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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master de médiation culturelle 2010
  

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II.3. De la caducité de l'existence

Cette partie propose des oeuvres qui, sans être réellement des vanités, prolongent les idées de caducité exprimées dans le chapitre précédent. Entendu comme le jaillissement premier de la vie et le refus instinctif de tout ce qui peut l'entraver, le lyrisme est pour Annie Lebrun une violente conscience de la disparition, une manière d'entrevoir la beauté en transparence sur ce qui la menace. Expression subjective qui concerne en particulier les sentiments privés, le lyrisme perçoit la mort non plus pour ce qu'elle sanctionne mais pour ce qu'elle invalide, la vie. En ce sens, les oeuvres qui seront ici présentées peuvent être entendues comme la métamorphose plastique respective du rapport qu'entretient chaque artiste avec la finitude des choses. En induisant leur échéance, ces oeuvres proposent un déplacement temporel qui rejoint la thématique du mémoire, l'impermanence du temps.

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II.3.a À Une fin de course

Invité par Jérôme Sans à venir exposer au Palais de Tokyo, l'artiste belge Pierre Ardouvin présentait Nasseville106 (2003). Sur l'espace de la mezzanine, l'artiste installait au sortir des escaliers un chapiteau de filets. Faisant suffoquer l'espace, les lourdes mailles du filet encerclaient le visiteur. Seul un périmètre strict lui permettait une déambulation serrée autour de l'escalier. Car en contraignant le lieu, l'oeuvre n'agissait pas comme un signe, comme une figure exotique extérieure au spectateur. Au contraire, le filet créait une dynamique à laquelle il ne pouvait pas se soustraire. Le regardant était également ébloui par des puissants spots de lumières blanches, qui suivaient un cercle les cimes du filet. Cette lumière, difficilement soutenable, aveuglait tant le visiteur qu'elle l'empêchait de distinguer l'envers du décor. Un podium qui emprisonne l'être et qui lui voile son regard, un espace clos dans lequel évoluer, Pierre Ardouvin proposait une mise en forme de la fatigue mentale, de l'éreintement psychique. Comme un cul-de-sac, son installation constituait la fin d'une visite, le filet obligeant le spectateur à rebrousser chemin pour sortir. Aussi, l'artiste introduisait à différents points de l'espace des enceintes, si bien que le spectateur ne pouvait exactement savoir d'où émanait la source sonore. Par intermittence, des résonances métalliques et des sons abstraits renforçaient l'effet de cercle et d'enfermement. Industriel, le son rebondissait en écho sur les matériaux bruts et sans affect de l'architecture du bâtiment. Combinée à cette lumière qui aveugle, l'installation en son entière faisait penser à une descente après l'euphorie. Elle montrait le moment de la désillusion, de la fatigue, de l'incertitude. Faces aux ressorts et aux effets du spectaculaire - les spots, le son et le chapiteau en filet - le spectateur se sentait comme dans une arène, devenant acteur malgré lui. Il ne savait cependant pas s'il était à l'intérieur ou à l'extérieur du dispositif, s'il était le point focal du spectacle ou s'il était exclu d'événements qu'il ne pouvait voir. Et lorsque Hans-Hulrich Obrist précise que les travaux de Pierre Ardouvin fonctionnent « en grande partie sur la notion d'éphémère, d'impermanence107 », le processus se fait plus claire.

106 Fig. #34

107 Entretien entre Pierre Ardouvin et Hans Ulrich Obrist, Déjà vu, Chez Valentin, 2004

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Cette mise en scène visait surtout à se désamorçait d'elle-même. Sèche, brûlante et assourdissante, l'installation dessinait la fin de perspective, la fin d'une course, la perte des repères.

Présentée en décembre 2010 dans l'espace d'un des modules, l'oeuvre de Bertrand Lamarche parlait aussi de courbure harassante, de déprime fourbe. L'artiste présentait un tore, une forme cylindrique qui, comme une vis sans fin, tournait sur elle-même en circuit fermé. En mouvement vers le bas, l'oeuvre semblait mimer le déclin inéluctable, plaçait l'humain au seuil du transitoire. Intitulé Lobby (hyper tore Ø 550)108, le titre proposait d'assembler deux images mentales, celle du vestibule, de l'antichambre, lobby, et celle de la forme géométrique du tore. En action, il semblait creuser un couloir vers l'enfer, annonçant dans ses oscillations hypnotiques, une chute inéluctable.

Sur le même registre, peut être rapproché du travail de Bertrand Lamarche, les sculptures de poussière que l'artiste Yuhsin U. Chang présentait à l'occasion de l'exposition collective Dynasty. L'artiste s'était fait remarquée par les commissaires avec ses photographies de paysages montrant des espaces désertiques, sans traces ni présences humaines. Nommée Poussière dans le Palais de Tokyo109, sa sculpture partait aussi à la recherche de l'inerte, de l'inorganique résiduel. Comme un corps en fin de course, l'oeuvre intimait à l'espace un vieillissement radical, l'essoufflait en le mettant à la hauteur d'un vestige. Informe et précaire, elle symbolisait les processus de désagrégation, l'impuissance radicale. Des sculptures comme ontologie du vide, Yushin U. Chang présentait l'être comme vacuité, comme une matière éphémère qui contiendrait sa propre finitude.

II.3.b À La stratégie du pire

Les oeuvres précédemment évoquées montrent l'érosion du souffle vital, l'impuissance de l'art à nous extraire de notre condition existentielle. Prenant en compte cette incapacité, deux expositions du Palais de Tokyo tentaient de dépasser

108 Fig. #35

109 Fig. #36

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la figuration des limites, d'inciter au changement. Visible depuis le sas d'entrée au premier jour de l'ouverture du site de création contemporaine, l'oeuvre d'Alain Declercq, Instinct de mort110, exprime ce propos. L'artiste demandait à un officier de police de tirer deux milles balles sur une palissade de bois, ce dernier inscrivant par les tirs, le titre dans la palissade. En forme d'hommage à Mesrinne, l'artiste convoquait la mémoire du criminel pour lui rendre À l'oeuvre date de 2002 À une partie de la reconnaissance sociale qu'il desserve. Agissant par effet de réflexion, l'installation incitait le spectateur à l'irrévérence, puisque celle-ci devenait institutionnalisée.

Également marqué par le défaitisme, le travail militant de l'artiste sud-africain Kendell Geers peut être rapproché de celui d'Alain Declercq. Les travaux de l'artiste reprennent l'iconographie des vanités. Dans une de ses séries photographiques, l'artiste part en quête du motif du crâne. En shootant de l'angle approprié, balcons, bancs ou portes d'immeubles, Kendell Geers cherchent les allusions crâniennes qui se dessinent dans l'architecture de nos villes. Sa pièce Memento Mori est une série de sculptures hyper réalistes représentant des corps transpercés de balles. Dans sa performance Bloody hell l'artiste s'étalait du sang sur le visage, criait au désespoir sous cette rivière rouge vermeil. Pour le Palais de Tokyo, l'artiste faisait poser, en réaction aux espaces bruts et décloisonnés de l'institution, de lourds rideaux noirs dans une de ses alcôves. Le spectateur devait écarter cet épais velours pour découvrir une installation intitulée The Terrorist's Apprentice111. Plongée dans l'obscurité, la pièce ne laissait découvrir qu'un socle en son centre, éclairé par une seule source de lumière. Sous une cloche, le spectateur pouvait y découvrir une allumette anodine.

Kendell Geers figurait ici « la pulsion où s'affronte la volonté de vivre et le désir de mourir.112 » S'il ne montrait pas l'horreur, il exposait la pulsion qui pourrait amenait à cette horreur, comme un stimulant de l'instinct destructeur. Cette allumette provoquait le visiteur, questionnait la capacité de son psychisme à pouvoir résister aux pulsions dévastatrices. Entre pulsion de vie et pulsion de mort, l'artiste montrait

110 Fig. #37

111 Fig. #38

112 Christine Macel, Dangereux de se pencher au-dedans in « Kendell Geers, my tongue in your cheek, Les presses du réel, 2002

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le morcellement à venir. Son installation mettait au jour la vulnérabilité de notre société, menaçait presque sa stabilité. Intitulé « l'apprenti terroriste », l'allumette se déployait entre la simplicité du dispositif et dans la violence du contenu. Dixit Marx, les individus ont d'abord besoin de se rendre compte qu'ils ont des intérêts mutuels, qu'il faut s'unir pour les défendre. Dans une seconde phase, ne restera plus à trouver que l'élément déclencheur. Invitant à l'immolation, à la destruction, Kendell Geers semblait ici offrir l'allumette pour faire partir cette révolution. The Terrorist's Apprentice visait à libérer ce qui est en chacun de nous, d'impulser ce mouvement de décharge. Selon la stratégie du pire, seule une crise peut produire des

changements. En proposant l'allumette subversive, l'artiste appelait à
l'impermanence, au bouleversement des logiques éternelles dans laquelle la société s'est formolée. Faisant partie intégrante de l'exposition, une affiche, distribuée à l'occasion de l'ouverture de l'exposition, réunissait tous les numéros d'urgence de la ville de Paris. Intitulée Emergency Series (Paris), l'affiche visait aussi à alerter la population d'un danger latent, d'avertir du bouleversement à venir.

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