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Les attributions sociales du capitaine de navire

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par darly Russel KOUAMO
Université de Nantes - Master droit et sécurité des activités maritimes et océaniques 2014
  

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CHAPITRE II LA RESPONSABILITE DU CAPITAINE DANS L'EXERCICE DES ATTRIBUTIONS

SOCIALES. 65

Section 1 L'ambiguïté du statut du capitaine vis-à-vis de l'armateur. 66

Section 2 la mise en oeuvre de la responsabilité du capitaine. 71

Conclusion 83

BIBLIOGRAPHIE 85

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INTRODUCTION

En date du 16 avril 2014, le monde entier est choqué par des images montrant le naufrage d'un navire ayant à son bord de nombreux passagers. Il s'agissait d'un ferry sud-coréen nommé « Sewol », lequel s'est englouti au large de la côte méridionale coréenne, emportant par le fond plus de 300 passagers. L'indignation atteindra son paroxysme lorsque l'on diffusera plus tard des images illustrant l'abandon du navire par le capitaine. La tragédie a profondément heurté l'opinion publique. L'incompétence des membres de l'équipage et surtout du capitaine semble être l'une des causes dudit accident. Des interrogations subsistent sur l'attitude de ce capitaine, qui pourtant a une grande expérience dans la navigation. Le procès qui s'est ouvert à cette occasion nous fournira de plus amples informations.

De tels accidents ont ponctué la navigation maritime qui, malgré les progrès réalisés, demeure dangereuse. C'est ce que traduit PLAGNOL lorsqu'il affirme que, « Si vous voulez aller sur la mer, sans aucun risque de chavirer, alors, n'achetez pas un bateau : achetez une île »1. Lorsqu'une catastrophe survient, les investigations sont d'entrée de jeu dirigées sur les membres de l'équipage et principalement sur le capitaine. En raison de ce qu'ils exercent leur activité dans un environnement périlleux et plein de mystères, les marins sont considérés comme des travailleurs à part avec un particularisme découlant de leur activité.

Depuis l'Antiquité, les marins vivent en décalage de la société terrestre, constamment éloignés de leur pays et de leur famille. Ils forment en quelque sorte une dynastie, on naît marin, on ne le devient guère; il y a des populations maritimes comme il y a des populations agricoles et des populations nomades2. Pour PLATON, il y avait trois sortes d'hommes : «les vivants, les hommes et ceux qui vont en mer». L'historien Alain CABANTOUS a relevé le caractère étrange des gens de mer : « En faisant de leur principal instrument de travail le bateau un lieu de labeur, un lieu d'existence, un intermédiaire matériel et symbolique entre eux et le reste des hommes, les gens de mer étaient les seuls à entretenir une relation particulière et indispensable avec un espace que les autres ignoraient ou voulaient ignorer3».

1Marcel Pagnol, Fanny, Presses-Pocket, 1976, n° 1285, p.160.

2Le Cour Grandmaison Charles, Condition des gens de mer en droit romain et en droit français : thèse pour le doctorat, Faculté de droit de Rennes. 1870, p. 40.

3 A. CABANTOUS, Les citoyens du large - Les identités maritimes en France (XVII-XIXe siècles), Aubier, coll. « Historique », Paris, 1995, cité par Patrick CHAUMETTE, « De l'évolution du droit social des gens de mer. Les marins sont-ils des salariés comme les autres ? Spécificités, banalisation et imbrication des sources », ADMO 2009, p. 471.

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Le personnage du marin a nourri les imaginaires, apparaissant le plus souvent dans la littérature comme un être sans attache, dont la vie est dédiée à l'aventure. Cette image « romantique » du marin traversant les mers et les océans en quête de nouveaux mondes, tel un héros d'Hugo PRATT, a largement contribué au prestige de la navigation européenne. Au-delà des mythes, les marins ont surtout joué un rôle essentiel dans le développement économique et dans l'influence politique de l'Europe4.

La Rome Antique réservait un regard de mépris aux marins. Mais parmi eux, le capitaine avait un statut privilégié. Le capitaine était chargé de la conduite du navire. Les maîtres lui confiaient, sans contrôle possible, le soin d'opérations aussi importantes. Il fallait bien l'intéresser au succès de l'expédition. Cette appréhension du capitaine va perpétuer au fil du temps, ce qui aura des répercussions sur son statut dans la société contemporaine.

Les principales caractéristiques de la structure de l'emploi à bord des navires de commerce ont été fixées entre la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Jusqu'en 1893, les seuls titres exigés au commerce concernant le commandement sont les titres de capitaine au long cours et maître de cabotage. Il n'y a pas de règlement obligeant à embarquer d'autres officiers que le capitaine5.

Le capitaine de navire ne doit pas être confondu avec le capitaine d'armement qui est «un préposé terrestre de l'armateur, chargé de pourvoir aux besoins des capitaines (de navire) en fait d'équipage »6.

Le capitaine du navire est un préposé de l'armateur, chargé de la conduite et du commandement d'un navire de commerce, il représente l'Etat du pavillon à bord du navire. A l'article L5511-2 du Code des transports, l'on note ceci : «est considéré comme capitaine personne qui exerce de fait le commandement du navire ». Le capitaine est donc cet agent qui préside aux destinées du navire dont il a la charge. En principe, l'acquisition de ce statut relèverait d'une désignation par le propriétaire du navire, ou par l'armateur en cas d'affrètement, comme le précise l'article L5412-2 du Code des transports. Mais exceptionnellement, l'on pourrait reconnaître la qualité de capitaine à un agent qui n'a pas été

4Wahiba SAHED, Le contrat d'engagement maritime, mémoire de master 2 de droit maritime et des transports, Aix-Marseille 3, promotion 2007. p.4.

5F. SONTHONASE, « structures sociales et organisation du travail sur les navires de commerce », in Travailleurs du transport et changement technologique, résultats de recherches en sciences humaines, colloque organisé par le ministère des transports, ministère de la mer, ministère de la recherche technologique, 1982, p54. 6 V. CA Rennes, 9 juill. 1969 : DMF 1970, 422.

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formellement désigné par l'armement. Il s'agit d'une question de fait, qui se dégage de la définition donnée par le législateur. Ce qui importe ici c'est l'exercice effectif du commandement. C'est aussi cette posture que la jurisprudence va observer.

Ainsi, la Cour de cassation donne une définition semblable à celle du législateur, mais plus descriptive : « est considéré comme capitaine celui qui exerce régulièrement en fait le commandement d'un bâtiment, quels que soient le tonnage, l'affectation de celui-ci et l'effectif de son équipage et ce, même s'il n'a pas assumé effectivement des fonctions de mandataire commercial de l'armateur7».

Le capitaine avait plusieurs appellations en fonction du type de navire et la navigation qu'il effectuait. L'on avait donc les maitres et les patrons8. Le sort du capitaine est lié à celui du navire ; le navire est pour ainsi dire le sol qui le nourrit, la patrie qu'il doit servir et défendre. Il lui est fait devoir de ne songer à sa sûreté personnelle qu'après avoir assuré ou tenté du moins le salut de tout ce qui l'entoure9. Considéré au sein des navires comme le maître après Dieu, le capitaine doit être ferme, habile, capable de commander à bord. S'il ne maintient point la subordination, s'il tolère l'indiscipline, si ne relevant plus que du bon Dieu, chacun peut faire à bord ce que bon lui semble, si les règlements et les consignes ne sont plus observés, c'est parce que celui qui est maître après Dieu, ne sachant pas être le maître, abandonne en quelque sorte le commandement du navire, qui ne va plus qu'à la garde, à la grâce de Dieu10.

C'est pourquoi très tôt, il a été requis que les capitaines aient certaines aptitudes. On exigea dès lors du capitaine une plus grande instruction. Aucune des spécialités établies à bord du vaisseau qu'il commandait ne devait lui être étrangère. Il devait réunir à la fois

7 Cass. soc., 15 mars 1972, Bull. civ.V, n°224, p.205.

8 A proprement parler, ces mots, capitaine, maître ou patron; ne sont synonymes que dans ce sens, qu'ils désignent indifféremment celui qui commande un vaisseau ou autre bâtiment de mer. Le titre de Capitaine ne convient naturellement qu'à l'officier qui commande un vaisseau du Roi. La qualité de maître est admise chez celui qui commande un vaisseau marchand. Les us & coutumes de la mer ne l'ont jamais appelé autrement que maître. A l'égard du titre de patron, il a toujours été réservé pour ceux qui commandent des barques, des allèges ou autres petits bâtiments. Il est pourtant vrai que dans l'usage actuel, on donne communément la qualité de capitaine à celui qui commande un navire marchand pour un voyage de long cours , et que la qualité de maître semble être réservée à la navigation au cabotage. V. M. René-Josué Valin, Nouveau commentaire sur l'ordonnance de la marine, 1760.p. P353.

9GONZAGUE BOUSHON, Devoirs du capitaine de navire, thèse pour la licence, Université de France, académie de Grenoble, mardi 29 aout 1843, p. 26.

10 La LANDELLE, Guillaume-Joseph-Gabriel, Le Langage des marins, recherches historiques et critiques sur le vocabulaire maritime, expressions figurées en usage parmi les marins, recueil de locutions techniques et pittoresques, suivi d'un index méthodique, Paris p.207.

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sagesse, courage et valeur. Il devait être sévère sur la discipline, prudent et expérimenté11. Il est même loisible de constater que dans l'antiquité, les capitaines étaient élus comme en témoignent les pandectes du droit maritime12. Bien plus, il est astreint à une loyauté indéfectible. L'importance même de ses fonctions lui impose une extrême vigilance et le plus grand courage; il ne peut abandonner son navire pour quelque danger que ce soit, sans l'avis des officiers qui composent l'équipage; et même dans ces cas, il est tenu de rester le dernier à bord.

D'abord simple technicien chargé d'assister le propriétaire du navire pour la navigation, il s'est entièrement substitué à lui lorsque celui-ci a cessé d'embarquer. Le capitaine a alors été chargé de mener l'expédition à sa place. Les marchands ont donc cessé d'accompagner leurs marchandises ce qui a débouché sur l'élargissement des compétences du capitaine qui cumule plusieurs fonctions13. Le capitaine est le personnage emblématique du droit maritime. Les origines de la fonction sont lointaines, son histoire longue et tourmentée. C'est la grande ordonnance de Colbert d'août 1681 qui viendra ponctuer l'évolution de la fonction, commencée dès la Rome et la Grèce antiques. Elle consacre les qualités requises d'un capitaine : talent de navigateur, négociant et meneur d'hommes. L'écho de ce triptyque de compétences résonne encore au coeur du droit maritime14.

Ainsi, le capitaine se trouve investi de nombreuses prérogatives qu'il exerce sur l'ensemble de la société de bord15. Usuellement, ses attributions sont classées en trois catégories : techniques, commerciales et administratives.

Pour ce qui relève des attributions techniques, elles sont relatives à la conduite du navire. C'est la mise en oeuvre des compétences nautiques que détient le capitaine. Elles sont exercées personnellement par le capitaine. Pour conforter l'obligation d'exercice personnel des attributions nautiques, il est fait obligation au capitaine de se tenir en personne à la passerelle de son navire à l'entrée et à la sortie des ports, havres ou rivières. Cette solennité historique en matière de navigation traduit l'importance qui est reconnue au capitaine. Le commandement d'un navire ne saurait se faire dans la clandestinité, mais de façon officielle.

11 Ducéré E., Histoire maritime de Bayonne. Les corsaires sous l'ancien régime, 1895, p.209.

12P. B. BOUCHER, Consulat de la mer, ou Pandectes du droit commercial et maritime , traduit du catalan en

français d'après l'édition originale de Barcelone de l'an 1494, tome premier, Paris, 1808, p522.

13 Martine Raymond Gouilloud, droit maritime, 2e ed, pédone, Paris, 1993., n° 201, p130.

14Marion Ollivier, Céline Thorel, Adrien Mouillé « Le capitaine et le droit pénal », AJ Pénal 2012 p. 585.

15 Le terme " bord " désigne le navire, ses embarcations et ses moyens de communication fixes avec la terre,

Article L5511-2 du Code des transports.

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Par contre, les attributions commerciales sont exercées sur ordre de l'armateur. Chaque fois que le capitaine, traitera des questions liées au sort de la marchandise, il agit dans le cadre desdites attributions. Il s'agit précisément des actes accomplis par le capitaine en représentation de l'armateur. Ça peut être la représentation contractuelle ou la représentation en justice. Lorsque le capitaine entamera des discussions et prendra les décisions relatives à la marchandise, il agira dans le cadre de la représentation contractuelle. A priori, il devrait formellement être autorisé par l'armement, mais en cas d'impossibilité, il prendrait des décisions qui engageront l'armement. La seule réserve est qu'il ait agi en bon père de famille. C'est le cas avec les décisions d'avaries communes. Contrairement à la représentation contractuelle qui a besoin d'être explicitement autorisée, la représentation judiciaire s'infère directement de la qualité de capitaine. C'est en ce sens qu'il est admis que les actes judiciaires destinés à l'armateur puissent être signifiés au capitaine.

Quant aux attributions administratives, elles découlent de l'attribution du pavillon. Il s'agit des attributions dévolues au capitaine dans le cadre de l'exercice des prérogatives dévolues à l'Etat du pavillon. On les qualifie aussi d'attributions publiques, c'est dans ce registre que le capitaine se voit confier les missions d'officier d'état civil, notaire, et aussi l'incarnation d'une certaine autorité disciplinaire à bord du navire qu'il commande.

Avec les progrès réalisés dans la navigation maritime, il est pourtant apparut que le rôle du capitaine s'est sensiblement affaibli et qu'il n'est plus cette figure symbolique du droit maritime dont le rôle et les pouvoirs sont d'une importance décisive. Les attributions techniques du capitaine ont été réduites. A cause de l'éloignement, dans ses fonctions techniques il n'avait d'ordres à recevoir de personne, mais avec les progrès des communications, l'armateur garde ainsi toute la main sur l'expédition, et ce même en matière commerciale. L'on a pu écrire à ce sujet que, « le premier maître à bord n'est plus le capitaine, mais le télex ». Magister Navis, maitre du navire, procureur de la communauté nautique d'autrefois, la liberté d'action dont jouissait le capitaine a été amplement entamée. Bien plus, avec l'accroissement de la dimension des entreprises d'armement, la rationalisation de leur gestion et l'établissement des liaisons, le rôle du capitaine s'est considérablement affaibli. Ce déclin des attributions du capitaine touche aussi ses attributions publiques. D'ailleurs CJCE a relevé qu'elles ne donnent pas lieu à un exercice effectif, régulier. C'est ce

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qui a justifié la suppression du privilège de nationalité des capitaines de navires au sein de l'Union Européenne16.

Cependant, en marge de ce triptyque d'attributions traditionnelles à lui dévolues, le capitaine s'occupe de l'application de la législation du travail à bord du navire. A l'image du chef d'entreprise en droit terrestre, il est responsable du personnel embarqué, et il est garant de ce que le cadre et les conditions de vie à bord soient bons. Ce faisant, il exerce des attributions sociales.

Elles sont relatives à l'ensemble des conditions de travail et de vie des gens de mer en général et spécifiquement les marins17. Il s'agit des prérogatives qui sont dévolues au capitaine dans la mise en oeuvre de la réglementation du droit du travail dans la société de bord. Précisément, cela a trait aux contrats d'engagement, à l'organisation du travail à bord. Nous ne saurions occulter les normes d'entretien et de propreté des lieux, l'alimentation et logement de l'équipage, les effectifs, les conditions de vie des marins, et toutes les mesures destinées à assurer le bien-être des marins et les questions connexes prévention des accidents de travail, soins médicaux. Bref, ces attributions, pour la plupart d'entre elles, concourent à la protection sociale de l'équipage18. Même si l'on admet que c'est l'armateur qui est principalement chargé d'exécuter la plupart de ces attributions, il n'en demeure pas moins vrai que le capitaine intervient activement. Sans pour autant affirmer que le capitaine est le chef d'entreprise, on remarque tout de même qu'en matière de réglementation du travail, il assure les prérogatives dévolues au chef d'entreprise en droit du travail terrestre.

La dévolution de ces fonctions se fonde sur l'idée selon laquelle, le capitaine serait garant de la sécurité du navire, de son équipage19. Pour Pierre BONASSIES, le capitaine

16 CJCE 30 septembre 2003, aff. C-405/01, Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española c/ Administración del Estado, aff. C-47/02, Anker, Ras et Snoeck c/ Bundesrepublik Deutschland, Rec. CJCE, p. I10391 et I-10447, DMF 2003 pp. 1035-104O, Il Diritto Marittimo 2004-65 ; P. BONASSIES, « La nationalité des capitaines de navires et la CJCE », DMF 2003 pp. 1027-1034 ; P. MAVRIDIS, « La protection sociale des marins dans le droit communautaire », Rev. Dr. de l'Union Européenne 3-2003, pp. 647-685.

17A l'article L5511-1 du code des transports, est considéré comme gens de mer, «tout marin ou toute autre personne exerçant, à bord d'un navire, une activité professionnelle liée à son exploitation». Le marin est, toute personne remplissant les conditions mentionnées à l'article L. 5521-1 (aptitude médicale), qui contracte un engagement envers un armateur ou s'embarque pour son propre compte, en vue d'occuper à bord d'un navire un emploi relatif à la marche, à la conduite, à l'entretien et au fonctionnement du navire.

18Yves Testrin, « la dimension sociale dans le contrôle par l'Etat du port », in A travail international droit international. Abandon des marins, les conditions sociales de la pêche. Journées d'études 2004 de l'observatoire des droits des marins, NANTES, 22 et 23 janvier 2004, p64.

19 Pierre Bonassies, Christian Scapel, Traité de droit maritime, 2e ed., LGDJ, Paris, 2010, n° 285, p199.

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incarne à bord la norme juridique, il est en quelque sorte le droit20. Ce faisant, il se trouve être responsable de l'équipage qu'il dirige. Cette charge dévolue au capitaine s'avère problématique, dans la mesure où ce dernier, étant employé de l'armateur, se trouve être investi d'une mission qui en principe incombe personnellement à l'armateur. Toute chose qui laisse perplexe au regard du statut ambivalent du capitaine du navire. Etant entendu que le capitaine à est la fois préposé et mandataire du capitaine.

Il y a lieu de reconnaitre que, c'est très tardivement que les conditions sociales des marins ont été réellement prises en compte dans le monde maritime. En effet, les hommes se sont ingéniés à travers les progrès scientifiques et techniques, à rendre la navigation maritime moins périlleuse21. Ce qui pourtant n'a pas empêché de nombreuses catastrophes : les naufrages de l'Erika et du Prestige en sont de récentes illustrations. Dans les progrès liés à la sécurité mis en place par les organisations internationales, les Etats et l'industrie maritime, environ 80% des ressources disponibles ont été consacrées à l'élaboration des solutions d'ordre technique et technologique, laissant seulement 20% de ces mêmes ressources aux questions relatives aux individus, Pourtant tous ces progrès techniques et technologiques n'ont pas pu empêcher les catastrophes22.

Même si l'on a souvent relevé les défaillances techniques, un fait demeure certain, l'élément humain a joué un rôle majeur dans ces catastrophes. C'est ce qui a sensibilisé la communauté internationale sur la dégradation des normes techniques et sociales dans la marine marchande23. Dans un rapport du BIT, l'on peut lire que, « les conditions de vie à bord, en tant qu'elles rejaillissent sur l'organisation du travail, les effectifs et la durée du travail, l'état sanitaire de l'équipage, ne sont pas sans lien avec la survenance d'erreurs humaines 24»

On pense toujours à la technique, mais on oublie souvent l'homme. C'est ce qui traduit la négligence de l'aspect social. Pourtant, comme l'a relevé Roger JAMBU-MERLIN, « c'est

20 BONASSIES, Hydro-afcan, La responsabilité du capitaine marchand, aujourd'hui, demain... séminaire Hydro-AFCAN, Marseille, 4 avr. 1991, rapp. Synthèse. Cité par Jean-Pierre BEURIER (dir) Droits maritimes, Dalloz 2e ed. 2008, note 7, p. 431.

21Nicolas Valticos, « la protection internationale des travailleurs de la mer», in La mer et son droit, mélanges offerts à Laurent Lucchini et Jean-Pierre Quenudec. Paris, ed. A. pedone, 2003, p.611.

22Philippe Boisson, Politique et droit de la sécurité maritime, éd. bureau véritas, paris, 1998, p353.

23 Yves Testrin, op. cit., p67.

24BIT, Les normes internationales du travail : une approche globale, 75eme anniversaire de la commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, BIT, version préliminaire, malte 2002, p. 571.

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parce qu'il y a les marins qu'il y a les navires25». L'inobservation des normes internationales de sécurité à bord des navires et les conditions de travail des équipages est un problème dont l'OIT se préoccupe depuis fort longtemps. Elle a attiré l'attention des gouvernements, armateurs et gens de mer là-dessus. L'OMI a pris conscience de l'acuité des problèmes de sécurité liés aux facteurs humains vers le milieu des années 60. Avant au début, l'OMI était concentrée sur l'amélioration des normes techniques, elle mena une campagne timide en faveur d'un renforcement de la qualification des équipages, domaine de compétence privilégié de l'OIT, par la suite la collaboration va s'installer au fur et à mesure26. C'est dans cette perspective que les réflexions conjointes seront menées pour assainir la vie des marins.

Dans cette perspective, plusieurs conventions destinées à remédier aux problèmes qui se posaient sont adoptées27. Mais, la fragmentation des réponses contenues dans ces conventions constituera un frein à leur mise en oeuvre. C'est ce qui a conduit au vaste chantier ayant abouti à l'adoption de la convention sur le travail maritime (MLC). Ce texte met à jour les 68 instruments internationaux adoptés depuis 1920. Destiné à promouvoir le travail décent, il vise à rendre le système de protection des normes internationales de travail plus proche des travailleurs concernés sous une forme mieux adaptée à ce secteur d'activité si particulier28.

La convention MLC place le capitaine au centre de la mise en oeuvre de la réglementation sociale à bord du navire. Le respect des règles du droit du travail qui a priori devrait relever de l'armateur, est désormais partagé avec le capitaine. La relation du travail qui existe entre l'armement et le marin est marquée par trois phases : la conclusion, l'exercice et la rupture. Ainsi, il sera question de voir comment se présente l'irruption du capitaine dans ces différentes phases. Plus précisément, non seulement il s'agira du droit du travail au sens strict, mais aussi des mesures destinées à garantir le bien être des marins. Nous sommes sans ignorer que le lieu du travail et le lieu de résidence du marin se trouvent tous deux à bord même du navire. Par ailleurs, avec les exigences en matière de sécurité, un fardeau pèse désormais sur le capitaine qui est interpellé au premier chef, ce qui implique une multitude de contrôles auxquels il doit faire face. Il importe donc une meilleure articulation de ces

25Roger Jambu Merlin, « réflexions sur le droit social maritime », DMF, 1961, p 131

26Philippe Boisson, op. cit. p.393.

27Marie Marin et Alexandre Charbonneau, «La convention du travail maritime 2006, traitement à terre des plaintes déposées par les gens de mer », in Les droits de l'homme appliqués aux marins, journées d'études marseillaises de 2006 de l'observatoire des droits des marins, maison des sciences de l'Homme «Ange Guépin», Nantes, 2006 p128.

28 Patrick Chaumette, « la convention du travail maritime OIT 2006 », journées d'études marseillaises de 2006 de l'observatoire des droits des marins, p.70.

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contrôles afin que le capitaine ne soit pas exténué. Le capitaine est un salarié de l'armateur et de ce fait, il mérite aussi un aménagement de son temps du travail.

Il est nécessaire dans cette logique de scruter les attributions sociales du capitaine. L'on devra s'interroger sur leur normativité tardive au détriment des attributions techniques, commerciales et publiques. Il sera aussi question de voir s'il n'existe pas un cloisonnement avec lesdites attributions qui ont fortement été vulgarisées. Il pose ainsi le problème de l'identification et de l'exercice des fonctions sociales du capitaine, sans occulter les modalités de contrôle. Dans cette optique, l'on devra par ailleurs analyser les difficultés éventuelles dans l'application de ces attributions. Compte tenu de l'ambivalence du statut du capitaine, cette étude offre l'opportunité de s'interroger sur l'éventuelle responsabilité dans la mise en oeuvre du droit social à bord du navire.

Il importe donc d'appréhender tout cela dans une lecture minutieuse des instruments en vigueur. Le présent thème se révèle d'un intérêt aussi bien pratique que théorique.

Au plan théorique, l'on devrait cerner la dimension sociale de l'intervention du capitaine qui semble être aussi ancienne que les autres fonctions. Mais en raison d'une absence de définition normative, est demeurée dans l'ombre des autres fonctions avec lesquelles le cloisonnement n'est pas si étanche, compte tenu des interactions et de l'interdépendance qui existe entre elles. De surcroit, dans un contexte d'érosion des fonctions du capitaine29, l'on est tenté de croire que la consécration de ses attributions sociales va redorer son blason. Avec le déclin du particularisme du statut de gens de mer qui, de plus en plus, veulent être traités comme les travailleurs terrestres, l'on essayera de mener une analyse croisée avec le chef d'entreprise en droit terrestre dont les prérogatives du capitaine se rapprochent.

Au plan pratique, et dans un contexte de prise de conscience de l'importance du facteur humain dans les opérations maritimes, ce sujet offre l'opportunité d'analyser l'application des dispositions de la convention du travail maritime. Ce sera l'occasion de relever les avancées et éventuellement les lacunes que l'on pourrait observer dans la réglementation du travail à bord des navires. Ceci d'autant que la mise en oeuvre des attributions sociales du capitaine s'inscrit dans un système où interviennent une pléthore d'agents : l'armateur, société pourvoyeuse des marins, Etat du pavillon, la société de classification, et Etat du port. Il sera donc question d'évaluer la pertinence du contrôle qui vise à assurer le respect de la

29V. Philipe Boisson, politique et droit de la sécurité maritime, éd. Bureau Véritas, Paris, 1998, p.380.

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réglementation sociale élaboré par la MLC. Au bout du compte, l'on devra savoir si cette dimension sociale renforce le statut du capitaine qui a récemment vu son importance être relevée au vu des exigences en matière de sécurité et de lutte contre la pollution.

Comme nous l'avons mentionné, le présent travail s'inscrit à la suite de l'adoption de la MLC qui sera le cadre principal de l'étude. Toutefois, nous n'allons pas nous limiter à la réglementation MLC sous peine de rester lacunaire, c'est pourquoi nous explorerons aussi les instruments internationaux, la législation nationale30 et les normes communautaires31. La présente étude se veut prospective dans la mesure où le processus élaboré par la MLC est en train d'être mis en place. Ce faisant, nous nous appuierons sur une analyse fonctionnaliste, dans la mesure où les attributions en étude sont fortement finalisées. Cependant, nous ne saurions nous détacher d'une lecture systémique, puisqu'il s'agit d`analyser la place occupée par le capitaine dans une chaine d'agents interconnectés. Enfin, nous ne saurions nous départir d'une approche historique, si chère au droit maritime. Il sera question de comprendre l'évolution de certaines règles à travers la lecture des us et coutumes qui avaient lieu à des époques plus ou moins reculées.

Pour mieux appréhender ce sujet, nous verrons d'entrée de jeu l'exercice des attributions sociales du capitaine (première partie), puis, nous nous concentrerons sur le contrôle desdites attributions (seconde partie).

30En occurrence le Code des transports et divers textes règlementaires.

31Nous constatons une régionalisation des conventions internationales au sein de l'UE, ce qui justifie la mention des dispositions communautaires. V. Patrick Chaumette, « l'exemplarité du droit social maritime », Du droit du travail aux droits de l'humanité, études offertes à Philippe-Jean Hesse, Yvon Le Gall, Dominique Gaurier et Pierre-Yannick Legal (dir.), PUR, 2003 note 14, p154.

La régionalisation des conventions internationales se présente comme le gage de leur efficacité, cela permettrait de rendre plus effectives les fonctions sociales, Patrick Chaumette, « les marins sont-ils des salariés comme les autres, évolution du droit social des gens de mer, évolution et imbrication des sources », in La place des femmes dans les activités maritimes, mise en oeuvre des textes nouveaux, journées d'études de l'observatoire des droits des marins, Maison sciences de l'homme, Nantes, 2008, p167, p170.

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Première partie L'EXERCICE DES ATTRIBUTIONS SOCIALES PAR LE CAPITAINE

Henrik IBSEN affirmait que « La société est comme un navire ; tout le monde doit contribuer à la direction du gouvernail 32». Au-delà de ce que la conduite du navire incombe à tout l'équipage, il n'en demeure pas moins que le capitaine est le premier concerné. Le capitaine est le chef de l'expédition maritime. Nommé par l'armateur, il est chargé de mettre en oeuvre la politique déterminée par ce dernier, et ce dans le respect de la réglementation en vigueur. A ce titre, il exerce pleinement des attributions sociales. De telles attributions qui ne sauraient d'ailleurs être déléguées, sont personnellement exercées par lui. Il est chargé de mettre en oeuvre la réglementation du travail à bord du navire. Pour ce faire il lui faut une maîtrise parfaite de l'équipage. C'est en raison de cela qu'il est activement impliqué dans l'organisation de l'expédition maritime (chapitre 1). Bien plus, le capitaine est chargé de protéger la société de bord (chapitre 2).

32 Henrik Ibsen, Un ennemi du peuple, 1882, disponible sur le site http://www.dico-citations.com/, consulté le 26 Avril 2014 à 23h43.

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