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Les personnages burlesques dans les productions Pixar

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par Laurent Baudry
Université Paris 1 - Master 1 2010
  

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CHAPITRE II : RETOUR AUX SOURCES

Qu'ils soient équilibristes, traités comme des marionnettes, ou maltraités en tant que corps animés, les personnages des productions Pixar ont un point commun, celui d'être en constante représentation. Car ils possèdent la capacité d'accéder à un degré supérieur de liberté en s'affranchissant, par le spectacle, des carcans susceptibles de freiner leur potentiel expressif.

En 1908, Ricciotto Canudo considérait déjà le cinéma comme le meilleur moyen de retranscrire « l'élément de la rapidité absolument précise », « la précision extrême du spectacle »1. Car la précision est intimement lié au registre burlesque, lequel repose avant tout sur le timing2, indispensable à la réussite d'un gag, et inextricablement lié à la notion de rythme. La rigueur nécessaire à cette synchronicité, tous les grands burlesques, sans exception, l'ont apprise au contact du public, sur les scènes de music-hall, ou sur la piste d'un cirque. L'histoire du genre burlesque, au sens cinématographique du terme, prend sa source sur les planches, et non devant la caméra. Rares sont les films des studios Pixar qui n'ont pas un lien plus ou moins ténu avec le monde du spectacle. Mais quelles sont les manifestations de ce lien ? Pour les déterminer, il faut avant tout s'attarder sur le vecteur de spectacle le plus utilisé, dans l'animation comme dans les films burlesques traditionnels, à savoir la musique, laquelle implique très souvent un numéro de danse plus ou moins chorégraphié. Mais la musique est aussi une manière d'introduire deux autres genres de divertissement qui ne sont pas étrangers au burlesque : la magie et le cirque.

II.1/ La musique comme source de l'action

Dès les premières années du cinéma, la musique s'impose comme un élément indispensable, à tel point qu'elle devient rapidement le sujet de prédilection de bon nombre de films.

1 cité dans Emmanuel DREUX, Le cinéma burlesque ou la subversion par le geste, L'Harmattan, Paris, 2007, p. 33.

2 Le timing est un terme anglais désignant, dans le cas du gag, le moment le plus opportun pour une action, qui passe par la synchronisation du personnage avec les éléments qui l'entourent. En quelque sorte, un bon timing signifie faire le bon geste au bon moment.

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« Il est peu de longs métrages du muet qui ne comportent une scène de danse populaire, de bal, de ballet classique, de fête foraine, de réunion chantante, de café, de concert, de revue de music-hall, d'opéra, [...] de baladins, de chanson ou de réjouissance populaire autour d'un instrument. »1

Les films d'animation ne sont pas en reste, puisque la possibilité de régler à l'image près l'action sur le rythme de la musique permet d'obtenir des effets saisissants. Les premières aventures de Mickey vont d'ailleurs dans ce sens, et leur succès fut si grand que le procédé, pourtant utilisé par d'autres studios, fut surnommé mickeymousing (le terme est toujours utilisé, qu'il s'agisse de cinéma d'animation ou de films en prise de vue réelle). Michel Chion ajoute que « s'il y eut jamais des films musicaux, ce furent, bien plus que tous les autres, les cartoons de la série Silly Symphonies2 de Walt Disney »3. Au fil du temps, les studios Disney n'ont cessé d'accorder une place prépondérante à la musique dans leurs films et les productions Pixar ne dérogent pas à la règle.

En effet, la musique n'est pas seulement utilisée pour souligner les particularités physiques du personnage, comme c'est le cas pour le motif de l'homme-orchestre. Puisqu'il ne faut pas se fier à « l'insuffisante et réductrice formule habituelle [selon laquelle] la musique accompagne le film, nous dirons qu'elle le co-irrigue et le co-structure »4. Car l'enjeu du thème musical chez Pixar n'est pas d'illustrer les images, mais de les lier entre elles, pour immerger le personnage dans une situation bien précise.

Le studio développe ce principe en se rapprochant notamment d'une certaine tradition musicale burlesque : celle du jazz. Car s'il est un genre de musique mitoyen au dessin animé et au slapstick, c'est bien le jazz. D'abord parce qu'il « a été l'un des ferments des avant-gardes [dont le burlesque et l'animation] dès les années 1910 et 1920 »5, ensuite parce les notions de rythme et de liberté semblent les deux seules règles fondamentales qui régissent ces trois mouvements.6 Mais Petr Kràl évoque un autre point commun au

1 Michel CHION, La musique au cinéma, Fayard, 1995, p.43.

2 Les Silly Symphonies sont une série de courts métrages animés et produits par les studios Disney entre 1929 et 1939.

La série officielle compte près de 80 films qui permirent au studio d'affirmer sa suprématie dans le domaine du dessin animé, et de perfectionner son style.

3 Michel CHION, La musique au cinéma, Fayard, 1995, p.95.

4 Ibid., p.215.

5 Sébastien DENIS, Le cinéma d'animation, Armand Colin, Paris, 2007, p.84.

6 Ainsi, dans Le burlesque ou la morale de la tarte à la crème (Ramsay, 2007) , Petr KRËL qualifie le slapstick de cinéma jazziste. (p.56)

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burlesque et au jazz, celui de leur caractère urbain.1 La ville est d'ailleurs le principal vecteur de cette musique dans A Bug's Life. Dès l'instant où Flik arrive dans la ville, un thème jazz commence à envahir la bande-son, pour faire ressortir le caractère rural de Flik, déjà accoutré comme un randonneur. Le traitement de cette séquence à travers le jazz permet d'installer le héros dans une sorte d'émerveillement face à la foisonnante diversité d'individus et de mouvements qui contraste avec la rigoureuse uniformité de sa colonie. Soulignée par ce contexte musical, la ville apparaît alors comme une porte donnant sur tous les possibles.

S'il peut suggérer l'impact d'un lieu sur le héros, le jazz est aussi employé pour renforcer l'adhésion du public à une certaine approche des personnages. C'est le cas dans Monsters Inc., dont la musique a suscité quelques débats. Randy Newman2 se rappelle :

« Les créateurs du film aimaient le jazz des années 40. J'avais utilisé ce style dans 1001 Pattes (A Bug's Life), dans The City. C'est ce qu'il voulaient d'un point de vue affectif. Ce n'est pas nécessairement ce que j'aurais fait si j'avais été seul. J'aurais sans doute opté pour un style plus mécanique, plus industriel [...]»3.

Cette divergence de point de vue concerne la séquence où Sully et Mike entrent dans l'espace réservé à l'approvisionnement en cris d'enfants. Et si les créateurs ont opté pour du jazz, c'est parce qu'ils voulaient sans doute atténuer l'aspect négatif du travail des monstres. The Scare Floor (malgré sa signification : "L' Effrayodrome") est donc un morceau de jazz enlevé durant lequel les deux héros saluent leurs collègues en plaisantant. Cette façon d'amener la fonction des monstres par la décontraction du geste, de la démarche et surtout par la musique, rend ces derniers plus sympathiques qu' horrifiques.

C'est d'ailleurs dans ce même lieu que Sully et Mike se mettent en scène pour la première fois. Pour ne pas révéler la présence d'une petite fille au milieu des monstres, les deux héros intègrent une phrase compromettante prononcée un peu trop fort dans un simulacre de comédie musicale. Le générique de fin montre la première représentation de cette pièce (qui résume l'histoire du film) jouée, écrite, dirigée et produite par un Mike Wazowski égocentrique. Monsters Inc. reste donc jusqu'au bout une métaphore du

1 Ibid., p.59.

2 Auteur, compositeur et interprète, Randy Newman (de son vrai nom Randall Stuart Newman) fut un chanteur engagé dans les années 1970, avant de composer de nombreuses musiques de films (dont six pour Pixar).

3 Randy Newman, dans un entretien accordé à Jérémie Noyer, pour Media Magic, juillet 2009.

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spectacle, par des va-et-vient incessants entre la scène (représentée par les chambres d'enfants) et les coulisses (la ville des monstres). La musique, dans ce qu'elle apporte à l'ambiance, est ici un élément moteur de l'action, notamment parce qu'elle est diégétique1.

En effet, dans la filmographie du studio, de nombreuses séquences visent à introduire la source de la musique, comme dans Toy Story 2, où Woody et Jessie actionnent une platine vinyle en courant sur le disque.2 Ce n'est plus la musique qui entraîne l'action, mais l'action des personnages qui permet la musique. Wall-e pousse cette interaction encore plus loin en devenant lui-même la source du son. En effet, ses yeux étant également des caméras, il a pour habitude d'enregistrer les choses qui le marquent. Il se transforme alors en projecteur pour montrer un extrait de Hello Dolly ! (Gene Kelly, 1969) à Eve, reproduisant la chorégraphie du film. Dans les productions Pixar, la musique existe autour des personnages, grâces aux personnages, et à travers eux, les transformant tour à tour en chanteur, en danseur ou en musicien.

1 Est diégétique un élément qui fait partie du récit. Une musique diégétique est donc une musique dont la source est intégrée à la narration.

2 Pierrick Sorin, plasticien et vidéaste français, a d'ailleurs réalisé un théâtre optique basé sur le même principe pour l'exposition « Jacques Tati, Deux temps, trois mouvements », du 8 avril au 2 août 2009, à la Cinémathèque française, où il se projetait, déguisé en Monsieur Hulot, et actionnant un disque en courant dessus (annexe 36).

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote