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Le design thinking comme moteur de changements au sein d'une structure.

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par Camille LECARDONNEL-VIDAL
Kedge Business School - Master 2 - Programme Grande École 2015
  

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I. Revue de littérature

I.1/ Concept Design Thinking

Le Design Thinking est la notion majeure de notre mémoire, autour de laquelle s'articule notre problématique. Plus connue par les personnes travaillant de près avec le milieu du design, nous nous attacherons donc à bien la définir.

Depuis les années 2000, l'agence de design IDEO et l'Institut de design à l'université de Stanford popularisent le concept de Design Thinking, que l'on peut traduire littéralement en « pensée design ». Il est présenté comme une nouvelle méthode en faveur de l'innovation, en aidant les équipes à « générer des idées révolutionnaires applicables et réellement efficaces »4. Il s'apparente à un nouveau modèle philosophique du design. Comme la bien montré Wolfgang Jonas, il ne faut pas confondre le design thinking (en minuscule) avec le Design Thinking ni avec le Design Management. Le design thinking était étudié dans les années 1990 par les héritiers du mouvement des Design Methods qui visait à comprendre les processus cognitifs de l'acte de design.

Toutefois, avant de s'aventurer dans l'explication du Design Thinking, il est nécessaire de définir et de comprendre ce qu'est le design. Il est très difficile de trouver une définition, même le Design Dictionary s'avoue battu: « Au risque de vous décevoir, cher lecteur, il est impossible de donner une définition unique et faisant autorité de terme central de ce dictionnaire - design »5. Cette indéfini-tion du design n'est pas une fatalité en soi, mais illustre plutôt un symptôme épistémologique. Ce symptôme s'explique très bien par le fait que depuis une vingtaine d'année, la notion de design a littéralement explosé et évolué. Elle a beaucoup évolué entre 1990 et 2010. Alors qu'il régnait autrefois une certaine stabilité et unité autour de la notion « design industriel » (1960-1980), il règne aujourd'hui une multitude d'approches et de définitions. En effet, comme le souligne C.Chaptal de Chanteloup, le design est décliné à toutes les sauces et il est donc important de distinguer "Design", "Design Management" de "Management du Design". Simplement, l'auteur définit le "Design" comme une démarche pour concrétiser une vision. Le "Design Management" quand à lui est l'intégration de cette vision dans un contexte qui prend en compte les aspects stratégiques et organisationnels d'une entreprise. C'est pour cela que le Design Thinking se rapproche du "Design Management" dans sa façon d'opérer.

4, Tim Brown, L'esprit Design, p 3-4, Pearson

5 Design Dictionnary M.Erlhoff, T.Marshall (dir), , Basel, Boston, Berlin, Birkhauser, 2008, p.104

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Le design est une discipline apparue lors de la révolution industrielle, d'abord sous la forme de design industriel. Historiquement, le sens premier de design n'est pas celui du design industriel, mais de projet ou méthodologie de conception, qui remonte à la Renaissance. Comme l'a montré le psychosociologue Jean-Pierre Boutinet, le design est intrinsèquement lié au projet architectural de la Renaissance italienne; projet architectural inventé par l'architecte Brunelleschi à Florence vers 1420. Le projet était alors un moyen « pour séparer et unir simultanément deux temps essentiels dans l'acte de création appliqué à l'édification d'un bâtiment: le temps de travail en atelier, ordonné à la conception de la maquette, et le temps de travail sur le chantier, concrétisé dans la réalisation de l'oeuvre à partir de la maquette conçue »6 Le projet est donc l'invention d'une division du travail en deux temps: un premier temps, celui de la conception, puis un second temps, celui de la réalisation. C'est ce que la langue italienne distingue par les mots: progetto (activité intellectuelle d'élaboration) et progettazione (activité de réalisation). Les deux mots confondus donnent designo en italien, soit design en anglais. Design est donc le terme qui regroupe originairement les deux dimensions fondamentales d'un projet, la conception et la réalisation. S'éclaire aussi l'étymologie du terme design. Design est aussi issu du latin de-signare (« marquer d'un signe ») ; forme que l'on retrouve dans le terme italien de-signo et anglais de-sign. Le design est alors à entendre en tant que mode de conception par les signes; signes représentant dans le cas dans projet architectural les images en perspective de l'opération. C'est uniquement à l'âge de la société de consommation de masse que le design a acquis son sens de design industriel.

Le premier usage du terme design dans un contexte économique et industriel remonte à 1849 avec la parution du Journal of Design and Manufactures, créé et dirigé par Henry Cole qui militait à l'époque pour « marier le grand art et l'habilité mécanique »7. En effet, suite aux préjudices engendrés par l'industrialisation, de nombreux groupes d'artistes, d'architectes et d'artisans se sont sentis ravagé par cette volonté « de faire des produits de qualité »8 et de valoriser le travail industriel grâce « à la coopération de l'art, de l'industrie et du travail manuel »9 . D'où le livre de Raymond Loewy, La Laideur se vend mal, qui est un best-seller et un manifeste dans lequel il définit son approche du design industriel: « la Beauté par la Fonction et la Simplicité ».10

Les projets de cet homme, Raymond Loewy, sont devenus des légendes comme le paquet de cigarettes Lucky Strike ou encore le logo des biscuits LU. Le design industriel s'est saisi de

6 JP Boutinet, 2002, p224

7 A.Midal 2009, p33-34

8 D.Huisman, G.Patrix, 1961, p15

9 D.Quarante, 1994, p60

10, R. Loewy, La laideur se vend mal , 1953, p26

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l'opportunité de la production en série pour vendre en masse; la concordance entre la forme et la fonction a principalement pour but l'efficacité commerciale. Ce modèle se manifeste concrètement dans une entreprise des années 1930 par la fusion du département design avec celui du marketing. Le design, ainsi réduit au marketing, devient alors uniquement un processus créatif de reconfiguration des signes au service du marché de consommation, par exemple la branche du design d'emballages (packaging design). Cette nouvelle configuration organisationnelle au sein des entreprises a contribué à l'arrivée d'une multitude de produits sur le marché, créant alors un monde nouveau constitué de « commoditise », et de consommateurs passifs et « conditionner »11. Dans ce contexte de libéralisme et de quête de nouveaux marchés, les secteurs clés du design sont la création d'image de marque, de supports de communication et d'offre produits et services. « Le design industriel est le service professionnel qui consiste à créer et à développer des concepts et des spécifications qui optimisent la fonction, la valeur et l'apparence des produits et systèmes au bénéfice mutuel de l'utilisateur et du producteur »12. Ce model économique va tellement s'imposer que l'expression « design industriel » cède peu à peu sa place au simple terme « design ». La notion industriel n'est plus mentionnée, soit parce qu'elle est considérée comme implicite, soit pour suggérer une extension du design qui s'applique au delà des seuls produits manufacturés.

Le design ne serait plus « ni un art, ni un mode d'expression, mais bien une démarche créative méthodique qui peut être généralisée à tous les problèmes de conception »13 Le design rentre alors en crise, petit à petit, dans les années 60. Cette redéfinition du design commence par l'arrivée d'un directeur à l'école de design d'Ulm qui entend vouloir « promouvoir un design au service des individus et non de la société de consommation » proposant ainsi à ses étudiants des cours de psychologie, d'anthropologie et de sciences. En 1971, Victor Papanek publie Design pour un monde réel, un livre cinglant dans lequel il écrit qu'en raison du fort taux de pollution que rejette l'industrie « peu de professions sont plus pernicieuses que le design industriel » et incite le design a devenir « un outil novateur, hautement créateur et pluridisciplinaire, adaptés aux vrais besoins des hommes »14. Cette crise identitaire du design industriel prend tellement d'ampleur qu'elle oblige les designers souhaitant continuer leur activité à une profonde remise en questions. Au lieu de créer des produits à obsolescence programmée et rapidement dépassés par les mutations technologiques, le design doit changer et renouer avec sa tradition humaniste, centrée sur l'humain.

