WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La bête du Gévaudan, l'animal pluriel.

( Télécharger le fichier original )
par Laurent Mourlat
Université d'Oslo - Maitrise 2016
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

IV. De la roture à la noblesse, un honneur bafoué et des actions dictées par l'intérêt

Comme nous venons de le voir, les deux hommes, bien qu'ils viennent de milieux différents, ne sont peut-être pas si dissemblables et partagent tous deux le désir de faire oublier les événements de la guerre de Sept Ans. Tous deux battus, pour l'un c'est l'honneur de la noblesse et de la famille qui est en jeu, pour l'autre, c'est l'honneur de l'armée. L'un ayant endossé le rôle de chasseur officiel, et l'autre étant noble de naissance, on aurait pu croire qu'au vu des victimes 315 ces deux hommes aient pu partager un idéal chevaleresque 316. En effet, les vertus du chevalier étant entre autres la grandeur d'âme, la fidélité, le courage et la prouesse 317, il paraît assez naturel que des hommes qui auraient eu un idéal aussi élevé aient cherché à ce que justice soit faite, surtout dans le cas où les victimes se trouvent être des femmes jeunes et des enfants. Développée par Smith 318, cette idée est séduisante, mais nous ne sommes plus au Moyen Âge, et il me semble que cette dernière ne soit pas adaptée à la réalité des forces en présence. Morangiès, est comme nous l'avons vu criblé de dettes et passe son temps à emprunter pour maintenir son train de vie. Il n'est pas ici question d'un idéal chevaleresque, bien au contraire. Du côté du capitaine Du Hamel, qui a des relations mais qui est issu du Tiers-Etat, on devine plutôt, même s'il est loin d'être l'individu si souvent décrit comme un incapable 319, un homme qui a soif d'ascension sociale et de

314 Cette constatation est signifiante car le droit de chasse n'était en général pas donné aux roturiers et fut jusqu'au règne de Louis IX réservé aux nobles. Au cours de son règne, ce dernier fit des dérogations et autorisa quelques bourgeois à le suivre. Il était cependant absolument interdit de chasser aux roturiers à qui même le droit de posséder un furet ou un chien n'était pas donné. Au XVIIIè siècle, un document nous renseigne. Il semble bien que la noblesse ne fût pas encline à abandonner ses privilèges. La citation ci-après l'établit : « La chasse estant un droit seigneurial qui nous attribue tout le gibier qui est sur notre seigneurie, il est de conséquence de le conserver sans le laisser à la mercy d'un tas de canailles, paysans et autres qui regarde la terre comme en propre et à leur discrétion ». Citation tirée d'un document utilisé au cours d'une conférence de Jean-Marc Moriceau à l'Université de Caen, samedi 4 avril 2009. Le document est intitulé : «Usages du prieuré et de la Seigneurie de Coudres vers 1723 ».

315 Les victimes sont en grande majorité des femmes jeunes et des enfants

316 SMITH, Op cit., p.81.

317 AUGER Louis Simon, Mélanges philosphiques et littéraires, Volume 2, Paris, Le duc de Chartres, 1828, p. 408.

318 SMITH, Op cit., p.81.

319 Du Hamel était souvent décrit comme un incapable. Il semble plus réaliste que le capitaine ait été desservi par l'étendue et la géographie du territoire de la Bête du Gévaudan. Il n'est pas sûr qu'une autre personne ait fait mieux, vu la tâche à accomplir.

78

reconnaissance du public 320. Le Comte de Moncan ne s'est d'ailleurs pas privé d'avertir le capitaine qu'il se chargerait de prévenir des personnes importantes 321 au cas ou il réussirait à débarrasser le Gévaudan de l'animal. Il est clair qu'avec une pareille recommandation, 322 Du Hamel aurait pu prétendre à une élévation substantielle de sa condition. On est là encore assez loin de l'idéal chevaleresque.

Comme nous pouvons le voir, le cadre dans lequel se développent les croyances en regard de la véritable identité de la Bête du Gévaudan est fortement structuré par l'intérêt personnel et la concurrence que se livrent Morangiès et Du Hamel. Ainsi, pour tous ces prétendants aux récompenses promises, il s'agit de ne pas démériter et de donner à un animal dont la nature est inconnue une forme à la hauteur des primes qui sont attachées à sa destruction. Cependant, si le capitaine décrit un hybride et Morangies un lion, jamais l'un d'eux ne se laisse aller à décrire un animal fantastique 323.

La remarque est signifiante car la superstition est chose commune dans les campagnes françaises du XVIIIè siècle et très répandue en Gévaudan. Par exemple, l'abbé Pourcher relate dans ses écrits un épisode pittoresque. En effet, selon la rumeur, deux femmes auraient croisé en 1765 un homme bourru aux abords des « bois du Favard » 324. La nature de cet être singulier fut sujette aux discussions et à toutes les extrapolations dans la région. Pour les gens du peuple, l'affaire était entendue, c'était un loup-garou 325.

320 Cette théorie sera vérifiée par le discours qu'il tiendra plus tard quant à l'identité présumée de la Bête. Cette partie de l'histoire sera analysée dans la suite de cette étude

321Lette de Moncan à Du Hamel datée du 14 octobre 1764. « si l'on peut parvenir à tuer cet animal, vous me ferez plaisir de me l'envoyer ou au moins la tête, la peau, la queue ou les pattes. Vous pouvez poursuivre cet animal partout où il ira. Je ne laisserai pas ignorer à M. le duc de Choiseul et à M. le comte de St.-Florentin l'offre que vous m'avez faite de le détruire, si vous pouviez parvenir à le trouver. » BONET , « Chronodoc », Loc cit., p.35.

322 Moncan propose ici à Du Hamel de référer à ses exploits potentiels directement au duc de Choiseul, le ministre à qui il avait préalablement envoyé un traité d'équitation.

323 Par « animal fantastique », j'entends des animaux comme le loup-garou.

324 Petite forêt du Gévaudan.

325 « ...Pendant tout le trajet qu'elles furent en compagnie de cet homme, en voyant les longs poils de son estomac à travers la fente de la chemise, elles étaient tellement saisies de frayeur que la respiration leur manquait et qu'elles pouvaient à peine se tenir sur leurs jambes, quand cet homme les quitta

brusquement; et dans la matinée on avait vu la Bête dans les environs. C'était, disait-on, le loup-garou qui de rage voulait empêcher ces femmes d'aller à la messe. Quand on allait à la vérification de ce fait, on l'assurait vrai, mais elles l'avaient seulement entendu raconter à des gens de tels endroits... » BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.175.

79

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille