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La bête du Gévaudan, l'animal pluriel.

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par Laurent Mourlat
Université d'Oslo - Maitrise 2016
  

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CONCLUSION GENERALE

I. Les figures de la Bête, un ensemble issu d'un processus social et historique

Au cours de cette recherche, mon but a été de découvrir si l'apparition de la Bête du Gévaudan a été à l'origine de nouvelles croyances. Arrivé au stade ultime de ce travail, il est selon moi utile d'exposer le processus qui est à la base de l'élaboration des croyances pour en établir l'origine et de ce fait, pouvoir répondre à la problématique de cette étude. Déjà exposés dans la recherche de Meurger, les éléments utiles à la constitution de l'objet d'une croyance sont aussi présents en Gévaudan.

Dès les premiers mois d'une période qui s'étend du 30 juin 1764 au 19 juin 1767 les attaques d'un animal amorcent un processus qui va très vite donner naissance à un objet de croyance. En effet, dans une région très catholique où la superstition est chose commune, des éléments distincts vont se conjuguer pour faire d'une bête qui n'était, d'après ce qu'en disent les historiens qu'un loup, des loups, ou un hybride, une entité particulière. Dès le début des attaques, c'est la cruauté du mode d'action qui choque. Très vite, l'inefficacité des battues qui sont organisées s'ajoute aux descriptions physiques de la Bête pour en faire une créature hors norme.

La présence de « signes anomaliques » 516 constatés au cours des chasses oriente alors l'interprétation des habitants illettrés vers une « dérive irrationnelle » 517 car les éléments en présence constituent les pièces d'un « puzzle spéculatif » 518. Parallèlement, le contenu du mandement de l'évêque de Mende et les traductions approximatives des prêtres locaux se combinent. La conjonction de tous les paramètres cités ci-dessus est alors à l'origine d'une incertitude interprétative avérée.

En tant qu'élément extérieur, la presse joue un rôle de caisse de résonance car elle se focalise sur une topographie de la Bête (itinéraires, attaques avérées, morts, chasses inefficaces, etc..) tout en proposant un récit et une iconographie qui font référence à des créatures mythologiques ou issues du folklore populaire. Fort de ces éléments, il est alors possible de déceler une dichotomie 519 sociale des croyances car, si les nobles et les personnes instruites semblent se désolidariser du

516 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 177.

517 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 181.

518 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.

519 Cette dichotomie est, semble-t-il, la règle générale. Cependant, en étudiant de près les archives, on peut constater que certains individus ne suivent pas l'interprétation généralement attachée à leur classe sociale.

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récit médiatique, la narration populaire, elle, y est quasiment reproduite, voire amplifiée. Cet indice paraît indiquer que, même dans les campagnes reculées, la majorité des populations qui disposent d'une instruction a délaissé le cadre vernaculaire pour se vouer au cadre interprétatif analytique des Lumières. Cette conjoncture, qui à l'époque des faits aboutit à l'abandon par les lettrés de l'hypothèse irrationnelle, est intéressante car elle est aussi d'une certaine façon visible de nos jours en Gévaudan. En effet, à la lecture de la retranscription de l'entretien effectué avec Mr Boisserie en 2015, on s'aperçoit que, même si mon interlocuteur a une tendance prononcée pour les thèses exotiques et qu'il légitime ses opinions par l'utilisation de procédés traditionnels, il ne dérive jamais vers la thèse d'un animal mythologique. Cela est à mon sens la démonstration du fait que le paradigme des Lumières est aujourd'hui très majoritairement intégré par les populations car, même si la construction de l'objet du « puma du Gévaudan » procède de mécanismes comparables 520 à ceux qui ont vu l'élaboration du « mythe de la bête du Gévaudan » 521, elle ne débouche que sur des interprétations circonscrites au domaine de l'existence ou de la non-existence d'une bête en bonne et due forme. C'est donc le cadre interprétatif issu des Lumières qui délimite aujourd'hui le champ des possibles.

À l'inverse des lettrés, la grande majorité des roturiers du Gévaudan à l'époque des faits n'a pas accès à l'instruction. C'est donc sur un cadre vernaculaire traditionnel qu'elle fonde son interprétation du monde. Le processus de formation de l'objet de la Bête dans le Gévaudan du XVIIIè siècle est donc, même s'il est identique à celui dont les individus éclairés sont le témoin, décliné ici sur un tout autre mode. Ainsi, la lecture des méfaits imputés à la Bête du Gévaudan conduit dans cette couche de la population à une transposition irrationnelle qui débouche logiquement sur la réactivation des croyances anciennes : le loup-garou, la sorcière, le diable et l'hybride.

Ces figures étant, nous l'avons vu au cours de cette étude, déjà présentes dans le folklore populaire, la théologie, les mythes, ou les procès antérieurs aux événements du Gévaudan, il semble

Par exemple, dans le cas de la lettre anonyme dont j'ai fait usage pour l'analyse des croyances liées aux sorcier(e)s, on peut constater que la qualité du style et de l'écriture ne cadrent pas avec ce que l'on est supposé attendre d'un illettré. Dans le cas où l'auteur de la lettre anonyme appartiendrait, comme je le pense, à une couche sociale supérieure, la description de l`existence d'un(e) supposé(e) sorcier(e) peut montrer une certaine perméabilité des couches sociales aux croyances. De plus, l'existence du témoignage que l'on sait venir d'un paysan de « Fraissinet », nous montre, cette fois-ci avec certitude, qu'il y a des exceptions aux règles générales. Bien qu'étant un roturier, cet autochtone n'accorde aucun crédit aux thèses fantaisistes. Pour lui, la Bête du Gévaudan n'est autre chose qu'un loup en bonne et due forme. Cet extrait, tiré d'une lettre du syndic Lafont datée du 17 avril 1767 en donne la preuve certaine : « la bete s'arrêta à quelques pas du Sr Chaleil, il me dit avoir eu tout le tems de la bien considérer, et avoir bien remarqué que ce n'étoit autre chose qu'un gros loup». Archives de Montpellier, Cote 6772.

520 Signes anomaliques, récit médiatique, attaques (sur un cheval cette fois-ci), etc...

521 Il est ici question des croyances attachées à cet animal. L'animal en soi n'est pas un mythe ; il a, nous le savons, bien existé dans la réalité.

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alors raisonnable d'affirmer que l'apparition de la Bête du Gévaudan n'est pas à l'origine de croyances originales ou nouvelles.

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