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Les personnages burlesques dans les productions Pixar

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par Laurent Baudry
Université Paris 1 - Master 1 2010
  

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III.3/ Vers le hors-champ et au-delà

Le hors-champ relève de tout ce qui est situé en dehors du cadre, c'est-à-dire «l'ensemble des éléments (personnages, décors, etc.) qui, n'étant pas inclus dans le champ, lui sont néanmoins rattachés imaginairement, pour le spectateur, par un moyen quelconque».1 Nombreux sont les auteurs burlesques qui ont utilisé le hors-champ dans leurs films, en ne montrant que l'amorce de l'action, laissant le loisir au spectateur d'en deviner la chute.

Un des gags les plus exploités dans le genre burlesque reste celui de la voiture qui échappe au contrôle de son chauffeur. Dans Get Out and Get Under (Hal Roach, 1920), Harold Lloyd prend grand soin de son automobile avant de la démarrer. Mais au lieu d'avancer, celle-ci recule, traversant le mur du garage. En 1989, le personnage de Mister Bean remet au goût du jour l'alliance comique de l'accident et du hors-champ en engageant sa voiture dans une voie sans issue. L'automobile sort du champ, un choc se fait entendre, puis une roue entre par le bord supérieur du cadre, rebondit sur la chaussée et s'immobilise. Mister Bean réapparaît et regarde la roue, puis se retourne vers le lieu d'un supposé accident, avant de traverser le cadre en courant.2 Mike's New Car (Pete Docter et Roger Gould, 2002) réutilise ce même gag, quand Mike, au volant de sa voiture, se prépare à une marche-arrière. Mais un démarrage en trombe mal négocié le fait sortir du cadre en marche-avant. Comme chez Mister Bean (et comme bien d'autres avant lui), le son provenant du hors-champ laisse penser à un accident. Hypothèse confirmée par le retour de la voiture en plusieurs étapes, puisqu'elle est en pièces. Ce court métrage opère une fusion entre le gag de Lloyd et celui de Mister Bean, mais c'est avant tout la chute reposant sur le hors-champ qui lui donne tout son sel. Par ce recours à la litote3, le hors-champ instaure un « rapport direct entre le non-vu et l'assomption du spectateur. »4 Le public est donc un élément à part entière du gag à travers le hors-champ, puisque c'est ce qu'il imagine en dehors du cadre qui lie l'image au son qui lui succède.

Le son est, dans ce cas précis, un allié des plus sûrs pour s'assurer de l'adhésion du

1 J. AUMONT, A. BERGALA, M. MARIÉ, M. VERNET, Esthétique du Film, Nathan, Paris, 1983, p.15.

2 Mister Bean (épisode pilote), de John Howard Davies, 1989.

3 Figure de style consistant à dire moins pour faire entendre plus.

4 Serge ABIAAD, Le hors-champ dans le cinéma des premiers temps, Cadrage.net, février 2005.

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public au gag. Ce principe se vérifie dans Up, où Russell après avoir grimpé sur les épaules de Carl pour atteindre la maison en lévitation, tente de monter à la corde. Tandis que la caméra cadre le haut du corps du vieil homme, les bruyants efforts de Russell (hors-champ), de plus en plus éloignés, sous-entendent une progression de l'enfant vers la maison. Mais, en s'élargissant, le cadre révèle que Russell n'a pas bougé d'un pouce. La surprise créée par le décalage entre l'ascension sonore du personnage et sa stagnation physique déclenche ainsi le rire.

Bien qu'utilisant le hors-champ comme un espace supplémentaire consacré au gag, les personnages des productions Pixar ne s'en contentent pas. Pour reprendre le fameux cri de guerre de Buzz l'éclair : « Vers l'infini et au-delà », il semblerait que ces corps difficilement contrôlables, s'échappent vers le hors-champ et au-delà. Ainsi, le bêtisier de A Bug's Life évacue totalement l'existence des animateurs, puisqu'il révèle la présence d'insectes occupant les rôles fictifs des techniciens derrière une caméra qui n'existe pas (puisqu'il s'agit d'animation). La frontière du film, déjà déplacée dans le hors-champ, n'est plus le générique. D'ailleurs, les héros du film réapparaissent furtivement dans Toy Story 2, tout comme Tinny, caché sous le lit du jeune homme victime d'une tentative d'enlèvement extra-terrestre dans Lifted. Les exemples de personnages échappés de leur film d'origine sont si nombreux qu'une grande partie des ouvrages et sites Internet consacrés au studio s'amusent à répertorier toutes ces incursions. Le générique de fin de Cars rend un hommage clairement affiché aux précédentes productions du studio en montrant les personnages du film au drive-in local, en train de regarder, entre autres, Toy Car Story dont les héros sont deux voitures nommées Woody et Buzz Light Car. Par ce procédé, « les réalisateurs renversent le cours normal des choses, puisqu'il est normalement entendu que ces animaux, monstres, insectes ne peuvent pas exister dans la vraie vie. Ces bêtisiers donnent ainsi une vie réelle à ces artefacts, ces simulacres ».1 Mais cette perméabilité des films entre eux, contribuent, par ces auto-références, à la construction d'un monde Pixar dans lequel il serait admis que les personnages puissent circuler librement. L'apparition incongrue d'une silhouette connue dans un film qui lui est étranger est une touche burlesque supplémentaire dans l'oeuvre du studio. Après tout, Monsieur Hulot ne se permet-il pas une apparition dans Domicile Conjugal (François Truffaut, 1970) ?2

1 Sébastien DENIS, Le cinéma d'animation, Armand Colin Cinéma, Paris, 2007, p.202.

2 Dans ce cas, le personnage n'est pas interprété par Tati, mais par sa doublure lumière, Jacques Cottin.

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Cette irrépressible volonté de mouvement, dans le film, sur ses bords et en-dehors, prouve le désir de liberté qui contamine tout personnage burlesque. Non content d'être au centre de son propre film, le héros Pixar s'octroie le pouvoir de s'en évader, s'affranchissant des codes qui emprisonnent son corps dans un cadre trop strict pour le délire qui l'habite.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus