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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master de médiation culturelle 2010
  

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II.2. Variation contemporaine sur le thème de la Vanité classique

Les oeuvres présentées dans cette partie peuvent toutes être reliées, au moins dans leurs champs sémantiques, aux thématiques des vanités classiques. Le terme - vanité - vient du latin vanitas, littéralement l'« état de vide ». Ce thème apparaît dans la peinture occidentale au XVIIe siècle, en Flandre particulièrement. Liée historiquement avec la traduction et la divulgation en langues européennes des textes védiques, dont l'idée d'impermanence est l'une des idées clefs, la peinture des vanités offre généralement une méditation sur la mort et sur le caractère éphémère des biens terrestres. Et s'il revient à des objets statiques de signifier la fuite du temps, d'avertir de la fin inexorable, ces oeuvres proposent dans les énoncés qu'elles mettent en scène, des récits qui dévoilent son inéluctable déroulement.

« Représenter l'inexorabilité du mouvement qui entraîne vers la mort par un procédé pictural qui joue essentiellement sur la mise en valeur de l'objet relève d'une gageure au sens où c'est l'accent porté sur la pérennité de l'objet que revient le rôle de témoigner de la fuite du temps et de la fugacité des choses.88 »

88 Marie-Claude Lambotte, « La destinée en miroir » in Alain Tapié (dir.), Les Vanités dans la peinture au XVIIe siècle, Albin Michel, 1990

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Si le temps du contenu reste statique, celui de l'énoncé est empreint d'un dynamisme instable, qui rejoint l'idée du temps et de son impermanence. Ces sculptures statiques offrent ainsi par leurs dynamismes réfléchis, une mobilité temporelle. Reprenant à leur compte l'adage latin du Memento mori À souvient toi que tu es mortel À ces oeuvres jouent le rôle d'un miroir. Le spectateur s'y reflète pour y découvrir la révélation de ce qui le définit, la mort et de la fuite du temps qui l'y acheminera. Marie-Claude Lambotte distingue d'ailleurs trois temps dans le processus de déplacement temporel suscité par la vanité, étapes qui « constituent intrinsèquement la psychologie du temps89 ». En montrant la fin de toute chose, la vanité incite le spectateur à considérer la fin de son existence. Cette prise de conscience l'amène tout d'abord dans un état de « suspension », un choc qui le laisse presque patois. Ensuite, par un phénomène d'« anticipation », la finitude de sa condition existentielle s'abat sur lui, prenant subitement en compte la périssabilité de son propre corps. Enfin, la vanité suscite par un processus de « rétroaction », la prise en compte de ce qui est déjà révolu, comme pour les ruines, de ce qui a déjà disparu. Et en se situant dans l'ordre de la présentation plutôt que de la représentation, l'art contemporain parvient à susciter des émotions encore plus directes. À la différence des peintures de vanité, qui usaient du signe pour se permettre de communiquer, la portée des vanités contemporaines présentées au Palais de Tokyo accable le spectateur, développe un discours en lien direct avec son pathos. Poignante, les oeuvres présentées ici sont autant de manifeste à la prise de considération de l'impermanence comme élément fondamental du vivre. Pour ce faire, elles adaptent en sculpture les motifs classiques du thème de la vanité : squelette pour signifier la fragilité des choses humaines, instrument de mesure du temps pour rendre compte de son inéluctable déroulement, fleurs pour la périssabilité des choses...

II.2.a À Ossements, crânes et squelette

Pour l'exposition de leur fin de mandat, Notre histoire..., Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans présentait vingt-neuf artistes « représentatifs » de la scène émergente

89 Marie-Claude Lambotte, « Les vanités dans l'art contemporain, une introduction » in Anne-Marie Charbonneaux (dir.), Les vanités dans l'art contemporain, Flammarion, 2005

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française. Dans l'espace de la verrière était installé le squelette monumental d'Adel Abdessemed. Intitulé Habibi90 (2004), l'oeuvre était squelette géant suspendu dans les airs, comme propulsé par le moteur d'avion à réaction qui lui faisait dos. Monumentale mais flottante, la sculpture « préparait à notre propre envol91 ». Face à ce squelette géant, le spectateur était partagé entre trouble et rire. Se développant sur 17 mètres, cette oeuvre était empreinte, pour reprendre la terminologie de Freud, d'une « inquiétante étrangeté ». S'inspirant du Schleletro de Gino De Dominicis, un squelette allongé de 22 mètres de long auquel était adjoint un nez en forme de bec d'oiseau, Habibi rappelait l'insignifiance de l'homme face à la mort. Par son gigantisme, l'oeuvre ramenait les fantasmes de puissance à leur nature infantile, les ravalaient au rang de farce. Ce qui était ici moqué, c'est l'homme et ses rêves de dépassement. Invitant à la modestie et la lucidité, l'oeuvre mettait au jour ce que tout le monde sait mais qui semble impalpable, la fin inévitable.

Présenté dans l'exposition collective Dynasty - une exposition du mandat de Marc-Olivier Wahler qui avait aussi pour ambition de faire le point sur la scène émergente française À l'oeuvre de Laurent Le Deunff reprenait les allégories des vanités de la peinture classique. À l'opposé de l'extrême dimensionnalité du squelette d'Adel Abdessemed, Laurent Le Deunff présentait Crâne92 (2002). Posé à une cinquantaine de centimètres du sol sur un socle anormalement bas, ce qui accentuait sa petite taille, l'artiste montrait la sculpture réduite d'un crâne humain. Fait en pâte à modeler, l'artiste y avait adjoint une année de la production de ses propres ongles. Ces rognures accentuaient le côté morbide de l'oeuvre, comme si un malheureux avait gratté pour mettre à jour la substance friable qui le constitue. Mais l'aspect quelque peu repoussant de cette vanité trouve aussi une autre explication. Si elle succombe aux tentations esthétiques, la vanité se retourne contre elle-même. Pour inciter à la réflexion sur l'impermanence des choses, il importe donc que le spectateur ne se contente pas de l'observer, n'en jouisse pas comme d'un spectacle. Crâne répondait à ce retrait esthétique comme révélateur méditatif.

90 Fig. #26

91 Sven-Olov Wallenstein, « Vivre parmis les choses » in Notre Histoire, Paris Musées, 2006

92 Fig. #27

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Toujours sur le motif du crâne, deux pièces À présentées chacune dans l'un des deux directorats - peuvent être ici regroupé. Lorsqu'il était encore directeur du Swiss Institute de New-York, Marc-Olivier Wahler commandait à l'artiste français Bruno Peinado Vanity flight case93 (2005). En poste au Palais de Tokyo, le directeur représentait cette pièce au sein d'une exposition hors les murs en Argentine, intitulé Medio Dìa - Media Noche (2007). Comme les crânes qui ont rendu célèbre Damien Hirst, Vanity flight case était une tête humaine à laquelle était adjointe des morceaux de miroirs réfléchissants. Plongé dans l'obscurité, un flash de lumière venait éclairer ce crâne, comme une boule à facette. Le temps du plaisir, insinué par l'ustensile de la fête, était calqué sur celui de la dégradation. Par ce tour, Bruno Peinado moralisait l'anatomie, tant ce crâne semblait vouloir dire qu'il est si assommant de s'amuser lorsqu'on en ressent à aucun degré l'utilité. À cette pièce peut être accolé le travail de Nicolas Juillard, The Waiting Room94 (2005). Présentée lors de l'exposition de groupe de la session 2005 du Pavillon À la résidence artistique du Palais de Tokyo À la pièce prenait depuis l'extérieur la forme d'un réservoir industriel. Invité à y pénétrer, le spectateur était confronté à un crâne grandeur nature qui tournait presque en lévitation sur lui-même. En évoquant une sorte de purgatoire, le petit espace de cet austère silo d'acier insinuait plus directement des relations avec l'intime. Le crâne de Nicolas Juillard était aussi paré d'une mosaïque d'éclats de miroirs, comme celles qui sont sur les boules discos des boîtes de nuit. Naguère habitées par des yeux, les orbites du crâne accueillaient désormais des hauts parleurs diffusant une bande-son dérangeante comme irrévérencieuse. Ces samples étaient extraits de films pornographiques et de chansons rock. Intitulé The Waiting Room, l'installation invitait le spectateur à danser sur sa mort prochaine, mettant à jour les stratégies artificielle qui lui permette d'accepter sa peine. Les oscillations lumineuses provoquées par le crâne venaient lui rappelait la mort, comme à tous les autres danseurs qui tenteraient de l'oublier. Mais le dispositif n'était pas seulement morbide. Affichant le volage comme partie constituante de la vie, le dispositif affirmait l'existence comme belle car précaire, au sens où Nietzsche parle d'un « éphémère de l'impermanence acceptée.95 » L'installation invitait à affirmer l'éphémère comme entité constituante du vivant, comme processus nécessaire de la vie, tel le danseur

93 Fig. #28

94 Fig. #29

95 Cité dans Christine Buci-Glucksmann, Op. cit.

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de la fin de Zarathoustra. Dansant devant ce crâne, le spectateur prenait conscience de la fuite du temps, et accélérait de fait ses pas, dansait comme d'une intensité davantage puisqu'il venait d'apprendre qu'il était mortel.

II.2.b À Des fleurs comme motif du temps

Au côté des crânes et des squelettes, d'autres motifs prennent appui sur le modèle rhétorique de la vanité. Par le cycle qui les mène de la graine à la fanaison, les fleurs reconstituent la psychologie intrinsèque du temps. Comme symbole, la fleur montre la décrépitude à venir, interpelle le spectateur au plus sensible de son intime. En usant de la fleur comme médiation, deux expositions du Palais de Tokyo levaient le voile de l'illusion et présentaient, en un face à face entre l'oeuvre et son regardeur, la vérité de l'impermanence du temps.

À l'échelle un, hyper réaliste, Yoshihiro Suda produit à la main des fleurs de vase, des camélias, des roses, des magnolias... Sous le premier directorat, l'artiste était invité à installer ses sculptures dans les recoins de l'institution96. Il choisissait des lieux spacieux, presque vides, pour placer ses fleurs à des endroits inattendus. Sans socle protecteur, sans cartels pour avertir de leur présence, les oeuvres étaient presque invisibles. Mais quoique minuscules, les sculptures de Yoshihiro Suda plaçaient l'espace sous tension. Comme pour révéler des fissures cachées, ses interventions délicates offraient aux spectateurs l'occasion de méditer sur « le cycle des saisons, c'est-à-dire sur le passage du temps, la vie, la mort.97 » L'insertion de ces fleurs montrait une nature infiltrant l'environnement urbain en tant que chose non désirée. Comme un bouton sur un visage, les fleurs perturbaient le glacis architectural de l'espace, venaient symboliquement entacher la perfection neutre des murs blancs du Palais de Tokyo. En célébrant la faille, elles proposaient un déplacement temporel qui faisait apparaître les espaces d'exposition, comme le vestige d'un passé révolu. Comme s'il voulait faire confidence de notre vulnérabilité, Yoshihiro Suda mettait à jour l'inévitable césure qui nous perdra tous.

96 Fig. #30

97 Akiko Miki, « Germination aléatoire » in Yoshihiro Suda, Palais de Tokyo, 2004

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Intitulé Abandon98, l'exposition de l'artiste américain Tony Matelli prenait place dans les deux espaces des modules. L'artiste y insérait des mauvaises herbes en bronze sculptées à la main. Hyper réalistes, ces statuettes miniatures reproduisaient à la perfection ces plantes indésirables et envahissantes. Plus présent que dans le travail de Yoshihiro Suda, les mauvaises herbes de Tony Matelli avaient un aspect foncièrement engagé. Dans ces autres travaux, l'artiste américain critique avec virulence la société marchande et les gages d'éternité qu'elle se propose d'offrir. Dans Cinq milliards d'années, il montrait un singe empaillé dans la posture de somnambule, yeux fermés et mains tendues. Rêvant de notre monde, le songe du primate plaçait le spectateur dans un cauchemar : celui de l'évolution lente mais destructrice. S'arrogeant le titre d'un recueil de poème de T.S. Eliot, il intitulait une autre de ses expositions Europe is a Vast and Desolate Wasteland. Dans Chasing Napoleon, il présentait Fuck it ! Free yourself, deux billets de 500 euros qui brûlaient continuellement sans jamais se consumaient. Les mauvaises herbes qu'il présentait dans l'exposition Abandon étaient aussi de ces objets prosaïques qui signifient à la fois le vide et la vie99. Ces herbes folles proposaient un déplacement temporel qui disait précisément « abandon » à la pièce. Comme Robert Gober et ses éviers100, les oeuvres de Yoshihiro Suda et de Tony Matelli jouaient une fois insérées dans l'espace, un pouvoir de simulation imparable. Hyperréalistes, elles indexaient la notion de durée et tendaient à donner l'impression de caducité. Les deux artistes parvenaient à transformer les mauvaises herbes et les fleurs en un concept, un processus qui escortait le spectateur dans l'indétermination. Leurs oeuvres rendaient compte de l'écoulement prévisible du temps, qui viendra insérer du végétal dans les fondations hermétiques de l'architecture de nos villes.

II.2.c À La mesure du temps : montre et bougie

Installée depuis 2006 à la cime du perron de la porte d'entrée du Palais de Tokyo l'oeuvre de Gianni Motti définit par sa présence, la position esthétique du lieu. Elle est le symbole de la position curatoriale de Marc-Olivier Wahler, qui l'installait dès sa

98 Fig. #31

99 « The Waste and life at the same time » Lisa Fischman, « Transformer » in Tony Matelli, Leo Koenig Inc., 2003

100 cf. I.3.a

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prise de fonction. Big Crunch Clock101 se présente sous la forme d'une horloge numérique qui décompte au millième de seconde près, le temps qu'il nous reste avant la phase de décélération de l'univers. Combinée avec une baisse des réserves d'hydrogène disponible, cette phase de décélération annoncera le déclin inéluctable de notre étoile. Dans ses derniers instants, le soleil gesticulera avant de s'éteindre éternellement, combinant dans son déclin, notre système solaire. Le laps de temps qu'il nous est donné à vivre, cinq milliards d'années, donnait d'ailleurs son nom à la première exposition du mandat de Marc-Olivier Wahler, où l'idée d'impermanence imposait sa marque, comme vue dans la première partie du mémoire. Accompagnant cette exposition, Big Crunch Clock était la transcription plastique contemporaine des discours eschatologique, marquait l'avènement de la chute prochaine, de la fin irrémédiable. Lorsque le critique d'art Timothée Chaillou demande à Gianni Motti :

« Serait-ce la vanité absolue, celle qui indique la réelle fin des temps, non plus sur un mode métaphorique ? »

L'artiste de répondre :

« Oui la vanité ultime.102 »

L'idée qu'une vanité ait besoin d'une matérialité figée pour continuer à exprimer l'impermanence du temps a été prise en compte dans l'élaboration de cette oeuvre. Ironie du sort, Big Crunch Clock fonctionne à l'énergie solaire, cessera théoriquement de battre la mesure à l'extinction des rayons du ciel. Se présentant comme le détonateur qui annulera le temps, l'oeuvre installe une tension, induit du stress pour le spectateur. Celui-ci voit les derniers chiffres défiler très rapidement. Il lui rappelle l'écoulement du temps présent. Les autres chiffres, à la gauche du compteur restent figés. Destinés aux générations futures, ils rappellent que si le spectateur est hors d'affaire, tout n'est qu'une question de temps. Une horloge en milliards d'années qui nous situe face à un temps immensément long, tandis que ces secondes nous rappellent l'urgence de ce décompte, de cette fin prévue, de cet

101 Fig. #32

102 Timothée Chaillou, « Gianni Motti, Big Crunch Clock » in Catalogue de collection du FRAC Franche-Comté, 2011

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inéluctable craquèlement. Interpellant chaque spectateur non pas parce qu'elle mesure une échéance proche, mais parce qu'elle rend compte d'une échéance certaine, Big Crunch Clock inquiète puisqu'elle insinue l'inexorable fin de toute chose, tant matérielle qu'immatérielle.

Le spectateur pouvait aussi voir dans Cinq milliards d'années, l'oeuvre d'Urs Fischer, Untitled (Branches)103. En l'accrochant à un moteur suspendu, l'artiste faisait léviter une branche dans les airs. Dessus, il installait deux bougies qui en se consumant, dessinait des cercles de cires sur le sol. Les circonvolutions de la branche dressaient comme une ronde, symbole de l'éternel recommencement. Le spectateur pouvait aussi y voir l'image d'une pendule, le rythme du temps. Saisir le temps, le représenter dans ses différentes considérations, tel est aussi l'enjeu de la pièce de Jonathan Monk The Odd Couple (French version). Présentée au sein de l'exposition hors les murs au Château de Fontainebleau, la pièce consiste en deux horloges à balancier, posées l'une en face de l'autre. Ne parvenant pas s'accorder sur l'heure exacte, elles semblent se disputer la mesure du temps. Dans une conférence donnée à l'occasion de l'exposition Le temps vite en 2000 au Centre Pompidou, Anthony J. Turner rappelle qu'Henri Bergson, après Saint Augustin, distingua le temps mécanique de la durée intérieure, subjective, liée à la mémoire, en mettant en évidence deux temporalités, l'une imposée par la nature (l'horloge solaire) et l'autre personnelle. La pièce de Jonathan Monk montrait cette ambivalence qui ne peut réellement s'accorder. Si chaque minute est en principe exactement pareille à toute autre minute, les expériences intérieures contredisent cette mesure homogène. La superposition de ces deux temporalités est aussi le propos de l'oeuvre d'Alice Guareschi, 2005 Calendar. Cette pièce était présentée à côté du crâne de Nicolas Juillard à l'occasion de l'exposition du Pavillon, The Final Cut. Alice Guareschi disséquait un agenda et le présentait enroulé autour d'une bobine. L'écoulement des jours mis sur papier rappelait à la fois « un mètre ruban, notre manière de quantifier le temps, et une bobine de film, notre manière de qualifier le temps.104 » Ici aussi, l'artiste interrogeait la relation entre le temps et l'expérience. Et s'il s'étire dans l'ennuyeuse attente, se contracte dans l'activité fébrile, les oeuvres d'Urs Fischer, de

103 Fig. #18

104 Candice Breitz « The Final Cut : un mode d'emploi » in Le Pavillon, session 2004-2005, Palais de Tokyo, 2005

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Jonathan Monk et d'Alice Guareschi ont en commun de montrer son écoulement permanent, l'impossible prise à laquelle il se démet constamment.

II.2.d À La vanité performée

Les représentations de danse macabre se multiplient dans l'Europe du Bas Moyen Âge. On y voit des hommes de chairs communier avec des squelettes. En cela proche des vanités, les danses macabres révèlent la relativité des plaisirs et des biens, montre la mort qui emportera chacun. Si le style s'estompe à la renaissance, il refait jour à l'avènement des Temps Modernes. Dans son poème, Danse macabre, Baudelaire chante le « charme d'un néant follement attifé. » L'art contemporain étant le passage de la représentation à la présentation, les artistes d'aujourd'hui ne figurent plus seulement les motifs de la danse macabre, mais danse pour de vrai. À deux occasions, le Palais de Tokyo en apportait la preuve.

En 2004, Nicolas Bourriaud invitait Marina Abramovic à réaliser une performance dans l'enceinte de l'institution. En compagnie de Jan Favre À célèbre pour ses crânes faits en insecte éphémère À les deux performeurs installaient une cage de verre dans une des alcôves du Palais de Tokyo. Intitulé Guerrier-Vierge/Vierge-Guerrier105 la performance s'attachait à décrire, l'envers organique de l'apparence humaine. Marina Abramovic insérait son corps dans la cage de verre avec des morceaux de viandes qui lui pendaient autour du cou. Elle ouvrait ensuite par incisions franches, les canaux de Jan Favre, lui faisant couler le long de son corps des vives coulées de sangs. Ce protocole exprimait d'une façon provocante, à la fois répugnante et séduisante, l'inscription du périssable en tant que matière constituante du corps. Les morceaux de viandes utilisés pour la performance étaient ensuite exposés. Dans un lent processus, ils séchaient, se dégradaient, jusqu'à devenir la relique mémoire d'une vie disparue. Cette performance pourrait être rapprochée des oeuvres de Jana Sterbak. Vanitas: Flesh Dress for an Albino Anorexic prend la forme d'une robe faite en tranches de beefsteak. C'est la matière du corps qui vient l'habiller. En rapprochement, la performance de Marina Abramovic et de Jan Favre

105 Fig. #33

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peut être perçue comme une ontologie. Les deux artistes insinuaient dans le Palais de Tokyo, l'être comme apparence perméable et impermanente.

Le spectateur pouvait aussi retrouver l'idée d'une vanité performée au sein de l'exposition Fresh Hell. Commissaire invité, Adam McEwen plaçait sous la travée centrale, On Giving Life (1975), quatre photographies documentant une performance d'Ana Mendieta. Le spectateur pouvait y voir l'artiste se dénuder et s'allonger dans l'herbe pour simuler un acte d'amour avec un cadavre. Cette série rappelle la performance de Marina Abramovich, Cleaning Bones, où l'artiste nettoie avec une éponge, des ossements ensanglantés. Ici Ana Mendieta imprimait la marque de l'éphémère. Dans ses autres travaux, notamment la série Silueta, on retrouve cette expression de l'impermanence. Mendieta imprime sa présence sur le paysage laisse dans la neige ou des marécages, son empreinte corporelle, des dessins éphémères qu'elle documente ensuite par la photographie. Lorsque Mendieta tente de faire l'amour avec un squelette, elle remet en cause la frontière qui sépare les morts des vivants, tente par ses caresses de le ressusciter. Et si elle fait appel au fantôme qui habite encore le squelette, le spectateur peut sentir par effet de rétroaction, le squelette qui repose pour un temps dans le vivant.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams