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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Section 2 : L'attraction exercée par le texte spécial sur l'article 1382 du Code civil

93. Attraction, absorption, magnétisme ! Autant de qualificatifs évoquant ce phénomène qui tend à consacrer l'exclusivisme du régime spécial au détriment de la responsabilité civile de droit commun. Alors bien évidemment, on peut se demander pourquoi s'indigner d'un tel constat dès lors que le texte de 1881 offre la possibilité - tout autant que l'article 1382 - d'obtenir la réparation au civil du dommage subi par la victime. Les choses ne sont pourtant pas aussi simples. Car dans bien des cas, le fait d'écarter l'application de la responsabilité pour faute à raison du fait que les propos litigieux relèvent du domaine d'application de la loi de 1881 ne permettra pas pour autant à la victime d'obtenir gain de cause.

94. Cet étrange paradoxe, qu'il convient d'examiner à partir de l'exemple frappant fourni par l'infraction de diffamation envers la mémoire des morts (Paragraphe 1), s'observe

197 N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 80.

198 L'importance de la problématique - en terme d'actions en justice - est donc à relativiser : B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 707.

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aussi à d'autres niveaux que nous ne pouvons nous permettre d'escamoter tant les enjeux sont capitaux (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le cas particulier de l'atteinte envers la mémoire des morts

95. Tout a commencé lors des célèbres affaires Érulin et Collard évoquées précédemment, dans lesquelles étaient en question des publications mettant en cause l'honneur et la considération de personnes défuntes. La Cour de cassation, rejetant les pourvois formés par les familles sur le fondement de la responsabilité pour faute estima en effet « qu'ayant retenu que la publication des propos litigieux relevait des dispositions de l'article 34 al.1 » de la loi du 29 juillet 1881, « la cour d'appel a décidé à bon droit que les consorts X ne pouvaient être admis à se prévaloir de l'article 1382 dudit Code »199.

Pour autant - et c'est ce qui nous intéresse ici - bien que relevant des dispositions de l'article 34 al 1er relatif au délit de diffamation envers la mémoire des morts, les propos litigieux ne pouvaient donner lieu à réparation200. En effet, le délit de diffamation envers la mémoire des morts requiert, pour qu'il puisse être sanctionné, que soient caractérisés non seulement un dol général - que constitue la diffamation envers le défunt - mais aussi, un dol spécial, caractérisé par l'intention de nuire aux héritiers201. Comme le souligne le professeur Nathalie Mallet-Poujol, ce dol spécial est une condition de la « sanction » du délit et non de sa « constitution »202. Il peut donc y avoir exclusion du droit commun de la responsabilité civile - au profit de la loi de 1881 - car le délit spécial est constitué, sans pour autant que celui-ci ne donne lieu à réparation203. L'absence de dol spécial conduit alors à priver les héritiers de toute action en justice.

96. Ce phénomène d'absorption, indéniablement, s'opère au détriment du droit à réparation des victimes qui rappelons le, revête une dimension constitutionnelle204. Mais est-il justifié ? Il peut paraître paradoxal - au regard des principes dictant le responsabilité civile extracontractuelle205 - que le dommage moral concomitant à une diffamation du mort ne puisse être réparé sous aucun fondement pour les héritiers. Tout préjudice ne

199 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull. civ.n°8 préc.

200 Ce qui fût confirmé par un arrêt de 2006 : Civ. 1e, 12 déc. 2006 : Bull. civ.I, n°551.

201 V. Art. 34 al 1er : Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n° 637 p. 125.

202 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article 1382 du Code civil », Légipresse 2006, n°234, p. 95.

203 V. pour plus d'explications Supra n°89 et s.

204 Cons. const., n°2005-522 DC, 22 juillet 2005, Loi de sauvegarde des entreprises, JO, 27 juillet 2005, p. 1225.

205 Notamment, ceux précédemment évoqués dans notre développement : l'universalisme de la responsabilité civile ; le caractère d'ordre public de la réparation ; le principe de réparation intégrale du préjudice subi.

