciales relatives à la vie privée (A) et à la présomption d'innocence des personnes (B) constituent des remparts importants à la liberté d'expression. Il convient dès lors de s'intéresser au contenu de ces notions pour ainsi mieux cerner les hypothèses dans lesquelles les organes de presse seront susceptibles de voir leur responsabilité engagée.

298 Ch. Debbasch, H. Isar, X. Agostinelli, Droit de la communication, Précis Dalloz, 1e éd., 2002, p.672.

299 V. notamment, sur cette question de l'avènement des droits de la personnalité : A. Decocq, Essai d'une théorie générale des droits sur la personne, Thèse Paris, LGDJ, 1960 ; G. Goubeaux, Traité de droit civil, Les personnes, LGDJ, 1989.

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A. La liberté d'expression face au butoir de la vie privée

139. Depuis une loi du 17 juillet 1970300, le Code civil dispose en son article 9 que « Chacun a droit au respect de sa vie privée »301. Or, il convient de souligner que ce droit - et nous verrons qu'il ne s'agit pas d'un détail de moindre importance - outre son assise légale en droit interne, est aussi consacré par une multitude de textes à valeur supra-législative parmi lesquels figurent notamment l'article 8-1 de la Conv. EDH et l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. À ce titre, il est dès lors possible d'affirmer que le droit au respect de la vie privée possède une égale valeur normative que la liberté d'expression. Le juge saisi d'une affaire confrontant ces deux droits fondamentaux devra donc rechercher au mieux leur équilibre et s'attacher - lorsqu'il s'agit de trancher un litige - à faire primer « la solution la plus protectrice de l'intérêt légitime »302.

140. Mais qu'englobe cette notion de « vie privée » ? En l'absence de définition légale, il appartenait nécessairement à la doctrine303 et à la jurisprudence de s'atteler à en dégager les éléments de contenu. En effet, d'une façon générale, la jurisprudence nous montre que relève de la vie privée l'ensemble des évènements recouvrant la vie d'une personne. Parmi ceux-ci, figurent notamment la vie sentimentale, familiale, les problèmes de santé, mais aussi, tout ce qui concerne les opinions politiques et les tendances religieuses.

141. Il serait bien entendu impossible de dresser une liste exhaustive de toutes les facettes qu'intègre la vie privée, tant les cas d'espèce sont divers et évoluent continuellement avec le temps. Il est cependant essentiel de souligner l'aspect éminemment relatif de cette notion. En effet, si le grand principe - souffrant de multiples exceptions304 - demeure celui posé par un arrêt de la première chambre civile de 1990 ayant précisé que « toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à

300 Loi n° 70-643 du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens.

301 Pour le moment nous concentrerons notre étude sur cet alinéa premier de l'article 9. L'alinéa second fera l'objet d'une analyse dans la Section 3. Nous y étudierons les modalités de réparation.

302 Civ. 20 oct. 1993 : Bull. civ.I. n°295.

303 Les recherches doctrinales peuvent être scindées en deux grands ensembles. On a d'une part, l'approche objective, fondée sur l'opposition entre vie privée et vie publique, et d'autre, l'approche subjective, fondée sur l'idée de confidentialité, de ce que l'individu veut garder pour secret : V. sur ce point, Ch. Debbasch, Droit des médias, Dalloz, 1999, n°2991 et s.

304 V. infra n°186 et s.

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venir, a droit au respect de sa vie privée »305, nul doute que ce qui peut relever de la sphère privée pour les uns ne le sera pas nécessairement pour les autres306.

142. Toujours est-il que la victime, pour qu'elle puisse se prévaloir d'une créance de réparation à l'encontre de celui ayant attenté à sa vie privée, devra nécessairement prouver - outre la violation de sa vie privée - deux éléments.

Tout d'abord, l'absence de consentement à la publication. Il faut savoir que celui-ci ne se présume pas307 et doit en principe être exprès. Il peut toutefois selon les cas être tacite308. Aussi, quand bien même la victime aurait consenti à la publication d'un ou plusieurs détails de sa vie privée, son consentement ne vaut a priori que pour les informations en question309.

Ensuite, la victime devra prouver qu'elle est identifiable. Cette condition d'identification est valable tant pour les écrits310, que pour les images litigieuses311 et fait l'objet d'une interprétation relativement stricte en jurisprudence.

Après avoir observé quelques aspects du régime juridique du droit au respect de la vie privée, il convient de s'intéresser maintenant à un autre droit de la personnalité constituant lui aussi une limite de taille à l'exercice de la liberté d'expression : le droit au respect de la présomption d'innocence.

B. La présomption d'innocence, autre limite à l'information

143. Il est avant tout nécessaire de souligner l'importance du droit affirmé par l'article 91 du Code civil disposant que « chacun a droit au respect de la présomption

305 Civ. 1e, 23 oct. 1990 : Bull. civ.n°222.

306 D. De Bellescize, L. Franceschini, Droit de la communication, PUF, 2e éd., 2011, p. 418.

307 TGI Paris, 4 nov. 1965 : Gaz. Pal. 66. I. 37.

308 Là encore, la jurisprudence procède au cas par cas. Une partie de la doctrine a défendu la théorie du consentement tacite (V. notamment : R. Badinter, « Le droit au respect de la vie privée », JCP 1968, I. 2136 ; D. Becourt, Le droit de la personne sur son image, LGDJ, Paris, 1969) et fût ponctuellement suivie par la jurisprudence (V. par exemple : CA Versailles, 15 janv. 2009 : Légipresse 2009, n°259. I. p. 38 ; TGI Nanterre, 6 avr. 1995 : Gaz. Pal. 1996. I. 213).

309 Cette règle dite de la spécialité du consentement repose sur le principe d'indisponibilité des droits et attributs de la personnalité. On ne peut consentir à l'utilisation illimitée de ses attributs de la personnalité : sur cette question - encore une fois à nuancer selon les espèces - voir : B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 938 et s.

310 Il a été jugé qu'une personne s'estimant lésée du fait de la publication d'une fiction inspirée d'éléments de sa vie privée ne peut se prévaloir du droit à réparation qu'offre l'article 9 du Code civil que ci cette dernière est identifiable avec certitude par les lecteurs : TGI Paris, 3avr. 2006 : Légipresse 2006, n°231. I. p. 72.

311 À titre d'exemple, le fils de Carla Bruni a été débouté en sa demande de réparation de l'atteinte portée à son image car la photographie litigieuse ne le faisait qu'apparaître de dos : TGI Nanterre, ord. réf., 25 sept. 2008 : Légipresse 2008, n°255. I. p. 134.

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d'innocence »312. Ce principe a été inscrit dans le Code civil en vue de permettre à toute personne mise en cause de pouvoir faire respecter son innocence hors de le la sphère judiciaire. Par conséquent, ce texte s'adresse moins aux organes de la procédure pénale - qui respectent déjà ce principe en vertu de l'article 9 de la DDHC - qu'aux organes de presse qui très souvent, se passionnent pour les épisodes judiciaires313.

144. Il faut bien comprendre, que s'il est un principe permettant de distinguer la démocratie du despotisme, c'est bien la présomption d'innocence. En effet, la démocratie veut que toute personne puisse être considérée comme innocente du moment qu'aucune déclaration définitive de culpabilité ne permet d'en juger autrement. Dans un État despotique au contraire, l'accusé sera très souvent d'ores et déjà considéré comme coupable sans qu'aucun jugement ne soit encore rendu314.

Il serait vain d'évoquer toutes les espèces où la présomption d'innocence a pu être allègrement violée par la presse315. On peut toutefois se remémorer les tristement célèbres affaires Dreyfus et Outreau, particulièrement révélatrices des désastres pouvant provoquer le non respect d'un tel principe. Ces deux exemples, espacés dans le temps, illustrent parfaitement comment tant hier qu'aujourd'hui, en raison de la puissance des médias, certains innocents ont pu passer du jour au lendemain pour d'ignobles criminels aux yeux de l'opinion public. Pourtant, « ces présumés coupables du premier jour ont vu les mêmes journalistes prendre fait et cause pour la thèse de leur innocence » lorsque celle-ci fut établie en justice316.

Il apparaît donc primordial, tant d'un point de vue idéologique qu'humain, de faire respecter ce principe cardinal que constitue la présomption d'innocence par les médias.

145. Bien entendu, l'idée n'est pas d'interdire aux médias la diffusion d'informations relatives au déroulement de la procédure, auquel cas la liberté d'expression - et a fortiori le droit à l'information - se trouverait fortement amputée. Toutefois, dans sa mission de rapporteur, le journaliste se doit de ne laisser apparaître aucune conviction de culpabilité à

312 Art. 9-1 modifié par la loi n°2000-516 du 15 juin 2000. Selon cette loi, l'atteinte à la présomption d'innocence est caractérisée dès lors « qu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire ».

313 E. Dreyer, « Panorama droit de la presse et droits de la personnalité », Recueil Dalloz, 17 mars 2011, n°11

314 Sous réserve bien sûr, qu'il parvienne à prouver son innocence (si tant est que les despotes s'en soucient !).

315 Mais pas seulement par la presse ! « La présomption d'innocence est régulièrement bafouée jusqu'au plus haut sommet de l'État » : V. pour quelques exemples : C. Prieur, « Présumé innocent ou présumé coupable, les termes du débat », Le Monde, 7 fév. 2011.

316 C. Charrière-Bournazel, « Présomption d'innocence et liberté d'expression » in Combat d'un bâtonnat, 24 août 2006, http://www.charriere-bournazel.com/categorie/combat-dun-batonnat.

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l'égard du mis en cause. Inutile alors de préciser combien la frontière entre le permis et l'interdit est poreuse. Les interprétations souvent contradictoires entre les juges du fond et la Haute juridiction peuvent d'ailleurs en témoigner317.

Les articles 9 et 9-1 du Code civil participent donc tous deux à la mise en place de remparts solides à l'extension de la liberté d'expression et au-delà desquels hélas, nombreux imprudents, souvent motivés par la rentabilité commerciale, aiment à s'aventurer. Mais quelles sont les relations entretenues par ces dispositions civiles spéciales avec l'article 1382 du Code civil et la loi du 29 juillet 1881 ? Nous allons voir que la question n'est pas dépourvue d'intérêt tant les possibilités de confusion de qualification sont nombreuses.

Paragraphe 2 : Les articles 9 et 9-1 dans leurs rapports avec les textes concurrents

146. Dès lors que la faute est constitutive d'une atteinte portée à la vie privée ou à la présomption d'innocence de la victime, il semblerait que les articles 9 et 9-1 du Code civil supplantent la clausula generalis (A). Il en va autrement concernant leur relation avec la loi sur la liberté de la presse qui nous le verrons, paraît là encore chercher à asseoir son hégémonie (B).

A. L'exclusivisme face à la responsabilité pour faute

147. Quelques temps avant les célèbres arrêts de l'assemblée plénière du 12 juillet 2000, la Cour d'appel de Paris affirmait la chose suivante : « Le régime général de la responsabilité civile, qu'aucun texte n'exclut en matière de presse ou d'édition, ne peut toutefois trouver à s'appliquer que lorsque la publication litigieuse ne relève pas des dispositions spéciales de la loi du 29 juillet 1881 ou de celles des articles 9 et 9-1 du Code civil »318. Par conséquent, les articles 9 et 9-1 sont d'application exclusive à l'égard de l'article 1382 du Code civil.

148. Une telle solution est-elle justifiée ? Il semble en tout cas qu'elle soit en accord avec la logique adoptée par la jurisprudence constante concernant les rapports entre la loi du 29 juillet 1881 et l'article 1382. Les arguments avancés au soutien de celle-ci pourraient

317 V. à titre d'exemples : Civ. 1e, 19 oct. 1999 : Bull. civ.I. n286 ; Civ. 1e, 21 fév. 2006 : Bull. civ.I. n89. Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation fait valoir que les articles de presse en question ne tiennent « aucune conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité » du mis en cause, démentant ainsi l'analyse des juges du fond.

318 CA Paris, 12 mai 2000 : D. 2000, Jurisp. p. 796, note D. Boccara.

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d'ailleurs être repris. En effet, une telle solution est vraisemblablement destinée à sauvegarder au mieux la liberté d'expression car la portée plus restrictive de la protection assurée par les articles 9 et 9-1 permet d'assurer une plus grande prévisibilité au journaliste de ce que constitue ou non un abus aux yeux de la loi. Aussi, il semblerait qu'elle coïncide avec le principe specialia generalibus derogant, l'article 1382 du Code civil faisant figure de droit commun à l'égard de ces dispositions.

149. Néanmoins, l'autonomie des articles 9 et 9-1 vis à vis de l'article 1382, bien qu'affirmée319, ne vaut pas pour autant rupture complète avec les règles du droit commun de la responsabilité civile320. Bien entendu, les multiples décisions ayant fait valoir que « la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation »321 pourraient être perçues comme l'illustration d'un incontestable détachement de l'article 9 vis à vis de l'article 1382. Or, tout d'abord, il n'est pas vain de rappeler que c'est justement l'article 1382 du Code civil qui a permis l'avènement du concept des droits de la personnalité. Comme le rappelle Geneviève Viney, c'est à partir des diverses jurisprudences rendues au visa de l'article 1382 en vue de condamner les atteintes portées aux intérêts moraux des victimes que la doctrine a élaboré une véritable théorie des droits de la personnalité322. De plus, comme pour la responsabilité pour faute, la réparation est évaluée en fonction du préjudice subi et comme celle-ci encore, le défendeur à l'action sera toujours la personne physique ou morale responsable de l'atteinte alléguée323.

Tout cela nous amène finalement à considérer qu'en réalité les articles 9 et 9-1 contribuent pour l'essentiel à préciser la notion de faute à laquelle renvoie l'article 1382 du Code civil, ce qui semble davantage correspondre aux exigences de précision et prévisibilité prévues par les articles 11 de la DDHC et 10 de la Conv. EDH. On peut donc se réjouir de l'exclusivisme de ces dispositions civiles spéciales vis à vis de la responsabilité pour faute. D'ailleurs on notera que si très souvent les décisions visant à promouvoir la liberté d'expression le font au détriment du droit des personnes, il en est autrement ici, car n'oublions pas que la seule atteinte portée au droit subjectif emporte droit à réparation, et ce sans qu'il soit nécessaire de prouver une faute.

319 Civ. 1e, 5 nov. 1996 : D. 1997, Jurisp. p. 403, note S. Laulom.

320 A. Lepage, L. Marino et C. Bigot, « Droits de la personnalité : panorama 2004-2005 », Recueil Dalloz, 2005, n°38.

321 Civ. 3e, 25 fév. 2004 : D. 2004, somm. 1631, obs. C. Caron ; Civ. 1e, 6 oct. 1998 : RTDciv. 1999, p. 62, obs. J. Hausser ; Civ. 1e, 25 fév. 1997 : JCP 1997. II. 22873 ;

322 G. Viney, « Pour ou contre un principe général de responsabilité pour faute ? », Mél. P. Catala, Litec, 2001, p. 560.

323 CA Aix-en- Provence, 4 janv. 2005 : Juris-Data n°2005-265807.

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B. Le « magnétisme » de la loi du 29 juillet 1881

150. Si les articles 9 et 9-1 semblent sortir « indemnes » de leur confrontation à l'article 1382 du Code civil, il semblerait qu'il en soit tout autrement pour ce qui concerne la loi du 29 juillet 1881. En effet, la jurisprudence récente montre une tendance à faire primer l'application de la loi sur la liberté de la presse sur les dispositions civiles spéciales des articles 9 et 9-1. Cela est particulièrement flagrant pour l'article 9 relatif à la protection de la vie privée324. Il faut toutefois avouer que les espèces se prêtent fortement à un risque de confusion de qualification. Fréquemment, une atteinte à la vie privée ou au droit à l'image relevant de l'article 9 du Code civil sera aussi attentatoire à l'honneur ou à la considération et donc susceptible de constituer une diffamation au sens de l'article 29 de la loi sur la liberté de la presse325. Dans ce type d'hypothèse, on observe que la jurisprudence semble préférer à la vie privée, l'action en diffamation publique. Plusieurs décisions en attestent326.

151. Néanmoins, le régime de l'article 9 du Code civil retrouvera à s'appliquer dès lors que l'on est en présence de faits distincts d'une atteinte à l'honneur ou à la considération de sorte que la formule utilisée par les jurisprudences du 12 juillet 2000 pourrait tout à fait être ainsi transposée : « les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés par l'article 9 du Code civil »327. Qu'en penser ?

152. Il nous semble qu'une telle tendance soit critiquable. Il faut en effet en mesurer les conséquences. Cette solution offre un nouveau terrain d'application pour les particularités procédurales de la loi sur la presse dont on connaît le caractère très protecteur vis à vis des organes de presse. Inutile de préciser à ce titre, que la grande majorité des atteintes à la vie privée des médias tomberont sous le joug de la loi sur la liberté de la presse tant les espèces nous montrent que l'honneur se trouve généralement bafoué par les révélations indiscrètes.

324 Le développement qui suit serait aussi valable pour l'atteinte à la présomption d'innocence, elle aussi très encline à se fondre en diffamation au sens de l'article 29 de la loi de 1881. Mais les exemples jurisprudentiels tendant à vouloir lui privilégier la loi sur la liberté de la presse sont moins explicites : V. à titre d'exemple, Civ. 1e, 28 juin 2007 : Bull. civ.I. n°247.

325 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p.415.

326 TGI Paris, 29 janv. 2003 : LPA n°90, 6 mai 2003, note D. de Bellescize ; Civ. 1e, 30 mai 2006 : Revue Lamy dr. immat. 2006, n°541, p. 44 ; Civ. 1e, 31 mai 2007 : JCP G 2007. IV. 2396 ; CA Toulouse, 3e ch., 22 juill. 2004 : Comm. com. élect. 2005, comm. n°74.

327 C'est exactement l'idée qui ressort d'une décision des plus récente rendue le 4 avril 2012 par le Tribunal de grande instance de Paris ayant fait valoir qu'il est possible d'intenter une action sur le fondement de l'article 9 du Code civil seulement si la violation invoquée repose sur des éléments distincts d'un délit de presse : TGI Paris, 4 avr. 2012, Légipresse n°295, juin 2012, p. 352.

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Alors bien entendu, pour se rassurer, on peut faire valoir - et c'est un moindre mal ! - que l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 prohibe l'exception de vérité quand l'imputation diffamatoire a trait à la vie privée328. Mais en quoi l'article 9 du Code civil devrait-il faire figure de droit commun par rapport à la loi de 1881329 ? Rappelons quand même que celui-ci possède une égale valeur normative que la loi sur la liberté de la presse. Dès lors, l'argument positiviste reposant sur le principe de hiérarchie des normes, s'il pouvait donner lieu à discussion pour ce qui est de l'application de l'article 1382 du Code civil à la liberté d'expression330, semble irrecevable en ce qui concerne l'article 9.

Pour ces diverses raisons donc, il apparait que le magnétisme exercé par la loi sur la liberté de la presse à l'égard de l'article 9 procède plus d'une faveur accordée par la jurisprudence à la liberté d'expression que d'un raisonnement juridique imparable. Il convient toutefois de relativiser son impact. En effet, en dépit de l'empirisme du texte de 1881, les affaires dans lesquelles les organes de presse ont pu être condamnés pour atteinte à la vie privée et à la présomption d'innocence sur les fondements que constituent les articles 9 et 9-1 du Code civil ont continué d'être récurrentes. Ces articles sont donc encore bien au coeur des affaires que regroupe le contentieux de la presse.

Cela est d'ailleurs d'autant plus vrai concernant l'article 9. Depuis sa consécration, il s'est révélé être la « matrice »331 de nouveaux attributs de la personnalité parmi lesquels figure un droit des plus essentiels en matière de presse, le droit à l'image.

Section 2 : Le droit à l'image et les autres attributs de la personnalité

153. Quoi de plus évocateur qu'une image ? L'image accroche, l'image sensibilise, l'image attire le regard sans susciter l'effort qu'implique la lecture. « Par leur force d'évidence, les images nous saisissent immédiatement, et produisent immanquablement un effet de vérité »332.

154. Actuellement, l'information de presse est tout autant commentée qu'imagée : « Le poids des mots, le choc des photos ». Telle est la célèbre devise du magazine Paris-Match.

328 En effet, l'article 35 a) dispose que « la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée sauf, lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne » (loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125)

329 A. Lepage, L. Marino et C. Bigot, « Droits de la personnalité : panorama 2004-2005 », Recueil Dalloz, 2005, n°38.

330 V. Supra n°73 et s.

331 Ibid

332 J-L Comolli, cité par E. Roskis, « Ces images qu'on manipule » in Manière de voir, Le Monde Diplomatique, juil.-août 1999, p. 86.

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Mais l'image en tant que représentation d'une chose, ou d'une personne humaine, est-elle librement diffusable ?

Il semblerait que le problème essentiellement rencontré en matière de presse procède d'un conflit entre d'une part, le droit de la personne sur son image333 et d'autre, le droit à l'information par l'image334. C'est donc à nouveau la problématique des rapports entre les droits de la personne et la liberté d'expression qui est en jeu.

155. Le droit à l'image, attribut de la personnalité, peut être défini comme « le droit d'une personne sur sa représentation È335. Le droit à l'information par l'image lui, attribut de la liberté d'expression, désigne le droit d'informer le public via l'outil que représente l'image. Ce dernier, pour pouvoir s'exprimer librement doit nécessairement respecter un certain nombre de règles découlant du régime juridique du droit à l'image qu'il convient dès lors de définir.

Le principe général martelé en jurisprudence est que toute personne dispose d'un droit absolu sur son image et sur l'utilisation qui en est faite, lui permettant de s'opposer à sa reproduction sans son autorisation expresse et spéciale336. L'organe de presse se heurte donc a priori à la nécessité de requérir l'autorisation préalable de la personne dont elle diffuse l'image. Nous verrons néanmoins dans le second titre que - comme en matière de vie privée - nombreux sont les faits justificatifs de l'atteinte portée à ce « droit absolu » dont dispose la personne sur son image. Aussi, la protection dont bénéficie la personne dont l'image est diffusée est conditionnée par son identification. La Cour de cassation l'a encore récemment affirmé337. Toutefois, cette condition est appréciée largement. La Cour fait en effet valoir que l'utilisation d'un sosie permettant d'identifier la personne satisfait à la condition tenant à l'identification338.

156. Mais une fois l'atteinte au droit à l'image caractérisée, sur quel fondement agir ? Le droit à l'image ne dispose pas de fondement légal propre. Pendant longtemps, en l'absence

333 Nous nous concentrerons dans cette étude sur la problématique de l'image de la personne et non sur celle du droit qu'à la personne sur l'image de ses biens : V. sur cette question : J-M. Bruguière, L'exploitation de l'image des biens, Victoires éditions, 2005 ; B. Gleize, La protection de l'image des biens, Défrénois, 2008.

334 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p.430.

335 T. Debard et S. Guinchard, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 19e éd., 2012, p.450.

336 CA Paris, 23 mai 1995 : D. 1996, somm. p. 75 ; V. sur le caractère absolu du droit à l'image : T. civ. Seine, 16 juin 1858 : DP 1858, 3, p. 62.

337 Civ. 1e, 5 avr. 2012 : Légipresse n°294, mai 2012, p. 283. En l'espèce, la Cour a jugé que la mauvaise définition générale de l'image ainsi que sa petite taille ne permettaient pas d'identifier clairement le demandeur à l'action.

338 Ainsi du sosie de Jean-Luc Delarue utilisé pour un film publicitaire : TGI Nanterre, 23 mars 2007 : Comm. com. électr., mai 2007, comm. 75, p. 50, note A. Lepage.

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d'atteinte à la vie privée, la violation de ce droit était sanctionnée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil339. Pourtant, depuis quelque temps, la protection de l'image est artificiellement assurée par l'article 9 du Code civil340. Cela n'est d'ailleurs pas étonnant, tant l'image et la vie privée sont parfois indissociables. En effet, comme le souligne très justement Daniel Becourt, « le reflet de l'image laisse entrevoir en filigrane la silhouette de la vie privée, comme de part et d'autre des faces d'un miroir sans tain »341.

157. Il semblerait néanmoins que la Cour de cassation cherche à donner au droit à l'image une certaine autonomie. Relevons en guise d'exemple cet arrêt du 12 décembre 2000 faisant valoir que « l'atteinte au respect dû à la vie privée et l'atteinte au droit de chacun sur son image constituent des sources de préjudice distinctes, ouvrant droit à des réparations distinctes »342. Cette approche semble s'affermir en jurisprudence343. Peut-être serait-il alors temps pour le législateur d'en prendre acte en consacrant un droit autonome au respect de l'image en guise de clarification.

158. La même observation pourrait d'ailleurs être faite pour les attributs de la personnalité que constituent la voix ou encore, le nom.

En effet la voix, « image sonore de la personne »344, à l'instar de « l'image visuelle », connaît elle aussi des difficultés de reconnaissance en tant qu'attribut de la personnalité autonome de la vie privée345. En atteste par exemple, cet arrêt de la Cour d'appel de Paris, estimant que la reproduction de la voix ne saurait ouvrir un droit à réparation sur le fondement de l'article 9 du Code civil que dans l'hypothèse où il en résulterait une atteinte à la vie privée346.

Quant au nom, si le Tribunal de grande instance de Paris avait clairement avancé en 2004 que le droit au respect de la vie privée « couvre » le nom en tant qu'attribut de la personnalité, il semble que ce dernier se soit récemment ravisé. En effet, les juges de

339 D. Becourt, Image et vie privée, L'Harmattan, 1e éd., 2004, p. 233.

340 À titre d'exemples : CA Paris, 25 oct. 1982 : D. 1983, 363, note R. Lindon ; Civ. 1e, 13 avr. 1998 : JCP 1989. II. 21320, note E. Putman.

341 D. Becourt, op. cit, p. 14.

342 Civ. 1e, 12 déc. 2000 : D. 2001, p. 2434, note J-C. Saint Pau.

343 Civ. 1e, 10 mai 2005 : Bull. civ.I. n°206 affirmant que constituent des droits distincts, le respect dû à la vie privée et le respect dû à l'image.

344 M. Serna, « L'image de la voix : du droit de l'image sonore au droit de l'image vocale » in Image et droit, L'Harmattan, 1e éd., 2002, p. 243.

345 V. sur cette problématique : D. Huet-Weiller, « La protection juridique de la voix humaine », RTDciv. 1982, p. 513.

346 CA Paris, 12 janv. 2005 : Comm. com. électr. 2005, comm. n°92.

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première instance ont récemment estimé que le prénom et nom patronymique, en tant qu'éléments de l'état civil, « échappent par leur nature même à la sphère protégée par l'article 9 du Code civil »347.

On observe donc que diverses facettes de la personnalité, en mal d'autonomie, bénéficient de la protection qu'offre l'article 9 du Code civil faisant état du seul droit au respect de la vie privée. Ces différents « droits au respect », chroniquement bafoués par la presse, demeurent une source très importante de contentieux. Les multiples condamnations prononcées par le tribunal de Nanterre348 peuvent d'ailleurs en attester. Aussi, il apparaît désormais nécessaire de faire état d'un certain nombre de spécificités tenant à leur réparation.

Section 3 : La réparation des atteintes portées aux droits la personnalité

159. Nous avons vu qu'un certain nombre « d'anciens droits de la personnalité »349étaient déjà expressément pris en compte par la loi sur la liberté de la presse. Que leurs poursuites sur le fondement de la diffamation, de l'injure, étaient d'essence pénale. Que même limitées au civil, les victimes sont tenues, tant sur la forme que sur le fond, de respecter le dispositif spécifique prévu par la loi de 1881.

160. En revanche, pour ce qui concerne les « nouveaux droits de la personnalité »350, bien que faisant l'objet de dispositions pénales éparses échappant au formalisme rigoureux de la loi de 1881, incontestablement, la pratique montre que leur poursuite se déroule essentiellement devant le prétoire civil et donc donne en grande majorité lieu au prononcé de sanctions civiles351. La répression pénale n'est que secondaire352.

347 TGI Paris, 12 mars 2012 : Légipresse n°294, mai 2012, p. 289.

348 Le TGI de Nanterre est souvent désigné comme étant le « chouchou des vedettes » en matière d'affaires mettant en cause des atteintes aux droits de la personnalité V. Mahaut, « Le Tribunal de Nanterre, chouchou des vedettes » in rubr. Hauts de Seine, Le Parisien, 22 fév. 2006.

349 « Anciens », par opposition à ce que nous avons pu précédemment appeler les « nouveaux droits de la personnalité ». Ils regroupent essentiellement les droits que constituent le droit à l'honneur, à la considération et au respect des croyances.

350 Essentiellement, droit au respect de la vie privée, de l'image et de la présomption d'innocence.

351 J-P. Gridel, « Liberté de la presse et protection civile des droits modernes de la personnalité en droit positif français », Recueil Dalloz, 2005, n°6.

352 Si les poursuites pénales sont rares, c'est parce qu'elles supposent : en matière d'atteinte à la vie privée, qu'aient été utilisés des procédés de captation particuliers (type film, enregistrement) dans le but d'attenter à l'intimité de la vie privée (art. 226-1 Code pénal) ; en matière d'atteinte à la présomption d'innocence, que soit diffusée l'image d'une personne menottée ou entravée avant toute condamnation (art. 35 ter. Loi 29 juil. 1881) ; en matière d'atteinte au droit à l'image, que celle-ci soit captée dans un lieu privé (art. 226-1 Code pénal).

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Mais quelles sont ces sanctions civiles permettant d'assurer le respect des atteintes à la vie privée, à l'image (art. 9), à la présomption d'innocence (art. 9-1) ? Prononcées sur des fondements distincts de l'article 1382 du Code civil, celles-ci en ressortent-elles différentes?

161. En termes analogues, les alinéas 2 des articles 9 et 9-1 disposent que « sans préjudice de la réparation du dommage subi », le juge peut, même en référé, prononcer diverses mesures propres à empêcher ou faire cesser l'atteinte portée à la vie privée, à l'image ou à la présomption d'innocence. Il en résulte que ce dernier peut cumuler si besoin une condamnation à dommages et intérêts avec une injonction.

Pour ce qui est du prononcé de dommages et intérêts, à l'instar de l'article 1382 du Code civil, l'idée est de réparer le préjudice, généralement moral, causé à la victime de l'atteinte. Toutefois, le principe de réparation intégrale - qui implique que l'on doit réparer l'entier préjudice sans aller au-delà - peut parfois donner l'impression d'être violé par les juges. En effet, dans ce contentieux qu'est celui des droits de la personnalité, certains dénoncent la pratique implicite de dommages et intérêts punitifs en soutenant que les juges, pour déterminer le montant de la réparation, tiennent compte de la gravité de la faute commise par son auteur353. La question de la détermination du montant des condamnations ainsi prononcées est d'autant plus controversée354, que nombreux auteurs décrient un mouvement croissant de « patrimonialisation »355 des droits de la personnalité, et le fait que l'indemnisation des atteintes en question s'apparente de plus en plus à une « logique de peine privée ayant une fonction de dissuasion à l'égard des auteurs de ces violations »356.

Pour ce qui est des injonctions, le juge aura la possibilité de prononcer diverses mesures. Celles-ci portent parfois sur la publication357ou sur l'insertion358. Il pourra aussi

353 E. Derieux, Droit de la communication, LGDJ, 4e éd., 2003, p.587.

354 V. notamment : D. Amson, « L'indemnisation du préjudice résultant des atteintes à la vie privée », Légipresse n°195. II. 128132 ; F. Gras, « Vie privée et liberté d'informer. Le rôle du juge », Légipresse n°148. II. 6-10.

355 Par « patrimonialisation », il faut comprendre que les victimes tendent à exploiter leur préjudice à des fins lucratives en agissant systématiquement en justice : V. P. Esmein, « La commercialisation du dommage moral », Dalloz, 1954, p. 113.

356 F. Gras, « L'indemnisation des atteintes à la vie privée », Légicom n°20, 1999, p. 35 ; V. aussi, sur cette notion de « peine privée » : A. Jault, La notion de peine privée, LGDJ, 2005 ; G. Ripert, « Le prix de la douleur », Dalloz, chron. 1, 1948.

357 Par exemple, le juge ordonne la publication dans le prochain hebdomadaire du jugement de condamnation.

358 Dans un livre déjà édité, le juge peut ordonner l'insertion d'un encart faisant état du droit violé comme ce fût le cas par exemple dans l'affaire Trintignant où il était question de violation de la présomption d'innocence (CA Paris, 7 oct. 2003 : Gaz. Pal. 2003, p. 3147).

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s'agir de la restitution du négatif d'une photographie ou bien de la suppression d'une image ou d'un passage litigieux359.

162. Mais la lenteur du processus de condamnation au fond entraîne souvent chez les victimes - pour les atteintes les plus graves et notamment celles portées à « l'intimité de la vie privée »360 - une préférence pour l'action devant le juge des référés. Si l'article 9 du Code civil requiert l'urgence comme condition de recevabilité de l'action, l'article 9-1 lui n'en dit rien. Toujours est-il que l'idée sera généralement de prévenir ou de faire cesser un trouble imminent ou manifestement illicite généré par une publication litigieuse. Concernant l'action en vu de prévenir un dommage, cela peut donc poser un certain malaise eu égard au principe de liberté d'expression361. Cette question divise la doctrine362, raison pour laquelle la jurisprudence semble vouloir que l'usage d'une telle procédure en matière de presse demeure exceptionnelle et cantonnée aux urgences les plus graves363.

La sanction civile des atteintes portées aux droits de la personnalité peut donc prendre des formes très diverses. La protection civile autonome qu'elle offre contribue encore d'avantage au phénomène d'éviction de l'article 1382 du Code civil du domaine de la presse. Toutefois, si la mise à l'écart de la responsabilité pour faute par la loi de 1881 peut d'une manière générale se traduire par un recul du droit à réparation pour les victimes au bénéfice de la liberté d'expression364, il semble qu'il en soit autrement pour ce qui est de son évincement par les articles 9 et 9-1 du Code civil. En effet, ces derniers permettront systématiquement de rechercher la responsabilité civile de l'auteur de l'atteinte, sans que les victimes se heurtent aux multiples obstacles de procédure que connaissent celles dont

359 E. Derieux, Droit de la communication, LGDJ, 4e éd., 2003, p. 587.

360 Art. 9 al. 2 du Code civil.

361 En effet, une mesure de référé prise en amont de la publication peut s'interpréter comme une forme de censure légitimant ainsi une forme de « police de la presse ». Vu le succès rencontré par le juge des référés dans le contentieux de la presse, on peut en effet s'inquiéter de l'impact d'une telle procédure sur l'effectivité du principe de libre information.

362 V. sur cette question de la légitimité de l'intervention du juge des référés en matière de presse au regard du principe de liberté d'expression : P. Kayser, « Le pouvoir du juge des référés civils à l'égard de la liberté de communication et d'expression », Dalloz, 1989, chron. p.11 ; E. Derieux, « Référé et liberté d'expression », JCP 1997. I. 4053 ; R. Lindon, « Le juge des référés et la presse », Dalloz, 1985, chron. p. 61 ; Th. Massis, « Le juge des référés et la liberté d'expression », Légipresse n°84. II. p. 67 ;

363 Civ. 1e, 12 déc. 2000 : D. 2001, jurisp. 2434, note J-C. Saint Pau ; CA Paris, 13 sept. 2000 : D. 2001, jurisp. 24, note C. Caron et M-L. Rassat.

364 V. Supra n°94 et s.

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l'action initialement fondée sur l'article 1382 aura été requalifiée au visa de la loi sur la liberté de la presse.

Néanmoins, que l'action civile en réparation soit intentée au visa de l'article 1382, 9, 9-1 du Code civil ou encore, au regard de l'une des infractions de presse relevant de la loi du 29 juillet 1881, la question redoutée par les victimes est toujours la même : le principe de liberté d'expression est-il susceptible de légitimer la faute commise ? Nous allons voir que dans bien des cas, la loi, la jurisprudence, par une pesée des intérêts en présence, tendent à y répondre par l'affirmative, au prix d'un affaiblissement de la responsabilité civile.

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Titre 2 : L'impuissance de la responsabilité civile face à la prééminence de la liberté d'expression

163. L'action civile en réparation a priori admise, celle-ci se heurte encore à la possibilité d'une éviction à raison du contexte dans lequel la faute s'insère. C'est ainsi que la jurisprudence et la loi ont pu dégager tout une panoplie de faits justificatifs spéciaux, propres au domaine de la presse, concernant des propos litigieux.

164. Le fait justificatif permet d'anéantir l'illicéité de l'acte ou de l'omission génératrice de responsabilité365. Il peut donc se révéler être un formidable stratagème de défense pour le défendeur à l'action. Il s'agit originairement d'un concept de droit pénal qui s'est ensuite logiquement étendu en matière civile366. En effet, il apparaissait normal que le fait considéré comme justificatif d'une infraction pénale soit aussi à même d'annihiler la faute civile367. En sa présence, responsabilité pénale comme civile devaient disparaître.

D'où l'importance pour notre sujet, d'évoquer ces différents faits justificatifs érigés par la loi et la jurisprudence en matière de presse. Nombreux et variés, évoluant avec le temps, ceux-ci interviennent dans tous les domaines où la responsabilité civile est susceptible de s'immiscer réduisant encore davantage les perspectives de réparation des victimes (Chapitre 1). Le droit de réponse reste alors l'ultime chance de se faire entendre, et ce quelle que soit l'existence ou non d'un comportement fautif, quelle que soit l'issue des poursuites (Chapitre 2).

Chapitre 1 : La multiplication des faits justificatifs spéciaux en matière de presse

165. Le contentieux de la presse est très propice au débat des faits justificatifs. Que l'on se trouve sur le terrain du droit commun comme du droit spécial, les défendeurs ont souvent la possibilité de chercher à convaincre que les circonstances dans lesquelles

365 M. Bacache-Gibeili, Les obligations, la responsabilité civile extracontractuelle, 2ème éd., Economica, 2012, n°152.

366 V. J. Bergeret, La notion de fait justificatif en matière de responsabilité pénale et son introduction en matière de responsabilité civile, Thèse Grenoble, 1946 ; J. Dingome, Le fait justificatif en matière de responsabilité civile, Thèse Paris I, 1986 ; J. Pélissier, « Faits justificatifs et action civile », Dalloz, 1963, chron. p. 121.

367 D'ailleurs la jurisprudence fait valoir que le juge civil saisi d'une action fondée sur le droit commun est tenu de requalifier les faits litigieux afin que l'auteur puisse jouir de cette immunité : Civ. 2e, 8 mars 2001 : Bull. civ. II. n° 46.

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s'insère l'abus sont à même de le légitimer. Bien entendu, notre droit positif connaît un certain nombre de faits justificatifs « généraux » parmi lesquels figurent notamment, l'ordre de la loi, le commandement de l'autorité légitime ou encore, la légitime défense368. Mais la pratique nous enseigne que ceux-ci sont rarement invoqués lors des procès de presse369.

166. Si un certain nombre de faits justificatifs étaient déjà spécialement prévus par la loi du 29 juillet 1881 pour un nombre restreint d'infractions (Section 1), nous verrons que l'évolution des moeurs, des modes d'expression, sont autant de facteurs ayant considérablement développé ce domaine que constitue celui des faits justificatifs des abus de la liberté d'expression (Section 2).

Section 1 : Les faits justificatifs d'infractions prévus par la loi du 29 juillet 1881

167. Trois catégories d'infractions prévues et réprimées par la loi sur la liberté de la presse sont concernées par l'existence de faits justificatifs spéciaux (Paragraphe 1). Même si par principe leur consécration dépend de la seule compétence du législateur370, la jurisprudence est venue étendre les facteurs d'irresponsabilité en matière de diffamation (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Un domaine limité à certaines infractions

168. Parmi toutes les infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881, trois sont susceptibles - quand bien même les éléments constitutifs seraient réunis - de ne pas donner lieu au prononcé d'une peine. Il s'agit tout d'abord de la diffamation en cas de preuve de la vérité des propos diffamatoires. De l'injure, dans l'hypothèse de ce que l'on nomme communément, l'excuse de provocation. Puis, d'infractions éparses ayant en commun de chercher à protéger des informations confidentielles et dont la violation, à raison du but poursuivi ou du consentement de la victime, ne sera pas sanctionnée.

169. Concernant la diffamation avant tout, le principe est que toute personne suspectée de diffamation publique peut échapper à la condamnation dès lors qu'elle prouve la vérité des

368 Respectivement : Art. 122-4, 122-4 al. 2 et 122-5 du Code pénal.

369 Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 253.

370 En effet, par principe, les faits justificatifs, dès lors qu'ils « neutralisent l'élément légal, ne peuvent résulter que de la loi » : P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, 7e éd., 2004, n°244.

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propos incriminés371. Ce droit à l'exception de vérité des propos diffamatoires, reposant sur le fondement de l'article 35 de la loi de 1881, joue non seulement pour les diffamations envers les personnes énumérées au sein de ses alinéas premier et second372 - il s'agit essentiellement de fonctionnaires publics373 - mais aussi depuis une ordonnance du 6 mai 1944, pour les diffamations contre les particuliers.

Cependant, en tout état de cause, lorsque « l'imputation concerne la vie privée de la personne », ou se réfère à des « faits qui remontent à plus de dix ans », ou «à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision » 374, il sera interdit de prouver la vérité des faits allégués.

170. En ce qui concerne l'injure, les articles 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 et R. 621-2 du Code pénal disposent que celle-ci, publique ou non publique, lorsqu'elle est érigée envers un particulier et « n'a pas été précédée de provocations », est punie d'une amende de douze mille euros. L'idée n'est pas de dire qu'en présence de provocations aucune peine ne pourra être prononcée. Mais le législateur offre au prévenu un moyen de défense : celui de prouver que ses propos injurieux font suite à une provocation. Un peu dans la même logique que pour la légitime défense.

En outre, la Cour de cassation fait valoir que la provocation en question ne peut résulter que de « propos, d'écrits injurieux, ou de tous autres actes de nature à atteindre l'auteur de l'infraction, soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses intérêts pécuniaires ou moraux »375. Elle affirme aussi que seule l'injure envers un particulier est susceptible de bénéficier de l'excuse de provocation376 et seulement si trois conditions cumulatives sont réunies. D'une part, il faut nécessairement que l'auteur de l'injure ait été la victime de la provocation377. Ensuite, il faut que l'objet de l'injure soit « en rapport

371 V. par exemple : Crim. 3 mai 1966 : Bull. crim. n°32 ; Crim. 11 mars 2008 : JCP G 2008, IV. n°1787.

372 L'article 35 al 1er désigne notamment les armées de terre, de mer, de l'air, et les administrations publiques ; l'alinéa 2nd renvoie aux directeurs ou administrateurs d'entreprises commerciales, financières, industrielles qui font publiquement appel à l'épargne ou au crédit.

373 L'esprit du législateur de 1881 est véritablement de pousser les citoyens à dénoncer les abus commis par les fonctionnaires publics en vu d'offrir le plus de transparence possible dans le fonctionnement de l'administration publique.

374 Art. 35 al 3 loi du 29 juillet 1881 respectivement a), b) et c).

375 Crim. 16 mai 2006 : Dr. pén. 2006, comm. 135, obs. M. Véron.

376 Crim. 12 juin 1896 : Bull. crim 1896, n°189.

377 Crim. 21 mars 1972 : Bull. crim. 1972, n°116.

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direct » 378 avec celui de la provocation. Puis, la provocation doit être injuste, inappropriée379.

Il est aussi important de noter que l'excuse en question est traditionnellement présentée comme revêtant un caractère absolutoire380 ce qui implique qu'elle n'est pas une cause d'irresponsabilité pénale - à la différence du fait justificatif - mais a seulement pour effet de dispenser l'auteur de la peine381.

171. Enfin, il convient de noter que certaines infractions prévoyant des interdictions de publication pourront être justifiées tantôt à raison de la légitimité du but poursuivi382, tantôt à raison du consentement donné par la victime383.

Le texte de loi du 29 juillet 1881 prévoit donc à lui seul toute une série de circonstances à même de déresponsabiliser, ou tout au moins d'exempter de peine, l'auteur d'infractions de presse. Concomitamment, au grand dam des victimes, la responsabilité civile ne produira donc pas ses effets384. Nous allons voir que les frontières de ce domaine légal d'impunité, chéri par les médias lors des procès de presse pour l'élaboration de leur défense, ne font que s'accroître sous l'impulsion de la jurisprudence.

Paragraphe 2 : La création jurisprudentielle de nouveaux faits justificatifs en matière de diffamation

172. Comme pour l'ensemble des délits de presse prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, une présomption de mauvaise foi repose sur le diffamateur. Or, loin d'être irréfragable, ce dernier à toujours la possibilité - sauf dans les trois cas énumérés précédemment385 - de renverser cette présomption en prouvant sa bonne foi386. Celle-ci,

378 Il faut en quelque sorte que l'injure « réponde » à la provocation : en ce sens, Crim. 10 mai 2006 : D. 2006, jurisp. p. 2220, note E. Dreyer ; Crim. 16 avr. 1985 : Bull. crim. 1985, n°140.

379 Cela est le cas par exemple lorsque celle-ci a trait à « l'intimité de la vie privée » et sort du débat d'idées : Crim. 16 avr. 1985 ibid.

380 A. Chavanne, J-Cl. Communication, Fasc. 3140, n°70.

381 Certains auteurs estiment au contraire que l'excuse de provocation se rapproche davantage du fait justificatif, celle-ci ayant pour effet de faire « disparaître l'infraction » d'injure : en ce sens, F. Goyet, Droit pénal spécial, Sirey, 8e éd., 1972, p. 613, n°887.

382 Par exemple, si l'article 39 bis « puni de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser, de quelque manière que ce soit, des informations relatives à l'identité ou permettant l'identification » d'un mineur, l'alinéa 2nd prévoit néanmoins que « les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque la publication est réalisée à la demande des personnes ayant la garde du mineur ou des autorités administratives ou judiciaires ».

383 Par exemple l'article 39 quinquies incrimine la publication de renseignements portant sur l'identité d'une victime de sévices sexuels sauf si celle-ci « a donné son accord écrit » (al. 2).

384 V. Supra n°165.

385 V. Supra n°170.

386 Crim. 7 nov. 1989 : Bull. crim. 1989, n°403.

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une fois reconnue par le juge, lui permettra alors d'échapper à toute condamnation, pénale comme civile387. Mais alors, comment caractériser cette bonne foi ?

173. Pour répondre, il nous faut s'en remettre au travail de la jurisprudence qui par une multitude de décisions rendues en la matière, semble s'accorder à dire que « la bonne foi de la personne recherchée pour diffamation suppose, la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression, ainsi que la fiabilité de l'enquête »388. On a donc quatre conditions, cumulatives389, et permettant de justifier des diffamations jugées par certains, « nécessaires », « opportunes »390, car poursuivant un but légitime d'information391.

174. Ces quatre conditions, qui de manière constante furent formellement exigées par les juges pour remplir leur rôle de justificatif de la diffamation, semblent sous l'impulsion de la Cour européenne des droits de l'homme ne plus constituer un ensemble insécable pour nos juridictions internes. En effet, un mouvement de rénovation se fait sentir. En témoignent, les trois arrêts dits Robert rendus le 3 février 2011 par la première chambre civile de la Haute juridiction dans une affaire de diffamation392. Dans ces arrêts de cassation, la Cour a considéré que les critères que constituaient « l'intérêt général du sujet traité » ainsi que « le sérieux constaté de l'enquête », suffisaient à légitimer les imputations diffamatoires litigieuses. Deux critères et non plus quatre.

Selon Christophe Bigot, avocat au barreau de Paris, le dessein de la Cour vise clairement à rénover la « théorie des quatre éléments », pour finalement réduire la bonne foi à l'établissement de deux conditions : d'une part, l'existence d'un débat d'intérêt général et d'autre, le sérieux de l'enquête393. À n'en pas douter, cette nouvelle voie entreprise par la Cour de cassation est le reflet de l'influence exercée par la jurisprudence

387 V. C. Bigot, « La bonne foi du journaliste : état des lieux », Légicom n°28, 2002/3.

388 Civ. 2e, 8 avr. 2004 : Bull. civ.II. n°185 ; Civ. 2e, 27 mars 2003 : Bull. civ.II. n°84.

389 La Cour de cassation estime en effet que si l'un de ces quatre éléments fait défaut, le prévenu sera exclu du bénéfice du fait justificatif de bonne foi : Crim. 27 fév. 2001, n°00- 82557, inédit.

390 P. Mimin, DP 1939, I. 77.

391 En effet, parmi les quatre conditions requises pour l'établissement de la bonne foi du diffamateur, celle tenant à la « légitimité du but poursuivi » est la plus essentielle. D'une manière générale, la jurisprudence la considère comme remplie dès lors que les imputations, bien que diffamatoires, remplissent une mission d'information sur un sujet d'intérêt général : en ce sens, Civ. 1e, 3 avr. 2007 : JCP G. IV. 1968 ; Civ. 2e, 23 mai 2001 : LPA 2001, n°139, p. 25, note E. Derieux.

392 Civ. 1e, 3 fév. 2011, pourvois n°0910301, n°0910302, n°0910303.

393 C. Bigot, « La portée de la rénovation de la théorie de la bonne foi sous l'emprise de l'intérêt général », Légipresse n°290, Janv. 2012, p. 27.

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de la Cour de Strasbourg394. Cela fait en effet longtemps déjà, que la Cour européenne des droits de l'homme s'efforçait de faire triompher la liberté d'expression en mettant en avant ce critère poreux que constitue « l'intérêt général » pour conclure à la violation - par nos juridictions internes - de l'article 10 de la Conv. EDH395. La Cour de cassation semble donc avoir été contaminée par l'expression. Au point même qu'elle paraît vouloir l'ériger en substitut - avec le critère tenant au sérieux de l'enquête - des quatre éléments traditionnellement retenus pour caractériser la bonne foi du diffamateur396. La Cour européenne avait déjà exprimé sa réticence vis à vis des critères de prudence et d'absence d'animosité personnelle en critiquant la « particulière raideur » dont faisaient preuve les juges internes dans l'interprétation de ces derniers397. En les mettant de côté dans les arrêts Robert, la Cour de cassation semble en avoir tenu compte.

175. Qu'en penser ? Une chose est sûre, l'imprécision de la notion d'« intérêt général » - quand bien même le critère du « sérieux de l'enquête » resterait à prouver - comporte un fort risque d'arbitraire pour les juges dans la mesure où « l'intérêt général » demeure une notion éminemment subjective. Attention alors à ne pas tomber dans un système trop manichéen dans lequel les juges se feront arbitre de ce que constitue une bonne ou mauvaise information pour le public. N'oublions quand même pas les enjeux du débat. Il s'agit de laisser impuni l'auteur d'une diffamation. Diffamation qui implique une atteinte à l'honneur dont on sait qu'il s'agit là d'un intérêt des plus noble et précieux de l'homme398. Diffamation qui constitue avec l'injure, l'infraction la plus rencontrée dans le contentieux de la presse. La question tenant à savoir si la rénovation de la théorie classique de la bonne foi doit être considérée comme un progrès pour notre droit n'est donc pas à prendre à la légère. Les enjeux sont importants. C'est la raison pour laquelle une définition

394 J-Y. Monfort, « L'apparition en jurisprudence du critère du « débat d'intérêt général » dans le droit de la diffamation », Légipresse n°290, Janv. 2012, p. 21.

395 V. à titre d'exemple : CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, n°38432/97, §45 ; CEDH, 24 fév. 1997, De Haes et Gijsels c/ Belgique, n°19983/92, §37 ; CEDH, 22 déc. 2005, Paturel c/ France, n°54968/00, §42 ; CEDH, 7 nov. 2006, Mamère c/ France, n°12697/03, §47 ; CEDH, 14 fév. 2008, Libération c/ France, n° 20893/03, §63.

396 Il convient néanmoins de préciser que ce critère de « débat d'intérêt général » n'est en réalité qu'un corolaire de celui tenant à la légitimité du but poursuivi (faisant parti de la théorie des quatre éléments) la jurisprudence ayant montré que l'information du public sur un sujet d'intérêt général constituait le principal but légitime attestant de la bonne foi : B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 487.

397 CEDH, 7 nov. 2006, Mamère c/ France, n°12697/03, §47.

398 Rappelons encore, cette fameuse formule employée par l'avocat creusois Dareau, au XVIIIe siècle : « De tous les biens, le plus précieux à soigner est, sans contredit, celui d'une bonne réputation » (F. Dareau, Traité des injures dans l'ordre judiciaire, 1777, Discours préliminaire, p. vij)

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plus précise de ce qu'implique cette notion d'« intérêt général » en matière d'information serait probablement la bienvenue.

Toujours est-il que ce débat des faits justificatifs - dont nous venons de voir que la loi du 29 juillet 1881, à elle seule, permet largement d'alimenter - constitue un outil d'expansion supplémentaire pour la liberté d'expression qui ne cesse de conquérir de nouveaux territoires. En l'espèce, celui de l'honneur, de la considération, dont la protection semble de moins en moins absolue. D'ailleurs, ce constat d'expansion semble se perpétuer dans d'autres domaines, restreignant toujours d'avantage la menace que peut susciter la responsabilité civile.

Section 2 : Les autres faits justificatifs limitant la portée de la responsabilité civile

176. Outre la loi 29 juillet 1881, on a vu que d'autres fondements légaux sont susceptibles d'engager la responsabilité civile des auteurs d'abus de la liberté d'expression. Selon la nature des faits poursuivis, la victime agira tantôt sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, tantôt sur ceux que constituent les articles 9 et 9-1.

177. Toutefois la faute, bien qu'accueillie dans son principe, encore faut-il qu'elle n'intervienne pas dans des circonstances de nature à la justifier. En effet, encore une fois, nous verrons que le débat des faits justificatifs est ici bien présent. Nombreux sont les cas où les « responsabilités civiles spéciales » découlant des articles 9 et 9-1 du Code civil seront évincées par l'effet neutralisateur des faits justificatifs (Paragraphe 2). En revanche, pour ce qui est de la responsabilité civile de droit commun, les choses sont moins claires. Les situations dégagées par la jurisprudence paraissent d'avantage procéder d'un recul du seuil de la faute que de la mise en place d'un système de justification à proprement dit399. Pour autant la finalité demeure la même : repousser les frontières de la liberté d'expression (Paragraphe 1).

Paragraphe 1 : La polémique et l'humour, instruments de recul du seuil de la faute

178. Un propos a priori constitutif d'un abus de la liberté d'expression au sens de l'article 1382 du Code civil, en raison des circonstances de sa publication, bénéficiera

399 Cela s'explique essentiellement par l'extrême malléabilité de la faute et par la capacité des juges à en profiter pour au gré des espèces, reculer le seuil de l'illicite de sorte que l'intervention d'un fait justificatif soit inutile : V. B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 735.

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parfois d'un surcroit de tolérance se traduisant en droit par un rehaussement du seuil de l'illicite. En témoignent, ces exemples frappants que constituent la polémique (A) et l'humour (B) et pouvant tous deux constituer de formidables échappatoires de responsabilité.

A. La polémique comme justificatif de la critique abusive

179. Comme nous l'avons vu précédemment, si la critique repose sur un principe de liberté - car faisant partie intégrante de la liberté d'expression - celle-ci connaît des limites. La critique sera considérée comme abusive - et donc passible d'une condamnation au regard de l'article 1382 du Code civil - dès l'instant où sera caractérisée l'intention de nuire de son auteur. Dans cette hypothèse, dite de « dénigrement », la victime pourra en principe légitimement prétendre à l'allocation de dommages et intérêts.

180. Pourtant, il semblerait que la jurisprudence, lorsque le jugement critique - bien qu'abusif - s'insère dans un contexte de polémique publique, fasse preuve de clémence à l'égard du dénigreur. L'idée est que la critique abusive, dès lors que celle-ci s'insère dans un débat relatif à une polémique où sont en jeu des questions relevant de l'intérêt public, devient tolérée au nom du droit à l'information400. Dès lors, malgré le préjudice - généralement patrimonial401 - ressenti par la victime, celle-ci sera dans l'impossibilité d'engager la responsabilité civile du dénigreur.

On retrouve d'une certaine manière le critère justificatif de l'« intérêt général » évoqué précédemment en matière de bonne foi. D'ailleurs, des affaires plus récentes nous montrent qu'au-delà de l'idée de polémique, c'est plus largement le « contexte d'intérêt général » dans lequel s'insère le propos dénigrant qui permet de le rendre licite402. L'idée étant ici, que la liberté d'expression, dès lors que celle-ci contribue à servir l'intérêt général, voit ses frontières repoussées et donc concomitamment, s'ensuit un rehaussement du seuil de la faute.

400 Statuant ainsi : Civ. 2e, 16 juin 2005 : D. 2005, p. 2916, note E. Agostini ; Civ. 2e, 7 juil. 1993 : Bull. civ.II, n°252.

401 En effet, nous l'avons vu, le contentieux du dénigrement - sanctionné sur le fondement de l'article 1382 - concerne essentiellement les critiques abusives érigées envers les produits et services, et génératrices donc de préjudices majoritairement patrimoniaux.

402 En effet, dans diverses affaires où des associations étaient poursuivies pour critique abusive envers les produits sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, les juges ont considéré que les campagnes de dénigrement menées par celles-ci, entrant dans leur objet social et poursuivant un but légitime car d' « intérêt général », étaient insusceptibles d'engager leur responsabilité civile : V. en ce sens, Com., 8 avr. 2008 : RTDciv. 2008, p. 487, note P. Jourdain (Aff. Esso c/ Greenpeace) ; Civ. 2e, 19 oct. 2006 : Bull. civ.II, n°282 ; Civ. 1e, 8 avr. 2008 : Bull. civ.I, n°104 (Aff. Aréva c/ Greenpeace).

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Un phénomène similaire peut être mis en exergue dans un autre domaine de la liberté d'expression qui à sa manière, participe aussi à l'intérêt général à savoir, l'expression satyrique.

B. L'exutoire offert par l'expression satyrique

181. « Le rire est le propre de l'homme » disait Aristote403. On se tord, on s'esclaffe, on éclate de rire. Les qualificatifs illustrant la dimension souvent incontrôlable de ce phénomène physiologique404 ne manquent pas. Mais l'homme peut-il rire de tout ? Cette question sonne comme une vielle rengaine. Elle trouve son essence dans toute l'ambigüité que peut parfois susciter le rire. Car les sujets du rire font rarement l'unanimité. Ce qui fait rire l'un ne fait pas toujours rire l'autre, de même que ce qui fait rire aujourd'hui ne fera pas nécessairement rire demain. Or, une chose est sûre, dans notre droit positif, tout comme dans la vie de tous les jours, le rire, le pastiche, la caricature, possèdent un extraordinaire pouvoir de dédramatisation permettant ainsi de repousser le seuil du « moralement correct ». Qui n'a pas été confronté un jour, à une raillerie blessante d'un ami proche suivie d'un banal « ça va, je plaisantais ! » ? Il s'agit là d'un exemple type de la vertu justificative de l'humour se traduisant en droit par un rehaussement du seuil de la faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur.

182. En l'absence de dispositions légales405 permettant de préciser les contraintes juridiques encadrant le droit à l'humour, c'est au juge qu'est revenu le rôle d'arbitre dans la détermination de la portée de la liberté d'expression accordée à l'humoriste406.

Très tôt, les juridictions françaises firent alors valoir que la satire, en tant que moyen d'expression, devait bénéficier d'une liberté plus importante que celle dont disposaient les autres modes d'expression, car procédant par nature de « l'excès », de la « déformation »407. C'est ainsi que le Tribunal de grande instance de Paris, à l'occasion d'une multitude de procès engagés à l'encontre de Canal plus pour la diffusion de son programme parodique « les Guignols de l'info », a dégagé toute une série de critères

403 Aristote, Des Parties des animaux, Livre III, Chapitre X, p. 673.

404 « Mouvement des zygomatiques, contraction du diaphragme, sonorités plus ou moins bruyantes, le rire mobilise muscles, glandes, viscères, larynx, presque tous les organes dans une sorte de désordre d'ensemble » : S. Manon, « Peut-on rire de tout », Philolog : http://www.philolog.fr/peut-on-rire-de-tout/

405 V. néanmoins, art. L 122-5.4e du Code de la propriété intellectuelle.

406 C. Bigot, « Les limites de l'humour », JCP 1998, II. 10010

407 TGI Paris, 17 juin 1987 : JCP G. 1998, II. 20957, obs. P. Auvret.

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permettant de définir les contours du droit à l'humour408. Ce même tribunal n'a d'ailleurs pas manqué de rappeler que cette tolérance en la matière était essentiellement justifiée par le fait que « le bouffon » remplissait « une fonction sociale éminente et salutaire » participant ainsi « à sa manière à la défense des libertés »409. Cette formule, à la vue d'un sondage récent réalisé par l'hebdomadaire Marianne, semble d'ailleurs conserver toute sa pertinence410.

Toutefois, c'est véritablement par un arrêt du 12 juillet 2000411 rendu en assemblée plénière, que la jurisprudence a consacré définitivement ce que Patrice Jourdain nommait un peu plus tard « l'effet justificatif de l'humour »412. Dans cette affaire, la responsabilité civile de Canal plus était une fois de plus recherchée à raison de propos tenus par la marionnette incarnant le chef d'entreprise de la société automobile Citroën et constitutifs, selon cette dernière, d'un dénigrement de la marque. La Cour fit alors valoir que les propos en question, s'inscrivant « dans le cadre d'une émission satirique », dès lors qu'ils ne créaient « aucun risque de confusion entre la réalité et l'oeuvre satirique », relevaient de la liberté d'expression. Le raisonnement suivi par celle-ci s'opéra donc en deux temps. Il s'agissait d'une part de rattacher les propos poursuivis à l'exercice satyrique pour ensuite en définir le régime juridique.

183. Cet arrêt, combiné avec les diverses décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Paris évoquées ci-dessus, fait apparaître que l'effet justificatif de l'humour résulte finalement de la combinaison de deux conditions essentielles. Tout d'abord, la satire doit indispensablement être de nature à ne créer aucune confusion entre ce qui relève de la réalité et de la fiction. Dans le cas contraire, la Cour n'hésitera pas à faire tomber les propos litigieux sous le joug de l'article 1382 du Code civil413. Ensuite, la finalité poursuivie par la satire doit indubitablement être le rire de sorte que tout propos humoristique mû par une intention de nuire engagera toujours la responsabilité civile de

408 TGI Paris, 24 janv. 1990 confirmé par CA Paris, 11 mars 1991 : Légipresse n°91, I, p. 49 ; TGI Paris, 16 janv. 1991 : Légipresse n°84, III, p .92 ; TGI Paris, 9 janv. 1992 : Gaz. Pal. 1992, 1, p. 187, obs. P. Bilger.

409 TGI Paris, 24 janv. 1990 préc.

410 En effet, d'après un sondage réalisé par l'hebdomadaire, 72% des français estiment que les humoristes sont « utiles au débat politique et à la démocratie » : E et M. H, « Les humoristes ont-ils trop de pouvoir ? », Marianne, 7 avr. 2012, p. 19.

411 Cass. Ass. Plén. 12 juillet 2000 : Bull. civ. n°7.

412 P. Jourdain, « Vers un droit à la satire opérant comme un fait justificatif et repoussant le seuil de la faute », RTDciv. 2000, p. 845.

413 Condamnant ainsi Canal plus pour l'ambigüité du caractère fictif du message satirique diffusé par l'émission « les Guignols de l'info » : TGI Cusset, 8 juin 2000 : Légipresse n°174. III. 149, obs. P. Bilger.

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son auteur414. Une fois ces deux conditions réunies, l'exception de satire pourra très potentiellement constituer un exutoire de responsabilité civile.

Ce développement atteste donc incontestablement de la mise en place d'un système prétorien de justification tenant à l'expression humoristique en matière de presse. Néanmoins cet « échappatoire » que constitue le droit à la satire doit s'utiliser avec prudence. En tout état de cause, comme le disait Pierre Desproges il semblerait que l'« on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui »415. L'avènement en jurisprudence du concept de dignité humaine comme limite absolue à la liberté d'expression en témoigne416et incite clairement à penser que « la tendance actuelle n'est pas à une conception débridée de ce droit de libre expression, fût-il couvert d'humour »417.

Ces instruments de défense mis à la disposition d'auteurs d'abus de la liberté d'expression, bien que répondant à des circonstances bien spécifiques, contribuent donc une fois de plus à l'épanouissement de la liberté d'expression au prix d'un amenuisement de la responsabilité civile. Et le phénomène ne fait que se développer. Dans des domaines, toujours plus sensibles.

Paragraphe 2 : Les faits justificatifs d'atteintes aux droits de la personnalité

184. En vue d'assouvir encore d'avantage les perspectives d'expansion de la liberté d'expression, la jurisprudence n'a pas hésité à dégager un nombre substantiel de faits justificatifs d'atteintes aux droits de la personnalité. Au premier rang des concernés par ce mouvement de relativisation des attributs de la personne figurent principalement : le droit au respect de la vie privée (A), et celui de l'image (B).

A. Ceux justifiant des atteintes au droit à la vie privée

185. Parmi les circonstances susceptibles d'opérer une justification des atteintes à la vie privée, on dénote trois principales hypothèses.

414 V. en ce sens : TGI Paris, 12 janv. 1993 : Légipresse n°108, I, p. 11 ; Civ. 2e, 13 fév. 1991 : Bull. civ.II, n°51 ; TGI Paris, 9 mars 1987 : Gaz. Pal. 1987, 1, 267.

415 P. Desproges, Les réquisitoires du tribunal des flagrants délires, éd. Seuil, 2003, p. 171.

416 Crim. 20 oct. 1992 : Bull. crim. n°329 ; TGI Paris, 26 fév. 1992, Légipresse n°96, I, p. 121 ; TGI Paris, 11 janv. 1996 et 21 mars 1997, inédits.

417 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 742.

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Tout d'abord, première hypothèse, celle tenant au fait que les éléments révélés sur la vie privée de la victime ont déjà été rendus publics418. Selon la jurisprudence, les propos en question ayant acquis le statut de « faits publics », ont définitivement perdu leur caractère secret et donc, ne peuvent réintégrer le champ de l'interdiction visé par l'article 9 du Code civil419. La Cour européenne a récemment statué en ce sens dans une affaire où étaient en question des révélations ayant trait à la vie privée du chanteur Johnny Hallyday, celle-ci ayant estimé que la redivulgation d'informations déjà rendues publiques par le chanteur sur la gestion de ses biens et de son argent, ne lui conférait plus l'« espérance légitime » de voir sa vie privée effectivement protégée420. Mais attention, la complaisance dont aurait pu faire preuve la victime en révélant certains aspects de sa vie privée ne lui interdit pas pour autant de prétendre à la protection d'autres éléments à caractère personnel au titre de l'article 9 du Code civil421.

Ensuite, s'il est bien un fait justificatif classique en droit de la presse permettant de légitimer des abus de la liberté d'expression - et en l'espèce des atteintes à la vie privée - c'est bien celui que constitue le droit du public à l'information. Couplé avec l'argument tenant à la notoriété publique de la personne se plaignant d'une atteinte à la vie privée, ce droit à l'information peut s'avérer être un formidable outil de défense. Bien entendu, le principe demeure celui selon lequel « toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée »422. Toutefois, celui-ci est loin d'être absolu. En attestent, les multiples décisions rendues par nos juridictions internes admettant allègrement que certains faits et gestes de personnes à notoriété publique soient révélés librement au nom du droit à l'information. Il ne faut pas pour autant en déduire que les intéressés seront privés de la protection offerte par l'article 9 du Code civil. Tout au plus, les limites à cette protection seront appréciées plus largement. Ainsi, la vie privée de ces derniers pourra pour les besoins de l'actualité, de l'intérêt général - et donc sous couvert du droit du public à l'information - plus facilement être dévoilée423. Par exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 27

418 C. Bigot, « Droits de la personnalité : panorama 2004-2005 », Recueil Dalloz 2005, n°38, p. 2647.

419 Statuant en ce sens : Civ. 1e, 2 avr. 2002 : LPA, 6 mai 2002, p. 16, note E. Derieux ; Civ. 2e, 3 juin 2004 : Bull. civ.II, n°272, p. 231 ; Civ. 1e, 23 avr. 2003 : D. 2003, jurisp. p. 1854, note C. Bigot.

420 CEDH, 23 juillet 2009, Hachette Filipacchi Associés c/ France, n°12268/03, §53.

421 CA Paris, 27 fév. 1967 : D. 1967, p. 450, note J. Foulon- Piganiol.

422 Civ. 1e, 23 oct. 1990 : Bull. civ.n°222

423 V. illustrant ce propos : CEDH, 7 fév. 2012, Axel Springer c/ Allemagne, n°39954/08, où la Cour de Strasbourg, ayant estimé que l'acteur qui se revendiquait victime d'une atteinte à sa vie privée était suffisamment connu pour être qualifié de « personnage public », jugea que cet élément était de nature à renforcer le droit du public à l'information sur les circonstances de son arrestation.

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février 2007 où étaient poursuivis des propos révélant la paternité hors-mariage du Prince Albert de Monaco, a estimé que ceux-ci, faisant état d'un « fait d'actualité » relatif à une personne publique, participaient d'un but légitime d'information du public424.

Enfin, la troisième hypothèse dans laquelle on peut réellement parler d'exception d'atteinte au droit au respect de la vie privée est celle du décès de la personne objet de l'atteinte. En effet, il est acquis en jurisprudence que la protection offerte par l'article 9 est personnelle et disparaît avec le décès de l'intéressé425. Aucune action en réparation des héritiers ne sera donc admise sur ce fondement, celle-ci étant « intransmissible »426. Tout au plus, ces derniers pourront intenter une action en réparation pour atteinte à leurs sentiments d'affliction.

On peut donc remarquer que les situations permettant de justifier les ingérences de la liberté d'expression dans la vie privée des gens - au plus grand plaisir des adeptes d'indiscrétions de presse - sont relativement développées. Ce phénomène, témoignant d'une forme de relativisation du droit au respect de la vie privée, est d'ailleurs accentué par le développement fracassant des exceptions au droit à l'image.

B. Ceux justifiant des atteintes au droit à l'image

186. Nous avons vu précédemment qu'en référence à l'article 9 du Code civil, les tribunaux continuent, encore aujourd'hui, de juger que toute personne dispose « d'un droit exclusif, qui lui permet de s'opposer à la reproduction de son image, sans son autorisation préalable »427. Cependant, à la vue de la multiplication des cas justifiant des atteintes au droit à l'image par voie de presse, l'absolutisme apparent de ce droit semble clairement ressortir ébranlé de sa confrontation au principe de liberté d'expression.

Encore une fois, l'une des premières causes du phénomène de relativisation que connaît le droit à l'image est sans conteste celle que constitue le droit du public à l'information428. C'est avec l'arrêt Foca du 6 février 1996, que la Cour de cassation a pour la première fois autorisé la diffusion d'une image sans le consentement de l'intéressé, estimant que le droit à l'image devait s'incliner face aux exigences d'information du

424 Civ. 1e, 27 fév. 2007 : Bull. civ. n° 85, p.73.

425 « Le droit d'agir pour le respect de la vie privée s'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit ». Telle fût la formule utilisée par la Cour de cassation pour débouter les héritiers de François Mitterrand en leur demande de réparation du préjudice d'atteinte à leur vie privée causé par la publication du livre Le Grand secret : Civ. 1e, 14 déc. 1999 : Bull. civ.n°345.

426 Civ. 1e, 20 nov. 2003 : Bull. civ.II, n°354.

427 V. encore en ce sens récemment : TGI Paris, 9 juin 2010 : Légipresse 2010. 374, note C. Mas.

428 C. Bigot, « La liberté de l'image entre son passé et son avenir », Légipresse n°182, II, p. 68 et s.

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public lorsqu'est en cause un événement d'actualité429. Mais, semblant vouloir chercher à renforcer la légitimité d'une telle position, en plus de l'alibi du droit à l'information, la Cour exige aussi depuis peu, la démonstration d'un lien entre l'information traitée et l'image publiée430. Autrement dit, celle-ci impose que l'illustration par l'image d'un sujet d'actualité participant à l'information du public soit en « lien direct » avec ce dernier. Par exemple, dans l'affaire dite de l'église St. Bernard, une photographie d'un fonctionnaire de police procédant à l'expulsion d'occupants du lieu de culte avait été publiée en guise d'illustration sur des tracts appelant à manifester. Le policier, faisant valoir que son droit à l'image avait été violé, s'est vu débouté en sa demande de réparation, la Cour de cassation faisant valoir que d'une part, l'image participait d'un sujet d'actualité et donc du droit à l'information et d'autre, que celle-ci était « en relation directe avec l'événement » illustré431. Deux conditions donc, permettant de légitimer l'atteinte portée au droit à l'image, sous couvert du droit du public à l'information.

Ensuite, l'autre fait de nature à relativiser la protection offerte par le droit à l'image est celui tenant au caractère public du lieu de sa fixation. En effet, s'il est acquis en jurisprudence qu'une image volée d'une personne prise dans un lieu privé - que cette dernière soit anonyme ou célèbre - est condamnable, soit au regard du droit au respect de la vie privée, soit au regard du droit à l'image, il en va autrement lorsque celle-ci est captée dans un lieu public432. Comme le souligne le Tribunal de grande instance de Paris, « le spectacle qu'offrent les lieux publics ne saurait être nécessairement subordonné à l'accord de chacune des personnes s'y trouvant, sous peine d'interdire toute prise de vue »433. Pour autant, le fait qu'une personne intéressant l'actualité se trouve dans un lieu public ne confère pas tous les droits au photographe434. D'ailleurs les décisions rendues en la matière peuvent parfois être décriées tant la notion même de lieu public peut parfois prêter à discussion435. On comprend donc qu'il revient à la jurisprudence, par une pesée

429 Civ. 1e, 6 fév. 1996 : D. 1997, somm. p. 85, obs. Hassler.

430 C. Bigot, « Le nouveau régime du droit à l'image : le test en deux étapes », Dalloz, 2004, comm. p. 2596.

431 Civ. 1e, 20 fév. 2001 : Légipresse n°180. III, p. 53, 2001, note E. Derieux ; aussi, Civ. 2e, 11 déc. 2003 : Comm. com. électr., mars 2004, p. 40.

432 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p. 432.

433 TGI Paris, 2 avr. 1997 : Légipresse n°147. I, p. 148.

434 V. CA Paris, 16 juin 1986 : D. 1987, somm. p. 136 : « la circonstance qu'une personne intéressant l'actualité se trouve dans un lieu public ne peut être interprétée comme une renonciation à se prévaloir du droit que chacun a sur son image, ni entraîner une présomption d'autorisation ».

435 Ainsi, de la photographie prise de membres de la famille princière de Monaco suivant le grand prix automobile d'un balcon : le tribunal de grande instance de Paris ayant estimé que le balcon en question n'équivalait « pas à une loge officielle, mais au balcon d'un appartement privé » : TGI Paris, 13 mars 1996, inédit.

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des intérêts en présence, de procéder au cas par cas pour trancher ce type de litiges. Mais en tout état de cause, il est de principe que le « droit exclusif et absolu » dont dispose toute personne sur son image « trouve ses limites lorsque les photographies sont prises dans le cadre d'évènements ou de manifestations se déroulant dans des lieux publics »436.

Enfin, apparu depuis peu en jurisprudence, la « liberté de création artistique » peut désormais être ajoutée à la liste des circonstances participant à l'affaiblissement de la protection civile offerte par le droit à l'image. C'est en effet depuis un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 2 juin 2004, qu'a été inauguré ce mouvement de justification des atteintes portées au droit à l'image. Dans cette affaire, était en cause la publication d'une photographie d'une personne assise dans le métro. Le tribunal, mettant en avant que l'image litigieuse participait d'un témoignage sociologique et artistique ayant trait au comportement humain, a décidé de légitimer l'atteinte437. D'autres décisions ont depuis été rendues en ce sens438. Un nouveau pas semble donc avoir été franchi en faveur de la liberté d'expression.

187. Néanmoins, s'il est une limite dont la liberté d'expression ne peut en aucun cas s'affranchir - et cela, fût-ce sous couvert d'humour, du droit du public à l'information ou autre439 - c'est la dignité de la personne humaine. En effet, depuis un certain nombre d'années, cette notion semble clairement s'ériger en limite absolue au principe de liberté d'expression dont disposent les médias. Cela est particulièrement flagrant dans le domaine de l'image où la jurisprudence n'hésite pas à sanctionner la diffusion de photographies jugées indécentes à l'égard des intéressés440. Il semblerait donc que la liberté d'expression se trouvera toujours, quelles que soient les circonstances, supplantée par le droit dont

436 CA Versailles, 7 déc. 2000 : Légipresse n°179. III, p. 35 ; aussi dans ce sens, CA Versailles, 31 janv. 2002 : D. 2003, somm. p. 1533, note Caron.

437 TGI Paris, 2 juin 2004 : Légipresse n°213. I, p. 99.

438 TGI Paris, 21 nov. 2005 : Légipresse n°229. I. p. 24 ; TGI Paris, 9 mai 2007 : Légipresse n°246. III, p. 234.

439 Sont visés ici, tous les faits justificatifs étudiés au sein de ce chapitre et participant à l'amoindrissement des perspectives d'aboutissement des actions en responsabilité civile.

440 Les exemples dans lesquels l'atteinte à la dignité de la personne humaine a été retenue sont divers et variés : ainsi, de la diffusion de la photographie du corps du préfet Claude Érignac gisant sur la chaussée (Civ. 1e, 20 déc. 2000 : JCP G, 14 mars 2001, II, 10488) ; ainsi, de l'image du comédien Jean Paul Belmondo, le représentant sur une civière suite à un accident vasculaire (CA Versailles, 14 mars 2007 : Légipresse n°240, I, p. 44) ; ainsi, de l'image publicitaire illustrant un corps humain fractionné et tatoué des lettres HIV (CA Paris, 28 mai 1996 : D. 1996, p. 617, note B. Edelman).

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dispose tout un chacun de voir respecter sa dignité441. Toutefois, il convient de relativiser l'impact d'une telle limite. Si l'on peut se réjouir de son application en jurisprudence - la dignité humaine étant un droit de la personnalité des plus essentiels442 - il n'en demeure pas moins qu'en pratique, la majorité des abus ne franchiront pas le pas d'une telle atteinte et pourront donc potentiellement bénéficier des exutoires de responsabilité façonnés par les juges.

Une formule bien connue de Victor Hugo affirme que « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité »443. Ce chapitre contribue nettement à douter de l'absolutisme d'un tel propos. En effet, l'essor accordé par les juges à la liberté d'expression ne paraît pas vraiment s'accompagner d'un renforcement des perspectives de mise en oeuvre de la responsabilité civile des médias. Bien au contraire, il semblerait que les cas d'impunité se multiplient à mesure que la liberté d'expression elle, gagne du terrain.

Une chose demeure néanmoins certaine pour la victime. À défaut de pouvoir être assurée du succès de ses prétentions, tant les possibilités de se voir débouter en ses demandes sont nombreuses, tant la liberté d'expression semble peser lourd dans la balance des intérêts en présence, celle-ci aura toujours la faculté d'user d'une des spécificités majeure du droit de la presse : le droit de réponse.

441 En effet, nul doute que si l'argument de la dignité humaine est en mesure d'empêcher la diffusion d'images litigieuses, il en sera de même pour les espèces où seront en cause des propos attentatoires à la vie privée, à l'honneur ou à la considération, quand bien même ceux-ci verseraient dans l'humour, ou bien relèveraient d'un fait d'actualité. Par exemple eu égard à l'effet justificatif de l'humour, deux jugements du tribunal de grande instance de Paris ont pu faire valoir que « s'il est exact que le contexte d'une publication humoristique conduit, en règle générale, à une appréciation bienveillante des principes qui gouvernent la liberté d'expression, ce ne peut être que dans les limites du respect de la personne humaine et de sa dignité la plus élémentaire » : TGI Paris, 11 janv. 1996 et 21 mars 1997, inédits.

442 La dignité est le principe juridique premier si l'on en croit la place qui lui est conférée au sein de la Charte des droits fondamentaux de Nice du 7 décembre 2000 (article 1er du chapitre préliminaire).

443 Victor Hugo, Paris et Rome, XII, éd. Lévy, 1876.

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Chapitre 2 : Le droit de réponse, ultime garantie face à la liberté d'expression

188. La victime d'un abus de la liberté d'expression commis par voie de presse trouvera très probablement un certain réconfort lorsqu'elle découvrira chez son avocat, qu'à défaut de pouvoir s'assurer d'obtenir gain de cause à son procès, un droit de réponse aux propos litigieux lui est conféré par la loi. Ainsi, plutôt que d'intenter une action en justice à l'issue incertaine, celle-ci préfèrera parfois s'en tenir à ce moyen de riposte444. « Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras : l'un est sûr, l'autre ne l'est pas »445.

189. Le droit de réponse confère la faculté à toute personne nommée ou désignée par une publication de presse d'exprimer son point de vue dans les pages d'un journal, à l'antenne d'une radio, d'une télévision ou encore sur internet446. Il importe donc peu que la demande de réponse intervienne à la suite d'un propos jugé fautif, puisque celle-ci pourra indifféremment être admise, tant pour des propos dénigrants, injurieux, diffamatoires, que pour des propos bienveillants voire élogieux.

190. Ce droit fait l'objet d'un traitement particulier dans notre sujet car nous verrons qu'il constitue un moyen supplémentaire d'engager la responsabilité civile des organes de presse. De surcroit, de façon quelque peu subliminale certes, il semblerait que la réponse renvoie implicitement au concept de réparation tel que conçu en matière de responsabilité civile. En effet, le droit de réponse offre d'une certaine manière un moyen pour la victime de se replacer dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant la publication du propos litigieux447. Il apparait donc d'autant plus intéressant de se pencher sur l'étude d'un tel mécanisme448.

444 Un ancien article du journal Libération, dénonçant certaines pratiques abusives dans l'usage du droit de réponse, illustre parfaitement ce propos : « Écrivez que le Front national est «raciste», il ne poursuivra pas pour diffamation, mais exigera un droit de réponse. Autant il est difficile au Front national de prouver qu'il n'est pas «raciste». Car s'affronteraient alors à la barre des témoignages et des offres de preuve risquant fort de finir en déroute judiciaire. Autant la procédure rapide du droit de réponse lui permet de s'offrir, à peu de frais, une demi-page de tribune libre ». (D. Simmonot, Le droit de réponse : un droit à consommer avec modération », Libération, 11 juin 1996).

445 Jean de La Fontaine, Le poisson et le pêcheur in Les fables du poisson, V, éd. Le capucin, 2006.

446 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p. 419.

447 Civ. 2e, 1er avr. 1963, préc. : « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ».

448 On se contentera d'évoquer l'existence, en sus du droit de réponse, d'un droit de rectification offert aux dépositaires de l'autorité publique et leur permettant de pouvoir rectifier « des actes de leur fonction qui ont été inexactement rapportés » dans un journal ou écrit périodique (art. 12 Loi du 29 juillet 1881).

191.

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Le droit de réponse - initialement prévu pour répondre aux propos diffusés par la presse écrite - compte tenu de l'apparition des nouvelles formes de communication au public par voie électronique449, a fait l'objet de certains remaniements dont les effets se traduisent par un régime juridique relativement hétérogène (Section 1). Pour autant, quel que soit le média concerné par la réponse, celle-ci participe d'un même besoin de rompre avec l'unilatéralisme de la diffusion des messages450. Un tel contre-pouvoir devait naturellement rencontrer certaines limites (Section 2).

Section 1 : Le régime juridique disparate du droit de réponse

192. En raison des spécificités techniques propres aux moyens de communication contemporains, le droit de réponse tel qu'il fut initialement conçu par la loi du 29 juillet 1881, a quelque peu perdu de son harmonie (Paragraphe 1). Mais une chose demeure, et ce depuis sa création. Indépendamment du support concerné, son non-respect rendra toujours possible la mise en oeuvre de la responsabilité civile du directeur de publication (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La réponse confrontée à la diversité des supports de presse

193. Si le droit de réponse figurait déjà depuis 1881 dans le domaine de la presse écrite - au sein de l'article 13 de la loi sur la liberté de la presse - ce n'est qu'un siècle plus tard que le législateur prendra le soin de l'étendre en matière audiovisuelle (art. 6 loi du 29 juillet 1982). Ce droit ne pénètrera la sphère internet qu'à compter du deuxième millénaire grâce à la loi sur la confiance dans l'économie numérique (art. 6-IV LCEN du 21 juin 2004).

194. À la lecture des différents articles ci-dessus recensés, on remarque d'emblée que les conditions d'ouverture du droit de réponse varient selon le support concerné.

Tout d'abord, il résulte de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 que seules les publications provenant de « journaux ou écrits périodiques » pourront justifier la mise en oeuvre d'un tel droit. Il convient dès lors de souligner l'importance de cette condition de

449 La notion de « communication au public par voie électronique » regroupe à la fois la « communication audiovisuelle » (encadrée par la Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 concernant essentiellement les médias que constituent la radio et la télévision) et la « communication au public en ligne » (Loi LCEN n°2004-575 du 21 juin 2004 concernant l'internet).

450 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 75.

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« périodicité » qui d'ores et déjà, a vocation à exclure toute forme d'écrits non périodiques type livres, affiches, tracts et autres. L'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 lui, prévoit un droit de réponse « dans le cadre d'une activité de communication audiovisuelle ». Mais une loi du 30 septembre 1986 ajoute là encore l'exigence de périodicité de l'émission (de télévision, de radio) propagatrice des propos litigieux. Enfin, depuis un décret du 24 octobre 2007, le droit de réponse consacré en matière de presse en ligne par l'article 6-IV de la loi du 21 juin 2004 est exclu, dès lors que « les utilisateurs sont en mesure (É) de formuler directement les observations qu'appelle de leur part un message qui les met en cause »451. Autrement dit, ne sont pas concernés par le droit de réponse, les sites fonctionnant sur la base d'un système d'interaction entre internautes.

195. Une fois la question tenant à savoir si les propos litigieux peuvent donner lieu à l'insertion d'une réponse résolue, se pose celle de la détermination des titulaires d'un tel droit.

Pour ce qui est de la presse écrite et de la presse en ligne tout d'abord, la loi prévoit que le droit de réponse bénéficie à toute personne « nommée ou désignée » dans le « journal ou écrit périodique» ou dans le « service de communication au public en ligne ». Ce droit est donc personnel car il concerne la seule personne - physique ou morale452 - mise en cause dans les propos litigieux453. Par ailleurs, il importe peu que les propos en question soient nuisibles.

En ce qui concerne la presse audiovisuelle en revanche - et c'est là un point essentiel de divergence avec le régime imparti aux autres médias - le droit de réponse ne bénéficie qu'aux personnes ayant fait l'objet d'« imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation »454. Sa mise en oeuvre est subordonnée à l'existence d'une attaque. Les perspectives de réponse seront donc moins larges pour ce média car la

451 Décret n°2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne.

452 Ainsi du droit de réponse exercé par une commune : Crim. 6 nov. 1956 : Bull. crim. n°172.

453 La loi du 29 juillet 1881 déroge néanmoins à la règle dans les deux cas que constituent d'une part, le droit de réponse des héritiers (l'article 34 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 met en place un droit de réponse spécifique ouvert aux héritiers de personnes défuntes faisant l'objet d'imputations diffamatoires ou injurieuses permettant d'une certaine manière de compenser les difficultés que ces derniers connaissent pour obtenir réparation : V. Supra n°96 et s.) et d'autre, le droit de réponse des associations (l'article 13-1 de la loi du 29 juillet 1881 accorde un droit de réponse spécifique aux associations participant à la lutte contre le racisme et la xénophobie).

454 Loi du 29 juillet 1982, art. 6. I al. 1er.

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personne mise en cause se verra non seulement dans l'obligation de démontrer l'existence d'imputations455, mais aussi, d'un préjudice.

On a donc un droit de réponse dont les conditions d'ouverture sont relativement changeantes selon le support concerné456. Si en matière de presse en ligne, sa mise en oeuvre répond à des exigences quasi-similaires que celles fixées pour la presse écrite, les médias audiovisuels eux, s'en éloignent, et bénéficient indéniablement d'un régime de faveur. Il n'en demeure pas moins que lorsque l'ensemble des conditions en question seront satisfaites, quel que soit le support concerné, le directeur de publication sera tenu à son obligation d'insertion qui, en cas d'inexécution, sera sanctionnée.

Paragraphe 2 : Les conséquences du non-respect du droit de réponse

196. Le droit de réponse a priori admis, le directeur de publication se trouvera débiteur d'une obligation de faire : insérer la réponse. Sauf motif légitime457, le manquement à cette obligation ouvre droit au demandeur à l'exercice d'une action civile en réparation pour refus d'insertion de la réponse.

197. Cette action doit, en matière de presse écrite, s'exercer devant le tribunal de grande instance dans un délai de trois mois à compter de la date de publication du périodique ayant permis la diffusion du message litigieux458. Ce délai est réduit à vingt-quatre heures en période électorale. En revanche, pour ce qui est de la presse audiovisuelle et de la presse en ligne, la loi ne prévoyant aucune disposition à ce sujet, c'est le délai de droit commun qui s'appliquera.

198. Néanmoins il incombe de préciser que d'une manière générale - plutôt que d'engager un procès au fond dont la lenteur fera nécessairement perdre au jugement d'insertion son intérêt - les demandeurs saisiront le juge des référés. L'idée sera d'obtenir sous astreinte une injonction de publication de la réponse en faisant valoir l'existence d'un

455 La jurisprudence a néanmoins pu admettre que de simples insinuations puissent suffire à ouvrir le droit de réponse : Civ. 2e, 10 juillet 1996 : Bull. civ.II. n°210 ; CA Versailles, 18 mars 1994 : Gaz. Pal. 1994, somm. p. 600.

456 E. Derieux, « Droit de réponse : incertitudes, et diversités des régimes actuels », Légipresse n°184, II, p. 99.

457 Les motifs légitimes de refus sont nombreux. Il peut s'agir par exemple, du fait que la réponse soit sans rapport avec le message diffusé (Crim. 16 janv. 1996 : Bull. crim. n°26) ; du fait que la réponse porte atteinte aux intérêts d'un tiers identifié ou identifiable (Crim. 10 mars 1938 : Bull. crim. n°71) ; du fait que le directeur de publication ait procédé à une suppression ou une rectification du message litigieux dans les trois jours suivant la réception de la demande d'insertion (Art. 5 du décret n° 2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne) ; du fait, d'une manière plus générale, qu'il en soit fait un usage abusif (V. Infra 203 n° et s.)

458 V. Art. 65 Loi du 29 juillet 1881.

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« trouble manifestement illicite ». Le recours au juge des référés est d'ailleurs expressément prévu en matière audiovisuelle au sein de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982. Ce dernier dispose en effet qu'« en cas de refus ou de silence gardé sur la demande par son destinataire dans les huit jours suivant celui de la réception, le demandeur peut saisir le président du Tribunal de grande instance, statuant en matière de référé ».

199. En plus de l'action civile en réparation du refus d'insertion, il incombe de préciser que le demandeur pourra aussi agir devant le juge répressif en vue d'engager la responsabilité pénale du directeur de publication. En effet, depuis une loi du 4 janvier 1993459, en matière de presse écrite comme de presse en ligne, le refus d'insertion injustifié est passible d'une peine d'amende de 3 750 euros. Il s'agit là encore d'une étrange différence de traitement avec la presse audiovisuelle pour qui le refus d'insertion est insusceptible d'entrainer une quelconque répression pénale.

On observe donc que le régime juridique du droit de réponse obéit à des règles relativement différentes selon le support de presse concerné. D'ailleurs, sans que cela soit vraiment justifié, on a pu voir que les médias audiovisuels - tant sur les questions tenant à la mise en oeuvre du droit de réponse, que celles tenant à sa sanction - disposaient d'un régime plus favorable que celui imparti à la presse en ligne et à la presse écrite. Mais une chose est sûre : le directeur de publication se verra toujours confronté à la menace d'une éventuelle action en responsabilité civile en cas de violation de ce droit et ce, indépendamment de la nature du média qu'il dirige.

Toujours est-il que le droit de réponse, « général et absolu »460, véritable outil de rectification, de contradiction, pour qui contesterait la justesse des propos diffusés à son égard, n'est pas sans connaitre l'existence d'un certain nombre de limites.

Section 2 : Les limites apportées au droit de réponse

200. Le droit de réponse connait toute une série de limites plus ou moins objectives destinées à accompagner son exercice. Elles correspondent à des frontières légales et jurisprudentielles de contenu, de longueur et de délais, qui ont d'ailleurs souvent été perçues comme allant dans le sens du caractère absolu qui lui est conféré461.

459 Loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale.

460 Crim. 12 juillet 1884 : DP 1986, 1, jurisp. p. 47.

461 Y. Mayaud, « L'abus de droit en matière de droit de réponse », in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997.

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Tant sur la forme (Paragraphe 1) que sur le fond (Paragraphe 2), des règles ont donc été fixées en vue de faire de la réponse un droit subjectif à part entière, avec une portée, et des limites.

Paragraphe 1 : Les règles de forme encadrant la demande de réponse

201. Ces règles de forme sont essentiellement d'origine légale. Elles visent non seulement à règlementer l'exposé de la demande, mais aussi, les délais de sa mise en oeuvre.

Eu égard aux modalités d'exercice de la demande de réponse tout d'abord, il convient de préciser que quel que soit le média concerné, le destinataire de la demande sera par principe, le directeur de publication462. Pratiquement, il appartiendra donc au demandeur d'adresser une lettre au siège social de l'organe de presse en question463. Cette demande s'opère par voie de lettre simple en matière de presse écrite. En revanche, une lettre avec accusé de réception est exigée dans l'audiovisuel et l'internet. Mais encore une fois, cette lettre n'entrainera aucune obligation d'insertion si elle est adressée à une autre personne que le directeur de publication464.

Le délai accordé à l'exercice de la demande a été harmonisé à trois mois pour tous les supports de presse par la « loi Guigou » du 15 juin 2000465. Ce délai a pour point de départ de principe la mise à disposition au public du message litigieux mais une incertitude demeure quant à la question de savoir si celui-ci court à compter de la date d'envoi ou de la réception de la réponse. Une jurisprudence serait donc ici la bienvenue.

En ce qui concerne le contenu de la demande, si l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 ne prévoit rien sur ce point, il en est autrement pour les textes régissant les services de communication au public par voie électronique. En effet, s'agissant de l'audiovisuel tout d'abord, l'article 6-I alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1982 dispose que le demandeur doit « préciser les imputations sur lesquelles il souhaite répondre et la teneur de la

462 Il existe toutefois des cas dans lesquels le directeur de publication aura conservé l'anonymat. On pense en effet à la presse en ligne ou de nombreux internautes éditant à titre non-professionnel diffusent des messages mettant en cause des personnes sans se soucier des éventuelles répercussions de leurs publications. Ë ce titre, l'article 6 du décret du 24 octobre 2007 prévoit que le destinataire de la demande sera le fournisseur d'hébergement chargé de transmettre celle-ci au directeur de la publication dans un délai de vingt-quatre heures.

463 Civ. 1e, 29 avr. 1998 : D. 1998, p. 140.

464 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p. 455.

465 Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 pour la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

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réponse qu'il se propose d'y faire ». Cette exigence, qui ne comporte pas d'équivalent en matière de presse écrite, fait l'objet d'une application stricte en jurisprudence466 et oblige donc le demandeur à redoubler de vigilance dans la formulation de sa demande. Toutefois, en vue de permettre au demandeur d'établir la preuve de ces imputations, un décret du 6 avril 2007467 prévoit l'obligation pour le diffuseur d'enregistrer et de conserver l'émission porteuse du message litigieux pendant une durée minimum de quinze jours à compter de sa diffusion468. En cas de manquement à cette obligation, une peine d'amende de 1 500 euros est prévue à l'encontre du directeur de publication et une action en responsabilité civile pour faute sera bien entendu parallèlement ouverte au demandeur469. S'agissant des services de communication au public en ligne, l'article 2 du décret du 24 octobre 2007 470 prévoit sensiblement les mêmes conditions qu'en matière audiovisuelle en omettant pas d'imposer au demandeur, là encore, d'indiquer les « passages contestés et la teneur de la réponse sollicitée ».

Enfin, dernier point important ayant trait aux règles de forme, celui tenant à la longueur de la réponse. Cette question fait l'objet d'importants détails au sein de l'article 13 de la loi sur la liberté de la presse. Le principe est ainsi posé : en matière de presse écrite, la réponse sera « limitée à la longueur de l'article qui l'aura provoquée ». Or, comme rattrapé par la réalité, ce principe, inapplicable si le texte fait plusieurs pages, le législateur poursuit : « toutefois, elle pourra atteindre cinquante lignes, alors même que cet article serait d'une longueur moindre, et elle ne pourra dépasser deux cents lignes, alors même que cet article serait d'une longueur supérieure ». Enfin, la jurisprudence fait valoir que si le directeur de publication peut légitimement refuser l'insertion d'une réponse trop longue, il ne peut en revanche - sauf accord du mis en cause - la couper ou la corriger, celle-ci étant « indivisible »471. S'agissant de la presse en ligne, des règles quasi-identiques sont prévues au sein du décret du 24 octobre 2007. Mais c'est pour les médias audiovisuels que le législateur a voulu radicalement couper court à la longueur de la réponse. En effet, l'article 6 du décret du 6 avril 1987 dispose que « le texte de la réponse

466 Ainsi d'un demandeur ayant été débouté en sa demande de réponse pour avoir omis de préciser les passages qu'il contestait : TGI Nanterre, 6 avr. 1995 : D. 1997, somm. p. 87.

467 Art. 7 al 1er du décret n°87-246 du 6 avril 1987 relatif à l'exercice du droit de réponse dans les services de communication audiovisuelle. Son alinéa 2 prévoit d'ailleurs que ce délai sera prolongé jusqu'à l'intervention d'une décision définitive en cas de demande d'exercice du droit de réponse.

468 On notera le non-sens que constitue ce délai de quinze jours qui devrait en réalité logiquement se calquer sur celui de trois mois accordé pour la demande de réponse. En effet, nul doute qu'une fois ce délai de 15 jours écoulé, les perspectives de demande seront maigres.

469 Art. 9, décret n°87-246 ibid.

470 Décret n° 2007-1527 du 24 octobre 2007 préc.

471 Crim. 25 juin 2002, n°02-80075, inédit.

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ne peut être supérieur à 30 lignes dactylographiées ». Il ajoute que, lu à l'antenne, la durée du message ne pourra excéder « deux minutes ».

Ces diverses dispositions légales contribuent donc à fixer des limites objectives au droit de réponse. Comme a pu le faire remarquer le Doyen Josserand, cet objectivisme est un moyen « d'écarter les recherches d'intentions » pour permettre au demandeur, à l'intérieur du cadre légal imparti à la réponse, de se mouvoir librement472. Mais la jurisprudence ne comptait pas en rester là. Très tôt, de véritables exigences de fond destinées à encadrer la substance de la réponse ont été adoptées par les juges, contribuant ainsi à alourdir considérablement le contrôle judiciaire de l'exercice de ce droit.

Paragraphe 2 : Les règles de fond encadrant la substance de la réponse

202. En sus de la loi, la jurisprudence, dès la fin du XIXème siècle, a été amenée à déloger le droit de réponse du cadre strict dans lequel la loi l'avait inséré, pour le soumettre à d'autres exigences destinées à déceler les abus substantiels473. En effet, à l'instar de tout droit subjectif, le droit de réponse est emprunt à l'excès, au détournement et donc, à l'hypothèse qu'en soit fait un usage abusif. Dans ce cas précis, les juges admettront systématiquement le refus d'insertion opposé par le directeur de publication.

203. C'est ainsi que l'exercice du droit de réponse - pour ne pas être constitutif d'un abus de droit de nature à constituer un motif légitime de refus d'insertion de la réponse - devra non seulement être conforme aux lois et aux bonnes moeurs, à l'intérêt légitime des tiers et à l'honneur du journaliste, mais aussi, devra avoir un lien direct avec le message litigieux. Quatre critères donc - applicables quel que soit le support de presse considéré - qu'il convient de passer brièvement en revue474.

Eu égard à la limite que constitue la conformité aux lois et aux bonnes moeurs tout d'abord, il semblerait que celle-ci découle naturellement des nécessités d'ordre public. C'est d'ailleurs au regard de ce critère que l'homme politique Bruno Gollnisch s'est récemment vu débouté en sa demande d'insertion de réponse par la Cour d'appel de Paris.

472 L. Josserand, note ss. Civ. 21 mai 1924 : DP 1924,1.97.

473 Y. Mayaud, « L'abus de droit en matière de droit de réponse », in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997, p. 7.

474 Les jurisprudences ayant repris ces quatre critères sont nombreuses et éparses : V. not. Crim. 17 juin 1898 : DP. 1899, 1. 289 ; Crim. 10 mars 1938 : Bull. crim. n°71 ; Crim. 1er juil. 1954 : D. 1954. 665 ; Crim. 16 janv. 1969 : Bull. crim. n°36 ; CA Grenoble, 3 oct. 1995 : JCP 1996. IV. 715 ;

119

En effet, les juges du fond, estimant que la réponse contenait des « considérations heurtant l'ordre public » 475, ont légitimé le refus d'insertion de la réponse.

Ensuite, concernant les critères visant à ménager l'intérêt des tiers et l'honneur du journaliste, ceux-ci semblent - conformément à l'esprit des droits subjectifs 476 - promouvoir l'idée selon laquelle l'exercice du droit de réponse ne peut empiéter sur les droits d'autrui. C'est pourquoi par exemple, la jurisprudence a pu sans hésitation refuser la diffusion d'une réponse reprochant à un tiers d'être un « âne savant »477, ou accusant un journaliste d'avoir écrit un « tissu de mensonges »478.

Enfin, s'agissant du critère de corrélation entre la réponse et le message litigieux, il semblerait que l'idée soit essentiellement de lutter contre les réponses détournées en « tribunes libres » et destinées à promouvoir ses propres théories479. Un arrêt récent, rendu par la Cour d'appel de Douai, illustre parfaitement cette volonté en rappelant que « la riposte doit nécessairement présenter une corrélation avec la mise en cause, et ne doit pas être détourné en tribune libre permettant de promouvoir les thèses d'un parti politique ou d'une personne investie d'une représentation à caractère politique »480. S'il s'agissait ici d'empêcher la publication d'une riposte érigée à des fins politiques, nul doute que le critère vaut pour toutes les réponses dénuées de lien avec le message litigieux, quelques soient les idées promues.

204. Ce recours au critère de l'abus de droit aux fins de justification du refus d'insertion de la réponse appelle nécessairement une observation. En effet, il semblerait que le critère permettant de qualifier d'abusif l'usage du droit de réponse varie d'une jurisprudence à l'autre en fonction des limites retenues par les juges.

Lorsque le refus d'insertion est fondé sur la limite que constitue la sauvegarde de l'intérêt légitime d'un tiers ou l'honneur du journaliste, l'abus semble clairement résider dans la faute telle qu'envisagée dans les articles 1382 et 1383 du Code civil. C'est parce

475 Jugeant que la réponse contenait des « considérations heurtant l'ordre public » : CA Paris, 11 janv. 2008, n°07/11318.

476 Les droits subjectifs sont les prérogatives reconnues aux sujets de droit par le droit objectif (donc, par les règles de droit) et sanctionnés par lui. Ils se divisent entre droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux : T. Debard et S. Guinchard, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 19e éd. 2012.

477 CA Paris, 29 mars 2006 : Comm. com. électr. 2008, comm. 96, obs. A. Lepage.

478 Crim. 14 juin 1972 : Bull. crim. n°205.

479 J. Mazars, « La liberté d'expression, la loi et le juge », in Rapp. C. Cass. 2001, La Documentation française, 2002, p. 180.

480 CA Douai, 30 décembre 2011, n°11-07288 ; V. dans le même sens, Crim. 14 oct. 2008 : Dr. Pénal, 2009, comm. n°2, obs. M. Véron ; TGI Paris, 19 janv. 1994 : Légipresse n°113-III, p. 98 ; CA Paris, 17 avr. 1996, Légipresse n° 133-III, p. 91, obs. B. Ader ; CA Paris, 24 mai 1994 : D. 1995, somm. p. 271, obs. C. Bigot.

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que l'usage du droit de réponse nuit à autrui qu'il est constitutif d'un abus de droit. Donc, n'en déplaise aux doyens Ripert et Josserand, c'est ici l'approche moderne de la théorie de l'abus de droit qui permet de caractériser la faute dans l'exercice du droit de réponse481.

En revanche, lorsque le refus d'insertion est fondé sur l'absence de lien entre la réponse et le message litigieux, l'abus semble ici résulter du fait que - conformément à la théorie de Josserand482 - l'usage de la réponse soit détourné de sa finalité sociale. En effet, rappelons que la finalité du droit de réponse est de permettre à toute personne nommée ou désignée, de répondre aux propos ayant conduit à sa mise en cause483. Elle ne doit en aucun cas être détournée de cette finalité et donc, ne doit pas être perçue comme un outil permettant d'exprimer ses propres idées auquel cas l'abus sera caractérisé.

Face à une liberté d'expression quasi-hégémonique, le droit de réponse semble donc constituer un subtil instrument de résistance et de prolongement des droits de la personnalité484. Il n'est cependant pas sans soulever certaines discordes. Considéré pour certains comme un ingénieux contre-pouvoir de presse, il constitue pour d'autres une intolérable entrave aux principes de liberté d'information et de propriété des organes de presse485. Il nous semble que le droit de réponse possède pourtant une vertu essentielle et primordiale : il permet d'assurer le pluralisme. Pluralisme qui rappelons-le, intègre le tryptique des valeurs fondamentales du journalisme486 et participe pleinement au droit dont dispose tout un chacun de se faire sa propre opinion sur l'information qu'il reçoit487.

En définitive, comme nous avons pu l'évoquer en début de chapitre et plus généralement tout au long de ce mémoire, nous estimons que face aux difficultés - de

481 V. Supra n°69.

482 V. Supra n°68.

483 Un arrêt quelque peu isolé de 1968 avait déjà très justement fait état de cette finalité sociale dont été investi le droit de réponse en rappelant que « si le droit de réponse est général et absolu (É) encore faut-il que celui-ci soit utile et s'exerce dans l'intérêt légitime d'une défense à une mise en cause déterminée, ainsi que dans le cadre de cette défense » (CA Paris, 29 mai 1968 : JCP 1969, II, n°15705, note Blin).

438 C. Bigot, « Pouvoir d'appréciation du directeur de publication et abus du droit de réponse », Dalloz, 1996, p. 462.

484 H. Blin, note ss. CA Paris, 29 mai 1968 : JCP 1969. II, n°15705 ; Ph. Bilger, note ss. TGI Paris, 12 févr. 1991 : Gaz. Pal. 1991, 1, jurisp. p. 229.

485 C. Bigot, ibid.

486 V. sur ce point : M-F. Bernier, « L'idéal journalistique : comment des prescripteurs définissent le « bon » message journalistique » in Les cahiers du journalisme n°16, automne 2006.

487 Il n'est pas vain de rappeler que la liberté d'opinion est consacrée au sein de l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Elle offre à tout individu la liberté de penser comme il l'entend et de faire valoir ses opinions contraires par quelque moyen d'expression que ce soit (J-J. Gandini, Les droits de l'Homme, Anthologie, Librio, 1998, p. 120).

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forme comme de fond - que connaissent les victimes d'abus de la liberté d'expression pour obtenir réparation de leurs préjudices, le droit de réponse apparaît, comme un sursaut de justice et de démocratie.

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Conclusion de la Partie II

Il apparaît donc dans cette seconde partie que la place effectivement conférée à la responsabilité civile de droit commun par les juges, bien que résiduelle, demeure, et ce, quand bien même l'abus de la liberté d'expression poursuivi se trouverait être attentatoire à la personne. Bien entendu, ce sont principalement les textes spéciaux que constituent la loi du 29 juillet 1881 et les articles 9 et 9-1 du Code civil qui auront en pratique à connaître de ce type d'abus. Mais la responsabilité pour faute, conformément à la formule employée par Philippe le Tourneau est là, « prête à l'emploi »488, toujours disposée à remplir son rôle de suppléante en cas d'inapplicabilité des textes spéciaux. Il semble donc que l'on soit désormais bien loin de la formule controversée de la jurisprudence du 27 septembre 2005489.

En outre, s'il est un domaine où la responsabilité civile pour faute demeure reine sur son territoire, il s'agit bien de celui des abus de la liberté d'expression mettant en cause des intérêts patrimoniaux. On pourra toutefois s'interroger sur la nature de la raison poussant le législateur à mieux protéger les biens que les individus. Tout comme sur celle faisant de ce que nous avons qualifié de « nouveaux droits de la personnalité », des droits mieux protégés que les « anciens droits de la personnalité » tombant essentiellement sous le joug de la loi du 29 juillet 1881.

Toujours est-il que quel que soit le fondement légal invoqué - qu'il s'agisse de l'article 1382 du Code civil, des articles 9 et 9-1, de la loi du 29 juillet 1881 ou de toute autre infraction prévue dans le code pénal - il sera toujours possible d'agir en responsabilité civile contre l'organe de presse auteur de l'abus de la liberté d'expression. Seulement, les conditions de fond de mise en oeuvre de la responsabilité civile et les contraintes procédurales varieront, d'un fondement à l'autre.

On notera enfin que le développement croissant des faits justificatifs spéciaux en matière de presse reste le véritable ennemi des actions en responsabilité civile. Chéris des responsables, ils sont le reflet d'une symptomatique propension à l'hégémonie de la liberté d'expression s'opérant au détriment des victimes d'abus de la liberté d'expression. Face à cet océan d'impunité, la réponse reste alors un moyen de conserver un semblant de justice.

488 Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la responsabilité civile », RTDciv., 1987, p 507.

489 En guise de rappel : « les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil » (Civ. 1e, 27 sept. 2005 préc.).

123

Conclusion Générale

Au fil de notre développement, nous avons pu dégager certaines des questions les plus controversées que connaît le droit de la presse. De la problématique de la justesse des équilibres instaurés par le texte de 1881, à ses rapports avec la clausula generalis et les articles 9 et 9-1 du Code civil, en passant par les différentes circonstances à même de justifier les abus de la liberté d'expression censés tomber sous leur joug, ce droit apparaît comme une matière sensible, aux tenants et aboutissants incertains.

La délicatesse des débats qu'il suscite puise sa raison d'être dans la difficulté que constitue le travail d'appréhension des limites de la liberté d'expression. Chacun semble s'accorder sur la nécessité d'en dessiner les contours, sans pour autant s'accommoder quant à leur tracé490. Une tendance générale nous semble toutefois devoir être mise en exergue. Face à la suprématie de la loi du 29 juillet 1881, la responsabilité civile perdure dans son rôle d'assesseur du texte spécial luttant sans répit pour la défense d'un idéal de presse libre et responsable. Son champ d'application, déjà réduit par les véhémences magnétiques des dispositions de la loi sur la liberté de la presse, paraît s'effriter toujours d'avantage au profit d'une liberté d'expression en constante expansion.

Bien entendu, il serait illusoire et présomptueux de prétendre détenir les clés des différents problèmes que suscite cette problématique tenant à la place occupée par la responsabilité civile en matière de presse. Mais il serait aussi tout à fait regrettable de n'avoir pu s'en faire quelconque opinion. Il convient donc d'évoquer un certain nombre de points nous semblant particulièrement importants et sur lesquels nous estimons que les choses peuvent changer.

Tout d'abord, eu égard à la question des rapports entretenus par l'article 1382 du Code civil avec la loi du 29 juillet 1881, il semblerait qu'existent quelques bonnes raisons d'imposer une adaptation mesurée de la responsabilité pour faute lorsque celle-ci a

490

Une affaire des plus récentes, l'affaire Mohamed Merah, en fournit encore un exemple frappant. Elle témoigne de toute l'actualité de cette question. En effet, la diffusion polémique par la chaîne TF1 en juillet, d'extraits des négociations du Raid avec le tueur au scooter, illustre parfaitement la difficulté et le désaccord que suscite la question du tracé des frontières entre « le permis et l'interdit » au nom de l'information et donc de la liberté d'expression. Si TF1, se défendant de tout sensationnalisme, défend l'argument du « droit d'informer », les avocats des victimes eux, estiment au contraire que cette information outrepasse le droit à l'information et que sa diffusion est constitutive de l'infraction de recel du secret de l'instruction. Affaire à suivre...

124

vocation à intervenir en marge du texte spécial491. En effet, lorsque les propos visés relèvent de ce que nous avons pu qualifier d'« expression-opinion »492, l'application de l'article 1382 du Code civil devrait être restreinte aux seuls cas d'abus constitutifs de fautes qualifiées493. Cela permettrait fondamentalement - « tant la notion de faute se trouve être liée à la morale » 494- de ne pas exposer la liberté d'expression, et donc les médias, à la menace d'une résurrection du délit civil d'opinion. Cette solution apparaît logique, d'autant que nous l'avons vu, « l'expression-opinion » comporte par nature une dimension nuisible souvent consubstantielle à son épanouissement. Il apparaît par conséquent indispensable que s'ensuive un rehaussement du seuil de la faute. Cela apaiserait d'ailleurs très probablement les ardeurs de ceux redoutant que l'article 1382 du Code civil ne soit transformé en un « cheval de Troie » pour la défense d'un certain ordre moral495. De plus, comme le souligne à juste titre le professeur Emmanuel Dreyer, l'application de la responsabilité civile par nos juridictions françaises n'a jamais valu à la France de condamnation par la Cour européenne. On ne peut en dire autant pour la loi du 29 juillet 1881496. Dès lors, plutôt que de s'offusquer inépuisablement en invoquant l'insatiable argument de « la menace de l'article 1382 pour la liberté d'expression », peut-être serait-il temps, tout simplement, de s'en remettre au bon sens et à la sagesse de nos magistrats.

L'autre point sur lequel il convient d'insister et qui, nous allons le voir, rejoint le développement précédent, est celui relatif à l'efficacité de la protection assurée par la loi sur la liberté de la presse. En effet, l'une des critiques majeures formulée à son encontre a trait aux intérêts dont elle assure la défense, qui ne seraient plus nécessairement conformes aux revendications sociales d'aujourd'hui. Certains auteurs vont même jusqu'à suggérer son abrogation en envisageant de dépénaliser le droit de la presse497. Récemment, le retentissant rapport de la Commission Guinchard du 30 juin 2008498a même officiellement

491 Sont ici visés, les cas d'atteintes envers les personnes n'entrant pas dans le champ de la loi du 29 juillet 1881.

492 Par opposition à « l'expression-information », pour laquelle nous proposons une application pleine et entière de la responsabilité civile (V. Supra n°72).

493 On pourrait ainsi se référer par exemple, au critère de l'intention de nuire pour caractériser l'abus, comme l'aurait probablement souhaité le Doyen Ripert. Ou bien, ne retenir de faute qu'en cas de négligence « manifeste » dans la vérification de l'information, comme l'eurent proposé certains juges dans les années quatre vingt-dix (V. Supra n°92).

494 N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 86.

495 N. Mallet- Poujol, « Abus de droit et liberté de la presse », Légipresse n°143-II, p. 88.

496 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 23.

497 V. E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de 1881 ?», Légipresse Spécial 30 ans, oct. 2009, p.137.

498 S. Guinchard, Rapport sur la répartition des contentieux, La Documentation française, juil. 2008.

125

suggéré une dépénalisation partielle du contentieux de la presse. Il propose en effet une « dépénalisation de la diffamation, à l'exception des diffamations présentant un caractère discriminant ». Il faut alors mesurer l'impact qu'impliquerait l'adoption d'une telle mesure. La diffamation recouvre - avec l'injure - l'un des plus important volet du contentieux de la presse499. Dépénaliser cette infraction aurait donc pour conséquence de transmettre l'ensemble de ces affaires devant les tribunaux civils. Ces derniers auraient alors à statuer au regard des critères de la faute civile mais aussi et surtout, en application des règles de procédure civile. Nul doute que sur le fond comme sur la forme, les organes de presse seront exposés à un risque supérieur de condamnation. La liberté de la presse risquerait donc de s'en trouver fortement amputée. Certes, face à l'évolution des moeurs et des supports de presse, il est évident que la loi du 29 juillet 1881 a dû s'adapter pour ne pas tomber en désuétude. C'est ce qu'elle a fait en faisant entrer dans son champ répressif de nouvelles incriminations500. Et lorsqu'elle fût dépassée par les événements, outre l'article 1382 du Code civil, d'autres textes sont apparus en marge du texte spécial pour répondre aux nouveaux types de préjudices501. Mais le texte spécial demeure là, prêt à réprimer les atteintes les plus graves, et offrant cette garantie de précision et de prévisibilité sans équivalent au civil. La dépénalisation apparaît donc comme une fausse nécessité. Et si l'un des principaux arguments avancé par ses tenants concerne essentiellement le protectionnisme de la presse qu'assurerait les prétendues « chausses-trappes » procédurales502, non seulement un volet de notre développement peut nous permettre d'en douter503, mais surtout, plutôt que de remettre tout l'édifice en question, pourquoi ne pas tout simplement davantage flexibiliser l'application des règles de procédures du texte spécial devant les tribunaux civils comme ont pu commencer à le faire certains juges depuis 2009. Une telle voie nous semble devoir être explorée.

Enfin, le dernier point sur lequel le législateur devrait probablement intervenir est celui tenant à l'instauration d'un système de dommages et intérêts punitifs. En effet, nous

499 « Le contentieux de la loi sur la presse de 1881 en matière de diffamation et d'injure représente quelques 500 procès chaque année, en excluant les affaires où la discrimination est en jeu » (J. Prorok, « La dépénalisation de la diffamation bientôt débattue », Le Figaro, 2 déc. 2008).

500 Par exemple, la Loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, a ajouté au texte spécial de 1881 l'infraction de diffamation à raison de l'orientation sexuelle ou de l'handicap.

501 C'est ce que nous avons vu avec les articles 9 et 9-1 du Code civil.

502 Serge Guinchard ne manque pas de mettre en avant les « pièges procéduraux », les « chausse-trappes » procédurales de la loi du 29 juillet 1881 au soutien de la dépénalisation (propos recueillis dans S. Seelow, « dépénaliser la diffamation, du « sur mesure » pour condamner la presse », Le Monde, 15 mai 2009).

503 V. Supra n°28.

l'avons vu504, la multiplication encore récente des fautes lucratives commises sous la forme d'atteintes aux droits de la personnalité peut légitimement nous faire douter de l'actuel pouvoir normatif de la responsabilité civile en matière de presse. Comment, par le strict maintien du système compensatoire, ne pas inciter les organes de presse à perpétuer les atteintes sachant que les condamnations encourues seront inférieures aux profits tirés de leur comportement ? Comme le dit très justement Clothilde Grare dans sa thèse, « le paradoxe du système actuel est que là où la faute revêt une certaine gravité et où donc la fonction normative de la responsabilité devrait être mise en avant pour être efficace, elle est complètement paralysée par la règle d'évaluation de l'article 1382 È505. C'est tout à fait vrai. La règle en question mesure le montant des dommages et intérêts dûs par l'auteur de la faute lucrative au seul préjudice subi par la victime. Elle ne prend donc pas en compte les profits illicites tirés par ce dernier, ce qui serait pourtant le seul véritable moyen de lutter contre ce type de comportements. Il apparaît donc impératif de devoir durcir les sanctions prononcées contre les auteurs en instaurant un mécanisme de dommages et intérêts punitifs. Il s'agirait sûrement d'un moyen efficace pour mettre un terme aux indiscrétions médiatiques dommageables. Les activités de presse en ressortiraient probablement plus saines, et les victimes, mieux protégées.

126

504 V. Supra nO57.

505 C. Grare, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle, thèse, Dalloz 2005, p. 89.

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· Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique

· Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 pour la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes

· Loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale

· Loi n° 86-897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse

· Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle

· Loi n° 70-643 du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens

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· http://www.charrierbournazel.com/categorie/combat-dun-batonnat

· http://www.philolog.fr/peut-on-rire-de-tout/

Index

(Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphes)

-A-

Abus de droit, 67 et s.

Acte introductif d'instance :

- irrévocabilité, 15.

- nullité, 14 et s., 28, 33.

Action civile, 11, 15, 18, 25 et s.,

163.

Apologie, 41.

Articulation des faits (plainte), 15,

34.

Association, 100, 129, 130.

-B-

Bonne foi :

- du journaliste, 72, 92, 112, 172. - fait justificatif, 173 et s.

Bonne moeurs, 203.

-C-

Caricature, V. Parodie.

Cascade (responsabilité en), 42 et s. Célébrité, V. Notoriété.

Censure, 3, 89.

Citation directe, 14.

Civilement responsable, 48 et s. Communication au public par voie électronique, 191, 201. Complaisance, 185.

Complicité, 44.

Concurrence déloyale, 58, 109. Convention européenne des droits de l'Homme, 73, 75, 96, 139, 149. Création artistique, V. Liberté de création artistique.

-D-

Décès, V. Mémoire des morts. Délit d'opinion, 92.

137

Dénigrement :

- personnes, 109 et s.

- produits et services, 116 et s.

Diffamation :

- bonne foi, 173 et s.

- exception de vérité, 169 et s.

- mémoire des morts, 94 et s.

Dignité, 54, 98 et s., 187 et s.

Directeur de publication, 28, 43 et

s., 192, 196, 199, 201.

Dommages et intérêts :

- compensatoires, 54 et s.

- punitifs, 57 et s.

Droit à l'image, 153 et s., 186 et s.

Droit à l'information, 134, 136, 145,

155, 180, 185.

Droits de la personnalité :

- « anciens », 159.

- « nouveaux », 134, 160.

- patrimonialisation, 161.

Droit de propriété, 204.

Droit de réponse :

- abus, 202 et s.

- généralités, 192 et s.

- non-respect, 196 et s.

-E-

Éditeur, 44.

Élection de domicile, 14, 33, 34. Exception de vérité, V. Diffamation. Expression :

- « information », 72.

- « opinion », 72.

-F-

Faits justificatifs (responsabilité

civile), 102 et s.

Faute :

- légère, 90, 92, 115.

- qualifiée, 91, 133.

- responsabilité, 6, 60, 61 et s., 93.

- civile, 37 et s., 90, 98, 101, 130, 164.

- pénale, 37 et s.

-I-

Image des personnes, V. Droit à l'image.

Imprimerie, 3.

Information :

- droit du public, 185 et s.

Injure :

- faits justificatifs, 168 et s.

-J-

Journaliste, 49, 52, 71, 72, 75, 83,

89, 92, 111, 126, 132, 144, 145, 148, 203.

Juge des référés, 162, 198. Jurisprudence :

- infléchissements, 34 et s. - uniformisation, 29 et s.

-L-

Liberté de création artistique, 186. Liberté d'expression, 8, 19, 31, 38, 41, 60, 70 et s., 89, 91, 92, 100, 101, 124, 126, 135, 139 et s., 163, 173, 182, 184 et s., 188 et s.

Librairie, 3.

-M-

Mémoire des morts, 85, 94 et s. Marques, 111 et s.

-N-

Nom des personnes, 158. Notoriété, 185.

Nullité, 14 et s., 33 et s.

-O-

Ordre public, 4, 20, 80, 203.

138

OEuvres, 111 et s.

-P-

Parodie, V. Satire.

Patrimonialisation, V. Droits de la

personnalité.

Pluralisme, 204.

Polémique, 178 et s.

Prescription, 12, 17 et s.

Présomption d'innocence, 5, 136,

143 et s.

Presse en ligne, 46 et s.

Pressoir à encre, 2.

Privilège du roi, 3.

Provocation :

- infraction : 14, 41.

- excuse : 170 et s.

-Q-

Qualification :

- formalisme, 13 et s. - confusion, 145, 150.

-R-

Requalification, 27,

Réquisitoire introductif, 14.

Référé, V. Juge des référés.

Responsabilité civile :

- conflit avec loi sur la presse, 62

et s.

- fonction complétive, 81 et s.

- fonction supplétive, 77, 128 et s.

- principes généraux, 54, 80.

Responsabilité en cascade, V.

Cascade.

Règles :

- de fond, 35 et s.

- de forme, 10 et s., 201 et s.

-S-

Satire, 181 et s.

Silence fautif, 114.

Specialia generalibus derogant, 7,

78, 115, 132, 148.

Suum cuique tribuere, 80.

139

Système juridique clos, 79 et s., 97, 127.

-U-

Université, 3.

-V-

Victimes :

- droit à réparation, 96 et s. Vie privée, 137 et s.

Voix des personnes, 158.

Table des matières

(Les chiffres renvoient aux numéros de pages)

140

Remerciements 2

Liste des principales abréviations 3

Sommaire 5

Introduction 7

Première partie

La suprématie controversée de la loi du 29 juillet 1881 en matière de presse

Titre 1 : Les règles de forme et de fond instaurées par le texte spécial 15

Chapitre 1 : Le particularisme procédural du contentieux de la presse 15

Section 1 : Les subtilités processuelles de la loi de 1881 16

Paragraphe 1 : Une procédure au formalisme méticuleux 16

A. Les exigences fondamentales des articles 50 et 53 du texte spécial 16

B. La « cruciale » prescription trimestrielle 17

Paragraphe 2 : Le mouvement jurisprudentiel d'harmonisation 19

A. Une longue période de résistance 19

B. La contamination du procès civil de presse 20

Section 2 : Les conséquences tenant à l'action civile en réparation 21

Paragraphe 1 : Un alignement procédural malvenu pour les victimes 22

A. L'issue périlleuse des actions en responsabilité 22

B. Une uniformisation divisant la doctrine 24
Paragraphe 2 : Les vicissitudes de l'alignement procédural, source d'incertitudes 25

A. Les problèmes d'incompatibilité 25

B. Les récents assouplissements de la jurisprudence 27

Chapitre 2 : Les règles de fond de mise en oeuvre de la responsabilité 28

Section 1 : La nécessaire qualification pénale de la faute commise 29

Paragraphe 1 : L'identité des fautes civile et pénale de presse 29

A. Une finalité prophylactique 29

141

B. Les abus prévus et réprimés par le texte spécial 30

Paragraphe 2 : Le système de responsabilité pénale en cascade 32

A. Le mécanisme prévu par l'article 42 de la loi de 1881 32

B. Les difficultés d'adaptation en matière de presse en ligne 33

Section 2 : La détermination du civilement responsable 34

Paragraphe 1 : Le contenu de l'article 44 du texte spécial 34

Paragraphe 2 : La réparation du préjudice causé 36

A. L'allocation classique de dommages et intérêts compensatoires 36

B. Quid de l'instauration d'un système de dommages et intérêts punitifs 37

Titre 2 : La perturbation des équilibres de la loi du 29 juillet 1881 engendrée par

l'omniprésence de la responsabilité civile de droit commun 40

Chapitre 1 : Le conflit opposant la loi sur la presse et l'article 1382 du Code civil..40 Section 1 : Une communauté de finalité : la sanction des abus de la liberté

d'expression 41

Paragraphe 1 : La justification du recours à la responsabilité pour faute 41

A. La théorie de l'abus de droit comme fondement de la responsabilité 42

B. La délicate conciliation du concept d'abus avec la liberté d'expression 43

Paragraphe 2 : La validité normative de l'article 1382 du Code civil 45

Section 2 : Une cohabitation délicate et houleuse entretenue par la jurisprudence 48

Chapitre 2 : La résolution du conflit par l'admission d'une fonction complétive de

l'article 1382 du Code civil 51

Section 1 : L'exigence de « faits distincts » d'une infraction pénale de presse 52

Paragraphe 1 : Les arrêts du 12 juillet 2000 : détail d'une jurisprudence clé 52

A. Primauté du texte spécial en présence de faits pénalement qualifiables 52

B. Complémentarité de l'article 1382 en présence de faits distincts d'un délit de

presse 54
Paragraphe 2 : La nature de la faute engageant la responsabilité civile de son auteur

55

Section 2 : L'attraction exercée par le texte spécial sur l'article 1382 du Code civil 57

Paragraphe 1 : Le cas particulier de l'atteinte envers la mémoire des morts 58

Paragraphe 2 : La mise à l'écart consécutive de droits fondamentaux 60

142

Conclusion de la Partie I 64

Deuxième partie

La place effective du droit commun de la responsabilité civile en matière de

presse

Titre 1 : Un domaine résiduel face à l'hégémonie de la loi du 29 juillet 1881 et les

autres dispositions spéciales 66

Chapitre 1 : Les abus de la liberté d'expression entrant dans le champ de l'article

1382 du Code civil 66

Section 1 : Les abus mettant en cause un intérêt patrimonial 67

Paragraphe 1 : Les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pour faute 67

A. Deux principaux cas de figure 67

B. Typologie des fautes retenues par la jurisprudence 68

Paragraphe 2 : Dénigrement et diffamation : une frontière précaire 71

Section 2 : Les abus mettant en cause un intérêt extrapatrimonial 73

Paragraphe 1 : les enseignements de la jurisprudence du 27 septembre 2005 74

Paragraphe 2 : La résurrection de la responsabilité pour faute 76

A. Le phénomène de « démagnétisation » de la loi de 1881 77

B. Le singulier retour de la fonction substitutive de l'article 1382 78

Chapitre 2 : La protection civile autonome des « nouveaux droits de la

personnalité » 80

Section 1 : Presse, droit au respect de la vie privée et présomption d'innocence 81

Paragraphe 1 : Une protection assurée par les articles 9 et 9-1 du Code civil 81

A. La liberté d'expression face au butoir de la vie privée 82

B. La présomption d'innocence, autre limite à l'information 83
Paragraphe 2 : Les articles 9 et 9-1 dans leurs rapports avec les textes concurrents 85

A. L'exclusivisme face à la responsabilité pour faute 85

B. Le « magnétisme » de la loi du 29 juillet 1881 87

Section 2 : Le droit à l'image et les autres attributs de la personnalité 88

Section 3 : La réparation des atteintes portées aux droits la personnalité 91

143

Titre 2 : L'impuissance de la responsabilité civile face à la prééminence de la liberté

d'expression 95

Chapitre 1 : La multiplication des faits justificatifs spéciaux en matière de presse 95

Section 1 : Les faits justificatifs d'infractions prévus par la loi du 29 juillet 1881 96

Paragraphe 1 : Un domaine limité à certaines infractions 96

Paragraphe 2 : La création jurisprudentielle de nouveaux faits justificatifs en

matière de diffamation 98
Section 2 : Les autres faits justificatifs limitant la portée de la responsabilité civile 101 Paragraphe 1 : La polémique et l'humour, instruments de recul du seuil de la faute

101

A. La polémique comme justificatif de la critique abusive 102

B. L'exutoire offert par l'expression satyrique 103

Paragraphe 2 : Les faits justificatifs d'atteintes aux droits de la personnalité 105

A. Ceux justifiant des atteintes au droit à la vie privée 105

B. Ceux justifiant des atteintes au droit à l'image 107

Chapitre 2 : Le droit de réponse, ultime garantie face à la liberté d'expression 111

Section 1 : Le régime juridique disparate du droit de réponse 112

Paragraphe 1 : La réponse confrontée à la diversité des supports de presse 112

Paragraphe 2 : Les conséquences du non-respect du droit de réponse 114

Section 2 : Les limites apportées au droit de réponse 115

Paragraphe 1 : Les règles de forme encadrant la demande de réponse 116

Paragraphe 2 : Les règles de fond encadrant la substance de la réponse 118

Conclusion de la Partie II 122

Conclusion Générale 123

Bibliographie 127

Index 137

Table des matières 140






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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite