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L'enseignement de la lecture en Afrique noire. Cas de quelques collèges de Brazzaville

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par Martin GUIMFAC
Université Marien Ngouabi - Diplôme d'études approfondies 1999
  

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2. Discussion des résultats

Bien que la vitesse de lecture ne soit pas un critère en elle-même90(*), ses résultats sont à eux seuls révélateurs de la façon dont les sujets expérimentaux appréhendent l'écrit. Eu égard à la vitesse de lecture des sujets expérimentaux au test de pré-apprentissage, nous pouvons les considérer comme de bons déchiffreurs et non comme des lecteurs. Ils peuvent être classés dans la première catégorie de la grille que Brigitte Chevalier (1986) a établie. Pour ce chercheur, les lecteurs peuvent être répartis en quatre catégories, en fonction de leur vitesse de lecture :

- un lecteur adulte très lent parcourt 600 signes à la minute ;

- un lecteur adulte lent parcourt de 800 à 1100 signes à la minute ;

- un bon lecteur parcourt de 1300 à 2000 signes à la minute ;

- un lecteur rapide parcourt 2500 signes à la minute91(*).

Il faut rappeler que cette classification concerne les adultes. Nous avons affaire aux adolescents dont l'âge varie entre 12 et 20 ans. Ils s'inscrivent parfaitement dans la deuxième catégorie de la grille de Jean Foucambert (1980). Au test de post-apprentissage, les apprenants des groupes expérimentaux ont amélioré leur vitesse de la lecture. Cette amélioration est liée à trois facteurs :

Premièrement, les pré-requis lingustiques et culturels dont les apprenants disposaient au départ.

Deuxièmement, l'acquisition de nouvelles habitudes et pratiques de lecture des apprenants.

Troisièmement, les apprentissages que les apprentis lecteurs ont réalisés au cours de l'année scolaire grâce à l'intervention pédagogique particulière que nous avons mise en oeuvre dans les groupes expérimentaux.

Nous pouvons affirmer que cette amélioration traduit les progrès significatifs que les apprenants ont réalisés et, partant, l'efficience des pratiques que nous avons expérimentées. Nous rappelons toutefois que la littérature suggère une vitesse de lecture d'au moins neuf cents signes à la minute pour un objectif visé de mille trois cents signes à la minute. Et en considérant que :

- en dessous de 550 signes à la minute, les lecteurs en sont au stade de l'exploration syllabique ;

- entre 550 et 820 signes à la minute, les lecteurs parcourent l'écrit à travers la prononciation, dans le meilleur des cas intérieure, de tous les mots ;

- entre 820 et 1300 signes à la minute, on peut véritablement parler de lecture ;

- au-delà de 1300 signes à la minute, la lecture est bien installée92(*).

Nous constatons que la lecture n'est pas encore bien installée chez nos sujets expérimentaux, mais nous pouvons tout de même parler véritablement de la lecture car ils appartiennent à la troisième catégorie de la grille que Foucambert a préconisée.

Et nous ne pouvons pas perdre de vue que nous opérons dans un milieu à tradition orale dans lequel la lecture n'est pas un acquis culturel. La lecture ne s'acquiert pas une fois pour toute. Elle est un comportement en devenir et les études montrent que la progression en lecture ne se fait pas naturellement et que, la capacité à bien lire évolue peu après 11 - 12 ans. C'est la preuve que :

L'apprentissage de la lecture est un processus continu, qui loin d'être terminé à l'issue de l'école primaire, doit être prolongé93(*).

Ainsi, tous les apprentis lecteurs peuvent perfectionner leur lecture par une pratique régulière, même ceux qui n'ont apparemment pas de problème de lecture.

En outre, la lecture est un processus idéo-visuel. Les yeux perçoivent les signes sur un support (papier, écran, tableau noir). Ils procèdent par bonds et arrêts successifs. Au cours des pauses, ils voient des mots ou des groupes de mots. Ces ensembles graphiques sont transmis au cerveau qui les reconnaît et les interprète en fonction du contexte et de la culture du lecteur. Dans ce cas, il n'y a qu'un seul intermédiaire entre l'écrit et le cerveau, à savoir l'oeil. Les travaux des chercheurs Brigitte Chevalier (1986), Eveline Charmeux (1987) et Jean Foucambert (1980) qui ont inspiré notre analyse se situent dans cette perspective.

Anne Torunczyk (2000) formule à l'égard de cette approche d'Eveline Charmeux (1985) le reproche selon lequel le son est presque constamment évacué tout au long des analyses94(*).

Nous constatons que :

Premièrement, il existe deux modalités distinctes de lecture : la lecture compréhension et la lecture communication. La lecture compréhension permet à un lecteur de s'approprier la quintessence du message qu'un texte est censé véhiculer. La lecture communication n'est qu'une modalité de transmission à un tiers ou à un auditoire de la substance d'un texte qu'il n'a pas. Elle n'est en fait que la communication de la compréhension qu'un lecteur fait à propos d'un texte et non véritablement de la lecture, même si elle est par ailleurs enseignée en classe.

En fin de compte la vraie lecture n'est que celle qui consiste à lire silencieusement son article de journal dans un bureau, un train ou un avion. La lecture d'adulte est par définition silencieuse.

Deuxièmement, alors que nous analysons les mécanismes de compréhension d'un texte, Anne Torunczyk (2000) aborde le processus d'oralisation qui concerne l'émission des sons, donc la lecture communication. Il est vrai que certains spécialistes ont prétendu que la compréhension d'un texte ne peut apparaître qu'à partir de l'oralisation. Ce qui est sûr, c'est qu'en sub-vocalisant, personne ne saurait construire du sens, donc comprendre tout en émettant des sons car toute l'énergie dont elle dispose semble s'y employer.

Au regard des stratégies de lecture qu'elle évoque elle-même, il y a le décodage syllabe après syllabe. A notre avis, dans le décodage syllabe après syllabe, le son intervient indubitablement même s'il n'est pas actualisé. La syllabe est une unité phonétique qui se prononce d'une seule émission de voix.

Troisièmement, il importe de rappeler que même dans la lecture compréhension fonctionnent les trois stratégies auxquelles Anne Torunczyk (2000) fait référence, à savoir la reconnaissance, la combinatoire et le devinement. A propos de la reconnaissance des mots, nous sommes d'avis avec elle que lorsqu'un lecteur rencontre un mot, deux cas de figure sont possibles :

- Soit le mot est déjà connu car il a été rencontré au moins une fois au cours des lectures antérieures. Il peut alors être reconnu : on parle de reconnaissance de mot. Si son sens est lui aussi connu, identifié, on parle d'identification de mot.

- Soit ce mot est nouveau quant à sa forme, son sens pouvant être disponible ou non. Sa lecture nécessite une décomposition en segments de taille variable en fonction de l'expertise du lecteur : lettres, bigames (groupe de deux lettres correspondant à un seul phonème), blocs de plusieurs lettres correspondant à une syllabe fréquente, voire à un affixe (préfixe ou suffixe). Ces segments sont associés à des configurations sonores, lesquelles sont ensuite fusionnées pour aboutir à la forme sonore du mot et conduire ainsi à la reconnaissance de la forme orale du mot.

Cette décomposition est lente, elle s'opère pas à pas de la gauche vers la droite et mobilise de ce fait des ressources attentionnelles. En classe de 3ème, l'adolescent dispose d'un lexique orthographique déjà abondant. Ce lexique comporte tous les mots déjà rencontrés et mémorisés qui peuvent donc être reconnus et, pour la plupart, identifiés. Au cours d'une lecture, ces mots sont rapidement traités, sans hésitation ni confusion avec d'autres. Cela implique que la reconnaissance et l'identification soient automatiques.

Ainsi, pour qu'un lecteur soit efficace, il doit savoir reconnaître les mots qu'il rencontre sans hésitation et de manière quasi automatique. Il doit savoir traiter de la même manière l'ordre des mots, les marques morphosyntaxiques (flexions de genre et de nombre, flexions verbales, anaphores, connecteurs, ponctuations) qui permettent d'interpréter les phrases et leurs enchaînements.

On a longtemps cru que l'amélioration de la vitesse de la lecture était due au fait que le lecteur sautait certains mots et devinait d'autres. En réalité, il ne faut pas confondre les deux aspects de l'acte de lire : si le lecteur peut intégrer efficacement les informations qu'il perçoit et faire des inférences sur le sens du texte, c'est parce qu'il a eu accès au matériel verbal que celui-ci contient. La vitesse de lecture augmente parce que le lecteur reconnaît vite tous les mots et toutes les marques du texte. En tout état de cause, qu'un lecteur soit confirmé ou apprenti, il glisse subtilement d'une stratégie à une autre, d'un moment à un autre ou d'un contexte à un autre, lorsque la nécessité s'impose au cours de la lecture d'un même texte.

S'il n'émet pas des sons de façon audible, il les mobilise silencieusement, tout au moins, au cours de l'exploration visuelle d'un mot inconnu de lui. Dans tous les cas, le son existe en filigrane dans tout processus de lecture car lire des yeux ne signifie pas que le lecteur ne puisse pas entendre le discours qu'il lit dans sa tête.

La présente approche est confortée par les travaux de Peter Bryant (1992), professeur au département de psychologie à l'Université d'Oxford. Il affirme que nous devons garder présent à l'esprit que pour qu'un enfant apprenne à lire, il doit apprendre au moins deux niveaux de représentation :

Les mots et les phrases écrits signifient quelque chose. Les lettres de l'alphabet, une par une et en séquences, représentent des sons95(*).

Des travaux précédents à ceux de Bryant (1992) ont montré le rôle important que jouent la découverte des rapports lettres-sons et le degré d'aptitude phonologique de l'apprenant dans l'apprentissage de la lecture. Le Programme Incitatif de Recherche en Education et Formation (PIREF) a organisé récemment à Paris une conférence de consensus sur « L'enseignement de la lecture à l'école primaire ». A cette occasion, le travail systématique sur la correspondance phonème/graphème - entre le son et l'écrit - indique sans ambiguïté qu'il est indispensable à la reconnaissance des mots, a été conseillé. Les experts ont tous insisté sur la nécessité de mener de front plusieurs apprentissages complémentaires, de combiner le travail sur le code et le travail sur le sens96(*).

Il est tout de même peu probable que ces dispositions pertinentes ne soient pas valables pour l'enseignement-apprentissage de la lecture en classe de 3ème car ce savoir-faire est un comportement en devenir. Par ailleurs, nous convenons avec les experts que nous avons susmentionnés que :

Lire n'est pas deviner. Plus le lecteur est expert, moins il devine97(*).

A notre avis, deviner n'est qu'un moyen pour résoudre une difficulté et non un mode d'apprentissage, car l'apprenti lecteur se sert soit du décodage, soit du devinement ou de la reconnaissance au cours de la lecture d'un texte.

En somme, nous avons indiqué qu'il a été établi depuis 1985, que lire c'est comprendre. Si lire c'est comprendre, apprendre à lire, c'est apprendre à comprendre. Nous considérons, à la lumière des travaux de Jean Foucambert (1980) et de ceux de l'équipe Charmeux (1987) que la compréhension est le résultat d'opérations mentales non évidentes, complexes et nombreuses. Elles requièrent des compétences correspondantes qu'il faut travailler à développer et non s'en tenir spécialement aux sons.

* 90. Alain, BENTOLILA [sd], « Former des lecteurs polyvalents », dans Lecture, Paris, Association pour le développement d'auxiliaires pédagogiques et technologies d'enseignement, p. 22.

* 91.Brigitte, CHEVALIER (1986), Bien lire au collège, Niveau 2, Guide méthodologique, Paris, Editions Nathan, p. 11.

* 92. Jean, FOUCAMBERT (1980), La manière d'être lecteur, Paris, Editions Sermap, OCDL, p. 137.

* 93. Brigitte, CHEVALIER (1986), Bien lire au collège, Guide méthodologique, Niveau 2, Paris, Nathan, p. 3.

* 94. Anne, TORUNCZYK (2000), op.cit.

* 95.Peter, BRYANT (1992), « Lecture et Ecriture », Les Entretiens Nathan, Paris, p. 8.

* 96.Antoine, PROST (2004), « Apprentissage de la lecture : les recommandations des experts », La classe maternelle, Paris, n° 127, mars 2004, pp. 10 - 11.

* 97.Ibidem.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus