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L'entrepreneuriat féminin au Sénégal: obstacles et essais de solution

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par Abdoulaye WANE
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2009
  

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II.3. Microfinance et autonomie féminine

La microfinance apparaît de plus en plus comme un outil d'émancipation et de promotion de la condition féminine.

Les objectifs visés sont multiples : augmenter leurs revenus et faciliter leur indépendance financière, stabiliser et professionnaliser leur activité entrepreneuriale, mais aussi, et peut-être surtout, améliorer leur statut au sein de la famille, renforcer l'estime qu'elles ont d'elles-mêmes, ou encore favoriser leurs capacités d'auto organisation et donc d'expression et de revendication. La microfinance apparaît en quelque sorte comme un moyen d'augmenter l'autonomie et la liberté réelle des femmes, au sens qu'Amartya Sen [1993] donne à ce terme. Partant du constat que la pauvreté est un phénomène multidimensionnel dont l'aspect monétaire n'est qu'une facette parmi tant d'autres, Sen plaide en faveur d'un critère d'évaluation beaucoup plus large : dans quelle mesure les personnes ont-elles le choix de mener différents types de vie ? Assurer à chacun la faculté de choisir effectivement entre plusieurs opportunités de vie possibles exige de prendre en compte l'ensemble des contraintes susceptibles de limiter l'étendue du choix.

Ainsi de nombreuses femmes ont le « choix » d'aller à l'école ; elles n'y vont pas car des contraintes matérielles et / ou familiales les en empêchent. De nombreuses femmes ont le « choix » de l'indépendance économique ; elles n'y parviennent pas car elles n'ont accès à aucune source de financement. La liberté réelle va bien au-delà d'une question de ressources ou de droits formels. Tout dépend de l'aptitude des personnes à « convertir » leurs ressources et leurs droits en de réelles potentialités. Si la privation est généralement plus forte chez les femmes, c'est non seulement parce qu'elles ne bénéficient pas des mêmes droits, mais aussi parce qu'elles ont plus de mal à en prendre conscience et à les faire valoir.

Dans quelle mesure la microfinance permet-elle aux femmes de mieux faire valoir leurs droits, et donc de renforcer leur liberté réelle et leur autonomie ? En nous appuyant sur une enquête menée au Sénégal, ainsi que sur diverses études empiriques menées dans d'autres régions du monde, notre objectif est de montrer à quelles conditions un processus d'autonomisation est possible, en nous interrogeant notamment sur la légitimité du prêt collectif.

En effet, si l'engouement pour la microfinance laisse entrevoir l'idée d'un droit au crédit pour les femmes, ce droit a toutefois ceci de spécifique qu'il s'apparente à un droit collectif, même si ce n'est pas énoncé en ces termes. Les femmes du Sud sont de plus en plus nombreuses à avoir droit au crédit, à condition toutefois qu'elles s'associent en groupes et qu'elles se portent mutuellement caution. Aujourd'hui, d'après les statistiques de la Banque mondiale [1997b], 65% des dispositifs de microfinance reposent sur une approche collective et plus des deux tiers de leur clientèle sont des femmes.

C'est une question d'efficacité, puisque à travers la réduction des coûts de transaction et des asymétries d'information, le prêt collectif16(*) est supposé assurer l'efficacité de l'intermédiation financière et autorise ainsi l'espoir d'une viabilité des dispositifs. C'est également une question de soutien à la mobilisation et à l'émancipation n des communautés féminines, puisque à travers la gestion collective du crédit, on espère renforcer leurs capacités d'auto organisation. En réconciliant les partisans du néolibéralisme, préoccupés par les problèmes de rationnement de crédit et l'inefficience des marchés financiers, avec les partisans du développement dit participatif,soucieux de revaloriser le pouvoir des communautés locales, le prêt collectif suscite ainsi des attentes et des espoirs autant multiples qu'ambitieux.

Si les atouts de ce mode d'approche sont incontestables, en reconnaître les limites n'en reste pas moins essentiel afin de lui donner davantage de portée. Du point de vue des femmes, le prêt collectif peut tout aussi bien favoriser l'autonomie personnelle que la nier en confortant les liens de dépendance voire en en forgeant de nouveaux ; il peut consolider les réseaux sociaux comme les déstabiliser, appuyer les compétences collectives d'organisation et de gestion comme susciter et encourager la création de groupes fictifs ou monopolistiques. Du point de vue des prêteurs, le prêt collectif peut s'avérer être un excellent outil de gestion des risques et de l'information comme un facteur possible de défaillance généralisée issue de mécanismes de coercition et de coalition de la part des emprunteurs.

L'impact est prometteur tout en incitant à la prudence. La microfinance, en visant à promouvoir l'initiative à la fois individuelle et collective des femmes, apparaît comme un moyen de favoriser l'autonomie et la liberté réelle des femmes. Certaines conditions sont toutefois nécessaires.

D'un point de vue individuel, tout d'abord, l'étude menée auprès d'un programme sénégalais spécifiquement féminin confirme certains résultats observés ailleurs tout en apportant quelques éléments nouveaux. Accéder à un crédit, même de très faible montant, peut être un moyen non seulement de stabiliser des activités économiques ou d'en initier de nouvelles, mais encore de lutter contre la dépendance vis-à-vis de fournisseurs ou d'usuriers,de faire face à des dépenses imprévue s (maladies) ou à des périodes difficiles (notamment la période de soudure), évitant ainsi une décapitalisation de l'unité familiale. Un autre résultat concerne l'hétérogénéité de l'impact en fonction du contexte socioéconomique local et en fonction des statuts sociaux. Les plus pauvres sont surreprésentées pour les situations de perte, l'instabilité quotidienne est telle que le moindre aléa peut conduire à l'échec.

Inversement c'est pour les plus aisées que les marges sont les plus importantes.

Deux autres résultats sont plus originaux. Le premier consiste à considérer l'impact qualitatif. Si l'on raisonne en termes de bien-être et d'indépendance et pas strictement en termes de revenus, alors l'impact auprès des plus défavorisées devient significatif. Le second résultat original réside dans l'évolution des pratiques financières collectives. Compte tenu de l'ensemble des contraintes auxquelles les emprunteurs sont confrontés, notamment les femmes, il est rare que la microfinance suffise à enclencher une dynamique de long terme ; le contexte d'incertitude incite plus à adopter des stratégies de répartition des risques que d'économies d'échelle. Notons à cet égard que l'offre de crédit n'est pertinente qu'en lien avec d'autres produits financiers : dans certains contextes, l'accès à l'épargne est tout aussi nécessaire. Le processus intéressant constaté ici, c'est l'effet de levier provoqué par le crédit auprès des groupes d'emprunteuses et la mise en place d'une dynamique collective qui entraîne les groupements emprunteurs à développer une attitude active de crédit et d'incitation à l'épargne forcée. Le principe tontinier se transforme en un système que nous avons qualifié d' « avance permanente », dont l'objectif et de pérenniser l'accès à des sources de financement. Dès lors que les femmes ont un accès régulier au crédit, une trajectoire d'autonomisation devient possible.

Tout dépend toutefois de la manière dont fonctionnent les groupes d'emprunteuses.

Pour les groupes qui ont su trouver un équilibre entre leurs propres activités et leurs relations extérieures, l'accès au crédit est susceptible de jouer un effet de levier considérable sur leurs capacités de médiation financière. Le rôle joué par le groupe en matière d'auto sélection et d'incitation est un moyen de limiter les problèmes d'asymétrie d'information et donc les risques, il permet ainsi à des emprunteurs a priori « insolvables » d'accéder au crédit. Mais la délégation de responsabilités ne doit pas pour autant conduire à considérer les groupes comme des « boîtes noires ». La complexité des relations sociales montre qu'une approche solidaire ne s'improvise pas. Une approche pragmatique, progressive est incontournable. Une connaissance fine des logiques sociales et culturelles est essentielle, ainsi que la prise en compte des jeux de pouvoir et de contre pouvoir.

* 16 Le terme prêt collectif désigne à la fois les prêts destinés à des groupes de femmes (group loan), l'usage étant laissé à leur discrétion, et le prêt avec caution solidaire : le prêt est individuel mais les femmes n'y ont accès que si elles font partie d'un groupe qui se porte caution.

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