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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master de médiation culturelle 2010
  

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IV.1.c - L'esthétisation du suicide

Il faut admettre l'impossibilité profonde de faire métier tout ce qui est ouverture sur l'être. Et l'art devient l'ennemi de l'artiste lorsqu'il l'enchaîne dans des attentes, et si c'est une logique qu'il a lui-même amenée, il doit comme pour se purifier de lui-même, se distancier vis-à-vis des systèmes qu'il vient d'établir. C'est dans la fuite qu'il faut poursuivre ses explorations, et c'est dans le silence de la disparition que l'artiste se libère de ses aliénations, l'appétit pour l'insoupçonné ne pouvant s'apaiser que dans des expériences franches et insensées. Dans ce sens, l'exposition collective du Palais de Tokyo, Fresh Hell, présentait des artistes au courage indéniable, dont certains avaient préféré se perdre plutôt que de se répéter. Parmi eux, c'est une belle image de ce mythe de la fuite que l'artiste néerlandais Bas Jan Ader. Déjà aux Beaux Arts, il n'utilisait que trois feuilles canson à l'année, laissant pour oeuvre l'effilochement de ses bribes de papiers, des pages blanches où ne subsistent que des traces d'une expressivité camouflée. Adepte de l'esthétique de la chute, ses vidéos le montre se jeter de l'air, questionnant le corps et son équilibre, mettant en jeu les difficultés d'adhérences qui incombent à tout être faisant effort pour exister. Dans Untitled (Tea Party), une série de photographies présentées dans Fresh Hell, Bas Jan Ader est surpris de la chute d'un piège qu'il a lui-même mis en

149 « Disavowal of the work becoming a new source of its validity, a certificate of unchallengeable seriousness » Susan Sontag, « The Aesthetics of Silence » in Stills of Radical Will, Picador, 2002

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place. Et dans une dernière tentative pour défier les lois de la rationalité, à la manière de l'implacabilité d'un dandy qui s'impose des règles sociales strictes pour questionner la rigueur, il défie d'insolence l'océan. Embarquant sur un croiseur de poche, il nomme In Search of the Miraculous cette performance qui vise la traversée de l'Atlantique. Ne subsistera de cette tentative de dépassement que son petit bateau, retrouvé abîmé près des côtes irlandaises.

L'exposition Fresh Hell convoquait face à face l'oeuvre de Bas Jan Ader à deux vidéos de Gino De Dominicis. Faisant aussi référence au thème de la disparition de l'artiste, ces vidéos permettaient au spectateur d'envisager sa pratique. Sur Tentativo di far formare dei quadrati invece che dei cerchi attorno ad un sasso che cade nell'acqua» e «Tentativo di volo, De Dominicis tente de former un cercle en jetant une pierre dans l'eau. Sur Tentativo Di Volo, il défie les lois de la gravité. Ces deux canulars augurent l'adéquation entre l'oeuvre et la vie de cet homme. Obsédé par la contemplation de la mort, De Dominicis annonce à mainte reprise sa propre disparition, met en oeuvre sa propre mort en publiant des fausses nécrologies. L'artiste publie dans des revues d'art ou des journaux d'informations de multiples communiqués, l'occasion de fonder une biographie chaque fois différente de lui-même. Il use de la réceptivité de sa mort pour forger son identité. Ainsi c'est dans la fuite, dans l'esthétisation de leur suicide qu'Ader et De Dominicis posent après Lautréamont, Rimbaud et Cravan la disparition comme l'ultime geste de l'artiste accompli. Relevant de l'esthétique de soi le choix du silence ne réduit paradoxalement pas la portée de l'oeuvre. Au contraire elle lui confère du pouvoir, de l'autorité. En fuyant la sphère de l'art, l'artiste continue de parler, mais d'une manière que l'audience ne peut pas entendre. Il prend en compte la faculté expressive de la renonciation. Car pratiqué dans un monde de réaction normée, spolié par le mensonge du langage, l'art devient l'ennemi de l'artiste puisque l'objet créé l'empêche de réaliser la transcendance qu'il désire. L'art commence à être perçu comme ce qui doit être dépassé. L'artiste détruit son oeuvre, appel à l'abolition de l'art lui même. C'est dans le suicide esthétisé que Bas Jan Ader et De Dominicis ont trouvé l'espace pour survivre entre le spirituel de l'art et la matérialité de l'oeuvre.

La disparition dans le silence laisse les états de fait ouverts, portant la confusion à son apogée. Et s'il est possible d'envisager un art de la disparition, il faudrait voir ici

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une résurgence singulière de l'expression lyrique. Avec une violente conscience de la fuite, ces destins de vies envisagent la beauté en transparence sur ce qui la menace, quitte à embrasser le danger. Car l'art doit venir contredire les logiques dans lesquelles nous nous sommes immiscées. Il doit offrir des illusions cinglantes, aptes au renversement, à la perte des modèles comme aux voies préétablies. L'art permet à l'artiste de se sentir en vie. Et c'est la disparition, cet absolu qui seul par le silence, peut répondre à toutes les questions.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille