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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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B. La délicate conciliation du concept d'abus avec la liberté d'expression

70. Avant toute chose, il convient de mettre en relief un point important tenant à la distinction selon que l'abus a trait à un droit ou à une liberté. La théorie de l'abus de droit s'applique classiquement aux droits dits « subjectifs ». Leurs frontières sont souvent bien moins poreuses que celles des libertés. En effet, les libertés sont des prérogatives généralement floues « dont les frontières sont mal définies et donc, imprécises »143. Dès lors, l'application de la théorie de l'abus de droit à la liberté d'expression doit nous semble t-il, suivre un régime particulier144.

Nombreuses sont les raisons justifiant la réticence de certains auteurs à voir s'appliquer tel quel l'article 1382 dans le domaine de la liberté d'expression. L'instrumentalisation de la responsabilité pour faute - dans son application pleine et entière - aux fins d'appréhension d'une telle liberté risquerait très probablement d'aboutir à son amputation. Il n'y aurait alors guère plus de place que pour une presse consensuelle et muselée par peur de la vindicte judiciaire. En effet, la responsabilité subjective fait

140 G. Courtieu, « Droit à réparation », J-Cl. Civil, Fasc. n131-10, 2005, n2.

141 V. not. en ce sens, F. Terré, Y. Simler et P. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 7e éd., 2006, p. 53, selon qui la théorie de l'abus de droit fait « partie intégrante du droit de la responsabilité civile » et est « axée principalement sur la recherche d'une faute ».

142 N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 39.

143 N. Droin, op. cit. p. 53.

144 Indéniablement, la difficile détermination des frontières d'une liberté a pour effet de solliciter davantage l'arbitraire du juge. Raison pour laquelle un encadrement particulier paraît souhaitable.

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peser sur tout un chacun une obligation générale de ne pas nuire à autrui. Or, l'exercice d'un certain nombre de droits procède dans son essence même d'un relatif droit de nuire. C'est par exemple le cas du droit de concurrence, du droit de grève, du droit de rupture du contrat à durée indéterminée ou encore, du droit de rompre les pourparlers. À leur égard, une application stricte de la responsabilité pour faute - dont la fonction sociale est donc de garantir « le droit de chacun à ce qu'on ne lui nuise pas » 145 - conduirait à leur anéantissement.

Mais alors comment concilier ces droits particuliers avec la « philosophie pacifiste » de la clausula generalis ? En réalité, l'étude des jurisprudences rendues en la matière révèle la chose suivante : le fait d'exercer purement et simplement ces droits n'est pas en soi condamnable. Ce qui est susceptible de l'être en revanche, c'est les circonstances dans lesquelles il en est fait usage. Ainsi, on retrouve ici la théorie du doyen Josserand. Il faut apprécier si le titulaire du droit a agi dans l'esprit de ce droit.

71. Il apparaît que comme les droits précédemment énumérés, la liberté d'expression - qui nous le verrons connait de multiples facettes - comprend pour certaines d'entre elles un relatif pouvoir de nuire consubstantiel à son épanouissement146. En effet, il semblerait que la liberté d'expression soit divisible en deux grands ensembles : la liberté d'information d'une part, et la liberté d'opinion d'autre part147. Si la liberté d'information peut aisément se complaire dans l'objectivité, il semble en revanche que la liberté d'opinion soit nécessairement emprunte de subjectivité. On a en effet une distinction claire entre celui qui rapporte l'information en s'attachant aux faits et celui qui prend parti en exprimant une idée personnelle, un schéma de pensée, un jugement ou une critique. C'est dans ce second cas que le journaliste est sujet à la « censure de l'article 1382 du Code civil »148. Mais alors, quels sont les remèdes envisageables pour arbitrer le plus justement les intérêts en présence que constituent d'une part, la liberté d'expression et d'autre, les droits de la personne ?

72. Nous pensons que le raisonnement qui suit est une potentielle solution. L'idée serait d'établir une scission dans les modalités d'appréhension du caractère fautif du propos litigieux selon que l'on se situe sur le terrain de « l'expression-information » ou celui de

145 J. Karila De Van, « Le droit de nuire », RTDciv., 1995, p. 533.

146 Comment le critique littéraire, gastronomique, cinématographique ou encore l'humoriste politisé, pourrait-il exercer pleinement son art sans pouvoir heurter, choquer ou blesser l'amour propre de son sujet ?

147 B. de Lamy, « Les tribulations de l'article 1382 du Code civil au pays de la liberté d'expression », Mél. le Tourneau, Dalloz, 2007, p. 294.

148 Ibid, p. 295.

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« l'expression-opinion ». Lorsque l'on se trouve dans le domaine de « l'expression-information », nous pensons que les juges devraient retenir une application pleine et entière de l'article 1382 du Code civil. Cela impliquerait alors pour le journaliste l'obligation de contrôler la vérité des informations relatées et de faire preuve d'honnêteté dans leur présentation. Les devoirs « d'objectivité, de véracité ou de prudence »149 dicteraient alors la conduite de ce dernier de sorte que l'inobservation de l'un d'entre eux - indépendamment du critère de la bonne foi - entraînerait réparation150. En revanche, concernant le domaine de « l'expression-opinion », il semblerait que la solution doive passer par un recul du seuil de la faute. Il paraitrait en effet plus opportun ici de limiter la portée de l'article 1382 du Code civil aux seuls cas d'abus de la liberté d'expression particulièrement graves sans quoi il n'y aurait guère plus de place que pour les « louanges et les propos lénifiants »151. On pourrait même n'admettre la faute que lorsque celle-ci révèle une intention de nuire, à l'instar de la théorie du Doyen Ripert. Mais alors l'universalisme de la responsabilité civile s'en trouverait affecté. Nous verrons que cela ne semble pas plaire à la Haute juridiction152.

Outre les questions tenant aux modalités de mise en oeuvre de la responsabilité pour faute dans le domaine délicat que constitue celui de la liberté d'expression, la conformité de ce dernier aux normes à valeur supra-législatives est elle aussi, sujette à discussion.

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