11 E.Sottsass, Lettre aux designers, Domus, avril 1990

12 The Industrial Designers Society of America, en ligne, aout 2004

13 J. de Noblet, Roger Tallon, un designer industriel 14V. Papanek, Design pour un monde réel, 1917

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L'ère post-industrielle veut que les designers s'intéressent plus sérieusement aux sujets. Désormais comme l'affirme Klaus Krippendorf, ancien étudiant de l'école du design d'Ulm, dans son ouvrage The Semantic Turn: a New Foundation for Design, « le design est une fabrique du sens des choses »15. Le design est alors là pour dépasser la simple fonctionnalité et le simple côté esthétique d'un produit, et pour jouer un rôle social en y intégrant les émotions. Le design devient un outil pour nous faire comprendre les choses, nous les rendre plus familières, afin de les intégrer dans notre vie. Depuis les années 1990, la notion de design est rentrée dans une nouvelle ère, où la finalité humaniste reprend le pas sur la finalité marchande. De nouvelles formes de design comme l'éco-conception, le design d'interaction, le design de services, le design social ou encore le co-design ou design participatif apparaissent, et ne se limitent plus seulement au design industriel. Le designer s'intéresse et s'interroge désormais sur la façon dont les individus, les groupes et les cultures vivent. On peut alors reparler de projet, de projet design, et revenir au sens initial du design comme étant une méthodologie de la conception chez les architectes de la Renaissance. Par projet, Jean-Pierre Boutinet, auteur d'une imposante anthropologie du projet, entend par projet « toute conduite d'anticipation socialement observable, qu'elle soit individuelle ou collective »16. Depuis ces dernières années, on constate que le projet est devenu la matrice organisatrice de la plupart de nos activités humaines dans une société postindustrielle. On parle de « projet pédagogique », de « projet de loi », de « projet architectural », de « projet d'aménagement » et de « projet d'entreprise ». Projet d'entreprise qui rejoindra notre concept de politique stratégique et organisationnelle. Le projet de design ne se réduit toutefois pas à la seule conduite d'anticipation. Le design est une discipline du projet; il ne peut s'en passer. On n'a par exemple pas toujours eu besoin de projet pour l'orientation professionnelle des jeunes (« projet d'orientation »), cependant, il est tout simplement impossible de fabriquer un objet industriel sans la méthodologie du projet en amont. Le projet est un « trait structurel »17 du design.

Le design étant une discipline du projet par essence, notre choix d'étudier l'approche Design Thinking non pas en tant qu'outil d'innovation, mais plutôt en tant que mode projet prend tout son sens. Les deux concepts sont liés intrinsèquement.

Continuons donc à approfondir la méthode projet en design, et commençons à essayer de la comprendre. Stéphane Vial a analysé dans De la spécificité du projet en design: une démonstration la culture de conception propre au design. Il a alors affirmé que « pratiquer le projet en design, c'est

15 Krippendorff, 2006

16 Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet

17 Stéphane Vial, Le design, p82

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concevoir en fonction d'un idéal du monde un dispositif artéfactuel complexe qui donne forme à des usages autant qu'il produit des connaissances, en réaction à une demain ou un insatisfaction, et grâce à une méthodologie rigoureuse en constante évolution qui vise de manière créative et innovante, à améliorer l'habitabilité du monde »18. De cette définition, on en déduit trois caractéristiques. Le design est une discipline du projet tout d'abord fondée sur une culture créative. Le design est, en suite, une discipline avec son propre mode de connaissances et de compréhension du monde. Enfin, la discipline du projet en design est philosophiquement engagée dans la construction d'un idéal d'avenir meilleur et durable.

Il existe deux manières d'aborder la question de la méthode en design. La première est celle qui consiste à penser cette méthode sur le modèle de l'art, c'est à dire à considérer le processus de conception comme un acte de création; acte de création fondé sur des méthodes intuitives. Cette approche créative tend à résumer le design à une simple discipline de création d'objets destinés à l'exposition et/ou la vente dans des galeries d'art et des musées. La deuxième manière est celle qui consiste, cette fois-ci, à penser le design sur le modèle de la science. Le processus de conception est alors considéré comme un acte de projet, fondé sur des méthodes rationnelles. Cette approche pragmatique du design s'enracine dans l'observation des pratiques, des usages et des modes de vie. On passe alors de l'approche centrée-objet à l'approche centrée-processus. Cette nouvelle manière d'aborder les choses s'intègre dans le mouvement des Design Methods. Lancé lors de la conférence des Design Methods à Londres en 1962, ce mouvement vise à fonder le processus du design sur l'objectivité et la rationalité, et donc à sortir de l'illusion selon laquelle le processus de design serait un processus créatif reposant uniquement sur l'intuition solitaire du designer-artiste. Comme le dit Rittel: « Tout d'abord, l'acte design n'est pas un flux incessant d'événements créatif; c'est un travail hautement organisé et structuré, qui est seulement occasionnellement interrompu par de soudaines idées et intuitions. Ensuite, on ne peut pas tenir pour acquis que ces rares « événements créatifs » sont nécessairement mystérieux et au-delà de toute compréhension. »19 Désormais, grâce au mouvement des Design Methods, les méthodes en design peuvent être théorisés et enseignés dans les écoles. Or, enseigner la méthode de projet du design, c'est être capable de l'expliquer, la définir et la questionner. C'est pour cela que dans les universités et la plupart des écoles de design dans le monde, la recherche est inséparable de l'enseignement du design. Ainsi, comme l'explique Alain Findeli, il ne s'agit pas pour les designers de faire « de la théorie pour la théorie », mais plutôt de « renoncer à l'application de la théorie à la pratique en passant à la fécondation de la pratique par la

18 Vial,S, De la spécificité du projet en design: une démonstration

19 H.Rittel, Some principles for the design of an educational system for design , Journal of Architectural Education 25 (1/2), 1971, p1

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théorie »20. Bien évidemment, il faut éviter de tomber dans le second écueil, qui est celui de « réinventer le monde à chaque projet! »21.

Pour ce faire, l'enseignement va présenter la diversité des théories du projet et de ses modélisations. Une modélisation du projet (project mapping) est une représentation, sous forme de schéma, des grandes étapes incontournables et typiques d'un projet de design. Elle permet, par sa représentation simple de « l'acte de design », d'orienter la pratique des designers pour qu'ils soient plus efficaces. Hugh Dubberly a regroupé d'ailleurs dans son livre inachevé, How do you design?22, plus d'une centaine de modèles!

Ces nouvelles formes de design contemporaines semblent constituer un socle à l'émergeant de la démarche Design Thinking. Contrairement, au design thinking, héritier du mouvement des Design Methods, qui vise donc à comprendre le processus de l'acte du design, le Design Thinking est moins descriptif et plus normatif. Il vise à améliorer les processus stratégiques de l'innovation pour pouvoir installer des offres uniques, claires qui pourront répondre de façons différenciées et durables aux besoins fondamentaux du consommateur. Tim Brown, directeur de l'agence IDEO, fait du Design Thinking son cheval de bataille. En 2009, il publie Change by design, traduit en français en 2010 sous le titre L'Esprit design, dans lequel il expose sa théorie et sa méthodologie. Il en est venu à cette méthode, car il s'est rendu compte que les designers étaient de plus en plus sollicités par les entreprises pour résoudre des problèmes éloignés des domaines « classiques » d'intervention du design. Ses idées sont clairement exprimées dans un article publié dans la Harvard Business Review publié en 2008. Brown y présente alors le Design Thinking comme une « méthodologie qui imprègne l'ensemble des activités d'innovation avec une philosophie centrée sur l'humain »23.

Le concept de Design Thinking s'ancre dans une logique selon laquelle le design industriel classique n'est plus adapté et pertinent pour affronter les enjeux du mode contemporain:

« Désormais, plutôt que de demander aux designers de rendre une idée déjà développée plus attractive pour les consommateurs, les entreprises leur demandent des idées qui rencontrent mieux les besoins et les désirs réels des consommateurs. Le premier rôle est tactique, et se réduit par la création limitée de valeur; le nouveau rôle est stratégique, et conduit à d'extraordinaire nouvelles formes de valeurs »24.

20 A.Fideli, R.Bousbaci, cit, p40

21 A.Fideli, R.Bousbaci, version longue, EAD 6 (colloque de Brême) 2005, p12

22 H.Dubberly, How do you design?, 18 mars 2005, en ligne (septembre 2004): http://goo.gl/zHd6

23 T.Brown, Design Thinking, Harvard Business Review, juin 2008, p86

24 T.Brown, Design Thinking, Harvard Business Review juin 2008, p86

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Dans une économique des services et de la connaissance, il ne s'agit désormais plus seulement de créer des produits, mais « des procédés, des services, des interactions numériques, des divertissements, des manières de collaborer et communiquer, autant d'activités centrées-humain dans lesquelles le Design Thinking peut faire la différence »25. En effet, au fur et à mesure que les activités économiques des pays développés mutent, en passant d'une activité de fabrication à une activité de connaissance et de services fournis, « l'innovation s'affirme comme une stratégie de survie 26». Il faut donc passer à une « approche de l'innovation puissante, efficace et accessible, tenant compte de tous les aspects de l'entreprise et de la société27». La pensée design trouve des solutions à des questions éloignés de l'objet.

Méthode du Design Thinking selon Tim Brown

Ainsi, comme toutes les nouvelles formes de design contemporains mentionnées précédemment, le Design Thinking s'insère dans le mouvement de l'éclipse de l'objet et affiche son ambition d'humaniser le monde actuel. Le Design Thinking ne croit pas non plus au « génie créateur », mais plutôt au « travail augmenté par un processus créatif de découverte centré sur l'humain et suivi par des cycles itératifs de prototype, de test et d'affinement ». Inspiré par le concept de la pensé intégrative, le Design Thinking tente d'intégrer trois variables à leur réflexion: la variable humaine « désidérabilité » (intégrer l'homme au coeur du processus de réflexion et donc ne pas positionner les entreprises au dessus), la variable financière « viabilité » et la variable technologique « faisabilité ». Ces trois critères indissociables conditionnent la validité d'une idée, avant même celui du projet. Le but étant de « conjuguer ces trois critères dans un équilibre harmonieux »28. Le Design Thinking part donc des compétences que les designers ont apprises ces dernières décennies pour mettre en adéquation les besoins des hommes avec les ressources techniques disponibles, tout en respectant les contraintes économiques et environnementales. En conciliant ces trois variables, les designers ont créé les produits que nous avons aujourd'hui.

25 T.Brown, Design Thinking, Harvard Business Review juin 2008, p86

26 T.Brown, L'esprit design , 2014, p 8 Pearson

27 T.Brown, L'esprit design, 2014, Pearson

28 T.Brown, L'esprit design, p19, 2014 Pearson

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Fig: Modèle intégratif du Design Thinking selon l'agence IDEO

Désormais, l'approche Design Thinking va encore plus loin et évolue vers un transfert des compétences du designer à d'autres acteurs, jusqu'alors étrangers au monde du design. Ces derniers vont les appliquer à des problématiques plus vastes. Le Design Thinking sollicite des capacités que nous possédons tous, mais qui ne sont généralement pas utiliser dans les méthodes classiques de résolution de problèmes. « Il n'est pas seulement centré humain, mais il est humain en soi 29». Il mobilise notre intuition, notre capacité à générer des idées à fort contenu émotionnel, et à nous exprimer autrement que part des mots et des signes. Aujourd'hui, les entreprises ont tendance à concentrer leur innovation à des idées rentables sur le court terme. Cela donne lieu à des produits qui certes séduisent les consommateurs, mais qui s'avèrent très souvent être inutiles et finissent à la poubelle. Victor Papanek le résume ainsi: « Convaincre des gens d'acheter des choses dont ils n'ont pas besoin, avec l'argent qu'ils n'ont pas, pour impressionner leurs voisins qui s'en moquent »30.

En parallèle de ces trois variables qui tendent à se réunir, 3 temps, appelés « espaces » par Tim Brown, divisent la réflexion Design Thinking: l'espace de « l'inspiration » (caractériser et problé-matiser le sujet), l'espace de « conceptualisation » (engendrer, développer et tester des idées) et enfin l'espace de « réalisation » (trouver le marché qui rencontre les utilisateurs). L'usage de la notion d'espace permet de mettre l'accent sur la nature non-linéaire et itératif du processus de réflexion:

« Les projets passent en boucle à travers des espaces - en particulier les deux premiers - bien plus qu'une fois, à mesure que sont affinés les nouvelles idées et que sont prises les nouvelles directions »31.

29, T.Brown, L'esprit design, p4, 2014, Pearson

30 Victor Papanek, Design for the Real World: Human Ecology and Social Change

31 T.Brown, Design Thinking, Harvard Business Review, juin 2008, p86

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L'espace de l'inspiration se résume à l'observation des besoins des personnes dans son mode de vie et son contexte culturel: se laisser inspirer par les usages, s'efforcer d'être en empathie avec eux, se mettre à leur place afin de tenter de penser et percevoir le monde comme eux. L'espace de de conceptualisation est l'expérimentation concrète, via de nombreux prototypes, afin de faire émerger de nouvelles idées. Il s'agit de « faire pour penser, non pas penser pour faire »32. Enfin, l'espace de réalisation consiste à rechercher, puis mettre en oeuvre une stratégie marketing et commerciale adaptée en au marché ciblé, tout en incluant une forte participation des utilisateurs.

Ce phénomène de boucle et de non-linéarité du processus ne tiennent pas à un manque d'organisation ou de discipline de la part des designers, mais s'expliquent plutôt par le fait que le « Design Thinking est fondamentalement un processus exploratoire »33.

La phase initiale d'un projet est consacrée à la constitution d'une équipe projet pluridisciplinaire: des designers, des spécialistes, des experts, des marketers, des ingénieurs etc. L'équipe projet est, comme le dit Tim Brown, « l'ingrédient majeur à l'innovation ». Il est toujours possible de travailler seul, toutefois la complexité des projets actuels rend difficile ce type de fonctionnement. Dans la mesure où le design intervient dans de nombreux domaines et se situent en amont du processus d'innovation, le designer qui réfléchit seul aux relations entre la forme et la fonction, ne peut gagner face aux équipes interdisciplinaires. « Le design est trop important pour être laissé aux seuls mains des designers »34. Le designer est donc amené à collaborer de plus en plus avec les psychologues, philosophes, ethnographes, ingénieurs, scientifiques, managers, marketers, etc. Toutes ces disciplines contribuent depuis toujours au développement des nouveaux produits et des services. La différence est que la démarche Design Thinking les oblige à cohabiter au sein d'une même équipe et à exploiter le même processus de réflexion. Ils apprennent alors à communiquer entre eux, et cela favorise la transversalité des activités et des responsabilités, ce qui a pour effet d'étoffer la créativité. Elaborer un projet avec un regroupement de professionnels issus de domaines d'activités différents demande du temps et de la patience. On peut prendre l'exemple des designers et des architectes qui ont du mal à échanger et à partager, voir qui ont tendance à se détester. Il est donc nécessaire de prendre son temps pour les choisir.

Ainsi, depuis la création de l'institut de design à l'université de Stanford en 2005, des écoles spécialisées ouvrent leurs portes comme le Hasso-Plattner Institut (HPI) à Postdam en Allemagne ou en-

32 T.Brown, L'esprit design , 2014, Pearson

33 T.Brown, 2014, L'esprit design , Pearson p17

34T.Brown, Designers - think big! TED Global 2009, Oxford, juillet 2009, en ligne http://www.ted.com/talks/tim brown urges designers to think big

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core l'université Aalto d'Helsinki en Finlande, fusion de l'université technologique avec l'école supérieure d'art, d'architecture et de design, et l'école de commerce. En France, l'intégration de l'approche Design Thinking dans les programmes de formation reste contrastée. Alors qu'elle a tendance à être ignorée voir méprisée dans les écoles de design traditionnelles, les écoles d'ingénieur s'y intéressent avec notamment l'ouverture du programme IDEA (Ecole centrale et EM Lyon) et de la Paris-Est Design School (Ecole des Ponts ParisTech). Les nouvelles formations proposent de plus en plus des programmes à double profil, comme des ingénieurs ayant une expérience dans le marketing. Les entreprises créatives sont en effet à l'affut de profils polyvalents et capables de travailler de façon transversale. C'est pourquoi, Tim Brown insiste bien sur la différence entre équipe multidisciplinaire et une équipe interdisciplinaire. « Dans une équipe multidisciplinaire, chacun fait l'avocat de sa propre spécialité et la collaboration se résume à une négociation sans fin qui aboutit le plus souvent à un compromis de fortune. Dans une équipe interdisciplinaire, les idées sont la propriété de tous et de chacun »35. Ceux qui veulent donc pratiquer le Design Thinking doivent travailler au sein d'une équipe interdisciplinaire.

Le projet dans une approche Design Thinking est fondamentale, voir nécessaire. On ne parle pas de problème, mais plutôt de projet. Le projet est en effet le vecteur par lequel l'idée passe du concept à la réalité. Il s'incère dans la réalité avec un début et une fin, et la mise en place d'actions. Le fait que le Design Thinking s'exprime dans le cadre d'un projet, cela oblige à rédiger un cahier des charges avec des objectifs clairs.

Depuis toujours, les entreprises françaises ont eu tendance à négliger l'environnement de travail de ses salariés. Mais depuis la percée de Google alors que dans son bâtiment il y a des toboggans et des dinosaures à grandeur nature gonflables, il est difficile de ne pas admettre que cet environnement stimule la créativité de ses salariés. De nombreuses études montrent que l'efficacité des hommes est déterminée par leur environnement physique et par l'entourage psychologique dans lequel ils travaillent. Il faut « permettre aux individus d'être pleinement eux-mêmes »36 comme le souligne Tim Brown. Dans les structures, on observe souvent que les différents services sont séparés eux-entres.

Le Design Thinking est une méthode qui permet aux non-designers de faire du design. En effet, cette démarche se base sur trois compétences humaines qui ne nécessitent pas de formation particu-

35 T.Brown, L'esprit Design, p28, 2014 Pearson

36 T.Brown, L'esprit Design , p33, 2014 Pearson

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lière. Ces trois compétences font référence à trois éléments qui conditionnent la réussite d'un projet. Ces trois éléments sont comme le définit Tim Brown: « l'intuition, l'observation et l'empathie »37.

Il est difficile de détecter les besoins. Les besoins arrivent soit à ne pas être formulés correctement, soit ils sont latents voir inconscients. Le rôle des designers initialement est d'aider les gens à formuler des besoins latents voir inconscients. La pensée design a pour mission de traduire les observations en informations, puis ces dernières en produits et services, pour améliorer la vie des hommes. Les comportements ont toujours été très significatifs. Pour se faire, il va avoir recourt à ces trois critères.

L'intuition est « l'un des fondamentaux de la pensée design »38 comme le précise Tim Brown. L'idée est de sortir des studios pour les designers et des bureaux pour les marketers, ingénieurs.., et d'aller dehors et d'observer le quotidien des différentes populations potentiellement ciblées par leurs produits et services en cours d'élaboration. La psychologue Jane Fulton Suri, pionnière à s'être intéressée aux facteurs humains, se focalisait aux nombres « actes inconscients » que nous faisons chaque jour: les livres que le salarié met pour poser son écran d'ordinateur à hauteur des yeux. L'homme consommateur de produits et services aura beaucoup de difficulté à exprimer réellement ses besoins et ce que les entreprises pourraient faire pour améliorer son quotidien, alors que son comportement réel pourra nous renseigner sur l'ensemble de ses besoins non satisfaits. Ce travail pour essayer d'apprendre de la vie des autres, déclenche des idées créatives chez tout le monde; idées créatives qui part d'intuitions issues de ce travail d'observation.

L'observation a pour but de regarder ce que les gens ne font pas et écouter ce qu'ils taisent. En effet, la meilleure façon d'apprendre à connaître des gens est de vivre avec eux un certain temps. Il est donc nécessaire de se rendre sur place pour une période d'observation intensive. L'idée est de « regarder ce que font les gens (et ne font pas) et écouter ce qu'ils disent (et ce qu'ils ne disent pas) »39. Bien entendu, cela exige une certaine pratique, car ce n'est pas la quantité, mais plutôt la qualité qui compte. L'empathie, enfin, consiste à se mettre à la place de l'individu, et non pas les considérer comme des rats de laboratoire. Pour se mettre à leur place, il faut d'abord comprendre leurs comportements et leurs émotions; c'est l'empathie. Ainsi, il est possible d'adopter leur regard sur le monde, de l'appréhender au vue de leurs expériences et de le ressentir à travers leurs émotions. C'est en empruntant la vie des autres et en créant des ponts entre eux et les équipes projets, qu'il est alors possible d'imaginer des idées neuves. Une forme de collaboration est alors inventée, plus seu-

37 T.Brown, L'esprit Design, p41, 2014 Pearson 38, T.Brown, L'esprit Design, p41, 2014 Pearson 39 T.Brown, L'esprit Design, p41, 2014 Pearson

lement entre les membres de l'équipe, mais entre l'équipe et le public. Ce n'est plus la logique « nous pour eux », mais plutôt « nous avec eux » pour les adeptes du Design Thinking. Howard Rheingold l'a montré dans ses études sur « les foules intelligentes », tout comme Jeff Howe qui a créé le concept de « crowdsourcing »40 (ou « design participatif distribué).

Nous sommes à un moment significatif dans la manière où le rôle des consommateurs est considéré. On est passé d'un consommateur passif à un consommateur actif, où l'idée est d'aller vers eux pour les observer dans leur mode de vie et leurs expériences et d'utiliser ces données comme source d'inspiration, et donc d'innovation. Concentrer du temps à comprendre une autre culture en se rendant sur place peut donc ouvrir de nouvelles opportunités à l'innovation. La phase ultime serait le moment où le public créerait lui-même son produit. Toutefois, la capacité des consommateurs a créé seul des idées réelles novatrices (sans reproduire des concepts déjà existants ou avec des coûts de production faibles) n'a toujours pas confirmé. Avant d'arriver à ce stade, on voit largement arriver et se développer une collaboration entre l'équipe projet et les consommateurs, avec en parallèle une disparition des frontières entre les entreprises et les individus.

Constater le pouvoir du design et le défendre est encore autres chose que de l'intégrer dans sa réflexion et de l'incorporer à sa structure. Le processus de la pensée design passe par plusieurs cycles: des cycles d'expérimentations, de fortes intuitions, puis de focalisation sur des détails, avant de repasser à une phase d'observation. La pensée design ne cesse donc de diverger puis de converger.

Faire l'expérience de la démarche Design Thinking équivaut comme l'affirme Tim Brown, « à s'engager dans une danse qui oscille entre quatre états mentaux »41. La pensée design ressemble donc à un échange rythmique entre les phases de divergence et de convergence, passant d'un état d'espoir, à l'intuition puis à la confiance.

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40 Néologisme conçu en 2006, calqué sur « outsourcing », externalisation. Il consiste à utiliser la créativité, l'intelligence et le savoir-faire d'un grand nombre d'internautes. (NdT)

41 T.Brown, L'esprit Design , p68, 2014 Pearson

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Tim Brown nous explique, que via ce cheminement entre l'espoir, la confiance et l'intuition, l'équipe projet doit se préparer à osciller entre espoir et excitation lors de la phase de lancement du projet, puis entre excitation et confiance à la fin du projet quand la satisfaction d'avoir terminé et d'avoir réalisé un travail qui correspond à vos attentes née. Mais entre ces deux phases, la courbe de confiance est forcément mise à mal et l'échec est alors inévitable. Cet échec n'en est finalement pas vraiment un, car il permet à l'équipe de se remettre en question et de faire encore émerger de nouvelles idées. La pensée design se présente donc rarement comme une promenade idyllique. Elle met à l'épreuve nos émotions et notre aptitude à collaborer ensemble, tout en valorisant et récompensant les résultats méritants.

La phase divergente consiste à faire émerger de nouvelles idées et à l'inverse, la phase convergente élimine les options et doit faire des choix. La plupart des idées crée de la complexité et les entreprises préfèrent limiter les problèmes en privilégiant les solutions évidentes qui ne remettent pas en cause les choses existantes. Bien que cette solution semble efficace sur le court terme, elle rend l'entreprise peut flexible face aux imprévus et conservatrice. La pensée divergente, comme l'affirme Tim Brown, « contrairement aux idées reçues, n'est pas un obstacle à l'innovation, bien au contraire, elle y mène directement »42. En complément de la pensée divergente et de la pensée convergente, on peut introduire les termes d'analyse et de synthèse.. L'idée étant de faire émerger un récit cohérent et pertinent via l'analyse et la synthèse.

42 T.Brown, L'esprit Design, p41, 2014 Pearson

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Différents outils créatifs peuvent être mis en place au sein d'une structure. Ces outils participent à l'émergence de nouvelles idées. Initialement, instituées pour les équipes créatives, les séances de brainstorming peuvent se faire à tous niveaux de l'entreprise. Cette technique tend à se répandre avec de nombreux articles entre autre écris par des professeurs d'école de commerce. Bien que certains disent que les individus trouvent plus rapidement une idée en étant seul qu'en groupe de travail, d'autre démontrent que le brainstorming est indispensable à la créativité. Le brainstorming s'impose de lui-même lorsqu'il est question d'aboutir à un plus grand nombre d'idées; rien ne vaut une bonne séance pour les créer. Il existe des dériver comme les workshops.

Les histoires et les récits ont toujours servi à mettre des idées dans un contexte afin de leur donner un sens et une signification. Il semble donc naturel que dans une démarche de conduite de projet centré sur l'homme, la capacité de l'homme à écrire joue un rôle majeur. Les scénarimages, l'improvisation ou encore les scénarios sont des techniques de narration qui aident à visualiser une idée dans la phase de conception. L'usage de la fiction a un double enjeu aujourd'hui. Elle permet certes de développer des idées novatrices, mais elle permet surtout de développer, et ainsi de proposer au consommateur, une expérience en achetant et/ou en utilisant le produit.

Comme l'affirme Joseph Pine II et James H. Gilmore, nous commençons à entrer dans une « économie de l'expérience »43. Ce type d'économie est marqué par le fait que les hommes passent de la consommation passive à la participation active. Ainsi, le consommateur recherche avant tout une expérience dans l'achat et l'usage d'un produit. Les attentes des consommateurs augmentent. Il ne suffit désormais plus d'avoir une bonne idée. Les bénéfices fonctionnels seuls du produit ne suffisent plus à séduire le consommateur ou à créer des signes distinctifs sur le marché. Le consommateur recherche avant tout un contenu, une histoire additionnelle.

Désormais, l'enjeu réside dans cette capacité à crée une histoire, une expérience dont le consommateur pourra se souvenir. Cette expérience pour qu'elle soit réussie, doit toucher le consommateur sur le plan émotionnel et expérientiel. Une histoire bien racontée peut avoir un impact émotionnel redoutable. Cette expérience peut passer par la participation du consommateur où il devient alors l'auteur de sa propre expérience. L'arrivée de la musique numérique et d'internet a encouragé un grand nombre d'entre nous à pratiquer de la musique, au lieu de la consommer purement et simplement. Grâce à des logiciels comme Garage Band sur Mac, le consommateur est invité à composer sa propre musique, sans savoir nécessairement jouer d'un instrument. Au niveau du marketing et de la communication, on va parler de storytelling. Le storytelling est un moyen pour une marque de raconter son histoire à travers une cohérence entre son passée et sa charte graphique, ses décorations

43 Joseph Pine II et James H. Gilmore, The Experience Economy

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de magasin ou encore ses plans de communication. Le storytelling est « faire usage des codes narratifs ». Le storytelling permet à la marque de s'identifier, de créer une cohérence dans sa communication et de se rapprocher du consommateur. Le storytelling est un enjeu pour les entreprises au-jourd'hui car une récente étude montre que si des marques étaient amenées à disparaitre, 73% des personnes ne s'en soucieraient pas, et seulement 20% des marques sur marché proposent une sensation de bien-être au consommateur. L'image des marques et des entreprises sont en berne. L'approche par le Design Thinking rentre directement dans cette logique de storytelling par son intérêt pour l'humain.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery