Chapitre II: PROBLEMATIQUE
La gouvernance centralisée, héritée de la
colonisation, s'est accentuée après les indépendances,
elle n'était pas que politique, elle était aussi administrative
et surtout infrastructurelle. Dans les Etats africains, tout était
concentré dans la capitale au détriment du reste de leurs pays,
les services, les infrastructures, etc. Cette centralisation s'est
renforcée dans un contexte de tensions politiques et économiques,
aggravées par le programme d'ajustement structurel (P. A.S.) et la
grande sécheresse de 1970. Ce qui a favorisé une
répartition déséquilibrée de leurs populations dans
leur territoire avec un important afflux des populations rurales vers les
grandes villes. Dakar n'a pas échappé à ce
phénomène, elle est depuis plusieurs années le
réceptacle de l'espoir des ruraux, essentiellement composés
d'agriculteurs qui ne veulent plus faire face aux crises
répétitives dans le secteur de l'arachide et surtout
dépendre des saisons de pluies capricieuses.
La capitale Dakar est un paradoxe, Dakar à l'image des
autres villes subsahariennes, se caractérise par une concentration des
infrastructures et des services au détriment du reste du pays qui est
dépourvu de tout. Malgré l'espace moins important qu'elle occupe,
sa forte démographie qui reste la plus élevé du pays, ne
cesse d'accroître sous l'exode successif de ruraux à la recherche
du miracle. Avec 0,28 % de la superficie totale du pays, elle est la
région qui a la plus petite superficie du Sénégal, mais
elle représente plus de 25 % de la population nationale, environ 3 429
370 habitants en 2016. Le rythme d'accroissement démographique
extrêmement rapide de 5,6 % par an sur ce petit espace, fait qu'elle est
aujourd'hui confrontée à de nombreux dysfonctionnements :
embouteillage, pollution, quartiers mal-lotis, habitation précaire,
pauvreté, gestion urbaine inefficace.
Le centre-ville de Dakar est un champ de bataille lorsqu'il
s'agit d'y installer ou d'y trouver un emploi. Son attractivité et son
influence sur les autres villes secondaires, lui ont causé des maux
auxquels il est aujourd'hui confronté. Parmi ses difficultés,
l'accès à la terre occupe une place importante, il devient une
nécessité pour la majorité des Dakarois.
Le foncier n'existe plus au centre, voir se fait rare,
à cause, d'une forte densité et la concentration de tous les
services relevant de facto le coût des rares lopins de terre disponibles.
Cette situation a fini par provoquer un mitage urbain dans les zones
périphériques surtout la banlieue mettant un frein à de
possibles aménagements dans des zones la plupart mal-lotis, il en est
ainsi de Pikine, Guédiawaye et Parcelle-assainies qui sont la
conséquence
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d'expulsion d'une certaine catégorie sociale d'un
centre devenu saturé. Ces nouvelles zones, des quartiers populaires, la
plupart, se caractérisent par des habitats spontanés, avec des
constructions sur des lieux qui étaient considérés jadis
comme non-aedificandi d'où les causes d'inondations, difficultés
d'accès, absence de système d'assainissement.
Aujourd'hui à cause du relèvement du niveau de
vie des populations de la banlieue, la logique de la starification sociale qui
régissait l'occupation de l'espace est en train de connaître une
mutation profonde. En effet, ce changement de statut trouve sa source dans le
regard qu'on porte de la banlieue dakaroise qui n'est plus vu comme un nid
exclusivement réservé aux couches défavorisées.
Mais cette mutation est également facilitée par
un processus de désengorgement du centre-ville avec plus de services et
d'infrastructures routières connectées aux villes secondaires et
aux périphéries. La préférence des zones
périurbaines par les populations urbaines a été
facilitée de ce fait, par l'accessibilité du centre, mais surtout
du coût relativement faible du foncier dans le périurbain par
rapport au centre-ville.
Le département de Rufisque est aujourd'hui le
département le plus sollicité en matière d'habitat, du
fait qu'il a le plus important réserve de terre de la région de
Dakar. Dakar s'asphyxie de son centre et englobe progressivement l'espace du
département de Rufisque. La volonté de l'Etat du
Sénégal de désengorger Dakar à travers la
création de pôles de Diamniadio et Lac Rose et la construction de
l'autoroute à péage n'ont fait qu'accélérer ce
processus. Les collectivités territoriales qui sont dans les
périphéries de la ville de Rufisque subissent aujourd'hui une
forte demande foncière. Ces nouvelles communes autrefois des
communautés rurales, espèrent recouvrir une autonomie
financière avec l'Act 31, en profitant de la soudaine
attractivité du département. Elles diversifient leurs sources de
revenus grâce à la création et l'installation des
établissements privées.
Notre sujet, va porter sur l'impact de la croissance urbaine
dans le Nord du département de Rufisque précisément sur
les communes de Bambilor et de Tivaouane-Peulh- Niague. Ces deux communes qui
font partie des 4 Communes qui constituent le Nord du département de
Rufisque2.
Si la forte demande foncière ne fait qu'accroître
la place des recettes du foncier sur le budget de ces deux communes, par contre
dans d'autres communes du département, le foncier est si
1 L'acte 3 a consacrée l'autonomie
financière des collectivités territoriales avec plus de
compétences
2 Sangalkam, Bambilor, Tivaouane-Peulh-Niague et Jaxaay Parcelles
Niacoulrap
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rare qu'il devienne une nécessité. Des villes
comme Rufisque et Bargny ont presque épuisé leurs réserves
foncières et sont poussées par une mer agressive à
grignoter les réserves des autres communes limitrophes.
Ainsi, l'espace vert qui limitait la commune Rufisque-Est et
Bambilor est presque occupé malgré la résistance de
quelques petites parcelles de champs. L'autoroute à péage qui
fait office aujourd'hui de nouvelles frontières, n'empêche
guère des conflits fonciers. Cette situation est similaire dans la
commune de Bargny où la Sococim est constamment en conflit avec la
commune pour des questions foncières, notamment sur l'extension de ses
mines de carrières vers le Nord-Ouest.
Bambilor et de Tivaouane-Peulh-Niague font partie des communes
qui détiennent les plus grandes superficies du département. Elles
font l'objet d'une très forte pression foncière.
L'immensité de leur réserve foncière et l'absence de
secteurs porteurs de sources de revenus, placent le foncier comme principale
source de revenue de ces communes.
Les enjeux fonciers ne tournent pas qu'autour des
collectivités locales, la vocation agricole de la zone fait des
agriculteurs et la population locale, des acteurs aussi importants que les
collectivités locales. Dans un contexte marqué par la
spéculation foncière, la transformation d'espace autrefois
destinée à l'agriculture en lieu d'habitation ne peut que les
impliquer et les mener vers une mutation irréversible. Les enjeux
fonciers sont aujourd'hui une évidence dans toutes les communes qui ne
prennent pas le risque d'enclencher leur mue pour se mettre en phase avec les
possibilités qu'offre l'Acte 3. Les reformes foncières et surtout
les nouveaux droits insérés dans la constitution de 2015 qui
donnent une place importante aux populations locales quant à la gestion
de leur ressource locale.
Cependant, ces différentes reformes tardent à
surmonter les contraintes sociales, politiques, économiques et
culturelles qui prévalent toujours dans certaines zones ou les
réalités restent encore en déphasage avec les normes
édictées par l'Etat. Les enjeux révèlent aussi le
paradoxe dans les politiques menés par l'Etat. L'Etat fait face à
un dilemme qui est à la fois la nécessité de concentrer sa
politique de logement dans le département de Rufisque et l'obligation de
maintenir simultanément l'équilibre écologique de la
région de Dakar en préservant surtout la vocation agricole de la
zone des Niayes qui englobe la partie Nord-est du département de
Rufisque. Ce qui soulève l'intérêt même de notre
sujet qui met l'accent sur la spécificité de notre zone
d'étude, qui en dehors de faire partie des Niaye avec sa vocation
agricole, est aussi une zone considérée comme le cordon de
l'équilibre écologique de la région de Dakar. En effet,
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les communes de Bambilor et Tivaouane- Peulh-Niague ont la
particularité d'être des zones qui disposent encore des
réserves de terre. Mais elles constituent aussi une importance cruciale
pour la préservation de l'équilibre écologique de la
région de Dakar.
L'autre intérêt réside sur l'importance du
département de Rufisque dans la politique du régime actuel vu les
importants projets et les investissements qui y ont été
consentis.
L'impact de ces projets (pôles urbains de Diamniadio et
Dakhakolpa, pôle touristique de Lac Rose et l'autoroute à
péage Dakar-Diamniadio) sur le foncier de notre zone d'étude
mériterait d'être évoqué. Ainsi, il serait pertinent
face à cette réelle attractivité de s'interroger sur le
système d'acquisitions des terres dans notre zone d'étude ?
D'analyser l'efficacité des règles directes et
indirectes qui régissent le foncier? D'étudier les conflits
fonciers qui existent dans ces localités, leurs causes et leurs
manifestations.
CHAPITRE III : CADRE CONCEPTUEL I. Cadre
conceptuel
- Foncier :
Le foncier provient du vocabulaire juridique occidental, il
est issu de l'ancien mot français fond, ce dernier remonte au terme
gallo-romain fundus qui désigne le fond de la nature de toutes choses.
Ayant valeur d'un adjectif, le foncier désigne les rapports de droits
entre les personnes et un fond de terre. On parle donc du foncier comme
l'exploitation, l'imposition d'un fond de terre par un ou un groupe de
personnes, chefs coutumiers, etc. Le foncier révèle le rapport
entre l'homme et son espace. Cette conception du foncier a été
reprise par le dictionnaire Brunet qui le défini comme « l'ensemble
des terres vues sous l'angle de leurs appropriations et de leurs occupations.
»
- Croissance urbaine :
La croissance urbaine est une extension des villes qui trouve
le plus souvent son origine à travers l'augmentation de la population
urbaine, d'où le phénomène d'urbanisation. En
20
s'étendant, les villes ont tendance à s'aplatir
(les habitations ont moins d'étages.) et à provoquer une hausse
du prix du foncier. Les terres agricoles situées aux alentours des
villes sont souvent les plus touchés. De plus en plus de personnes
viennent vivre en ville. Les causes de ce déplacement sont
différents .Dans les pays développés la
mécanisation de l'agriculture a entraîné une diminution des
besoins en main-d'oeuvre dans les campagnes. Ainsi beaucoup de ruraux sont
contraints de rejoindre les centres urbains en espérant trouver du
travail (phénomène de la prolétarisation). Alors que dans
les pays du Sud surtout en Afrique, ce déplacement est le
résultat d'importants déséquilibres entre les villes et
les campagnes. Ces villes souvent celles qui centralisent le pouvoir,
concentrent les équipements, les infrastructures et toutes les fonctions
économiques se rendant incontournables aux yeux des ruraux. Ce
phénomène participe à l'augmentation de la population
urbaine de ces pays en voies de développement qui croît
très rapidement. Ainsi les plus grandes villes des pays en
développement rattrapent ou dépassent en taille celles des pays
développées. Nombre de ces néo-urbains vivent dans des
bidonvilles.
- Enjeu foncier :
L'enjeu est ce qui est mis en jeu et qui implique un gain ou
une perte. Aborder l'enjeu foncier, c'est relever les défis qui
entourent aujourd'hui le foncier.
Dans le monde et plus particulièrement dans les villes
africaines Parler des enjeux fonciers revient à identifier les
difficultés rencontrées sur la question foncière urbaine
et les éventuelles possibilités d'amélioration et de
gestion afin de répondre aux besoins des habitants. En d'autres termes,
si le foncier se résume comme étant les rapports sociaux qui se
nouent autour de l'appropriation, l'usage et l'utilisation du sol. Les enjeux
fonciers peuvent être considérés comme la pluralité
dans la perception de l'usage du sol. Cela est souvent à l'origine de
multiples conflits d'ordre social, économique et juridique.
En effet si dans les villes occidentales des moyens et
mécanismes ont permis aux autorités de faire face à
l'urbanisation et à la demande foncière qu'elle engendre. Les
villes africaines, par contre, ont connu un rythme d'urbanisation très
accélérée qui ne joue pas en faveur d'une distribution
juste et équitable des terres. Ainsi, la question primordiale de
l'accès à la terre revient au premier plan. Actuellement, le
statut du foncier évolue et se transforme en permanence avec
l'urbanisation. On passe ainsi de la propriété collective
à la propreté individuelle encore appelée « familles
élémentaires », rencontrée un peu partout dans les
21
grandes villes africaines. Cela contribue ainsi à
accentuer la pression foncière dans ces villes comme en
témoignent les litiges fonciers qui ont surgit lors de ces
dernières décennies dans les zones de fortes concentrations
urbaines.
- Espace agricole
L'espace agricole est constitué d'espaces
cultivés, aménagés, clôturés ou
surveillés afin d'interdire l'accès à la zone. Ces champs
peuvent se trouver sois sur une terre villageoise, familiale ou personnelle.
Nous pouvons recenser dans cette catégorie les jardins maraîchers,
les vergers, les périmètres irrigués villageois ou
privés BARRIERE (1996). Les espaces agricoles peuvent permettre de
différencier les empiétements ou les atteintes qui touchent
l'activité agricole et diminue son espace, c'est pourquoi, on parle de
"colonisation agricole généralisée" dans les zones rurales
qui peut provenir de l'accroissement démographique, à l'extension
des cultures de rente et à la réaction des agriculteurs à
la baisse de la fertilité des sols ou à la sécheresse.
Cela se traduit par un empiètement progressif de l'espace agricole sur
l'espace pastoral et de nouvelles formes d'organisation de l'espace. Dans un
contexte de croissance urbaine, les empiétements dans l'espace sont plus
dus à l'avancée du bâti que de l'espace qui se voit lui
aussi menacer.
- Conflit foncier et litige foncier :
Un conflit est une situation d'affrontement par rapport
à des enjeux précis, individuels ou collectifs. De ce fait, des
divergences apparaissent entre les différentes parties concernées
qui mettent alors en place diverses stratégies et tactiques pour arriver
à leurs fins. Celui-ci représente un moment
privilégié de l'échange d'informations diverses par
l'usage de la parole entre les parties directement concernées, mais
aussi entre celles-ci et les différents acteurs qui interviennent
à un moment ou à un autre dans le processus.
Un conflit foncier comme son nom l'indique tourne autour de la
terre. Il y a conflit foncier lorsque les intérêts individuels ou
collectifs relatifs à une terre sont en conflit. Les conflits fonciers
peuvent survenir à plusieurs échelles et différentes
catégories de personnes. Si dans les zones rurales, ils sont traduits
par une lutte entre deux corps de métiers les éleveurs contre les
agriculteurs, surtout en période de saison sèche ou les zones en
pâturages se font rares.
Dans les zones urbaines, les conflits sont plus individuels et
ont la plupart du temps une connotation civile. Mais très souvent, les
interactions entre zones urbaines et zones
22
rurales caractérisées par la croissance urbaine,
soulèvent des conflits fonciers qui vont concerner les espaces agricoles
des zones rurales.
Quant au litige foncier, il est la juridiction d'un conflit, car
il se caractérise par l'intervention d'une autorité judiciaire
quelconque pour le régler.
CHAPITRE VI : CADRE OPERATOIRE LES QUESTIONS DE
RECHERCHE
- Question générale
Quels sont les impacts des dynamiques urbaines sur le foncier des
deux communes de Bambilor et Tivaouane-Peulh- Niague?
- Questions spécifiques 1 :
Quels sont les indicateurs des enjeux fonciers dans les communes
de Tivaouane-Peulh-Niague et Bambilor?
- Questions spécifiques 2 :
-Et enfin les conflits fonciers ne révèlent-ils pas
l'inefficacité de la gouvernance foncière?
LES OBJECTIFS DE RECHERCHE - Objectifs
générales de l'étude
L'objectif de cette étude est d'étudier les impacts
des dynamiques urbaines sur le foncier des communes de Bambilor et
Tivaouane-Peulh-Niague.
Ce travail consiste :
- Objectif spécifique 1 :
Etudier les relations entre conflits et enjeux fonciers
- Objectif spécifique 2 :
Etudier les relations entre conflits et gouvernance
foncière.
LES HYPOTHESES DE RECHERCHE
- Hypothèse générale :
Les changements sur les modes d'appropriations, les
ségrégations sociales en matière d'accès à
la terre ainsi que les compétitions entre acteurs pour le contrôle
de la terre sont les principaux
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impacts des dynamiques urbaines sur le foncier des communes de
Bambilor et Tivaouane Peulh-Niague.
Les réflexions qui découleront de
l'hypothèse générale auront pour but de soulever d'autres
hypothèses spécifiques comme :
- Hypothèses spécifiques 1:
Les conflits fonciers sont des indicateurs des enjeux fonciers
dans les communes de Bambilor et de Tivaouane-Peulh-Niague .
- Hypothèses spécifiques 2:
Les conflits fonciers révèlent
l'inefficacité des organes et instruments qui régissent le
foncier.
Tableau n o 1:
Présentation des variables
Hypothèses
|
Variables
|
Variables
indépendantes
|
Variables dépendantes
|
Hypothèse spécifique 1 : Les conflits
fonciers sont des indicateurs des enjeux fonciers dans les
communes de Bambilor
et de Tivaouane-Peulh-Niague .
|
V.I.1 : Les conflits
fonciers
|
V.D.1 : Approches
typologiques de ces conflits
|
Hypothèse spécifique 2 : Les conflits
fonciers révèlent l'inefficacité
des organes et instruments qui régissent le foncier.
|
V.I.2 :L'inefficacité des
règles foncières
|
V.D.2 : Les contraintes politiques et financières
V.D.3 :L'incohérence des politiques territoriales en
matière foncière
|
24
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