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mérite t-il pas réparation ? L'auteur de propos déshonorant n'est-il pas concerné par la fonction préventive de la responsabilité civile ? D'ailleurs, on peut se poser la question de savoir s'il ne s'agit pas là d'une atteinte au droit à un recours effectif du justiciable garanti par la Conv. EDH et ayant lui aussi une valeur constitutionnelle206. Il semblerait que non. La Cour de cassation a estimé récemment que l'application exclusive de l'article 34 al. 1er de la loi spéciale au détriment de l'article 1382 du Code civil était conforme au droit à un procès équitable consacré au sein de l'article 6-1 de la Conv. EDH207. L'argument de l'atteinte aux « droits fondamentaux du justiciable » ne semble donc pas convaincre.

97. L'argument historique en revanche, peut nous permettre d'affirmer une chose : les rédacteurs de la loi de 1881 n'ont jamais entendu priver les héritiers, en l'absence de dol spécial, d'une action à titre subsidiaire fondée sur l'article 1382 contre le diffamateur dès lors que l'atteinte envers la mémoire du défunt était avérée208. D'ailleurs, la Cour de cassation a toujours admis, antérieurement aux arrêts du 12 juillet 2000, qu'à défaut de pouvoir réunir les éléments constitutifs du délit de l'article 34 al 1er, l'article 1382 puisse être appliqué à titre subsidiaire, conformément à la volonté du législateur de 1881209.

Même si un mouvement postérieur aux jurisprudences de 2000 semblait vouloir faciliter l'établissement de la diffamation envers la mémoire des morts en appréciant plus souplement la condition tenant au dol spécial210 - pour permettre une indemnisation plus fréquente des demandeurs - il apparaît donc clairement que la liberté d'expression tend à primer sur le droit à réparation des victimes. Une jurisprudence récente en atteste et n'hésite pas à restreindre encore d'avantage les conditions d'indemnisation en la matière211. Le « système juridique clos » du Doyen Carbonnier semble donc - pour ce qui est de l'atteinte envers la mémoire des morts - avoir eu raison de la jurisprudence212 : une

206 C. const., n° 96-373 DC, 9 avr. 1996, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, JO, 13 avr. 1996, p. 5724.

207 Civ. 1e, 12 déc. 2006 : Bull. civ.I. n°551, p.491.

208 V. notamment la déclaration d'Eugène Lisbonne, Séance du 21 juil. 1881, D. 1881, 4e partie, Lois, décrets et actes législatifs, p. 80 : « dans le cas où le diffamateur n'a pas eu l'intention d'attaquer les héritiers vivants, la disposition nouvelle laisse dans le droit commun l'action civile, de la part de ces derniers, en dommages et intérêts ».

209 V. à titre d'exemple : Civ. 2e, 22 juin 1994 : Bull. civ.II, n°165.

210 V. notamment : un arrêt rendu par la deuxième chambre civile ayant déduit l'intention de nuire du diffamateur de la seule constatation de l'élément matériel de l'infraction (Civ. 2e, 22 janv. 2004 : Bull. civ.II, n°19) ; aussi sur ce point, voir la note de M. Guerder exprimant sa volonté que la jurisprudence assouplisse la condition tenant à la constatation de l'élément intentionnel (P. Guerder, note sous Civ. 2e, 10 oct. 2002, Gaz. Pal. 2003. Jurisp. 3837).

211 Crim., 10 mai 2011 : Dr. Pénal 2011. 102, obs. M. Véron : la Haute juridiction a estimé que les dispositions de l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881 « impliquent que soit établie la qualité d'héritier ayant accepté la succession ».

212 TGI Paris, 10 nov. 2011 : Légipresse n°291, fév. 2012, p. 77.

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portion de la « compétence diffuse » de l'article 1382213 paraît bel et bien avoir été absorbée par le régime spécial. Le phénomène semble d'ailleurs se perpétuer au détriment d'autres droits à valeur constitutionnelle.

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