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Ce que "casseur" veut dire. La figure de l'ennemi dans le discours politique

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par Pierre CHARTIER
Université de Bretagne Occidentale - Master 1 2017
  

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CONCLUSION

Le lexème « casseurs » cache derrière son apparente simplicité une grande complexité. Son champ discursif est la violence et la manifestation protestataire puisque c'est lors des manifestations, ou lors d'émeutes, que les « casseurs » agissent. Cependant, ce sont les journalistes qui font la réussite ou l'échec d'une manifestation car selon Patrick Champagne, la presse est « le lieu réel » où la manifestation se joue (1984 : 28). C'est pourquoi nous avons rappelé quelques caractéristiques du discours journalistique, tels que la situation d'énonciation, l'effacement énonciatif et l'importance du dictum pour se différencier de la concurrence. L'intérêt des médias pour la violence s'explique par l'assurance de réaliser de bonnes audiences et donc des profits. C'est pourquoi la violence est centrale dans les sujets qui traitent des manifestations au risque d'être sur-représentée et d'effacer les revendications du groupe manifestant. Néanmoins, les nouveaux médias qui ont vu le jour sur internet tendent à refuser ce schéma et livrent un éclairage sur les manifestations qui était jusque-là absent en donnant la parole aux « casseurs ». Pour illustrer les relations paradoxales qu'entretiennent les médias avec la violence ainsi que l'uniformisation des discours, nous nous sommes appuyé sur l'étude de l'épisode de l'hôpital Necker lors de la manifestation du 14 juin 2016, en analysant trois articles tirés de medium différents : Le Parisien, Le Figaro et Paris-luttes.info, un média libre*. Cette étude de cas nous a aussi permis de mettre à jour les relations d'interdépendances entre médias et personnalités politiques, qui ne font que commenter l'actualité dans les matinales radiophoniques. Les commentaires sur les manifestations deviennent des condamnations de la violence, effaçant ainsi les revendications et délégitimant les participant-e-s. Ce processus médiatique s'illustre grâce aux journaux télévisés de France 2 consacrés aux sommet du G8 à Gênes les 20 et 21 juillet 2001 dans lesquels nous avons aussi observé un double mouvement : d'un côté la construction discursive des différents acteurs/actrices, de l'autre la légitimation du groupe-manifestant institutionnel (syndicat, association, ONG) contre la délégitimation du groupe-manifestant « challenger » (Fillieule et Tartakowsky 2013 : 140). Nous pouvons ainsi affirmer que la violence est une source de rémunération pour les médias et un réservoir de pouvoir pour les politiques.

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Pour cette analyse de l'évolution historique du lexème « casseurs », nous nous sommes appuyé sur les archives du journal Le Monde. Avant 1970, le terme en lui-même n'est utilisé qu'en formes proverbiales comme « casseur d'assiettes » ou « des airs de casseurs ». Qualifiant le/la propriétaire d'une casse automobile, puis des cambrioleurs, le sens qui nous intéresse est absent des dictionnaires et des archives du journal Le Monde jusqu'à la promulgation de la loi « anti-casseurs », qui est « l'acte de baptême » de la dénotation de « casseurs ». À partir de cet instant, il a peu à peu remplacé les autres désignations de « manifestant-e-s violent-e-s ». Ainsi, le terme « gauchistes » qui était de loin le plus utilisé dans Le Monde entre 1970 et 1979 est aujourd'hui bon dernier. L'item « casseurs » est celui qui a connu la plus grande croissance d'occurrences depuis les années 1970 contrairement à « anarchistes » et « émeutiers » qui désignent, peu ou prou, les mêmes individus. Notre postulat de départ s'est finalement révélé juste puisque les « casseurs » sont bien une construction politique qui réunit plusieurs groupes pour créer une catégorie homogène et stéréotypée qui facilite ainsi la désignation des dissident-e-s politiques.

Après cette analyse diachronique, nous nous sommes placé dans une perspective synchronique pour analyser l'item « casseurs » sous l'angle de la théorie du prototype de G. Kleiber. Grâce à l'analyse sémique, nous avons conclu que « casseurs » possède bien les critères prototypiques : il est catégorisé dans le niveau de base et est le seul a réunir tous les sèmes qui constituent le meilleur exemplaire de sa catégorie, par rapport à « gauchistes », « anarchistes », « black-blocs », « hooligans » et « émeutiers », qui sont les autres membres du groupe « manifestants violents » que nous avons choisi. Cependant, nous avons aussi mis à jour les limites du modèle standard du prototype par rapport à notre analyse : la différence entre degré de prototypicalité et utilisation en discours mais aussi la difficulté de classer des objets sociaux. En effet, ce n'est pas parce qu'un item aura un degré de ressemblance plus proche du prototype par rapport aux autres membres de sa catégorie qu'il sera celui le plus utilisé. Ensuite, il est difficile de définir le sémème d'un objet social tant celui-ci se définit, comme son nom l'indique, dans et par la société, donc par le regard des autres individus qui est influencé par des structures globales que sont les médias et le discours politique.

La mise en avant des traits prototypiques nous a fait nous interroger sur les

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conditions de nomination d'un groupe manifestant comme « casseurs » ainsi que les intérêts politiques qui en découlent. Les « casseurs » sont l'objet de condamnations unanimes, que ce soit en politique de l'extrême-droite à l'extrême-gauche ou dans les médias, de L'Humanité à Valeurs actuelles en passant par Le Figaro, Libération et Le Monde. Finalement, c'est le caractère politique de la violence qui est nié et, de facto, la dimension politique chez les « casseurs ». Selon toute logique, des groupes manifestants utilisant la violence comme moyen d'action devraient, à défaut d'être dénommés « casseurs », y être comparés. Or, comme l'a démontré l'étude du mouvement des Bonnets Rouges, les « agriculteurs » échappent totalement à cette désignation puisqu'ils bénéficient d'un statut social privilégié modifiant la perceptions de l'État et des forces de l'ordre qui adoptent une gestion patrimonialiste des manifestations agricoles. Cela démontre que la dénomination de « casseurs » et les condamnations unanimes qui s'en suivent sont à géométrie variable selon le statut politique et social du groupe manifestant. Cet exemple nous montre comment la sphère politique peut peser sur les stéréotypes et à quel point le discours politique à une dimension performative : il lui suffit de dire que x est X pour que cela soit le cas.

Le discours politique est donc central dans notre étude puisqu'il est à l'origine de la dénotation de « casseurs » mais c'est aussi par lui que se développent les connotations et que survit la dénotation, amplifiée dans les médias qui agissent comme une caisse de résonance par un effet de reprises et de citations. Après avoir délimité le champ théorique en présentant la théorie du conflit, les théories de l'ennemi et de l'adversaire en politique ainsi que les différences entre dénomination et désignation, nous avons étudié les différents mécanismes discursifs pour faire des « casseurs » une figure antagoniste et dangereuse. Ainsi, la dénomination est parfois couplée à une désignation, par un effet discursif ou sémantique, qui prennent la forme de périphrases, de contraires discursifs ou d'accusations d'intentions. Au delà des mécanismes de construction de la figure de l'ennemi, il y a aussi des mécanismes qui permettent de « se construire soi-même » : la République, la justice et les principes. Nous prenons l'exemple des violences policières niées par Bernard Cazeneuve au nom des principes républicains qui habiteraient les forces de l'ordre. Les policiers/policières ont par ailleurs un rôle conséquent dans la rhétorique du gouvernement face aux violences protestataires, notamment dans le contexte post-attentats.

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La figure du terroriste est d'ailleurs régulièrement convoquée pour discréditer un groupe social ; c'est ici le cas pour les « casseurs » qui lui sont comparés, tant pour l'utilisation de la violence que pour leurs objectifs prétendument mortifères et destructeurs. Qu'il s'agisse de terroristes, d'émeutiers ou de « casseurs », ce sont les mêmes processus mis en oeuvre pour construire un ennemi intérieur. Les méthodes de dénomination, de désignation et de délégitimation étudiées dans ce travail vont bien au-delà des « casseurs » puisqu'elles embrassent le champ de la violence protestataire dans son ensemble. C'est du moins le postulat de départ de notre prochain travail de thèse.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway