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Les personnages burlesques dans les productions Pixar

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par Laurent Baudry
Université Paris 1 - Master 1 2010
  

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CHAPITRE I : VERS LE MERVEILLEUX

En répertoriant les propriétés extraordinaires du corps burlesque, il paraît évident que celui-ci est fait pour autre chose que la simple chute auquel il est souvent rattaché. De par sa condition de personnage animé, le héros Pixar, tout comme les héros du slapstick traditionnel, tend tout son être vers la fantaisie. Ses fuites vers des horizons étrangers au film auquel il appartient le prouvent. Cette fantaisie revendiquée par les créateurs du studio depuis sa création, repose notamment sur un principe que John Lasseter résume ainsi :

« Depuis que je travaille dans cette branche du cinéma, on dit toujours que la quête du Graal en terme d'image de synthèse est d'arriver à créer des êtres humains parfaitement réalistes. En fait, ça n'a pas vraiment d'intérêt. Ce qui nous intéresse, c'est le fantastique. Il nous suffit de mettre une petite dose de réalisme dans les décors ou certains effets de nos univers pour faire passer toute la fantaisie qui se trouve autour. Nous ne voulons pas attirer l'attention du public sur un effet particulier, au détriment de l'histoire. »1

Baigné dans cette fantaisie, les personnages ne sont donc pas créés dans une tentative de reproduction de la réalité, mais bien à travers une réalité qui leur est propre. Par quel biais ces personnages constituent les principaux relais de la magie comique qui opère dans ces univers ? Pour en avoir un aperçu, il faut d'abord déterminer une certaine idée du quotidien des personnages que se font les créateurs des films, mais également traiter un motif récurrent dans la filmographie du studio, celui de la suspension du réel, comme une pause durant laquelle la réalité est mise à mal par la fantaisie.

I.I/ L'extraordinaire quotidien

Qualifier le quotidien d'extraordinaire revient à mettre en évidence le paradoxe qu'implique la fantaisie décrite plus haut, lorsque la rencontre du merveilleux et du routinier donne lieu à des situations pour le moins comiques. Par exemple, dans Le Grand Amour (Pierre Étaix2, 1968), Pierre, le personnage principal, s'évade de la monotonie de sa vie conjugale le temps d'un rêve où les voitures sont remplacées par des lits. Il emprunte

1 cité dans Pascal PINTEAU, Effets spéciaux, un siècle d'histoire, Minerva, 2003, p.261.

2 Clown, illustrateur, gagman, magicien, fondateur de l'École Nationale du Cirque, Pierre Étaix est également un auteur majeur du cinéma (burlesque), avec l'écriture et la réalisation de cinq films durant les années 1960 : Le Soupirant (1963), Yoyo (1964), Tant qu'on a la santé (1965), Le Grand Amour (1968) et Pays de Cocagne (1969).

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une petite route de campagne et découvre un homme, arrêté sur le bas-côté, et allongé sous son lit pour le réparer, les mains pleines de cambouis. Plus loin, Pierre aperçoit un lit carbonisé, à la diagonale, contre un arbre qu'il semble avoir percuté. Il s'arrête ensuite pour prendre une charmante auto-stoppeuse (dans ce cas, ne devrait-on pas dire lit-stoppeuse ?) qui n'est autre qu'Agnès, sa secrétaire dont il est secrètement amoureux. S'en suit un accident entre deux dormeurs qui descendent de leur lit pour s'expliquer, le passage d'un agriculteur tractant (lui aussi sur sa couche) un canapé rempli de fumier, ou encore, une route embouteillée par des lits. Au-delà de la splendide poésie de cette métaphore de la vie amoureuse, Pierre Étaix donne un ton comique à ce cheminement onirique en appliquant les aléas de l'automobiliste au domaine du lit. Ce déplacement de détails concrets vers le rêve installe une sorte de nouvelle réalité qui rend ce rêve crédible. Cette séquence donne

tout son sens au burlesque qui « flirte avec le merveilleux » quand « son extravagance et ses folles imaginations l'éloignent du commun et de la raison pour faire naître un monde quasi-fantastique et grotesque -ou d'un réalisme supérieur - proche de celui du rêve. »1

Cette approche est, depuis longtemps, acquise chez Pixar et, bien que les personnages soient plus originaux les uns que les autres (lampes de bureau, monocycle, jouets, poissons, monstres, insectes, robots, etc.), leur crédibilité repose sur le monde dans lequel chacun évolue. Ainsi, chaque nouveau film est l'occasion de créer un univers autour des personnages, avec d'innombrables références à la réalité dans ce qu'elle a de plus banal. La colonie des fourmis dans A Bug's Life est organisée d'après le modèle naturel (une reine à la tête d'ouvrières), mais son quotidien est ponctuée de rapprochements évidents avec le monde des humains. Les champignons fluorescents deviennent des lampadaires, et la ville des insectes reproduit les codes d'une ville moderne, avec, en guise de feux de signalisation, une luciole qui passe d'une ampoule rouge à une ampoule verte. La méthode ainsi utilisée pour donner corps à ce monde fictif repose sur la dissonance née de « l'invraisemblable sur des données humaines et sérieuses »2.

Ce ressort comique qu'est la réalité des personnages calquée sur celle du spectateur est également développée dans Finding Nemo. Au début du film, Marin, poisson-clown,

1 Emmanuel DREUX, Le cinéma burlesque ou la subversion par le geste, L'Harmattan, 2007, p.44.

2 Henri DIAMANT-BERGER, « Les Genres », Cinémagazine n°27, 22 juillet 1921. Cité dans Emmanuel DREUX, Le cinéma burlesque ou la subversion par le geste, L'Harmattan, Paris, 2007, p.39.

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accompagne son fils, Nemo, à l'école. Au milieu des anémones et autres coraux, les bancs de poissons circulent dans un ordre bien établi. Cette fois, ce n'est pas une luciole, mais un poisson rouge en forme d'éventail qui se déploie pour permettre à Nemo et son père de traverser (annexe 29). Cette idée de réguler le trafic sous-marin avait déjà été explorée par Buster Keaton pour The Navigator (1924) (annexe 30), mais il s'agissait plus d'une digression que d'un enrichissement de l'intrigue, ce dont Keaton se rendit compte, décidant de renoncer à cette scène. Il est difficile de savoir si les scénaristes de Finding Nemo ont eu vent de cette scène quand ils ont mis au point cette séquence. En tous les cas, ici, l'effet fonctionne car, contrairement au gag de Keaton, il s'inscrit dans une logique d'illustration du quotidien des poissons.

Une autre approche, tout aussi prolifique en matière de fantaisie, consiste en une exploitation particulière d'objets banals sortis de leur contexte. Le tuyau d'arrosage faisant office de corde dans Up est un exemple de ces réinterprétations de l 'objet qui fourmillent dans le film.

« J'aime l'idée que les objets du quotidien aient une nouvelle fonction [É] Au début du film, on a fait la liste de tous les objets qu'un vieil homme pouvait posséder, afin de savoir comment les utiliser dans un contexte d'aventure. Il y a ce pot de pilules qu'il jette au sol, et qui fait déraper Muntz. Il se sert de son appareil auditif, qu'il lance comme une grenade. »1

Si les objets quotidiens d'un vieil homme au milieu d'un film d'aventures sont une grande source d'inspiration, la vie d'une famille de super-héros dans un quartier pavillonnaire ne l'est pas moins. Le dîner de la famille Parr (The Incredibles) le prouve. Tandis que la mère tente de raisonner son fils indiscipliné, le père, distrait aide ce dernier à couper sa viande. Rien de plus banal, à la différence près que le fils peut courir à la vitesse de la lumière, que sa soeur peut se rendre invisible, que le corps de la mère est élastique et que le père dispose d'une force colossale. Ces détails, qui n'en sont pas, transforment un repas familial en un modèle d'anarchie. Et quand quelqu'un sonne à la porte, tous s'arrêtent net, le temps de réaliser que leurs pouvoirs ne doivent pas être découverts (annexe 31). En un quart de seconde, tout rentre dans l'ordre, pour faire bonne figure devant le nouvel arrivant. Ces va-et-vient incessants entre le banal et l'extraordinaire sont le pendant comique de ce véritable film d'action. Il suffit que la famille reprenne du service, en costume de super-héros, pour que les aléas de la vie quotidienne ressurgissent inévitablement. C'est

1 Pete Docter, dans les commentaires du dvd de Up (2009).

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notamment le cas lorsque Bob/Mr. Incredible, au volant d'un van suspendu à un engin volant par les membres étirés de sa femme (Helen/Elastigirl) (annexe 32), répond à ses enfants qui s'impatientent : « On arrivera quand on arrivera ! ». Cette réplique fleurant le départ en vacances n'est pas isolée, puisqu'une fois arrivée sur la terre ferme, Helen remonte dans le véhicule et se dispute avec son mari au sujet de l'itinéraire à prendre pour rejoindre la mission qui les attend.

Tous ces moments de flottements entre la réalité telle qu'elle est connue du public et telle qu'elle est représentée à l'écran installe une folie douce dans l'action. Ce délire communique avec le réel par des situations où le corps du héros est, sinon le centre de gravité, un élément décisif de l'équilibre entre le quotidien et le merveilleux.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe