ANNEXE 5
Transcription de l'interview de Monsieur Yves BOREL,
journaliste et concepteur de la Règle d'Or. Cette interview m'a
été accordée le 16 Avril 2016, par
téléphone.
Comment définiriez-vous le luxe ?
Pour moi, le luxe, c'est ce qui est rare. C'est
très psychologique, car c'est très lié à ce que les
personnes tiennent à coeur. Par exemple, j'ai des skis (ce qui ne vaut
pas une fortune) mais ils sont d'excellente qualité, la première
fois que j'ai skié avec je me suis dit : « Je peux faire ce que je
veux avec ses skis ! ». Le skieur m'a répondu que si on donne ses
skis à quelqu'un qui ne sais pas skier, il ne saura rien en faire.
Pareillement dans le cas des voitures : celui qui est passionné par les
voitures va être touché, alors que moi pas du tout.
Donc la notion de luxe est liée à celle de
rareté et d'expérience personnelle.
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
C'est un peu ce que je viens de dire. Si demain, je peux
avoir chez moi un tableau de Chagall, ce sera pour moi le summum du luxe. Pour
le commun des mortels, cela peut ne rien vouloir dire, mais pour moi c'est
important.
Le luxe c'est quelque chose qui brille dans l'esprit. Il y
a une part d'émerveillement. Je trouve que c'est très
attaché aux gens.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si
oui, pourquoi ?
Cela dépend comment on l'interprète. Du
point de vue de l'émerveillement, c'est le même luxe. Les gens
peuvent l'interpréter comme ils le veulent, mais le ressenti est le
même. Par exemple, je vais descendre au Negresco, ou je vais me payer un
costume Hugo Boss. Même s'il ne s'agit pas vraiment de la même
chose, je vais satisfaire un grand plaisir dans les deux cas. Le luxe 'est une
impression, une émotion. Le luxe pour moi c'est de déjeuner
à midi dans un restaurant top dans le Sud-Ouest avec un super foie gras,
je finirai avec un armagnac de 1929. Et le lendemain, je serai dans une ferme,
je mangerais une garbure avec une omelette. Le luxe c'est que pendant une
semaine, je dorme sous une tente et ensuite, la
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semaine d'après, je me paye un hôtel de luxe.
C'est pouvoir satisfaire toutes mes envies. Là, je pense avoir la
définition la plus juste de ce qu'est le luxe.
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ?
Un mot me vient : le respect. C'est comme s'il y a avait
un respect de soi et des autres. Les français, dans leur façon de
s'habiller par exemple, se respectent et on un très fort respect des
autres. C'est l'élégance, la beauté, la finesse.
Ça a aussi un coté assez exceptionnel. Par
exemple, l'Angleterre fait de très belles choses mais on n'a pas ce
côté élégant comme on peut le retrouver en France ou
en Italie. Finalement, avant Louis XIV, il n'y avait pas vraiment de
raffinement ni d'élégance. Louis XI ne s'habillait pas
forcément bien pour un roi. On doit beaucoup au Roi Soleil.
On parle souvent de l'« art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de
l'élégance ?
Parce que je pense qu'il y a au travers de l'Histoire de
la France, une grande part de recherche du bien-être, donc de bien
profiter des choses, de la vie. Je crois que par exemple, la gastronomie
française est vraiment dans la recherche de ce qui va susciter de
l'intérêt, de l'attention qui va émerveiller. Un chef qui
parle de sa cuisine va donner forcement beaucoup d'envie ; La France est un
pays qui donne envie. Il y a aussi quand même quelque chose
d'extraordinaire auquel on ne pense pas forcement : la beauté des
paysages, la beauté du pays qui génère de l'enthousiasme
et du bien-être.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ? J'entends par la que certaines
notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins,
l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement
françaises.
Oui, je te rejoins sur le sujet. Cela rejoint aussi la
vocation du Pôle Excellence Tourisme dans lequel je suis impliqué.
Il s'agit de promouvoir l'excellence française à l'international.
Je pense que l'excellence est bien là, mais on ne se donne pas assez les
moyens de le faire valoir à l'international. On est plus dans un langage
que dans une action.
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Je suis en contact avec une personne qui a des
responsabilités régionales sur le commerce extérieur. Il
regrette que ce luxe-là ne soit pas assez mis en valeur. Au niveau de
l'état, pour l'instant, rien n'est vraiment fait.
Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit un
phénomène si récent ? J'aurais tendance
à penser que non. Surtout par rapport aux moyens de communication qui
font que en effet, on a accès en effet à des choses auxquelles on
n'aurait pas eu accès avant. Je crois que la communication et
l'élévation du niveau de vie y sont pour beaucoup.
L'évolution de la société mord sur le luxe.
Comment vous imaginez-vous le luxe dans 50 ans
?
Je pense qu'il y aura encore une élévation
du niveau de vie, le luxe sera donc encore plus important. Si le Pôle
Excellence Tourisme va au bout de ses idées, le luxe aura encore plus de
place. Ensuite, l'élévation du niveau de conscience va à
mon avis vers une finesse, une qualité de vie, une perception de
vie.
Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur
passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ? Si oui,
pourquoi ?
Oui évidemment. J'ai vu avec l'exposition de Louis
Vuitton le luxe porté à des niveaux très
élevés. Il y avait des malles extrêmement belles, mais en
même temps rares. Cela m'a changé la vision de la marque. On vit
l'histoire de la marque avec elle.
Comment expliquez-vous que parler de son histoire et
de ses traditions puisse être un argument de vente ?
La référence aux racines est essentielle ;
tout ce qui a été réalisé par la grande marque,
tout ce qui est beau et exceptionnel dans la fabrication. On est dans
l'unicité et la séduction. Ça donne envie. J'imagine la
réaction des gens à l `époque, ça devait être
de toute beauté.
Quelles sont selon vous les principales ambitions des
grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux
challenges ?
C'est les qualités de la France : avoir des
pièces qui sont exceptionnelles car il y a une tradition, une recherche
de qualité. La chose qui compte, c'est que ces prouesses sont possibles
grâce à de gens remarquables (les artisans ou les
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créateurs). Il faut continuer à faire valoir
les artisans. On a en puissance des créateurs, mais cela se conjugue
forcément avec nouvelles créations : une recherche de
créativité permanente. L'une des qualités de la
Règle d'Or, c'est faire en sorte que la création soit reconnue,
mise en valeur et développée. S'il y a une
élévation du niveau de conscience, les choses se font
d'elles-mêmes.
Quelles leçons pourrions-nous tirer du
règne de Louis XIV ?
Pour moi, il s'est entouré d'artistes dans tous les
domaines et il les a laissé s'exprimer, même s'il n'était
pas toujours d`accord (par exemple avec Molière). Ils ont permis de que
les artistes s'expriment. C'est ce que permet la Règle d'Or.
Appart Louis XIV, pourriez-vous me citer d'autres
personnes qui ont activement travaillé à faire régner la
France en maitre sur les produits de luxe ? Si oui, pourquoi ?
François 1er (pendant la Renaissance)
avait bien compris les choses. Malraux aussi avait compris la puissance de la
culture. Ils ont fait comme Louis XIV, ils se sont entourés
d'artistes.
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