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Littérature et engagement - Louise Michel : entre mythe et réalité

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par Sandra Bocquier
Université de Nantes - Maîtrise en Littérature française et comparée 2009
  

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SECONDE PARTIE :

ROMAN NOIR ET NOUVELLE FANTASTIQUE

Paradoxalement, le fantastique se révèle être un outil d'exploration du réel et d'analyse de la société ; il renforcerait même l'effet de réel : « Personne, au XIXe siècle, et surtout pas les écrivains eux-mêmes, ne songent à assimiler le fantastique au surnaturel. Tous, déjà, insistent sur le fait que le fantastique doit s'inscrire dans le réel »171(*). La critique sociale, présente dans Le Claque-dents et Les Crimes de l'époque, repose principalement sur l'écriture fantastique. Nodier constate d'ailleurs avec raison que ce qu'il appelle fantastique correspond à des périodes d'insécurité et de profonde crise socio-politique, dans lesquelles l'individu ne peut plus être pris en charge par la collectivité, et se trouve soudain renvoyé et confronté à lui-même172(*). Le fantastique fournit au lecteur la vision d'un monde absurde et revêt toute une panoplie de tons, allant de la satire à la tragédie, de la farce à l'humour noir.

***

1/LE FANTASTIQUE

a) Contexte de la littérature fantastique : crise des valeurs et décadence

Le récit fantastique et le roman noir s'enracinent dans un époque d'interrogation et de doutes quant aux valeurs politiques et morales de la société. On assiste à une remise en cause de Dieu, dont Nietzsche et Dostoïevski proclament la mort ; il n'existe plus de morale universelle et c'est seul que l'homme doit assurer son salut173(*). Le roman et les nouvelles mettent en scène cette société en déclin, ce monde en perdition, et Louise Michel dresse le tableau d'une fin de siècle pourrissante : « Tous ces microbes vivant des infections sociales s'arrangeaient pour durer dix mille ans, ils se trouvaient si bien que l'idée de la mort ne pouvait les atteindre »174(*). Ce monde, que l'on avait longtemps cru éternel et immuable, se révèle être mortel et périssable. Dans le domaine politique et social, les espoirs fondés sur la Révolution française et sur Napoléon Ier sont effondrés. La société n'est pas capable de répondre aux exigences de ses membres, il n'y a pas de projet de société, de buts collectifs, ni de tissu social solide, alors chacun recherche une solution de manière individuelle ou communautaires175(*). Louise Michel avertit d'ailleurs le lecteur de la fin prochaine, par ce type d'annonce apocalyptique : « Le claque-dents, c'est l'agonie du vieux-monde. Il rêve de s'affubler encore de pourpre et d'hermine et de donner à boire aux épées. Mais la pourpre et l'hermine sont souillées, les épées rouillées ne veulent plus boire, l'orgie est terminée. »176(*). Ainsi commence Le Claque-dents, dont le titre - expression empruntée à l'argot177(*) - est une métaphore dégradante qui compare le monde à un lieu de débauche et de perversion, à un univers sinistre et maudit, où grouillent toute sorte de personnages à la moralité douteuse : « Dans cette fin d'époque, où si profondes sont les pourritures sociales, [Gertrude] sème, sème sans cesse ; pour elle, c'est le germinal de l'or, elle espère bien, avant que frimaire blanchisse ses cheveux, avoir mis à l'abri de prodigieuses moissons »178(*). L'auteure précise de manière récurrente que son récit relève d'une actualité follement effrayante et sombrement absurde : « Qui pourrait croire à ces récits de cauchemar ! des spectres poursuivant d'autres spectres, une chasse sans fin pour la sécurité, pour les appétits, pour la vie, les uns dévorants les autres, la meule de la misère écrasant tous ces grains humains : tel est l'horrible délire qui agite notre époque »179(*).

Les différentes nouvelles nous donnent à voir une société hypocrite, le pire étant qu'en essayant de sauver les apparences, elle ne fait que s'enfoncer dans cette déchéance. « Les Rapaces » insiste sur le fait que les moeurs décrites appartiennent à une période de profonde dégénérescence, à une ère de violence, de meurtres et de folie, passée et contemporaine : « [La demeure de Madame la marquise de Donadieu] avait dû être construit[e] ainsi, soit dans les temps où florissaient le Parc-aux-Cerfs et autres choses du même genre, soit de nos jours par des misérables, devenus maniaques à force de corruption dans leurs ascendants et dans eux-mêmes, ce qui constitue un de ces états morbides d'où sortent les crimes de toutes sortes »180(*). L'auteure met en avant l'hypocrisie des institutions religieuses et le détournement des valeurs sur lesquelles elles reposent. Par exemple, la perversité de la supercherie, relayée par le journal chrétien Le Lys de Sidon, est telle que c'est l'Église elle-même qui fournit la Marquise de Donadieu en chair humaine181(*).

b) Qu'est-ce que le fantastique ?

Tentative d'élaboration d'une définition du fantastique

La plupart des définitions du fantastique sont d'accords pour dire qu'il repose sur une rupture de la cohérence universelle ; il brise la stabilité d'un monde dont les lois étaient jusqu'alors tenues pour rigoureuses et immuables : « Il est l'impossible, survenant à l'improviste dans un monde d'où l'impossible est banni par définition. [...] Si désormais le prodige fait peur, c'est que la science le bannit et qu'on le sait inadmissible, effroyable. »182(*). Le fantastique recèle donc dans l'irruption violente et inattendue du « mystère » : « [Le fantastique] se caractérise, au contraire [des récits mythologiques ou des féeries], par une intrusion brutale du mystère dans la vie réelle ; il est lié généralement aux états morbides de la conscience qui, dans les phénomènes de cauchemar ou de délire projette devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs. [...] ; il décrit des hallucinations cruellement présentes à la conscience affolée, et dont le relief insolite se détache d'une manière saisissante sur un fond de réalité familière »183(*).

Par ailleurs, le vecteur privilégié du genre fantastique serait la nouvelle. Par sa forme courte, celle-ci serait la plus apte à relater ce genre d'événements, car le récit fantastique reposerait par essence sur la confrontation de seulement deux éléments : un personnage et un élément perturbateur. L'élément perturbateur peut être surnaturel ou pas, mais de manière générale, toutes les manifestations de la folie, les hallucinations ou autre, doivent être envisagées comme des figures, naturelles cette fois, de l'élément perturbateur. Toutes ces manifestations ont pour point commun de perturber profondément l'équilibre intellectuel du personnage, et par ce biais, de remettre en question les cadres de pensée du lecteur lui-même. Finalement, ces manifestations (malgré les figures très différentes qu'elles revêtent) peuvent être regroupées et désignées sous le terme générique de « phénomène »184(*).

La théorie de « L'inquiétante étrangeté » selon Freud : « Das Unheimliche »185(*)

Ce concept freudien désigne en psychanalyse un état dans lequel ce qui était connu et familier devient inconnu, voir étrange, et qui révèle de manière transgressive ce qui aurait dû rester caché. « Das Unheimliche » est donc l'expression de l'inconscient qui ressurgit et qui perturbe le « moi » conscient. C'est le retour du ça (das Es), les pulsions inconscientes - qui avaient été refoulées, car en désaccords avec les conventions sociales et morales - réapparaissent alors186(*).

Dans la nouvelle « La Lettre anonyme », Daniel a refoulé durant dix ans son sentiment de jalousie et de suspicion quant à la fidélité de sa femme : « Il ne fut plus question de cette scène entre les deux époux ; mais elle leur restait en blessure au coeur ; rien ne pouvait la guérir et tout contribua à l'envenimer »187(*). C'est cette pulsion mal maîtrisée qui, quand elle ressurgit, se métamorphose en folie et se manifeste par des hallucinations ; son angoisse investit pleinement son univers familier, et ce qu'il croyait sûr et constant se transforme en lieu étrange et étranger à lui-même : « L'instant vint où le fantôme ne le quitta plus, lui mettant de temps à autre sur l'épaule la manche vide de sa soutane. Sur l'oreiller, sa tête se trouvait entre la sienne et celle de sa femme. Il planait sur le berceau de ses enfants, ricanant en les montrant »188(*). Pierre Mardi dans la nouvelle « Les Vampires » est également submergé par le monde des pulsions et n'a alors pas conscience de l'assassinat qu'il est en train de commettre. Mais contrairement à Daniel, ce comportement spontané renverrait à un état antérieur et sauvage de l'homme : « Un jour, frappés de coups de soleil ou ressaisis par les révoltes fauves de leur nature, ils cherchèrent à se déchirer l'un l'autre. [...] On le surprit mordant à même la chair, comme si l'anthropophagie, - ce goût des tribus encore à l'état primitif, - était revenu »189(*). Ce qui avait été refoulé par la civilisation a ressurgi de manière anarchique et auto-destructrice ; d'ailleurs, Pierre Mardi ne peut plus supporter cette part de bestialité et se suicide.

c) Une écriture de la rationalité

Louise Michel use d'une écriture très réaliste et met en exergue la rationalité des faits, les manifestations fantastiques n'étant que la démonstration de la folie des personnages, et non l'expression vivante et acceptée comme réelle, d'un élément démoniaque et prodigieux. Malgré la présence d'un spectre dans la nouvelle « La Lettre anonyme », c'est bien l'expression de la folie de Daniel qui est donnée à voir au lecteur : « [...] poursuivi par un fantôme, tel aussi qu'il le voyait ; et cela, non pas par ce vague clair de lune qui donne aux choses des formes spectrales ; mais par le grand soleil, dans une plaine éclairée et chaude ». La narratrice, afin de rationaliser davantage son récit, ne laisse aucun doute quant à la possible existence de ce spectre et insiste sur l'isolement du personnage, en faisant du lecteur non un complice, mais seulement un témoin : « L'homme épouvanté n'avait ni la nuit ni la solitude ; il était évident que lui seul avait la vision terrible. C'était épouvantable »190(*).

Cependant, certains personnages semblent accomplir leurs actes - et ce, malgré leur folie apparente - avec un calme conscient et une grande intelligence. C'est de cette manière que Casimir, après avoir égorgé Marguerite et bien qu'il tremble d'horreur, fait subir le même sort à la femme de chambre, prend les bijoux et accomplit toutes ces tâches avec soin : « toujours calme, comme on fait un travail sans se presser, Robichon visita les tiroirs, alla à la salle de bains, où il se lava minutieusement, changea de vêtements, emporta les siens bouclés dans la valise afin de les brûler, et s'en alla prendre un fiacre pour se faire conduire à la gare Montparnasse, où il prit un billet, et ne partit point »191(*). Comme dans la nouvelle « Le Beau Raymond », le meurtrier impassible agit aussi avec méthode (« L'assassin avait eu soin de briser à chacune de ses victimes les vertèbres du cou »192(*)), mais contrairement à Casimir, il « n'en n'était pas à son coup d'essai »193(*). Rusé, il fait de Raymond, témoin du meurtre, son complice et partage le butin avec lui : « L'assassin avait tiré les rideaux des fenêtres de peur qu'on ne vit à travers les interstices des volets. Paisiblement, sans se tromper, sans s'arrêter, il faisait les deux tas. [...] Il jeta sa part dans une valise et s'éloigna de son même pas lourd et régulier »194(*). Enfin dans « Les Vampires », la narratrice transmet sur le mode du discours indirect-libre, les réflexions pleines de bon sens de Jean Eléazar, alors qu'il est en train de commettre un acte follement effroyable : « Pas une crainte ne passa sur lui. Ces morts ! est-ce qu'ils ne dorment pas pour toujours ? Il y a longtemps qu'ils se seraient tous levés, les morts, s'ils avaient à s'éveiller ! [...] Est-ce qu'il allait reculer ? non, n'était-elle pas morte pour tout le monde ? qui donc saurait son crime ? »195(*). D'ailleurs, la narratrice reconnaît elle-même que « cette sorte de folie n'empêche pas la ruse »196(*).

Les lieux

Louise Michel place ses intrigues en milieu urbain, le principal décor du roman et des nouvelles étant Paris, et ce, dans un temps contemporain à celui de l'écriture. Ces récit sont donc puissamment ancrés dans le réel197(*) et nous sommes alors bien loin des espaces à l'architecture médiévale, des lieux isolés et déserts, chers au roman gothique (ancêtre du récit fantastique). La ville apparaît comme un espace sinistre et dangereux, et Louise Michel pointe du doigt l'atmosphère mortifère de celle-ci ; l'air de la capitale est irrespirable : « [Fleur de Genêts] s'enfuie par la nuit profonde dans la grande ville qu'elle ne connaissait pas, dont elle avait peur, [...]. [Elle] courut, d'abord tout droit devant elle - un instant le chemin de fer passant sur une voûte lui fit l'illusion de la mer, elle respira à pleins poumons les poignées de poussières soulevées par le vent » ; et c'est une fois hors de Paris, que l'air est purifié : « quelques flocons de neige tourbillonnant dans l'air en avaient fait disparaître les poussières malsaines, il était frais et semblait pur »198(*). Paris, que Louis Chevalier dépeint, est une ville malade et toxique, clairement dominée par le crime, il conclu d'ailleurs de cette manière : « [...] non seulement [Paris est] une ville criminelle et violente, mais une ville malade et à ce point que structures sociales et relations sociales s'y trouvent ramenées en permanence à des problèmes de vie ou de mort »199(*). Ainsi l'espace urbain, tel qu'il est mis en scène par Louise Michel, ressemble de très près au sombre décor des Mystères de Paris, et pour reprendre une expression de Roger Bozzetto200(*) à propos du fantastique chez Eugène Sue, nous pouvons également parler de « fantastique urbain » à propos du roman et des nouvelles de Louise Michel.

En effet, les premières lignes du recueil Les Crimes de l'époque donnent le ton, puisque celui-ci commence à la Morgue. Il convient de souligner que la morgue est un des lieux de prédilection de cette littérature du XIXe siècle, qui fait du crime son principal thème201(*). Puis, Louise Michel entraîne le lecteur dans un four à plâtre - abri nocturne traditionnel des vagabonds - qui devient absolument morbide sous la plume de Louise Michel : « Le silence se fit pareil à celui d'une tombe »202(*). Le dépôt, lieu sinistre où nous suivons le père Hermann dans Le Claque-dents, accueille la même population fangeuse et dégage la même atmosphère : « Après une nuit passée au dépôt, pêle-mêle avec la vermine et les racontars fantastiques des affamés, des désespérés, des misérables de toutes sortes, les uns sont dans le délire, les autres glacés »203(*) .

C'est un univers vertical que décrit l'auteure et le lecteur, comme les personnages, effectue une chute dans ce monde des profondeurs, psychiques et sociale. Le décor rend lui-même compte de cette verticalité et la résidence de Madame la marquise de Donadieu pourrait être une maison bourgeoise ordinaire, si elle ne renfermait pas quelques passages secrets, trappes et escalier204(*; elle possède en outre, une sorte de laboratoire secret servant à l'élaboration de poisons. Outre ces éléments inquiétants, ce lieu menaçant l'est par le détournement des symboles religieux et cette demeure acquiert des allures de château gothique. La réflexion d'Yves Gallo traduit avec justesse cette angoisse : « - Tout cela n'est pas pour qu'on dorme en sécurité ici, [...]. Ça n'a l'air de rien. Ailleurs, ce ne serait rien ; ici tout fait peur. Il avait raison : jusqu'à la bonne Vierge en plâtre, placée à la tête du lit, qui infectait le crime ». Tous les ingrédients du genre sont réunis, Yves se retrouve même blotti contre un cadavre dans un coffre205(*). Enfin, l'éboulement de la maison qui clôt la nouvelle (comme dans La chute de la maison Usher ?) conservera à jamais le secret de cette demeure, de ses habitants et de leurs pratiques. Il s'agit donc d'une plongée dans dans les coulisses de la société, dans ses bas-fonds, et parallèlement dans un monde de fantasmes et de pulsions.

Ainsi, Louise Michel joue avec les codes du récit fantastique, en oscillant entre stéréotypes et vraisemblance. La nouvelle « Les Vampires » débute avec deux hommes qui rodent dans un cimetière en pleine nuit, mais l'écriture rationnelle de Louise Michel contrebalance ce topos du récit d'horreur, en nous renseignant par exemple sur la manière dont se sont introduits les deux individus (« Ils ont employés, pour entrer dans le cimetière, le moyen le plus simple : l'un a fait la courte échelle à l'autre, qui l'a ensuite remorqué. »206(*)), témoignant ainsi de toute la vraisemblance de son récit. Fidèle à sa volonté de transmettre une topographie sérieuse, elle indique qu'il s'agit du cimetière du Père Lachaise et précise même l'heure de la nuit (deux heures du matin). Par ces procédés, elle fait du lecteur un simple témoin, ne prenant pas part aux événements. L'effet de distance est accentué par les interventions ponctuelles de la narratrice (« Le silence est profond. Les deux hommes peuvent s'aventurer, sans trop de crainte, à travers les tombes. Tout le monde dort et les morts sont muets »207(*)), ce qui transforme notre sentiment d'angoisse en un sentiment d'attente et de curiosité.

2/ L'HORREUR ET LA MISE EN SCENE DE L'EFFROI

a) Une relation ambiguë personnage/phénomène

Le personnage

Généralement, il s'agit d'un personnage masculin, initialement d'un homme ordinaire, voir médiocre, singulièrement vide (moralement et intellectuellement), qui n'a rien de l'étoffe d'un héros208(*). Casimir Robichon est présenté comme un enfant chétif, « il est petit, visage osseux, les membres grêles »209(*). Stéphane - double de Casimir dans Le Claque-dents - est également décrit comme un personnage maladif et inquiétant, la romancière insiste sur sa peau pâle et évoque ses yeux glauques qui s'illuminent à la seule idée de meurtre et de sang210(*). Eléazar dans la nouvelle « Les Vampires » présente lui aussi un physique maladif et un certain déséquilibre psychologique, et ce, avant même que l'on ne connaisse ses vices et la nature de ses troubles psychiques : « Maigre, sec, névrosé jusqu'aux plus petites fibres, c'est un blasé » ; puis la narratrice le nomme « le détraqué »211(*). Eléazar ne semble éprouver de plaisir à rien, seule l'idée d'assouvir sa folie perverse éveille en lui l'enthousiasme et la joie, et c'est dans le but de combler la vacuité et l'ennui, que le personnage ne vit qu'à travers le phénomène qui le révèle à lui-même : « Jean Eléazar avait du temps et de l'argent pour ses plaisirs ; mais blasé de tout, hormis sur la folie qui lui avait fait commettre ses premiers crimes, une fois la frayeur d'être découvert un peu dissipée, il ne songea plus qu'à en commettre de nouveaux. La nuit, dans ses rêves, il revoyait des cercueils ouverts ; il en arrachait les mortes, assouvissait sa folie furieuse et déchirait les corps avec une si farouche joie qu'il s'éveillait avec les dents grinçantes »212(*). En observant la situation sociale et professionnelle de tous ces personnages, il faut remarquer qu'ils appartiennent tous aux couches aisées et cultivées de la population213(*) : Casimir est fils d'entrepreneur, Eléazar est financier, Daniel est peintre, le tueur dans « Le beau Raymond » est « un client fort riche »214(*). Il existe donc un lien étroit entre la situation socioculturelle des personnages et le crédit qu'on leur accorde : ils ne payent que très rarement pour les crimes qu'ils commettent ; d'autres, plus modestes, sont condamnés à leur place.

Les femmes des différents récits (généralement maîtresses et épouses) sont les victimes passives et muettes du personnage/phénomène. Dans « La Lettre anonyme » et « Les Vampires », Rita et Blanche sont impuissantes face au phénomène. Elles sont contaminées par l'aura mortifère de ce dernier, qui les entraîne dans la dégénérescence : « De plus en plus frappée par l'état de son mari, Rita se sentit malade à en mourir »215(*) ; « Vers la fin du troisième jour, [Blanche] tomba dans ce demi-sommeil où la douleur veille tandis que la fatigue attache les membres où ils sont »216(*). Fondamentalement, le fantastique repose sur la relation entre le personnage et le phénomène, tout élément étranger, y compris la femme, est indésirable ou constitue un obstacle. Ainsi, le phénomène sépare les couples les plus unis, car entre les deux - phénomène et femme aimée - le choix porte sur le phénomène217(*). Toutefois, la femme peut être à la fois victime et phénomène. Marguerite dans « Premières et dernières amours », et dans Le Claque-dents, en plus d'être la victime du phénomène, est elle-même le phénomène qui infecte le personnage ; la femme de la Morgue218(*) et Lucrèce219(*) constituent pareillement l'élément déclencheur. Dans ce cas, la femme est réduite à la fonction d'objet de désir pour le personnage/phénomène, elle est alors renvoyée à sa propre image fantastique : victime et phénomène220(*).

Comme chez Edgar Allan Poe, qui systématisa ce procédé, chez Louise Michel le personnage est toujours le phénomène ; ils mettent tout deux en exergue l'ubiquité de la nature humaine, et c'est justement dans le personnage-phénomène que s'exprime ce dédoublement : le phénomène est à l'intérieur du personnage, il est sa projection. Produit de son imagination, le réel présenté au lecteur est celui perçu et déformé par le sujet. Il y a alors une opposition entre la réalité objective et l'image déformée que s'en fait le personnage, qui projette ses propres peurs, fantasmes et obsessions sur cette réalité221(*).

Le pouvoir attractif du phénomène

Le phénomène possède à la fois un pouvoir attractif, et un pouvoir répulsif. Le rapprochement s'effectue tout d'abord de manière mutuelle, il engendre un rapport privilégié et immédiat, d'où est exclue la communication verbale et la communication avec autrui. Les figures du phénomène sont dotées d'un pouvoir de séduction : elles dégagent un magnétisme, une force de caractère ; il y a un rapport de désir entre le personnage et le phénomène222(*). Dans « Premières et dernières amours », le cadavre répugne le jeune spectateur de la morgue (Casimir), tout en le fascinant, et charme littéralement la jeune fille (Marguerite) : « Bien différentes sont leurs impressions. Lui à les yeux fixés sur la plaie béante. Il lui semble que par cette plaie le cadavre lui parle comme avec une bouche, le regarde avec des yeux. La fillette, c'est la curiosité pure de spectacle, elle est sous le charme, comme le jour où elle a vu jouer le Petit Chaperon rouge à un théâtre forain »223(*). Cette dualité crée rapport particulier et intime, dans lequel, à travers la crainte et le dégoût, transparaît le désir. C'est le désir informulé, mais éprouvé par le personnage qui donne naissance au phénomène224(*). Ce rapport complexe et pervers donne naissance à une véritable quête du phénomène car, malgré les conséquences habituellement funestes, le personnage se livre à une sorte de jeu pervers où c'est finalement lui qui déclenche l'intervention du phénomène. Ainsi le personnage, quand il se trouve en sa présence, tente de le conserver auprès de lui225(*), de le conserver à son esprit, en choisissant la représentation psychique qui l'effraye le plus : « Il s'arrêta à cette dernière vision, comme celle qui le frappait le plus, la plus épouvantable »226(*). D'un côté, Daniel fuit le spectre qui le poursuit et le harcèle, de l'autre il recherche l'image du fantôme et le convoque sur sa toile ; il atteint alors l'excellence dans son art, le phénomène le révélant à lui-même : « C'était la plus belle ébauche qu'il eut encore faite. Un homme épouvanté lui-même, tel qu'il se représentait, fuyait, poursuivi par un fantôme tel aussi qu'il le voyait ; [...] au fond une ronde d'enfants y tournait en veillant sur leur vaches »227(*). Véritable danse macabre, symbolisant le triomphe de la mort sur l'être humain, l'entraînant fatalement vers son destin, le fantôme embarque Daniel dans des courses hallucinées et journalières à travers la campagne : « Daniel rentra tard ; il était comme à l'ordinaire parti à travers la campagne. D'abord, comme dans son ébauche, il avait marché en plein soleil ; la vision devant lui entraînait au loin sans qu'il sût où il allait. Le soir venu, flottant en sens inverse, elle le ramena chez lui »228(*). Il noue une relation tout à fait exclusive avec le phénomène, qui agit à la fois comme un guide fuyant et effrayant, et le protecteur et garant de sa folie.

Les atouts du phénomène 

Certaines manifestations mentales et physiques sont motivées par des éléments extérieurs, comme par exemple la consommation d'alcool, qui participe à la perte des repères et au brouillage des frontières entre le réel et le fantasmé. Vins et liqueurs possèdent un pouvoir attractif sur les victimes du phénomène : « Ce vin était le plus appétissant de tout le repas. Il brillait comme des rubis dans une grande coupe de cristal, telle qu'il n'avait jamais rien vu de plus beau »229(*). En outre, l'alcool est un outil infaillible pour le personnage-phénomène pour abuser de ses victimes ; dans la nouvelle « Les Rapaces », la marquise drogue ses deux protégées230(*). Dans « La Lettre anonyme », le personnage tente d'échapper au phénomène en abusant d'alcool : « Ne pouvant échapper à cette obsession, il se mit à boire »231(*). Or, loin soulager, l'ivresse accroît la folie et devient le vecteur du phénomène232(*). Cependant, bien que l'ivresse, dans un premier temps, accentue le délire et la démence du personnage, c'est l'alcool qui fait cesser les troubles psychiques du personnage dans « La Lettre anonyme » : « Daniel, ayant accompli ce triple meurtre, s'en alla machinalement achever un flacon d'absinthe qu'il avait commencé la veille. Il ne voyait plus le spectre ; enveloppé dans l'abrutissement de l'ivresse, l'hallucination avait cessé »233(*). La vengeance achevée, l'alcool permet le soulagement et l'apaisement de la conscience du personnage, mais une fois les effets totalement dissipés, c'est la souffrance et la culpabilité qui apparaissent, et Daniel sent « poindre en lui une lueur qui lui faisait mal. Il y avait près d'une semaine qu'il n'avait bu d'absinthe. C'était la raison qui revenait »234(*).

L'odeur constitue également le vecteur du phénomène et c'est son principal attribut dans « Premières et dernières amours ». Il répand son pouvoir à travers la capacité olfactive du personnage, d'abord à la morgue, où la narratrice remarque qu'« une odeur indéfinissable s'était répandue dans l'air, odeur âcre, infecte »235(*), puis dans la hutte du tanneur Jo (même odeur de manne236(*)) ; et c'est de « cette diable d'odeur » qu'est incrustée sa fille Marguerite, pourtant si jolie237(*). Casimir Robichon aime cette odeur (« - Eh ! Robichon, tu peux pas nier que t'aime l'odeur de la manne »238(*)), et c'est bien cette odeur infecte de putréfaction, qui attire Casimir, et éveille chez lui l'image de la femme égorgée : « et puis aussi l'odeur étrange que le contenu de la manne avait fini par donner à la pauvre fillette - il l'aimait, cette odeur, quoiqu'elle l'effrayât - cela enveloppait le souvenir qui lui faisait peur et l'attirait : la femme de la Morgue »239(*). Malgré les années, Marguerite a gardé cette odeur particulière, bien qu'elle se soit mélangée à d'autres, ce qui éveille Casimir : « [...] un parfum de musc et d'ambre, les seuls qui se mélangent avec l'étrange odeur qui s'était incorporée pour jamais aux molécules de sa chair, quand elle emplissait la manne pour les teinturiers »240(*).

Le phénomène est aussi motivé par la cupidité et la convoitise ; le personnage semble alors complètement magnétisé par les richesses qu'il entrevoit. Ce sont les bijoux et leur brillance, qui fascinent Casimir (« Une autre fois, à la vue des bijoux que Marguerite jetait en tas sur sa toilette, il se troubla, ses yeux ne pouvaient s'en détacher, leur brillant l'hypnotisait »241(*)), et qui le pousse au meurtre. Dans « Le Beau Raymond », c'est chez un homme pourtant « fort riche », mais « un peu mystérieux d'allure » que le phénomène prend cette forme : « L'homme jette sur le tas d'or et de bijoux un regard étrange. Ses yeux ont des lueurs d'éclairs. La femme frissonne jusque dans la moelle des os. Le crime fut l'affaire d'un instant »242(*). Le phénomène gagne ensuite Raymond qui préfère recevoir une partie du butin, que de dénoncer le meurtrier243(*). Dans Le Claque-dents, où la scène est similaire à celle qui se déroule dans « Premières et dernières amours », le collier de corail de Lucrèce dessine sur le coup de Marguerite une ligne rouge, qui suscite dans l'esprit de Stéphane la marque laissée par le couperet de l'échafaud et fait naître chez lui une « intuition de crime »244(*).

b) Le pouvoir obsessionnel du phénomène : la folie

Le phénomène se manifeste d'abord au personnage par hallucinations visuelles, la folie - principal ressort su fantastique - étant l'ultime étape du parcours du personnage, puisque cette expérience l'entraînera inexorablement vers la mort245(*). Dans « Premières et dernières amours », Casimir fuit d'abord ces morbides réminiscences, (« il sembla à Casimir qu'elle était déjà morte, et le fantôme de la femme égorgée se retraça si réel dans son imagination frappée qu'il poussa un cri. Il se remit pourtant et ce fut leur nuit de noces. Tout à coup pris d'une folle terreur, il s'imagina que la femme de la Morgue lui posait sa main glacée sur l'épaule. Ainsi Marguerite devint la maîtresse de Robichon »246(*)), visions qui se font de plus en oppressantes et impromptues (« Il pâlit, fasciné par le métal sur lequel, comme dans un miroir, il voyait la femme de la Morgue. En même temps il songeait à Marguerite. Le coeur lui faillit »247(*)), avant de poursuivre, à travers Marguerite, l'image de la femme de la Morgue qui l'excite tant : « Lui, ce qu'il aimait en elle, c'était l'horreur de son cauchemar qui lui donnait une sorte de rage. Une fois, embrassant Marguerite sur le cou, il lui sembla que c'était la femme de la Morgue qu'il mordait ». Il s'agit d'un « cauchemar persistant »248(*), dans lequel le phénomène et Marguerite se matérialisent radicalement, et suscite en lui cupidité et désir de tuer : « Pendant quelques jours cette idée l'obséda ; il en éprouvait des vertiges ; il lui semblait que la femme de la Morgue lui montrait les bijoux de Marguerite. Une fois il rêva que les diamants sortaient de la plaie béante. La femme égorgée et Marguerite se mêlaient, elles étaient deux et n'étaient plus qu'un seul cadavre »249(*).

Les premiers chapitres du Claque-dents font étrangement échos à la nouvelle précédemment évoquée. C'est dans le second chapitre que Stéphane (double de Casimir) gagné par une « intuition de crime »250(*), assassine sa maîtresse Marguerite. Par un travail mental, il associe d'abord Marguerite à Lucrèce251(*) (victime de Sylvestre à qui appartenait les bijoux), puis à cette image vient se superposée celle de « la femme assassinée », personnage d'un opéra intitulé la Femme au collier rouge. Le phantasme devient plus présent dans l'esprit de Stéphane, qui semble touché par une folie meurtrière : « L'hallucination les tenait, l'un comme le serpent, l'autre comme l'oiseau ; il commençait à la guetter, l'imbécile avait évolué en monstre. Assise sur le lit, dans un peignoir blanc, le collier de corail au cou, elle lui apparaissait déjà spectre, le crime était accompli avant que la victime fût frappée »252(*). Enfin, comme Casimir obsédé par la plaie béante de la femme à la Morgue, Stéphane est exalté par la robe tachée de sang de Lucrèce ; ce qui le conduira inéluctablement à commettre son crime : « lui regrettait de n'avoir pu avoir la tunique de Lucrèce qui était restée avec les pièces à conviction ; j'aurai celle de Marguerite, se disait-il, son idée s'arrêtait là, brutalement, bestialement »253(*).

Les différents récits mettent en exergue une gradation dans les sentiments du personnage et les manifestations du phénomène. Dans les premiers temps, le phénomène intervient toujours de manière discrète et éparse. Il agit avec précaution, il ne s'impose pas brutalement dès le début du récit ; au contraire, il s'immisce discrètement, insidieusement. Cependant, il ne tarde pas à surgir et à faire se manifester des comportements étranges et inquiétants. Ainsi dans « La Lettre anonyme », après leurs découvertes respectives de l'épingle à tête de mort et de la lettre anonyme, Rita et Daniel continuent de vivre leur amour254(*), mais à la vue de l'épingle dans les mains de Rita, Daniel de nouveau frappé au coeur (la découverte de la lettre lui a procuré le même effet) et aveuglé par la jalousie, accuse sa compagne de le tromper255(*). D'abord très préoccupé, Daniel devient torturé par le spectre de l'auteur anonyme. Le phénomène se fait alors de plus en plus envahissant, progressivement il devient l'unique objet de préoccupation du personnage. Ce dernier est alors dans l'incapacité de contrôler les manifestations du phénomène car, arrivé à ce stade du récit, celui-ci a totalement perdu son identité256(*). Complètement obsédé, Daniel sombre dans la folie, une folie qui le terrorise257(*) d'autant plus que l'hallucination est macabre ; elle se matérialise à son esprit sous la forme d' « une tête de mort, à laquelle s'adapt[e] en guise de corps une soutane vide flottant avec des claquements sinistres ». Louise Michel pousse l'horreur jusque dans le registre du gore : « De noir il était devenu rouge. Ce n'était plus la manche vide qui lui montrait le berceau de ses enfants. Le fantôme lui jetait à pleines mains, - de ses mains de squelette, - du sang qu'il puisait à la source »258(*).

c) Le passage à l'acte

Le pouvoir obsessionnel du phénomène est tel que le passage à l'acte, c'est-à-dire au crime, est vécu par le personnage comme une délivrance et demeure inévitable. Il vit l'indicible expérience du phénomène comme la « révélation du moi » ; le personnage, individu médiocre, parvient à une connaissance de lui-même et du monde , il comble son propre vide259(*). Et c'est l'association de la femme aimée au phénomène qui motive le personnage à vivre pleinement l'expérience fantastique ; le fantasme devient alors réel : « Il vivait son rêve. Tout à coup, il se leva, prit sur la table un couteau effilé comme un rasoir, prit Marguerite par les cheveux et la frappa au cou de la même manière que la femme de la Morgue. [...] Entre ce qu'il venait de faire et son rêve habituel, la différence n'était pas grande »260(*).

En effet, le fantastique repose très souvent sur une fantasmatique sexuelle. Et la nouvelle « Les Vampires »261(*), désignant par là les deux nécrophages et nécrophiles262(*) du récit, est peut-être la plus monstrueuse du récit. Ces deux individus, pour assouvir leurs pulsions, pénètrent de nuit dans les cimetières et se mettent avec ardeur et excitation à leurs effroyables besognes, l'un préférant la fosse commune, l'autre les sépultures. Ce dernier, qui se fait appeler « Jean Oupir »263(*), « bris[e] le couvercle à coups de pioche, pr[end] sa proie, enveloppée de ses suaires, et commen[ce] à les arracher »264(*). Jean Oupir connaît sa victime, (« c'est l'une des soeurs de sa fiancée. Le mariage sera retardé, par suite de cette mort, mais il aura tout de même sa nuit de noce »), et c'est en la pssédant enfin qu'il revit : « il se rappela alors, [...] l'apparence magnifique qu'avait cette jeune morte sur le lit où sa famille l'avait couchée dans des voiles de mousseline blanche. Marceline n'était pas morte : l'impression de l'air l'avait éveillée de sa léthargie. »265(*). Enfin, le récit prend un tournant tout à fait sanglant, « le moment arriva de la crise à l'état aigu », voire gore quand Eléazar (c'est le véritable nom du monstre) dévore le cadavre de sa propre fille ; puis, après avoir étouffé son épouse, ayant « soif de sang », il lui ouvre la poitrine et boit « comme à la source le sang figé et noir de la morte »266(*). Ce motif de la source sanglante apparaît précédemment dans « La Lettre anonyme ».

Ainsi, le passage à l'acte doit être vécu comme une expérience spectaculaire et le personnage-phénomène soigne la mise en scène. La mise en abyme du crime - dans Le Claque-dents, Stéphane explique à sa maîtresse comment le meurtrier de Lucrèce l'a assassinée et propose de rejouer la scène267(*)  - renforce la théâtralité de la scène ; le chapitre débute ainsi : « Chez la maîtresse du jeune Stéphane se passait une scène burlesque et sinistre à la fois »268(*). Complètement possédé et exalté par l'image du cadavre de Lucrèce (« L'obsession l'enveloppait »), Stéphane est envahi par le langage des pulsions (« l'homme devenu fauve poursuivait sa proie ») et de manière expéditive - l'accélération dramatique en témoigne -, mais soigneuse, il tranche le cou de Marguerite : « Au dehors la nuit obscure, le silence qu'interrompit un grand cri déchirant l'air ; la plainte d'un homme ou d'une bête qu'on égorge. A ce cri comme à un appel, Marguerite s'élança vers la porte : la mort l'avertissait. Cette fuite fut le signal pour Stéphane, il s'élança à sa poursuite. [...] En traversant le salon, Stéphane arracha à une panoplie une hachette enjolivée d'arabesques dont le tranchant d'acier étoilait l'ombre. Il jeta une main sur l'épaule de sa victime, la ramena vers le lit, où il l'abattit, et sur la ligne rouge du collier frappa de son bras névrosé un coup terrible »269(*).

Cependant, la révélation, bien qu'elle soit inévitable, n'est pas d'ordre divin et c'est avec fascination et horreur qu'Eléazar découvre sa véritable nature, fauve et primitive, au terme de son parcours ; Pierre Mardi, refusant de s'assumer, se suicide270(*).

« Le démon de la perversité » selon Edgar Allan Poe

Le « Démon » ou « Esprit de la perversité » est la manifestation de la « primitive impulsion du coeur humain », soit le désir ardent de l'âme de se torturer elle-même. Cette pulsion autodestructrice guide Daniel dans « La Lettre anonyme » : pourquoi prête-il autant de crédit à ces calomnies ? Le peintre, blessé dans son orgueil et ses certitudes, a refoulé le sentiment de jalousie durant dix ans, et c'est le langage vengeur de son inconscient qui s'exprime dans la seconde partie du récit. Sa folie vengeresse est telle que, toute pensée logique et réflexion rationnelle de la situation lui échappe : « Loin de réfléchir à l'absurdité de cette lettre, à la lâcheté des avis anonymes, Daniel commença à voir là une manifestation encore plus terrible »271(*). Entraîné dans un abîme psychologique, Daniel transgresse la raison au profit du pulsionnel ; absolument manipulé, c'est au retentissement du signal, « un sifflement aigu parti du jardin », que lui vient une « une intuition de crime », et tel un automate, « le spectre rouge et sanglant maintenant flottant devant lui, il march[e] vers le lit de sa femme »272(*) pour l'y assassiner. Puis, n'ayant pas encore entièrement déchargé sa pulsion vengeresse, Daniel « voyant le spectre devant lui », se dirige vers la chambre des enfants, et « à la même place où il avait frappé sa femme, il frapp[e] ses deux enfants au milieu de leur sommeil »273(*). Plus tard, quand la police interroge le meurtrier, celui-ci ne répond rien, sinon que c'est « le spectre qui lui avait ordonné ces crimes »274(*). Comme dans les nouvelles de Poe, telles que « Le Chat noir » ou encore « Le coeur révélateur », c'est le meurtrier lui-même qui se trahit, alors qu'il est en train de berner la police. Pourquoi Casimir retourne-t-il à la Morgue contempler les cadavres des deux femmes qu'il a assassiné la veille ? Au lieu de prendre le train pour lequel il a acheté un billet275(*) ? Car comme le révèle Edgar Allan Poe, dans une nouvelle éponyme, « Le Démon de le perversité » poursuit le personnage et fait se manifester chez le sujet, le besoin de crier sa culpabilité276(*). Et en effet, le personnage, rendu autre et étranger à lui-même par son aliénation, vient « de lui-même se brûler à la chandelle et pay[e] pour l'autre, plus malin et plus calme »277(*).

Ainsi, le fantastique interroge directement l'homme et ses limites, il pose la question de l'humain et du non humain. Le phénomène, révélateur de la culpabilité du personnage ou de l'hypocrisie de la société, révèle à chacun sa propre nature phénoménale et l'homme s'avère être aussi monstrueux que le vampire278(*). L'homme, vidé de son essence, est victime du système, des normes religieuses, sexuelles et morales imposées et « aliénantes ». Le phénomène est à la fois « l'aliénation », et paradoxalement le facteur de la prise de conscience de cette aliénation : grâce au phénomène, le personnage extériorise sa propre aliénation et retrouve son identité ; mais la société lui fait chèrement payer279(*). C'est désormais la société qui joue le rôle de phénomène : elle s'empare de lui et provoque sa perte. Aucun phénomène ne peut égaler en horreur la société, qui a interné le personnage ; il est la pitoyable victime, non du mal dont il souffre, mais de la société. C'est la société qui aliène le personnage et qui finalement l'écrase et ce, d'autant plus radicalement que le personnage, retrouvant son identité s'est alors opposée à elle280(*).

3/ UNE SOCIÉTÉ OGRESSE

Comme beaucoup de ses contemporains engagés dans le combat social, Louise Michel affirme que c'est la société, génératrice d'inégalité et de misère, qui pousse à la brutalité et au meurtre, et il faut « terrasser ces trois spectres, folie,/ Misère, vice dégradant »281(*). Le discours, selon lequel il n'existe pas de réelle volonté politique pour aider les classes défavorisées, est très répandu dans les milieux socialistes et libertaires (bien que les anarchistes n'attendent rien d'un gouvernement, car ils ne croient pas en une possible action sociale globale de sa part282(*)). Déjà Victor Hugo dans sa plaidoirie contre la peine de mort se révoltait : « [...] pauvres diables, que la faim pousse au vol, et le vol au reste ; enfants déshérités d'une société marâtre, que la maison de force prend à douze ans, le bagne, à dix-huit, l'échafaud à quarante ; infortunés qu'avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles, [...] »283(*). Louise Michel constate pareillement que dans ces misères se « propagent des épidémies de crimes », qui chassent « les troupeaux humains vers la mort ou le bagne »284(*), et livre au lecteur l'image d'une société monstrueuse, qui dévore insatiablement la chair humaine : « Elle se meurt la vieille ogresse qui boit le sang humain depuis les commencements pour faire durer son existence maudite »285(*).

a) La misère et la fatalité

La métaphore de la meule écrasant le grain humain ou encore celle de l'ouvrier envoyé à l'abattoir sont des images récurrentes dans toute l'oeuvre de Louise Michel, et des topoï de la rhétorique anarchiste286(*). Ces images confèrent au roman une dimension tragique, la fatalité de la condition sociale étant plus forte que la volonté humaine : « Ils étaient là tous se débattant contre la fatalité ; comme si les choses ne devaient pas être d'autant plus terribles qu'elles touchent à leur fin ; ne faut-il pas que l'agonie se termine ? - Et dire que mes enfants me maudiront pour avoir fait ce métier-là ! grondait Saturnin d'une voix gonflée de pleurs, de cris de bête à l'abattoir ; il faut qu'on y passe n'est-ce pas ? Il aurait dû le savoir aussi, le misérable Saturnin, est-ce que dans la débâcle ce n'est pas l'un contre l'autre que tous les vieux rouages seront broyés avec les microbes humains qu'ils contiennent ? Il ignorait tout cela, ce pauvre Saturnin : combien comme lui sont emportés dans la débâcle, inconscients et désespérés, jetant par le monde le cri de leur détresse ! »287(*).

De ce fait, le roman cède une place importante à la description de la misère et à ses causes, ce qui confère à certains épisodes288(*) un caractère sociologique289(*). Louise Michel met en scène le suicide et l'infanticide, qui ne font qu'augmenter290(*), conséquences de la misère et du désespoir : « C'était un enfant demi-orphelin, qui battait le pavé de ses savates éculées depuis deux ans que sa mère était morte et que son père buvait d'abord pour s'étourdir, ensuite parce qu'il n'avait pas le moyen de se mieux réconforter. [...] Il en avait pris l'habitude si bien que, le père abruti, l'enfant riant de sa misère en étaient venus à la dernière étape, celle où la Seine vous regarde de ses yeux glauques »291(*). Outre le pathos qui peut se dégager de certaines scènes, le lecteur, témoin de ces souffrances, n'envisage lui aussi qu'une seule issue et un dénouement funèbre :« Quelque chose comme le dernier repas du condamné à mort se dressait dans ces provisions apportées par l'enfant » ; « une question étrange dans [la] bouche naïve de [Mimile] fit frissonner les deux femmes. - Mère, est-ce que nous allons mourir ? Elles savaient désormais ce qui allait se passer. Oui, ils allaient mourir ! Il n'y aurait pas de lendemain à cette nuit-là » ; « Comme un animal qui se bute, la pauvre femme ne perdait pas de vue son projet. Mourir ! telle était son unique pensée, mourir tous ensemble afin que nul d'entre eux n'eût plus de misère »292(*). Le lecteur assiste donc au suicide collectif de la famille, orchestré par la mère ; mais Louise Michel pousse l'atrocité et la noirceur de la scène à son paroxysme et met en exergue le sadisme de la société : « Tous étaient morts à part la mère : dans la force de l'âge elle avait résisté. On eut la cruauté de la faire revenir à elle... La cour d'assise l'attendait, [...] elle se pendit dans sa cellule [...] Cette fois la mort fut clémente, elle la prit ! »293(*).

b) La violence et le crime

Louise Michel reconnaît la nature féroce de l'homme, mais n'est-ce pas la société qui, en plus d'engendrer la violence, enlise dans leur névrose et dans leurs vices les sujets déviants ? La société, de par son étroitesse et son conformisme, crée ses propres monstres : « Pierre Mardi avait rejoint en Calédonie son camarade Étienne et, pendant le long voyage, le vent de mer passant sur eux, les flots les refroidissant de leur âcre fraîcheur, avait mêlé un peu ces misérables à la grande nature dont la société ne leur avait montré que le côté étroit. Les passions qui les dévoraient étaient un peu modifiées. S'ils avaient eu tout de suite un peu de terre, une ombre de liberté, ils n'auraient pas été plus mauvais que des animaux ayant leur place pour se coucher à l'ombre, étant las ou repu. »294(*). La société se vante de civiliser l'homme, or paradoxalement, « au lieu de le refréner, [elle] donn[e] à l'instinct de meurtre l'occasion de s'exprimer [...]. Quel que soit le prétexte invoqué, quelle que soit la motivation effective, le meurtre est, pour ses auteurs, une source d'exaltation, de fierté indicible, [...], d'ivresse, [...], de rigolade [...], ou de sérénité[...]. N'est-ce pas la preuve, expérimentale, qu'il est conforme à la fois aux exigences de notre nature et à celles de la société ? »295(*).

Louis Chevalier, en étudiant le problème du crime et son importance, constate que « criminel, ce Paris l'est surtout par la place du crime dans les préoccupations quotidiennes des gens. La peur que le crime éveille est constante »296(*). Malgré la terreur ambiante et dans ce dialogue permanent qui entretient la psychose, le crime attire, il excite et attise les foules impitoyables et avides de sang (on se rend en masse aux exécutions publiques). Le Claque-dents s'ouvre sur une scène de curée où des hommes s'emparent avec ardeur des restes (bijoux et mobilier) d'une bourgeoise violemment assassinée : « Tout un monde de détraqués s'étaient bousculés, pendant une journée vertigineuse, à la curée, faite à l'Hôtel des Ventes, du mobilier de Lucrèce Milot, une affolée de la haute noce, morte tragiquement ? Hallucinés, imbéciles, blasés s'étaient disputé les moindres bibelots. Une loque tachée de sang avait été vendue le prix d'un objet d'art. Les choses sur lesquelles avait traîné le crime valaient le poids de la bêtise humaine »297(*). La métaphore de la curée est récurrente dans le roman. Cette image, appartenant au lexique naturaliste298(*), dépeint une société impitoyable où les dévorants seront également les dévorés ; ainsi Sylvestre fait disparaître successivement et mystérieusement ses collaborateurs : « La curée serait complète, curée des places après la curée du ventre »299(*).

La peine de mort

Louise Michel se positionne clairement, comme son prédécesseur et ami Victor Hugo, contre la peine capitale. Son argument est le suivant : comment une société qui condamne le meurtre peut-elle tuer à son tour, et donner à voir cet horrible spectacle comme un exemple et un moyen de dissuasion ? Son second argument, illustré notamment par le beau Raymond dans la nouvelle éponyme, est : comment peut-on prendre le risque d'exécuter un innocent ? Raymond qui est condamné à mort n'a de cesse de crier son innocence, et ce jusqu'au lieu de l'exécution. La sympathie du lecteur va automatiquement au héros, qu'il sait innocent, et par ce biais, adhère également aux opinions abolitionnistes de l'auteur. En effet, de manière systématique, les condamnés à mort ne sont pas coupables des crimes dont on les accable ; comme Raymond, Gaspard accusé du meurtre de Lucrèce, hurle son innocence jusque sur l'échafaud300(*). Cinq autres individus font l'objet de condamnations arbitraires à l'issue d'un procès absolument dément, dirigé par le juge Mancastel - personnage caractérisé par son hybris301(*) ; d'ailleurs le lecteur découvre le verdict à travers la conscience candide de Louïk, à laquelle supplée la parole satirique de l'auteur : « Louïk n'avait pas tort en n'y comprenant rien, certains faits de notre époque passeront pour des rêves d'hallucinés, celui-là était du nombre »302(*).

Louise Michel insiste sur la barbarie de ce « spectacle » populaire303(*) et s'indigne de l'enthousiasme collectif qu'il engendre : « Ceux qui aiment le spectacle où le bourreau pontifie, passèrent bien des nuits autour de la butte maudite, espérant toujours voir pendre au bout de la corde le beau Raymond »304(*). Le réalisme topographique participe à la plaidoirie et place alors la nouvelliste en position d'historienne, le gibet de Montfaucon305(*) étant l'un des plus célèbres : « Au nord-ouest de Paris, entre la Villette et les Buttes-Chaumont, est une hauteur sur laquelle tournoyaient à cette époque des nuées de corbeaux. C'était le lieu où s'élevaient les fourches patibulaires306(*) du prévôt de Paris, Montfaucon »307(*). C'est une vision d'horreur que suscite alors la narratrice dans l'esprit du lecteur, puisque les corps étaient laissés sur le gibet pour être exposés à la vue des passants et dévorés par les oiseaux de proie. Enfin, elle force l'ironie et l'humour noir en insérant dans le récit un épisode comique et grotesque, bien que réel, qui ne fait qu'exacerber l'absurdité de ces exécutions. La critique opère grâce à un renversement carnavalesque ; dans cette scène cocasse, Capeluche308(*) le bourreau de Paris devient lui-même le condamné à mort : « On était pas fâché de revoir son successeur ayant assisté à la scène où Capeluche lui enseigne lui-même comment il devait lui trancher la tête, leçon que le valet reçut à genoux avant de l'exécuter. On n'était pas fâché de voir comment il s'acquittait des autres exécutions »309(*). Notons que l'anaphore « On était pas fâché » donne le ton comique et populaire à la scène.

Ainsi, par ces différents exemples, Louise Michel montre qu'il s'agit d'une pratique barbare et archaïque, car ces exécutions publiques, qui doivent servir d'exemple, sont également, comme à Rome, un divertissement populaire : « Il faut au peuple, se disait [le président qui régnait alors sur la République], du pain et des spectacles. A défaut de pain, les spectacles pouvaient suffirent, une exécution est l'un des spectacles les plus attrayants »310(*). En puisant dans le Moyen-Âge et dans l'Antiquité, Louise Michel prouve l'anachronisme de cette pratique, qui prolonge le rapport de force entre dominés et dominants, et légitime alors la lutte des classes : « C'était vraiment dommage, le spectacle eût été grandiose, ces choses-là faites par les maîtres pour terrifier les esclaves soufflent au contraire la révolte »311(*).

c) L'enfermement

En temps qu'ancienne détenue et ayant fait elle-même l'expérience du bagne, Louise Michel évoque avec exactitude le système pénitentiaire et dénonce les conditions d'incarcération. Elle pointe l'enfermement systématique de toute personne jugée inadaptée et gênante pour la société et accuse la justice d'être le garant de l'ordre bourgeois. Dans le roman Le Claque-dents, les lois oeuvrent pour les personnages de pouvoir et Sylvestre connaît ses droits : « Voilà, se disait-il, des gens dangereux, que deviendrait-on si le pouvoir n'était pas assez fort pour les mettre à l'ombre ? »312(*). De la même manière dans la nouvelle « Les Rapaces », la réflexion naïve du jeune avocat, qui avait foi en un idéal de justice impartiale, traduit sur un ton ironique cette même idée : « Pendant deux jours, Me André - c'était le nom du jeune avocat - pensa aux révélations qu'on avait étranglées dans la gorge de son petit client et dans la sienne. Comment cela se faisait-il ? Serait-il vrai que l'accusation ne peut atteindre certaines personnes à cause du manteau de richesse ou de superstition qui les enveloppe ? »313(*). Ce sombre constat est réitéré dans la nouvelle « Les Vampires », dans laquelle Pierre Mardi est aussi condamné pour les crimes de son complice, ce dernier étant un personnage intouchable : « N'était-il pas plus simple de penser que Pierre Mardi avait commis à la fois les deux violations de sépulture, à deux endroits différents ? Telle fut l'opinion du jury. On regretta beaucoup que les bavardages de la presse eussent forcé à comparaître M. Jean Eléazar, à qui cela pouvait attirer de nombreux ennuis. [...], si les excuses eussent été dans la loi, on lui en aurait fait certainement. Le misérable accusé paya en plus pour ces ennuis causés à deux honorables et riches familles : il eut les travaux forcés à perpétuité »314(*).

Ces réflexions sur la criminalité, la justice et le milieu carcéral sont des préoccupations de la littérature sociale de cette période ; Eugène Sue, qui ponctue son roman-feuilleton de nombreuses digressions sur la société et ses tourments, constate comme Louise Michel que la justice ne peut pas être équitable car, étant payante, elle ne peut être accessible à tous315(*). La justice est alors vécue comme une aberration et tout sentiment de justice - notamment de justice sociale - ne peut-être qu'écrasé face à une réalité inique, voire absurde. La narratrice montre qu'il ne s'agit que d'un semblant de justice, les avocats de la défense étant impuissants et donc inutiles. En outre, elle insiste sur la dureté et l'inégalité des peines qui sont requises. Pierre Mardi est condamné à perpétuité, alors que le fils d'un des employés du cimetière, pour le même crime, est condamné à deux ans316(*). Le père Jo et son fils « sont au bagne, le vieux pour toujours, l'autre pour vingt ans »317(*), pour l'assassinat de leur patron ; mais combien les patrons tuent-ils d'ouvriers, forcés de « turbiner » pour des salaires de misère ? Les étudiants qui sont à l'origine de la plaisanterie jouée à l'encontre du père Pouffart dans Le Claque-dents sont condamnés à de la prison ferme : « Désormais, ils étaient cotés parmi les malfaiteurs les plus dangereux »318(*). L'auteur souligne le décalage qui existe entre la faute commise, la peine requise, et les individus eux-mêmes ; manifestement certains doivent plus à la société que d'autres, notamment quand ceux-ci s'attaquent aux symboles du pouvoir.

Les maisons de correction et le bagne

Les prisons comme les maisons de correction sont de véritables écoles du crime ; Eugène Sue accuse « la perversité contagieuse de vos geôles » et démontre ainsi que la récidive est inévitable : « Oui, car il est démontré qu'au lieu de corriger, votre système pénitentiaire déprave. Au lieu d'améliorer, il empire... Au lieu de guérir de légères affections morales, il les rend incurables. Votre aggravation de peine, impitoyablement appliquée à la récidive, est donc inique, barbare, puisque cette récidive est, pour ainsi dire, une conséquence forcée de vos institutions pénales »319(*). Loin de guérir, l'enfermement ne protège pas plus les autres individus du criminel, que cela ne le protège de lui-même. Un an après sa sortie de maison de correction, Pierre Mardi est condamné au bagne à perpétuité, où il assassine violemment son ami détenu, avant de se donner la mort : « Ce fut le colosse Pierre Mardi qui étouffa Étienne, de ses mains énormes, aux longs doigts crochus. [...] On chercha vainement à prendre vivant Pierre Mardi, couvert de sang, sur le corps déchiqueté de son camarade : il trouva moyen de s'étrangler »320(*). Yves Gallo, enfant condamné arbitrairement à aller en maison de correction jusqu'à sa majorité321(*), connaîtra-t-il le même destin ? Louise Michel, qui ne croit pas en ces institutions, est pessimiste quant à l'avenir du jeune homme dans ce type d'établissement : « Quand Yves Gallo sortira de la maison de correction, s'il en sort, le hasard aura peut-être fourni de quoi terminer ce sinistre épisode... »322(*).

Les asiles de fous

Louise Michel s'est très tôt intéressée à la question de la folie et de l'aliénation, et nombreux sont les personnages de ses récit qui font l'expérience des asiles de fous. Il est en effet commode de faire passer une personne gênante pour folle et de la faire enfermer, comme c'est le cas de Philibert gardien à la Roquette qui avait recueilli les mémoires des deux anarchistes condamnés à mort : « j'ai eu des choses incroyables, on m'a rendu désespéré, alors on m'a fait passer pour fou »323(*). Il s'agit d'un placement dit d'office, ordonné par l'autorité publique et qui concerne les personnes « dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes »324(*) ; mais ce placement d'office est largement critiqué car, comparé à une résurgence des lettres de cachet (ordre royal d'emprisonnement ou d'exil sans jugement, dont le nom fait référence au sceau que le roi apposait sur ce document), il est la manifestation d'un pouvoir arbitraire et autoritaire. La nouvelle « La Lettre anonyme » met l'accent sur le traitement alloué aux pensionnaires ; dans les « maisons de santé », les aliénés ne sont pas traités comme des hommes mais comme des animaux : « Tous deux étant d'un calme stupéfait, on les poussait comme des bêtes qui ont besoin d'air dans les jardins où ils restaient accroupis à terre » 325(*).

Louise Michel propose des solutions dans le texte Lueurs dans l'ombre. Plus d'idiots - Plus de fous326(*), sorte de roman expérimental. Elle prône la guérisons des fous par la parole, l'amour et la musique, et affirme qu'il est tout à fait possible d'éduquer les idiots, et de les élever à un certain niveau d'intelligence (selon les cas)327(*). Dans la nouvelle intitulée Le Livre d'Hermann, Louise Michel regroupe une série d'observations, de conseils et de réflexions, afin d'améliorer la prise en charge des aliénés, mais aussi des criminels, « espérant ainsi jeter les bases d'une société nouvelle où tous seraient respectés et compris »328(*), car elle est consciente qu'« un homme tient peu de place sur la terre, à plus forte raison, un fou »329(*). Le fou est donc avant tout une victime, et même doublement une victime. En effet, il est d'abord victime des circonstances « malheureuses » qui lui ont fait perdre la raison - causes sociales matérielles et morales, - puis victime du milieu hostile où il est conduit et où peu d'espoirs de guérison sont permis. Ainsi, le poète Hermann à son arrivée compare l'asile à une prison, un « endroit plein de nuit » et ne comprend pas « qu'on fa[sse] rappeler la raison chez ces pauvres êtres » dans « ces lieux si menaçants qu'il y aurait de quoi la faire perdre » ; la narratrice ajoute que les maisons de fous sont ordinairement la résidence dernière d'un grand nombre d'entre-eux330(*). Enfin Hermann, doué d'une grande sensibilité à l'égard des autres pensionnaires, devient l'aide du médecin, mais aussi de par ses réflexions un double de l'auteur : « N'allait-il pas jusqu'à dire qu'avec une éducation juste et forte, imprimant dès la première enfance le besoin d'agir loyalement, on diminuerait jusqu'à les éteindre les maladies de l'esprit ? C'est ainsi qu'il considérait la folie et celle du coeur, c'est ainsi qu'il considérait les vices »331(*).

Ainsi, la littérature de Louise Michel cherche à aller au plus près de la réalité sociale et laisse peu d'espoir à ces êtres meurtris par la prison et l'errance, poussés au crime, au vol, voire à l'assassinat. Plongés dans un monde sans espoir, le misérable ne peut plus survivre qu'en commettant l'irréparable et recherche la punition qui met fin à son errance. Comme Maupassant, Louise Michel met en exergue une vision fataliste quant aux chances et à l'avenir du pauvre : « C'est l'histoire d'une aliénation »332(*). Elle engage la responsabilité de tous, car la société entière est coupable d'avoir créé ses propres criminels : « Oui nous sommes coupables tous/ Du bien du mal hélas chacun est solidaire/ Le signe qu'a sur lui le criminel mystère/ Ce signe nous l'avons sur nous »333(*). Le miséreux devient alors l'annonciateur d'idées contestataires et le médiateur de la révolte, mais il faut pour cela éveiller les masses et la satire sociale participe à l'éveil des consciences.

4/ LA SATIRE SOCIALE

a) Le bestiaire

Comme le dit le proverbe « les bêtes c'est comme les gens »334(*) et Louise Michel l'a bien compris. Elle use et abuse des métaphores animales pour évoquer « le troupeau humain » : chaque personnage se trouve sous le patronage d'une bête, dont il prend les caractères, ou bien c'est la société entière qui est comparée au monde animal afin de mettre à nu le corps social335(*). D'une part, ces comparaisons contribuent à la dimension fantastique et inquiétante de l'oeuvre, puisque d'après les travaux anciens de Lavater qui ont influencé nombre d'écrivains du XIXe siècle336(*), tout homme a une ressemblance plus ou moins prononcée avec un animal, dont le caractère primitif influe sur le sien, « à tel point que, si les âmes étaient visibles aux yeux, on verrait distinctement cette chose étrange que chacun des individus de l'espèce humaine correspond à quelqu'une des espèces de la création animale »337(*). D'autre part, le bestiaire participe amplement à la critique sociale : les capitalistes sont comparés à des rapaces et les politiciens à des mollusques338(*) ; et c'est à travers ce traitement grotesque que transparaît le mépris qu'éprouve l'auteur à l'égard de cette caste. Maurice Tournier fait remarquer, en observant le bestiaire anarchiste recensé, que ce lexique va « des curés aux gouvernants, des riches aux militaires, des juges aux députés, sans se fixer vraiment sur une proie [...] il s'agit toujours des exploiteurs »339(*). En effet, Gertrude Eléazar, qui représente parfaitement cette société inhumaine340(*) qui sacrifie quotidiennement des êtres sur l'autel du capitalisme, est comparée à maintes reprises à un oiseau de proie341(*), à un serpent (voire vipère)342(*), à une mouche bleue343(*), mais il semblerait que la louve344(*) soit son « animal totem », le loup symbolisant la sauvagerie et la débauche345(*) ; cependant le loup possède un double tempérament et Wolff346(*) incarne la nature positive de l'animal.

Dans la seconde nouvelle du recueil, la métamorphose animalière permet à la narratrice de décrire les sévices que font subir les dévoreurs de chair humaine aux enfants qu'ils séquestrent347(*) ; les doutes du lecteur sont alors confirmés et l'horreur augmentée : « Les messieurs étaient enchantés, cela les intéressaient comme l'innocence d'une jeune souris pourrait intéresser les chats, les dames y prenaient également un vif plaisir. Elles songeaient au prochain divertissement que leur donnerait le combat des chats contre les souris »348(*). Plus tard dans le récit, Louise Michel reprend la métaphore des oiseaux de proie, pour évoquer la bestialité de ces individus : « Ce secret était connu du petit groupe de vautours déplumés qui dévoraient là les oiseaux pris au nid »349(*). La métaphore du chat et des oiseaux est une comparaison fréquente et c'est en ces terme que la narratrice rapporte, dans un épigraphe funeste, la situation de la famille de Saturnin (qu'il a été obligé d'abandonner350(*)), le chat incarnant alors le sadisme et la puissance de Mme de Saint-Madulphe351(*).

Par conséquent, la métaphore animale permet de manière très précise de décrire les relations entre les hommes, plus encore lorsqu'il s'agit de décrire les rapports de force et de domination (« L'homme est un loup pour l'homme »), et les animaux jouent des scènes de misère, d'exploitation et de répression sociales, qui s'organisent en un véritable mythe animalier de la lutte des classes352(*). Ainsi, il s'agit d'une société radicalement scindée en deux, exploiteurs et exploités, autorités et sujets, riches et pauvres, répresseurs et réprimés, bref maîtres et esclaves353(*). La comparaison animale met en lumière la barbarie de la société humaine, où les hommes se révèlent être pires que les animaux - car « quand l'homme se bestialise, l'animal s'humanise »354(*) : « Les bêtes, elles, se soutiennent, les boeufs sauvages font face ensemble au loup ou au tigre, nous, les misérables d'entre les hommes, nous nous faisons les meutes des autres, chiens de chasse, chiens de bouchers, pour gagner la curée qu'on donne au chenil ». Et de manière plus collective, ce sont les société européennes qui acquièrent une forme monstrueuse pour ne former qu'un tout organique, et la description pend alors une tournure fantastique : « Le vieux monde, dans sa chrysalide, est plus horrible qu'avant, il n'a pas encore d'ailes, il n'a plus de pattes, c'est un monstre. Ainsi toutes les époques de transformation sont monstrueuses. Attendez : les ailes battront dans l'air ; elles bourgeonnent dans le linceul où s'opère la métamorphose »355(*).

b) La dimension burlesque

Le bestiaire participe à la dimension burlesque et Louise Michel raille toutes les institutions : l'Église (constituée d'hypocrites), la Justice (montrée comme inutile car inéquitable), la Politique (regroupant des carriéristes imbéciles), la Police (regroupant des incapables), l'Armée (les soldats s'avérant être des idiots ne savant qu'obéir), etc. Mais plus largement, c'est le monde de l'argent et du pouvoir qui se trouve dégradé. De cette manière, de nombreux personnages, dont la fonction est censée faire autorité, sont rabaissés et deviennent des personnages de comédie. Par ces procédés burlesques, l'auteur suggère que la société, et plus amplement le monde, constituent une vaste farce.

La classe politique

La vision satirique de l'auteure transforme la vie politique parisienne, alors en pleine ébullition - nous sommes en effet en période d'élections, « il y avait des candidats partout ; on ne pouvait faire un pas sans entendre crier des brochures, oeuvres de Monsieur un tel, candidat »356(*) - en vaste carnaval : « cette danse macabre d'honorables »357(*). Louise Michel montre tous les excès et l'hypocrisie de la classe politique ; elle ne vise personne en particulier, mais s'attaque au système ainsi bâti, que chacun fait perdurer dans cet éternel recommencement : « A force de vivre grassement au milieu des misères vives ils en étaient venus à les oublier d'abord, puis à éprouver une sorte d'angoisse, les clameurs montant parfois jusqu'à eux. Ces condamnés au pouvoir ayant tourné dans la cage à écureuil où d'autres tournoieront après eux, s'en allaient ayant tout promis, d'autres allaient venir promettant tout »358(*). Il s'agit d'un système corrompu où le secteur industriel et la classe politique sont intimement liés : « Arsène Dupoignon et Stanislas Trifouillard, tous deux propriétaires d'usines aux environs de Paris, pouvaient, à cette époque, remplir le rôle de candidats burlesques. »359(*). Les relations entre le monde de l'argent et les sphères de pouvoir sont explicites, puisque ces deux « illustres et intègres individus »360(*), au demeurant des pantins, soutiennent immédiatement après leur élection (l'un au sénat, l'autre à la chambre des députés) la colonie de la Nouvelle Atlantide (compagnie fictive)361(*).

Ce système pourri nourrit donc une société déjà agonisante362(*) ; mais après ce constat pessimiste, le traitement comique d'un des personnages, candidat à l'élection, opère un renversement carnavalesque. Le charcutier Pouffart, qu'une plaisanterie d'étudiant fait candidat363(*), est élu par l'opposition qui voulait falsifier le résultat du vote : « couronnement burlesque de la plaisanterie »364(*). Véritable gogo, ce personnage rabaisse les autres politiciens (« A la validation des pouvoirs le père Pouffart entra de plain-pied à la chambre avec les honorables Dupoignon et Trifouillard »365(*)) et fait montre que le pouvoir détourne les hommes366(*). Initialement naïf et sincère, le père Pouffart passe de l'opposition au gouvernement : « Pouffart s'indignait, il menaçait de rendre à ses électeurs un compte terrible, mais peu à peu en raison directe des séances à la buvette où les causeries entre opposants adoucissent les opinions, il devint moins rude - bientôt on put s'assurer qu'il votait avec le gouvernement »367(*). La corruption de la classe politique est inhérente aux sociétés capitalistes et s'organise en un vaste réseau : « Monsieur Pouffart grâce à ses maisons de commerce, se trouva en relation avec la baronne Eléazar - au nom du baron, bien entendu. Tout allait donc suivant le cours ordinaire »368(*).

L'institution religieuse

Louise Michel dans la nouvelle « Les Rapaces » laisse s'exprimer sa personnalité anticléricale ; en effet c'est toute l'institution religieuse qui est visée. Elle narre avec humour et ironie le fait divers d'un abbé criminel, précédemment béatifié par le Lys de Sidon, et donne des clercs une description grotesque et bouffonne : « L'aspect de la belle dame, en mirobolante toilette, mit un éclair joyeux sur les trois faces patibulaires de la sacrée rédaction - et pareils à des diables qu'un ressort pousse hors de la boîte, ils se dressèrent rouge jusqu'aux oreilles, les paupières clignotantes, la gueule et les narines ouvertes »369(*). L'auteure use du registre de la farce afin de dénoncer la naïveté et l'obscurantisme qu'engendrent les superstitions. Le père Trémadeuk, « qui aurait voulu les voir brûlées ou pendues, afin de conjurer la malédiction », accuse ses filles , à l'origine du scandale dans le village, d'être impies, pire « elles sont pour le sûr vendues au démon »370(*) ; notons que le style cherche à traduire l'oralité et la ruralité de la langue du personnage, ce qui participe bien entendu à l'humour de la scène. Et c'est par ces procédés que la scène de lynchage des deux jeunes fille, pourtant d'une grande gravité et d'une violence exacerbée, devient une scène de comédie : le recteur au bruit de la foule sort de l'église et tente d'exorciser en « jetant au hasard l'eau bénite sur les deux soeurs et sur la foule. Un gars à ses côtés tenait un sceau de cuivre, plein de l'eau dans laquelle le recteur trempait largement son goupillon, aspergeant furieusement »371(*). La dimension hyperbolique de la phrase (« plein », « trempait largement » et « aspergeant furieusement ») dégrade les rites ecclésiastiques, en témoignant de leur absurdité, et démystifie l'institution religieuse.

Les savants

Dans « Premières et dernières amours », l'auteur se moque du pédantisme des scientifiques et place à la morgue deux professeurs, dont les commentaires et les expériences ratées, auxquelles ils soumettent le cadavre, déshumanisent et dédramatisent la scène : « Au fond, deux professeurs discutent, ouvrant toutes grandes leurs quatre narines pour se rendre compte, tandis que les autres se bouchent le nez. [...] Ils prennent des notes. Le cadavre avait été saturé de liqueurs alcooliques, brûlé par la vie incandescente que menait le sujet, ils attendaient les effets qui ne pouvaient pas manquer de se produire. [...] Les deux professeurs, parvenus à écrire une vingtaine de pages de notes, commençaient à s'ennuyer de ne voir aucun effet se produire, ils se donnèrent rendez-vous le lendemain »372(*). La narratrice se moque de nouveau des savants dans la nouvelle « Les Rapaces », à propos d'un attentat anarchiste contre le « sacré bureau du Lys de Sidon »373(*) et pour lequel il faut plusieurs heures aux chimistes pour prouver que ces individus n'étaient armés que d'oeufs pourris, et non d'explosifs liquides. L'incident tourne donc à la farce tellement les membres du bureau, la police et la justice sont tournés en ridicule et sont montrés comme des idiots et des incapables.

c) Humour (noir), ironie et dérision

L'ironie et la raillerie sont partout dans le texte, sans que ce recours à l'humour n'ôte à cet univers son aspect bizarre et inquiétant ; au contraire, rien ne pourrait mieux que lui en souligner toute l'étrangeté374(*). L'humour signal toute la folie, voire la possession diabolique du monde. Dans la nouvelle « Les Rapaces », le lecteur assiste à une macabre scène de comédie. Sur le ton de l'humour noir, la narratrice rapporte une répugnante et sinistre discussion, sur la question pratique de comment faire disparaître un corps : « - Qu'allons-nous faire de ce cadavre ? disait la voix grasse de M. de Thunder. Une voix de femme répondit : - Le faire jeter à la Seine, parbleu ! - Mieux vaudrait le brûler. - Non, la chair brûlée répand une odeur qui attirerait l'attention. - Personne n'oserait supposer... [...] - Vous ne voulez pas brûler ce corps ? reprit Thunder qui s'entêtait. - Non, le dernier a senti mauvais dans toute la rue. - Il fallait faire bouillir le corps jusqu'au complet détachement des chairs et jeter les os n'importe où, dans un voyage, par exemple. On prend le chemin de fer et la nuit on se débarrasse du corps du délit. - Vous me dégoûtez ! »375(*). Yves Gallo, caché dans un coffre, entend la conversation et se fait la réflexion qu'ils sont tous fous376(*). D'ailleurs, l'un d'eux, M. de Saint-Luc est gagné par la folie, « Pâle, les yeux agrandis par l'épouvante, il cria aux deux autres d'une voix de râle : - Il y a des morts en haut qui m'ont barré la porte ; ils se sont mis devant moi comme un mur : nous sommes perdus ! »377(*), hanté par ses crimes, le persécuteur d'enfants est à son tour effrayé par des enfants ; c'est le bourreau qui fuit le supplicié !

De manière paradoxale, l'humour constitue une réalité ambiguë, habitée à la fois par le comique et par le tragique. Son champ d'application s'exercerait même davantage dans le domaine du tragique que dans celui du comique378(*). L'humour noir traduit l'engagement de l'auteur - révoltée par les conditions de vie - et témoigne - malgré un apparent détachement - de sa sensibilité et de la représentation d'une réalité en état de crise379(*). Ainsi, certains épisodes - scènes de profonde misère et de désoeuvrement -, qui auraient pu tomber dans le pathos et le larmoyant, sont traités sur le ton de la dérision et de l'ironie. Ce procédé incite également la pitié chez le lecteur ; mais il ne s'agit pas seulement de l'émouvoir, cette passion ainsi suscitée ne doit pas être stérile, elle doit provoquer la réflexion. C'est pourquoi l'ironie se révèle être plus efficace : « Deux corps étaient là, - on n'y songeait seulement pas, - morts de façon ordinaire, ils ne pouvaient rien présenter d'anormal. L'un était un vieil ouvrier qui s'était suicidé parce qu'il ne trouvait plus d'ouvrage : quand une machine est usée, on la met en rancart. L'autre, c'était une petite fille de sept à huit ans, assommée à coups de bâton, afin qu'elle ne racontât pas ce qu'on lui avait fait subir. Ces cadavres-là n'intéressent personne »380(*). Ainsi l'humour noir et l'ironie constituent les ressorts de la critique, ils contribuent à la satire sociale, en montrant crûment toute la violence de la société - violence normalisée et généralisée. Mais ce constat n'est nullement pessimiste et le recours à l'humour noir est justement un « moyen qui permet d'éviter le désespoir »381(*).

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Ainsi, l'écriture fantastique procure un « effet de réel », et participe à la satire, puisqu'elle met en exergue une société néfaste pour l'homme, voire maléfique. Louise Michel dénonce une société qui est à l'origine de l'altération et qui s'est révélée incapable de gérer cette anomalie. Par ailleurs, les points communs avec Eugène Sue et des Mystères de Paris sont nombreux, - que ce soit dans les lieux investis, comme dans les thématiques sociales avordées, mais aussi dans le choix de la forme populaire du roman feuilleton382(*), - à propos duquel Roger Bozzetto parle de « fantastique social » et qu'il définit ainsi : « cette tentative de donner à saisir, dans et par les failles d'un système de représentation codé, le refoulé social »383(*). En effet, la société est rationnellement la cause de l'aliénation, et le registre fantastique sert la porté argumentative et didactique de l'oeuvre.

TROISIÈME PARTIE :

LA FONCTION ARGUMENTATIVE

ET DIDACTIQUE

Depuis le milieu du XIXe siècle, la France est engagée dans un vaste processus de scolarisation, mais « le développement de la lecture populaire inquiète les classes dirigeantes et les idéologues conservateurs y voient un outil de subversion sociale, [d'où les nombreuses interventions de la censure]. Le mouvement ouvrier de son côté perçoit également l'enjeu politique de la lecture »384(*). Louise Michel, comme tout militant anarchiste, sait pertinemment qu'il faut instruire les masses, et en tant qu'institutrice, elle milite en faveur d'une éducation populaire et égalitaire. Toute sa littérature est tournée vers le peuple et constitue un vaste enseignement.

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1/ LE DOMAINE DE LA NOUVELLE : UNE CONCENTRATION DES EFFETS

Comme Edgar Allan Poe qu'elle estimait, Louise Michel associe l'idée grotesque de la folie à l'écriture rationnelle : « Si on racontait une foule de choses dans de minutieux détails, elles seraient bien plus surprenantes. On croirait parfois voir les contes d'Edgar Poe »385(*). En effet, la forme ne doit pas représenter le désordre psychologique des personnages et l'écrivain doit faire preuve d'une certaine rigueur dans la construction du récit : le « conte à effet » recherche l'unité dramatique et la brièveté, il recherche l'unité poétique. C'est ce que Baudelaire appelle « la totalité d'effet ». Pour obtenir cette « totalité d'effet », il faut élaborer un canevas rigoureux dans lequel tous les éléments du récit s'articulent de façon concertée pour tendre implacablement vers l'effet final : « Dans le conte bref, cependant, l'absence d'interruption permet à l'auteur de mettre intégralement son dessein à exécution. Pendant l'heure où dure la lecture, l'âme du lecteur demeure sous la coupe de l'écrivain. Un artiste habile construit un conte. Il ne façonne point ses idées pour qu'elles s'accordent avec ses épisodes, mais après avoir soigneusement conçu le type d'effet unique à produire, il inventera alors des épisodes, combinera des événements, les commentera sur un certain ton, subordonnant tout à la volonté de parvenir à l'effet préconçu »386(*). Ainsi, la nouvelle demeure le vecteur privilégié du fantastique et la construction du récit doit se faire en vue de la chute.

a) L'art de la chute : un enchaînement causal

De manière générale, le dénouement de la nouvelle prend la forme d'un coup de théâtre. La chute de « Premières et dernières amours » est très brutale, puisque Casimir encore ivre de sa folie et de liqueurs se rend à la Morgue, afin de contempler les corps de ses victimes. C'est précisément à cet endroit qu'il se fait arrêter pour ses meurtres, mais aussi pour celui de la femme de la Morgue, présente dans l'incipit. Il ne peut évidemment s'en défendre car il « n'avait pu échapper à ce magnétisme horrible qui l'avait attiré ». En outre - et c'est sur cet élément que repose tout l'effet de surprise - nous apprenons avec la dernière phrase de la nouvelle, que « cet assassinat-là, c'était Barnabé qui l'avait commis »387(*). Nous atteignons alors le point de tension le plus dramatique de la nouvelle. Pourtant, et malgré l'étonnement provoqué par la fin, il semble que l'issue de la nouvelle ne pouvait être autrement : des effets d'annonces funestes sont disséminés partout dans le texte. Louise Michel avertit le lecteur lors de l'association fatale de Casimir avec Barnabé : « Une rencontre qu'il fit d'un aventurier nommé Barnabé, revenu depuis peu à Paris, décida de son sort »388(*). Tous les faits s'articulent dans une logique ironique : après son meurtre, Barnabé quitte Paris, mais avant il contemple le cadavre à la Morgue ; c'est ce cadavre qui obsède Casimir et c'est à cause de cette hantise, et pour investir dans l'affaire de Barnabé, qu'il tue Marguerite (et sa femme de chambre) ; enfin toujours à cause de Barnabé - qui vient d'ailleurs de l'escroquer en lui volant les bijoux - et de ses crimes, il court à la Morgue, où il se fait arrêter.

Ainsi la nouvelle, par des effets d'annonce et des signaux, fait montre d'une logique implacable et d'un enchaînement inéluctable. En effet, ce sont ces signes qui font pressentir au lecteur que tous les personnages du récit tendent - et ce malgré eux, bien qu'ils participent spontanément à leur propre destinée - vers une issue qui leur sera fatale. Certains présages arborent pourtant une symbolique forte et portent un message explicitement funeste. Rita, quelques jours après son mariage avec le peintre Daniel, découvre dans une corbeille une grande épingle d'or avec « une délicate tête de mort ». Quant à Daniel, il trouve de son côté une lettre anonyme qui lui est adressée « Cher et malheureux ami ». Cette lettre est une mise en garde - bien qu'elle n'ait pas pu le « prévenir à temps, pour empêcher la fatalité de s'accomplir » - contre sa femme Rita, qui aimerait toujours son premier amant, et c'est signé « Un ami inconnu »389(*). Chacun des deux époux garde pour lui-même le secret de sa découverte, Rita « ayant eu le coeur serré » et Daniel étant « frappé d'une piqûre au coeur, quelque chose le retint, la fatalité sans doute »390(*). Le Lecteur sait que le jeune couple sera entraîné dans un enchaînement infernal, jusqu'à sa destruction totale. Une seconde lettre, au contenu funeste, - dont il reconnaît l'écriture et qui est signée « Un ami » - fait écho à la première. D'autant plus mystérieuse et effrayante, elle relance le suspense et la tension, afin de tendre vers l'effet final que doit produire la nouvelle : « Votre mort est préméditée. Cette nuit à un signal convenu, vous devez être assassiné »391(*). Et au retentissement du signal (Rita a « avec effroi reconnu le coup de sifflet avec lequel son fiancé d'autrefois appelait ses compagnons de promenade »392(*)), il n'y a plus de doute quant à l'identité du tortionnaire, le dénouement de la nouvelle ne fait que confirmer ce que le lecteur avait déjà compris. Or, même si la chute ne nous enseigne rien de nouveau, contrairement à « Premières et dernières amours », elle n'en reste pas moins surprenante, l'horreur et la violence atteignant leur paroxysme : « [Le premier fiancé de Rita] avait voulu se suicider. On l'avait trouvé pendu à la grille de la maison de Daniel et rappelé à la vie, la raison avait sombré »393(*).

Ainsi, la tension dramatique atteint généralement son apogée dans le dénouement de la nouvelle, soit par la surprise qu'elle provoque, soit par son horreur et sa brutalité, soit en combinant ces deux effets. Dans la nouvelle « Les Vampires » l'effet final est provoqué à la fois par la violence des faits et à la fois par la focalisation interne, qui ménage un bref suspens et une stupéfaction ; le lecteur découvre en même temps que Blanche l'horreur de la scène : « Elle se leva et s'en alla sans se tromper où était son mari. C'était dans sa chambre de travail où personne que lui ne pénétrait. Dans le trouble où était ce misérable, assoiffé de sa hideuse passion, il avait perdu la clef de cette chambre. Blanche poussa la porte et, dans les ténèbres, devina plutôt qu'elle ne vit, le cadavre de sa fille, qu'il avait sorti du tiroir et mordait en l'embrassant »394(*).

b) « La totalité d'effet » : des effets de structure

L'incipit

Les premiers mots de la nouvelle engagent (dans le sens fort du terme) le récit, il ne l'entame pas mais l'oblige. Comme pour « l'art de la chute », tout doit être contenu dans la première page. La suite de la nouvelle ne fera qu'actualiser ces prémisses, selon l'esthétique baudelairienne de la « totalité d'effet ». L'incipit de la nouvelle « La Lettre anonyme » est une scène d'exposition, et l'intrigue, a priori simple, est résumée en trois paragraphes : Rita (seize ans) est promise à un homme, avec lequel elle décide de rompre, afin d'épouser Daniel, un peintre, qu'elle aime ardemment. Le premier décide alors de se venger. Tout le programme est annoncé.

Dans « Premières et dernières amours », la narratrice détrompe immédiatement le lecteur qui pouvait se croire dans une énigme policière ; certes il y a un cadavre, mais elle désigne directement l'assassin : « L'un est un jeune homme de vingt à vingt-cinq ans, au visage imberbe, aux traits efféminés. Celui-là c'est l'assassin. Il peut rester en paix. Les agents sont en quête de visages sinistres ; le sien est doux. Ils font la chasse aux gens mal vêtus ; lui est bien vêtu. C'est la coutume des assassins d'être bien mis »395(*). La nouvelle ne relatera pas l'enquête, puisque comme l'affirme la narratrice, l'assassin ne sera jamais inquiété, mais le lecteur est sensible au ton polémique, qui donne le sens critique à l'oeuvre : ce sont toujours les pauvres et miséreux qui trinquent. Ainsi, l'incipit a également pour fonction de justifier le récit en expliquant son intérêt et son importance. Les premiers paragraphes de la nouvelle « Les Vampires » introduisent l'anecdote et la fonde dans le temps historique ; par ce procédé initial, le récit acquiert de la légitimité : « Voici un épisode ancien qui a son semblable de nos jours. [...] Cela peut-être drôle dans les livres, pour ceux qui aiment ce genre-là ; mais cela est sinistre et fatal lâché de par le monde »396(*). Louise Michel insiste de manière ludique sur la véracité des faits qui vont être rapportés et cet incipit fonctionne aussi comme un avertissement (ironique) aux lecteurs ; en ménageant un certain suspens, la narratrice suggère que ceux-ci devraient aussi se tenir sur leurs gardes, car ils pourraient être effrayés par ce qu'ils vont lire.

L'ellipse

Louise Michel a recours à l'ellipse, ce qui permet d'une part de faire un pas considérable dans le temps et d'autre part, de faire appel à l'imagination du lecteur, et de provoquer une résonance féconde dans son esprit397(*) : « Madame Marguerite a fait du chemin depuis que le petit Casimir lui payait un hôtel, [...]. On ne pourrait compter ceux qui ont succédé au vieux depuis deux ans »398(*). Dans la nouvelle « La Lettre anonyme », le lecteur fait un bond de plusieurs années, durant lesquelles on imagine parfaitement la décrépitude du couple : « Dix ans passèrent à savourer l'amer bonheur qu'éprouvaient les époux Daniel » 399(*). L'ellipse entre le premier et le second chapitre de la nouvelle « Les Rapaces » fonctionne de la même manière. Les deux « pauvrettes » complètement droguées s'endorment et le chapitre suivant commence par leur réveil : « Quand elles s'éveillèrent, les fraîches fleurs de genêt, la froide gelée avait passé sur elles »400(*; que s'est-il passé ? Par cette périphrase, Louise Michel suggère et laisse imaginer le pire. En outre, l'ellipse permet une accélération dans la narration puisque le second chapitre, en réalité très court (il ne fait qu'une seule page), se déroule sur plusieurs mois : « Cela dura trois mois, pendant lesquels un grand nombre de fois le beau monde vint en soirée chez madame Donadieu ; chaque fois les deux soeurs avaient si grand sommeil qu'elles s'endormaient avant la fin de la fête »401(*).

L'ellipse crée une tension dramatique en laissant le lecteur dans une demi-incapacité à comprendre et en ne lui faisant parvenir que des bribes d'information, car Louise Michel se garde bien de renseigner précisément le lecteur sur la nature des tortures que les enfants subissent ; même quand l'une d'entre elle feint de dormir et découvre le supplice, elle refuse de dévoiler la vérité à sa soeur : « Ne te rassure pas, Makaïke, aucun mal ne peut être plus grand, rien ne peut plus nous arriver ! Nous sommes perdues ! »402(*). Ainsi, la narratrice joue et attise la curiosité, car le lecteur « à travers sa demi ignorance de ce qui [est] arrivé aux deux soeurs, [...] entrevo[it] l'épouvantable réalité »403(*). Dans « Les Vampires », la narratrice ménage le suspens en gardant secrètes les motivations des deux individus pénétrant dans le cimetière : « Unis pour l'accomplissement de leurs desseins »404(*) - quelle est leur nature ? ; « Les mêmes passions horribles et insensées ont rassemblé ces deux loups »405(*).

Une structure cyclique

L'incipit et la chute redent compte de la structure cyclique de la nouvelle, et les répétions et leitmotivs présents tout au long du récit dessinent cette boucle. Par un effet de symétrie quand Casimir retrouve Marguerite à la fin de « Première et dernières amours », après une absence d'un an, il s'agit de l'anniversaire de leurs secondes amours, et Louise Michel insiste sur la neige de fleurs qui s'abat contre les vitres406(*). Ce passage rappelle l'incipit puisque la nouvelle débute en hiver sous la neige, période de leurs « premières amours », et la boucle est bouclée, car jamais Casimir n'aimât Marguerite comme au premier jour que lorsqu'il la tua : « Bientôt ce ne fut plus seulement cette rage-là. Toutes les furies le tenaient. Jamais il n'avait autant éprouvé de passion pour Marguerite depuis le jour où il l'avait prise toute verte en lui promettant de l'aimer éternellement. C'était bien pareil, avec cette différence qu'alors c'était le commencement et qu'aujourd'hui c'était la fin »407(*). La structure cyclique de la nouvelle est d'autant plus manifeste avec la dernière page, puisque celle-ci se termine à la Morgue avec l'arrestation de Casimir et l'élucidation du premier meurtre, pour lequel nous apprenons que l'assassin est Barnabé, qui était également présent à la Morgue dans l'incipit408(*). Ainsi les effets de résonances sont nombreux et forts, notamment quand dans la nouvelle « Les Vampires », par un coup du hasard, la voiture cellulaire transportant Pierre Mardi fait l'objet d'un accident et que celui-ci voit passer « une noce dans laquelle dominait les vêtements de deuil »409(*). Ces noces funèbres font écho à la première scène, dans laquelle Jean Oupir vampirise le cadavre de la soeur de sa future épouse, dont le décès a retardé leurs noces. Cet écho et ce coup de théâtre, que l'on pourrait qualifier de structurants, constituent un ressort dramatique et procurent à la nouvelle une unité poétique : « Pierre Mardi poussa un rugissement terrible et, [...] il courut à la première voiture, s'y jeta en passant sur les chevaux, prit l'un des hommes qui s'y trouvaient à la gorge en hurlant : - Jean Oupir ! Voilà Jean Oupir ! C'était le marié »410(*).

Ces coups du destin confèrent au récit une dimension tragique, « la fatalité s'en mêla, comme toujours »411(*), qui rendent compte de l'enchaînement causal des événements. La promesse énoncée par le premier fiancé de Rita dans l'incipit de « La Lettre anonyme », est menée à bien et réussit, puisque « résolut [à] se venger d'une façon terrible »412(*), c'est lui qui fut la « cause de tous les malheurs et de la catastrophe finale, l'auteur des lettres anonymes, le donateur mystérieux de l'épingle »413(*). En outre, l'ironie du sort est telle qu'à la fin de la nouvelle, les deux rivaux se retrouvent ensemble dans la maison de santé et s'affrontent dans une lutte terrible414(*). Les personnages sont par conséquent les jouets de la fatalité et comme le dit la narratrice, « le hasard étant souvent aussi habile pour lier les circonstances que s'il s'en servait comme d'un clavier »415(*).

c) Vers la révélation

Issue de l'exemplum, du conte moral et du fabliau, la nouvelle possède aussi une fonction d'argument, elle est une sorte de parabole profane et moderne416(*). Ainsi, à travers son activité littéraire, Louise Michel réhabilite le rôle social, voire visionnaire, du poète en véhiculant un message qui se présente d'une part comme novateur, et d'autre part qui se positionne en faux par rapport à l'idéologie dominante. De manière récurrente, elle compare le poète à la figure de Prométhée, qui devient alors le symbole de la révolte, le penseur contestataire, le prolétaire rebelle espérant dans le progrès et la connaissance : « Les rêveurs d'aujourd'hui ce sont les prométhées [sic]/ Leurs visions par l'orage emportées/ Sont astre d'or pour l'univers »417(*). Dans cette entreprise de connaissance, la nouvelle et le nouvelliste ont pour objectif le « dévoilement d'un secret »418(*).

La narration

La fonction de la nouvelle et du nouvelliste est exacerbée à travers la voix narrative, laquelle rend explicitement compte du rôle pédagogique du récit. La seconde nouvelle des Crimes de l'époque possède nettement cette valeur d'exemple et a pour vocation de nous révéler quelque chose jusqu'alors ignoré, ou bien, mal connu. La narratrice intervient alors explicitement au début du récit, afin d'introduire l'action de la nouvelle, et après avoir défini ces personnages qu'elle désigne sous le terme de « rapaces », elle ajoute : « Ce sont eux que nous allons mettre en scène dans ce roman de moeurs contemporaines »419(*). L'incipit du « Beau Raymond » use du même procédé introductif et de manière didactique la narratrice annonce : « Voici un épisode ancien qui a son semblable de nos jour »420(*). Bien que l'anecdote soit ancrée dans le temps historique, la narration emprunte les voix et les aphorismes du conte et la narratrice débute son histoire ainsi : « Il y a quelques centaines d'années, un jeune mercier, qu'on appelait le beau Raymond... »421(*). Cependant, elle en détourne les codes à des fins parodiques et pédagogiques : elle affecte l'oralité du conte (« il était une fois » ou encore « il y a bien longtemps »), et imite le langage courtois (« Voilà le beau Raymond qui ne quitte plus les gentes et honnestes dames »422(*)). Certains personnages, par la description grotesque qui en est faite, semblent adopter les masques de la commedia dell'arte : « Margot, qui avait refusé la main crochue de plusieurs vieux richards, dont deux bossus, un déhanché et trois chauves »423(*). Le recours à la parodie, mais surtout au rire, est un moyen efficace pour instruire et convaincre (docere et placere, éduquer en plaisant, en étant agréable) ; en livrant au public un conte grotesque, elle met en exergue un exemple à ne pas suivre et des faits à dénoncer.

Véritable contre-exemple, le beau et noble Raymond subit un rabaissement carnavalesque et est présenté comme un personnage plutôt bas : « ... ayant quelque talent pour la comédie, s'étant instruit à peu près dans les lettres et surtout dans les tavernes avec les clercs et étudiants qu'il fréquentait »424(*). Raymond est davantage un anti-héros ; en effet, rendu « fou de vanité, une folie qui va loin », par le maléfice de « sorcières », « puissantes drôlesses » qui « s'emparèrent de son esprit » et « l'entretenaient dans sa paresse et ses autres vices »425(*), il échoue dans sa quête amoureuse et finit condamné à mort et exécuté426(*). Notons que Raymond, comme dans le conte oral, est toujours désigné par le même épithète ironique depuis le début du récit, « le beau Raymond » (titre de la nouvelle). Enfin, et c'est précisément à ce moment que la nouvelle acquiert toute sa dimension didactique, la narratrice clôt son récit en émettant une réflexion sur l'homme ; mais elle se garde bien de reprendre à son compte cette parole philosophique, donnant ainsi davantage de crédit à son propos : « Las ! dit à ce propos un philosophe de son temps, qui peut à travers les réseaux de la vie, être loué du bien ou du mal ? N'y serons-nous pas fatalement conduits jusqu'au jour où l'homme libre et conscient sera responsable de ses actes ? »427(*). Outre la condamnation de la vanité de Raymond, la narratrice constate de nouveau que nous vivons des temps obscures, guidés par les apparences et le vice, dans un monde vidé de toutes valeurs auxquelles se raccrocher. Il n'y a donc plus qu'une solution qui consiste à l'éduquer les masses, afin de lutter contre l'obscurantisme et de faire progresser l'homme, car une fois conscient, l'homme sera libre et responsable.

Une narratrice moraliste

Dès son origine, la nouvelle revendique de s'intéresser à l'humanité familière : parler du commun des hommes, de la vie sociale et intime428(*). Son rôle, et celui de la narratrice, serait donc de sensibiliser le lecteur à des problèmes sociétaux, comme l'enlèvement et l'abus de jeunes gens dans « Les Rapaces ». En effet, bien que le dénouement du récit puisse paraître décevant pour le lecteur - les vrais coupables, personnalités intouchables, courent toujours -, la conclusion alarmiste n'est pas moins un hommage à ces pauvres enfants mystérieusement disparus : « le hasard aura peut-être fourni de quoi terminer ce sinistre épisode, où passeront bien des enfants morts, disparus ou flétris, petites bouquetières, fillettes employées aux courses dans Paris, pauvres êtres dont la disparition ne fait pas plus de bruit que celle des fleurs de pommiers à la gelée d'avril »429(*). La narratrice n'est donc pas un témoin objectif et, à maintes reprises, intervient directement dans le récit pour juger de la situation et des personnages. Ces exemples précis lui permettent de formuler des constats et des critiques plus générales sur la société, et la placent en position de moraliste. Louise Michel milite pour une éducation égalitaire entre garçons et filles430(*) et pour l'obtention de droits égaux. À travers l'exemple de Marguerite et de son amour pour Casimir (« Quelle sotte idée avait eu cette belle fille, dont le coeur était si tendre, d'aimer se propre à rien qui la trompait ! »), elle dénonce la naïveté de toutes les jeunes filles, dont l'ignorance est entretenue par l'absence d'éducation : « - C'est qu'elle ignorait la tromperie, c'est qu'elle n'avait jamais rien lu et que les chemins bordés d'aubépines, les fleurs des champs toutes pleines de rosée lui avaient dit des songes d'amour »431(*). Les revendications féministes de la narratrice parsèment son oeuvre littéraire, et malgré un constat quelque peu alarmiste sur la condition de la femme, elle engage celle-ci à s'emparer de sa vie et à proclamer son autonomie et sa propre liberté432(*) : « mais vous savez le proverbe fait pour toutes les femmes riches ou pauvres : "Où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute". Cela sera ainsi jusqu'au temps où assez de chèvres casseront la corde au lieu de brouter. Le monde est grand, elles pourraient aller plus loin »433(*).

Par ce procédé, Louise Michel préconise une lecture active, puisqu'en interpellant le lecteur, elle le fait directement participer à la réflexion, comme lorsqu'elle exprime son opinion sur la guerre et le gâchis qu'elle produit : « - il y a des hommes qui en enrôlent pour donner à manger aux canons, il faut bien que tout le monde vive, n'est-ce pas ? »434(*). Elle prend le lecteur à partie plus fortement encore lorsqu'elle s'exprime sur la justice et son fonctionnement, et lui pose cette questions, réitérée par « n'est-ce pas ? » : « Ceux qui n'ont personne pour les défendre, ne doivent-ils pas être la proie muette ? Telle est la justice, n'est-ce pas ? »435(*).

2/ LES CONTES & LÉGENDES

Tous les éléments du contes (personnages, lieux formules narratives, thèmes abordés, etc.) sont tournés vers un objectif éducatif, ce qui en fait un genre davantage pédagogique que le roman et la nouvelle. Ainsi, alors que ces derniers s'adresseraient plutôt aux adultes, avec Les Contes et légendes, Louise Michel (institutrice) cherche à sensibiliser un public plus jeune aux mêmes questionnements et aux mêmes thèmes.

a) Définition du conte littéraire

Le terme « conte », attesté en 1880, est dérivé de conter (du lat. computarer : énumérer), il s'agit d'énumérer les épisodes d'un récit, soit de raconter. En tant que pratique du récit, le conte appartient à la fois à la tradition orale populaire et à la littérature écrite436(*). Et c'est par rapport au conte populaire de tradition orale que le conte littéraire peut être défini, car ce premier se caractérise par « la conjonction de plusieurs facteurs hétérogènes : oralité, fictivité avouée, structure archétypale particulièrement contraignante, fonction sociale au sein d'une communauté donnée, principalement rurale »437(*). Le conte chercherait donc plus ou moins à détruire « l'illusion réaliste », et cette distance serait installée dans le conte merveilleux par le surnaturel et dans le conte facétieux par le rire438(*). Les contes de Louise Michel ne relèvent pas du « conte merveilleux », mais du « conte réaliste » - bien que leur structure soit semblable à celle des contes merveilleux. En effet, à défaut de posséder des éléments surnaturels, les récits abondent en coïncidences (« Les dix sous de Marthe »), déguisements, coups de théâtre (« La famille Pouffard »), et dénouements improbables ; et certains d'entre-eux peuvent être classés dans la catégorie des contes facétieux, récit moqueur où l'on stigmatise la sottise - l'avarice du père Mathieu dans « Robin-des-Bois »439(*). Comme dans les fabliaux440(*), les personnages des Contes et légendes441(*), demeurent des types et la matière se réduit à une anecdote pour aller à l'essentiel : la morale - explicite et détachée de la narration, ou bien incluse de manière implicite442(*).

Bien bien que certains récits se rapprochent de la fable, dans la mesure où la morale est explicite (« La Vieille Chéchette », « Le père Rémy »), ces contes semblent davantage appartenir au conte moral443(*), défini comme une entreprise didactique au service de la raison et de la sensibilité (« Robin-des-Bois », « La Famille Pouffard »). Il faut prendre l'adjectif moral au sens objectif de « qui peint les moeurs » et au sens prescriptif « qui vise à les réformer », puisqu'il place son action dans un univers quotidien et réaliste, et dénonce les ridicules de l'homme. Toute la démarche du conte moral est dans cette double acception. Il devient alors un agent efficace de régénération morale. Comme pour la nouvelle, la structure même de la narration porte en elle la charge didactique. Elle possède la rigueur d'une démonstration scientifique et use d'une efficacité argumentative qui n'exclut ni l'humour ni l'ironie444(*).

b) Entre tradition orale et écrite

Bien que les contes de Louise Michel soient des contes littéraires et non la retranscription écrite de contes oraux, ceux-ci témoignent d'une certaine tension entre modernité et tradition populaire. En effet, la temporalité de certains récits est contemporaine à celle de l'auteure (« nous sommes là en plein XIXe siècle »445(*)) et les sujets abordés semblent actuels (« Les dix sous de Marthe »), mais Louise Michel exprime l'exigence de renouer avec la culture orale et populaire du conte, en imitant l'oralité et en empruntant des éléments issus du folklore. Le poème « La Neige », qui fait office de prologue, exprime justement ce flou temporel et culturel ; d'un côté la conteuse revendique la véracité des événements racontés (bien que très anciens) et de l'autre, elle avoue leur fictivité : « Ce sont des souvenirs lointains./ Ceux dont on parle ont eu votre âge,/ [..] Nous parlerons des moeurs antiques,/ Des pays lointains ou rustiques,/ Ou de ce qu'on voit en rêvant »446(*). Ainsi, il s'agit de renouer avec le folklore des légendes, celui qui peuple notre imaginaire, de conserver ou de retrouver l'esprit d'enfance, et de se laisser aller à rêver.

Des personnages emblématiques

Les personnages du conte populaires sont les indispensables moteurs du récit et en même temps ils sont dépourvus de toute profondeur, de toute intériorité. Il n'ont ni ambiguïté, ni liberté et sont réduits au rôle qu'ils doivent jouer dans la narration. D'ailleurs, tous les contes du recueil ont pour titre le nom du ou des personnages du récit, excepté le poème-prologue intitulé « La Neige ». Ce sont des stéréotypes purement fonctionnels, munis de contraintes archétypales.

La Vieille Chéchette, principale protagoniste du conte éponyme, est réduite à cet épithète de nature, qui semble si bien la définir puisque « Chéchette était une pauvre femme qu'on avait toujours vue vieille et toujours vue folle »447(*) ; le suffixe « -ette » renvoie à la dimension rurale et populaire du personnage. Elle est décrite comme une « créature étrange », dernier membre d'une race primitive, plus proche de l'animal que de l'homme ; quand elle n'articule pas quelque sons en son langage particulier et mystérieux, elle grogne pour exprimer son mécontentement448(*). D'abord comparée au serpent, - animal « incompréhensible et mystérieux », « intemporel, permanent et immobile dans sa complétude »449(*), comme Chéchette, vivant depuis toujours dans la forêt, y trouvant plénitude et s'endormant repue450(*), - elle possède également une gueule d'orang-outang et de gorille et on lui reconnaît un instinct très développé451(*). Il faut noter une gradation dans la description de Chéchette, puisque celle-ci est à ensuite diabolisée. Telles les « statuettes grimaçantes du moyen âge » - ses malformations étant le reflet d'une âme démoniaque -, elle est boiteuse et borgne, et possède une « épaisse crinière » rousse rappelant le « feu de l'Enfer »452(*). Ainsi, Chéchette possède davantage de particularités animales que de caractéristiques humaines, et semble emprunter à toutes les mythologies et folklores : « tout en elle rappelait les plus vilains gnomes453(*), les plus hideux singes »454(*). Malgré cette description grotesque et monstrueuse, Chéchette est élevée au rang d'« être surnaturel »455(*) et devient franchement sublime quand elle entre dans la maison en feu, four menaçant et diabolique, et sauve un des enfants de la veuve. La conteuse exprime alors toute son admiration et une profonde compassion pour cette « pauvre femme456(*) » qui porte alors les stigmates de son sacrifice et meurt en martyr457(*). Ainsi, malgré toutes les mythologies dont est modelée Chéchette, jamais le conte ignore le corps de son héros, « pétri de chair et de sang »458(*), et lui alloue davantage de relief et de profondeur.

Quant au Père Mathieu, personnage principal et moteur du récit intitulé « Robin-des-Bois », il est le type même de l'avare, - c'est d'ailleurs ainsi que la conteuse le présente avant même de le nommer : « un vieux paysan avare », - tel qu'on le trouve déjà dans la comédie ancienne de Plaute (La Comédie de la marmite), dans les fabliaux, et incontestablement chez Molière qui s'inspira de de ce premier. Louise Michel s'inscrit immanquablement dans la pure tradition comique, et le lecteur devine que ce personnage (sans aucune profondeur psychologique), ridiculisé sa bêtise et les superstitions (« la chasse du Grand-Veneur »), va prendre une bonne leçon : « mais enfin, il fit, grâce à la peur, une bonne action. La peur ! C'est un motif honteux ! Qu'attendre de plus d'un avare ? »459(*). Cependant, - même s'il s'agit dans le cas présent d'un archétype, - pour Louise Michel « l'avare est déjà fou »460(*), car celui-ci est entièrement tourné vers son propre être, son plaisir et désir personnel, et ce n'est pas sans humour qu'elle décrit une nature démesurément égoïste : « il comptait son argent en tremblant de peur et d'affection aussi ; car il aimait ce trésor comme on aime sa famille, son pays, sa mère, tout ce qu'on a de plus cher au monde [...] Il regrettait seulement de ne pouvoir vivre sans manger »461(*) ; et au lieu de profiter de ses richesses, vit dans la pauvreté, dans une « sorte de masure toute en ruine, vraie demeure de hiboux462(*) et d'avare »463(*).

Autres personnages de comédie : les membres de la famille Pouffard, - dont le nom rit au nez, - véritables parvenus, ayant acheté leur particule et leurs ascendance ; ainsi commence le récit : « Madame Pouffard était fort riche, elle portait la toilette la plus coûteuse qu'on puisse imaginer et n'avait rien trouvé de mieux pour en rehausser l'éclat que d'ajouter un de à son nom. [...] Ce de et ce mot châtelaine la faisaient rougir de plaisir chaque fois qu'on les lui adressait, et de colère chaque fois qu'on osait les oublier. Quant à Monsieur de Pouffard, plus avisé encore que sa femme, il avait eu l'idée d'acheter des titres de noblesse. Les habitants de la Hulotte devinrent donc Monsieur le marquis et Madame la marquise de Pouffard. Ils se firent peindre des armoiries par un artiste, qui se moquait d'eux, et achetèrent chez les antiquaires une foule de choses qui composèrent le musée de leurs ancêtres... »464(*). La référence à Molière et à sa célèbre comédie-ballet Le Bourgeois gentilhomme est explicite et l'analogie renforce la critique de cette famille qui tente de se hisser au dessus de sa condition. Il ne s'agit pas que de « M. Jourdain-Pouffard » et de sa femme, mais également de leur charmante enfant Euphrosine (du nom d'une des trois Grâces) : « Mademoiselle Euphrosine Pouffard mérite une attention toute particulière. C'était une grande niaise, vaniteuse comme un paon, et bête comme une oie »465(*). La dimension grotesque et l'importance donnée au visuel renforcent la théâtralité de ce conte : : « Madame Pouffard s'embrouilla dans les phrases de la Feuille des Grâces, ce qui fut cause qu'ayant lu : on orne les coiffures de quelques gerbes folles ! au lieu de herbes folles, la châtelaine des Hulottes se fit faire, pour le dimanche suivant, six grosses gerbes artificielles dont elle orna son chapeau »466(*).

Enfin, la vielle Jeannette - une « paysanne qui avait près de cent ans » - est également un personnage typique des contes populaire. Elle est l'auxiliaire de l'héroïne, car de par son âge, son expérience de la vie et son origine paysanne, elle connaît les choses essentielles et elle sait ce que les jeunes générations ignorent : « connaissant l'histoire de chaque famille elle donnait quelques fois d'excellents conseils, ce qui la faisait passer pour très habile »467(*). Gardienne des secrets, elle pourrait être l'équivalent de la (bonne) fée dans les contes merveilleux. Mais Jeannette, de par son savoir, joue également un rôle narratif en devenant le double de la conteuse468(*), et Rose, un double du lecteur : « Rose frissonnait ! Le grand-père de Jeannette, qui avait cent ans, cela devait être bien vieux ! Mais elle ne savait pourquoi ce commencement d'histoire lui faisait peur »469(*). Quant à Rose, héroïne de ce conte, elle possède toutes les qualités et vertus qui sont dues à son statut : elle est courageuse, généreuse et charitable (les larmes étant un gage de bonté).

Lieux, structure et aphorismes

Tout d'abord, le conte est régi par une structure archétypale, ce qui contribue à sa fictivité : le lecteur/auditeur comprend d'emblée que le récit qu'il entend ne cherche pas à reproduire fidèlement une expérience, mais à se conformer à un type de récit470(*). En effet, c'est en usant parfois de certaines formules issues du conte traditionnel que Louise Michel indique à son public qu'elle relate une légende, qu'il s'agit d'une fable, d'une sorte d'allégorie : « La bonne vieille se jour-là, pleura de joie, et cette action porta bonheur à tous, car elle vécut longtemps encore et les six magasins prospérèrent »471(*). Notons cependant qu'il s'agit de préoccupations concrètes, économiques et financières.

Une des constantes du conte populaire est l'affirmation du cadre rural. Les différents personnages mis en scène dans ces historiettes sont tous d'origine paysanne et évoluent pareillement dans ce milieu ; par exemple « L'héritage du grand-père Blaise » débute ainsi : « Le père Blaise était le plus riche fermier de la contrée ». Dans « La Vieille Chéchette », la conteuse évoque le travail agricole : « Une nuit d'été que tout le monde dormait profondément, après les fatigues d'une chaude journée employée à travailler dans les champs, on entendit retentir le seul cri qui fait lever tout le monde à la campagne : Au feu ! Au feu ! »472(*). Elle glisse également dans le texte, quelques coutumes rurales françaises, comme par exemple celle du bas de laine, cachette où l'on mettait l'argent économisé « il avait dans son bas cent mille francs en or et billets de banque »473(*). La forêt (ou le bois) est également un topos du conte populaire, lieu magique et mystérieux, plein de vie et inquiétant, elle demeure un lieu sauvage dans « La Vieille Chéchette », bien qu'elle soit également un symbole maternelle474(*) : « La maison de Chéchette, c'était le bois ; son magasin, c'était le bois ; le nid de son enfance, l'asile de sa vieillesse, c'était toujours le bois. D'où venait-elle ? Personne n'en savait rien, ni elle non plus. La première fois qu'on l'avait vue, déjà vieille, elle sortait d'un autre bois où sa mère l'avait élevée et venait de mourir »475(*). Nous avons une seconde évocation de la forêt à travers le conte intitulé « Robin-des-Bois ». Ce récit ne met pas directement en scène le célèbre hors-la-loi, héros et ami du peuple, dont la popularité en France date seulement du XIXe siècle476(*). C'est par l'analogie qui associe Robin-des-Bois à Barbatos, que la forêt acquiert un caractère sombre et menaçant, voire fantastique : « C'est de Barbatos que l'on fit les robin-des-bois, les chasseurs noirs, les grands veneurs et toutes les chasses fantastiques qu'on croit entendre la nuit dans les bois »477(*). Barbatos478(*) est un grand et puissant démon, comte-duc des enfers et Louise Michel-conteuse prend un grand plaisir à relayer l'aura légendaire de ce « duc de l'Abime »479(*) : « Il entend, dit la légende, le chant des oiseaux, les hurlements des loups ; il entend le cerf qui brame et la feuille qui craque... »480(*) ; « Il connaît les trésors enfouis, les cavernes et les aires. Devant lui, quatre rois sonnent du cor, et il mène d'un bout du monde à l'autre la chasse des ombres »481(*). Enfin, le dernier conte du recueil place son action dans un château, « les Hulottes », et relate comment une petite fille veut devenir princesse ; mais, il ne s'agit nullement d'un conte de fée, mais d'un conte satirique, d'ailleurs « on en rit encore »482(*).

Le conte décrit une boucle, reflétant ainsi la stabilité d'un univers clos : « la composition du conte populaire est claire et logique. Elle ressemble à un cercle qui s'esquisse au cours de la narration : il se desserre au commencement du conte et il se ferme à la fin »483(*). Dans « L'héritage du grand-père Blaise », nous partons d'une situation initiale a priori heureuse, mais très rapidement nous découvrons que pèse sur la famille une malédiction : « pourtant le père Blaise était triste, si triste qu'on craignait qu'il n'en mourût, d'autant plus que son père et son grand-père étaient, eux aussi, morts de tristesse, sans qu'on pût en savoir la cause »484(*). Ainsi la fatalité, qui s'est abattue sur la famille de Blaise, témoigne de la structure circulaire du conte ; ces micro-boucles (éternels recommencements) sont comprises dans un cercle bien plus large qui se referme à la fin du récit lors du dénouement, et qui marque à la fois une rupture avec la situation initiale et une continuité : « Voilà pourquoi Blaise ne mourut pas de tristesse, comme son père et ses grands-pères »485(*). Le récit ne décrit donc pas seulement une boucle sur lui-même et celui-ci perdure à travers les temps et les époques. Certaines formules telles que « Aujourd'hui encore, Madeleine et ses enfants vont souvent porter au cimetière... »486(*), « l'atelier du père Rémy entretient encore l'abondance dans le village, quoiqu'il soit mort depuis plus de trente ans »487(*) et « l'asile des roses et la maison de vieillards de la bonne Marguerite subsistent encore et beaucoup de bien y est fait »488(*), mettent en exergue d'une part la temporalité cyclique du récit, et d'autre part la dimension atemporelle du conte, alors réactivé et actualisé par la parole conteuse. Roland Barthes assimile la structure du conte à celle du fait divers : « une information totale, ou plus exactement immanente [qui] contient en soi tout son savoir ; [...] sans durée et sans contexte, il constitue un être immédiat, total, qui ne renvoie, du moins formellement, à rien d'implicite »489(*) (Essais critiques, 1964). En effet, la conteuse ménage un flou temporel quand elle introduit l'anecdote, ce qui n'ampute rien au fond, puisque le conte régi par ses propres règles constitue un monde fermé et parallèle au notre : « Cette croyance servit, il y a quelques années... »490(*).

c) La charge didactique

La parole satirique et l'énonciation de la morale

Certains récits de Louise Michel sont de véritables contes moraux ; la fonction de conteuse se double alors de celle de moraliste, et la structure du texte rend parfaitement compte de sa valeur rhétorique. L'incipit de « La Vielle Chéchette » tente de comprendre et d'expliquer les causes de l'anormalité chez certains êtres humains, pour introduire le cas de son héroïne. Ainsi s'opère un glissement du général au particulier en trois étapes. Notre moraliste constate tout d'abord qu'il y a « des êtres tellement disgraciés de la nature, tellement étranges à voir ou à entendre », puis elle nuance son propos avec l'étude de trois cas, « Plusieurs de ces êtres-là n'ont pas toujours été ainsi : les uns ont eu quelque accident au moral ou au physique, les autres, à force de se laisser mollement aller à la fatigue ou à la paresse [...] D'autres encore (ce qui est affreux pour l'humanité) sont devenus ainsi sous la pression des persécutions »491(*), afin d'arriver à celui qui nous intéresse, celui de Chéchette. De manière circulaire, le conte se clôt par l'énonciation de la morale, détachée du reste du texte et mise en exergue par l'emploi de l'italique ; ce message de tolérance résonne d'ailleurs comme un avertissement : « Ne vous moquez jamais des fous ni des vieillards »492(*). A l'inverse, « Les dix sous de Marthe » commence par l'élocution de la morale et le conte se révélera être l'illustration de cette leçon : « Combien de choses on souhaite ! Combien de choses on rapporte à propos du jour de l'an. Voilà une de celles qu'on raconte ; quant à celles qu'on peut souhaiter, en voilà une aussi : vivez et mourez en paix avec votre conscience »493(*). Ainsi, l'incipit promet une sorte de conte de noël494(*), intervalle durant lequel la générosité peut être récompensée et les voeux miraculeusement exaucés.

Le conte « Robin-des-Bois », qui est sans conteste le plus facétieux, est aussi le plus satirique. L'incipit de ce récit, qui met en scène un vieil avare, annonce en deux paragraphes tout son programme : canevas très simple et classique. L'humour et l'ironie, qui sont partout dans le texte, engendrent la raillerie. Les interventions équivoquent de la conteuse - à la fois moqueuses et pleines de bon sens - mettent en exergue l'hybris du père Mathieu : « On disait que quand il dépensait un sou, il en mettait la moitié de côté. Comment faisait-il ? Je n'en sais rien. Comment avait-il gagné ses terres et tout l'argent que dans le bois il cachait au pied d'un vieux chêne ? Je n'en sais pas davantage. Dans tous les cas, son argent, caché là, n'était pas même bon à nourrir les vers ou à faire pousser les truffes »495(*). Un autre personnage vient compléter le tableau : le maire. A travers le traitement grotesque de ce dernier (« Celui-ci mit son écharpe, beaucoup trop courte pour lui, parce que son prédécesseur était extrêmement maigre et lui extrêmement gros ; mais à l'aide d'un bout de ficelle il parvint à la consolider »496(*)), la satire s'étend à un niveau politique et institutionnel. Cependant, la morale se veut mesurée car Louise Michel est consciente qu'on ne peut changer et améliorer les moeurs de manière immédiate - l'avare se ravise après le don fait à la veuve, mais il est trop tard497(*), - il s'agit de provoquer la prise de conscience qui amènera au progrès de l'humanité toute entière.

Autres personnages de farce, les membres de la famille Pouffard. Le récit est organisé autour de deux scènes principales qui concentrent tous les ressorts comiques : le repas avec Euphrosine498(*), dont la naïveté et la vanité met en exergue la bêtise de ses parents ; et le dénouement (sorte d'opéra comique avec ses divertissements champêtres499(*)), qui constitue un véritable coup de théâtre, le soi-disant Prince étant en réalité un fou échappé d'un asile500(*). Louise Michel est acerbe et grinçante501(*) et le lecteur voit, à travers l'humour et l'ironie, quel plaisir prend l'auteure à parodier ces personnages menant « la vie de château »502(*) : les Pouffard organisent donc une réception, ainsi qu'une partie de chasse, durant laquelle les femmes jouent à des « jeux innocents »503(*). Cependant, il ne s'agit pas de se moquer méchamment mais, une fois encore, de comprendre les causes d'une telle bêtise : « ce n'était pas leur faute si la sotte éducation qu'elles avaient reçue les avaient empêchées de se développer »504(*). Provoquant d'abord le rire, le conte moral doit ensuite susciter la réflexion : « les jeunes gens commençaient à trouver que tout ce qui souffre, même d'une manière ridicule, ne peut plus faire rire »505(*). Le rire constitue alors le vecteur de cette prise de conscience (docere et placere, instruire et plaire), comme l'institutrice, double de l'auteure506(*), le constitue pour la famille Pouffard : « elle résolut d'arracher Euphrosine à l'imbécillité, et peut-être de diminuer celle de ses parents. [...] Il fallait faire naître ou saisir l'occasion de les désabuser et de les dégoûter par quelque expérience amère de leur préjugés »507(*). En effet, la famille entière tire une leçon de cette aventure et le conte se termine par cette phrase proverbiale : « car on peut toujours faire bien, et il n'est pas de si laide chenille qui ne devienne un joli papillon »508(*), adage optimiste quant au pouvoir réformateur du conte et à la capacité de l'homme à évoluer et à s'améliorer.

De manière plus radicale, « Le père Rémy » constitue une véritable utopie sociale, en ce cens où ce conte propose de nouvelles pratiques et des alternatives au système capitaliste, et libère un message optimiste : « N'oubliez pas ceci, enfants, soyez fiers pour l'humanité, elle est bien peu encore, mais elle deviendra grande, si ceux qui se sentent de l'intelligence, au lieu de chercher à mettre en étalage leur pauvre petite personne et leur pauvre petit nom, sentent battre dans leur poitrine et frémir dans leur intelligence le coeur et l'esprit de toute une génération »509(*). Le récit prouve que, par l'initiative individuelle - il a « fondé sans capital autre que son courage et son activité un atelier, un asile, une crèche et une maison de vieillards »510(*) -, et l'entraide - tout le village participe à l'édification des bâtiments - , la mise en commun de l'effort et des richesses permet d'accéder au progrès social511(*) : « il y eut, par ce moyen, non seulement assez d'argent pour faire vivre et augmenter les trois établissements, mais encore pour aider pendant les années difficiles quelques ménages du village et même du canton »512(*).

Le conte : éducation et processus de socialisation

Comme l'annonce le poème-prologue « La Neige », ces récits ont pour mission de faire réfléchir et de réformer les moeurs : « Écoutant le conte et l'histoire,/ Vous verrez la joie et les pleurs,/ [...]/ Heureux, si, fixant vos pensées/ Sur toutes ces choses passées,/ Vous devenez un peu meilleur »513(*). La conteuse se fait alors la porte-parole d'une personnalité collective, elle est l'expression d'un système de valeur normatif514(*), à priori très simple voire manichéen : joie et tristesse, bien et mal. Ainsi, on utilise le conte à des fins initiatiques (dans les sociétés traditionnelles, mais il conserve encore cette fonction de nos jours), il possède un rôle dans le processus de socialisation de l'enfant (« Enfants, venez, la nuit est sombre, / [...] / Ceux dont on parle on eut votre âge »515(*)) : les épreuves subies par le héros seraient la mise en scène fantasmatique d'un apprentissage de l'autonomie et de l'acceptation du principe de réalité516(*). Ainsi le conte permettrait l'acquisition du « surmoi », cette instance morale intériorisée517(*).

Les enfants sont couramment les héros de ces récits, ce qui facilite le processus d'identification de la part du jeune lecteur, qui en tirera davantage une leçon. Marthe n'est pas une enfant modèle, elle est quelque peu égocentrique et particulièrement gâtée par sa tante (« Du reste sa tante la gâtait trop et d'une manière qui n'était pas raisonnable »518(*)) et c'est tardivement qu'elle admet ses travers : « O ma tante ! Dit-elle, combien je regrette d'avoir acheté tant de joujoux ! Nous aurions pu donner bien davantage à ces pauvres enfants ! »519(*). La conteuse s'empresse alors de sermonner Marthe avec bienveillance : « C'était fort vilain d'y avoir songé si tard, mais Marthe n'avait encore que six ans et, au fond, elle n'avait pas mauvais coeur »520(*). Mais la prise de conscience arrive et le maigre don de Marthe permit tout de même à des malheureux de sortir de la misère (« Le commerce avait prospéré ; en dix ans, la boutique de la mère Hortense était devenue un gros magasin où vivaient les deux veuves et les deux frères »521(*)) et c'est réciproquement qu'ils l'aidèrent pour les dettes de ses parents. Et cette leçon de générosité mise en pratique devint un rituel : « tout le monde fut d'avis que pour la fête de la bonne grand'tante on prêta chacun cent francs à six orphelins dont les uns avaient à soutenir leur mère, les autres leurs petits frères »522(*).

L'éducation et de la scolarisation sont des questions centrales dans plusieurs des contes. La trame de « L'héritage du grand-père Blaise » ne repose pas directement sur ces thèmes, mais Louise Michel y fait explicitement allusion dans les premières et dernières lignes du texte. L'incipit présente et caractérise les enfants du père Blaise par la bonne éducation qu'ils ont reçue, « Sa fille avait été élevée dans la meilleure pension de la ville, et son fils venait de sortir du collège avec une charge de prix à faire envie à ses camarades »523(*), et on peut lire en formule finale qu'ils épousèrent « les enfants de Nicolas Garoui, le Breton, qui, comme eux, avaient bon coeur et avaient été bien éduqués »524(*) ; les personnages heureux sont des personnages instruits. De manière significative, deux contes mettent en scène des instituteurs, Rose André et le père Rémy, et c'est par un hommage à ce dernier, et au métier de l'enseignement, que commence le récit : « C'est encore l'histoire d'un vieux maître d'école de village. Nous parlons souvent de ces obscurs soldats de la civilisation, dont toute la vie s'écoule ignorée, et dont les jours tombent l'un sur l'autre avec le calme monotone de l'éternité. Ceux-là font beaucoup pour leur époque qui ont appris à lire à beaucoup, ils feraient plus encore s'ils essayaient de former de petites bibliothèques historiques à l'aide desquelles leur village lirait autre chose que le messager boiteux ou le grand conteur, (car nous en sommes là en plein XIXe siècle) »525(*). Louise Michel salue et encourage les initiatives individuelles en faveur de l'éducation populaire. Dans « La famille Pouffard », Rose André incarne l'intelligence, la dévotion, la fierté et l'engagement. Elle est assurément un double de l'auteure qui lui transmet ses valeurs républicaines et sa force de caractère ; son humanisme et la fermeté de son éducation pousse « Mademoiselle Euphrosine [à] commenc[er] à s'instruire et elle y réussissait »526(*).

Ainsi le conte, explicitement didactique, apparaît chez Louise Michel comme un outil réformateur, alors que le théâtre anarchiste et La Grève sont entièrement tournés vers la révolution, ils prônent un changement radical et violent.

3/ LE THÉÂTRE ANARCHISTE : « THÈMES ET FORMES D'UN THÉÂTRE POLÉMIQUE »527(*)

La bourgeoisie a fait massacrer sa classe ouvrière deux fois au cours du XIXe siècle, en juin 1848 et durant la Commune, au printemps 1871. Dans une France en plein développement économique, l'importance de la classe ouvrière s'accroît, mais souffre de conditions de vie désastreuses ; alors que les classes dominantes vivent de mieux en mieux, les prolétaires n'ont nullement le sentiment de participer au progrès. Cette prise de conscience entraîne un sentiment de frustration d'où vont s'écouler la solidarité et le besoin de justice sociale : les grèves augmentent à partir de 1882 et dès 1884, le mouvement syndical se développe ; un long débat s'engage au sein des groupements anarchistes sur l'opportunité de rallier le syndicalisme, de continuer la propagande par le fait ou d'entrer dans la sociale-démocratie. Ils veulent abattre la société capitaliste et ne croient qu'en une action révolutionnaire528(*).

Par conséquent, le théâtre, « ce médium artistique convoquant tous les moyens d'expression, parole, gestes, images, etc., pour mettre le monde en crise (et non pas en ordre) » semble le mieux convenir « aux pratiques d'agitation, d'intervention et d'expérimentation induites par l'anarchisme en acte »529(*). Il s'agit de mettre la scène à l'heure de la crise sociale et on peut alors parler de « Théâtre social »530(*), mais il faut observer la diversité surprenante des moyens formels mis en oeuvre, au service d'un combat lui-même pluriel, et à cet égard, « ce théâtre social dans son principe, est aussi un théâtre de recherche (mais non de laboratoire) »531(*).

a) La représentation de l'Histoire

La vogue du mélodrame étant lancée jusque vers les années 1890, il devient vite le « véhicule privilégié des idées socialistes » et évolue vers l'esthétique naturaliste532(*). Le mélodrame anarchiste privilégie l'action et l'image, au profit d'un pathos à visée moralisatrice, c'est pourquoi il puise ses sujets dans l'Histoire. Et celle de la Pologne533(*) procure à Louise Michel le terreau favorable et le prétexte à ses drames révolutionnaires. Elle écrivit d'abord Nadine534(*), dans lequel « L'action se passe en 1846 dans la république de Cracovie ». Cette pièce en cinq actes et sept tableaux, constitue un véritable mélodrame révolutionnaire, que l'on pourrait également qualifier de tragédie politique, puisque sous un habillage historisant - la république de Cracovie en 1846 - c'est le drame de la Commune que l'on joue à nouveau, quitte à revivre la débâcle. Emportée par un souffle épique, la pièce réinvestit les grandes images de la rébellion et de la répression, de l'héroïsme et de l'infamie535(*). Il met en scène des personnages historiques, tels que Michel Bakounine (anarchiste russe qui participa entre autre, à la révolution de février 1848 en France), Ludwik Mieroslawski (général polonais qui participa aux révolutions de 1830, 1846 et 1848 en Pologne, et prit la tête du soulèvement de 1863), Szela (personnage polonais devenu un mythe, qui prit la tête de l'insurrection paysanne en 1846), et A. Hertzen (aristocrate moscovite et anarchiste, qui participa au soulèvement de 1848). La Grève, drame en cinq actes et un prologue, est aussi un « mélodrame historique d'inspiration polonaise ». Louise Michel dénonce dans cette pièce - dont un « véritable souffle épique traverse certaines séquences »536(*) - le système capitaliste et la nécessité pour le peuple exploité de se révolter.

Le sujet historique

La Grève, mélodrame militaire, patriotique et historique537(*), possède lui-aussi un argument historique, mais aucune didascalie ne précise le temps de l'action avec précision ; seule certitude lors du prologue, nous sommes en Pologne, dans la région de Varsovie et c'est la nuit. Il relate un attentat manqué contre le grand-duc (titre de noblesse désignant un membre de la famille impériale russe, et équivalant à celui de « prince régnant »). Nous sommes alors en mesure d'établir que l'action commence en 1830, lors de l'attaque du Belvédère, siège du régent et frère du Tzar538(*). Puis, l'intrigue effectue un bond de seize ans au premier acte - rien ne l'indique explicitement, mais le personnage de Marpha sert alors de repère temporel - ce qui nous conduit en 1846, date à laquelle éclate une nouvelle révolte et sur laquelle se termine la pièce. Grâce à ces quelques repères historiques, il est possible d'établir la chronologie de la pièce, mais les références historiques sont plus larges et hors cadre : dans le prologue, Rita fait référence à la précédente révolte, « la grande insurrection », qui eut lieu vingt ans auparavant, et Régine (Acte III, scène 1) évoque la Commune de Paris (1871), et plus précisément la Semaine sanglante, qu'elle dit avoir vécue.

Louise Michel soutient le mouvement nationaliste polonais, et son engagement auprès de celui-ci est autant politique que artistique, puisque ce mouvement est connu hors des frontières par l'émigration des artistes et des intellectuels en France539(*). A posteriori, l'insurrection de 1830 se révèle être l'adjonction de l'action contestataire et de l'art : « la plupart des oeuvres romantiques polonaises écrites après 1830 ont débattu du problème de la liberté, du rôle de l'individu et de la nation dans l'oeuvre de la restitution (ou plutôt de la résurrection, comme ils le préféraient) de la Pologne. L'insurrection de Novembre (1830), événement le plus important non seulement pour l'histoire polonaise de la première moitié du XIXe, pour la littérature romantique polonaise, mais surtout pour la création de la conscience nationale, a été une tentative désespérée pour conquérir la liberté les armes à la main »540(*). En puisant dans l'histoire polonaise, Louise Michel s'intéresse surtout à l'image d'un peuple humilié et réprimé, déchiré et apatride, qui cherche à prendre en main sa destinée, car la référence est double ; celle-ci voit en négatif l'histoire du peuple français, mais également celle de tous les peuples oppressés, qu'elle engage alors à se révolter et à se libérer : « l'épisode historique devient alors modèle », le déplacement de l'action permet de « réfléchir à sa propre époque [et d']élargir sa réflexion à l'Histoire en rattachant ses personnages à un autre contexte historique »541(*). Ainsi la « recherche du vrai », inhérente à l'entreprise naturaliste, apporte la vraisemblance, mais la vérité historique, à travers son rôle didactique, sert de catalyseur à la pris de conscience et à la révolte542(*).

Le souci de réalisme

Dans sa revue L'art social, Auguste Linert écrit dès 1891, « L'art doit être terrible pour être vrai »543(*) ; cette formule injonctive semble d'ores et déjà poser les lois esthétiques d'un théâtre qui se doit réaliste, sérieux et grave, d'où le choix de l'argument historique. Mais il ne suffit pas d'avoir pour toile de fond une grande bataille ou un contexte révolutionnaire pour « faire vrai », tous les éléments de la pièce doivent alors converger dans ce cens, « afin de prêter une signification à la réalité historique, le drame oscille entre la couleur locale, dont la fonction est essentiellement de produire un effet de réel, et la stylisation, dont la visée est symbolique »544(*). Ainsi, la dramaturge confère à certains personnages des patronymes aux sonorités slaves - Vladimir, Inrike, Telchi, Orlovski545(*) - et la neige, indiquée dans les premières didascalies, plante un décor pittoresque de la Pologne.

Cependant, un critique de la revue La Révolte exprimait déjà cette opinion quant à l'esthétique du vrai, et émettait une réserve à propos de la pièce de Louise Michel : « le but de la littérature, de l'art au théâtre doit être la recherche du vrai, mais cette tendance est encore plus nécessaire à la littérature socialiste, c'est pourquoi nous demandons à tous nos camarades de ne pas essayer de forcer la note, de na pas chercher à viser l'effet, si ce n'est par des moyens naturels, et c'est aussi pourquoi nous risquons quelques critiques à l'oeuvre de notre amie. » (10 décembre 1890)546(*). Il refuse la fable qui exagère et transpose les traits pour mieux mettre en lumière les mécanismes du capital. Il trouve invraisemblable le discours de Gertrude, qui réunit entre ses mains tous les moyens de production. Il critique aussi l'imagerie naïve qui idéalise l'avenir et la révolution, (critique que l'on peut étendre à l'ensemble du corpus), comme la fraternisation à la fin de la pièce, des ouvriers et des soldats qui crient ensemble : « Vive la révolution ! »547(*). Mais comment ne pas tomber dans le cliché alors que l'auteur ne dispose que du temps de la représentation pour convaincre son auditoire ? Pourtant, Louise Michel semble prendre du recul par rapport aux événements qu'elle met en scène - les coïncidences quelque peu extraordinaires sont qualifiées de « circonstances vraiment romanesques »548(*). Et, nous connaissons le caractère passionné de la dramaturge pour la révolution, ainsi que la vision idéalisée qu'elle peut en donner, mais c'est justement cette vision idéalisée qui a fait naître l'intérêt qu'on su lui porter. Bernard Franco explique justement ce dilemme : « La scène romantique est alors le lieu d'une tension, voire de conflits entre l'idéalisation propre au héros et l'aspiration à la réalité inhérente aux sujets historiques. Car si la tragédie a vocation à l'universel, elle le tire du particulier, du contingent historique »549(*). Mais c'est de l'idéalisation de la révolte et du héros anarchiste que découle la thèse révolutionnaire.

b) Entre « Théâtre social » et « pièce à thèse »

Auguste Linert, dans sa revue L'art social, désigne le théâtre social comme « un théâtre fondé dans un but de critique négative et pour la production d'oeuvres pouvant servir la cause révolutionnaire »550(*) ; il s'agit, avec l'art pour moyen, de pointer les iniquités de l'heure présente et d'amener à la révolte. Ainsi, le théâtre social (qui traite des questions sociales) est ce théâtre contemporain qui est à la fois acte de révolte et acte de foi, car « s'il existe une coloration proprement anarchiste du théâtre social tel qu'on vient de l'évoquer, c'est sans doute du côté de la révolte et des ses avatars qu'il faut chercher »551(*). Le théâtre anarchiste (« un théâtre de combat ») joue des pièces à thèse qui mettent en exergue cette équation : justice égale insoumission et rébellion. Il aborde des questions sociales controversées, à travers les points de vue contradictoires exprimés par les personnages, points de vue qui reflètent de façon réaliste les problèmes de leur milieu social, et propose des solutions, telles que la sociale et la liberté universelle. L'idée d'incitation à l'action serait donc implicitement contenue dans ce terme de théâtre à thèse552(*).

Les personnages : les vecteurs de la thèse

La pièce à thèse traduit la volonté didactique de l'auteur de défendre un point de vue moral, philosophique ou social, en confrontant le spectateur au dilemme où sont placés les personnages de la pièce. Dans La Grève, ce duel oppose de manière manichéenne - mais tellement pédagogique - les anarchistes, qui portent les idées bien connues de l'auteure sur la révolution sociale, aux bourgeois, qui expriment le point de vue capitaliste. En outre, on peut établir des correspondances entre les oeuvres de Louise Michel grâce aux personnages que l'on retrouve, provoquant ainsi un vif écho chez le lecteur. La Grève met en scène des personnages du Claque-dents : la bande des rapaces, le baron et la baronne Eléazar, accompagnés de Sylvestre, qualifiés de « louches tripoteurs de millions »553(*), et Esther et Marius (les enfants d'Eléazar) représentant la justice et l'avenir.

Tout d'abord Gertrude, la femme-capitale, - également décrite comme un monstre, voire un ange de la mort (« Suis-je donc un monstre ? Qu'importe, il faut bien que le mancenillier laisse s'étendre son ombre »554(*)), - est davantage caractérisée par son hybris. Le prologue nous fait d'abord découvrir une meurtrière, une femme sanguinaire, à l'appétit féroce (« la trahison vient chez certains êtres comme aux fauves le goût du sang. - Je sens venir le goût du sang. »), guidée par un orgueil excessive et une ambition avide, elle fonde sa réussite sur une trahison et un meurtre, d'où l'identification récurrente à Lady Macbeth : « Lady Macbeth était devant moi. - Un spectre grand comme le monde. Elle lavait ses mains dans les flots et les océans étaient rouges. »)555(*) ; la comparaison, qui semblait d'abord flatter et stimuler Gertrude (« Comme dans le rêve où je voyais Lady Macbeth lavant ses mains »556(*)), devient une véritable hantise et un cauchemar à la fin de la pièce : « je la reconnais c'est Lady Macbeth plus terrible que dans mon rêve d'autrefois - Elle lave ses mains et plus qu'autrefois les océans sont rouges »557(*). Personnage antithétique, elle affiche un luxe exubérant (« Une aumônière suspendue à la ceinture [...] vêtue de soie [...] coiffée de sequins d'or [...] des diamants à son cou et à ses bras »558(*)) et arbore un discours mégalomane et pro-capitaliste ; de longues tirades sont consacrées à l'expression de son désir excessif de richesses, de gloire, de puissance, elle veut contrôler le monde : « Eléazar, notre époque c'est le germinal de l'or [- les pourritures sociales sont hautes pour les semailles], la moisson sera féconde. Nous pourrions être les rois de l'or - Eléazar, écoutez-moi, en accaparant les grains, les combustibles, les métaux, tout enfin, vivres, vêtements, lumière, logements même, nous affamons le monde, et nous l'avons à nous. [...] Les machines remplaceront les bras avec des dépenses infiniment moindres, un bénéfice infiniment plus grand - [la faim mettra la faux dans l'herbe, tous ceux qui auront des petits au berceau, des vieux à l'agonie seront à vendre et nous achèterons tout - Le travail sera le privilège de nos esclaves, nous empêcherons les récoltes en jetant à ronger aux multitudes des journées de huit heures et autres choses qui ne changeront rien à l'exploitation »559(*). Bien que le critique de La Révolte estime caricatural et exagéré le propos de Gertrude, il s'agit de faire adhérer le lecteur aux théories anticapitalistes et la rhétorique anarchiste fonctionne par antithèse ; ainsi l'opposition forte de deux conceptions produit un effet de contraste qui met en valeur la thèse révolutionnaire : « [ils rêvent d'une jacquerie prenant toute la terre. Je rêve, moi, une répression universelle.] Ils veulent mettre la force au service du droit, je veux mettre, moi, la force au service du privilège, nous verrons qui l'emportera »560(*).

Eléazar, bien qu'il appartienne au monde de l'argent et à la bande des affameurs, n'est pas aussi mégalomane que la Baronne (« Votre rêve est trop grand pour moi ») ; nullement altruiste et peu généreux, il est tout de même plus réservé quant au rêve de domination totale de son épouse, qui le terrorise : « C'est la mort de population entières, Gertrude, je ne suis pas scrupuleux, un financier ne peut l'être, mais ce que vous me proposez est trop horrible ! »561(*). Il ne constitue qu'une opposition mineure, car complètement aveuglé et servile562(*), Eléazar est complètement sous l'emprise de la Baronne, et c'est seulement après la disparition et la mort de ses enfants, que celui-ci sort de son aveuglément. Alors, c'est un homme « vieilli et courbé, les vêtements couverts de poussière » que l'on voit entrer seul sur scène, dans un décor de ruine et de désolation, tandis que la bataille pour la Liberté fait rage. Rendu fou de désespoir, il erre en plein délire, invoquant ses enfants (tel le roi Lear abandonné, trahi et pris dans la tempête563(*)) : « Quelle lutte épouvantable et ce n'est pas fini. Ils disaient vrai, la révolte [tient le monde] est partout - Elle m'a pris mes enfants - la guerre prenant ceux des autres, je n'y songeais pas. Ce nom maudit c'est Moloch564(*) il lui faut tout ce qui est jeune, tout ce qui est beau tout ce qui peut vivre, pour le broyer. Les foules sont comme des grappes au pressoir, comme le grain sous la meule. Me voilà seul comme les autres, c'est ce sang pur qui lavera la terre. Mes enfants, Marius, Esther, ma pauvre Esther. [...] Voilà cinq jours que l'on se bat, cela ne finira jamais, je vais les chercher encore, on me laissera passer comme on laisse un fou - rien ne m'atteint, les désolés ne meurent pas »565(*). Égaré par douleur, Eléazar est enfin lucide quant à l'hypocrisie de Gertrude, et l'amour paternel refait surface ; il devient un personnage tragique566(*) et suscite malgré tout la pitié : « J'étais donc fou ! Une brute stupide et féroce qui laisse prendre ses petits. Je suivrai Marius, moi aussi je serai implacable. Esther, ma chère Esther ! Tu le sais toi - je ne connaissais pas sa trame horrible, je suis une brute, mais pas un misérable. Vous avez bien fait mes chéris - Je vous aimais tant pourquoi me suis-je affolé de cette femme »567(*).

Opposés aux rapaces, les anarchistes illustrent la thèse révolutionnaire de l'auteure, car comme l'affirme Vladimir « L'harmonie véritable s'établira sur les décombres du vieux monde »568(*). D'après Marius et Esther, qui se jettent passionnément dans la lutte, seule la révolution peut changer foncièrement le monde : « la charité ne pouvant sauver tous les malheureux m'est apparue ce qu'elle est, un bonheur pour celui qui donne c'est tout - elle ne peut atteindre qu'un cercle restreint. De là j'ai cherché ce qui atteint toute l'humanité - les réformes m'ont fait le même effet que la charité tout étant impuissant... pouvoir, richesse, force, bonté même. J'en suis arrivée à l'harmonie, à la justice égalitaire à l'anarchie pas tout à fait seule, j'ai beaucoup lu chez la grand-mère. J'étais libre comme l'air, j'en ai profité »569(*). Le personnage d'Esther décrit ce processus de conscientisation et la lecture, exprimé plus haut, est partie prenante de ce parcours intellectuel. Cependant, elle est consciente que sa condition bourgeoise favorise son éducation, comparé à la classe ouvrière qui ne bénéficie pas des mêmes dispositions. Marius, malgré ses origines bourgeoises, renie et condamne les valeurs de sa caste ; il atteste que seule une minorité possède la plupart des richesses et dénonce la sur-accumulation : « elle a pour ce soir jeté partout des entassements de richesses, c'est un défi effronté à la misère générale, les caisses regorgent, on entrevoit ici des tas d'or comme ailleurs des tas de blé »570(*). Théâtre d'action et de combat, la théorie est mise en pratique et le spectateur assiste alors à une scène de destruction des richesses : « Bruit de vitres cassées, vacarme, cris dans la maison : A l'eau les millions volés - la hache dans la caisse. [...] [Marius] prend une hache à un homme, il frappe une des caisses, la défonce et en arrache des billets de banque et des brassées de titres qu'il déchire et foule aux pieds » ; la rébellion gagne les domestiques qui « jettent leur livrée »571(*) et se joignent aux insurgés.

Les héros

Les héros sont ceux-là mêmes qui relayent le discours anarchiste de l'auteure et véhiculent son rêve de liberté mondiale (« VLADIMIR.- [...] le triomphe de tout ce que j'aime, toi, la liberté ! »572(*)). Ils procurent à la pièce une forte consonance épique, - ils entrevoient les « temps héroïques qui vont s'ouvrir » où il y aura « de pures et grandes figures comme il y aura des monstres »573(*), - et traduisent la passion révolutionnaire de la dramaturge. Dans l'épopée, le héros se situe généralement au-dessus de l'humanité moyenne, il est celui qui aspire à un niveau supérieur, pour lui et ses semblables. Philippe Sellier attire l'attention sur la définition stricte du héros, être mi-humain mi-divin ; il s'agit du « héros exaltant de nos rêves, celui qui incarne notre désir d'échapper aux limites d'une vie terne pour accéder à la lumière, notre volonté de quitter les bas-fonds pour les hauts espaces, notre passion de souveraineté », il insiste sur la relation particulièrement forte qui attache cette aspiration à une « réalisation éclatante de soi », une « élévation à une condition quasi divine »574(*). Ces « conjurés »575(*), se qualifiant eux-mêmes de « justiciers »576(*), sont réunis dans un même combat et pour l'accomplissement d'une même mission, la liberté de l'humanité : « Il faut que le premier acte des [justiciers] révoltés soit l'anéantissement des biens de la maison Eléazar. [Au feu les titres, au vent les richesses.] Entre cette femme et nous, la guerre est déclarée sans trêve ni merci »577(*). Les pièces historiques aboutissent à une certaine réhabilitation des valeurs, « tel est le sens de l'événement historique, véritable catalyseur contre lequel le héros forge son identité » et de manière réciproque c'est « l'individu qui fait l'Histoire, et le drame historique, par la place qu'il accorde nécessairement au héros tragique, présuppose une telle conception de l'Histoire »578(*).

Mais qui sont ces héros ? A priori tous les anarchistes révolutionnaires de la pièce. Mais de cette foule d'anonyme, quelques individualités se détachent, ce qui assure l'unité de l'oeuvre et surtout sa cohérence579(*). Il y a effectivement parmi elles, Marius et Esther (« Esther prend un drapeau noir d'une main, un revolver de l'autre. Régine, Vanda en font autant »580(*)) ; Vladimir, Inrike, et Némo, qui fait référence au personnage des Vingt mille lieux sous les mers (1869), font partie des polonais révoltés581(*). L'héroïsme est inhérent au caractère de Némo, car dans le roman de Jules Verne, il est décrit comme un « surhomme anarchiste, sensible et cultivé, qui se venge de ses ennemis »582(*), c'est-à-dire des colonisateurs britanniques ; il vit à bord du sous-marin le Nautilius et dans la Grève, la dramaturge le fait également vivre au contact de l'océan (« le bord de la mer est leur salle de réception »583(*)). Enfin, malgré un dénouement heureux, beaucoup font le sacrifice de leur vie à la cause révolutionnaire, et choisissent « les rouges noces de la mort [...] les noces des braves »584(*), puisque tel que le formule Vladimir : « Nos vies à tous sont sacrifiées depuis longtemps »585(*).

Le héros se situe au-delà du Bien et du Mal, car il n'est nullement régi par une instance morale. Il ne fait que réagir par désespoir contre une société et un système injuste en répondant certes par la violence, mais par une violence contrainte et de la même intensité. Alain Badiou relève, à propos du théâtre anarchiste, la difficulté « il est vrai considérable, de faire valoir l'affirmation dans la négation, de déceler le possible politique dans la monstration de l'abject, de définir le héros, non pas forcément « positif » (ce sera la croix du « réalisme socialiste »), mais en tout cas porteur d'une intelligence des situations et d'une capacité d'intervention qui assurent, au-delà de la nécessité de la révolte, délivrée par la critique sociale, la certitude de sa puissance, qui détient les clefs du passage à la politique, ou - si l'on est de formation anarchiste - à l'action collective réfléchie et durable »586(*). Et en effet, le véritable héros de La Grève est le peuple, car l'Histoire de l'Humanité est à écrire collectivement pour que chacun puisse vivre « l'épopée nouvelle »587(*).

La voix de la multitude

Au premier abord, apparaît une certaine tension entre ces héros individuels et le peuple qu'ils semblent guider, car pour les anarchistes il ne doit pas y avoir de leader que la masse suivrait aveuglément, mais un peuple conscient et volontaire ; pour que la révolution puisse aboutir, tout le monde doit participer à cet idéal de liberté mondial : « Le troupeau humain ne deviendra l'humanité libre que par l'entraînement de plus en plus grand des multitudes vers un idéal comme vers un aimant »588(*). La dramaturge personnalise « la foule », à laquelle elle alloue une voix et un pouvoir de décision : « Des otages ou des morts suivant l'implacable nécessité. La foule décidera si elle sera clémente ou vengeresse. Nous n'en savons rien, nous n'y pouvons rien. Parfois elle a pitié du fond de ses douleurs. Parfois le sang des hécatombes lui monte à la gorge, alors elle fait justice. Hier trois des nôtres ont été pendus »589(*). Cette entité autonome est en interaction avec les autres personnages, auxquels elle répond avec toute sa verve révolutionnaire : « La foule arrive avec un bruit de boule. NEMO.- [...] Nous sommes trahis que ceux qui tiennent à leur vie nous abandonnent. TOUS.- Personne ! Personne ! Un coup de canon. Vive la liberté ! »590(*).

Cependant, malgré l'impression d'une masse informe et chimérique (« Nous sommes l'hydre dont les têtes coupées se multiplient sans fin »591(*)), Louise Michel détaille les membre de cette foule et lui confère davantage d'humanité : ce sont des hommes et des femmes, accompagnés de leurs enfants, mineurs et pêcheurs592(*). Elle fait se détacher du groupe quelques individualités : Régine raconte la Commune de Paris (et comment elle a vu son père se faire tuer), la fille de Vanda meurt de faim dans ses bras (« Pauvre Vanda, pauvres mères, dont on prend les enfants, depuis toujours »593(*)), un vieillard prend également la parole, ainsi qu'un jeune homme ; à travers l'histoire individuelle c'est l'histoire de tous les miséreux qui est conté. Cachés dans une mine abandonnée, ceux-ci attendent le combat pour la liberté ; ils partagent un dernier repas - du pain (« A la délivrance du monde ! »594(*)) et du vin comme dans la Cène (« TOUS.- La victoire ou l'hécatombe ») - avant de s'élancer au dehors : « Vive ceux qui vont mourir pour l'humanité »595(*). Enfin, la quatrième scène du cinquième acte relate l'ultime combat pour la liberté. Cette foule est alors d'autant plus importante que ceux qui la composent sont internationalistes : « Hommes armées d'outils, de pioche, de pics, de fusils, de bombes, les vêtements arrachés. - Groupes d'hommes et de femmes de toutes les nations ». Ils réaffirment leur appartenance à l'anarchie en brandissant un drapeau noir sur lequel on peu lire : « La terre est à tous - L'homme est libre dans l'humanité libre »596(*). Louise Michel exprime sa pleine foi en un tel mouvement insurrectionnel, puisque la pièce se clôt sur la fraternisation des soldats avec le peuple et le triomphe de la révolution : « Vive la République [universelle, vive la sociale, vive l'anarchie] »597(*). Les héros individuels, précédemment évoqués, ont pour la plupart disparu, au profit du collectif .

Ainsi, nous pouvons nous demander si le véritable drame historique n'est pas celui où le l'acteur principal est le peuple598(*), car chez Louise Michel le rapport à la nation est envisagé à travers la voix du peuple, et plus précisément à travers le motif révolutionnaire : « Ce signal c'est notre vie à tous et plus que notre vie ; la liberté d'un peuple. Varsovie cette fois peut être l'étincelle qui embrasera le monde »599(*).

c) Forme et structure

Le décor et la musique

Tout d'abord, la pièce se divise en cinq actes et un prologue, soit une succession de six tableaux ; Louise Michel confère à chacun d'entre-eux une unité de lieu (à chaque acte son décor) spécifiée par des didascalies en début d'acte. Les didascalies du prologue indiquent que la scène se situe à Varsovie, il fait nuit, et le paysage est enneigé. Le second acte constitue un tableau naturaliste et bucolique, et témoigne du penchant de la dramaturge pour le pittoresque : le ciel et l'eau à perte de vue (la Vistule ?) et sur le grève « des jeunes filles nu-pieds, leurs corbeilles sur la tête reviennent de la pêche, d'un côté quelques cabanes où sèchent les filets ». Alors que les deux premiers tableaux se déroulent en extérieur, dans le troisième acte nous suivons les personnages dans le château d'Eléazar, et c'est un « salon richement décoré » que découvre le spectateur, avec une profusion de luxe et de lumière. Ensuite dans le troisième acte, le spectateur se retrouve dans un lieu similaire à celui que les révolutionnaires occupent avant la bataille dans Le Claque-dents : « Une mine abandonnée semblable à une crypte des catacombes. Escaliers grossièrement taillés dans le roc. [...] C'est l'arsenal et l'abri en attendant le combat définitif. Des torches fichées au rocher éclairent la crypte et découvrent d'autres galeries dans lesquelles sont également des torches allumées ». La mine abandonnée - comparée à des catacombes où des torches éclairent les cadavres (acte III, scène 4, p. 183) - rappelle l'atmosphère d'une scène de Hernani, où celui-ci ce recueille sur le tombeau de Charlemagne600(*) et le décor du tableau suivant, l'acte IV, renforce la tonalité romantique de la pièce : « Les ruines du château d'Eléazar. De la salle où avait lieu la fête, il reste les murs. La ruine est à ciel ouvert les fenêtres sont vides. Des tombeaux de tapisserie demi-brûlés pendent aux murs calcinés ». Enfin, le cinquième et dernier tableau marque un changement radical de lieu ; nous ne sommes plus en Pologne, mais dans une ville où coule le Danube et, bien qu'il n'y ait pas d'autre information, Louise Michel décrit avec une grande précision l'espace scénique : il s'agit d'un poste de soldat, « divisé en deux parties, une salle au fond est séparée par un rideau dont l'ouverture laisse voir un billot. La seconde moitié du théâtre est occupée par le Danube sur la berge duquel s'élève le poste... ». Cette dernière séquence est analogue à la fin du roman Le Claque-dents601(*), la présence du billot rappelant l'exécution des révolutionnaires. Ainsi, à travers ces indications scénographiques précises, Louise Michel opte pour un décor réaliste, conformément au drame romantique et à l'esthétique naturaliste.

Déjà dans Les Crimes de l'époque et Le Claque-dents Louise Michel insère des chansons qui renvoient à la tradition populaire, mais pour La Grève elle choisit la musique de Wagner602(*), car la musique lui semble indispensable au spectacle603(*). La pièce possède de nombreux chants, majoritairement des chants communautaires (chantés hors scène), qui poétisent la lutte. Ainsi, le premier acte s'ouvre sur un choeur de jeunes filles qui chante sur un rythme berceur un chant de marin604(*). Puis arrive (scène 3) un choeur de matelots qui chantent la révolte à venir, le crépuscule avant l'aurore nouvelle (« La tempête hurle dans l'ombre/ La nuit emplit la terre et l'eau/ Le vent mugit, la mer est sombre »), soit le raz de marée humain de la révolution (« Est-ce tout l'océan qui s'ouvre/ Ou bien la terre qui périt/ Qui sait ce que la nuit recouvre/ Et ce que la mer engloutit »). Les chants, de par leur tonalité lyrique, s'adressent directement à la sensibilité du spectateur ; il ne s'agit plus de le convaincre par un raisonnement logique, mais de le persuader - en s'adressant autant à ses sens qu'à sa raison - que la grève et la révolte sont une nécessité : « Sonnez, sonnez dans l'air/ Tocsin du siècle de fer/ La grève/ La grève ! » ; « Compagnes, compagnons/ Venez tous et nous prendrons/ Le monde/ Le monde ! »605(*) ; « Rouges au fond des nuits/ Sont dans les antres maudits/ Les torches/ Les torches! » ; « Tocsin sonne la mort/ Le vieux monde c'est le sort/ Succombe/ Succombe ! »606(*). Ainsi en idéalisant la lutte, les chants servent clairement l'argument révolutionnaire ; ils témoignent de l'effervescence populaire et de l'unité du peuple dans la lutte : « Passez, passez dans l'air/ Terreurs du siècle de fer/ Les jacques/ Les jacques ! », (les jacques faisant référence aux jacqueries : révoltes paysannes). Enfin, la pièce se termine sur une tonalité bien plus funèbre (« L'orchestre joue pianissimo des motifs lugubres »), car même si les révolutionnaires se trouvent victorieux, il y eut des morts, et la mélodie finale accompagne la fatale destinée de Gertrude : « Vibrez, vibrez dans l'air/ Harpes aux cordes de fer/ Dans les légendes nouvelles/ Qui sur nous frappent leurs ailes ».

Outre les chants qui rythment l'évolution du processus révolutionnaire, la bande son - pour utiliser le lexique cinématographique - est enrichie de bruitages. Ceux-ci ont pour fonction de recréer le contexte belliqueux de la pièce dans un souci de vraisemblance. Ces effets sonores - produits hors scène comme les combats que l'on ne voit pas - plongent le spectateur dans un atmosphère épique, depuis le prologue jusqu'au quatrième acte : clairon et canon (p. 157), « bruit de vitres cassées, vacarmes, cris dans la maison » (II, 7, p. 176), coups de fusil (III, 2, p. 181), tocsin et canon (III, 4, p. 183), « Crépitements de fusillade. On entend les balles comme un bruit de grêle » (IV, 1, p. 184), détonation et fumée (IV, 4, p. 187).

Ainsi, Louise Michel use d'effets spectaculaires pour immerger les spectateurs dans le climat de trouble que connaissent les personnages, et du point de vue de la narratologie, la bande-son et les décors reflètent pertinemment la thèse révolutionnaire de la dramaturge.

La structure

La structure même de la pièce, par son découpage en actes, témoigne de la dimension épique de la pièce, puisqu'il s'agit d'une succession de tableaux, de visions brèves « interrompant le flux des événements pour mieux instruire sur un état donné, sur toutes les dimensions d'une situation ou plutôt d'une "condition" »607(*). Sa composition - l'ordre des actes et leurs titres, les répétitions, les résurgences et l'allégorie - met en avant l'articulation de deux prncipes, l'un pathétique et l'autre didactique ; la leçon est donnée sur le rythme implacable d'un mécanisme tragique. En effet, le drame commence avec un épisode fatal sur lequel repose l'intrigue : le prologue, intitulé « La légende des roses », raconte la trahison et le meurtre qui furent à l'origine de l'avortement de l'insurrection, et qui conduisirent au massacre des polonais par l'armée russe. Après une ellipse qui dure 16 ans, le premier acte, qui a pour titre « Chanson des flots », sert à exposer les liens qui unissent les personnages, leurs intérêts et leurs divergences ; c'est également dans ce tableau que le choeurs de matelots, sur scène, annonce le déluge populaire. L'intrigue du second acte, « Les Fiançailles », est une reprise du Claque-dents608(*), (il s'agit des mariages arrangés d'Esther et Marius). La trame est alors la même que dans le roman, puisque démarre alors « La Grève » (acte III), à la fin de laquelle commence la bataille. Cependant, nous n'assistons pas aux combats, qui se déroulent hors scène, puisque durant le massacre du quatrième acte, intitulé « L'Hécatombe », le seul personnage sur scène est Eléazar errant à la recherche de ses enfants. Comme dans le roman, la pièce aboutit au triomphe de la révolution sociale et le cinquième acte possède le titre explicite : « Apothéose. La République Universelle ». Ainsi, la pièce suit un déroulement logique, du point de vue de la narratologie et de la rhétorique anarchiste, d'ailleurs l'auteure souligne que « la marche des événements absolument naturelle sert d'intrigue »609(*).

Toutefois, malgré la victoire révolutionnaire, la pièce fonctionne comme une tragédie. Les répétitions annonçant la fin du vieux monde constituent des leitmotivs et fonctionnent comme des signaux fatals et prémonitoires. Cette prophétie, proclamant de manière inéluctable, mais tellement didactique, le prélude d'une ère nouvelle, fonctionne en deux temps : d'abord à travers l'affirmation enthousiaste que la révolution est bien en cours, «  La grève fait le tour du monde, - une grève qui sera la révolution [...] la lutte est ouverte [d'un bout à l'autre]. Mes amis mes chers amis, je n'espérais pas un tel réveil, je ne l'aurais jamais rêvé si rapide et si grand », « Sonnez, sonnez dans l'air/ Tocsin du siècle de fer/ La grève La grève »610(*) ; puis c'est la mort du vieux monde que sonne le tocsin : « Tocsin sonne la mort/ Le vieux monde c'est le sort/ Succombe/ Succombe ! », « ELEAZAR.- Est-ce donc le monde qui s'écroule ? MARIUS.- Oui, c'est cela. Viens, viens »611(*). Le son du tocsin est le leitmotiv qui annonce la fin des tyrannies et la naissance du monde nouveau, et c'est à ce signal que s'élancent les révolutionnaires hors de la mine pour combattre : « C'est l'heure seule qui sonne la Diane », « Le tocsin continue, tous montent [...] les hommes se précipitent, tous montent les escaliers. Le tocsin sonne à plein vol. [...] Tous sont montés »612(*).

Enfin, la pièce possède une forte dimension symbolique qui se manifeste par certains effets de structure, tels que les répétitions, les résurgences et la boucle que décrit le texte (du prologue au cinquième acte) ; Louise Michel semble en effet avoir composé la Grève de la même manière qu'elle a pu construire des récits plus brefs. En effet, l'allégorie repose sur la réapparition systématique des roses rouges (« Vois, elles sont rouges comme le sang dont la terre à été fleurie tant de fois »613(*)), qui symbolisent la mort, le sacrifice et le deuil, métaphore qui trouve son origine dans le prologue « La légende des roses ». Elle représente l'innocence sacrifiée lorsque Rita (venu apporter des roses à Gertrude) se fait assassiner par celle-ci, et qu'en tombant elle répand les roses, formant ainsi une tâche rouge sur la neige près de son cadavre614(*). Les différentes réminiscences font échos à la trahison de Gertrude, comme si cette faute passée lui était rappelée de manière significative (« J'avais défendu qu'on mit ici des roses, leur parfum m'est désagréable »615(*)), et appellent à la vengeance : « GERTRUDE.- [...] cette enfant ressemble à Vladimir, elle me ressemble aussi. C'est elle, le signe qu'elle avait à la joue le voilà. (Comme égarée.) Pourquoi est-elle couverte de roses, des grandes roses qui saignent. [...] MARPHA.- Il n'y a pas de roses, madame, c'est le sang qui fleurit pour la vengeance ». Et de manière ironique à la fin de la pièce, Gertrude, rattrapée par ses spectres, tombe dans le fleuve et « des feuilles de roses rouges [tombent] sur elle au dernier moment »616(*). En outre, la métaphore des roses rejoint celle des noces rouges, c'est-à-dire la passion pour la lutte, la mort des braves en martyr et l'amour dans le sacrifice. Ainsi, Blanche et Marguerite (également des noms de fleur), qui chantent « la chanson des roses »617(*), déposent près du corps d'Esther (abattue dans la lutte) des roses sur lesquelles sont « tombées quelques gouttes de sang »618(*). Ainsi, les allégories envahissent la scène comme il est souvent de règle dans le théâtre d'agitation : « elles sont le signe d'un passage à l'abstraction généralisante, qui met l'accent sur les grandes lois du système, contre toute réduction psychologiste »619(*).

L'argument anarchiste de la pièce est explicite, tous les éléments (dialogues et enchaînement des tableaux) tendent en effet vers la lutte et, comme le prouve l'issue du drame, Louise Michel croit au triomphe de la Révolution social. Le théâtre anarchiste, « un théâtre de combat » a donc pour impératif de susciter la révolte ; mais où et comment le public percevait-il ce message ?

4/PRATIQUE DU CONTAGE ET CONDITIONS DE REPRÉSENTATION

a) Pratique du contage

Le « conte populaire » est, au sens strict du terme, ce qui se dit et se transmet oralement. Les Romantiques vouaient un véritable culte à la création populaire, ils voyaient là une invention du peuple620(*). Or la littérature orale n'est pas, comme ils semblaient le croire, une émanation spontanée du Peuple. Elle est au contraire, « fortement ancrée dans un contexte social et culturel précis, et n'existe et ne se diffuse que dans un système d'institutions de transfert plus ou moins complexes »621(*). La veillée par exemple est une institution de transfert ; c'est le moment et le lieu d'échanges privilégiés où les éléments les plus traditionnels de la vie populaire se perpétuent avec l'écoute des récits, des contes et des légendes racontés par les anciens. À partir de 1830, le livre fait son apparition aux veillées et Louise Michel évoque dans ses mémoires ces longues soirées d'hiver : « Les romans s'étaient usés dans les veillées de l'écrégne où la lectrice mouille son pouce à sa bouche pour retourner les pages, et laisse tomber sur les infortunes des héros une pluie de larmes de ses yeux naïfs. L'écrégne, dans nos villages, est la maison où, les soirs d'hiver, se réunissent les femmes et les jeunes filles pour filer, tricoter, et surtout raconter ou écouter les vieilles histoires du feullot qui danse en robe de flamme dans les prèles (prairies) et les nouvelles histoires de ce qui se passe chez l'un ou chez l'autre. Ces veillées durent encore ; certaines conteuses charment si bien l'auditoire que la soirée se prolonge jusqu'à minuit »622(*). La lecture collective à haute voix est une manifestation spontanée dans les milieux ouvrier et paysan semi-alphabétisés de la France du siècle dernier. Celui qui savait lire et disposait de sources d'informations qui lui permettaient de sortir du cercle des préoccupations quotidiennes, celui qui pouvait entrer dans l'univers merveilleux du conte ou du feuilleton, communiquait tout naturellement à ses parents et à ses camarades de travail ce qu'il avait appris et essayait de leur faire partager le plaisir de sa lecture623(*), comme dans « Le Père Rémy » où l'instituteur « pour se reposer le soir, [...] faisait volontiers une petite lecture ou racontait quelque anecdote »624(*).

Un genre communautaire

Avant 1914, ont lieu un peu partout des réunions, autres que strictement familiales, dans lesquelles la narration de « contes » entre « adultes » joue un rôle important, notamment dans la vie des sociétés rurales, où leur rôle est considérable625(*). Dans les sociétés dites traditionnelles, elles sont généralisées et intégralement collectives : tous les membres de la communauté sont consommateurs. Louise Michel semble avoir été fortement conditionnée par les veillées, dont elle revendique le pouvoir poétique qu'elles exercent sur l'auditoire : « Je les aimais [les ruines] surtout, quand la bise soufflait fort, et que nous lisions tard, la famille réunie dans la grande salle, la mise en scène de l'hiver et des hautes chambres froides. Le linceul blanc de la neige, les choeurs du vent, des loups, des chiens, eussent suffi pour me rendre un peu poète, lors même que nous ne l'eussions pas tous été dès le berceau ; c'était un héritage qui a sa légende »626(*). Elle tente d'ailleurs de recréer dans le poème « La Neige », qui ouvre le recueil des Contes et Légendes, le cadre et l'oralité de cette pratique, en faisant de la neige un topos et en invitant les enfants à se rassembler près du feu, afin de commencer la lecture : « Le vent d'hiver souffle dans l'ombre,/ La neige couvre les chemins ; Enfants, venez, la nuit est sombre,/ Au foyer réchauffez vos mains./ Et pendant que vous êtes sages/ Prenez ce livre et ces images,/ Ce sont des souvenirs lointains »627(*).

Il y a une correspondance forte entre le type d'institution de transfert et les genres narratifs qui y sont pratiqués, car le contage se pratique selon trois paramètres principaux : le cadre des réunions (lieu, saison, heure, occasion), la sélection des participants (sexe, âge, métier) et le répertoire. Il y a par exemple les veillées collectives, régulières (veillée de travail, de repos) ou exceptionnelles (Noël, mariage628(*)...) ; « les assemblées masculines » (anecdotes personnelles et histoires licencieuses) ; « les assemblées féminines » (rumeurs, facéties, contes traditionnels, réunions féministes) ; « les assemblées d'enfants » (fonction éducative qui l'emportait sur la fonction récréative)629(*). Le Livre du bagne, qui rassemble « de courtes histoires racontées par de pauvres femmes d'Auberive »630(*), sous le titre « Légendes des Centrales » expose les conditions de transmission de ces récits : « Pourtant à Auberive, les soirs à la veillée d'hiver, quand pleurait la bise dans les sapins tout blancs de neige, nous aimions ces récits. Ayant beaucoup retranché, je les livre à l'impression, non dans l'espérance qu'on trouvera à les lire, il faudrait pour cela être transporté où nous étions afin que tels qu'ils sont, ils rappellent à chaque page la pensée qui les a inspirés - La société - disait Beccaria - se défend et ne se venge pas »631(*). Il faut noter que Louise Michel écrit ces phrases de la prison de Clermont (entre juillet 1883 et janvier 1886), mais elle a déjà rédigé tous les textes au bagne de Cayenne en 1877632(*). Le contexte narratif et la parole conteuse réactivent les modalités de cette institution de transfert, et en s'adressant directement aux femmes des prisons, elle renforce la connivence qui existe entre elle et son auditoire : « Si jamais au sortir de la centrale, vous rencontrez Rose, qui que vous soyez souvenez-vous de cette histoire »633(*).

L'art de conter

Normalement, le contage est sous contrôle direct de la communauté, qui proteste si le conteur se trompe ou oublie quelques paroles traditionnelles634(*). Réciproquement, le conteur interpelle ses auditeurs, qui entrent dans le jeu et répondent635(*). Les contes de Louise Michel relèvent davantage du conte écrit que du conte oral, bien que celle-ci feint une certaine oralité. Ainsi, bien qu'elle convoque directement son auditoire - « Prenez ce livre et ces images/ [...] Ceux dont on parle on eu votre âge / [...] Nous parlerons des moeurs antiques, »636(*) - celui-ci ne peut avoir réellement d'emprise sur la parole conteuse, car il n'y a pas d'échange. En outre, il semble que l'art de conter soit à mi-chemin entre création et reproduction. Quelle est la part de création et la part de compilation dans les textes de Louise Michel ? Dans le récit « Robin-des-Bois », la narratrice se décharge de l'invention de cette histoire et le prologue introduit la légende avec un certain recul : « Les imaginations, frappées du bruit du cor et des aboiements des meutes [...] personnifièrent leurs impressions sous le nom de Barbatos, duc de l'Abime. Il entend, dit la légende, le chant des oiseaux [...] Parfois la tempête hurle comme les loups, résonne comme les troupes ; alors on dit, sous les grandes cheminées, où toute la famille se chauffe à la fois : c'est Robin-des-Bois qui chasse »637(*). Or, bien que la conteuse rapporte ici une légende issue du folklore, le reste du récit semble être une idée originale.

Louise Michel revendique le caractère populaire de ses historiettes, c'est pourquoi elle n'hésite pas à jouer avec le langage parlé, le ton et les accents. Par exemple dans « L'héritage du grand-père Blaise », les intonations rurales de Jeannette sont rendues dans le texte : « Dame, ma fille, dit la vieille, je savons ben pourquoi » ; « Dame, Mamz'elle » ; « Il y a longtemps que j'y songions, nous deux Jean-Claude... » ; « Je verrons avec Jean-Claude! »638(*). Il est alors aisé d'imaginer le conteur jouer théâtralement les accents, afin de doter chacun des personnages d'un caractère bien spécifique. En outre, le choix du vocabulaire rend aussi compte du niveau social et culturel du personnage ; par exemple Jeannette, qui a rappelons-le cent ans, utilise un langage archaïque : « qu'il fut un temps où dans ce village la disette fut telle que... »639(*) ; « disette » étant un terme vieilli, qui n'est plus employé ou très rarement.

b) Scènes et publics

Le théâtre anarchiste est généralement accueilli dans des lieux marginaux, loin des théâtres traditionnels - excepté pour des auteurs connus comme Georges Darien, Octave Mirbeau ou encore Louise Michel dont la Grève est monté au Théâtre de la Villette à Paris. Il investit les salles de bar, les locaux privés ou les sièges des syndicats ; les représentations peuvent également avoir lieu dans les maisons du peuple, mais il s'agit souvent de modestes constructions de planches ou de pierres, dans les bourses du travail et à partir de 1887 dans les universités populaires ; parfois même, dans les logements ouvriers640(*). Évidemment, ces lieux et leurs publics sont inhérents au théâtre anarchiste car c'est lors de la représentation que le texte devient action, et qu'il acquiert son rôle militant et sa portée subversive ; ses auteurs ont « tenté de faire du théâtre l'auxiliaire immédiat, au minimum de la conscience révoltée des ouvriers, au minimum de leur organisation politique de base, celle qui reste acceptable même pour les anarchistes : le syndicalisme "immédiat" »641(*). Et les représentations constituent des moments forts de la lutte, comme en témoignent les réactions des spectateurs. À ce titre, Alain Badiou loue cette entreprise théâtrale qui, à ses yeux, avait « le courage, devenu si rare, de créer son propre public, et d'assumer ainsi que l'autonomie de la pensée doit payer le prix de l'autonomie des lieux de son expression ». Il ajoute que ce théâtre insoumis et révolté « bâtit ses propres figures et ses lieux immanents, [il] choisit ses échéances, et ne [se] laisse jamais dicter le choix de l'espace ou du temps »642(*). C'est ainsi que le Théâtre civique entend pratiquer la gratuité et Saint-Georges de Bouhélier, dans Le Printemps d'une génération, nous décrit « une espèce de théâtre en bois de sept ou huit cents places, dont les galeries étaient couvertes d'inscriptions "Ni dieu, ni maître" ». On y représente La Révolte de Villiers de l'Isle-Adam, et l'on y joint des lectures de Michelet, Mirbeau, Vallès, Clemenceau et des chansons socialistes. Le spectacle se déroule à guichet fermé pour éviter la censure et les interdictions643(*) (il a de ce fait le même caractère privé que les réunions politiques).

Cependant, le public n'est pas constitué uniquement d'ouvriers, - excepté quand les représentations sont organisées par des syndicats, mais on y va en famille et l'entrée est souvent gratuite644(*), - mais est composé d'un auditoire varié645(*). En effet, on croise au théâtre de l'OEuvre des petits bourgeois et des boutiquiers, des ouvriers à côté de gens huppés en habits et robes du soir646(*) ; et quand il s'agit de salles plus fréquentées et connues des amateurs de théâtre, on voit arriver un public de curieux, de bourgeois venus manifester leur désaccords, de journalistes, de critiques, de snobs qui ne veulent pas rater l'événement, sans oublier les policiers de service. Manifestants et contre-manifestants peuvent alors s'affronter, et le tumulte atteint des proportions étonnantes647(*). Mise en scène, la révolte peut communiquer à la salle une exaltation. Le public est actif, il participe et réagit à ce qu'il voit, et à chaque spectacle, même les plus calmes, des interruptions fusent ; on peut entendre : « Sales bourgeois ! Imbéciles ! Brutes ! A la porte ! Vive l'Anarchie ! Voilà de l'art au moins ! »648(*).

La représentation au Théâtre de la Villette

Les représentations de la Grève commencent en décembre 1890 au Théâtre de la Villette. En novembre de la même année, alors qu'elle est à Londres, Louise Michel adresse au directeur du théâtre, Andrel Perdrot, le manuscrit de la pièce, en lui laissant une entière liberté quant à la mise en scène ; elle se réserve seulement le droit de modifier ce que la censure pourrait réclamer comme changements. Il s'agit de représentations populaires à vingt-cinq centimes (prix unique) auxquelles assistent sept à huit cents personnes ; là encore, la police rend compte des événements dans un rapport au sujet de la représentation du 20 décembre 1890. Elle constate que parmi les spectateurs « deux cent cinquante anarchistes ont assisté au Théâtre de la Villette à la représentation populaire du drame de Louise Michel. Une heure avant l'ouverture des bureaux, plusieurs compagnons distribuaient à la porte La Défense du compagnon Pini649(*) et autres feuilles anarchistes de vieille date »650(*). Ce même rapport de police mentionne l'introduction, entre le prologue et le premier acte, d'une conférence d'un quart d'heure du compagnon Leboucher. Ce discours est un violent pamphlet dénonçant la dictature de la censure, - « La censure savait fort bien que pour implanter une idée dans les masses, il ne s'agit que de placer les faits devant les yeux ; c'est pourquoi elle a pour ainsi dire supprimé la pièce à force d'y couper les passages qui semblaient dangereux », - et prône haut et fort la destruction de la société bourgeoise et capitaliste : « L'heure de la vengeance populaire est proche ; les victimes de la bourgeoisie se préparent à une grande bataille aux cris de Mort aux voleurs ! Vive l'anarchie ! Oui travailleurs, soyons sans pitié ce jour-là pour les exploiteurs, massacrons-les tous »651(*). Ce jour-là, le public semble enthousiaste, la salle applaudit avec frénésie, aux entractes on chante des chansons anarchistes et à la sortie on entonne la Carmagnole652(*).

c) Éducation ou propagande?

Le théâtre représente un moyen de propagande particulièrement intéressant pour les écrivains anarchistes, à mi-chemin entre la propagande par le verbe et la propagande par le fait. Le théâtre serait donc un outil efficace pour conscientiser les masses et susciter la révolte. C'est en tout cas ce qu'affirme Émile Pouget : « Le théâtre, voilà un riche moyen de semer les idées, nom de Dieu ! En effet, si mal bâtie que soit une pièce, elle a cette supériorité sur un bouquin, c'est que le plus niguedouille saisit ce que l'auteur a voulu dire : y a pas besoin de se crever la caboche, les idées nous défilent sous le nez, comme qui dirait toutes vivantes » (Le père Peinard, 18 mars 1893)653(*). La censure d'ailleurs ne s'y trompe pas, elle frappe davantage le théâtre que la poésie et le roman. La Grève subit de nombreuses interventions de la part du comité de censure, comme le prouvent les nombreux passages entre crochets dans son édition actuelle. L'intégralité de la tirade de Régine au sujet de la Semaine sanglante est retirée (Acte III, scène 1), la Commune demeurant un épisode tabou ; minutieusement, « la sociale » est ponctuellement rayée654(*), et la voix d'un soldat s'élevant contre la peine capitale est soigneusement étouffée : « [Moi mon officier, ça m'a fait l'effet d'un crime cette exécution.] » (Acte V, scène 1).

Louise Michel croit en l'efficacité du verbe et à son pouvoir bénéfique sur les individus, c'est pourquoi elle prône l'importance des réunions populaires, qui permettent de s'organiser et de créer un débat entre des personnes qui sont généralement exclues du débat politique et civique. Elle revendique la nécessité de la propagande et défie ses censeurs par ses allusions directes à la Commune : « Les gendarmes de Versailles avaient remis leurs bottes de sept lieues, les régiments bretons étaient revenus, un peu moins enragés cependant contre les révolutionnaires. Beaucoup d'entre eux, envoyés aux réunions publiques pour les troubler, avaient au contraire été enveloppés par le courant ; il y avait dans les casernes des discussions terribles, et le moment était proche où une grande partie de l'armée supporterait difficilement qu'on lui ordonnât de tirer sur le peuple »655(*). Louise Michel évoque l'épisode du 18 mars 1871, durant lequel l'armée, venue récupérer les canons de la butte Montmartre et ayant ordre de tirer sur le peuple, fraternisa avec celui-ci ; elle reprend également cette anecdote dans l'acte V de La Grève.

Cependant, le théâtre n'est pas le seul véhicule de la propagande anarchiste. Réciproquement, revues et hebdomadaires restent pendant ces années le soutien du mouvement656(*). Ces journaux se veulent pédagogiques et on peut y lire des chansons et des poèmes de Louise Michel. Le journal La Révolte est accompagné d'un supplément littéraire, qui dura jusqu'à la fin des Temps nouveaux ; Jean Grave sait par expérience quelle peut-être la soif intellectuelle d'un ouvrier, mais il a surtout la conviction que la littérature est aussi un véhicule de pensée libertaire. C'est en cela que son journal constitue un lien entre la classe ouvrière et une littérature très préoccupée par la question sociale657(*). Outre la littérature, la peinture permet elle aussi de diffuser efficacement la propagande anarchiste, et des artistes tels que Paul Signac, Camille Pissaro, Félix Valloton illustrent ces journaux de leurs lithographies et dessins satiriques658(*). Il s'agit d'amener la classe ouvrière à une prise de conscience massive afin de l'amener à l'action collective, et toute la presse et la littérature sont tournées vers ce but659(*).

C'est ce double objectif que met en avant A. Badiou : « Comment combiner la fonction révélatrice du théâtre politique (montrer l'iniquité, la sauvagerie des oppresseurs) et sa fonction mobilisatrice (susciter le courage de la révolte, mais aussi sa méthode) ? »660(*). Ce théâtre coopératif se fixe trois objectifs : procurer un délassement physique et moral ; être une source d'énergie, soutenir et exalter l'âme ; éveiller la pensée, apprendre à voir et à juger les choses, les hommes et soi-même661(*). Force est de constater que la frontière entre éducation et propagande est étroite, car tous les moyens sont bons face à l'oppresseur, qui possède des outils bien plus efficaces pour maintenir le peuple sous son joug, et dans la mesure où la fin est synonyme de justice. Ainsi, tel que le formule Alain Badiou, la propagande est essentielle et le théâtre un moyen de diffusion irremplaçable : « la propagande, oui, elle est toujours nécessaire [...] tout spécialement, quand les esprits sont si profondément asservis et corrompus. Mais elle a des lois entièrement différentes de celles de la publicité. Et c'est bien la raison pour laquelle le théâtre, dans toute sa grandeur maintenue, doit être un théâtre de propagande, alors qu'il ne saurait servir aucune publicité »662(*). En effet, il ne s'agit pas d'exposer un monde manichéen, « il faut assumer une pensée complexe, dans la subjectivité « anarchisante », quant à l'entrelacement du Bien et du Mal, de la solidarité et de la méchanceté. Ce n'est qu'à ce prix que la corrosion critique prend une valeur universelle, et que la propagande politique échappe à son ennemi intime, qui est la propagande morale »663(*). En ce sens, la propagande anarchiste prend le contre-pied de la « pression idéologique réactionnaire » qui somme d'être « moral » et qui proscrit d'emblée l'usage de la force. Le compagnon Leboucher incitant à la haine contre la bourgeoisie, les héros de Louise Michel appellent à la lutte armée. C'est pourquoi, le héros-anarchiste se situe en dehors de toute préoccupation moralisatrice : « Car ce qui est nécessaire est d'imposer un écart souverain entre la justice politique (ou sociale) et le bénitier où trempent les catéchismes contemporains. C'est pourquoi le héros du théâtre libérateur n'aura que faire de la moralité, et sera sans nul doute, au-delà du Bien et du Mal »664(*).

***

La propagande est incontestablement le vecteur des idées anarchistes et son recours est perçu comme légitime face à une idéologie néfaste et profondément ancrée dans les mentalités. De ce fait, elle se veut provocante afin de faire table rase des préjugés et de la pseudo-moralité. Le propagandiste, en usant d'images fortes et percutantes, peut alors apparaître comme fous ou illuminés, mais ces penseurs, souvent comparés à des apôtres (ou à des prophètes), ont pour rôle de révéler aux hommes ce qu'ils ne peuvent voir et sentir spontanément : « Écoutez, écoutez encore, et vous entendrez d'autres pas, vous verrez d'autres bannières et d'autres étoiles ; car nous sommes au temps où l'infini, penché sur les cratères ardents, prépare les révolutions dans ses creusets mystérieux. Ces pas qu'entend à peine votre oreille, c'est la cohorte des visions, volée de colombes qui passent dans les ténèbres. [...] Car ce que vous écoutez, c'est l'inconnu, ce que vous regardez, c'est le mystère, et ces voix qui s'appellent dans l'espace, ce sont celles des songeurs penchés sur tous les gouffres de la mort et de la vie, ce sont les Prométhées qui vont ravir le feu du ciel »665(*). Ainsi, Louise Michel s'inscrit parfaitement dans la veine hugolienne, qui célèbre le poète visionnaire, « Les rêveurs sont les poètes et les poètes sont les prophètes »666(*), afin de révéler aux hommes la fin du vieux monde et la naissance d'une société nouvelle.

* 171 Joël Malrieu, op. cit. Le Fantastique, p. 37.

* 172 « Voilà ce qui a rendu le fantastique si populaire en Europe depuis quelques années, et ce qui en fait la seule littérature essentielle de l'âge de la décadence ou de transition où nous sommes parvenus [...] cette époque de désabusement serait en proie au plus violent désespoir, et la société offrirait la révélation effrayante d'un besoin unanime de dissolution et de suicide. [...] Ces innovations prétendues sont l'expression inévitable des périodes extrêmes de la vie politique des nations. », (Du fantastique en littérature, 1830), Ibid., p. 51-52 ; cf. J.-B. Baronian, La France fantastique de Balzac à Louÿs éd. A. Gérard, Marabout, 1973.

* 173 Ibid., p. 30-31.

* 174 Le Claque-dents, p. 175.

* 175 op. cit., Joël Malrieu, Le Fantastique, p. 32.

* 176 Louise Michel, Introduction au Claque-dents, p. 7.

* 177 op. cit., Dictionnaire de l'argot, « Claque-dents » : ( XVIe) désigne un gueux ; (XVIIIe, XIXe) maison de jeux, puis maison close ; « claque » est l'abrégé de « claque-dent » : Tripot, bordel.

* 178 Le Claque-dents, p. 34.

* 179 Ibid., p. 187.

* 180 Les Crimes de l'époque, p. 66.

* 181 « Tous les recteurs de Bretagne avaient fait colporter l'annonce par leurs clercs élèves. Les journaux pieux l'avaient reproduite, si bien que, comme des alouettes au miroir, venaient les filles d'Armorique chez la marquise », Ibid.

* 182 op. cit., Le Fantastique, p. 40 ; cf. Roger Caillois, Anthologie de la littérature fantastique, éd. Gallimard, 1966, p. 8-9 et p. 14.

* 183 Ibid., p. 39-40 ; cf. Pierre-Georges Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, éd. José Corti, 1951, p. 8.

* 184 Ibid., p. 48 ; « tout fait extérieur qui se manifeste à la conscience par l'intermédiaire des sens, toute expérience intérieure qui se manifeste à la conscience » ; « tout ce qui apparaît comme remarquable, nouveau, extraordinaire », (Dictionnaire Hachette)

* 185 heim (« du pays ») désigne le monde familier, ce qui est de la patrie, de la maison, c'est ce qui est rassurant ; l'adjectif heimliche désigne ce qui est intime et secret en moi, ce qui est caché ; au contraire, unheimliche est ce qui est inconnu, non familier.

* 186 Ibid., p. 112 ; cf. Sigmund Freud, « L'inquiétante étrangeté » (Das Unheimliche), 1919, dans Essai de psychanalyse appliquée : « [...] tout affect d'une émotion, de quelque nature qu'il soit, est transformé en angoisse par le refoulement, il faut que, parmi les cas d'angoisse, se rencontre un groupe dans lequel on puisse démontrer que l'angoissant est quelque chose de refoulé qui se montre à nouveau. Cette sorte d'angoisse serait justement l'inquiétante étrangeté, l'« Unheimliche » [...] n'est en réalité rien de nouveau, d'étranger, mais bien plutôt quelque chose de familier depuis toujours à la vie psychique et que le processus de refoulement seul a rendu autre. [...] l'inquiétante étrangeté serait quelque chose qui aurait dû demeurer caché et qui a reparu ».

* 187 Les Crimes de l'époque, « La Lettre anonyme », p. 75.

* 188 Ibid., p. 76.

* 189 Ibid., p. 92.

* 190 Ibid., p. 77.

* 191 Ibid., p. 37.

* 192 Ibid., p. 102.

* 193 Ibid.

* 194 Ibid.

* 195 Ibid., p. 85.

* 196 Ibid., p. 94.

* 197 op. cit., Le fantastique : « Pour qu'un tel effet de réel soit possible, il faut qu'il corresponde à ce que le lecteur intègre comme appartenant à son réel possible »p. 37.

* 198 Le Claque-dents, p. 27-28.

* 199 op. cit., Classes laborieuses et classes dangereuses : « Recherchant les causes de la Révolution de 1848, Daniel Stern écrira : « Des statistiques irrécusables, publiées en grand nombre, donnaient sur l'état des prisons, des bagnes, des maisons de prostitution et les hospices, des chiffres accablants, et faisaient maudire un gouvernement inhabile à guérir de telles plaies. » Il ne s'agit plus des classes criminelles : [...], c'est la condition dangereuse du plus grand nombre, une communauté de sort, une redoutable fraternité qui se trouvent révélées. Il ne s'agit pas du crime, mais du caractère pathologique de l'existence urbaine que l'étude quantitative du crime précise, plus sûrement que ne le ferait l'étude d'autres problèmes parisiens. », p. 46-47 ; p. 58.

* 200 Réflexion sur le fantastique, (c) Roger Bozzetto & nooSFere. ( http://www.noosfere.com/bozzetto/)

* 201 op. cit., Classes laborieuses et Classes dangereuses : « Littérature dite, mais aussi littérature sociale font du crime l'un de leurs thèmes les plus constants, en une série d'ouvrages dont le catalogue peut être aisément dressé. Le roman surtout dont Anne Bignan écrit en 1833, aux premières pages d'un livre sur « l'Echafaud », qu'il "pousse la gravité jusqu'aux derniers confins du tragique et de l'horrible. Tout ce qui se trouve d'abject et de fangeux dans le coeur humain, ajoute-elle, a été remué par le hardi scalpel de nos romanciers. Toutes les infirmités corporelles, toutes les plaies morales ont été mises à nu. L'Hôpital, le Bagne, la Grève, la Morgue ont servi de théâtre à des scènes d'une vérité repoussante." », p. 117-118.

* 202 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 26.

* 203 Le Claque-dents, p. 19.

* 204 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces » : « La maison était disposée de façon à assurer la fuite de ceux qu'on y surprendrait en flagrant délit. », p. 61.

* 205 Ibid., p. 60-62.

* 206 Ibid., « Les Vampires », p. 83.

* 207 Ibid.

* 208 op. cit., Le Fantastique, p. 53-54.

* 209 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 12.

* 210 Le Claque-dents : « [...] un jeune homme pâle aux paupières baissées qui avait été appelé Stéphane. », p. 11 ; « La place de la Roquette, où bientôt, il irait voir le condamné qui attendait, apparut à Stéphane, envoyant un peu de sang à sa face pâle », p. 14 ; « Les yeux glauques de Stéphane s'emplirent d'une lueur rapide. », p. 13.

* 211 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires », p. 84

* 212 Ibid., p. 93.

* 213 op. cit., Le Fantastique, « il s'agit d'une condition essentielle du récit fantastique du XIXe siècle », (p. 54-56) comme le Dr Jekyll (Le Cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde de Stevenson) ou encore comme les héros-narrateurs des récits de Poe, qui appartiennent à l'aristocratie ou la bourgeoisie.

* 214 Les Crimes de l'époque, p. 100.

* 215 Ibid., « La Lettre anonyme », p. 77.

* 216 Ibid., « Les Vampires », p. 94.

* 217 op. cit., Le Fantastique, p. 58-59.

* 218 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours ».

* 219 Le Claque-dents.

* 220 Ibid., p. 60-62.

* 221 op. cit., Le Fantastique, p. 80-83.

* 222 Ibid., p. 99-100.

* 223 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 12.

* 224 op. cit., Le Fantastique, p. 100-102.

* 225 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours » : « Mais ce n'était pas l'affaire de Casimir ; il n'aurait pas de sitôt pareille occasion, il y avait si longtemps qu'il la cherchait. Aussi elle ne lui échapperait pas », p. 18.

* 226 Ibid. « La Lettre anonyme », p. 76.

* 227 Ibid., p. 77.

* 228 Ibid., p. 78.

* 229 Ibid., « Les Rapaces », p. 59.

* 230 Ibid. : « Elles ne comprirent pas grand-chose, ce soir-là, aux propos de tout ce beau monde mâle et femelle, d'autant plus que leur protectrice les força de prendre une foule de liqueurs douces ou parfumées », p. 41-42.

* 231 Ibid., p. 77.

* 232 Ibid., « Premières et dernières amours » : Casimir vide une carafe de liqueur, puis une deuxième, et se sent vertigineux : « L'ivresse ne venait pas, mais c'était la folie », p. 36.

* 233 Ibid., « La Lettre anonyme », p. 80.

* 234 Ibid., p. 81.

* 235 Ibid., « Premières et dernières amours », p. 12.

* 236 La manne désigne par métonymie la corbeille en osier servant à récupérer les excréments pour les tanneurs.

* 237 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 18.

* 238 Ibid., p. 13.

* 239 Ibid., p. 20.

* 240 Ibid., p. 29.

* 241 Ibid., « Premières et dernières amours », p. 33.

* 242 Ibid., « Le Beau Raymond », p. 100-101.

* 243 Ibid. : « La folie de l'amour le saisit, ne laissant plus de place qu'à la convoitise. Cet or couvert de sang, c'était la dot de Margot », p. 101-102.

* 244 Le Claque-dents, p. 13.

* 245 op. cit., Le Fantastique, p. 70-71.

* 246 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 18.

* 247 Ibid., p. 20.

* 248 Ibid., p. 33-34.

* 249 Ibid., p. 34.

* 250 Le Claque-dents, p. 13.

* 251 Ibid., « il essayait à Marguerite le collier de corail de Lucrèce, dont la ligne rouge faisait, sur le cou de la fille de marbre, la marque de l'échafaud. ».

* 252 Ibid., p. 14.

* 253 Ibid., « lui, venait de songer à la tuer, elle, pensait à la fatalité qui lui avait fait, cette nuit-là, accorder un congé à sa bonne. [...] Stéphane expliquant la scène, qui implacablement allait se renouveler, lui toucha le cou ».

* 254 Les Crimes de l'époque « La Lettre anonyme » : « Parfois au milieu de leur bonheur, lui songeait à la lettre ; elle, à l'épingle qu'elle laissait au fond de la corbeille, et chacun gardait le silence », p. 74.

* 255 Ibid. : « - Vous voyez bien que vous êtes coupable ! dit-il d'un accent terrible », p. 75.

* 256 op. cit., Le Fantastique, p. 93-94

* 257 Les Crimes de l'époque, « La Lettre anonyme » : Daniel voit le phénomène sous une forme fantasmagorique : tantôt sous l'apparence d'une « vieille femme, grande anguleuse, pareille à l'une des sorcières de Macbeth », tantôt sous la forme d'un « jeune homme qui lui avait toujours témoigné de l'amitié sans cesser de lui déplaire, un jeune homme aux formes grasses, au visage rond [...]. Cela lui faisait peur », p. 76.

* 258 Ibid., p. 78.

* 259 op. cit., Le Fantastique, p, 72-73.

* 260 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 36-37.

* 261 le vampirisme étant dans le jargon psychiatrique une « perversion sexuelle dans laquelle l'agresseur saigne sa victime » ; art. « vampirisme ». (Le Petit Robert, 1989).

* 262  « nécrophage » : qui vit de cadavre, qui mange de la matière putréfiée ; « nécrophile » : perversion sexuelle dans laquelle, habituellement, l'orgasme est obtenu au contact physique de cadavres. (Le Petit Robert, 1989).

* 263 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires » : « un étudiant russe de ses amis, lui dit que Jean Oupir signifiait Jean Vampire », p. 87.

* 264 Ibid., p. 85.

* 265 Ibid.

* 266 Ibid., p. 95.

* 267 Le Claque-dents, p. 14-15

* 268 Ibid., p. 13

* 269 Ibid., p. 14-15.

* 270 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires ».

* 271 Les Crimes de l'époque, « La Lettre anonyme », p. 78.

* 272 Ibid., p. 79.

* 273 Ibid., p. 79-80.

* 274 Ibid., p. 80.

* 275 Ibid., « Premières et dernières amours », p. 37.

* 276 E. A. Poe, Nouvelles histoires extraordinaires, « Le Démon de la perversité », G-F, Paris, 1965 ; le narrateur confie au lecteur : « J'avais acquis quelque expérience de ces accès de perversité (dont je n'ai pas sans peine expliqué la singulière nature), et je me rappelais fort bien que dans aucun cas je n'avais su résister à ces victorieuses attaques. [...]Et maintenant cette suggestion fortuite, venant de moi-même, - que je pourrais bien être assez sot pour confesser le meurtre dont je m'étais rendu coupable, - me confrontais comme l'ombre même de celui que j'avais assassiné - et m'appelait vers la mort. [...] J'éprouvais un désir enivrant de crier de toute ma force. », p. 55.

* 277 Les Crimes de l'époque, « Le beau Raymond », p. 102.

* 278 Nous nous jugions comme des êtres humains, nous comportant en fonction de systèmes de valeurs bien établis qui nous définissent, et nous découvrons que nous relevons d'un autre domaine, celui-là même que nous rejetions : « le non-humain est partout, c'est nous », op. cit., Le Fantastique, p. 85-88.

* 279 Ibid., p. 107-108.

* 280 Ibid., p. 109-110.

* 281 Louise Michel, Le Livre du bagne, précédé de Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous, et du Livre d'Hermann, PUL, Lyon, 2001, « Lueurs dans l'ombre », p. 34.

* 282 op. cit., Mémoires, Extrait du manifeste des Anarchistes : « [...] Nous voulons la liberté et nous croyions son existence incompatible avec l'existence d'un pouvoir quelconque, quelle que soit son origine et sa forme, qu'il soit élu ou imposé, monarchique ou républicain, qu'il s'inspire du droit divin ou du droit populaire, de la Sainte-Ampoule ou du suffrage universel. C'est que l'histoire est là pour nous apprendre que tous les gouvernements se ressemblent et se valent. Les meilleurs sont les pires. Plus de cynisme chez les uns, plus d'hypocrisie chez les autres ! Au fond, toujours les mêmes procédés, toujours la même intolérance. », II, p. 273.

* 283 V. Hugo, Dernier jour d'un condamné, Préface de 1832 ; cité par Louis Chevalier, op. cit., Classes laborieuses et classes dangereuses, cf. note 1, p. 165.

* 284 Louise Michel, Les Microbes humains : « [...] pour faire face aux rafles nouvelles qui venaient du dépôt de Saint-Lazare, on ne peut laisser à celles qui arrivent que les vides laissés aux partantes, et il y a des moments de hautes marée de misères où out déborde : vagabonds chassés du gîte qu'ils n'ont pu payer, - sans travail vivant au jour le jour quand ils ont une veine d'ouvrage, - malheureux qui volent pour ne pas mourir de faim. Dans ces misères se propagent des épidémies de crimes ; il y a des saisons où la sève monte à tous les appétits aiguisés par le jeûne éternel. Alors tant pis pour les filles de la rue : elles seront (par leur état) mêlées à cette floraison du crime qui s'étend pareil aux blés mûrs pour les faucilles de la justice. On dirait que chaque crime monte en gerbes, tant ils sont bien le produit des circonstances, de l'époque, des milieux. La misère chasse des villes où la pain et le travail sont rares ; ceux qui ont des petits les nourrissent comme ils peuvent, - chaque agglomération humaine devient le radeau de La Méduse ! », p. 95-96.

* 285 Louise Michel, op. cit., L'ère nouvelle, 1887, chap. I.

* 286 op. cit., L'animal en politique : en effet on compare souvent le peuple ouvrier à un troupeau (d'oies, de poules, de dindons, de veaux, de moutons, etc.), à de la « chair à mitraille », à de la « chair à turbin » ou encore « chair à profit » qui engraisse le patronat et la bourgeoisie, p. 219.

* 287 Le Claque-dents, p. 189.

* 288 Voir la la description du taudis dans lequel vit la famille de Saturnin dans Le Claque-dents, chap. XXII, p. 177-193.

* 289 op. cit., Classes laborieuses et classes dangereuses, « Aux époques de plus grande détresse ouvrière, misère et criminalité envahissent indistinctement les colonnes du journal, comme exprimant un même phénomène. [...] Crimes et suicides se multiplient alors et grossissent les faits divers, amenant de mêmes commentaires et provoquant une égale pitié », p. 653.

* 290 op. cit., Classes laborieuses et classes dangereuses, « les suicides, dont les statisticiens de la ville remarquent qu'ils se développent avant tout dans les classes populaires ; les cas d'infanticides, des actes anonymes, individuels et juridiquement criminels que les rapports des égouts et des cloaques enregistrent, à ces formes d'infanticide officiel et différé que sont les abandons d'enfant au coin des rues, sur les marches des églises ou au seuil de quelque demeure bourgeoise et charitable - si fortement accrus en certaines périodes que les hospices débordent et qu'il faudrait organiser à pleines charrettes des convois vers les départements d'accueil, si une providentielle mortalité ne venait soulager la charité publique et la charité privée », p. 49.

* 291 Le Claque-dents, p. 112.

* 292 Ibid., p. 230-231.

* 293 Ibid., p. 234.

* 294 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires », p. 91.

* 295 Octave Mirbeau, Les Contes cruels, Introduction au chapitre II, « La férocité est au fond de la nature humaine », Les Belles Lettres/Archimbaud 2000, p. 247-248.

* 296 Op. cit., Classes laborieuses et classes dangereuses, p.35.

* 297 Le Claque-dents, p. 9.

* 298 E. Zola, La Curée, 1872.

* 299 D'abord le fils Wilhem, Muscadet, puis c'est au tour du jeune Madulphe et d'Alphonse, dans Le Claque-dents, p. 209.

* 300 Le Claque-dents, « Cette fois l'exécution pourrait tarder ; celle de Gaspard avait produit un mauvais effet, il avait juré jusqu'au bout qu'il était innocent et cela à l'air de défier la justice. », p. 65.

* 301 Le Claque-dents : à la veille de l'aurore nouvelle, Mancastel est lui aussi touché par la folie, et sa mégalomanie ne trouve plus de borne ; voici sa vision : « Mancastel commençait à perdre la tête, le délire s'emparait de lui, l'idée d'Assises immenses englobant des millions d'hommes, environnées d'une pompe inouïe et servant de piédestal à son individu un peu fantastique, revêtu de la robe rouge de l'hermine, tel était son rêve tout éveillé », p. 261-262.

* 302 Ibid., p. 55.

* 303 op. cit., Classes laborieuses et classes dangereuses : « Au reste, le crime n'est-il pas lui-même objet de spectacle ? Il l'est par ces expositions sur la place du Palais de Justice dont les journaux ou les Mémoires contemporains ne manquent jamais de rendre compte, comme s'il s'agissait d'événements importants de l'existence urbaine, par les foules qu'elles attirent, par les désordres et parfois les tumultes qu'elles causent, par les moeurs populaires qu'elles révèlent », p. 38.

* 304 Les Crimes de l'époque, « Le Beau Raymond », p. 103.

* 305 Montfaucon est un ancien lieu-dit, situé jadis à l'extérieur de Paris, sur une éminence voisine du quartier du Temple. Depuis le XIIe siècle s'y élevait un gibet qui fut utilisé jusqu'au XVIIe siècle, avant d'être transféré (1761) à la Villette, pour disparaître en 1790. François Villon évoqua peut-être l'horreur de ce lieu dans La Ballade des pendus, comme Marot dans son épigramme contre Maillart. (Le Petit Robert des noms propres, 1994.)

* 306 Le Petit Robert 2006, « fourches patibulaires  : gibet composé à l'origine de deux fourches plantées en terre, supportant une traverse à laquelle on suspendait les suppliciés. ».

* 307 Les Crimes de l'époque, « Le Beau Raymond », p. 103.

* 308 Capeluche fut le bourreau de Paris de 1411 à 1418, sous le règne de Charles VI. Il fut l'un des chefs des bourguignons et fut décapité en 1418 pour ses atrocités. (Le Petit Robert des noms propres, 1994.)

* 309 Les Crimes de l'époque, « Le Beau Raymond », p. 104.

* 310 Le Claque-dents, p. 109.

* 311 Ibid., p. 111.

* 312 Le Claque-dents, p. 156.

* 313 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces », p. 70.

* 314 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires », p. 89.

* 315 Eugène Sue, Les Mystères de Paris, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris 1989 ; cf. Part. VIII, chap. I, « Pique-Vinaigre », p. 975 ; chap. II, « Comparaison » : « Quelle sera l'influence, l'autorité morale des lois, dont l'application est absolument subordonnée à une question d'argent ? La justice civile comme la justice criminelle ne devrait-elle pas être accessible à tous ? Lorsque des gens sont trop pauvres pour pouvoir invoquer le bénéfice d'une loi éminemment préservatrice et tutélaire, la société ne devrait-elle pas, à ses frais, en assurer l'application, par respect pour l'honneur et pour le repos des familles ? », p. 983.

* 316 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires », p. 92.

* 317 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 29.

* 318 Le Claque-dents, p. 138.

* 319 Eugène Sue, op. cit., Les Mystères de Paris ; cf. Part. VIII, chap. II, p. 983-984.

* 320 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires », p. 92.

* 321 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces » : « Du reste en police correctionnelle, les choses vont rondement. L'enfant eut ordre de se taire et, malgré l'indignation du défenseur d'office, encore jeune et qui croyait à la justice, Yves Gallo fut condamné à la maison de correction jusqu'à l'âge de vingt et un ans. », p. 69.

* 322 Ibid., p. 72.

* 323 Le Claque-dents, p. 186.

* 324 V. Fau-Vincenti, op. cit., Le Livre du bagne, Présentation, p. 12.

* 325 Les Crimes de l'époque, « La Lettre anonyme », p. 81.

* 326 Louise Michel, Lueurs dans l'ombre. Plus d'idiots - Plus de fous. L'âme intelligente. L'idée libre - L'esprit lucide de la Terre à Dieu ; Brochure parue en 1861 à Paris, Imprimerie A-E. Rochette, 11 pages, (côte B.N.F. RP-6976) ; dans op. cit. Le Livre du bagne.

* 327 Louise Michel, op. cit.. Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous, « Résumons : pour fortifier et éclairer l'âme du fou et de l'idiot, il faut lui apprendre à voir, à sentir, à vouloir ; on arrive ensuite à lui faire raisonner ce qu'il veut ; à l'aide de cette volonté et de ce raisonnement ne pourrait-on lui donner l'habitude de comprendre de lui-même, de raisonner de lui-même ? Mais surtout pour rendre l'âme de l'idiot aimante, active, intelligente, il faut que celui qui instruit ait vu resplendir le triangle de feu, qu'il croie, qu'il respire et qu'il aime », p. 40.

* 328 V. Fau-Vincenti, op. cit., Le Livre du bagne, Présentation, p. 14.

* 329 Les Crimes de l'époque, « La Lettre anonyme », p. 81.

* 330 Louise Michel, op. cit., Le Livre d'Hermann, p. 43.

* 331 Ibid., p. 55.

* 332 Jean-François Wagniart (historien), « Miséreux et vagabonds à la fin du XIXe siècle », dans op. cit., Le Roman social, Littérature, Histoire et Mouvement ouvrier, : « Maupassant développe une vision des misérables incapables d'agir sur leur destin. Il sait qu'en poussant les êtres à bout, la société accule les individus à la violence et à leur perte. », p. 28.

* 333 Louise Michel, op. cit., Lueurs dans l'ombre, p. 32.

* 334 Dictionnaires des proverbes et dictons, Robert.

* 335 Ibid., « c'est bien en s'autorisant d'une telle analogie que l'homme des proverbes d'une certaine littérature a investi le monde animal du soin d'expliciter les mécanismes de son être social et culturel, invoquant, devant son image confuse et insaisissable, la garantie représentative d'une nature animale fidèle et immuable. »

* 336 op. cit., Classes laborieuses et Classes dangereuses : "Également bien connue est l'influence de ces théories que les principaux écrivains de ce temps. Si l'on en croit Balzac, elles ont inspiré La Comédie Humaine. Les criminels d'Eugène Sue présentent tous les caractères que Lavater et Gall attribuent à l'homme dégénéré.", p. 674.

* 337 Gaspard Lavater (1741-1801), Art d'étudier les physionomies, 1772 ; Les Fragments physionomiques, 1774 ; cité par Louis Chevalier dans Classes laborieuses et Classes dangereuses, p.674.

* 338 Le Claque-dents, « Dupoignon, Trifouillard et autres nullités, de ces êtres qui traversent les débâcles comme les mollusques traversent les révolutions géologiques, se préoccupaient seulement de parader et de banqueter », p. 236 ; voir aussi : « Les mollusques semblables à Dupoignon et Trifouillard continuaient magistralement à glisser parmi les décombres de la vieille société », p. 271.

* 339 op. cit., L'animal en politique, p. 218 et p. 230.

* 340 Ibid., « les écrits anarcho-syndicalistes de la fin du 19e siècle, plus encore que d'autres, utilisent des figurations animales, sous forme de représentations sociales et/ou d'injures, pour labelliser en les rabaissant les ennemis du "populo"», p. 209.

* 341 Le Claque-dents, p. 50.

* 342 Ibid., p. 35 et p. 281.

* 343 Mouche dont les femelles pondent leurs oeufs sur les substances organiques en décomposition, telles que la viande, le fumier et les excréments ; ibid., p. 35.

* 344 Ibid., p. 50 et p. 119 ; op. cit., L'animal en politique : les « oiseaux de proie » (« vautours », « charognards ») et le « loup » sont les animaux typiques du bestiaire anarchiste pour désigner les bourgeois et les patrons, p. 212 et 230.

* 345 J. Chevalier et A. Cheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Lafont / Jupiter, Paris, 1982 : « Le loup est synonyme de sauvagerie et la louve de débauche. [...] Ce symbolisme de dévorateur est celui de la gueule, image initiatique et archétypale, liée au phénomène de l'alternance jour-nuit, mort-vie : la gueule dévore et rejette ».

* 346 Wolf (en anglais et en allemand signifie « loup ») est un des personnages révolutionnaires du Claque-dents.

* 347 Le commerce d'enfant est un thème récurrent dans les oeuvres de Louise Michel ; on retrouve un épisode similaire dans Le Claque-dents et dans Les Microbes humains : « Mais une fois les petits cercueils placés dans le caveau de ses ancêtres, caveau vaste et profond, la grande dame allait dans la nuit furtivement reprendre les pauvres petites à qui elle avait donné des narcotiques, et les vendait sans se compromettre (puisqu'elles étaient déclarées mortes) à des ogres de haut vol aimant la chair fraîche. Quelques-unes s'éveillaient, d'autres passaient du sommeil à la mort. », p. 102-103.

* 348 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces », p. 58.

* 349 Ibid., p. 61.

* 350 Le Claque-dents, « La femelle, elle est morte ;/ Le mâle, un chat l'emporte./ Et dévore ses os./ Qui veille au nid, personne,/ Pauvres petits oiseaux ! », p. 225.

* 351 Ibid., p. 181.

* 352 op. cit., L'animal en politique, p. 209-210.

* 353 Ibid., p. 221.

* 354 Ibid., p. 225.

* 355 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces », p. 66.

* 356 Le Claque-dents, p. 66.

* 357 Ibid., « Une vingtaine de sénateurs et quinze ou seize députés étaient passés de vie à trépas. [...] La fatigue des discours officiels, surtout les banquets d'une digestion difficile avait autant que les frayeurs soudaines hâté la mort de cette poignée de légiférant. », p. 166

* 358 Ibid., p. 166.

* 359 Ibid., p. 67.

* 360 Ibid., p. 126.

* 361 Ibid., « Les gogos pendant ce temps-là plaçaient leurs misérables épargnes sur la colonie de la Nouvelle Atlantide et fondaient leurs espérances sur les candidatures couronnées de succès d'Alfred Dupoignon et de Stanislas Trifouillard », p. 128.

* 362 Ibid., « Des candidats de bonne foi s'imaginent qu'en mettant des sinapismes sur les jambes de bois de la constitution, ils parviendront à la galvaniser, c'est bien inutile, la gangrène lui monte au coeur. », p. 67.

* 363 Ibid., p. 131.

* 364 Ibid., p. 136.

* 365 Ibid.

* 366 Voir Élisée Reclus (1830-1905) géographe, militant et penseur de l'anarchisme français. Dans l'Anarchie, éd. du Sextant, Paris, 2006, conférence prononcée le 18 juin 1894 devant les franc-maçons de la Loge « Les Amis Philanthropes » de Bruxelles ; ce texte a été rendu public lors du colloque sur E. Reclus, à Bruxelles, en février 1985 (p. 9) : « Les anarchistes professent en s'appuyant sur l'observation, que l'État et tout ce qui s'y rattache n'est pas une pure entité ou bien quelque formule philosophique, mais un ensemble d'individus placés dans un milieu spécial et en subissant l'influence. Ceux-ci élevés en dignité, en pouvoir, en traitement au-dessus de leurs concitoyens sont par cela même forcés pour ainsi dire, de se croire supérieurs aux gens du commun, et cependant les tentations de toute sorte qui les assiègent les font choir presque fatalement au-dessous du niveau général », p. 41-42.

* 367 Le Claque-dents, p. 136.

* 368 Ibid., p. 138.

* 369 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces », p. 48-49.

* 370 Ibid., p. 54.

* 371 Ibid. p. 54-55.

* 372 Ibid., p. 12-13.

* 373 Ibid., p. 47-48.

* 374 R. Bozetto, A. Chareye-Mejas et R. Pujade, « Humour et fantastique », p. 69 : « Les procédés humoristiques des récits fantastiques ne sont pas employés dans le but de provoquer « passagèrement » le rire ou le détachement, mais sont en quelque sorte consubstantiels de la stratégie « fantastique » elle-même, en permettant de déni de l'Absurde par lequel elle s'installe toujours » ; cités par G. Desmeule dans La littérature fantastique et le spectre de l'humour, éd. L'instant même, Québec, 1997, p. 12.

* 375 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces », p. 62-63.

* 376 Ibid., p. 63.

* 377 Ibid., p. 64.

* 378 Patrick O'Neill, «The Comedy of Entropy. The context of Black Humour», Revue canadienne de littérature comparée, vol. X, 1983, p. 150 : Patrick O'Neill décrit le champ d'application de l'humour de la façon suivante : « c'est un monde qui appartient beaucoup plus au domaine du tragique qu'à celui du comique - et pourtant, suggère de façon profondément troublante la présence du comique » ; cité par G. Desmeule dans op. cit. La littérature fantastique et le spectre de l'humour, p. 48.

* 379 Annie Lebrun, « L'Humour noir », dans F. Alquie (sous la dir. de) Entretient sur le surréalisme, éd. Mouton, coll. 10/18, 1966, p. 103 ; cité par Georges Desmeules, dans op. cit. La littérature fantastique et le spectre de l'humour, p. 20.

* 380 Les Crimes de l'époque, « Première et dernières amours », p. 13.

* 381 op. cit., P. O'Neill, «The Comedy of Entropy. The context of Black Humour», p. 165 ; cité par Georges Desmeules, dans op. cit. La littérature fantastique et le spectre de l'humour, p. 21.

* 382 Louise Michel et Marguerite Tinayre, La Misère, édité chez Fayard en 1882, réédité par PUL, Lyon, 2001.

* 383 R. Bozzetto, « Eugène Sue ou le fantastique d'un romantique », Europe n°643-4, 1982, p. 101-110.

* 384 Tania Régin, op. cit. Le Roman social, Littérature Histoire et Mouvement ouvrier, p. 22.

* 385 Louise Michel, op. cit. Mémoires, part. I, p. 31.

* 386 E. A. Poe, Contes grotesques et arabesque, « L'art du conte », éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1989 : « [...] Si sa toute première phrase ne tend pas à amener cet effet, c'est qu'alors, dès le tout premier pas, il a fait un faux pas. Dans toute l'oeuvre, il ne devrait pas y avoir de mot dont la tendance, de façon directe ou indirecte, soit étrangère au dessein préétabli. Et par ce moyen, avec ce soin et cette habileté, un tableau, à la fin, est peint qui laisse dans l'esprit de qui le contemple avec un art semblable une impression de satisfaction la plus totale. L'idée du conte, sa thèse, s'est trouvée présentée intacte parce qu'imperturbée - chose absolument indispensable et cependant tout à fait hors de portée dans le roman. », p. 1002-1003.

* 387 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 38

* 388 Ibid., p. 36.

* 389 Ibid., « La Lettre anonyme », p. 74.

* 390 Ibid., p. 74.

* 391 Ibid., p. 78.

* 392 Ibid., p. 79.

* 393 Ibid., p. 80.

* 394 Ibid., « Les Vampires », p. 95.

* 395 Ibid., « Premières et dernières amours », p. 11.

* 396 Ibid., « Le beau Raymond », p. 97.

* 397 op. cit. Le Conte et la Nouvelle, p. 150.

* 398 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 29.

* 399 Ibid., p. 76.

* 400 Ibid., p. 43.

* 401 Ibid., p. 43.

* 402 Ibid., p. 52.

* 403 Ibid., p. 60.

* 404 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires », p. 83.

* 405 Ibid., p. 84.

* 406 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 35.

* 407 Ibid., p. 36.

* 408 Ibid. : « Celui-là c'est l'assassin » , p. 11.

* 409 Ibid., « Les Vampires », p. 88.

* 410 Ibid., p.88.

* 411 Ibid., « Le Beau Raymond », p. 99.

* 412 Les Crimes de l'époque, « La Lettre anonyme », p. 73.

* 413 Ibid., p. 80-81.

* 414 Ibid. p. 81.

* 415 Ibid., « Les Rapaces », p. 72.

* 416 J.P. Aubrit, op. cit., Le Conte et la Nouvelle, p. 12-13.

* 417 Louise Michel, op. cit. Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous, « Lueurs dans l'ombre », p. 33.

* 418 op. cit., Le Conte et la Nouvelle : « Incontestablement la nouvelle nous offre toujours quelque chose à connaître ou à reconnaître. L'espace restreint accordé au récit, fait que l'attention du lecteur est aiguisée par la conscience, que la réalité la plus banale recèle un secret, qu'il doit se passer quelque chose d'important, voire de fatal », p. 158.

* 419 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces », p. 39.

* 420 Ibid., « Le Beau Raymond », p. 97.

* 421 Ibid., p. 97.

* 422 Ibid., p. 98.

* 423 Ibid., p. 99.

* 424 Ibid., p. 97.

* 425 Ibid., p. 98.

* 426 Ibid. : « le beau Raymond parut, escorté par la maréchaussée, et fut pendu par le cou, sans avoir voulu dire autre chose sinon qu'il était innocent du meurtre de Diane », p. 104.

* 427 Ibid.

* 428 op. cit., Le Conte et la Nouvelle, p. 154.

* 429 Les Crimes de l'époque, « Les Rapaces », p. 72.

* 430 Louise Michel, op. cit. Mémoires : « Jamais je n'ai compris qu'il y eut un sexe pour lequel on cherchait à atrophier l'intelligence comme s'il y en avait trop dans la race. Les filles, élevées dans la niaiserie, sont désarmées tout exprès pour être mieux trompées : c'est cela qu'on veut. [...] Sous prétexte de conserver l'innocence d'une jeune fille, on la laisse rêver, dans une ignorance profonde, à des choses qui ne lui feraient nulle impression si elles lui étaient connues par de simples question de botanique ou d'histoire naturelle. » (I, p.83).

* 431 Les Crimes de l'époque, « Premières et dernières amours », p. 19.

* 432 Ibid., « [...] Partout, l'homme souffre dans la société maudite ; mais nulle douleur n'est comparable à celle de la femme. Dans la rue elle est marchandise. Dans les couvents où elle se cache comme dans une tombe, l'ignorance l'étreint, les règlements la prennent dans leur engrenage, broyant son coeur et son cerveau. Dans le monde, elle ploie sous le dégoût ; dans son ménage le fardeau l'écrase ; l'homme tient à ce qu'elle reste ainsi, pour être sûr qu'elle n'empiétera ni sur ses fonctions, ni sur ses titre. [...] Ce que nous voulons c'est la science et la liberté. [...] Est-ce que vous oserez faire une part pour les droits des femmes, quand hommes et femmes auront conquis les droits de l'humanité ? Ce chapitre n'est point une digression. Femme, j'ai le droit de parler des femmes. » (I, p.85).

* 433 Les Crimes de l'époque, « Les Vampires », p. 93.

* 434 Ibid., « Les Rapaces », p. 39.

* 435 Ibid., p. 43.

* 436 Il est cependant difficile, d'un point de vue littéraire, de définir le conte car il « n'a pas constitué pour la conscience critique un genre précis, dont on analyse les éléments constitutifs à défaut d'en codifier la production », Michèle Simonsen, Le Conte populaire, Presses Universitaires de France, Paris, 1984, p. 9.

* 437 Ibid., p. 10.

* 438 Ibid., p. 15-18.

* 439 Louise Michel, Contes et Légendes, p. 13.

* 440 J. P. Aubrit, op. cit. Le Conte et la Nouvelle :« sur cette matière assez mince et qui puise dans la vie quotidienne, le fabliau ne s'attarde pas en digressions, pas plus qu'il n'affine les personnages qui restent des types : tout au plaisir de raconter une bonne histoire, il va à l'essentiel avec une allégresse dont se souviendront les auteurs des nouvelles des siècles suivants », p. 10.

* 441 La légende répondrait au même objectif pédagogique que le conte, car elle délivre une leçon morale ou sapientiale, bien qu'elle constitue un récit d'événements tenus pour véridiques par le locuteur et son auditoire, Michèle Simonsen, op. cit. Le Conte populaire, p. 13-14.

* 442 J. P. Aubrit, op. cit. Le Conte et la Nouvelle, p. 13.

* 443 Le conte moral voit le jour au XVIIIe siècle sous la plume de Jean-François Marmontel (1723-1799), encyclopédiste, historien, conteur, romancier, grammairien, poète, dramaturge et philosophe français.

* 444 op. cit. Le Conte et la Nouvelle, p. 46-47.

* 445 Contes et Légendes, « Le père Rémy », p. 33.

* 446 Ibid., p. 5.

* 447 Ibid., p. 7.

* 448 Ibid., « dernier rejeton sans doute de quelque race nomade », p. 8.

* 449 op. cit. Dictionnaire des symboles, « [...] Homme et serpent sont les opposés, les complémentaires, les rivaux. Un psychanalyste dit que le serpent est « un vertébré qui incarne la psyché inférieure, le psychisme obscur, ce qui est rare, incompréhensible et mystérieux ». [...] Dans le monde diurne, il surgit comme un phantasme palpable, mais qui plisse à travers le temps comptable, l'espace arpentable et les règles du raisonnable, pour se réfugier dans le monde du dessous, dont il provient et où on l'imagine, intemporel, permanent et immobile dans sa complétude. [...] Il est énigmatique, secret, on ne peut prévoir ses décisions, soudaines comme des métamorphoses ».

* 450 Contes et Légendes, p. 9.

* 451 Ibid.

* 452 op. cit. Dictionnaire des symboles, « [Le roux] rappelle le feu, la flamme [...] il caractérise le feu impur, qui brûle sous la terre, le feu de l'Enfer, c'est une couleur chthonienne. En somme, le roux évoque le feu infernal dévorant, les délires de la luxure, la passion du désir, la chaleur d'en bas, qui consument l'être physique et spirituel ».

* 453 op. cit. Dictionnaire des symboles, « Génies de petites tailles qui, selon la Kabbale, habiteraient sous terre et détiendraient les trésors des pierres et métaux précieux [...] Ils symboliseraient l'être invisible, qui par l'inspiration, l'intuition, l'imagination, le rêve, rendrait visibles les objets invisibles. Ils sont dans l'âme humaine des éclairs de connaissance, d'illumination et de révélation. [...] Instables, ils peuvent aimer et détester successivement un être. Peu à peu, le gnome est devenu pour l'imagination un nain laid et difforme, malicieux et méchant. Le couple, ou le gnome dédoublé en un complexe masculin et féminin symbolise l'alliance en tout être d'un côté laid et d'un côté beau ; l'un méchant l'autre bon ; l'un terreux, l'autre lumineux ».

* 454 Contes et Légendes, p. 9.

* 455 Ibid., p. 10.

* 456 Contes et Légendes, p. 7.

* 457 Ibid., p. 11.

* 458 J.P. Aubrit, op. cit. Le Conte et la Nouvelle : « il le décrit en proie au besoin, à la faim, au froid, aux dures fatigues de la route », « c'est là sa force poétique, qui le distingue de la fable, mais c'est aussi son ambiguïté, car cette vie ne peut s'incarner que par la médiation de la parole conteuse », p. 101.

* 459 Ibid., p. 14.

* 460 Louise Michel, op. cit. Le Livre d'Hermann, p. 62.

* 461 Contes et Légendes, p. 15.

* 462 Le hibou semble être l'animal qui correspond au père Mathieu : « parce qu'il n'affronte pas la lumière du jour, le hibou est symbole de tristesse, d'obscurité, de retraite solitaire et mélancolique », (op. cit. Dictionnaire des Symboles).

* 463 Contes et Légendes, p. 16.

* 464 Ibid., « La famille Pouffard », p. 45

* 465 Ibid., p. 47.

* 466 Ibid., p. 51.

* 467 Ibid., « L'héritage du père Blaise », p. 20.

* 468 Louise Michel, op. cit. Mémoires ; peut-être ce personnage est-il inspiré d'une personne réelle que Louise Michel aurait connue dans son enfance : « Cela faisait des fruits tombés de l'arbre, pour Marie Verdet (une vieille de près de cent ans), qui disait si bien les apparitions des lavandières blanches à la Fontaine aux dames, ou du feullot rouge comme le feu, sous las saules du Moulin. Marie Verdet voyait toujours ces choses-là, et nous jamais ! cela ne nous empêchait pas de prendre plaisir à ses récits, tant et si bien que, du feullot à Faust, j'en vins à m'éprendre tout à fait du fantastique, et que dans les ruines hantées du châté païot je déclarai, au milieu de cercles magiques, mon amour à Satan qui ne vint pas. Cela me donna à penser qu'il n'existait pas. » (I, p.30).

* 469 Ibid., p. 21.

* 470 Michèle Simonsen, op. cit. Le Conte populaire : la conscience de ce fait est plus ou moins nette selon les époques, de nos jours, elle est très aiguë, p. 58.

* 471 Contes et Légendes, « Les dix sous de Marthe », p. 31.

* 472 Ibid. « La Vieille Chéchette », p. 10.

* 473 Ibid., « Robin-des-bois », p. 18.

* 474 op. cit. Dictionnaire des symboles, « Le bois est par excellence la « matière », ce qui s'exprime jusque dans le langage populaire, héritier des traditions artisanales qui façonnaient principalement le bois. [...] Chez les Anciens, Grecs et Latins, comme chez d'autres peuples, des bois étaient consacrés à des divinités [...] La forêt ou le bois sacré est un centre de vie, une réserve de fraicheur, d'eau et de chaleur associées, comme une sorte de matrice. Aussi est-elle encore un symbole maternel. Elle est la source d'une régénérescence. [...] Tout cela confirme le symbolisme d'un immense et inépuisable réservoir de vie et de connaissance mystérieuse. »

* 475 Contes et Légendes, p. 8.

* 476 (sous la dir. du) Pr. P. Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires, éd. du Rocher, 1989 ; art. « Robin-des-Bois » : il « apparaît dans les manuscrits anglais au XVe, mais la plupart des critiques pensent que l'on peut lui donner une origine plus ancienne » ; « légende de Robin-des-Bois rangée dans ce que les érudits appellent la Matière de la forêt de Sherwood ou de Greenwood », il est le « Roi de la forêt », la chasse constitue l'aspect le plus important de la tradition. Tel que le présente la littérature, « Robin est un braconnier qui se nourrit essentiellement de gibier [...] les gardes forestiers royaux font partie de ses ennemis, à côté du shérif et des moines opulents » ; il est le héros du peuple : « ami du peuple, ses alliés naturels dans les ballades vont du paysan à l'artisan, sans oublier le chevalier pauvre » ; le XIXe siècle livre un Robin-des-Bois franchement caractérisé comme héros du peuple. Michelet comme Quinet voient en lui l'ancêtre du peuple anglais luttant contre l'injustice des grands manufacturiers, mais ouvrant aussi les voies de l'avenir » (un révolutionnaire ?).

* 477 Contes et Légendes, « Robin-des-bois », p. 13.

* 478 J. Collin de Plancy, Dictionnaire Infernal, éd. par Henri Plon, Imprimeur-Éditeur, Paris, 1863 ; réédité par Slatkine Reprints, Genève, 1980, p. 79 ; art. « Barbatos » établi à partir de Johannes Wier, Pseudomonarchia daemonum (1577).

* 479 Contes et Légendes, « Robin-des-bois », p. 13.

* 480 Ibid., « Robin-des-bois », p.13.

* 481 Ibid., « Robin-des-bois », p. 13

* 482 Ibid., « La famille Pouffard », p. 52.

* 483 op. cit. Le Conte et la Nouvelle : c'est ce que Istvan Bano nomme « l'esthétique de la stabilité » (colloque du CNRS), p. 100.

* 484 Contes et Légendes, p. 19.

* 485 Ibid., p. 23.

* 486 Ibid., « La vieille Chéchette », p. 12.

* 487 Ibid., « Le père Rémy », p. 34.

* 488 Ibid., p. 39-40.

* 489 op. cit. Le Conte et la Nouvelle, p. 100.

* 490 Contes et Légendes, p. 14.

* 491 Ibid., p. 7.

* 492 Ibid., p. 12.

* 493 Ibid., p. 25.

* 494 Louise Michel, Le livre du jour de l'an : historiettes, contes et légendes pour les enfants, Paris, 1872.

* 495 Contes et Légendes, « Robin-des-Bois », p. 14.

* 496 Ibid., p. 17.

* 497 Ibid., p. 18.

* 498 Ibid., « La famille Pouffard » : p. 57-58.

* 499 Ibid., : p. 64-65.

* 500 Ibid., : « C'est qu'on avait retrouvé la piste d'un pauvre fou, échappé d'une maison de santé depuis quelques jours, grâce à l'un des vêtements d'un interne qu'il avait eu le talent de se procurer. Cet homme ordinairement assez calme, malgré sa folie de voyages et son idée d'être prince, était cependant sujet à quelques accès d'une violence extrême. C'était Son Altesse le duc Oscar de Sadoga, lequel fut réintégré dans sa maison de santé. Quel coup de théâtre ! », p. 65.

* 501 Ibid. : « Lors même qu'elles eussent été belles, leur bêtise les eût défigurées, et, en fait de comparaison avec les fleurs, il vaut mieux ressembler à quelque chose de moins fragile et de plus intelligent », p. 56.

* 502 Ibid., p. 48.

* 503 Ibid., p. 52-62.

* 504 Ibid., p. 61.

* 505 Ibid., p. 59.

* 506 Ibid., : « Il ne manquait plus pour compléter la maison de Pouffard, qu'une institutrice pour mademoiselle Euphrosine. On fit venir de Paris une jeune orpheline qui avait passé d'une manière assez brillante ses examens dans l'année. Rose André était intelligente, dévouée, fière et ferme ; elle n'eut donc pas de peine à juger chez qui elle était tombée et encore moins à prendre son parti. Comme elle ne reculait jamais devant les difficultés, quand il y avait du bien à faire, elle résolu d'arracher Euphrosine à l'imbécillité, et peut-être de diminuer celle de ses parents ; bien résolue du reste, au cas de non réussite, à reprendre le chemin de Paris, où elle serait plus utile dans l'éducation publique qu'elle ne pouvait l'être là, dans l'éducation particulière. », p. 48.

* 507 Ibid., p. 48.

* 508 Ibid., p. 66.

* 509 Ibid., « Le père Rémy », p. 43.

* 510 Ibid., p. 41.

* 511 Au XIXe siècle, il était en effet difficile d'obtenir une place dans une maison de retraite, et la crèche restait chère, à peu près six sous par jour, ce qui constituait un véritable budget pour une famille ouvrière. Voir Louise Michel et Marguerite Tinayre, op. cit., La Misère , p. 123.

* 512 Contes et Légendes, « Le père Rémy », p. 41.

* 513 Contes et Légendes, p. 6.

* 514 J. P. Aubrit considère le conte comme un récit « objectif » et « non lyrique » où le locuteur y efface toute trace de subjectivité, toute implication personnelle ; il n'est pas un auteur mais un récitant ; op. cit. Le Conte et la Nouvelle, p. 99.

* 515 Ibid., p. 5.

* 516 op. cit. Le Conte et la Nouvelle, p. 99.

* 517 Il s'agit pour l'enfant d' « acquérir ce faisant une personnalité autonome et équilibrée, c'est-à-dire qui intègre les exigences du Ça et du Surmoi en un Moi harmonieux », Michèle Simonsen, op. cit. Le Conte populaire, p. 60.

* 518 Contes et Légendes, « Les dix sous de Marthe », p. 26.

* 519 Ibid., p. 27.

* 520 Ibid.

* 521 Ibid., p. 30.

* 522 Ibid., p. 30-31.

* 523 Ibid., p. 19.

* 524 Ibid., p. 24.

* 525 Ibid., p. 33. Notons sur quel ton critique, la conteuse dénigre en passant les deux almanachs suisse et français « Le messager boiteux » et « Le grand conteur ». D'une part parce qu'ils sont de mauvais informateurs (ils sont soumis à la censure et de tendance moralisatrice). Et d'autre part parce que réactionnaires, ils manquent de modernité en cette fin du XIXe siècle ; alors qu'il existe de nouveaux moyens de diffusions, l'almanach était vendu sur les places de foire et marchés, lors des rassemblements populaires, ou même à domicile, par des colporteurs. Voir Liliane Desponds, MESSAGER BOITEUX. Trois siècles d'histoire au travers du terroir, éd. Cabedita, 1999, p. 9 et p. 196.

* 526 Ibid., p. 66.

* 527 cf. Philippe Ivernel, op. cit. Au temps de l'anarchie, un théâtre de combat, 1880-1914, titre de l'introduction, t. I, p. 19.

* 528 Jonny Ebstein, op. cit. Au temps de l'anarchie, Introduction « Le combat anarchiste », t. I, p. 17-18.

* 529 op. cit. Au temps de l'anarchie, « Thèmes et formes d'un théâtre polémique », t. I, p. 20.

* 530 Ibid., p. 21.

* 531 Ibid. : Dans le cadre des genres reconnus, ou à côté d'eux, apparaissent des catégories marquant une inflexion inédite : le « drame réaliste », le « drame social », le « drame ouvrier » (en trois acte mais aussi en un seul), la « pièce sociale » (aux structures moins fixées, pouvant se réduire à un « monologue dramatique » ou s'étendre sur quatre actes, le cinquième n'ayant pas droit de cité ici, peut être que sa présence rappellerait trop le modèle aristotélicien), « l'étude révolutionnaire », la « pièce de combat », le « théâtre d'idées », la « comédie sociale », la « pièce grinçante », les « farces et moralités », lesquelles peuvent mener, le cas échéant, à une autre extrémité, la « vision abstraite » dont parle Georges Darien, projet qui avoisine une sorte de fantastique ou de grotesque social ; p. 24.

* 532 Jean-Marie Thomasseau, Le Mélodrame, collection « Que sais-je ? », PUF.

* 533 La Pologne de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle connut différents bouleversements et déchirements. La Pologne est en trois phases successives, partagée entre la Russie (1764), la Prusse (1793) et l'Autriche-Hongrie (1795) ; elle renaît de façon éphémère grâce à Napoléon qui crée le Royaume de Varsovie (1807), un territoire indépendant, mais très réduit. Après la chute de Napoléon en 1815, au Congrès de Vienne, le Royaume est transformé en Duché, placé sous l'autorité du tsar, qui a le droit d'être couronné Roi de Pologne ; en 1830 éclate dans de Duché une insurrection qui sera matée en 1831 et suivie d'une violente vague de répression. Puis des mouvements indépendantistes et des soulèvements populaires ont lieu ponctuellement : 1846, 1848, 1863.

* 534 Louise Michel et Jean Winter, Nadine, la première eut lieu le 29 avril 1882 au Théâtre populaire ; cité par M. Surel-Tupin, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. II, p. 16.

* 535 Philippe Ivernel, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 34.

* 536 op. cit. M. Surel-Tupin, Au temps de l'anarchie, t. II, p. 142.

* 537 Philippe Ivernel, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 29.

* 538 Dans Bernard Franco, op. cit. Le Héros et l'Histoire : Maria Korytowska, explique que dans le roman de Juliusz Slowacki, Kordian, « l'insurrection a débuté à Varsovie (qui a subi l'occupation russe), par une attaque sur le Belvédère, siège du régent et frère du tsar ; et cet attentat - qui a échoué - est devenu l'un des événements les plus discutés par les romantiques », p. 170.

* 539 Anna Fialkiewicz, op. cit. « Kordian, un roman de Juliusz Slowacki » ; deux phases du romantisme polonais : avant et après l'insurrection. « Cette première phase est très nettement dominée par la figure d'Adam Mickiewicz qui donne le ton, avec son premier tome de poésies publié en 1822, recueil de poèmes inspirés dans leur « fond » comme dans leur « forme » par la tradition populaire, opposant à tout moment le coeur à la raison et exaltant la jeunesse, l'amour et l'action. », (p.146). Après l'insurrection en 1831, grand nombre d'intellectuels polonais s'installent en France, « victimes des répressions tsaristes », et Paris devient alors le foyer de la vie intellectuelle et artistique polonaise. « Le tournant concerne aussi la production littéraire elle-même, dont une grande partie traitera désormais de ce qu'on appellera la « question nationale », en d'autres termes une série de questions qui s'articulent toutes autour de l'histoire polonaise : sur le sens du destin de la Pologne, sur « l'après 1831 », avec en leitmotiv, la question du rôle du poète ». « [...] Mickiewicz [dans l'acte III des Aïeux] formule sa théorie du « messianisme polonais », reposant sur une analogie entre le martyr du Christ et celui de la nation polonaise », p.147.

* 540 Maria Korytowska, « Kordian par Juliusz Slowacki », dans op. cit. Le Héros et l'Histoire, p. 169-170.

* 541 Bernard Franco, op. cit. Le Héros et l'Histoire, p. 20.

* 542 Bernard Masson, Musset et le théâtre intérieur. Nouvelles recherches sur « Lorenzaccio ». Paris, Armand Colin, 1974 :« Nos pièces romantiques [...] revendiquent une vérité historique présente jusque dans d'infimes détails et manifestent une recherche de la couleur locale qui n'a pas qu'une signification esthétique », p.56-59 ; cité par Bernard Franco, op. cit. Le Héros et l'Histoire, p. 8.

* 543 Cité par Jonny Ebstein, op. cit. Au temps de l'anarchie, Introduction « Le combat anarchiste », t. I., p. 18.

* 544 Bernard Franco, op. cit. Le Héros et l'Histoire, p. 23.

* 545 Est-ce un clin d'oeil à Antoine Orlowski (1811-1861) violoniste, chef d'orchestre et compositeur polonais, qui se réfugiera en France, suite à la répression tsariste après 1830 ?

* 546 M. Surel-Tupin, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. 2, p. 143.

* 547 Ibid., p. 144.

* 548 La Grève, Acte II, scène 5, p. 171 ; mais dans une lettre (du 16 décembre 1890) envoyée à J. Grave pour être publiée dans la Révolte, Louise Michel défend la Grève de ressembler « aux vieux mélodrames, [où] il y a un enchevêtrement d'intrigues » ; cf. Louise Michel, Je vous écris de ma nuit, correspondance générale 1850-1904, établie et présenté par Xavière Gauthier, aux Éditions de Paris, 1999, Lettre 938, p. 578-579.

* 549 op. cit. Le Héros et l'Histoire, p. 8.

* 550 Jonny Ebstein, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 18.

* 551 Ibid., p. 22.

* 552 Caroline Granier, Les écrivains anarchistes en France à la fin du dix-neuvième siècle, "Nous sommes des briseurs de formules", Thèse de doctorat de l'Université Paris 8, 6 décembre 2003 ; http://raforum.info/dissertations.

* 553 La Grève, Acte II, scène 2, p. 164.

* 554 Ibid., Prologue, scène 7, p. 155. « Mancenillier » : arbre d'Amérique qui produit un latex très vénéneux. On l'appelle « arbre poison », « arbre de mort », et son ombre passait pour être mortelle, (Le Petit Robert, 1989).

* 555 Ibid., Prologue, scène 3, p. 153.

* 556 Ibid., Prologue, scène 5, p. 154.

* 557 Ibid., Acte V, scène dernière, p. 195.

* 558 Ibid., Acte II, scène 2, p. 164.

* 559 Ibid., [les crochets représentent ce qui a été censuré], p. 165-166 ; « germinal de l'or » : métaphore également utilisée dans le Claque-dents à propos de l'ambition de Gertrude, p. 34, (voir II. 1. a).

* 560 Ibid., p. 168 ; « Jacquerie » : soulèvement des paysans français contre les seigneurs en 1358. Révolte paysanne (1821).

* 561 Ibid.

* 562 Ibid. : « GERTRUDE.- J'ai pitié de vous, Eléazar, les affaires dans le trouble où vous êtes vous seraient pénibles, signez ces pouvoirs qui me permettent de les faire à votre place [...]. Que vous êtes naïf Eléazar », p. 169.

* 563 William Shakespeare, Le Roi Lear (1603-1606), Acte III, scène 2.

* 564 Maurice Tournier, op. cit. L'animal en politique : l'utilisation de ce monstre suprême de la dévoration est un topos dans l'imagerie mythologique anarchiste, il désigne le monstre capitaliste, le « Moloch capitaliste [est une figure] omniprésent[e] dans le bestiaire des socialistes révolutionnaires », p. 222-223.

* 565 La Grève, Acte IV, scène première, p. 184.

* 566 Le roi Lear comprit alors que l'amour de ses deux filles aînées était égoïste et intéressé et que seul celui de Cordélia était sincère : « LEAR : Peste soit de vous tous, meurtriers et traîtres ! J'aurais pu la sauver : maintenant elle est partie pour toujours ! ... Cordélia ! Cordélia ! attends un peu. Ha ! qu'est-ce que tu dis ? Sa voix était toujours douce, calme et basse ; chose excellente dans une femme... J'ai tué le misérable qui t'étranglait », Le roi Lear, Acte V, scène 5.

* 567 La Grève, Acte IV, scène IV, p. 186-187.

* 568 Ibid., Prologue, scène 1, p. 150.

* 569 Ibid., Acte I, scène 2, p. 159.

* 570 Ibid., Acte II, scène première, p. 163.

* 571 Ibid., Acte II, fin de la scène VII, scène VIII, p. 176 ; scène IX, p. 177.

* 572 Ibid., prologue, scène 1, p. 150.

* 573 Ibid., Acte I, scène 2, p. 158-159.

* 574 Voir Philippe Sellier, Le Mythe du Héros, Paris-Montréal, Bordas, 1970, p. 16-17 ; cité par Bernard Franco, Le Héros et l'Histoire, p. 7.

* 575 La Grève, Prologue, scène II, p. 152.

* 576 Ibid., Acte I, scène 2, p. 159.

* 577 Ibid., Acte II, scène 3, p. 169.

* 578 op. cit. Le Héros et l'Histoire, p. 17.

* 579 Bernard Franco, op. cit. Le Héros et l'Histoire, « Le héros tragique, dans le théâtre historique, a pour fonction de cristalliser ces aspirations identitaires. Il est également un mode de représentation. C'est la raison pour laquelle la mise en scène du héros se tisse sur fond de couleur locale. Car la représentation de l'histoire suppose la multiplicité des événements et des protagonistes, la contingence, l'arbitraire du sens, ce qui implique le risque, dans la transposition poétique qu'en propose le drame, de l'éclatement des formes. La représentation du héros est ainsi ce qui assure l'unité de l'oeuvre et surtout sa cohérence », p. 9-10.

* 580 La Grève, Acte III, scène 4, p. 183.

* 581 Dans la première version de Vingt mille lieues sous les mers, Nemo aurait été un noble polonais, Szlatcha, qui désirait venger sa famille détruite pendant la répression russe de l'Insurrection de Janvier (l'insurrection polonaise, 1863-1864) ; voir Christian Chelebourg. "Préface de Vingt mille lieues sous les mers". Livre de Poche. Page VII. 1990. Cependant, Jules Verne écrit à Hetzel: « Mais écartons le Polonais et le Russe. Le lecteur supposera qui il voudra, suivant son tempérament » (Lettre du 11 juin 1869). Correspondance de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel. Tome I. Slatkine. 1999.

* 582 Robert Horville (coll. dirigée par), Anthologie de la littérature française, XIXe siècle, Larousse, 1994, p. 194. Dans le roman, Nemo vient également en aide aux révolutionnaires grecs.

* 583 La Grève, Acte I, scène 4, p. 162.

* 584 Ibid., Acte III, scène 4, p. 183.

* 585 Ibid., Prologue, scène III, p. 152.

* 586 op. cit. Au temps de l'anarchie, Préface « Destin politique du théâtre, hier, maintenant », t. I, p. 13.

* 587 La Grève, Acte I, scène 2, p. 158.

* 588 Ibid., Prologue, scène première, p. 150.

* 589 Ibid., scène 2, p. 151.

* 590 Ibid., scène 10.

* 591 Ibid. Acte III, scène 4, p. 182 ; Maurice Tournier, op. cit. L'animal en politique : l'image de l'hydre, désignant normalement, dans l'imagerie anarchiste, le monstre capitaliste au même titre que le Moloch, se trouve retournée (comparaison utilisée à l'initiative du peuple) et incarne alors les angoisses bourgeoises.

* 592 Ibid., Acte III, p. 178.

* 593 Ibid., Acte III, scène 4, p. 182.

* 594 Ibid., Acte III, scène 3, p. 181.

* 595 Ibid., scène 4, p. 182-183.

* 596 Ibid., p. 192.

* 597 Ibid., Acte V, scène 4, p. 194.

* 598 op. cit., Bernard Franco met l'accent sur le lien paradoxal qui existe entre l'idée de héros et le cadre historique des intrigues : « Peut-être le véritable théâtre historique est-il celui où l'acteur principal est le peuple » et donc « où le héros, affirmation d'une individualité désormais dépourvue de sens, se trouve évacué », Le Héros et l'Histoire, p. 7.

* 599 Ibid., prologue, scène première, p. 149 ; op. cit. Le Héros et l'Histoire : « La souffrance de la Pologne, d'après le messianisme, l'a prédestinée au rôle du Messie qui devrait sauver l'humanité », cf. note 4, p.171.

* 600 V. Hugo, Hernani (1830), Acte IV.

* 601 Le Claque-dents, p. 285.

* 602 op. cit. Je vous écris de ma nuit, Lettre 938, p. 578-579. Le motif de la révolution wagnérienne est récurrent et fort dans de nombreux textes ; voir Claude Rétat et Stéphane Zékian, Les Microbes humains, Presses Universitaires de Lyon, 2013, note 1 p. 50.

* 603 Bien que cela ne soit pas précisé dans les didascalies, voir M. Surel-Tupin, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. II, p. 144.

* 604 « barcarolle » : forme musicale vocale ou instrumentale de mesure ternaire avec un accompagnement rythmiquement uniforme, évoquant le mouvement lent d'une barque. En effet, à l'origine, la barcarolle était le chant des gondoliers vénitiens.

* 605 Ces deux premiers quatrains sont déjà présents dans Le Claque-dents, p. 276.

* 606 La Grève, Acte II, scène 4 et 5, p. 170-172

* 607 Philippe Ivernel, op. cit. Au temps de l'anarchie, Introduction, p. 31.

* 608 On ignore la date d'écriture du Claque-dents, il est publié posthume.

* 609 op. cit. Je vous écris de ma nuit, Lettre 938, p. 578-579.

* 610 La Grève, Acte I, scène 3, p. 160 et Acte II, scène 4, p. 170.

* 611 Ibid., Acte II, scène 5, p. 172 et Acte II, scène 9, p. 177.

* 612 Ibid., Acte IV, scène 4, p. 182-183 ; « Diane » : « Première heure du jour », « roulement de tambour servant à réveiller les troupes », « le réveil », ( Dictionnaire de l'Académie).

* 613 Ibid., Prologue, scène 4, p. 153.

* 614 Ibid., Prologue, scène 5, p. 154.

* 615 Ibid., Acte II, scène 2, p. 164.

* 616 Ibid., Acte V, scène dernière, p. 195.

* 617 La Grève, Acte III, scène 7 : « Fleurissez oh roses/ Fleurissez toujours/ Pour la tombe éclose/ Ou pour les amours// Fleurissez charmantes/ Dans l'aurore en pleurs/ Ouvrez-vous saignantes/ Sur les jours vengeurs », p. 175.

* 618 Ibid., Acte IV, scène 2, p. 185

* 619 Philippe Ivernel, op. cit. Au temps de l'anarchie, Introduction, p. 32-33.

* 620 Michèle Simonsen, op. cit. Le Conte populaire, p. 13.

* 621 Ibid., p. 34.

* 622 Louise Michel, op. cit. Mémoires, I. p. 51.

* 623 Noël Richter, « Aux origines du club de lecture », bbf 1977 - Paris, t. 22, n° 4, (http://bbf.enssib.fr).

* 624 Les Contes et Légendes, « Le père Rémy », p. 35.

* 625 Michèle Simonsen, op. cit. Le Conte populaire, p. 34-35.

* 626 Louise Michel, op. cit. Mémoires, I. p. 21-22.

* 627 Contes et Légendes, strophe I, p. 5.

* 628 Par exemple, dans « Le père Rémy » la veillée a lieu lors d'un mariage, « Un soir il y avait nombreuse compagnie à la veillée du père Rémy, toute une noce du village était venue lui souhaiter le bonsoir et lui apporter un bouquet », et se révèle être un échange de compliments entre le maître d'école et les villageois ; op. cit. « Le Père Rémy », p. 36-37.

* 629 Michèle Simonsen, op. cit. Le Conte populaire, p. 36-38.

* 630 Louise Michel, op. cit. Le Livre du bagne, p. 106 ; « Auberive » fut au XIXe siècle, la prison pour femme créée dans l'abbaye d'Auberive (Champagne Ardenne).

* 631 Ibid., p. 105.

* 632 Louise Michel dédie d'ailleurs ses premiers textes « à ces pauvres braves ambulancières condamnées à mort et dirigées sur Cayenne » après la Commune de Paris, et ravive alors son expérience pénitentiaire en indiquant les différents numéros de matricule qui lui furent attribuées ; Ibid., p. 103.

* 633 Ibid., p. 175.

* 634 M. Simonsen met l'accent sur le fait que « ces institutions diffèrent des médias modernes en ce que les actes de communication du texte sont sous le contrôle direct de la communauté ». dans op. cit. Le Conte populaire, p. 36.

* 635 Le conte, comme tout genre transmis oralement, comprend des éléments rigides, stables, et des éléments fluides, plus mobiles. Il est important de souligner, au sujet du travail du conteur, que ces éléments mobiles peuvent varier d'une narration à l'autre, chez le même conteur, qui improvise chaque fois un peu. Les formules traditionnelles, qui peuvent appartenir en propre soit au conte, soit à une région, soit à un conteur, jouent un rôle essentiel ; Ibid., p. 39-40.

* 636 Contes et Légendes, « La Neige », p. 5.

* 637 Contes et Légendes,p. 13-14.

* 638 Ibid., p. 20-22.

* 639 Ibid., p. 20.

* 640 C'est ainsi que dans le supplément littéraire du Figaro du 17 octobre 1891, un journaliste nommé Tabarant (un des fondateurs du Club de l'art social) mentionne un spectacle hors du commun donné dans un appartement de Ménilmontant : « J'ai vu quelque chose de beau et d'informe, une pièce écrite à la diable, mais belle de force et de grandeur dans son rudiment esthétique » ; l'auteur y racontait l'histoire d'une jeune fille violée par son patron, qui dérobe une bombe à son fiancé anarchiste pour venger son déshonneur et meurt dans l'explosion. On retrouve au centre de la pièce, la révolte et le passage à l'acte, chers aux anarchistes : « Au théâtre, si fou soit-il, le texte est pré-texte, et l'éternité n'est donnée que dans la création matérielle d'un instant » ; M. Surel-Tupin, op. cit. Au temps de l'anarchie, « Scènes et publics », t. I, p. 36-37.

* 641 Alain Badiou, op. cit. Au temps de l'anarchie, Préface « Destin politque du théâtre, hier, maintenant », t. I, p. 7-8.

* 642 Ibid., p. 12.

* 643 M. Surel-Tupin, op. cit. Au temps de l'anarchie, « Scènes et publics », t. I., p. 38.

* 644 Ibid., p. 46.

* 645 Ibid., un journaliste anonyme de L'Illustration, en décembre 1894, se rend à Montmartre pour assister à une grande soirée de gala lors de l'inauguration du Théâtre social à la maison du peuple. Le programme indiquait : « Première représentation publique de La Pâque socialiste, pièce sociale en quatre actes du citoyen Emile Veyrin. Conférence par le citoyen Maurice Barrès ». Suivons-le dans la maison du peuple transformée ce soir-là en théâtre : « Laissant à ma droite en contrebas un local enfumé d'où s'échappent d'âcres senteurs d'alcool et des éclats de voix mêlés au cliquetis des verres entrechoqués - le buffet - j'ai vite franchi le vestibule exigu et gravi les quelques marches d'un escalier rudimentaire conduisant à la salle. Pas de contrôleurs gourmés et grognons, siégeant à leur tribunal imposant ; sur le seuil se tiennent deux citoyens commissaires très barbus, mais d'une exquise humanité. La salle ?... un hangar dépourvu de vains ornements, semblables à une de ces granges où opérait la troupe du Roman comique. A la lueur parcimonieuse de rares becs de gaz, imitant à s'y méprendre les quinquets de jadis, les spectateurs s'entassent pêle-mêle sur des bancs rustiques ». Se rendant dans un quartier populaire, le journaliste a cru bien faire en mettant un pardessus douteux et en se coiffant d'un chapeau mou, mais grande est sa gêne lorsqu'il se retrouve aux milieu de « familles entières d'ouvriers congrûment endimanchées, avec une ribambelle d'enfants de tous âges [...], d'honnêtes commerçants et de paisibles bourgeois du quartier, d'employés de bureau très corrects, de commis de magasin bien cravatés », p. 37-38.

* 646 Ibid., p. 43.

* 647 Ibid., « On verra plus tard les passions se déchaîner lors des représentations des pièces de la communarde. Les réactions du public nous sont connues par les rapports de police. Les inspecteurs s'intéressaient surtout aux réactions bruyantes et violentes des spectateurs. A leurs yeux, la pièce dangereuse est celle qui peut provoquer des manifestations, voire une émeute », p. 46.

* 648 Ibid., p. 42.

* 649 Vittorio Pini, anarchiste d'origine italienne, avait fondé avec son compatriote Parmeggiani vers 1887 un groupe libertaire à Paris qui se fit remarquer par son mépris des intellectuels. Le 4 novembre 1889, il fut condamné par les assises de la Seine à vingt ans de travaux forcés pour une série de cambriolages. Pini accueillit la sentence aux cris de : « Vive l'anarchie ! à bas les voleurs ! » ; voir Jean Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, 1880-1914, Flammarion, 1973, (sous la dir. de) Mireille Delfau, p. 427-432 ; il fut publié une première fois sous le titre Le Mouvement libertaire sous la Troisième République en 1930.

* 650 Rapport de police 3662 classé au dossier Leboucher, 20 décembre 1890, cité par M. Surel-Tupin, dans op. cit. Au temps de l'anarchie, t. II, p. 142.

* 651 Ibid., « quand le travailleur instruit et las de crever la faim et la misère aura compris que ceux qui se gavent le font avec les richesses qui sont le bien de tous, l'heure sonnera de la grande révolution sociale. On saura alors trouver des torches et des haches pour incendier les palais. L'heure de la vengeance populaire est proche ; les victimes de la bourgeoisie se préparent à une grande bataille aux cris de Mort aux voleurs ! Vive l'anarchie ! Oui travailleurs, soyons sans pitié ce jour-là pour les exploiteurs, massacrons-les tous, d'ailleurs mieux vaut mourir d'une balle sur une barricade que de crever le ventre vide. Mort aux gavés ! Mort à la bourgeoisie ! Vive les travailleurs ! Vive l'anarchie ! Vive la révolution sociale », p. 143.

* 652 Ibid. ; la Carmagnole est une chanson révolutionnaire anonyme et très populaire créée en 1792, quand l'Assemblée nationale vote la Convention et décrète l'arrestation du Roi après la Prise du Palais des Tuileries. Lors de ces épisodes révolutionnaires qui secouèrent le XIXe siècle, elle réapparaît en s'ornant de nouveaux couplets.

* 653 Cité par Jonny Ebstein, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 18.

* 654 La Grève : « [Vive la sociale du monde] », (III, 4, p. 185) ; « LE CHEF DE POSTE.- Qui est au pouvoir ? LE VIEILLARD.- [Personne]. C'est la République [qui fait le tour du monde,] la république de l'humanité [, la sociale]. [...] PREMIER SOLDAT.- Ah ! Je le crois bien, mon officier [, nous en sommes de la sociale] », (V, 4, p. 192).

* 655 Le Claque-dents, p. 234.

* 656 Jean Grave, responsable du Révolté (1883-87), puis de La Révolte (1887-94) et enfin des Temps nouveaux (1895-1914), et Emile Pouget, fondateur du Père Peinard (1889-1894), comptent parmi les principaux acteurs de cette presse anarchiste.

* 657 Jean Grave, op. cit., Quarante ans de propagande anarchiste, p. 23.

* 658 Ibid., « Dans les années 1890-1893, l'anarchisme exerce une grande séduction sur grand nombre de peintres (Signac, Luce, Pissaro, etc.) et écrivains (naturalistes et symbolistes, cf. Le Mouvement social, 1871, n°75) », note 3 p. 286.

* 659 Ibid., suite à la série d'attentats des années 1892-94, les échos de la presse se font solidaires : « Il va sans dire que tout cela avait surexcité l'opinion publique. Les journaux à moitié littéraires, comme l'Écho de Paris, le Journal, voire même parfois l'Éclair, étaient remplis d'articles, tout à fait révolutionnaires. Mirbeau, Séverine, Ajalbert, Bernard Lazare, Descaves, Geffroy, Arsène Alexandre écrivaient des articles purement anarchistes. Notre Supplément n'avait crainte de chômer. Bernard Lazare, Paul Adam, Henry Fèvre, Francis Viélé-Griffin, H. de Régnier, avaient fondé les Entretiens Politiques et Littéraires qui, à la fin, étaient devenus tout à fait révolutionnaires », p. 286-287 ; participèrent à cette revue symboliste mensuelle : Paul Adam, Stéphane Mallarmé, Élie et Élisée Reclue, etc., cf. note 2, p. 287.

* 660 Alain Badiou, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 12.

* 661 M. Surel-Tupin, op. cit. Au temps de l'anarchie, « Scènes et publics », t. I., p. 39.

* 662 Alain Badiou, op. cit. Au temps de l'anarchie, t. I, p. 12.

* 663 Ibid., p. 14.

* 664 Ibid., Alain Badiou entend viser par « catéchismes contemporains » : Les droits de l'homme, les tribunaux, les expéditions humanitaires, etc.

* 665 Louise Michel, op. cit., Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous, p. 36.

* 666 Ibid., p. 37.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams